Capture d’écran floutée de la vidéo diffusée sur les réseaux sociaux et montrant la colère de l’ambulancier, le 27 juin 2023 à Nanterre. (TWITTER)
Jugé jeudi en comparution immédiate pour « outrage » à l’encontre d’un policier, l’ambulancier, dont la colère a fait le tour des réseaux sociaux mardi après la mort de l’adolescent, a été dispensé de peine. Son collègue qui a filmé la scène a été relaxé.
D’emblée, il pleure. Pleure à nouveau. Puis pleure encore, emportant dans le flot de ses intarissables larmes la 16e chambre correctionnelle du tribunal judiciaire de Nanterre. Juste en bas, ce jeudi 29 juin après-midi, au pied du palais de justice qui jouxte la préfecture des Hauts-de-Seine, plusieurs milliers de personnes convergent. La marche blanche en hommage au jeune Nahel, 17 ans, tué mardi par un policier lors d’un refus d’obtempérer, s’est élancée un peu plus tôt de son quartier Pablo-Picasso.
Marouane D., lui, n’a pas pu s’y rendre. Il est là, traits tirés et air accablé dans le petit box vitré de cette grande salle aux bancs clairs, sans fenêtre, d’où l’on perçoit le bruit de quelques pétards tirés depuis la rue. Bras croisés et polo marine siglé du nom de sa société, il se tient droit à côté de son collègue Amine Z., en veste manches longues portant le même sigle. Leur tenue de mardi, quand ils ont été placés en garde à vue.
Ils sont jugés en comparution immédiate. Marouane D. pour « outrage » à policier. Amine Z. pour « divulgation d’information personnelle permettant d’identifier ou de localiser » un policier, l’exposant à un risque d’atteinte. C’est Marouane D. qu’on voit invectiver un policier sur cette vidéo publiée sur le réseau social Snapchat qui a tant circulé, depuis mardi, au point de largement dépasser le million de vues. C’est son collègue qui l’a filmée et diffusée.
« Tu vas voir ! Tu vas payer ! Je vais t’afficher sur les réseaux sociaux ! Tu ne vas plus vivre tranquille, frère ! » énonce en préambule la présidente pour rappeler les propos valant à Marouane D. d’être jugé. L’ambulancier de 32 ans les reconnaît « totalement ». Il pleure.
Sur les images tournées par son collègue, on le voit aussi s’adresser hors de lui en ces termes à un des policiers présents mardi devant l’entrée des urgences de l’hôpital Max-Fourestier de Nanterre : « Là, tout le monde est en train de dormir, vous allez voir comment Nanterre va se réveiller. Il a 19 ans [en réalité 17 ans], tu vois qu’il a une gueule d’enfant. Pour un défaut de permis ! Pour un défaut de permis, frère !Je le connais le petit, je l’ai vu grandir ! »
« Amalgame »
Mardi matin, Marouane D. vient de déposer un patient quand un ami l’appelle et lui apprend ce qu’il vient de se passer. Il lui envoie la vidéo. Puis Marouane D. apprend que c’est Nahel, qu’il connaît si bien, qui est la victime de ce tir policier. « Pile-poil à ce moment-là, j’arrive aux urgences, je vois un policier avec l’écusson de la brigade motocycliste et il me dit bonjour, explique Marouane D. mais je ne peux pas dire bonjour à quelqu’un qui a tué quelqu’un que je connais. » Il pleure. « Ce n’est que de l’émotion, madame », dit-il en admettant « avoir fait l’amalgame ».
« On ne peut pas mettre tout le monde dans le même sac, poursuit l’ambulancier en se confondant en excuses, j’ai vidé mon cœur, je regrette, je n’ai jamais voulu en arriver là. » Juste après, devant l’entrée des urgences où il doit récupérer un patient, le jeune homme est plaqué au mur, menotté, interpellé. « On m’a dit “t’as menacé de mort notre collègue”, mais c’était l’émotion », repète-t-il sans cesse.
C’est quand l’officier de police judiciaire lui lit ses propos, en garde à vue, qu’il prend conscience de leur teneur. « J’ai dit des choses assez graves quand même, admet-il, mais à aucun moment je n’ai voulu nuire. Je suis quelqu’un de très discret. » Des larmes roulent encore sur ses joues. Père de famille ayant grandi à Nanterre, l’ambulancier apprécié de ses patients et de son employeur présent dans la salle, qui a obtenu son diplôme haut la main avec une note de 19,5, souhaite se racheter. « Je l’ai accusé pour rien, s’il veut que je refasse une vidéo pour m’excuser… » S’il s’est laissé dépasser par son émotion, dit-il aussi, c’est parce qu’il connaissait si bien Nahel, son ancien voisin.
« Nahel, on le surnommait “Michelin” »
« La semaine dernière encore, il était avec ma fille, dit-il au tribunal, ma mère le connaît, mes frères et sœurs le connaissent. » Sa mère gardait Nahel quand il était petit. « Quand il est né, on le surnommait “Michelin” comme le bonhomme parce qu’il était un peu gros », se souvient-il aussi en pleurs. « C’est comme s’il faisait partie de ma famille, c’est comme si on m’avait enlevé mon petit frère », livre-t-il encore. En tant que professionnel de santé, c’est sûr, il aurait dû prendre sur lui : « J’ai dû faire face dans mon métier à des situations difficiles, mais Nahel était vraiment quelqu’un de proche. »
A sa gauche, son collègue Amine Z. est à son tour invité à s’expliquer. « J’ai l’habitude de “snapper” mon quotidien, quand je filme, je ne fais pas exprès, ce n’est pas dans le but de nuire à qui que ce soit », déclare-t-il au tribunal. S’il a filmé la scène, c’est pour « se protéger » : « Je ne voulais pas qu’on m’accuse de quelque chose que je n’avais pas fait », poursuit-il en affirmant ne pas s’entendre avec Marouane D. et vouloir changer de binôme. « Je suis en insertion, j’ai été addict aux jeux d’argent, j’ai des dettes, j’essaie de m’en sortir en travaillant. »
Ces images, il les a ensuite publiées sur Snapchat « en story privée », soit dit-il à une trentaine de ses contacts. « Je n’aurais pas dû filmer,dit-il, je m’excuse ».« Le problème, c’est que ce qui est sur la toile est indélébile », répond l’avocate du policier, en arrêt de travail depuis, qui défend deux autres agents visibles sur les images, « à un moment un zoom est fait sur le policier, et envoyer ces images à 30 ou 10 000 personnes, c’est la même chose ».
« Conséquences dramatiques »
Le procureur n’est pas convaincu. « Quel intérêt de filmer ? Pourquoi votre première réaction n’est-elle pas de calmer votre collègue ? Et puis filmer pour vous protéger, c’est une chose mais pourquoi diffuser ces images ? Vous saviez, à partir du moment où il était identifié, que cela allait avoir des conséquences dramatiques pour le policier et sa famille. » Le délit reproché à Amine Z., récent, a été créé en 2021 après l’assassinat du professeur d’histoire-géographie Samuel Paty. Le procureur requiert à l’encontre d’Amine Z. douze mois de prison, à l’encontre de Marouane D. trois mois de prison avec sursis et 600 euros d’amende.
L’avocate de ce dernier, Sarah Mauger-Poliak, elle, n’en revient toujours pas que son client soit là pour cela. « Quand la famille m’appelle et me dit qu’il va être jugé en comparution immédiate, je me dis qu’ils ne sont pas au courant de tout, lance-t-elle à la barre, mais si : il a bien fait 48 heures de garde à vue pour un malheureux outrage qu’il regrette sincèrement. »
A elle, alors, de hausser le ton : « Il est où l’outrage ? C’est “Tu vas voir !”, “Tu vas plus vivre tranquille, frère !” On a combien d’outrages chaque jour ? Quand on connaît l’engorgement des juridictions, s’il fallait venir déférer tous les outrages… » Et d’ajouter : « Fallait-il aussi absolument le menotter ? Ne pouvait-on pas le convoquer ? » Elle demande la relaxe, sinon une dispense de peine.
« Il “snappe” tout »
Sa consœur Mélody Blanc, pour l’autre ambulancier, plaide aussi la relaxe. Pour elle, l’intentionnalité n’est pas caractérisée. « Il “snappe” tout à longueur de journée : ses recettes, ses voyages… Une heure après, quand on lui a dit les proportions que cela prenait, il a supprimé la vidéo. » « Je m’excuse, répète son client, cela va me servir de leçon, je ne savais pas pour la nouvelle loi. »
Son collègue Marouane D. lui emboîte le pas et enchaîne : « Je ne suis pas à l’origine de cette vidéo ni de cet effet boule de neige, dehors on me reconnaît, je n’ai pas les épaules pour cela… Je suis prêt à faire ce qu’il faut pour rétablir la vérité et la dignité de ce policier. »
Le tribunal l’a reconnu coupable, mais compte tenu notamment du contexte et de ses liens avec la victime, l’a dispensé de peine. Son collègue, lui, a été relaxé. Un troisième jeune homme était jugé avant eux pour avoir diffusé, sur Snapchat encore, l’identité et la commune de résidence du policier désormais mis en examen pour le meurtre de Nahel. Avec le commentaire : « C’est le nom de ville du fdp [fils de pute, NDLR] qui a tué notre frère. » Il a été condamné à dix-huit mois de prison dont douze avec sursis probatoire. A ce moment-là, la marche blanche avait déjà pris fin depuis un moment, une nouvelle nuit de violences débutait.
Acteur de légende et première star noire d’Hollywood, Sidney Poitier est mort à 94 ans, a annoncé vendredi le vice-Premier ministre des Bahamas, où l’acteur a grandi.
« Nous avons perdu une icône, un héros, un mentor, un combattant, et un trésor national », a écrit le vice-Premier ministre Chester Cooper sur sa page Facebook à propos de l’acteur de La Chaîne ou encore de Dans la chaleur de la nuit, sans mentionner la cause de son décès.
Né prématuré à Miami, en Floride, le 20 février 1927, à l’occasion d’un déplacement de ses parents venus des Bahamas voisines, Sidney Poitier obtient ainsi la double nationalité américaine et bahaméenne.
En 1964, il est le premier Afro-Américain à remporter l’Oscar du meilleur acteur pour Le Lys des champs. « Le voyage a été long pour en arriver là », lançait-il très ému, en recevant la statuette dorée.
Grâce à ses rôles, le public a pu concevoir que des Afro-Américains pouvaient être médecin (« La porte s’ouvre » – 1950) , ingénieur, professeur (« Les anges aux poings serrés » – 1967), ou encore policier (« Dans la chaleur de la nuit » – 1967).
« Les espoirs de tout un peuple »
Mais à 37 ans, lorsque l’acteur au sourire incandescent reçoit son Oscar, il est la seule star de couleur à Hollywood. « L’industrie cinématographique n’était pas encore prête à élever plus d’une personnalité issue des minorités au rang de vedette », décryptait-il dans son autobiographie This Life.
« À l’époque,(…) j’endossais les espoirs de tout un peuple. Je n’avais aucun contrôle sur les contenus des films (…) mais je pouvais refuser un rôle, ce que je fis de nombreuses fois ».
Dans Devine qui vient dîner ? en 1967, il campe le fiancé d’une jeune bourgeoise blanche le présentant à ses parents, un couple d’intellectuels qui se croient ouverts d’esprit. La rencontre est un choc, et donne un film majeur sur le racisme de l’époque.
Les militants de la cause noire critiquent cependant âprement Sidney Poitier pour avoir accepté ce rôle de médecin de renommée internationale, aux antipodes des discriminations dont souffrent ses pairs. Il est désigné comme le « Nègre de service », « fantasme de blanc ». Ses qualités irréelles de gendre idéal masquent sa négritude et les problèmes racistes, estiment-ils.
En 2002 Sidney Poitier recevait un Oscar d’honneur pour « ses performances extraordinaires, sa dignité, son style et son intelligence ».
Le parti politique Jil Jadid s’active au sein du territoire métropolitain pour défendre les Algériens. Les lignes qui suivent vous dévoilent son vibrant plaidoyer en faveur de la communauté nationale résidant dans l’Hexagone.
À l’approche de l’élection présidentielle française 2022, les déclarations haineuses contre les Maghrébins, principalement ceux de confession musulmane, sont en constante progression. En plus de tout ce qui se rapporte à cette religion, tels que les mosquées. Ou encore le Hijab. Un racisme criant dont fait l’objet un grand nombre de résidents algériens de France et que Jil Jadid souhaite dénoncer.
Signaler les incidents racistes n’est souvent pas évident. Crainte de représailles, absence de preuves, banalisation de la parole discriminatoire… Nombreux sont en effet ceux qui optent pour le silence. Tandis que d’autres préfèrent faire justice eux-mêmes. Pour éviter de tels pièges, Jil Jadid (nouvelle génération) appelle la justice française à réprimer sans concession aucune le racisme contre les Algériens de France.
C’est ce qu’a alors souligné Zoheir Rouis, vice-président du parti politique algérien susvisé. Il s’est exprimé via un communiqué. Un document qu’il a publié ce vendredi 24 décembre 2021. Il a été repris par le quotidien généraliste arabophone Echorouk. Le même locuteur a en outre tenu à rappeler qu’aucun amalgame ne doit jeter la réprobation sur toute une communauté du fait des agissements violents d’une petite minorité.
Racisme en France : Jil Jadid fustige des « injures intolérables » et « une mentalité coloniale » à l’encontre des Algériens
Ces dernières années, les actes intolérables auxquels ont procédé quelques personnes issues de l’immigration provenant du monde musulman rejaillissent sur la majorité. En témoignent les innombrables propos lourds à l’égard de la communauté maghrébine, la plus importante sur le territoire métropolitain. Ceux que certaines personnalités politiques françaises n’hésitent pas à tenir
Zoheir Rouis, membre du parti politique Jil Jadid incite ainsi l’ensemble des Algériens victimes de propos injurieux et racistes en France de contacter la justice. « Nous veillerons, de notre part, à poursuivre toute personnalité politique adhérente aux discours de haine ou à la violence ». C’est ce qu’a par ailleurs mis en exergue le même responsable.
Rencontre avec Delphine Peiretti-Courtis, auteure d’une enquête qui revient sur un certain classement racial, établi par le corps médical, entre le XVIIIème et le XXème siècle, dans « Corps noirs et médecins blancs », publié aux éditions de La Découverte.
Delphine Peiretti-Courtis est agrégée et docteure en histoire, matière qu’elle enseigne à l’université d’Aix-Marseille (France). Auteure d’une thèse sur les représentations et les savoirs sur les corps noirs dans la littérature médicale française des années 1780 aux années 1950, elle l’a remaniée et complétée pour en faire son premier livre, « Corps noirs et médecins blancs », publié aux éditions La Découverte, en 2021. Rencontre.
Jeune Afrique : Comment vous est venue l’idée de vous intéresser aux corps noirs et aux préjugés qui les entourent ?
Delphine Peiretti-Courtis : Durant mes études, j’étais passionnée par l’histoire du corps, du genre, et par l’histoire de l’Afrique. J’ai décidé de travailler sur ces sujets de manière croisée en partant de la question des préjugés raciaux et sexuels sur les corps noirs. Le corps définit l’identité d’un individu ou d’une population aux yeux d’autrui, il représente l’altérité. Les populations sont divisées en races à partir du XVIIIème siècle et ce sont les populations africaines qui donnent lieu aux discours et aux représentations les plus divers. Dans les études des médecins blancs apparaissent, ou se renforcent, des préjugés déjà existants sur le sexe et la sexualité de ce qu’ils nomment la « race noire ».
Pourquoi avoir choisi l’angle de la médecine et de l’anthropologie ?
À partir du XVIIIème siècle, c’est le domaine médical qui prend en charge l’étude de la diversité humaine, qui s’interroge sur l’origine de l’humain et la médecine se substitue peu à peu à la religion, devenant une source de savoir essentielle au XIXème siècle. Les préjugés deviennent donc des connaissances scientifiques irréfutables qui vont durablement imprégner les représentations.
LE PRÉJUGÉ SUR L’AUTRE EXISTE BIEN AVANT LE XVIIIÈME SIÈCLE
Comment s’est déroulé votre processus de recherche ?
Il s’agit d’une enquête qui a duré plus de dix ans. J’ai entamé mes recherches sans a priori, en partant des écrits médicaux. J’ai travaillé dans des hôpitaux, au Muséum d’histoire naturelle de Paris, au musée du Quai-Branly et dans des universités en épluchant des dictionnaires, des monographies sur les races humaines, des traités de médecine, des rapports de missions coloniales, des correspondances d’administrateurs coloniaux, des rapports de dissection ou encore des encyclopédies. J’ai passé au crible les tables des matières aux mots « corps », « anatomie », « physiologie », « pathologie », « race ». Je me suis également intéressée à la diffusion de ces savoirs en étudiant des affiches, des publicités, des journaux et des manuels scolaires.
À quel moment commence, et se termine, cette période de fabrique des préjugés dans la sphère médicale ?
Le préjugé sur l’autre existe bien avant le XVIIIème siècle. Le préjugé racial, par exemple, apparaît avec l’esclavage mais c’est réellement la science, qui va classifier l’humanité en « races ». Au début du XIXème siècle, les préjugés se développent, se multiplient, les études sur les « races » humaines passionnent les scientifiques qui s’attachent à dresser des frontières intangibles entre les groupes humains et à définir leur identité puisque, selon eux, les différences entre groupes s’expliquent par l’inné et par la race. Tout au long du XIXème siècle, les scientifiques multiplient les critères d’analyse, les outils, les méthodes de recherche pour étudier précisément les peuples et créer des catégories.
C’est au milieu du XXème siècle que la science abandonne progressivement ces études, avec l’invalidation du concept de « race » par les généticiens qui prouvent que l’humanité partage le même patrimoine génétique. 1945 représente également un tournant, le concept de « race » ayant été utilisé par les nazis pour légitimer le génocide des juifs. La période des indépendances contribue également à l’abandon progressif de ces études. On a donc une invalidation scientifique mais aussi politique, éthique et morale de ces catégories.
Pourquoi cet intérêt de la médecine pour le corps noir ?
C’est dans l’optique de déceler les mystères de la diversité humaine et des spécificités raciales que la médecine va s’intéresser à la caractéristique physique la plus évidente, la couleur de peau, sa texture, avant de se tourner ensuite vers l’intérieur du corps. Les scientifiques étudient les corps noirs car ils cherchent à étayer les thèses polygénistes et monogénistes. Pour les monogénistes, toutes les populations dériveraient d’une population unique, voire d’un couple unique. L’évolutionnisme, doctrine qui naît en 1859 sous l’impulsion de Charles Darwin, va se greffer à la théorie monogéniste, prouvant qu’il n’y a qu’une espèce humaine. Le darwinisme social, en revanche, soutient que certains êtres jugés supérieurs doivent guider les êtres considérés comme inférieurs pour que l’humanité puisse évoluer.
Les médecins n’avaient pas vraiment conscience de fabriquer des préjugés, ils pensaient construire des savoirs, des connaissances. C’est une période où la société a une grande confiance en la science. Les chercheurs utilisent la dissection, avec l’idée que l’intérieur des corps ne peut pas mentir, tout comme les mensurations. Le chiffre est une donnée fiable. La scientificité dont se targue la médecine vient également de l’empirisme qu’offrent les observations de terrain : la photographie anthropométrique fournit un « reflet du réel », incontestable selon eux.
Paul Broca, grand chirurgien, père de l’anthropologie et polygéniste, étudiait les crânes et les cerveaux. Pour lui, les dimensions du crâne des Africains sont inférieures à celles des populations blanches, ce qui prouverait leur infériorité intellectuelle. Paul Broca et certains de ses confrères se sont aussi attelés à comparer la taille des avant-bras d’Africains et d’Européens dans les années 1870, montrant que ceux des Africains étaient plus longs, ce qui serait une ressemblance avec les bras des singes ! On retrouve les conclusions de Paul Broca sur les avant-bras dans un manuel scolaire, pour caractériser les corps noirs, jusqu’au milieu du XXème siècle !
ON ASSIGNE DE MANIÈRE PROGRESSIVE ET CROISSANTE DES CARACTÉRISTIQUES BESTIALES AU CORPS NOIR
Ces recherches médicales ne s’arrêtent visiblement pas à la couleur de peau.
La carnation est un point de départ, car c’est le marqueur le plus représentatif de l’altérité physique. Mais les scientifiques se heurtant à une grande diversité de couleurs de peau, ils dépassent rapidement ce critère pour s’intéresser à d’autres caractéristiques physiques comme la forme du nez et de la bouche, la pilosité ou l’avancement de la mâchoire qui serait révélateur d’un instinct carnassier. Ces études physiologiques conduisent les scientifiques à des conclusions sur le degré de civilisation des uns et des autres, qui vont être complétées par des études morales répertoriant les qualités et les défauts supposés de ces peuples africains.
Y a t-il une volonté du domaine médical d’animaliser le corps noir?
On ne peut pas attribuer aux scientifiques, au départ, l’objectif d’animaliser le corps noir. Ces études se déroulent sur une longue période et l’animalisation des corps va être progressive. Elle commence dès le XVIIIème siècle avec des discours exotisant ou animalisant les Noirs à l’époque de l’esclavage, mais il n’y a pas encore de rationalisation scientifique. Il y a en revanche une volonté d’éloigner la race blanche de l’animal, ce qui conduit au rejet des populations africaines vers un statut inférieur, proche de la bête. La hiérarchisation des populations humaines est organisée par paliers, allant du singe à l’homme blanc. Au cours du XIXe siècle, on assigne de manière progressive et croissante des caractéristiques bestiales au corps noir. Cette animalisation, et l’accumulation de « preuves » scientifiques d’une infériorité des populations africaines, contribuent par la suite à légitimer la présence européenne sur le continent africain pendant la colonisation.
LA FEMME AFRICAINE REPRÉSENTE LE MYSTÈRE ABSOLU POUR CES HOMMES BLANCS, CAR ELLE EST FEMME ET NOIRE
Y avait-il, à l’époque, une différence entre la manière de traiter le corps noir masculin et le corps noir féminin ?
On considère, au XIXème siècle, que plus l’écart entre les sexes est accentué, plus les civilisations sont avancées. En Afrique, les corps et le développement intellectuel entre l’homme et la femme seraient trop similaires, symbole de primitivité. La femme africaine représente le mystère absolu pour ces hommes blancs, car elle est femme et noire. Les femmes noires sont admirées pour leur robustesse, mais aussi pour leur instinct maternel. Ce paradoxe des genres est aussi présent chez les hommes, le corps glabre et élancé ramène à une part de féminité pour les médecins qui critiquent leur oisiveté. La notion d’hypersexualité est commune aux deux genres, puisque la race noire serait régie par ses instincts primaires innés dus au climat chaud, à une culture plus libre. Les médecins blancs se fixent comme objectif de rétablir l’ordre qui ne serait pas pris en charge par les hommes africains, légitimant la présence coloniale. Les médecins imbriquent dans leurs discours les catégories de race, de genre et de sexe.
Les chercheurs et médecins ne voient-ils pas que nombre de leurs préjugés ne sont finalement pas fondés ?
Oui et c’est justement pour cette raison que la science des races humaines va se déliter progressivement, après avoir tenté de se renforcer à chaque échec. Quand les médecins se rendent compte qu’un critère comme la couleur de peau est infondé, ils en cherchent un autre. Quand il est clair que le sang est de la même couleur pour tous, ils s’intéressent à sa composition, dans l’idée de résoudre le mystère des différences innées et immuables, d’approfondir des catégories raciales. Après un siècle d’études, la science des races présente de plus en plus de failles, incapable de dresser des catégories étanches et fixes allant au-delà des différences physiques observables comme la couleur de peau, les empreintes digitales et les groupes sanguins. C’est pour cette raison que les médecins vont s’intéresser à des critères moraux, intellectuels et culturels pour dessiner les contours des races d’une autre manière.
AUTOUR DE 1920/ 1930, LA VOLONTÉ DE LÉGITIMER LA COLONISATION DEMEURE ENCORE TRÈS FORTE
À partir de quand ce qui était considéré comme une vérité devient un préjugé ?
La culture se superpose à l’inné et les catégories ne disparaissent pas mais se transforment. L’ethnographie et l’anthropologie se développent tout comme les études en sciences sociales, on s’intéresse davantage à l’acquis pour voir les populations d’une autre manière. Les études de terrain par certains médecins coloniaux vont par exemple montrer que l’intelligence n’est pas due à la taille du cerveau, on rejette peu à peu l’idée d’uniformité de la race noire. Cette progression, autour de 1920/ 1930, se fait d’abord sur le territoire africain, puisqu’en métropole, la volonté de légitimer la colonisation demeure encore très forte. On en arrive ensuite à l’invalidation du concept de race par les généticiens, au milieu du XXème siècle.
Comment expliquer que ces stéréotypes soient encore présents aujourd’hui alors qu’ils ont été fabriqués à une époque révolue ?
Parce que la science les a présentés comme des vérités, des savoirs pendant plus d’un siècle et demi, parce que la politique se les est appropriés pour justifier un projet colonial. L’effort de déconstruction n’a pas été aussi vivace que l’effort de construction, ce qui peut expliquer leur pérennité, souvent de manière inconsciente, dans les sociétés. Les plus anciens d’entre nous n’ont peut-être pas bénéficié des programmes scolaires où l’on déconstruit réellement le concept de race en parlant de l’esclavage, de la Shoah et de la colonisation.
Corps Noirs et médecins blancs, de Delphine Peiretti-Courtis, La Découverte, 354 pages, 22 euros
Alors que la campagne présidentielle s’ouvre dans un climat délétère, les services de renseignement sont préoccupés, depuis plusieurs mois, par la montée en puissance de groupuscules qui rêvent de renverser la République par la violence.
Les Zouaves Paris, posant à l’entrée du meeting d’Eric Zemmour, à Villepinte, le 5 décembre 2021. (FRÉDÉRIC MUNSCH SIPA)
Cheveux ras, regard ordinaire, qualifié de « solitaire » par ses proches, Aurélien Chapeau est un ancien militaire. Il s’est reconverti dans la sécurité privée, y compris pour des bâtiments publics. Professionnellement, ce Limougeaud de 38 ans est irréprochable. Mais sur Facebook, il s’ouvre à d’autres mondes, à la lisière de la légalité… A compter de 2017, il apparaît proche du groupe d’extrême droite Génération identitaire, dissous en mars dernier en raison de son « discours de haine ». Très vite, il figure ensuite dans la frange la plus radicale des « gilets jaunes ». Il appelle à détruire les symboles juifs et francs-maçons.
Lorsque la Direction générale de la Sécurité intérieure (DGSI) apprend, en mai 2020, qu’il a acheté un pistolet automatique et un revolver, elle débarque chez lui. Stupeur : le discret vigile possède des explosifs, prétendument pour faire des essais en forêt. Il a repéré la synagogue de Limoges. Et a développé une secrète admiration pour Brenton Tarrant, le suprémaciste australien qui a tué 51 personnes dans deux mosquées de Christchurch, en Nouvelle-Zélande, en mars 2019. Tarrant avait diffusé le film de son attaque, dix-sept minutes, sur les réseaux sociaux. Aurélien Chapeau a-t-il été touché par cette propagande ? Durant l’enquête, il a toujours affirmé qu’il en restait aux mots et ne serait jamais passé à l’action. Jugé pour entreprise terroriste individuelle à Paris le 26 janvier prochain, il devra convaincre de son innocence.
Montée en puissance inquiétante
L’itinéraire d’Aurélien Chapeau résume bien la récente montée en puissance d’une ultradroite particulièrement inquiétante. Alors que les projecteurs sont braqués sur le procès des attentats du 13-Novembre, c’est de ce côté-là que les coups de filet se sont multipliés ces derniers mois : arrestations de « loups solitaires » comme Chapeau ou encore « Simon », un jeune homme de 19 ans interpellé fin septembre, admirateur d’Hitler et d’Anders Breivik (l’auteur des attentats d’Oslo et d’Utoya en 2011), qui projetait de perpétrer dans son ancien lycée une tuerie « pire que Columbine » (aux Etats-Unis, en 1999) et d’attaquer, lui aussi, une mosquée. Les enquêteurs ont également visé des groupes constitués, comme les 13 membres organisateurs de Recolonisation France, une nébuleuse de 110 personnes, interpellés fin novembre ; ou l’entourage du complotiste Rémy Daillet, déjà poursuivi dans l’affaire de l’enlèvement de la petite Mia, en avril, et désormais mis en examen pour« association de malfaiteurs terroriste criminelle ». Avec sa structure de 300 personnes, ce royaliste ne projetait rien de moins que prendre l’Elysée. Son projet, pompeusement baptisé « opération Azur », a capoté.
Faut-il s’inquiéter de cette menace qui semble grandir en France ? Le renseignement, en tout cas, lui prête une attention soutenue. A la DGSI, on note:
« Que ce soit à l’ultragauche ou à l’ultradroite, des individus considèrent que le seul moyen légitime de faire progresser leur combat, c’est la violence, au-delà des mouvements politiques existants. Auparavant, c’était essentiellement une menace d’ordre public, mais on observe des modalités plus clandestines et des projets d’action. »
Depuis 2017, sept enquêtes sont ouvertes par le parquet national antiterroriste (PNAT) concernant des projets d’attentats d’ultradroite. En 2014, un texte de loi sur « l’entreprise individuelle terroriste » avait été bâti à la hâte afin que la justice soit en mesure de poursuivre les djihadistes. A l’usage, il a peu servi contre les membres de l’Etat islamique, plus structurés ; il nourrit en revanche l’accusation dans plusieurs affaires visant l’ultradroite.
En 2019, Claude Sinké (au centre) attaquait une mosquée à Bayonne. L’octogénaire est mort avant d’être jugé. (GAIZKA IROZ/AFP)
Comme pour les djihadistes, explique un magistrat fin connaisseur de tous ces dossiers, il existe « une rapidité dans la radicalisation, un basculement vers des cibles très identifiées ». Jusqu’ici, tous les passages à l’acte terroriste de ces mouvances droitières ont été déjoués en amont. Le seul acte criminel recensé ces dernières années s’est déroulé le 28 octobre 2019, à Bayonne : un homme de 84 ans, connu pour ses propos extrémistes, avait tenté d’incendier la porte de la mosquée puis tiré sur de vieux travailleurs musulmans assis là, les blessant. Le parquet antiterroriste ne s’était cependant pas saisi de l’affaire, les autorités judiciaires considérant que l’auteur des faits n’avait pas tout son discernement. L’individu est mort avant d’être jugé.
« Ardeur juvénile incontrôlable »
Jean-Yves Camus, spécialiste de l’extrême droite en France, explique:
« Cette propension à envisager des actes violents de nature terroriste a émergé après les grands attentats qui ont frappé la France en 2015 et 2016. Se sentir assiégé par le terrorisme islamiste a entraîné certains individus à se dire que l’ennemi n’est pas l’islamisme, mais l’islam. Ces hommes échafaudent des plans, certains ont des armes, le plus souvent de manière légale ; parfois moins légale.»
Le phénomène est si nouveau que ce n’est qu’en octobre 2021 que, pour la première fois depuis les années 1980, le tribunal correctionnel de Paris a prononcé des condamnations sous la qualification terroriste contre l’un de ces groupes. Concernés : OAS et son fondateur, Logan Nisin. Cette Organisation des Armées sociales, référence explicite à l’Organisation de l’Armée secrète qui, dans le contexte de la guerre d’Algérie, multiplia les attentats à la bombe sur le territoire national, n’était pas seulement une entité virtuelle aux yeux des juges.
« Loin de s’arrêter à un projet collectif fantasmé, les auteurs se sont structurés et ont jeté les bases de leurs actions. Tous ces éléments attestent de l’imminence du passage à l’acte potentiel, a expliqué le président du tribunal en rendant son jugement. Une ardeur juvénile incontrôlable mêlée à une haine farouche et une crainte du déclassement ont rendu ce groupement éminemment dangereux. »
Logan Nisin, lors d’une opération d’Action française contre des militants de gauche à Marseille, en 2017. (ACTION ANTIFASCISTE MARSEILLE)
Leurs cibles ? « Rebeux, blacks, racailles, migrants, dealers, djihadistes, toi aussi tu rêves de tous les tuer… Nous en avons fait le vœu, rejoins-nous ! » avait écrit sur une affiche effrayante, restée dans son ordinateur, l’un des membres d’OAS. Cinq néonazis – faisant partie du groupe Honneur et Nation et soupçonnés pour certains d’être en lien avec Rémy Daillet, qui le dément – ont de leur côté été mis en examen fin septembre en Moselle ; ils projetaient d’attaquer une loge maçonnique. Enfin, Emmanuel Macron est régulièrement visé par des messages de haine d’une virulence hors du commun… Jean-Yves Camus poursuit:
«A partir du début de son quinquennat, on constate une détestation du président de la République qui n’atteignait pas ce niveau sous Sarkozy ou sous Hollande. Macron est décrit comme un homme de la haute finance – il n’a pourtant travaillé que trois ans chez Rothschild. »
Dès novembre 2018, les « Barjols », un groupuscule identitaire, semblaient vouloir s’en prendre à lui lors des commémorations du 11-Novembre. « T’es chaud pour choper la pute ? » demande, sur le réseau crypté Telegram, l’un des cinq individus qui seront arrêtés six jours avant l’anniversaire de l’Armistice. Les services avaient décidé d’agir avant que les suspects ne se déplacent sur les lieux de la cérémonie, potentiellement armés d’un couteau en céramique indétectable.
« Détestation du système »
Ce magma d’ultradroite est bien plus varié que les caricatures ne le laissent penser. « 113 mouvements nationalistes existent en France », a revendiqué l’un des lieutenants d’OAS, semblant rêver à un grand réseau prêt à l’action. Schématiquement, la mouvance se divise en trois groupes : les royalistes, dont les plus anciens s’étaient fédérés autour de l’Action française ; les identitaires (Unité radicale, Génération identitaire, Bastion social, GUD, Dissidence française…) ; et les ultranationalistes composés de l’Œuvre française, de Jeune Nation, d’OAS et de néonazis ou de skinheads. Jean-Yves Camus estime :
« Ces gens sont confus, certains n’ont pas la lumière à tous les étages, ils peuvent être royalistes, intégristes, néonazis… mais à un moment leurs querelles s’effacent devant ce qui les unit : la détestation du système. »
Plusieurs suspects mettent en avant une volonté de « s’organiser », pour « être prêts ». Voire de profiter des tensions qui traversent la France et la placeraient, à leurs yeux, dans un moment de bascule potentielle. C’est « l’accélérationnisme », un concept en vogue chez les ultras. « L’idée, c’est de dire que puisque tout cela se terminera par une confrontation ethnique, autant qu’elle vienne le plus vite possible pour qu’on puisse porter le coup final, explique Camus. Pour ce faire, il faut attaquer l’Etat, ses symboles, ses installations électriques, ferroviaires : tout ce qui peut plonger le pays dans le chaos. Ensuite, c’est dire que la violence, y compris les attentats, peut être un moyen de réveiller une population moutonnière. »
Rémy Daillet, déjà incarcéré pour l’affaire Mia, a été mis en examen en octobre 2021 pour un projet de coup d’Etat. (AFP)
A Marseille, Jacques, la quarantaine, assume ainsi s’être inscrit au Renversement, le mouvement de Rémy Daillet. Colleur d’affiches du Front national jusqu’en 2014, il en a été exclu. « Je défendais trop Jean-Marie Le Pen, la peine de mort et la préférence nationale », dit-il. Il n’a jamais été « mariniste ». Pour lui, « le Rassemblement national est un énième parti du système, soumis à l’islam radical et au mondialisme » – un discours récurrent chez les ultras, qui ne se retrouvent plus dans ce débouché politique. Lui qui refuse de porter « la cage de papier » (le masque) vomit le métissage et le président « Macrasse », affiche son hostilité à « la dictature sanitaire et l’idéologie de gauche ».
Il y a un an, lorsque Daillet annonce en vidéo, martial, vouloir mettre à bas la République, Jacques s’inscrit. « J’ai reçu un formulaire d’enrôlement. On me demandait mes compétences civiques, intellectuelles, mon niveau d’études. J’ai dit que je pouvais courir, grimper, si on devait se battre en tant qu’insurgés. On me demandait si je pouvais assumer des missions à pied sur les derniers mètres. » Très vite, un « agent de liaison » de Paris le recontacte par e-mail. « Il voulait me nommer capitaine mais ça n’a pas abouti. »
En avril dernier, « l’Obs » avait pu s’entretenir avec Rémy Daillet, bien avant qu’il ne soit arrêté. L’homme, vaguement menaçant dans ses propos contre « la presse d’occupation », semblait mégalomane : « J’ai fait une déclaration en octobre disant que je souhaitais renverser ce gouvernement, ils ont trouvé une occasion rêvée pour me dézinguer [l’affaire Mia, NDLR]. C’est téléguidé. Mais ça va leur retomber sur le nez. Nous avons des amis dans le monde entier, aux Etats-Unis, en Russie, l’ONU est au courant. Ils ne me laisseront pas être éliminé », disait-il alors avec emphase. « Rémy Daillet était en effet parfaitement connu ; son site, totalement public : on pouvait télécharger son manifeste [sa « Constitution » en 81 points proposait par exemple de supprimer le réseau 5G, NDLR] mais personne ne l’a pris au sérieux tellement il était délirant, reconnaît Jean-Yves Camus. C’est très intéressant du point de vue de la lutte antiterroriste : il faut regarder tout le monde. »
Le complotiste Eric-Régis Fiorile, fondateur du CNT (Conseil national de Transition de la France), du mouvement des « ronds verts », et adepte de l’obscure « démosophie » (une société « idéale » qui serait dirigée par l’élite intellectuelle), avait bien tenté, lui aussi, de « prendre » l’Elysée, le 14 juillet 2015 : 300 sympathisants s’étaient rassemblés, sans causer de troubles. Il a été entendu en décembre 2020 par la DGSI pour une suspicion de projet violent (en lien avec les Barjols) finalement écartée.
Décomplexer certains esprits
L’ultradroite ne se résume pourtant pas à des groupes qualifiables de terroristes. Dans le dossier Recolonisation France, ce sont douze hommes et une femme de 21 à 52 ans, au profil plutôt lambda, qui ont été interpellés. « Des gens bien insérés, qui ont une famille, un boulot, voire des responsabilités de direction entrepreneuriale », confirme une source informée. Des gens mus par un « amour sincère de la France ». Sur Telegram, leur page invite à rejoindre « la Fosse », leur groupe communautaire. Et dans une de leurs vidéos sur YouTube, deux hommes masqués avec un visage de squelette, portant des capuches, mettent le feu à un drapeau algérien, après diffusion d’images des croisés. « Rejoins tes frères, rejoins ton clan », conclut la vidéo. Quatre personnes de cette organisation découpée en régions ont été mises en examen pour « participation à un groupe de combat », une infraction qui ne débouche que sur des peines relativement légères. Et qui a été créée en 1936, alors que les ligues d’extrême droite battaient le pavé, menaçant d’abattre la République…
1936 ? Ce parallèle, bien qu’un peu facile, amène à tenir compte du climat politique dans lequel s’inscrivent ces groupuscules radicaux. « On ne peut pas analyser l’itinéraire de ces hommes sans prendre en considération la libération de la parole politique sur le terrain de ces idées-là. Leurs discours se calquent sur celui de personnalités qu’ils considèrent comme des sachants, tel Eric Zemmour. Ils répètent ces paroles, se structurent, mais est-ce vraiment du terrorisme ? » s’interrogent, en défense, les avocats Mes Gabriel Dumenil et Marc Bailly, qui ont assisté plusieurs « ultras » devant la justice.
L’ambiance générale, en effet, peut contribuer à décomplexer certains esprits. Comme quand l’hebdomadaire d’extrême droite « Valeurs actuelles », en août 2020, a publié une caricature de Danièle Obono en esclave, alors que les insultes racistes et sexistes contre cette députée noire de La France insoumise (LFI) étaient monnaie courante depuis son élection en 2017. La publication a été condamnée fin septembre pour « injure raciste », mais récemment, un groupe animant le canal Telegram « Les vilains fachos » a poussé plus loin la menace. Après s’être illustrés dans une vidéo en train de tirer dans une forêt sur des cibles représentant un Noir, un juif et un Maghrébin, des individus, par ailleurs colleurs d’affiches pour Eric Zemmour, ont mis en ligne une image représentant différentes personnes le front marqué d’une cible rouge, comme si elles étaient à abattre. En lien : un site où se procurer des armes.
Marc de Cacqueray-Valménier, chef des Zouaves Paris, est parti combattre, en octobre 2020, aux côtés des indépendantistes arméniens (chrétiens) du Haut-Karabakh, en Azerbaïdjan. (INSTAGRAM)
« C’est l’image de “Valeurs actuelles” qui a servi de cible dans ces jeux de mise à mort… », constate Danièle Obono. Pour elle, qu’un journal se soit permis ce dérapage ne pouvait que libérer des ardeurs. Mathieu Molard, le rédacteur en chef du site StreetPress qui a révélé l’existence de la vidéo des « vilains fachos », a par ailleurs été menacé lui aussi : « On a alerté le commissariat, qui a envoyé une équipe dans la demi-heure. Les policiers sont venus visiter nos locaux. Leur réaction a été : prenez ça au sérieux. Je n’imagine pas un commando, mais qu’une bande sur laquelle j’ai écrit fasse une descente et pète tout à la barre de fer, c’est très possible. » Le site a depuis annoncé devoir débourser 8 500 euros pour renforcer sa sécurité.
Le dimanche 5 décembre, c’est au meeting d’Eric Zemmour que des journalistes de « Quotidien » ont dû être exfiltrés ; ceux de Mediapart ont été molestés. Dans la salle étaient présents les Zouaves Paris, des bastonneurs fidèles à une tradition « plus classique » de l’ultradroite : attaquer physiquement des militants opposés à leurs idées. Ceux-là ne frappent pas de manière aveugle, comme dans le cas du terrorisme, et les connaisseurs des nébuleuses extrémistes appellent donc à la nuance. Mais « la désinhibition est réelle », assure un responsable de haut niveau, qui parle d’« une petite sphère qui s’autoalimente ».
L’ultradroite n’est pas comparable à l’Etat islamique qui disposait d’une idéologie forte, capable d’attirer des centaines de « soldats » pour son califat, d’une structure étatique et d’une base arrière territoriale pour organiser des attaques. N’empêche. Des militaires, parfois toujours actifs, sont régulièrement identifiés dans ces groupes. Avec leur expertise dans le maniement d’armes, voire d’explosifs… Les services de renseignement craignent avant tout de voir surgir un individu isolé qui, comme Anders Breivik (77 morts en Norvège en 2011) ou Brenton Tarrant (51 morts en Nouvelle-Zélande en 2019), serait capable à lui seul de ravages considérables.
« Elle veut quoi, la négresse ? » : c’est la question que lui lança un jour un commissaire… La gloire, l’héroïsme dans la Résistance et même un château : elle voulait tout, Joséphine Baker, et elle a tout eu. Et même quelques belles occasions de dire « merde aux racistes ». Récit à cent à l’heure de François Forestier.
Pour acheter le hors-série de « l’Obs » sur Joséphine Baker, qui entre au Panthéon le 30 novembre, c’est ici. L’intégralité de nos articles sont aussi à retrouver sur le web dans ce dossier.
Seize bananes, voilà tout. La célébrité, le Panthéon, l’immortalité, l’entrée au Paradis, tout est dû à cette satanée ceinture imaginée par un décorateur facétieux, refusée puis acceptée par Joséphine Baker, « Vénus noire » qui bouleversa les Français et qui fit rêver tout Paris – messieurs et dames compris.
Soyons justes : la petite « câpresse » – mot antillais désignant une métisse – qui caracolait sur la scène du Théâtre des Champs-Elysées avait un corps… Un corps… Ah mes enfants… Un corps qui percuta les commentateurs, les critiques de danse, les mondains, les curieux, les par-hasard, les snobs et les autres. Dont Simenon, le feu aux joues :
« C’est sans contredit la croupe la plus célèbre du monde, la plus désirée aussi… Elle pourrait faire l’objet d’un culte.»
Ce splendide culte méritait des poèmes : il y en eut. Des propositions de mariage, il y en eut également (à un moment, deux mille). Des protestations, aussi : il en plut. Dames patronnesses, hérauts du bon goût, soldats de la moralité chrétienne, tous criaient à la décadence de la civilisation.
Celle-ci s’en remit aisément. Joséphine Baker aussi. Arrivée avec trois plumes et un sourire de gavroche, elle se réinventa en maharané des Folies-Bergère, en chanteuse de charleston, en mannequin de la haute couture, en patriote tricolore ayant « deux amours », en gaulliste intransigeante, en résistante contre la peste brune, en mère adoptive rêvant d’une famille « arc-en-ciel », en vieille dame luttant contre le mauvais sort et en personnage mythologique réussissant sa sortie ultime – sur scène. A ceux qui pensaient assister à un spectacle pornographique en venant voir un de ses shows, son manager répondait : « Ils seront déçus. » Joséphine Baker le remerciait pour la cédille.
Elle était arrivée à Paris dans l’air du temps, dans l’ère du « Tumulte noir ». Elle sortait d’un monde abject, fracturé par un racisme terrible, qu’elle combattit toute sa vie. Aux Etats-Unis, elle était une bamboula. En France, elle fut une vedette. Liaisons houleuses, bisexualité scandaleuse, mariages foireux, prises de position bizarres (dont un éloge de Mussolini), caprices innombrables, qu’importe ?
La seule ligne traversière, celle qui nous touche infiniment, c’est celle-ci : jamais Joséphine Baker ne recula devant le combat – nécessaire, ardent, constant – contre le racisme. Accueillie dans un commissariat par un sonore : « Elle veut quoi, la négresse ? », elle n’oublia jamais l’humiliation des hôtels de la ségrégation, les remarques haineuses, les insultes mortelles. On l’accusa d’être un clown, elle fut une ninja de la cause noire. Elle sut, avec hauteur, dire merde aux racistes. Au Panthéon, au Walhalla, aux Folies-Bergère, au Cotton Club, où qu’elle soit aujourd’hui, on est avec elle. Racistes, crevez.
Les flammes de l’enfer faillirent l’engloutir, pourtant. Joséphine Baker était une survivante.
Joséphine Baker dans les années 1920. (AKG-IMAGES)
Lynchages
Eté 1917. Freda, une petite fille de 11 ans regarde, au loin, l’incendie. Elle est noire, maigre, mal aimée, terrifiée. A Saint-Louis, ville plate au confluent du Mississippi et du Missouri, des hordes de Blancs avancent, la torche à la main. Ils sont plusieurs milliers, ouvriers des abattoirs, maçons des usines de ciment, employés des chemins de fer : la cité, qui se trouve sur le chemin des migrants noirs venus du Deep South, absorbe des milliers de demandeurs d’emploi, venus d’Ukraine, d’Italie, du Kansas, de Chicago.
La population noire, elle, remonte des Etats ruraux – la récolte du coton commence à être mécanisée – vers les grands centres industriels. Les grèves se succèdent, le mécontentement grandit, les usines engagent de la main-d’œuvre noire pour compenser l’absentéisme des grévistes blancs, notamment dans les entrepôts de l’Aluminium Ore Company, l’une des plus importantes usines de bauxite des Etats-Unis.
Le 2 juillet, tout explose. La rumeur assure que les « nègres » vont charcuter les femmes blanches. Les Blancs foutent le feu. Et lynchent à tour de bras. En sous-main, le Ku Klux Klan manipule les émeutiers. Les femmes, les enfants noirs sont traqués par des assassins ivres de sang. On pend des cadavres aux poteaux télégraphiques. Les quartiers noirs, constitués de cabanes pourries, de wagons hors d’usage, de clapiers tapissés de journaux, se vident.
C’est là que la famille Mcdonald survit – tout juste. Le père de la gamine, désigné sur la feuille d’état civil par trois lettres (« Edw. ») est-il Eddie Carson, batteur de jazz à ses heures ? Ou bien est-ce un autre gugusse de passage ? Carrie, la maman, est blanchisseuse, et son compagnon, Arthur Martin, est un loqueteux qui pue violemment des pieds (c’est Joséphine qui le dit dans ses différentes autobiographies) et ne fait rien.
La gamine traîne, la rue est son royaume : elle regarde les « minstrels shows », ces petits groupes de musiciens qui vont de cachet en cachet, elle chasse les rats qui courent sur sa paillasse, elle observe les putes de East Saint Louis, livrées à tous les vices ; l’une des spécialités les plus demandées, dit-on, est « la chatte en feu ». Un peu d’essence sur le pubis de la prostituée (noire, de préférence), et une allumette, pour rigoler…
Le pont, c’est le salut, lors de l’émeute. L’Eads Bridge enjambe le Mississippi : deux kilomètres de béton et d’acier qu’il faut franchir, en pleine nuit, hors d’haleine, avec les barbares derrière. Joséphine, dans les jupes de sa mère, court pour échapper aux « rednecks » qui allument des croix de feu. Un homme, près d’elle, tombe, le visage lacéré par une balle. Une femme enceinte est éventrée. La garde nationale, appelée à la rescousse, se joint aux émeutiers.
Au petit matin, on dénombrera des centaines de cadavres et six mille foyers noirs ont été détruits. Il n’y a pas de photos de cette nuit sauf une, prise de loin, aujourd’hui conservée au Smithsonian National Museum of African History. Joséphine Baker, elle, garde des images dans sa tête. C’est la guerre en Europe, c’est la guerre à Saint-Louis. La Russie a inventé les pogroms, l’Amérique les perfectionne. Freda Josephine Mcdonald va se fabriquer une autre vie, une autre identité. Sa vocation lui viendra d’une autre guerre, achevée.
La naissance du jazz
1898. Les soldats américains sont rentrés de Cuba, après le conflit avec l’Espagne. Les colonies des Caraïbes ont été nettoyées, et les troupes – souvent noires – débarquent à La Nouvelle-Orléans. Elles trimballent, dans leur paquetage, des cuivres : trompettes, trombones, bugles, saxophones, tubas, hélicons, clairons, cornets à pistons, mellophones, que sais-je ? Le jazz naît ainsi.
A Paris, Judith Gautier, la fille de l’auteur du « Roman de la momie », publie « les Musiques bizarres à l’Exposition de 1900 ». Bizarres ? Entendez : sons japonais, luth javanais, dawr égyptien, mais aussi jazz. Joséphine Baker s’imprègne de cette musique, dans la rue, dans les bouges, dans les arrière-cours. Elle se marie à 13 ans. Elle ramasse quelques dollars, çà et là, et l’un de ses copains musiciens précise : « Elle bougeait ses fesses comme un coq qui secoue ses plumes. » Elle traîne avec des artistes noirs, sous l’égide de la T.O.B.A., la Theater Owners Booking Association, sorte de syndicat pour les « Coloured ». C’est un point important.
Elle ne le sait pas, mais la T.O.B.A. est prise en main par la Mafia. La prohibition, décrétée le 16 janvier 1920, va faire la fortune des voyous. Le monde du spectacle est une proie toute trouvée. Duke Ellington appartient, littéralement, à un truand d’origine anglaise, Owney Madden, surnommé « The Killer ». C’est le propriétaire du fameux Cotton Club. Joséphine se débrouille comme elle peut, se marie une deuxième fois avec un porteur de chemin de fer nommé Baker. Elle gardera un bon souvenir du gars – elle a quinze ans – et son nom. C’est peu, mais c’est beaucoup. Elle prend la route.
Les Blackbirds, une troupe de chanteurs et danseurs noirs de New York, arrivent à Paris au milieu des années 1920. (ROGER-VIOLLET)
A Paris, le 22 septembre 1925, la gare Saint-Lazare résonne de cris joyeux, de notes de saxophone, d’interjections colorées. Sur le quai, trente gaillards et drôlesses manifestent leur liesse. Les hommes portent des chaussettes vertes avec des lacets rouges, les femmes ont sur la tête des « petits jardins avec des myosotis ». La bande vient de débarquer du « Berengaria », l’un des six paquebots qui dégorgent cinq mille Américains par semaine. Malgré la pluie, l’euphorie l’emporte.
André Daven, le directeur artistique du Théâtre des Champs-Elysées, qui les a engagés à l’aveuglette, note :
« Des jupes safran, des blue-jeans framboise, des chemises à larges damiers ou à pois ensoleillent la grisaille. Sous un bibi extravagant, en salopette de jardinier à carreaux noirs et blancs, une jeune femme longue se détache et s’avance : « So, this is Paris ! » »
Joséphine découvre deux futurs amours, « mon pays et Paris ». Oui, this is Paris. La Ville-Lumière est en plein « Tumulte noir » : la négritude est à la mode. Vlaminck s’extasie devant deux statuettes du Dahomey dans un bistrot d’Argenteuil (il est bourré), Braque achète un masque sogho du Gabon, Picasso acquiert un masque grebo, Poulenc donne une « Rapsodie nègre » truffée de dialogues de pacotille (« Kati moko, mosi bolou » et « Caca nunu »), le premier Congrès panafricain a eu lieu en 1919 au Grand Hôtel du boulevard des Capucines.
Les tirailleurs sénégalais démobilisés après la boucherie de la Grande Guerre se répandent dans Paris, jouent et dansent au Bal nègre de la rue Blomet ; le héros noir de l’aviation Eugène Bullard ouvre une boîte de nuit à Montmartre ; Fernand Léger ramasse des « nègreries » ; Sidney Bechet ravit les amateurs ; la Butte est littéralement prise d’assaut par les musiciens américains, notamment par l’orchestre de James R. Europe le bien nommé. Blaise Cendrars s’en mêle et se moque de l’influence du docteur Jacobus X, médicastre qui a publié en 1893 « l’Art d’aimer aux colonies », livre dans lequel il s’intéresse notamment au « violon anal » (?). Noble Sissle, musicien de jazz réputé, constate : « We have Paris by the balls. » Joséphine Baker va s’en apercevoir vite.
La Vénus noire qui hanta Baudelaire
Les premières répétions sont catastrophiques : les artistes font des claquettes pendant deux heures devant des décors peints par… John Dos Passos, qui est en train de mettre un point final à « Manhattan Transfer ». Tout juste démobilisé, il est étudiant à la Sorbonne, en anthropologie, ça tombe bien. Jacques-Charles, magicien des grandes scènes, intervient :
« L’orchestre nègre est remarquable, et seule une artiste, dont j’avais remarqué le corps sculptural, se refusa à se dévoiler un peu plus et à se montrer au public vêtue seulement d’une ceinture de bananes. Elle pleurait à chaudes larmes et me demandait à grands cris de reprendre le bateau… »
Paul Colin, jeune affichiste de talent, est convoqué. Il s’enferme dans son studio avec Joséphine Baker, la déshabille, la dessine, crée une affiche sublime, et couche avec elle. Lors du filage, quelques jours plus tard, le Tout-Paris se presse : Mistinguett, Van Dongen, Cécile Sorel, la princesse Murat, la correspondante du « New Yorker » Janet Flanner, le compositeur à succès Vincent Scotto… Celui-ci a le coup de foudre pour cette sorte de « Tanagra noire ». D’un seul coup, la java, le fox-trot, la polka, la chaloupée, le quadrille sont enterrés. Les « frétillements des dernières gommeuses » font pâle figure. Paris s’enflamme. Un restaurateur a le mot juste : « Quel cul elle a ! »
Il y a les pour. André Levinson : « C’est la Vénus noire qui hanta Baudelaire. » Paul Reboux loue « les agitations de sa chaste et ferme poitrine ». Jacques Patin : « miss Baker, qui fait songer à quelque idole noire, est une liane vivante. » Gérard d’Houville (pseudonyme de Maria de Heredia) : « un papillon extravagant. » Il y a les contre. Maurice Hamel : « Un nouveau coup porté à la civilisation. » Yvon Novy : « Le danseur noir est préhumain, sinon bestial. » Une Ligue contre le jazz se forme, car le jazz « est une forme de bolchevisme musical ».
Joséphine Baker dans les années 1920. (BRIDGEMAN IMAGES)
Pire : le Ku Klux Klan implante une branche à Paris. Par chance, les autorités françaises réagissent : dissolution immédiate. A Berlin, le journaliste Billy Wilder écrit dans « Die Stunde » :
« Le jazz, vous êtes pour ? Contre ? Du kitsch ? De l’art ? C’est une régénération essentielle du sang calcifié de la vieille Europe. »
Mais quand Joséphine Baker arrive à Vienne avec « la Revue Nègre », elle est accueillie par des manifestations d’étudiants qui protestent contre les « Schwarze », les « Neger ». La police intervient. On brûle des affiches. Bientôt, on brûlera des hommes.
A Paris, Joséphine Baker devient une star. Elle habite momentanément rue de Fleurus, en face de la librairie de Gertrude Stein. Passent Hemingway, Scott Fitzgerald, James Joyce. Elle rompt ses contrats, achète des animaux qui souillent sa chambre – perroquets, poulets, cochon, chien, lézard, guépard –, fréquente des amants (dont Simenon, qu’elle consomme séance tenante dans une loge de théâtre) et des amantes (dont Bricktop, la plus célèbre tenancière de boîte américaine black de Paris), se peint les ongles en laque dorée, apprend à conduire (mal), se fait voir au Bœuf sur le toit avec Cocteau, se produit en grand tralala sur la scène, est consacrée par Alice B. Toklas (la compagne de Gertrude Stein) dans un livre de cuisine où on peut apprendre à faire la custard Josephine Baker (« Battez trois œufs avec trois cuillères de sucre. Mélangez deux cuillerées de farine avec un peu de lait… »), reçoit le président Albert Lebrun au Bal des Petits Lits blancs (il a « la curiosité de voir ce joli phénomène noir » de plus près), et dit à Paul Derval, maître d’œuvre des Folies-Bergère : « Mon cher ami, arrangez-vous comme vous voudrez pour votre mise en scène, mais je veux toujours être au milieu. »
Renée Vivien, grande prêtresse des soirées lesbiennes, la prend en belle amitié. Colette aussi. La bisexualité a un avantage : elle double les chances d’être invité(e) le vendredi soir. Joséphine est donc conviée partout. Elle se fait photographier, nue, sur le toit du Théâtre des Champs-Elysées – et tous les habitants de l’avenue Montaigne se mettent à la fenêtre. Toute sa vie, Joséphine entretiendra des relations amicales avec les photographes, garants de son image.
En décembre 1926, elle ouvre aussi une boîte à son nom, Chez Joséphine – c’est l’usage. Dans la rue Fontaine, à Pigalle, il existe déjà des clubs de jazz où l’on peut prendre des leçons de charleston – c’est ce que fait le prince de Galles – ou bien se procurer une compagne ou un compagnon pour la nuit, voire un peu de poudre blanche.
Le cinéma, évidemment, fait appel à Joséphine Baker, pour « la Sirène des tropiques », dont le scénario est imbécile (Maurice Dekobra) mais le générique alléchant : Mallet-Stevens pour les décors, Pierre Batcheff pour le rôle principal, Luis Buñuel pour porter les cafés. Denise Tual, alors petite main, se souvient : « A cette époque, Joséphine était à l’apogée de son succès. Insupportable, elle faisait des caprices, piétinait les colliers de verroterie qui lui servaient de cache-sexe, exigeant une cape de chinchilla sans laquelle elle refusait de tourner… »
Joséphine Baker, avec son mari et manager, le « comte » Giuseppe Abatino, dit « Pepito ». (ALBERT HARLINGUE/ROGER-VIOLLET)
Depuis peu, Joséphine a un nouveau compagnon, Pepito, catalogué à la Préfecture comme « plâtrier » italien. Celui-ci se pare d’un fantaisiste titre de comte – il est en fait « instructeur de danse », comprenez gigolo. Jusqu’à une période récente, il a travaillé au Grand-Duc, la boîte de Joe Zelli, son cousin, qui a ouvert des bordels à Londres, des cafés à Tours, le club Chez les Nudistes à Pigalle, et qui est financé, en sous-main, par Owney « The Killer » Madden. Les truands américains, de Frank Nitti à Lucky Luciano, en passant par Al Capone (qui a une carte de visite assurant qu’il se consacre au « commerce de mobilier d’occasion »), s’intéressent à Paris, où la vente de cocaïne commence à rapporter. Mais les Corses de la Butte ne l’entendent pas de cette oreille, et quelques échanges de plomb règlent la question.
Le « comte » Pepito Abatino, lui, éduque sa compagne : il lui apprend les bonnes manières, examine ses contrats, choisit ses robes, lance des produits comme la brillantine Bakerfix pour les cheveux et l’huile Bakeroil pour bronzer, passe des accords avec les plus grands couturiers de Paris, fait la publicité des chaussures Perugia et des voitures Delage, distribue des étiquettes à coller sur toutes les bananes des marchandes de quat’saisons, engage George Balanchine pour des (vrais) cours de danse, transforme Joséphine en vamp, à la grande fureur de Mistinguett, qui voit sa royauté lui échapper.
Joséphine : « A New York, on m’appelait la Sarah Bernhardt de la danse. Mais à Paris, je monte en grade. Je deviens la Mistinguett noire. » Mistinguett, qui croise sa rivale lors d’une première au cinéma Apollo, crache à la figure de la « négrillonne ». Laquelle est pressentie pour être la reine de l’Exposition Coloniale de 1931, ce « concept-escroquerie » dénoncé par les surréalistes. Quelques esprits chagrins font remarquer que Joséphine Baker n’a rien à voir avec les colonies françaises : elle est Américaine. Peu importe : elle joue dans une opérette d’Offenbach, fait un tabac au Casino de Paris, séduit Max Reinhardt à Berlin, et, enfin, remet les pieds aux Etats-Unis, aux Ziegfeld Follies, la plus célèbre salle de débauche de plumes, un paradis de girls à damner un saint. Avec quinze malles, des centaines de chaussures et de costumes de scène et soixante-quatre kilos de poudre de riz, ses chiens et ses cacatoès, voici Joséphine, enfin, revenue au pays.
Joséphine Baker, avec le couturier Paul Poiret (1879-1944), lors de la fête de la Sainte-Catherine à Paris, le 25 novembre 1925. (BORIS LIPNITZKI/ROGER-VIOLLET)
Elle a deux tubes au répertoire : « la Petite Tonkinoise » – « Je suis vive, je suis charmante, comme un p’tit oiseau qui chante, il m’appelle sa p’tite bourgeoise, sa Tonkiki, sa Tonkiki, sa Tonkinoise » – et « J’ai deux amours ». Les deux rengaines ont été composées par Vincent Scotto, le seigneur de la chanson française (4 000 titres à son crédit). Le public américain n’est pas aussi enthousiaste que celui de Paris (« What is ton kiki ? » demande un journaliste), malgré les costumes magnifiques d’un nouveau venu, Vincente Minnelli, futur réalisateur d’« Un Américain à Paris ». Surtout, surtout, l’ignominie de la ségrégation est bien présente. A l’hôtel St. Moritz, 50 Central Park South, le directeur (pourtant immigrant grec), impose à Joséphine Baker de prendre l’escalier de service.
Mais Pepito, lui, a le droit de monter dans l’ascenseur. Joséphine accepte mal cet apartheid quotidien. Ses frères de race non plus. Alors qu’elle demande un café, en français, une employée noire, exaspérée par ces façons de « mal blanchie », lance : « T’es juste pleine de merde ! » A Harlem, on la considère comme une renégate. Elle n’a qu’à savoir où est sa place, dit-on. Pour les Américains, c’est au lavoir. Pour elle, c’est à Paris, Chez Joséphine, où elle passe de table en table, tire les moustaches, caresse les messieurs chauves, et remâche sa colère. Depuis les émeutes de Saint-Louis, donc, rien n’a changé ? «Les USA sont une terre barbare vivant dans une fausse démocratie de style nazi », dira-t-elle plus tard.
Joséphine résistante
Les nazis, justement. Les nègres, inférieurs, sont une menace pour la pureté de la race germanique, et il convient de faire une grande purge, notamment dans les milieux artistiques. Un danseur noir, Hilarius Gilges, est assassiné en 1933 à Düsseldorf. Joséphine Baker fait partie des « artistes décadents » et une publication patronnée par Goebbels la dénonce, photo à l’appui.
Tandis qu’elle jongle avec un nouveau mariage boiteux (avec Jean Lion, industriel raffineur de sucre), son amant Jean Menier (les chocolats) et ses bonnes œuvres (distribution de nourriture dans les quartiers pauvres), les nuages s’accumulent. Depuis la mort de Pepito – cancer du rein – elle dérive. Elle n’a aucun – aucun ! – sens de l’argent. Ni de l’organisation. Quant aux engagements… Comme le disait Samuel Goldwyn, « un accord verbal ne vaut même pas le papier sur lequel il est écrit ». Maxime valable pour les contrats écrits, même gravés dans le marbre de Carrare, dans l’univers de Joséphine Baker. Elle se dédit constamment, à la grande satisfaction des avocats.
En septembre 1939, alors qu’elle prépare avec Maurice Chevalier le show « Paris-London » au Casino de Paris, les Alliés déclarent la guerre. Quelques mois plus tard, Joséphine Baker est recrutée par Jacques Abtey, chef du contre-espionnage militaire à Paris. Méfiance, quand même : Mata Hari, lors de la Grande Guerre, était aussi une artiste de music-hall, et a fini dans les fossés de Vincennes, sous les balles de douze zouaves, avant d’être dépecée par les collectionneurs de souvenirs. Devant ce nouveau rôle d’héroïne de l’ombre, Joséphine Baker n’hésite pas : « C’est la France qui a fait de moi ce que je suis. Vous pouvez faire de moi ce que vous voulez. » Abtey obtempère. Il couche avec elle.
Quel rôle une femme noire, célèbre, dont les caprices et les écarts sont connus de tous, peut-elle jouer dans un réseau secret ? En se promenant dans les réceptions d’ambassade avec son guépard Chiquita, peut-elle ramasser des informations pour l’armée des ombres ? En plongeant dans les milieux du showbiz qui fricotent avec l’ennemi – Maurice Chevalier va rester en tête de liste comme collabo (selon Joséphine) –, peut-elle noter des secrets militaires ? Sa détermination ne fait aucun doute. Comme le dit Jimmie Daniels, musicien au Hot Cha de New York : « Elle a des couilles. » L’image, quoique anatomiquement fausse, est juste. Joséphine Baker a du courage. Mais de la discipline ?
En février 1945, pendant la bataille d’Alsace, Joséphine Baker rend visite à des soldats dans un cantonnement près de Strasbourg. (ECPAD)
Elle se rend sur la ligne Maginot pour chanter, fréquente les diplomates italiens, dîne avec des amis japonais, tourne un film, « Fausse Alerte » (excellent titre pour la « drôle de guerre ») avec Micheline Presle et Georges Marchal, participe à des émissions de radio, expédie des photos de marraine de guerre, élève des souris blanches, visite des centres d’hébergement. Sur le conseil d’Abtey, elle se rend en zone libre, aux Milandes, un château du XVe siècle de cinquante pièces en Dordogne, qu’elle a loué en 1937. Elle y arrive le 7 juin 1940, et va y rester trente ans. Son fantôme s’y promène encore.
Avec Paulette, sa bonne, François, son valet, madame Jacobs, son assistante, toute une smala de familiers, elle tricote des écharpes pour les soldats, accueille Jacques Abtey qui fuit Paris après avoir entendu l’appel du général de Gaulle, collectionne les passeports (faux et vrais), et offre refuge à des officiers en fuite.
Fake news
Paul Paillole, capitaine du 5e bureau de l’état-major, qui anime un service contre « les agents de l’étranger » incite Joséphine à passer en Espagne, avec Abtey. Sans hésiter, elle fonce. Ils parviennent à Lisbonne, puis à Casablanca. Elle n’oublie pas sa guenon, deux autres singes, son chien danois, ses souris blanches. Ni ses bagages, vingt-huit malles. Elle va servir de messagère, au Maroc, à Séville, à Madrid, en Libye, au Caire, et sa mort sera annoncée par le « Chicago Defender », « victime d’Hitler ». Elle rectifie, dans une interview à « The Afro-American » : «Il doit y avoir une petite erreur. »
La petite erreur rencontre de Gaulle à l’opéra d’Alger. Il lui fait remettre une Croix de Lorraine en or. En Corse, à la Libération, elle voit deux batteries de DCA, baptisées « Joséphine » et « J’ai deux amours ». Quand elle rentre à Paris, en octobre 1944, des milliers de gens sont là pour l’accueillir. Désormais, quand elle apparaîtra en uniforme, ce sera la poitrine bardée de médailles, bariolée comme une affiche de Paul Colin, clinquante comme un gradé soviétique. D’ailleurs, à ce propos, on la verra à Moscou chanter « la Marseillaise » avec le maréchal Joukov, l’ombre de Staline.
Une autre histoire commence, lambeaux de célébrité, chapitres de faillites, déclarations d’intention, désordre intime. Deux constantes traversent toujours sa vie, jusqu’à la fin. En premier lieu : le manque d’amour – Joséphine Baker, malgré ses mariages et ses liaisons, n’aimera jamais vraiment personne, homme ou femme, autant que ses douze gosses, ses perroquets ou son cochon domestique. En deuxième lieu : la haine du racisme.
A Juan-les-Pins en 1964, avec sa « tribu arc-en-ciel », les douze enfants qu’elle a adoptés. (TOPFOTO/ROGER-VIOLLET)
Son nouveau mari, Jo Bouillon, est un chef d’orchestre réputé. Il l’aide, la soutient, s’occupe du château des Milandes, qui, après la guerre, a l’ambition de devenir le Disneyland de la fraternité humaine, avec musée, piscine, ferme moderne, casino, gymnase, centre de remise en forme, hôtel de luxe, restaurant vingt étoiles, tout le toutime. Elle adopte une tripotée d’enfants de couleurs, de religions et d’origines différentes, en commençant par un petit Japonais et un petit Coréen.
Les années s’abattent sur elle, le maquillage devient plus lourd, les costumes moins révélateurs, les dettes s’accumulent, les shows se succèdent. Le village de Castelnaud, au départ conquis, se retourne contre elle : trop d’impayés, trop de traites en souffrance, les paysans ne pardonnent pas. Se côtoient désormais des gamins de partout, Jari le Finlandais, Luis de Colombie, Moïse d’Israël, Koffi de Côte d’Ivoire… et la situation se détériore. Entre Jo Bouillon et Joséphine Baker, le torchon brûle. Il est homosexuel, elle le traite de « pédérace » en public. Il finira par prendre sa valise pour s’installer au bout du monde, en Argentine. Impossible d’aller plus loin, sauf à tomber dans le grand vide cosmique.
Elle fait ériger une statue de dix mètres du Christ, puis une de Bouddha, de Moïse, de Mahomet et d’Erzulie (n’oublions pas que le premier prénom de Joséphine est Freda, divinité vaudoue). Les enfants, laissés à eux-mêmes ou pris en main par des nounous interchangeables, forment une « tribu arc-en-ciel » émiettée. La présence permanente de Joséphine serait nécessaire.
Pour autant, dans les années 1950, elle n’arrête pas de remonter sur les planches, annonçant sa retraite, avant de revenir pour clamer son retour. C’est fatigant, cette valse-hésitation, ponctuée de reprises d’Offenbach et de Poulenc, ces « Kati moko », ces « Tonkiki Tonkiki », et cette scie des deux amours, le plus gros succès de Scotto. Elle danse avec des méharistes sur scène, se retourne sur son passé, cite le cher Max Jacob qui, avant d’être assassiné par les nazis, estimait que « le jazz et les dessins animés sont les évènements artistiques du XXe siècle », donne des interviews dont une à Dotson Rader, pour le magazine américain « Parade », qu’elle conclut par un « Enough, child. » Cet « Assez, mon enfant » sonne comme un aveu. Elle est fatiguée, et Dotson Rader, justement, est l’auteur d’une pièce intitulée « Dieu s’est détourné ». Dieu, en effet, regarde ailleurs.
En 1973, deux ans avant sa mort, lors d’un concert au château de Versailles. (AFP)
A la vérité, les années d’après-guerre de Joséphine Baker sont un lent naufrage, auquel on n’a guère envie d’assister. Où est-elle, la créature recouverte de poudre de riz décrite par Maurice Hermite, le grand ordonnateur des femmes nues des Folies-Bergère ?
« Mais où avais-je pris qu’elle était noire ? Elle est blanche. Parfaitement ! Comme vous. Comme moi. Un teint de lys et de roses. Maquillée rose bonbon, comme une marquise XVIIIe. Avec une mouche au coin de la lèvre, comme un Watteau… mouche. »
Anita Loos, la piquante auteure des « Hommes préfèrent les blondes », rêve d’un show qui s’intitulerait « Gentlemen Prefer Bronze ». On est à l’orée du « Black is beautiful », des poings gantés des athlètes aux JO, des films de Shaft et de la constitution des Black Panthers. A l’orée, seulement. Ça viendra. Mais pour l’instant, Joséphine Baker retourne aux Etats-Unis. Le Copa City, à Miami, lui offre un salaire royal, 10 000 dollars par semaine, une secrétaire, une limousine avec chauffeur, des conditions somme toute acceptables.
Miami est une ville fortement sujette à la ségrégation : les citoyens noirs se voient imposer un couvre-feu à partir de 6 heures du soir, et le public du Copa City est uniformément blanc. Joséphine Baker tempête, exige une audience mélangée. C’est non. Elle tape du poing. C’est oui. Elle s’installe, douce vengeance, à l’hôtel Arlington, classé « Whites only ». Sur scène, elle affirme :
« C’est le plus important moment de ma vie. Je suis dans une ville où je peux me produire devant mon peuple… »
Joe Louis, le champion de boxe, applaudit. Prochaine étape : Los Angeles. Au RKO Hillstreet Theatre, un spectateur gueule : « Retourne d’où tu viens ! » Elle : « Et toi, tu es d’où ? » La salle se lève en applaudissant.
Une rouge pour le FBI
Mais ce n’est pas fini. Elle dîne dans un restaurant à Miami, entend un client qui rage : « Je ne reste pas dans un endroit où il y a des nègres. » Elle convoque la police, qui ne fait rien, et effectue un « citizen’s arrest », une arrestation citoyenne, pour « breach of peace » (atteinte à l’ordre public). Le gros con fauteur de trouble, Fred Harlan, 45 ans, est un VRP texan. Il écope d’une amende de 100 dollars (soit 1 000 dollars d’aujourd’hui) et d’une nuit en prison, dont on espère qu’elle s’est passée en compagnie d’un Noir balèze et de préférence mal disposé.
Direction New York. Le soir du 16 octobre 1951, Joséphine Baker va prendre un verre au Stork Club, le bar huppé de Manhattan, avec des amis. Walter Winchell, le journaliste le plus en vue du moment, spécialisé dans les potins, est là. Accessoirement, c’est aussi un informateur du FBI, copain avec J. Edgar Hoover, le cinglé raciste qui dirige le Federal Bureau of Investigation depuis la nuit des temps. Le patron du Stork, Sherman Billingsley, ami intime de Frank Costello, capo di tutti capi de la Cosa Nostra, est un ancien bootlegger. Billingsley fait le tour du club, aperçoit la négresse, et siffle, rageur : « Qui l’a laissé rentrer ? »
Elle a commandé un steak, elle ne l’aura pas. Les mafieux n’aiment pas les « jus deréglisse » (Sammy Davis aura le nez cassé cinq fois de suite). Joséphine Baker fait un scandale, alerte l’avocat de la National Association For the Advancement of Colored People, trépigne, convoque la presse, prend à témoin Walter Winchell, qui ne veut rien savoir. Il se prépare à aller voir « le Renard du Désert », un biopic sur Rommel, et les histoires de « mangeuse de noix de coco » ne l’intéressent pas. Il est néanmoins accusé, publiquement, d’être raciste. Il contre-attaque dans les journaux : Joséphine Baker est antisémite, dit-il, elle a soutenu Pétain et, pire, elle est communiste (tout est archifaux). Dix minutes plus tard, J. Edgar Hoover fait ouvrir un dossier numéroté 62-95384. Désormais, Joséphine Baker sera considérée comme une « rouge », acharnée à la perte des Etats-Unis.
La Mafia, en douce, s’en mêle : quand elle va faire un récital à La Havane, sous Batista, elle prend une suite à l’hôtel Nacional. Manque de chance, l’auberge appartient à Lucky Luciano (c’est là qu’Al Pacino se rend pour traiter avec Hyman Roth, dans « le Parrain 2 »). Les voyous empêchent Joséphine Baker de monter sur scène, une manifestation dégénère, il y a un mort. La star est arrêtée, interrogée. Fait-elle partie des subversifs bolcheviques ? Non, mais la police de Batista, brutale et raciste, va la convaincre du bien-fondé du combat des barbudos de la Sierra Maestra. Quelques années plus tard, lors de la création de la Tricontinentale, qui réunira à Cuba Che Guevara, Mehdi Ben Barka, Ahmed Ben Bella, Amílcar Cabral et Fidel Castro, elle sera là.
La politique est entrée dans sa vie par effraction, une nuit d’été 1917. Désormais classée « ennemie de l’Amérique » par le FBI, elle a besoin d’un visa pour revenir aux Etats-Unis. Refusé. Robert F. Kennedy, attorney general of the United States, intervient personnellement.
Joséphine Baker prend la parole devant le Lincoln Memorial. Elle sera la seule femme à faire un discours ce jour-là. (PAUL SLADE/ARCHIVES PARIS MATCH/LA SCOOP)
Et le 28 août 1963, debout en uniforme des FFL, sur les marches du Lincoln Memorial, le lieutenant Joséphine Baker se tient face aux deux cent mille participants de la marche des droits civiques sur Washington, aux côtés de Martin Luther King. Ce dernier, d’une voix incantatoire, magique, dit :
« Je fais un rêve, sur les rouges collines de Géorgie, les fils des anciens esclaves et les fils des anciens propriétaires d’esclaves s’assiéront ensemble à la table de la fraternité… »
Les visages, noirs et blancs, sont graves, les gorges se serrent, les larmes coulent. Il y a là Bob Dylan, Joan Baez, Odetta, Mahalia Jackson, Marian Anderson qui chantent. Joséphine Baker ne chante pas. Seule femme à prendre la parole, elle dit simplement : « Nous sommes à l’aube d’une victoire totale. Vous ne pouvez vous tromper. Le monde est avec vous ». Silence. Puis : « Poivre et sel. C’est ainsi que ça doit être. » We shall overcome, certes, certes. Utopie, oui. Mais quand même : une vague d’émotion, encore aujourd’hui.
Le 12 mars 1969, elle est éjectée des Milandes, manu militari. Trop de dettes, une gestion démente, trop de coups de menton. Tout se termine par un cliché terrible, publié dans mille journaux : Joséphine Baker, assise sur une marche de la cuisine des communs du château, une couverture sur les genoux, près des poubelles, pauvresse brutalisée par un capitalisme sauvage. C’est la fin ? Voire. Les célébrités, Brigitte Bardot, Grace Kelly en tête, se mobilisent. Les oboles pleuvent. Le public, alerté par une presse pathétique, la soutient. On l’aime, notre Joséphine.
En avril 1975, elle revient sur une scène qui a fait les beaux jours du music-hall, Bobino, rue de la Gaîté. Lors de ses répétitions, un jeune journaliste accompagne la rédactrice en chef, pour le grand article à venir dans « l’Express ». Les délais d’impression, alors, sont importants : quinze jours entre la remise du texte et la parution dans le magazine, photos à l’appui. Quand le papier paraît, titré « l’Eternel retour », Joséphine Baker est déjà enterrée. Le jeune journaliste, c’était moi.
Dans un excellent livre « la race tue deux fois » (éditions Sylepse), Rachida Brahim bouscule une discipline qui a érigé en dogmes immuables l’analyse de la société en terme de classes sociales et « l’objectivité » en religion
Rabha Attaf
Pendant trop longtemps, le racisme est demeuré un sujet exclu des recherches universitaires françaises. De jeunes doctorants se sont cependantattelés courageusement à la tâche, durant ces derniers années, pour briser ce tabou. Avec son livre « La race tue deux fois », Rachida Brahim est de ceux-là. « J’aimerai décrire le mécanisme qui préside à cette violence sans rien cacher des troubles que ce savoir me cause et des leçons que j’en tire. Non par goût du pathos, mais parce que la neutralité généralement feinte pas les chercheurs en sciences sociale est en réalité une violence épistémique qui participe à ce long désastre. » annonce-t-elle d’emblée dans son introduction.
Comment en effet travailler sur cette question, en tant que descendante d’immigrés algériens, en faisant abstraction d’une « post-mémoire », c’est à dire de la réminiscence d’un traumatisme collectif non vécu mais dont on a hérité ?
Des crimes racistes enfouis
D’abord en faisant jaillir cette violence primordiale à travers le récit de crimes racistes enfouis dans le refoulé collectif de la société française. A partir d’une base de de 731 cas de victimes listées par les associations dédiées durant 30 ans, Rachida Brahim enanalyse une sélection allant de la vague desratonnades dusud de la France en 1973 aux crimes policiers des années 90. Elle distingue trois types de violences : idéologique (la plus courante), situationnelle (surgie des circonstances) et disciplinaire (dites aussi « sécuritaires » par les militants anti-racisme car commises par de policiers ou gendarmes).
Puis, au fil des lignes, la logique intrinsèque à l’origine, selon Rachida Brahim, de tous ses crimes apparaît : « la construction au sein de la société d’une catégorie de personnes associées à un danger » dans le cadre d’un rapport de domination produit par le système social. L’auteure convoque, en effet, Foucault et son concept de biopouvoir pour expliquer la « violence raciale » -celle qui cible un ennemi intérieur fabriqué par la société- et la « violence d’Etat » qui vise à contraindre les corps. Cet angle analytique est intéressant, mais il mérite d’être placé dans une perspective historique qui en approfondirait le champ. Le mot « postcolonial » qui définit la temporalité de la vague des crimes des années 1970 renvoie en effet à une violence coloniale qui a atteint son paroxysme durant la guerre d’Algérie, y compris en France métropolitaine.
Violences coloniales
Le déni dont fait preuve l’Etat français à l’égard de cette violence coloniale et son prolongement, lanégation des crimes racistes, sont passés au crible par la chercheuse qui déconstruit méticuleusement ce qu’elle désigne comme législation « racialisante », c’està dire les lois successives sur l’immigration, mais aussi paradoxalement les lois anti-racistes. Le contexte dans lequel ces lois sont votés les impègne en effet d’un état d’esprit particulier. Un déni qui se traduit aussi dans la plupart des procès des crimes racistespar des peines légères, le mobile raciste étant souvent écarté.
La démonstration de Rachida Brahim s’avère finalement convaincante, mais son livre laissel’impression d’être un essai inachevé. La conclusion du livre, trop académique, manque de mise en perspective pour des recherches à venir, et surtout de pistes de réflexion pour endiguer ce racisme endémique qui gangrène l’Etat français et fait gravement obstruction à une intégration citoyenne des populations concernées. On attend donc la suite…
Souvent employé, «par facilité», pour décrire des groupuscules se trouvant à droite du Rassemblement national, le terme caractérise la violence que peuvent exercer des individus ou des groupes d’extrême droite.
Question posée par Donatien le 18 novembre 2021
Vous nous écrivez : «Depuis quelques années, les médias désignent de plus en plus les groupes identitaires, nationalistes, etc. comme “ultra-droite”, alors qu’ils étaient auparavant englobés dans le vocable “extrême droite”. S’agit-il d’une nuance apportée à la palette de couleurs des sensibilités politiques, et si oui, que retrouve-t-on derrière chacune de cette appellation ? S’agit-il d’atténuer le caractère extrême de certaines mouvances ?»
Des origines dans le renseignement
Dans un entretien accordé à Libérationen mars, l’historien Nicolas Lebourg, spécialiste des mouvements d’extrême droite, regrettait aussi le mésusage du terme dans les médias. Le chercheur datait l’apparition de cette expression «dans les médias à partir des attentats commis par Mohammed Merah, en 2012, lorsque les services de police hésitaient entre attribuer ces crimes à la mouvance jihadiste ou au milieu néofasciste. La courbe de fréquence explose à ce moment-là avec des articles s’interrogeant : “Le tueur au scooter est-il d’ultradroite ?” Puis le terme se répand de manière anarchique pour finir par devenir une sorte de synonyme d’“extrême droite extraparlementaire”».
Nicolas Lebourg rappelait alors que le mot «ultradroite» trouve ses origines dans la communauté du renseignement : «En 1994, la réforme des Renseignements généraux imposait l’interdiction d’enquêter sur les partis politiques tout en poursuivant sa mission de surveillance des potentiels activistes et terroristes. Dès lors, le syntagme “ultra-droite” (évoquant les “ultras” de la guerre d’Algérie) lui permettait de séparer son champ d’observation de celui de l’extrême droite légaliste et électoraliste.»
On la retrouve de manière aussi claire sur le site de la direction générale de la sécurité intérieure (DGSI), qui considère «l’extrême droite et l’extrême gauche» comme «des courants politiques sur le suivi desquels les services de renseignement n’ont aucune compétence», avant de préciser que la DGSI «peut en revanche être amenée à suivre des individus qui, au nom d’idéologies extrêmes, sont susceptibles d’avoir recours à la violence physique avec, pour certains, la volonté d’attenter à la forme républicaine des institutions ou à ses représentants. Les groupuscules ultras représentent, avant tout, une menace pour l’ordre public, ces dernières années ayant été marquées par une résurgence des actions violentes en marge des manifestations».
Généralisation à partir de 2012
D’après l’outil d’analyse d’occurrence dans la littérature de Google, le terme «ultradroite» se développe à partir des années 70, avec un pic à la fin des années 90 et une reprise dans les années 2010. Il est déjà employé pour désigner les groupuscules ou les idées d’extrême droite. Contacté par CheckNews, Jean-Yves Camus, codirecteur de l’Observatoire des radicalités politiques (ORAP) de la Fondation Jean-Jaurès, estime qu’il est difficile de dater l’origine la première occurrence et considère que sa généralisation a surtout lieu à partir de l’élection de François Hollande et du retour de la gauche au pouvoir en 2012. «Dès la fin de cette année débute la mobilisation contre le mariage pour tous. Des heurts violents (avec la police ou des antifascistes) surviennent en marge des manifestations. Dès mai 2012, le Monde parle d’ailleurs d’une ultradroite en pleine agitation», note le politologue.
Partageant la définition policière citée par Nicolas Lebourg, Jean-Yves Camus explique qu’«il n’existe malheureusement aucune définition scientifique du terme ultra-droite parce que c’est au départ un vocable journalistique, d’une part, et une catégorie utilisée par le renseignement, d’autre part, qui se doit de distinguer, comme l’explique Nicolas Lebourg, les partis politiques légaux qui sont hors de son champ de compétence et les mouvements contestataires violents ou à potentialité violente». Désormais tombée dans le langage courant des journalistes, qui l’utilisent «par facilité» car ils ne savent pas toujours identifier la bonne étiquette idéologique d’un groupuscule, elle désigne désormais «tous les groupuscules situés à la droite d’un RN que Marine Le Pen, depuis 2011, veut “dédiaboliser”, processus qui mécontente les éléments radicaux au sein de son propre mouvement comme au-dehors», c’est-à-dire «un vaste fourre-tout qui incorpore des groupes violents et d’autres qui ne le sont pas, ainsi que des catégories idéologiques très différentes : identitaires ; néofascistes ; néonazis ; catholiques intégristes non-violents mais théocrates (Civitas)». Pour Nicolas Lebourg, l’utilisation abusive du terme ultradroite pour désigner ce qui se trouve à droite du Rassemblement national omet le fait que la «mouvance électoraliste peut parfois être tout autant mise en cause dans des violences que les néofascistes». A l’inverse elle met dans le même sac des idéologues non-violents avec des terroristes potentiels.
13 février 1962 : Les funérailles des huit personnes tuées par la police lors de la manifestation algérienne à la station de métro Charonne à Paris - Photo: archives
En ce jour de commémoration du massacre de Paris, nous n’avons pas besoin de cérémonies, ni de promesses de réparation. Ce que nous appelons de nos vœux, c’est un véritable mouvement antifasciste.
“Il s’agit de la répression étatique la plus violente d’une manifestation de l’époque contemporaine en Europe occidentale “. C’est ainsi que les historiens britanniques Jim House et Neil MacMaster ont décrit le massacre d’Algériens qui manifestaient pacifiquement à Paris le 17 octobre 1961, pendant la période connue aujourd’hui sous le nom de guerre d’Algérie.
Les manifestants – 30 000 Algériens indépendantistes – protestaient contre un couvre-feu qui avait été imposé aux “travailleurs musulmans algériens”, aux “musulmans français” et aux “musulmans français d’Algérie”. Selon l’historien Jean-Luc Einaudi, les autorités avaient décidé non seulement de stopper la manifestation, mais aussi de tuer les manifestants ; les policiers ont même jeté des manifestants vivants dans la Seine.
Pendant des années, il a été officiellement affirmé que le bilan du massacre de 1961 n’était que de trois morts. Aujourd’hui, les historiens s’accordent à dire qu’au moins 48 personnes ont été tuées par la police française cette nuit-là, mais beaucoup de gens pensent que le nombre de morts a largement dépassé la centaine.
En France, où je suis née de parents algériens quelques décennies plus tard, la guerre d’Algérie a longtemps été désignée par la litote “les événements” ou “les événements d’Algérie”. Il s’agissait pourtant de l’une des plus importantes guerres de décolonisation ; un conflit complexe caractérisé par la guérilla et l’utilisation massive de la torture par les autorités françaises, qui a duré près de huit ans et fait entre 1 et 1,5 million de morts.
Toute ma famille a fait partie de la résistance algérienne au colonialisme français. Mon grand-père paternel était un combattant politique de la liberté dans le nord de l’Algérie dans les années 1930. Mon père avait neuf ans lorsque son propre père a été tué, mais il n’en a jamais parlé devant moi, et c’est ma mère qui m’a révélé, à l’adolescence, ce traumatisme familial.
Lorsque mon père avait environ 14 ans, sa mère l’a envoyé à Paris pour trouver un emploi et avoir un meilleur avenir. Je ne sais pas grand-chose de ses premières années à Paris, si ce n’est qu’il a lutté contre la pauvreté et qu’il n’a décidé d’avoir des enfants que des décennies plus tard, lorsqu’il a obtenu un emploi mieux rémunéré.
Le 1er novembre 1954, la “Toussaint Rouge” (la “Toussaint sanglante”) se produisit, en Algérie, une série d’attaques contre les colons européens, lancées par des combattants algériens du Front de libération nationale (FLN) nouvellement formé. Ces attaques ont marqué un changement de tactique, passant de la campagne pour l’indépendance à l’action directe, et ont symbolisé le début de la guerre d’Algérie.
Les frères et cousins de mon père ont tous rejoint le mouvement de libération en Algérie, tandis que mon père, alors âgé de 20 ans, aidait depuis la France en envoyant de l’argent et des documents. Mon grand-père maternel a également soutenu le FLN depuis la France, tout en travaillant dans un café parisien pour faire vivre sa famille.
En réponse aux attaques du FLN, le gouvernement français n’a pas cherché à discuter ou à apaiser les tensions ; il a envoyé l’armée pour protéger la “République indivisible”.
La majeure partie de l’Algérie actuelle appartenait alors non seulement à l’Empire français en Afrique, mais aussi à la France elle-même. L’Algérie était divisée en provinces et départements, avec Paris comme capitale.
Le Premier ministre Pierre Mendès France avait achevé, quelques mois plus tôt, la liquidation de l’empire français en Indochine, mais il a déclaré à l’Assemblée nationale : “Les départements algériens font partie de la République française. Ils sont français depuis longtemps, ils sont irrévocablement français. … Entre eux et la France métropolitaine, il ne peut y avoir de sécession concevable.” [1]
Les gouvernements français précédents avaient déjà ordonné les massacres de manifestants autochtones musulmans en Algérie à Sétif en 1945, et la France de Mendès était prête à recommencer.
Pendant près de huit ans, le sol algérien a été le théâtre d’une guerre menée par la France. Mais le massacre de Paris d’octobre 1961 montre que la lutte s’est également déroulée en France.
Des citoyens de seconde zone
À l’époque du massacre de 1961, les Français utilisaient le terme “Algériens” pour désigner les colons français en Algérie, que l’on appelait aussi “pieds noirs” car ils étaient les seuls à porter des chaussures en cuir noir dans la colonie française de l’époque.
C’était une époque où les discriminations foisonnaient. Les Algériens de souche étaient victimes d’un racisme institutionnel, avec notamment un accès limité à la représentation politique et au marché du travail.
À Alger, il existait une “Assemblée” locale pour représenter les “Algériens/pieds noirs”, où le million de colonisateurs français et européens détenait les deux tiers des sièges parlementaires. Les neuf millions d’autochtones – un mélange de diverses ethnies berbères indigènes et d’Arabes, qui se sont installés en Algérie du 10e au 12e siècle – votaient pour élire le tiers restant de l’Assemblée.
Comme mon père, beaucoup de ces Algériens de souche sont partis en France à partir des années 1940 pour trouver du travail alors que, dans leur pays, l’industrie était sous-développée et l’agriculture et les terres globalement contrôlées par des propriétaires français.
Plusieurs décennies plus tard, les Algériens vivant en France – qu’ils soient binationaux ou immigrés de deuxième génération – ont le sentiment de ne toujours pas exister dans ce pays dominé par la rhétorique de droite et l’islamophobie, un pays où ceux qui ont des origines multiples doivent renoncer à leur culture natale pour être considérés comme français.
Tout comme dans l’ancienne assemblée coloniale algérienne qui a perduré jusqu’en 1962, les Algériens de souche et la population musulmane de France sont traités comme des citoyens de seconde zone.
Une réconciliation impossible ?
Lorsque je suis née en 1980 – la première de ma famille à être née en France – le racisme à l’égard des Nord-Africains était très répandu. Mon père évitait de parler kabyle en public (et même à la maison) et ma mère me racontait comment, lorsque nous avions déménagé en banlieue parisienne en 1981, nos voisins avaient essayé de dissuader le propriétaire de nous louer un logement.
Malgré la Marche pour l’égalité et contre le racisme de 1983 – ou “Marche des Beurs” comme l’ont appelée les médias français, en utilisant un terme argotique qui désignait les Arabes dont les parents ou grands-parents étaient nés en Afrique du Nord -, les conditions ne se sont jamais vraiment améliorées et les autorités françaises ont toujours soigneusement éludé le sujet de la guerre d’Algérie et de son héritage.
Lors de sa campagne électorale en 2017, le président français Emmanuel Macron a promis d’améliorer les relations algéro-françaises. Au cours des 12 derniers mois, cependant, il a attisé les tensions, à tel point que le 2 octobre, les autorités algériennes ont rappelé leur ambassadeur à Paris.
Le conflit a commencé lorsque M. Macron a accusé les autorités algériennes de vivre d’une “rente mémorielle” alimentée par un “système politico-militaire” qui, selon lui, utilise la colère contre l’ancienne puissance coloniale pour contrôler sa population.
M. Macron a de nouveau suscité la controverse lors d’un événement public organisé pour les petits-enfants des combattants de la guerre au début du mois, lorsqu’il a déclaré que l’Algérie n’était pas une nation avant la colonisation française et que l’Empire ottoman avait également été un “colonisateur” mais n’avait pas été blâmé autant que la France [2].
Samedi, un jour avant le 60e anniversaire du massacre de Paris, il a finalement dénoncé les tueries comme des crimes “inexcusables” mais n’a pas présenté d’excuses pour le massacre.
Adoptant une autre approche, Anne Hidalgo, la maire de Paris et candidate aux élections présidentielles de l’année prochaine, a organisé un événement commémoratif , le 17 octobre 2021, au cœur de la capitale, près du Pont Saint-Michel.
J’habitais auparavant à cinq minutes du Pont Saint Michel et j’ai reçu une invitation à la cérémonie. Bien que parisienne pendant la majeure partie de ma vie, je vis aujourd’hui en Angleterre, ce qui fait que je peux écrire sur ces questions postcoloniales qui restent taboues en France. Mais, si j’avais été à Paris, y serais-je allé ? Probablement, car je souhaite effectivement une réconciliation entre le pays où je suis née et celui de mes parents.
Mais franchement, les petites cérémonies ne suffisent pas. Pas à ce stade, alors que l’extrême droite est en tête dans les sondages, et que certaines publications diffusent une haine raciste principalement dirigée contre la population musulmane, qui est estimée à environ cinq millions de personnes en France (même si les statistiques ethniques et religieuses sont interdites, au nom de la lutte contre la discrimination).
A ce stade, ce que je souhaite, ce ne sont pas des cérémonies ni même des réparations. La discrimination et le racisme permanents à l’égard des Maghrébins, la récente décision de réduire le nombre de visas pour les personnes originaires des anciennes colonies, les cas de brutalité policière ayant entraîné la mort de personnes de couleur et le discours constant alimentant l’islamophobie montrent que ce dont nous avons besoin, c’est d’un grand mouvement antifasciste. Quelques voix ont émergé pour dénoncer cette islamophobie ; elles doivent être amplifiées et non réduites au silence.
Une colonisation qui dure toujours
Ce mois-ci, l’historienne française et spécialiste de l’Algérie Malika Rahal a déclaré qu’elle avait été censurée par l’hebdomadaire l’Express après que le contenu d’une interview qu’elle lui avait accordé a été jugé trop polémique. “Après m’avoir demandé une interview sur les propos de Macron sur l’histoire algérienne, il y a quelques jours, L’Express a fait le choix éditorial de ne pas la publier”, a-t-elle écrit dans un message posté sur sa page Facebook.
Elle est pourtant l’une des rares femmes d’origine nord-africaine à être incluse dans les débats sur les conséquences durables de la colonisation française. La plupart des universitaires du pays continuent à discuter de la “décolonisation des études françaises” sans inclure aucun Algérien français. Il semble que pour les intellectuels et les politiciens français, les questions postcoloniales n’existent tout simplement pas.
Rahal a récemment écrit qu’il est important de se rappeler que : “L’Algérie est un cas unique parmi les mouvements de décolonisation : Il n’existe aucun autre exemple de décolonisation faisant suite à une colonisation de peuplement aussi longue, avec un pourcentage aussi élevé de colons européens.”
Elle ajoute : “Les territoires qui ont été colonisés pendant de plus longues périodes et avec des pourcentages plus élevés de populations européennes, comme l’Australie, la Nouvelle-Zélande ou la Nouvelle-Calédonie, n’ont pas connu l’indépendance ou la décolonisation. L’Algérie incarne donc un cas limite d’une longue colonisation aux effets profonds dont nous avons pu nous libérer, et c’est une expérience constitutive pour le pays et ses habitants.”
Soixante ans après le 17 octobre 1961, le problème est que le gouvernement français refuse toujours d’envisager la réconciliation avec l’Algérie sur un pied d’égalité. Tant que les autorités françaises refuseront de reconnaître les crimes, les tortures et les violations des droits de l’homme perpétrés en Algérie, la réconciliation restera impossible.
Étant donné que presque aucun progrès dans ce sens n’a été accompli en 60 ans, on peut se demander si cela arrivera jamais.
Notes :
[1] Extrait du discours du 12 novembre 1954 de Mendès-France devant l’Assemblée Nationale : … « Vous pouvez être certains, en tout cas, qu’il n’y aura, de la part du Gouvernement, ni hésitation, ni atermoiement, ni demi-mesure dans les dispositions qu’il prendra pour assurer la sécurité et le respect de la loi. Il n’y aura aucun ménagement contre la sédition, aucun compromis avec elle, chacun ici et là-bas doit le savoir. On ne transige pas lorsqu’il s’agit de défendre la paix intérieure de la nation, l’unité, l’intégrité de la République. Les départements d’Algérie constituent une partie de la République française. Ils sont français depuis longtemps et d’une manière irrévocable. Leurs populations qui jouissent de la citoyenneté française et sont représentées au Parlement, ont d’ailleurs donné, dans la paix comme autrefois dans la guerre, sans distinction d’origine ou de religion, assez de preuves de leur attachement à la France pour que la France à son tour ne laisse pas mettre en cause cette unité. Entre elles et la métropole il n’y a pas de sécession concevable. »
[2] Citation exacte : « Est-ce qu’il y avait une nation algérienne avant la colonisation française ? C’est ça la question (…) Moi, je suis fasciné de voir la capacité qu’a la Turquie à faire totalement oublier le rôle qu’elle a joué en Algérie et la domination qu’elle a exercée. »
* Melissa Chemam est écrivain, journaliste et chargée de cours à l'UWE Bristol, au Royaume-Uni. Depuis 2009, elle a travaillé avec la BBC, DW et différents magazines d'art, ainsi qu'avec des ONG et des agences des Nations unies, notamment auprès des réfugiés et des personnes déplacées, en Europe et en Afrique. Elle écrit principalement sur le multiculturalisme, les questions postcoloniales, le militantisme et le changement social.
La haine tue La haine noie Au long du fleuve noir Égout gigantesque Qui charrie l’horreur La Seine pue Brahim pleure Non pas ça ! L’eau charrie des corps Des corps de jadis Ceux d’un temps hideux Non pas ça ! L’eau glauque a pris le sien D’un tourbillon raciste La Seine charrie la peur Sur le quai un rictus Un regard rageur jouit Une main satisfaite Se lève et salue. Heil ! Les mots charrient la haine.
Écrit en mai 1995 Repris dans le recueil « Les ongles sous la peau », de Jean Riboulet EDITIONS PIERANN octobre 2001
Plainte pour Ibrahim
Staccato de la haine Rap sinistre de la mort L’arme hideuse du fascho Claque vers le dos courbé de peur Qui pleure la couleur de sa peau Ténue au pied de l’affiche Putain de race qui meurt Qui tremble qui hurle trouille Se cache fuit et se fuit Dieu d’ici ou d’ailleurs Pourquoi as-tu pétri cette différence Qui attire le crachat L’opprobre et le néant Ibrahim le racisme t’a crevé l’échine Aussi vite que les balles qui le portaient Flingue contre rap Grenaille contre jeunesse Calibre contre les mots. Équilibre saccadé injuste rap des Comores Que la légitime défense parait-il Interrompt vers le silence définitif Fasciste sur ton crachat puant Les ricochets de mes armes verbales Sont inoffensifs Ma révolte n’est que ventrale Craint pourtant qu’un jour L’acier ne s’y glisse Ta place comme celle de bon maître N’est pas cathodique Elle ne mérite que les culs-de-basse-fosse De l’oubli du mépris de la honte J’ai envie de vomir et je mue Je m’assombris je me comorise Je suis noir dans ma tête Dans mon cœur et sur ma peau Ibrahim mon frère mon fils Tu avais tort d’être jeune black et nocturne Écoute le rap de mes pleurs
Écrit le 1ᵉʳ mars 1995 Repris dans le recueil « Les ongles
Décidément, l'indépendance de notre pays, chèrement acquise, est restée en travers de la gorge des nostalgiques de l'Algérie française qui ne ratent aucune occasion pour faire des déclarations toxiques qui transpirent le mépris des réalisations d'un peuple au demeurant laminé par 132 années d'une colonisation des plus barbares et des plus cruelles.
Elles ont toutes pour dénominateur commun, rabaisser son prestige et ses réalisations pour faire croire que c'était mieux sous la gouvernance colonialiste. Naturellement les déclarations de personnalités politiques, médiatiques n'ont rien à voir avec des logorrhées prononcées dans un moment d'égarement, de perte de ses esprits ou d'énervement. Elles sont au contraire bien élaborées et orientées. J'en veux pour preuve, s'il en fallait une, les dernières déclarations dégradantes faites le 30 septembre par le Président de la République Français devant 18 jeunes français, médusés.
Aussi, chaque patriote est invité à se remémorer les attaques verbales visant notre pays, son peuple, ses institutions, son histoire..., de cet acabit pour se faire une idée des dangers qui guettent notre patrie et à rester vigilent car les ennemis de l'intérieur qui gangrènent notre pays, identifiables à leurs comportements antinationaux, gravitant tels des charognards autour de gites de corruption, de détournements des biens du peuple, de sabotage de notre économie... etc et bien sûr la traîtrise et la lâcheté opèrent cachés, en catimini, constituent une pénétrante aux ennemis extérieurs.
En effet, comme il fallait s'y attendre au regard de la portée historique de notre Révolution, admirée par les peuples et maladivement jalousée par des nostalgiques, notre pays ne cesse d'enregistrer depuis son accession à l'indépendance de manière cyclique à la veille de chaque date marquante de notre histoire récente, essentiellement : le premier novembre 1954, le 20 août, le 19 mars et le 05 juillet, des déclarations troublantes faites de manière péremptoire par des personnalités politiques, médiatiques, publiques assez influentes pour troubler les esprits des concitoyens. Il faut admettre que l'avènement de « présidents cocotte-minute », produits dans les laboratoires de la haute finance et des lobbies et vendus par des médias lourds transformés en de redoutables machines à propagande, grassement financés par ces derniers, ce genre de dérapage mis en scène et de propos nauséabonds chargés de mépris à l'égard de l'autre, semble favoriser ce type de comportement dévalorisant la fonction.
TAPAGE MÉDIATIQUE POUR FAIRE DIVERSION
C'est pour servir de relais que l'aboyeur de service et mercenaire à la parole aisée, Eric Zemmour pour ne pas le nommer, qui ne recule devant rien au point de faire passer des mensonges pour des vérités, qui fait feu de tout bois pour faire passer ses messages, est dans son rôle de rabatteur de voix. De fait, il est là pour exécuter un mandat de ses commanditaires qui le rétribuent grassement. Pour donner l'illusion que ce qu'il débite est partagé par des français à la recherche de solutions de rechange, les marionnettistes l'appuient par des sondages orientés et gonflés à l'hélium pour leur donner l'illusion qu'il caracole au-dessus de tous les autres, au point de le présenter comme candidat à l'élection présidentielle de 2022.
Le fiel qu'il déverse quasi quotidiennement à grand flot sur les immigrés et leurs pays d'origine (comprendre les Algériens et l'Algérie) aidé en cela par des médias en quête de l'audimat semble se transformer en miel pour lui. En fait, son discours racoleur, démagogique et stigmatisant, construit sur le rejet sélectif de l'autre, instillant dans le corps social beaucoup de haine et de méfiance, n'est autre que la synthèse de la pensée et des échecs de la droite dans toutes ses nuances et déclinaisons les plus abjectes. C'est à ce redoutable aboyeur qui fait office de porte-voix des droites réactionnaires, qu'échoit le rôle de dire tout haut ce que pense tout bas cette dernière.
LES VISAS COMME MOYEN DE PRESSION ET DE CHANTAGE
L'angle d'attaque de notre pays privilégié par la France officielle, une mesquinerie de plus, est celui de la délivrance de visas. Cette arme des visas que les pouvoirs politiques français dégaine de manière intempestive, est devenue cette rengaine lassante, utilisée comme moyen de pression voire de marchandage et de chantage. Elle vise un double objectif qui est celui de priver les Algériens de leurs droits universels à la libre circulation des personnes et des biens garantie par la déclaration universelle des droits de l'homme dont la France, comble de l'ironie, s'arroge la paternité, d'humilier nos compatriotes et de chercher par cette pratique ignoble, à soulever le peuple contre ses gouvernants.
Pourtant, ils ne sont pas sans savoir que les visas de circulation régis par une stricte réglementation ne doivent pas être soumis à des quotas comme c'est le cas pour les visas de travail et/ou d'émigration. Autrement dit, chaque citoyen demandeur de visa de circulation ayant satisfait à toutes les formalités réglementaires doit obtenir son visa. Mieux encore, en cas de refus, la réglementation oblige l'autorité consulaire à motiver son refus et permet au demandeur, s'il s'estime lésé dans son droit, d'introduire un recours et si besoin est, de saisir les juridictions compétentes en la matière pour recouvrer son droit.
Seulement, la France officielle, en faisant fi de sa propre réglementation en vigueur en la matière, a choisi d'infliger arbitrairement une punition collective à tout un peuple au motif que les pouvoirs politiques de ces ex colonies (c'est ce complexe dont les gouvernants de l'ex puissance coloniale n'arrivent pas à se départir) n'acceptent pas de reprendre des délinquants jugés et détenus en France pour, entre autre, terrorisme. La question qui se pose ; En quoi un citoyen algérien désireux de rendre visite à sa famille et à ses amis, ou de voyager en France est-il responsable des agissements de ces délinquants ?
Ce qui revient à dire que les pouvoirs politiques français considèrent que tous les Algériens sont des clandestins potentiels, ce qui, de mon point de vue, est ressenti par nos compatriotes comme une insulte suprême. Ils se gardent bien évidemment de parler des millions d'Algériens qui ont fait de nombreux voyages en aller-retour nullement intéressés par l'immigration fut-elle légale. L'idée de braquer l'opinion publique travaillée au corps à corps par un tapage médiatique qui n'a rien à envier à celui des États totalitaires et abreuvés de sondages dirigés sur la poignée de délinquants présentés d'ailleurs comme la source de tous les maux quitte à terroriser les potentiels électeurs, est privilégiée.
Pourquoi l'État algérien souverain, doit-il servir de base pour soulager les prisons françaises ? Cette histoire de délivrance de visas agitée souvent par l'ex colonisateur à des moments bien choisis pour troubler les esprits de nos concitoyens et rassurer un certain électorat, n'est en fait que l'expression d'une volonté de certains réactionnaires de remettre en cause les prétendus avantages accordés indument aux Algériens par l'accord de 1968 régissant l'immigration algérienne conclu entre les deux États en application des accords d'Evian. C'est souvent que nos compatriotes entendent dire par des fonctionnaires haineux: « vous avez voulu votre indépendance, alors restez chez vous ! » Et dire que ces décisions sont le fait de gouvernants prétendument démocrates d'un pays revendiquant la paternité de la déclaration universelle des droits de l'homme !
À noter que dans un premier temps, c'étaient toutes les catégories de demandeurs de visas qui sont touchées par cette mesure arbitraire ; il s'en est suivi un rétropédalage pour préciser que seuls les dirigeants ayant bénéficié jusque-là de faveurs et d'un traitement privilégié sont concernés, une manière de jeter l'opprobre sur ces derniers et de les désigner à la vindicte populaire. En fait, le corrupteur c'est qui ?Très clairement, il est anormal et injuste de faire payer les insuffisances de gestion des administrations chargées de gérer le flux et le reflux des voyageurs aux demandeurs de visas sous prétexte qu'une poignée d'entre eux pourraient resquiller. Ce jugement de valeur fait d'à priori, qui considère sans aucun discernement, que tout demandeur de visa est, jusqu'à preuve du contraire, un resquilleur est arbitraire, infamant et indigne d'un État de droit. Il est juste instructif de se poser la question pour comprendre pourquoi les pouvoirs politiques français n'avaient pas retenu l'angle d'attaque, comme cela se passe au niveau mondial, la sanction économique ? La réponse est certainement dans la structure de nos échanges commerciaux largement favorables à l'économie française. La France nous achète des hydrocarbures indispensables à son économie, a implanté depuis les années 1980 quelques 450 entreprises pour pomper les devises que nous procurent le gaz et le pétrole et écouler en Algérie ses produits manufacturés.
ÉLÉMENTS DÉCLENCHEURS DE CETTE SALVE DE DÉCLARATIONS
Nonobstant les questions liées à la campagne électorale qui s'annonce rude et dont l'issue est des plus incertaines, un certain nombre de faits et évènements pourraient avoir agacé le Président français pour le faire sortir de ses obligations de réserve, de perdre son sang-froid au point de quitter la diplomatie (science des rapports internationaux) pour calomnier, invectiver, dénoncer, outrager, manipuler l'histoire. Parmi ces événements qui rognent sérieusement l'emprise que la France officielle avait sur notre pays durant de longues années, il convient de citer :
- le retour en force, tant attendu, sur la scène internationale de la diplomatie algérienne caractérisée par sa constance et son indépendance, qui rappelle fièrement celle conduite par le regretté Mohamed Seddik Benyahia, dont le point d'orgue fut la libération des diplomates américains retenus en otage par les Ayatollah iraniens ;
- la rupture inattendue des relations diplomatiques avec son protégé royaume marocain qui vivait depuis longtemps en concubinage avec l'entité sioniste avait décidé d'officialiser cette relation contre nature par les liens sacrés du mariage contre une promesse faite par un président sans pouvoirs, la reconnaissance du droit de propriété du Maroc sur le Sahara occidental ;
- la déclaration officielle des autorités algériennes signifiant clairement que la rupture des relations diplomatiques avec le makhzen est sans appel et qu'elle n'est sujette à aucune médiation, ferme définitivement la porte aux tentatives de l'Elysée de se saisir de ce dossier ;
- la fin de l'attribution de juteux marchés de gré à gré selon la procédure accélérée, le renouvellement des contrats de service et la remise en cause des avantages mirobolants accordés à certaines sociétés françaises, inquiète les milieux d'affaires et politiques.
- La décision inattendue des autorités algériennes de fermer le gazoduc MEDGAZ alimentant le Maroc en gaz algérien, (gaz fourni à prix d'ami 20% moins cher), pose de sérieux problèmes aux entreprises françaises installées au Maroc.
DIVISER POUR GAGNER : LA STRATÉGIE DE RECONQUÊTE DU PERDU
En politique rien ne se fait au hasard surtout quand on a à sa disposition une armada de conseillers et d'experts en tout genre et dans tous les domaines qui arrivent à qualifier une attaque virulente contre un pays et ses institutions, que rien ne justifie en dehors de la campagne électorale française de simple dérapage, un euphémisme qui ne passe pas. C'est pourquoi de prime abord, les propos rapportés par le journal « le Monde » tenus par le Président de la République Française devant 18 jeunes médusés, ne peuvent et ne doivent être interprétés autrement que comme une attaque en règle contre nos institutions et au-delà. Il a usé et abusé de sa posture présidentielle, convaincu qu'il est, pour faire non sans arrogance, dans le déni de notre histoire plusieurs fois millénaires en déclarant que l'Algérie est une « création française » rejoignant ainsi, la cohorte de nostalgiques de l'Algérie française, dont l'aboyeur en est le porte étendard.
« Macron excelle dans l'art de diviser pour régner » (dixit une intellectuelle malienne) ! On ne peut mieux dire. En effet ses dernières déclarations et actions entreprises qu'il convient de rappeler succinctement par ce dernier, corroborent cette affirmation et semblent s'inscrire dans le cadre d'un plan murement réfléchi visant à rassurer un électorat déçu par son bilan et au-delà. Pour arriver à ses fins, se faire réélire et peu importe la moralité des procédés, il s'autorise de passer outre les règles de bienséance que tout responsable se doit d'observer dans ses relations avec l'autre, de s'ingérer dans les affaires intérieures de ses voisins, de juger et de noter les responsables de pays de son ancien empire. Tel un enfant gâté, il transforme le majestueux palais de l'Elysée qui a vu défiler des personnalités hors du commun en une vaste cour de récréation où l'on peut se lâcher sans retenu ni respect pour les lieux et ses camarades. Pourquoi tout ça et en ce moment précis ? Là est la question !Pour avoir une idée plus précise de la stratégie mise en place en vue de l'élection présidentielle prochaine, il est utile de rappeler les éléments saillants, qui de notre point de vue, font partie intégrante de ce plan de reconquête de l'électorat :
Le rapport Stora sur les questions mémorielles attendu par des crédules comme une avancée, a accouché après plusieurs mois de gestation, d'un sapin de noël enveloppé du burnous de l'Emir AEK, orné de la panthéonisation de Madame Halimi, de la reconnaissance de l'assassinat par la France de notre Grand Ali Boumendjel,... pour cacher une montagne d'horreurs commises à l'endroit de la nature et des humains commises durant 132 ans de colonisation française. Il a aussi permis de remettre en cause les déclarations faites par le candidat Macron à Alger en 2017 et de renoncer à demander pardon au peuple Algérien.
- le recul et le renoncement à la panthéonisation de Madame Gisèle Halimi, présentée pourtant comme mesure phare préconisée par le rapport Stora. Pour glaner les voix des harkis il n'a pas hésité à accéder à la demande des femmes de harkis qui s'opposaient à la panthéonisation de cette dame courage, dont le seul tort est d'avoir défendu des indigènes.
- Réception en grande pompe et au palais de l'Elysée de quelques 300 harkis pour leur demander au nom de la France pardon de les avoir parqués comme des sous êtres (en vérité et dans toutes les cultures les « colabos » désignés sous le vocable de harkis, dans des conditions inhumaines dans des endroits grillagés avec barbelés et miradors pendant de longues années. En même temps, il s'obstine à refuser de demander pardon aux descendants des 45.000 indigènes massacrés le 08 mai 1945 dont des parents et proches, furent mobilisés pour chasser les nazis de la France.
- Rencontre avec les 18 jeunes français au somptueux palais de l'Elysée, à la veille de la commémoration des massacres perpétrés par Papon le 17 octobre 1961 et du déclenchement de la révolution de libération nationale. Le public cible ; 18 jeunes français choisis sur des critères que seul leur auteur en détient le secret. L'objet de cette rencontre est la réécriture l'histoire de la guerre d'Algérie. Cela renseigne sur l'importance de cette messe qui a servi de décor au Président de la République Française pour lancer sa campagne électorale et faire des déclarations inacceptables visant notre pays qui, le moins que l'on puisse dire, déshonorent sa fonction.
- Et ce n'est certainement pas par hasard que parmi ces jeunes convoqués à cette messe on y trouve le petit fils du sanguinaire Salan et le petit fils de notre grand patriote Ali Boumendjel assassiné par la France (assassinat que le président de la république française en place venait de reconnaître) pour entendre leur Président dire que leurs parents leur ont menti sur l'histoire de la guerre d'Algérie et qu'il leur promet dela réécrire.
- Les déclarations, le Président de la République Française, par certains aspects, envoient un signal clair aux organisations classées comme organisations terroristes qu'il héberge déjà, en leur promettant des émissions destinées à diffuser la vraie histoire de l'Algérie (comprendre par-là que celle écrite par ses historiens est entachée de contre-vérités). Soucieux du détail, il n'oublie pas de préciser que ces dernières seront diffusées en langue en arabe et en langue kabyle ! la précision est édifiante !
- Le sommet Afrique-France :hier, c'était les descendants de gaulois, partis coloniser des contrées lointaines pour agrandir leur empire qui avaient fait appel, voire obligé, de pauvres indigènes analphabètes pur porter la tenue de « colabo » harki, pour les aider à coloniser et à piller leurs pays. Les temps ont changé, mais les procédés demeurent globalement les mêmes. Aujourd'hui, fidèles à leurs ancêtres, les enfants de ces rustres gaulois, dont l'actuel Président de la République Française en serait le digne héritier, tout en ne dérogeant pas à ce qu'ils conçoivent comme une règle, ayant évolué en néocolonialistes, avaient décidé de convoquer 3.000 personnes triées sur le volet pour assister à une messe organisée à Montpellier, baptisée pour la circonstance « sommet Afrique-France ». Le but affiché est de dresser ce qu'ils nomment pompeusement « société civile » contre les dirigeants de leurs pays qualifiés de vieillissants, de corrompus...etc, et de recruter des« harkis » modernisés, bardés de diplômes, de connaissances, pour servir de têtes de pont au néocolonialisme et gérer directement l'aide extérieure. Pour les promoteurs de ce rendez-vous qui semble avoir bénéficié d'une préparation minutieuse, il n'y pas l'ombre d'un doute que les jeunes africains allaient adhérer allégrement à cette démarche visant à court-circuiter les États et qu'ils dégageront leurs dirigeants pour permettre à leur mentor de régenter leurs pays respectifs. Aveuglés qu'ils sont, ces apprentis néocolonialistes oublient d'admettre que cette ère est définitivement révolue et que les aspirations des Africains en général et de sa jeunesse en particulier n'est pas de servir de suppôts aux visées néocolonialistes mais de support au développement et à l'émancipation de leurs pays.
- Le Président de la République Française, non repu avec tout ce qu'il s'est permis de déverser comme fiel sur notre pays et ses institutions, affirme de manière péremptoire, que l'Algérie est une « création française » confortant ainsi, les promoteurs et les défenseurs de la colonisation positive. Et pour caresser dans le sens du poil et rassurer l'électorat de droite réactionnaire, il franchi sans état d'âme le Rubicon en passant par perte et profit, les quelques cinq millions d'indigènes victimes de la colonisation française et la dévastation de notre écosystème par l'atome et le napalm.
L'INSTRUMENTALISATION DE L'ALGÉRIE POUR DES BESOINS DE POLITIQUE INTÉRIEURE
À travers les faits historiques saillants rappelés ci-après pour souligner le fait que notre pays a de tout temps été utilisé par les pouvoirs politiques français pour faire diversion, sauvegarder leurs privilèges et faire prospérer leur économie. Deux siècles plus tard, pour sauver le soldat Macron, ou à défaut, son clone idéologique, à l'élection présidentielle prochaine, ses promoteurs n'ont pas dérogé à la règle en choisissant de s'en prendre, sans raison, à notre pays pour mobiliser leurs électeurs.
- Décidée en conseil des ministres le 31janvier 1830, l'expédition d'Alger, pour sauver l'autorité chancelante du roi de Charles X, opération en préparation depuis 1827, a permis au roi de garder pour quelque temps son trône et à la France de s'affranchir du paiement du blé qu'elle avait reçu d'Algérie, faire mains basse sur les richesses et les réserves d'or évaluées par des historiens et des chancelleries à environ 3.000.000 or, éloigner les officiers présentant un danger, agrandir son empire. Évidemment, la prise d'Alger fut fêtée dans l'allégresse et la joie par le gotha de la classe politique et bien naturellement l'église.
-1ière et 2ième guerres mondiales, notre pays occupé avait servi de base arrière pour la métropole occupée, fourni de la chair à canon, approvisionné la population et l'armée françaises, au détriment bien évidemment de la population indigène décimée par les maladies et la faim, fournir des matières premières pour faire fonctionner son industrie.
1954, Les gouvernants de la 4ième République très chancelante, avaient, pour sauver les meubles, du moins ce qui reste de cette dernière, pris comme mesure de sauvegarde, le transfèrement des officiers défaits dans la bataille de Dien Bien Phu au Vietnam, humiliés par le Général Giap, directement en Algérie pour leur offrir en guise de consolation un champ de tir où ils pouvaient canarder à volonté des indigènes, chose qu'ils avaient faite avec l'extrême sauvagerie pour assouvir leur soif de sang, laver leur honneur et se réhabiliter aux yeux des tenants de la colonisation. Ils subiront, en Algérie, une 2ième humiliation dont ils se souviendront à jamais pour transmettre à leur descendance un récit orienté.
-1962, Pour sauver la France, isolée diplomatiquement au niveau mondial grâce à la diplomatie agressive, engagée et patriotique menée par le FLN qui avait rallié à notre cause un grand nombre de pays et la guerre que lui avait livrer sur le terrain notre ALN, soutenues par tout un peuple, les gouvernants français, contraints et forcés, avaient entrepris de s'asseoir à la table des négociations qui ont débouché sur les accords dits d'EVIAN. Effectivement, l'indépendance de notre pays a permis à la France de repartir économiquement et diplomatiquement à la reconquête de sa place sur la scène mondiale.
-1982 ; La visite officielle, d'ailleurs très folklorisée, effectuée en France en 1982 par le président algérien (soit vingt ans après notre indépendance), une France dirigée alors par celui qui avait dit que l'Algérie c'est la France et n'avait pas hésité à faire actionner à trois reprises, (ce qui en droit est interdit), la guillotine sur le coup de notre Zabana, s'était soldée par une moisson de contrats juteux qui ont permis à la France de se redresser économiquement, de se replacer premier fournisseur de notre pays devenu poubelle de cette dernière (les voitures de moins de trois ans) et d'ouvrir le marché algérien aux entreprises françaises pour le siphonner. Le néocolonialisme, c'est aussi ça !
Conclusion
Affirmer péremptoirement que le peuple algérien cultive la haine, histoire de justifier les bouillons de culture de la haine anti ex colonisés (particulièrement visés les algériens), est une façon tendancieuse de faire passer aux yeux de l'opinion publique française, les Algériens pour ce qu'ils ne sont pas. Ce que l'auteur de cette avalanche de déclarations méprisantes indignes d'un chef d'État, doit savoir, au minimum, deux choses :
-1- Pour le peuple algérien, la haine c'est péché et de fait, il la rejette et la combat car elle est tout bonnement contraire à ses croyances et à ses valeurs intrinsèques.
-2- La famille et l'esprit de famille qui caractérisent le peuple algérien constituent la ligne rouge qu'il n'est pas permis de franchir. Ce qui est permis aux membres de la famille à l'intérieur de celle-ci ne l'est pas forcément aux étrangers. Autrement dit, quand la famille est attaquée même verbalement, tous ses membres, transcendent leurs éventuels différents pour se dresser comme un seul homme pour défendre l'honneur de la famille à l'exception de quelques uns : comme Boualem SANSAL dont Eric Zemmour le haineux nous dit compter comme son ami en s'appuyant sur son argumentaire, pour ne pas dire sa « prophétie » de voir la France plongée dans la guerre civile si la droite et son extrême ne récupère pas le pouvoir pour nettoyer la France de la « vermine » algérienne en premier. Il y a aussi Addi Lahouari « l'inventeur » de la régression féconde (à propos du FIS) qui dans son statut « d'intello de service », a volé au secours de Macron par son écrit dans le journal le Monde. Ils ne sont malheureusement pas les seuls, ces « colabos » qui ont vendu leur dignité et celle de « leur » peuple en contrepartie d'une reconnaissance éphémère, pour qu'il soit utile d'en établir la liste exhaustive... Faut-il encore remercier Zemmour et Macron pour avoir débusquer ces « lièvres honnis » ? Les Algériennes et les Algériens sauront se souvenir ! Et l'Histoire de l'Algérie en marche retiendra !
Pour conclure il est toujours utile de rappeler une des sagesses de notre terroir que nos aïeux à travers nos parents, nous ont enseignées ; Ne jamais oublier que la personne que vous avez humiliée publiquement cherchera à se venger, il faut s'en méfier. Et si par le fait d'une force majeure vous devez faire un bout de chemin ensemble, il faut la mettre devant ou à défaut sur le côté et garder des distances de sécurité. Les colonialistes français, administration et armée, humiliés par des indigènes, n'oublient pas et semblent, si l'on juge à travers les déclarations de l'actuel Président de la République Française et pas que, pas prêts d'oublier. C'est pourquoi cette sagesse que nous ont léguée par nos aïeux est plus que jamais d'actualité et mérite d'être observée dans nos relations avec l'ex puissance coloniale. Ne dit-on pas à toute chose malheur est bon !? Les déclarations du Président de la République Française doivent nous interpeler et nous incitent à rester vigilants et unis pour signifier clairement aux nostalgiques de l'Algérie Française que nous somme une famille.
Je reste persuadé que les déclarations intempestives et autres provocations sus-rappelées, auxquelles il faut ajouter toutes celles qui ne sont pas rendues publiques, qui ont heurté profondément les patriotes attachés à leur indépendance très chèrement acquise, produiront un effet contraire à celui attendu par leurs auteurs et ne manqueront pas de booster notre cohésion nationale, déjà au beau fixe, comme vient de le démontrer le mémorable mouvement populaire authentique de février 2019.
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