Capture d’écran floutée de la vidéo diffusée sur les réseaux sociaux et montrant la colère de l’ambulancier, le 27 juin 2023 à Nanterre. (TWITTER)
Jugé jeudi en comparution immédiate pour « outrage » à l’encontre d’un policier, l’ambulancier, dont la colère a fait le tour des réseaux sociaux mardi après la mort de l’adolescent, a été dispensé de peine. Son collègue qui a filmé la scène a été relaxé.
D’emblée, il pleure. Pleure à nouveau. Puis pleure encore, emportant dans le flot de ses intarissables larmes la 16e chambre correctionnelle du tribunal judiciaire de Nanterre. Juste en bas, ce jeudi 29 juin après-midi, au pied du palais de justice qui jouxte la préfecture des Hauts-de-Seine, plusieurs milliers de personnes convergent. La marche blanche en hommage au jeune Nahel, 17 ans, tué mardi par un policier lors d’un refus d’obtempérer, s’est élancée un peu plus tôt de son quartier Pablo-Picasso.
Marouane D., lui, n’a pas pu s’y rendre. Il est là, traits tirés et air accablé dans le petit box vitré de cette grande salle aux bancs clairs, sans fenêtre, d’où l’on perçoit le bruit de quelques pétards tirés depuis la rue. Bras croisés et polo marine siglé du nom de sa société, il se tient droit à côté de son collègue Amine Z., en veste manches longues portant le même sigle. Leur tenue de mardi, quand ils ont été placés en garde à vue.
Ils sont jugés en comparution immédiate. Marouane D. pour « outrage » à policier. Amine Z. pour « divulgation d’information personnelle permettant d’identifier ou de localiser » un policier, l’exposant à un risque d’atteinte. C’est Marouane D. qu’on voit invectiver un policier sur cette vidéo publiée sur le réseau social Snapchat qui a tant circulé, depuis mardi, au point de largement dépasser le million de vues. C’est son collègue qui l’a filmée et diffusée.
« Tu vas voir ! Tu vas payer ! Je vais t’afficher sur les réseaux sociaux ! Tu ne vas plus vivre tranquille, frère ! » énonce en préambule la présidente pour rappeler les propos valant à Marouane D. d’être jugé. L’ambulancier de 32 ans les reconnaît « totalement ». Il pleure.
Sur les images tournées par son collègue, on le voit aussi s’adresser hors de lui en ces termes à un des policiers présents mardi devant l’entrée des urgences de l’hôpital Max-Fourestier de Nanterre : « Là, tout le monde est en train de dormir, vous allez voir comment Nanterre va se réveiller. Il a 19 ans [en réalité 17 ans], tu vois qu’il a une gueule d’enfant. Pour un défaut de permis ! Pour un défaut de permis, frère !Je le connais le petit, je l’ai vu grandir ! »
« Amalgame »
Mardi matin, Marouane D. vient de déposer un patient quand un ami l’appelle et lui apprend ce qu’il vient de se passer. Il lui envoie la vidéo. Puis Marouane D. apprend que c’est Nahel, qu’il connaît si bien, qui est la victime de ce tir policier. « Pile-poil à ce moment-là, j’arrive aux urgences, je vois un policier avec l’écusson de la brigade motocycliste et il me dit bonjour, explique Marouane D. mais je ne peux pas dire bonjour à quelqu’un qui a tué quelqu’un que je connais. » Il pleure. « Ce n’est que de l’émotion, madame », dit-il en admettant « avoir fait l’amalgame ».
« On ne peut pas mettre tout le monde dans le même sac, poursuit l’ambulancier en se confondant en excuses, j’ai vidé mon cœur, je regrette, je n’ai jamais voulu en arriver là. » Juste après, devant l’entrée des urgences où il doit récupérer un patient, le jeune homme est plaqué au mur, menotté, interpellé. « On m’a dit “t’as menacé de mort notre collègue”, mais c’était l’émotion », repète-t-il sans cesse.
C’est quand l’officier de police judiciaire lui lit ses propos, en garde à vue, qu’il prend conscience de leur teneur. « J’ai dit des choses assez graves quand même, admet-il, mais à aucun moment je n’ai voulu nuire. Je suis quelqu’un de très discret. » Des larmes roulent encore sur ses joues. Père de famille ayant grandi à Nanterre, l’ambulancier apprécié de ses patients et de son employeur présent dans la salle, qui a obtenu son diplôme haut la main avec une note de 19,5, souhaite se racheter. « Je l’ai accusé pour rien, s’il veut que je refasse une vidéo pour m’excuser… » S’il s’est laissé dépasser par son émotion, dit-il aussi, c’est parce qu’il connaissait si bien Nahel, son ancien voisin.
« Nahel, on le surnommait “Michelin” »
« La semaine dernière encore, il était avec ma fille, dit-il au tribunal, ma mère le connaît, mes frères et sœurs le connaissent. » Sa mère gardait Nahel quand il était petit. « Quand il est né, on le surnommait “Michelin” comme le bonhomme parce qu’il était un peu gros », se souvient-il aussi en pleurs. « C’est comme s’il faisait partie de ma famille, c’est comme si on m’avait enlevé mon petit frère », livre-t-il encore. En tant que professionnel de santé, c’est sûr, il aurait dû prendre sur lui : « J’ai dû faire face dans mon métier à des situations difficiles, mais Nahel était vraiment quelqu’un de proche. »
A sa gauche, son collègue Amine Z. est à son tour invité à s’expliquer. « J’ai l’habitude de “snapper” mon quotidien, quand je filme, je ne fais pas exprès, ce n’est pas dans le but de nuire à qui que ce soit », déclare-t-il au tribunal. S’il a filmé la scène, c’est pour « se protéger » : « Je ne voulais pas qu’on m’accuse de quelque chose que je n’avais pas fait », poursuit-il en affirmant ne pas s’entendre avec Marouane D. et vouloir changer de binôme. « Je suis en insertion, j’ai été addict aux jeux d’argent, j’ai des dettes, j’essaie de m’en sortir en travaillant. »
Ces images, il les a ensuite publiées sur Snapchat « en story privée », soit dit-il à une trentaine de ses contacts. « Je n’aurais pas dû filmer,dit-il, je m’excuse ».« Le problème, c’est que ce qui est sur la toile est indélébile », répond l’avocate du policier, en arrêt de travail depuis, qui défend deux autres agents visibles sur les images, « à un moment un zoom est fait sur le policier, et envoyer ces images à 30 ou 10 000 personnes, c’est la même chose ».
« Conséquences dramatiques »
Le procureur n’est pas convaincu. « Quel intérêt de filmer ? Pourquoi votre première réaction n’est-elle pas de calmer votre collègue ? Et puis filmer pour vous protéger, c’est une chose mais pourquoi diffuser ces images ? Vous saviez, à partir du moment où il était identifié, que cela allait avoir des conséquences dramatiques pour le policier et sa famille. » Le délit reproché à Amine Z., récent, a été créé en 2021 après l’assassinat du professeur d’histoire-géographie Samuel Paty. Le procureur requiert à l’encontre d’Amine Z. douze mois de prison, à l’encontre de Marouane D. trois mois de prison avec sursis et 600 euros d’amende.
L’avocate de ce dernier, Sarah Mauger-Poliak, elle, n’en revient toujours pas que son client soit là pour cela. « Quand la famille m’appelle et me dit qu’il va être jugé en comparution immédiate, je me dis qu’ils ne sont pas au courant de tout, lance-t-elle à la barre, mais si : il a bien fait 48 heures de garde à vue pour un malheureux outrage qu’il regrette sincèrement. »
A elle, alors, de hausser le ton : « Il est où l’outrage ? C’est “Tu vas voir !”, “Tu vas plus vivre tranquille, frère !” On a combien d’outrages chaque jour ? Quand on connaît l’engorgement des juridictions, s’il fallait venir déférer tous les outrages… » Et d’ajouter : « Fallait-il aussi absolument le menotter ? Ne pouvait-on pas le convoquer ? » Elle demande la relaxe, sinon une dispense de peine.
« Il “snappe” tout »
Sa consœur Mélody Blanc, pour l’autre ambulancier, plaide aussi la relaxe. Pour elle, l’intentionnalité n’est pas caractérisée. « Il “snappe” tout à longueur de journée : ses recettes, ses voyages… Une heure après, quand on lui a dit les proportions que cela prenait, il a supprimé la vidéo. » « Je m’excuse, répète son client, cela va me servir de leçon, je ne savais pas pour la nouvelle loi. »
Son collègue Marouane D. lui emboîte le pas et enchaîne : « Je ne suis pas à l’origine de cette vidéo ni de cet effet boule de neige, dehors on me reconnaît, je n’ai pas les épaules pour cela… Je suis prêt à faire ce qu’il faut pour rétablir la vérité et la dignité de ce policier. »
Le tribunal l’a reconnu coupable, mais compte tenu notamment du contexte et de ses liens avec la victime, l’a dispensé de peine. Son collègue, lui, a été relaxé. Un troisième jeune homme était jugé avant eux pour avoir diffusé, sur Snapchat encore, l’identité et la commune de résidence du policier désormais mis en examen pour le meurtre de Nahel. Avec le commentaire : « C’est le nom de ville du fdp [fils de pute, NDLR] qui a tué notre frère. » Il a été condamné à dix-huit mois de prison dont douze avec sursis probatoire. A ce moment-là, la marche blanche avait déjà pris fin depuis un moment, une nouvelle nuit de violences débutait.
«Après ma tante, il y a eu Bruno, Loïc, Malik, Aïssa, Makomé, Habib, Zyed, Bouna, Lamine, Moushin, Abdelhakim, Gaye, Ali, Wissam, Amine, Nabile, Rémi, Mehdi, Babacar, Adama, Liu, Angelo, Jérôme, Luis, Selom, Matisse, Zineb, Allan, Philippe, Steve, Ibrahima, Cédric, Mohamed, Sabri, Olivio, Souheil, entre autres. Tous ces prénoms me hantent. »
Minutieusement, Jennifer Yezid reconstitue la trame du crime commis en 1973 par un gendarme au cours d’un interrogatoire musclé qu’il fait subir à la petite Malika, 8 ans, pour l’obliger à donner des indications sur son frère qu’ils poursuivent et qui est en train de leur échapper.
L’on suit alors la litanie, bien connue des familles des victimes citées plus haut, des manœuvres visant à innocenter le coupable. Les silences, les mensonges, les déclarations contradictoires, la couverture par l’État et la justice des crimes commis, le non-lieu... L’impunité.
L’autrice nous conduit sur le chemin, balisé par nos morts, du racisme institutionnel, du racisme d’État, du racisme systémique, en prise directe avec la guerre d’Algérie toute proche — nous sommes en 1973 — et la force des pulsions revenchardes et colonialistes.
Sur leurs traces, mémoire vive
Puis Jennifer Yezid, dont la parole est facilitée, ordonnée, rendue possible, par Asya Djoulaït, écrivaine, et Sami Ouchane, historien et sociologue, nous invite à une sorte d’inventaire familial et social des effets catastrophiques de cette affaire sur son histoire, sur l’histoire de sa famille, dont elle est la seule survivante en France. Elle nous donne à voir la naissance de sa parole libre — en phase avec celle de Luca, son enfant — sur les conditions dans lesquelles l’État français a accueilli l’immigration en provenance des colonies, en particulier de l’Algérie.
Conçu comme un « hommage à ceux qui (l)’ont précédée, un don à ceux qui me succèderont », ce livre porte une parole de lutte d’une brûlante actualité.
Vladimir Jabotinsky (centre, avec une canne) et des dirigrants du Betar, 1928
Des juifs ont compté parmi les combattants les plus déterminés dans la lutte contre le fascisme au XXe siècle. Mais d’autres ont ouvertement affiché des idées fascistes. Leur histoire débute en Italie, s’étend en Europe centrale puis en Palestine. Elle se poursuit aujourd’hui en Israël et en France.
Les troupes de Napoléon Bonaparte, parties combattre les Autrichiens qui occupent alors le nord de l’Italie, apportent la liberté politique aux juifs italiens en 1796. Les portes des ghettos sont arrachées et brûlées, les notables juifs peuvent siéger dans les municipalités. La population juive en Italie est alors estimée à 30 000 personnes. Avec la chute de Napoléon, la condition des juifs est remise en question : les autorités catholiques les avaient identifiés aux Français athées. Ils sont alors victimes d’émeutes antijuives tandis qu’on retourne aux lois anciennes les concernant, particulièrement dans les États pontificaux. Ainsi le ghetto de Rome est rétabli.
PROTAGONISTES DE LA MARCHE SUR ROME
La participation de certains juifs à la cause nationale du Risorgimento fut enthousiaste, et des banquiers juifs financent les insurrections anti-autrichiennes dès 1830. Isacco Artom, issu d’une famille aisée du Piémont, volontaire en 1848 contre l’Autriche, devint le secrétaire particulier du comte de Cavour, figure de proue du nationalisme italien. En 1871, onze députés juifs siègent dans le premier parlement de la nouvelle Italie, contre huit au Royaume-Uni, six en France et quatre en Prusse. Le judaïsme italien fournit le premier ministre de la guerre juif de l’histoire moderne : Giuseppe Ottolenghi, et deux premiers ministres : Luigi Luzzati et son prédécesseur Sidney Sonnino. Ernesto Nathan est maire de Rome de 1907 à 1913. Des juifs font bâtir des synagogues monumentales à Turin, puis à Florence et à Rome. En 1911, l’Italie conquiert sur l’empire ottoman les colonies de Cyrénaïque et de Tripolitaine où habite une communauté juive de plusieurs dizaines de milliers de personnes.
Avec la première guerre mondiale, pour la première fois dans l’histoire européenne, des juifs se trouvent engagés dans un combat qui les oppose à d’autres soldats juifs. En effet, 5 000 juifs de l’armée italienne affrontent, sur les champs de bataille, 350 000 juifs de l’armée austro-hongroise, 600 000 soldats juifs russes, 50 000 juifs dans les rangs des Britanniques, autant dans l’armée française et 100 000 dans l’armée allemande.
Benito Mussolini fonde le fascisme à Milan après la première guerre mondiale. Dans les confrontations avec les membres du Parti socialiste entre 1919 et 1922, trois juifs meurent : Duilio Sinigaglia, Gino Bolaffi et Bruno Mondolfo, déclarés « martyrs fascistes » ; 230 juifs participent à la marche sur Rome et 746 sont inscrits pour certains au Parti national fasciste et pour d’autres au Parti nationaliste, qui fusionnera avec le premier. En 1921, neuf députés juifs fascistes sont élus. Ettore Ovazza, banquier et homme d’affaires, membre du Parti national fasciste, anime le journal La Nostra Bandiera (Notre drapeau), dans lequel est affirmé le soutien des juifs italiens au nouveau régime. Sept cent cinquante juifs avaient alors leur carte de membre du parti fasciste.
Margherita Sarfatti devient la conseillère, la financière, la maîtresse, l’égérie du Duce. Rédactrice de Gerarchia, la revue théorique du fascisme, fondée par Mussolini, elle en trace les principes et les objectifs. Se faisant la chantre de la révolution culturelle fasciste, elle proclame que le temps est venu du « retour à l’ordre » et d’une nouvelle figuration puisant aux sources du classicisme. En 1925, le gouvernement français lui offre le titre de vice-présidente du jury international à l’Exposition internationale des arts décoratifs — elle est aussi commissaire pour le pavillon italien — et la décore de la Légion d’honneur. Elle accède à la célébrité internationale avec Dux, son hagiographie de Mussolini, publiée en 1925 d’abord à Londres (en Italie dès 1926) vendue en 25 000 exemplaires dès la première année, puis à des millions d’exemplaires et traduite en 17 langues.
À la suite de la publication de l’ouvrage aux États-Unis, le patron de presse américain William Randolph Hearst offre à Mussolini des contrats faramineux pour des articles qui le présentent sous le meilleur jour et plaident en faveur du réarmement de l’Italie en vue de son extension coloniale. Le contrat est double, il prévoit qu’ils soient écrits par Margherita Sarfatti et signés par le dictateur. Il sera reconduit jusqu’en 1934.
LE TOURNANT DE 1938
En 1920, la conférence de San Remo décide de l’établissement d’un « foyer national juif » en Palestine, supervisé par les Britanniques. Cette même année, Chaim Weizmann, né en Biélorussie et citoyen britannique depuis 1910 devient le président de l’Organisation sioniste mondiale (OSM), et le restera presque sans interruption jusqu’en 1946. Le sionisme est en plein essor. En 1922, les sionistes obtiennent 32 élus (sur 47 députés et sénateurs juifs) au Parlement polonais. Weizmann rencontre Mussolini à trois reprises. Lors de la seconde, en 1934, ce dernier déclare que Jérusalem ne peut être une capitale arabe ; Weizmann propose de mettre à disposition de l’Italie fasciste une équipe de savants juifs. Près de 5 000 juifs italiens adhèrent à cette époque au parti fasciste sur une population juive italienne de 50 000 personnes.
Guido Jung est élu député sur la liste fasciste et nommé ministre des finances de 1932 à 1935, alors qu’à Maurizio Rava est confiée la charge de gouverneur de Libye et de Somalie, ainsi que celle de général de la milice fasciste. De nombreux bourgeois juifs participent au financement de la guerre d’Éthiopie. Beaucoup de juifs s’engagent dans les troupes pour lesquelles on crée un rabbinat militaire. Mussolini nomme l’amiral Ascoli commandant en chef des forces navales. La Betar Naval Academy est une école navale juive établie à Civitavecchia en 1934 par le mouvement sioniste révisionniste sous la direction de Vladimir Jabotinsky, avec le soutien de Mussolini. L’école participera à la guerre d’Éthiopie en 1935-1936. Certains futurs officiers de la marine israélienne en seront issus.
La campagne de discriminations racistes et antisémites du fascisme italien débute officiellement en 1938. Les reproches formulés à l’encontre des juifs sont qu’ils se croiraient d’une « race supérieure » et formeraient le terreau de l’antifascisme. Huit mille juifs italiens sont exterminés entre 1943 et 1945 dans la destruction fasciste, raciste et antisémite des juifs d’Europe sur un total estimé à six millions de juifs assassinés.
DE RIGA À JÉRUSALEM PAR LA VIOLENCE
À Riga en Lettonie vivaient 40 000 juifs après la première guerre mondiale. En 1923, des étudiants juifs y créent le Betar, une organisation de jeunesse nationaliste juive et anticommuniste. Zeev Jabotinsky en prend la direction. Il est l’objet d’un culte de la personnalité inconnu jusqu’alors dans le sionisme. Les militants du Betar presseront Jabotinsky de créer un mouvement politique pour regrouper la droite nationaliste. Le Betar prend une orientation paramilitaire.
Jabotinsky fonde à Paris en 1925 l’Alliance des sionistes révisionnistes. Le terme « révisionniste » exprime leur volonté de « réviser le sionisme ». En 1928, trois hommes entrent au Parti révisionniste. Ils viennent de la gauche sioniste, mais se sont retournés contre elle et affichent maintenant des sympathies fascistes. Ce sont le journaliste Abba Ahiméir, le poète Uri Zvi Greenberg et le médecin et écrivain Yehoshua Yevin. Ils organisent une faction fasciste et radicale en Palestine mandataire et rêvent d’une organisation de « chefs et de soldats ». Ahiméir fait figure d’idéologue et influence fortement le Betar. Menahem Begin intègre le Betar en 1928, puis en prend la tête en 1939.
David Ben Gourion est l’un des dirigeants de l’aile droite de la gauche sioniste. Il privilégie le nationalisme par rapport au projet de transformation socialiste. En particulier, Ben Gourion s’opposera à ce que des travailleurs non juifs (palestiniens) puissent être organisés au sein du syndicat juif en Palestine, Histadrout. Il est également un des partisans du soutien de la gauche sioniste à Weizmann comme président de l’OSM.
Au début 1933, Ahimeir déclare qu’il y a du bon en Adolf Hitler, à savoir la « pulpe antimarxiste ». Ben Gourion traite alors Jabotinsky de « Vladimir Hitler ». Eri Jabotinsky, le chef du Betar en Palestine était le fils de Vladimir Jabotinsky. Ben Gourion redevient en 1935 président de l’Agence juive, et démissionne de son poste au sein de la Histadrout. Il devient alors le principal dirigeant sioniste en Palestine et se rapproche de Jabotinsky. De 1936 à 1939, des Arabes se révoltent contre le mandat britannique. Cette révolte exprime aussi le refus de voir un « foyer national juif » s’installer en Palestine, un des objectifs du mandat.
Durant cette révolte, la Haganah se développe fortement. Groupe armé de défense des juifs de Palestine, officiellement interdite par le mandat britannique, elle était depuis sa création en 1920 sous l’autorité de la Histadrout. Passée en 1931 sous la direction de l’Agence juive, son responsable politique suprême était Ben Gourion.
Jabotinsky décide en 1935 que le parti révisionniste doit quitter l’OSM dominée par les socialistes. Pour obtenir le ralliement des religieux, le parti révisionniste, originellement aussi laïc ou presque que la gauche, prend un virage vers la religion. Dans les années 1970, il bénéficie de cette nouvelle orientation à laquelle il est resté fidèle depuis 1935, ralliant à lui les partis religieux.
NATIONALISTES ET RELIGIEUX AU POUVOIR
Ben Gourion et ses alliés incarnent les succès du nationalisme juif radical avec la création d’un nouvel État-nation en Palestine en 1948. Il a imposé son autorité sur les groupes armés, et les a fondus dans une armée nationale unique. Créé la même année par Begin, le parti Hérout reprend l’idéologie nationaliste et colonialiste du parti révisionniste : annexion de la Cisjordanie, de la bande de Gaza et de la Jordanie, pour former un « grand Israël » sur les deux rives du Jourdain, libéralisme économique, anticommunisme, hostilité à la gauche, exaltation de l’armée.
En 1973, le Hérout et le Parti libéral fondent un nouveau parti, le Likoud, dirigé par Begin. L’idéologie est surtout celle du Hérout et de l’ancien parti révisionniste. Puis, en 1977, le Likoud remportera les élections, et mettra fin à un demi-siècle de domination politique de la gauche sioniste. En 2022, le Likoud et ses alliés nationalistes religieux remportent une majorité au Parlement, permettant le retour de Benyamin Nétanyahou au poste de premier ministre. Ce gouvernement est le plus à droite et le plus nationaliste et colonialiste de l’histoire du pays, intégrant des partis nationalistes de droite, des ultra-orthodoxes (haredim) et des représentants des colonies juives.
Un déchaînement de violence inouï, inédit, se produit en Cisjordanie occupée. Des centaines de colons juifs israéliens attaquent la ville palestinienne de Huwara, au sud de Naplouse. Des dizaines de maisons et de voitures sont incendiées. Bilan : un Palestinien tué et une centaine de blessés, après la mort de deux colons juifs tués par un Palestinien le 26 février 2023. Le ministre des finances israélien Betsalel Smotrich avait appelé à « anéantir » Huwara. Le 19 mars 2023, Smotrich est venu à Paris, à une soirée de gala, organisée par une association française juive nationaliste radicale et sioniste de droite radicale, Israel is forever.
EN FRANCE, LE NATIONALISME FLEURIT
Éric Zemmour n’est pas le premier juif à incarner le nationalisme français. Parmi ses précurseurs, on compte dans les années 1930 l’avocat Edmond Bloch. Il avait mis sur pied l’Union patriotique des Français israélites (UPFI), destinée à combattre la gauche, les communistes, les socialistes et leur chef Léon Blum comme l’a raconté Charles Enderlin.
Pendant l’occupation fasciste du territoire français de 1940 à 1944, Edmond Bloch collabore activement. Il est protégé par le député nationaliste radical Xavier Vallat, premier commissaire général aux questions juives de mars 1941 à mai 1942, qui mettra en œuvre les discriminations antijuives ciblant prioritairement les juifs étrangers. Après la Libération, Bloch sera un des témoins à décharge au procès de Xavier Vallat devant la Haute Cour de justice, lui évitant le peloton d’exécution. Bloch n’a pas changé d’idéologie. En 1954, il écrit : « Pierre Mendès-France (le socialiste, chef du gouvernement) n’engage que lui… Ses coreligionnaires ne demandent à partager avec lui ni gloire ni opprobre ». Converti au catholicisme, Edmond Bloch meurt en 1975 à Paris.
UN GRAND AMI DE L’ANTISÉMITE JEAN-MARIE LE PEN
Éric Zemmour est issu d’une famille bourgeoise de juifs d’Algérie arrivée en métropole en 1952. Dans cette famille, le patriotisme est une valeur cardinale, et la question de l’identité est centrale. Journaliste, il plaide dès les années 1990 pour l’union nationaliste des droites, fort d’une proximité cultivée avec le fondateur du Front national, Jean-Marie Le Pen, qu’il est le seul journaliste à appeler « président », et avec son rival Bruno Mégret.
Zemmour a déjeuné, en 2020, avec Jean-Marie Le Pen et Ursula Painvin, fille de Joachim von Ribbentrop, ministre des affaires étrangères du IIIe Reich, pendu en 1946 après le procès de Nuremberg. Depuis Berlin, Ursula Painvin encourage Éric Zemmour avec ses « pensées les plus admiratives et amicales ». En 2021, Zemmour annonce le nom de son parti politique : Reconquête. Il fait référence à la reconquête militaire de la péninsule ibérique par des royaumes chrétiens contre les États musulmans du VIIIe au XVe siècle. Reconquête devient le parti des nationalistes identitaires. Le nationalisme raciste, xénophobe et islamophobe de Zemmour contribue à la banalisation du nationalisme radical de Marine Le Pen et de son parti, le Rassemblement national (RN).
Quand les problèmes s’aggravent et que les tensions s’exacerbent, les fascistes se présentent d’un côté comme les troupes de choc du nationalisme, prêts à en découdre avec les traîtres à la patrie, à envahir les parlements ou à les incendier pour mettre fin à petit feu ou brutalement à la démocratie, et de l’autre côté comme les seuls capables de rétablir la grandeur nationale et l’ordre économique, social, moral ou religieux par des régimes illibéraux, autoritaires ou dictatoriaux. Des juifs fascistes comme Betsalel Smotrich et Éric Zemmour incarnent ces combats contre la démocratie et les droits humains.
La talentueuse écrivaine Claire Etcherelli, dont le premier roman « Élise ou la vraie vie » avait connu un franc succès en 1967, a tragiquement rendu son dernier souffle le dimanche 5 mars à l'âge de 92 ans.
Une étoile de la littérature française s’est éteinte et c’est son dernier éditeur qui a annoncé la terrible nouvelle de son décès. Née le 11 janvier 1934 à Bordeaux, elle a traversé une enfance marquée par une tragédie : la mort de son père exécuté par les Allemands en 1943.
Dès l'âge de 19 ans, elle a embrassé une carrière d'écrivaine et s'est plongée dans l'écriture, mais il a fallu plusieurs années pour que la plume de cette romancière donne naissance à son premier roman emblématique « Élise ou la vraie vie », publié aux éditions Denoël en 1967.
L’intrigue d’Élise ou la vraie vie
Roman d’inspiration autobiographique qui a reçu le prix Femina 1967, il raconte l'histoire tragique d'amour entre une Française et un travailleur immigré, tout en développant une réflexion sur la guerre d'Algérie et ses conséquences sociales.
Ce livre aborde également la notion du racisme dans la société française des années 1950-60, qui était une réalité bien présente, en particulier pour les immigrés maghrébins qui étaient souvent victimes de brimades. Ce livre a été traduit en anglais ainsi que dans plusieurs autres langues.
Du roman à l'écran
Cette œuvre d’Élise ou la vraie vie de Claire Etcherelli était porté à l'écran en 1970, par le réalisateur français Michel Drach et l'actrice Marie-José Nat dans le rôle principal.
Née en 1940 à Bonifacio d'un père kabyle et d'une bergère corse, Marie-José Nat a eu une carrière remarquable, étant dirigée par des réalisateurs aussi célèbres que Henri-Georges Clouzot pour le film « La Vérité ». L’actrice française, Marie-José Nat s’est éteinte le jeudi 10 octobre 2019 à Paris à l'âge de 79 ans des suites d'une longue maladie.
Une fin de carrière difficile
La plume littéraire de Claire Etcherelli a beaucoup plus à Simone de Beauvoir, qui l’a embauché comme secrétaire de rédaction en 1973 au sein de la revue Les Temps modernes.
Elle a publié cinq autres romans entre 1971 et 2021, dont les deux premiers aux éditions Gallimard qui n'ont pas connu le même succès que son premier ouvrage. Ses obsèques ont eu lieu le jeudi 9 mars à Paris.
Petite devinette: quelle personnalité politique s'est révoltée ces derniers jours contre "un plan criminel" destiné à "modifier la composition démographique" de son pays? Tom Van Grieken? Non! Donald Trump? Encore raté (même si ces deux hommes en seraient capables)! Il s'agit du président tunisien Kaïs Saïed. Car oui, si on a plus l'habitude d'entendre l'extrême-droite européenne et américaine craindre pour l'"extinction des blancs" soi-disant voulue par les "élites", cette même théorie du complot intrinsèquement raciste peut être reprise... en Afrique. Cette fois, le très autoritaire chef d'État maghrébin craint pour l'"appartenance arabo-islamique" de la Tunisie face à l'immigration subsaharienne. Qu'importe que ces migrants représentent seulement, selon les sources, entre 21.000 et 59.000 personnes (pour un pays de 12 millions d'habitants)! Au moins, le régime fait oublier l'abolition des contre-pouvoirs (exécutif, législatif et judiciaire), la répression des opposants (politiques, médiatiques, syndicaux) jugée infondée par l'ONU, ainsi que la crise socio-économique (chute du tourisme, pénuries alimentaires, inflation, etc.).
Cette prise de parole, qui a ouvert grand les portes à la haine envers les Subsahariens, rappelle néanmoins que le fait que l'idée d'un "grand remplacement" n'est une particularité ni de l'Occident, ni même de notre époque. Si cette théorie conspirationniste a pris sa forme actuelle sous la plume de l'écrivain français d'extrême-droite Renaud Camus en 2010, on peut la retrouver sous d'autres aspects à des époques anciennes et ce dans de nombreux pays.
Italiens, Chinois, Subsahariens: déjà ciblés au XIXe siècle
Cette peur du "grand remplacement" est déjà bien présente à la fin du XIXe siècle. En atteste par exemple la crainte suscitée par les migrants venus de pays comme l'Italie, particulièrement nombreux à cette époque-là. L'idée émerge qu'ils pourraient remplacer la population préexistante, et ce autant dans la France traumatisée par sa défaite de 1870 qu'aux USA après la Guerre de Sécession. Outre-Atlantique, une "Ligue de restriction de l'immigration" est même crée en 1894, ses partisans étant "convaincus que les traditions, les peuples et la culture anglo-saxons étaient noyés dans un flot d'étrangers racialement inférieurs d'Europe du Sud et de l'Est", comme le fait savoir Erika Lee, directrice de l'Immigration History Research Center.
Parmi les autres fantasmes de l'époque, il y a le "péril jaune" venue d'Extrême-Orient et l'"invasion noire", comme le nomme Émile Driant, le gendre du général Georges Boulanger. En 1901, l'Australie a même tout simplement interdit l'immigration asiatique, de peur de perdre son caractère britannique. Un journaliste français, Émile Faguet, s'inquiète aussi en 1895 dans le "Journal des Débats" de voir la population chinoise doubler en 60 ans et celle "nègre" en 40 ans. "Où courent-ils ? Chez nous, par les chemins que nous avons battus", s'insurge-t-il. "La grande île blanche, l’Europe, sera bientôt battue, bientôt entamée par l’énorme mer montante [...] Nous avons aplani le monde pour amener chez nous les races étrangères ; nous l’avons rétréci pour rapprocher de nous ceux qui doivent nous dévorer".
En 1899, un anthropologue qui deviendra un des grands théoriciens de l'eugénisme, Georges Vacher de Lapouge, ne dit pas autre chose. "On ne rencontre pas encore à Paris autant de jaunes et de noirs qu’à Londres, mais il ne faut se faire la moindre illusion. Avant un siècle, l’Occident sera inondé de travailleurs exotiques (…). Arrive un peu de sang jaune pour achever le travail, et la population française serait un peuple de vrais Mongols", prédisait-il. Idem du côté de l'écrivain et homme politique Maurice Barrès qui se préoccupe de ces "nouveaux Français" qui menaceraient "notre civilisation propre". "Le nom de France pourrait bien survivre ; le caractère spécial de notre pays serait cependant détruit, et le peuple installé dans notre nom et sur notre territoire, s'acheminerait vers des destinées contradictoires avec les destinées et les besoins de notre terre et de nos morts", dit-il.
L'entre-deux-guerres et les juifs toujours plus dans le viseur
En Amérique, le racisme passe à la vitesse supérieure dans la foulée de la Première Guerre mondiale. En 1916, l'avocat eugéniste Madison Grant écrit en 1916 "The Passing of the Great Race" et s'y plaint de voir les protestants anglo-saxons ne pas se reproduire assez vite, avec l'idée qu'ils se feront surpassés par "le Slovaque, l'Italien, le Syrien et le Juif". En 1920, l'historien Lothrop Stoddard prédit que "les races blanches seraient englouties par les races colorées les plus fertiles", en prenant particulièrement pour cible les juifs polonais qualifiés de "parasites humains".
Ici, il n'est plus seulement question du complot des "Sages de Sion" inventé par la police tsariste, selon lequel les juifs voudraient dominer le monde, ni des nombreuses théories antisémites qui se sont succédées depuis le Moyen-Âge. Désormais, c'est le potentiel démographique des juifs qui est craint. Les nazis se feront un plaisir de reprendre le principe. Adolf Hitler surnomme d'ailleurs le livre de Madison Grant "ma Bible". La suite de l'histoire est connue: arrivée au pouvoir en Allemagne, discriminations croissantes envers les juifs puis, in fine, la Shoah. La récupération des idées de Grant par Hitler auront au moins un effet inattendu aux USA: le Ku Klux Klan, qui pavanait fièrement dans les rues américaines avec des propos similaires, tombera encore plus vite en disgrâce.
La théorisation du "grand remplacement"
Après la Seconde Guerre mondiale, la xénophobie ne disparaît pas avec la chute d'Hitler. En France, alors en pleine guerre d'Algérie, un certain Jean-Marie Le Pen s'inquiète à l'Assemblée nationale de l'immigration venue du Maghreb vers la métropole. "Si vous ne faites pas l’Algérie française, vous aurez la France algérienne", s'exclame-t-il. Il ne changera guère de ton durant sa longue carrière politique. Plusieurs déclarations du même style continueront à se faire entendre de temps à autre. En témoigne en 1985 la une du Figaro Magazine, montrant une femme voilée avec comme titre "Serons-nous encore français dans 30 ans?" et des chiffres démographiques jugés inquiétants.
Les néo-nazis continueront aussi de sévir, comme René Binet dans l'immédiat après-guerre puis David Lane qui popularise en 1995 la théorie conspirationniste du "génocide blanc". Cette dernière servira de tremplin final pour Camus et son "grand remplacement", qui imagine un complot des "élites" en ce sens. Il sera ensuite cité par des suprémacistes blancs venus des quatre coins du globe, comme ceux qui ont commis les attentats de Christchurch et de Buffalo. L'extrême-droite française mais aussi internationale en fera tout autant, y compris par des personnalités d'origine immigrée à l'instar d'Éric Zemmour (issu d'une famille juive d'Algérie).
Aujourd'hui, les partisans de cette théorie du complot se réfèrent souvent aux migrations dites "barbares" qui ont marqué la fin de l'Empire romain d'Occident. Une affirmation balayée par l'archéologue Jean-Paul Demoule, auteur d'"Homo migrans". Interrogé par Libération pour savoir s'il y a vraiment eu des "grands remplacements" au cours de l'Histoire, il répond que les deux seuls véritables cas avérés remontent à la Préhistoire. Il y a d'une part l'expansion d'Homo sapiens "aux dépens des autres représentants du genre Homo, que ce soit Néandertal en Europe ou l’Homme de Florès en Indonésie, pour n’en citer que deux", explique-t-il. "Ensuite, le développement de l’agriculture au Néolithique, qui commence vers -12 000, va se solder par la disparition quasi-totale des groupes de chasseurs-cueilleurs". Dans les deux cas toutefois, il n'y a pas eu de violences comparables à l'exemple le plus proche datant d'une époque plus récente: celui de la colonisation européenne, qui a notamment décimé la population amérindienne par les guerres et les épidémies (et non dans le cadre d'une immigration "classique").
Jean-Paul Demoule fait également un constat simple: tout au long de l'Histoire, les humains ont migré pour avoir de meilleures conditions de vie, façonnant ainsi l'humanité telle qu'elle est aujourd'hui (les nations n'étant que des constructions a posteriori sur base de populations qui sont le fruit de multiples origines). En témoignent la propagation à travers la planète des différentes innovations (agriculture, écriture, découvertes technologiques, etc.). Un fait qui n'empêche pas la xénophobie d'exister. "Il faut probablement explorer ici la théorie du bouc émissaire selon laquelle, dans tout groupe constitué, on est tenté d'imputer le mal aux autres, à ceux qui sont différents, aux immigrés, aux 'barbares'. Il semble que toutes les sociétés en aient besoin pour se définir !", conclut l'archéologue dans une interview au Point.
La catastrophe causée par ces séismes est l’occasion pour l’Occident de montrer au monde qu’il peut tout aussi bien reconstruire que détruire. Mais il s’agit bien de la dernière chose à laquelle la forteresse Europe pense aujourd’hui.
Un membre des Casques blancs se tient devant les décombres d’un immeuble lors de la recherche de survivants dans la ville syrienne tenue par les forces antigouvernementales de Jaindairis, le 8 février 2023 (AFP)
Une région de douze fois la taille de la Belgique a été frappée par une vingtaine de séismes en deux jours.
Le séisme d’une magnitude de 7,8 sur l’échelle de Richter qui a frappé la Turquie et la Syrie a produit une explosion équivalente à 7,5 millions de tonnes de TNT. Il a rapidement été suivi d’une réplique de magnitude 6,7 dans le centre et l’est de la Turquie, et d’une autre de magnitude 5,6 à la frontière turco-syrienne.
Près de 800 répliques ont été enregistrées.
Un Syrien, déplacé à la suite du tremblement de terre meurtrier qui a frappé la Turquie et la Syrie, passe devant des tentes dans un camp temporaire, dans la campagne de Jandairis, dans le nord-ouest de la Syrie, le 11 février 2023 (AFP/Rami al-Sayed)
Jusqu’à 26 millions de personnes ont été touchées. À l’heure actuelle – et ces chiffres changent d’heure en heure – 35 000 personnes ont perdu la vie en Turquie et en Syrie, tandis que l’on dénombre des dizaines de milliers de blessés. Plus de 100 000 personnes en Turquie et 300 000 en Syrie ont été déplacées.
Des centaines d’immeubles, dont certains d’une douzaine d’étages, ne sont plus que des tas de décombres. Des quartiers entiers sont dévastés. Les grands axes routiers et les lignes ferroviaires reliant les grandes villes ont subi des dommages ou voient affluer l’aide humanitaire.
Si l’on transpose la carte de ce séisme sur la France, la faille s’étend sur une diagonale allant de Limoges à Nancy. Des villes comme Orléans, Bourges, Châteauroux, Poitiers ou Clermont-Ferrand auraient subi une violente secousse.
Ces données ne font qu’esquisser les contours de cette catastrophe. Les détails arriveront dans les jours et les semaines à venir.
Une perte d’attention du public
Des dizaines de pays ont envoyé des équipes de recherche et de sauvetage. Mais trois jours à peine après le premier séisme, au moment même où l’opération de recherche et de sauvetage se transformait en un travail sinistre et lent de récupération des corps, la tragédie ne faisait plus la une des journaux en Europe, voisine immédiate de la Turquie.
Nous savons ce qui suit cette perte d’attention du public.
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La semaine dernière, les séismes ont été supplantés par la visite du président ukrainien Volodymyr Zelensky en Grande-Bretagne, à Paris et à Bruxelles.
Le courageux Zelensky, vêtu de son sweat kaki, qui s’est transformé dans la conscience politique en un mélange de Churchill, Boadicée et Jeanne d’Arc, est devenu un ticket politique en vogue que chaque Parlement s’arrache.
Le fait qu’il ait posé le pied en Grande-Bretagne avant de passer en France et à Bruxelles a été interprété comme un motif de fierté nationale.
Il en était de même pour l’aide militaire de 2,3 milliards de livres (2,5 milliards d’euros) accordée l’an dernier à l’Ukrainepar la Grande-Bretagne, une somme qui sera égalée cette année d’après le Premier ministre Rishi Sunak. Cela classe la Grande-Bretagne au deuxième rang des donateurs militaires de l’Ukraine.
Telles sont les sommes d’argent disponibles en Grande-Bretagne lorsque la volonté politique existe.
Comparons maintenant ce montant à celui qui sera versé, selon le gouvernement britannique, à la suite des séismes en Turquie et en Syrie. Lorsque les quinze organisations caritatives qui composent le Disasters Emergency Committee ont lancé leur appel jeudi pour fournir des secours et une aide médicale, des abris, des couvertures et de la nourriture, le secrétaire d’État aux Affaires étrangères James Cleverly a annoncé que le Royaume-Uni s’engageait à verser une somme équivalente aux dons publics, de l’ordre de 5 millions de livres (5,6 millions d’euros).
2,3 milliards de livres d’armes pour l’Ukraine et 5 millions de livres d’aide pour 23 millions de personnes ? Est-ce bien réel ? Oui, apparemment
« Lorsque des catastrophes comme ces terribles séismes surviennent, nous savons que les Britanniques veulent aider », a déclaré James Cleverly. « Ils ne cessent de montrer que peu de gens sont plus généreux et compatissants qu’eux. »
2,3 milliards de livres d’armes pour l’Ukraine et 5 millions de livres d’aide pour 23 millions de personnes ? Est-ce bien réel ? Oui, apparemment.
Il y a deux façons de mesurer cela sur l’« échelle de Richter » de l’inhumanité de l’homme envers l’homme.
Sur le plan humanitaire, les catastrophes d’ampleur mondiale exigent une réponse mondiale qui transcende la politique – ou plutôt la mesure dans laquelle le président turc Recep Tayyip Erdoğan ou le président syrien Bachar al-Assad sont traités comme des parias dans les rassemblements des grands de ce monde tels que Davos.
Une erreur de taille
Quelques heures à peine après la catastrophe, l’hebdomadaire satirique français Charlie Hebdo a publié une caricaturemontrant un bâtiment endommagé, une voiture renversée et un tas de gravats avec pour légende : « Même pas besoin d’envoyer de chars ! »
Il ne s’agit pas d’une simple caricature de mauvais goût et Charlie Hebdo n’est pas n’importe quel magazine satirique.
Charlie Hebdo sous le feu des critiques après une caricature sur les séismes en Turquie
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En 2015, Charlie est devenu l’épicentre de ce qui était décrit comme la défense de la démocratie et de la liberté d’expression face aux attaques de fanatiques et de terroristes – un peu comme ce que l’on dit de l’Ukraine aujourd’hui. Ses bureaux à Paris ont été attaqués par les frères Saïd et Chérif Kouachi, qui affirmaient représenter le groupe militant al-Qaïda et dont l’attaque a fait douze morts et onze blessés.
Cet attentat a provoqué des manifestations massives. Le slogan « Je suis Charlie » a fait le tour du monde. Charlie Hebdoest devenu le symbole de la liberté d’expression attaquée par des barbares barbus. Dans cette optique, le racisme sans fard de Charlie Hebdo a été, à l’époque, caché sous le tapis comme il continue de l’être aujourd’hui.
Peu de médias ont évoqué ce dernier écart en date, même si les réseaux sociaux n’ont pas tardé à réagir.
Le lent déclin des États-Unis et de l’Europe sur la scène mondiale, sous l’impulsion des armées disparates de talibans à Kaboul ou des assauts frontaux suicidaires de l’armée de condamnés du groupe Wagner dans le Donbass, a déjà fait couler beaucoup d’encre.
Mais la réticence de l’Union européenne à être le premier intervenant dans cette crise est entièrement volontaire. Il s’agit d’une erreur spontanée et de taille. Cette catastrophe est l’occasion de faire preuve de leadership moral et d’humanité envers des millions de personnes.
La forteresse Europe met ses richesses à l’abri. Ses hautes clôtures électrifiées et ses patrouilles de drones sont là pour empêcher les hordes païennes d’y entrer
C’est l’occasion de s’adresser directement à ces personnes plutôt qu’à leurs gouvernements ou à leurs présidents qui manœuvrent en vue de leur réélection.
C’est l’occasion pour l’Occident de montrer au monde qu’il peut tout aussi bien reconstruire que détruire.
Mais il s’agit bien de la dernière chose à laquelle la forteresse Europe pense aujourd’hui. La forteresse Europe met ses richesses à l’abri. Ses hautes clôtures électrifiées et ses patrouilles de drones sont là pour empêcher les hordes païennes d’y entrer.
Comment pourrait-on mieux encourager ces millions de personnes à rechercher un leadership ailleurs ?
Alors qu’aucune somme importante n’a encore été collectée en Grande-Bretagne, en France ou en Allemagne, les Saoudiens ont déjà rassemblé plus de 80 millions d’euros une semaine après le lancement de la plateforme Sahem pour venir en aide à la Syrie et à la Turquie.
Ce n’est certes qu’une bouchée de pain pour un membre de la famille royale saoudienne, mais il s’agit d’un don considérable de la part des Saoudiens ordinaires. De quoi faire honte à la Grande-Bretagne. Renonçons cependant à la moralité ou à tout sentiment d’humanité partagé.
Suivons plutôt l’air du temps actuel, qui penche vers l’intérêt personnel.
Des chiffres stupéfiants
Avant la guerre en Ukraine, le Moyen-Orient représentait 25 % des demandeurs d’asile en Europe en 2021. Ils venaient principalement de Syrie, d’Irak mais aussi de Turquie, en cinquième position. L’Afghanistan occupait la deuxième place.
La guerre en Syrie a fait de la Turquie le plus grand pays d’accueil de réfugiés au monde, avec plus de 3,6 millions de réfugiés syriens et 320 000 personnes d’autres nationalités relevant de la compétence du HCR (Agence des Nations unies pour les réfugiés).
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Le pays a dépensé 5,59 milliards de dollars en aide humanitaire l’an dernier, soit 0,86 % de son PIB, ce qui le place en tête du classement mondial selon un rapport de Development Initiatives.
Sur le plan de l’argent dépensé, la Turquie n’est devancée que par les États-Unis. Ces chiffres sont stupéfiants pour un gouvernement si souvent vilipendé en Occident.
Mais cet effort n’est pas figé. Les partis d’extrême droite turcs comme le Zafer Partisi (Parti de la victoire) sont à l’affût, organisant notamment des collectes de fonds pour financer l’achat de tickets d’autocar afin d’expulser les Syriens.
À la recherche de boucs émissaires compte tenu de la lenteur des efforts de secours, certains Turcs se retournent contre les réfugiés à la suite de cette catastrophe.
Ces événements sont suffisamment importants pour provoquer de futures vagues de réfugiés, dans la mesure où la reconstruction prendra des années voire des décennies.
Il est absolument dans l’intérêt de l’Europe de veiller à ce que la Turquie puisse faire face et poursuivre sa politique de réinstallation des réfugiés dans le nord de la Syrie.
Mais la Syrie, à laquelle l’Occident a secrètement envoyé tant d’armement par le passé, est elle aussi abandonnée. Les réfugiés syriens mouraient déjà de froid bien avant que le tremblement de terre ne frappe Alep et Idleb.
Le fossé entre ce qu’il faudrait faire et ce que nous finissons par faire s’élargit d’année en année. Chaque année, les paroles prononcées par les dirigeants européens deviennent encore plus grotesques
Un tiers des victimes se trouveraient dans la province du Hatay, de l’autre côté de la frontière syrienne. L’ampleur de la destruction dans le Hatay a eu un effet immédiat sur l’aide à la Syrie qui transite par le passage frontalier de Bab al-Hawa, cordon ombilical de l’aide humanitaire destinée aux millions de personnes qui vivent dans les zones échappant au contrôle du gouvernement syrien dans le nord-ouest de la Syrie.
Les Syriens vivant dans les régions contrôlées par le gouvernement ne sont pas mieux lotis. L’État est ravagé par la guerre et, comme l’Iran dès l’aube de la République islamique, paralysé par les sanctions.
Le fossé entre ce qu’il faudrait faire et ce que nous finissons par faire s’élargit d’année en année. Chaque année, les paroles prononcées par les dirigeants européens deviennent encore plus grotesques.
Le 13 octobre dernier, le responsable de la politique étrangère de l’UE Josep Borrell, a prononcé un discours lors de l’inauguration de l’Académie diplomatique européenne à Bruges. Voici ce qu’il a déclaré, selon la transcription officielle :
« Oui, l’Europe est un jardin. Nous avons construit un jardin. Tout fonctionne. C’est la meilleure combinaison de liberté politique, de prospérité économique et de cohésion sociale que l’humanité ait pu construire – les trois choses ensemble. […] La plus grande partie du reste du monde est une jungle, et la jungle pourrait envahir le jardin. Les jardiniers doivent aller dans la jungle. Les Européens doivent être beaucoup plus engagés avec le reste du monde. Sinon, le reste du monde nous envahira, de différentes manières et par différents moyens. »
S’il doit y avoir une occasion unique de mettre un terme à ce charabia primitif, celle-ci se présente sous nos yeux.
L’Europe la saisira-t-elle ? J’en doute, car cela fait longtemps que je ne crois plus au concept de progrès. Et le jardin d’Eden dépeint par Josep Borrell mérite pleinement son sort biblique.
- David Hearst est cofondateur et rédacteur en chef de Middle East Eye. Commentateur et conférencier sur des sujets liés à la région, il se concentre également sur l’Arabie saoudite en tant qu’analyste. Ancien éditorialiste en chef de la rubrique Étranger du journal The Guardian, il en a été le correspondant en Russie, en Europe et à Belfast. Avant de rejoindre The Guardian, il était correspondant pour l’éducation au sein du journal The Scotsman.
Une énième loi sur l'immigration en France ? Pourquoi faire alors même que les textes ne sont appliqués que dans un sens de plus en plus coercitif ? Relents de xénophobie d'Etat ? Même les accords bilatéraux sont ignorés. Le pays d'accueil considère sans doute que les pays du Maghreb notamment ont peu de prise sur le destin de leurs propres ressortissants et peu d'audace... Or, faut-il le préciser, l'humanité vit au rythme de la migration depuis des siècles ? Ici, quelques rappels.
De l'Homo sapiens...
Rappel. Des chercheurs du Centre national de recherches préhistoriques, anthropologiques et historiques (CNRPAH) algérien et ceux du Centro Nacional de Investigación sobre la Evolución Humana (CENIEH) espagnole ont découvert un gisement d'outils lithiques acheuléens (de la technologie acheuléenne datés de 1,67 million d'années à Aïn Boucherit (commune de Guelta Zergua, à 20 km à l'est de la wilaya de Sétif). Selon le professeur Mohamed Sahnouni, coordinateur du programme d'archéologie paléolithique du CENIEH et directeur de recherche associé au CNRPAH, «ces artefacts acheuléens sont légèrement plus anciens en Afrique de l'Est et du Sud (1,76 et 1,7 Ma)». (El Watan, 17 octobre 2021)
Ainsi, «Homo sapiens, l'homme moderne, était présent il y a plusieurs siècles « dans le Sahara vert qu'était alors l'Afrique, à la faveur de modifications comportementales et biologiques» (sciencesetavenir.fr. 7 juin 2017). Notre espèce est, donc, née en Afrique du Nord, à un moment de l'histoire où le Sahara était vert, chaud et humide, «avec des lacs grands comme l'Allemagne», nous dit-on. Avant l'espèce humaine (actuellement au nombre de 8 milliards) peuplant la Terre, conçue comme village planétaire, a eu lieu une lente et longue évolution. Avant l'arrivée de l'Homo sapiens en Europe, l'Homo neanderthalensis y était présent.
La population européenne (des Néandertaliens) a été estimée à environ 150.000 individus. En quelque 10.000 ans, cette population européenne de Néandertaliens va, progressivement, céder la place à l'Homo sapiens. C'est ainsi que Sapiens d'Afrique et Neandertalien d'Europe ont cohabité plus de 10.000 ans sur les mêmes terres. Et, nous dit-on, ils ont appris, ensemble, à chasser, à s'abreuver aux mêmes points d'eau et à se protéger des mêmes dangers et des dures conditions climatiques.
Dans notre récit humain, on peut imaginer que les deux espèces se sont rencontrées. Cette cohabitation n'a, probablement, pas toujours été idyllique ; des affrontements pour pouvoir survivre dans les «niches écologiques » d'alors ont-ils eu lieu ? Vraisemblablement. Après tout, jusqu'au siècle dernier, il y a eu deux guerres mondiales (avec utilisation de l'arme atomique), outre les terribles violences engendrées par les politiques coloniales et de l'esclavagisme...
A ce jour, nombre de conflits continuent de marquer l'actualité type Russie-Ukraine. Ces conflits sont souvent attisés par les puissances du moment, par des pays riches économiquement, surindustrialisés, jaloux de leurs souverainetés et de leur civilisation - voire de leur identité - et surtout exportateurs d'armes. Ces pays disposeraient d'un arsenal nucléaire qui pourrait détruire, deux à trois fois, la Terre et, nous dit Riccardo Petrella, politologue italien, «la guerre est l'activité économique la plus rentable après l'industrie pharmaceutique et informatique».
Partis d'Afrique, berceau de l'Humanité, ces hommes modernes (Homo sapiens) ont commencé à se disperser dans le monde, suite aux multiples vagues de migrations. C'est dire si le phénomène migratoire est vieux comme l'Humanité. Homo sapiens a, également, parcouru de vastes distances, sur le continent asiatique, voire de l'Océanie. Ainsi, des ossements d'Homo sapiens, datant de 70 000 à 120.000 ans, ont été mis au jour, dans le sud et le centre de la Chine.
Des indications génétiques révèlent, aussi, des croisements, tout aussi anciens entre des humains modernes et d'autres hominidés, déjà présents en Asie, comme les Néandertaliens et les Dénisoviens, des cousins disparus. C'est ce qu'avance une nouvelle étude, remettant en question l'hypothèse, communément acceptée, d'une unique grande vague migratoire, il y a environ 60.000 ans (revue Science du 8-12-2017). Et il semble bien que la migration de l'Afrique vers les autres continents est l'un des événements majeurs dans l'histoire humaine... Cette migration aurait démarré voilà 90.000 ans, au plus tôt, et 62.000 ans au plus tard... Qui aurait donc l'outrecuidance d'arrêter ce phénomène migratoire qui a commencé et qui a duré des centaines d'années ?
Comprendre quand les humains modernes ont quitté l'Afrique et rejoint l'Europe et l'Asie est fondamental dans l'étude de l'évolution humaine. Par exemple, les scientifiques ont pu déterminer qu'en Europe, les êtres humains partagent la même lignée avant et après la dernière ère glaciaire (Delphine Bossy, Futura). Si la migration date de si loin et continue à ce jour, que peut l'homme de la nouvelle cité politique, policé, civilisé, post-industrialisé contre ce mouvement humain naturel et daté par l'histoire et dicté par les contingences politiques et économiques et les conditions climatiques de certains pays ? Ce qui est à craindre, c'est que toutes les tentatives de l'enrayer n'aboutira, in fine, qu'à confirmer ce que d'aucuns qualifient de xénophobie d'Etat, c'est-à-dire aboutir à la négation des droits de l'Homme qui comprend, notamment, la justice, la liberté, la solidarité, la tolérance, le respect, l'équité qui sont, autant de valeurs essentielles de la démocratie dont les pays du Nord se veulent les uniques dépositaires. D'aucuns n'hésitent, donc, plus à dénoncer cette xénophobie d'Etat.
... A la xénophobie d'Etat
Une phrase malheureuse de feu Michel Rocard : «Nous ne pouvons pas héberger toute la misère du monde» est depuis galvaudée. Ce, alors même, que les chiffres concernant l'immigration n'ont pas varié depuis dix ans. Ainsi, près de 200.000 étrangers, seulement, pénètrent sur le territoire français chaque année. Dans le même temps, 100.000 en repartent. Parmi ceux qui arrivent, on compte 90.000 personnes, à l'un des titres du regroupement familial, 60.000 sont des étudiants, 35.000 (en 2016) des réfugiés politiques (Slate.fr du 6-8-2017).
Et l'un des observateurs les plus assidus sur les questions relatives à la migration, Patrick Weil, constate : Ce qui me frappe, c'est qu'à l'arrivée au pouvoir de Trump et de Macron, les premières mesures visent les étrangers... En France (...), nous avons un président moins provocateur, aimable dans son apparence, souriant et ouvert à l'accueil des réfugiés à Bruxelles, mais dans la pratique, sur le terrain, à Calais et dans sa région, ce sont des droits fondamentaux qui sont bafoués par le pouvoir exécutif... Même sous le quinquennat de Nicolas Sarkozy, il n'y avait pas eu un tel déferlement de violence... Même sous Giscard d'Estaing, les personnes n'avaient pas fait l'objet d'une telle violence sur le plan physique... Continuer, comme aujourd'hui, dans le déni et le mensonge, c'est politiquement, entretenir le Front national. Du point de vue du droit, on laisse se perpétuer des traitements inhumains et dégradants sur le sol de France, comme l'a constaté la Justice» (Slate.fr du 21-7-2017).
Rappelons que, dans toute l'Europe, c'est durant les années quatre-vingt-dix que resurgissent le racisme et la xénophobie. En Grande-Bretagne où, en apparence, l'extrême droite demeure groupusculaire, on y observe, alors, des «violences racistes» ; en Allemagne, il y a eu une poussée meurtrière et franchement xénophobe, avec la montée en puissance des droites dites radicales, teintées de populisme ; en Italie a été dénoncée une haine de l'étranger, sous fond de succès électoraux avec la Ligue du Nord et des néo-fascistes du MSI (Mouvement social italien). Ainsi, également avec la petite Belgique (dont autrefois les immigrés belges résidaient en France), il y a eu une fièvre de xénophobie sur fond de crise nationale avec des scores électoraux des nationalistes flamands. Plus récemment, l'Autriche où désormais l'extrême droite est arrivé au pouvoir...
Une question se pose, alors, à cette Europe prompte à donner des leçons de démocratie, allant jusqu'à inventer l'idée de l'existence d'une arme de destruction massive, en Irak, pour envahir ce pays et le déstructurer durablement. Que sont devenus les idéaux à vocation universaliste, leviers de la démocratie et valeurs essentielles des droits de l'Homme évoquées supra ? De quel homme parle-t-on en définitive ? Pourtant, on nous a enseigné que les droits de l'Homme sont des droits fondamentaux de la personne humaine tels que répertoriés dans la Déclaration universelle des droits de l'Homme, la Convention européenne des droits de l'Homme et d'autres conventions importantes de l'ONU qui protègent, pour l'essentiel, les droits civils et politiques (droit à la vie et la liberté d'expression), les droits économiques, sociaux et culturels (droit au travail ou à la santé) et les droits des personnes vulnérables (enfants ou détenus). Il est vrai, également, qu'en principe, diverses institutions internationales contrôlent le respect de ces droits, notamment le Conseil des droits de l'Homme de l'ONU, la Cour européenne des droits de l'Homme et la Cour pénale internationale.
Il n'est pas superfétatoire de préciser que ces mêmes droits sont également à protéger et à promouvoir par les Etats d'Europe en leur qualité d'Etats d'accueil de réfugiés et de migrants. Aussi, se pose la question de savoir si les mesures prises, en France par exemple, pour lutter contre «l'immigration illégale» constituent un modèle de vertu. Ce, lorsque l'on observe les actes, à l'actif du pouvoir politique ; ainsi, la création d'un ministère de l'Immigration et de... l'Identité nationale, des aides au retour vers les pays de l'Est, d'une réforme contestée du droit d'asile en 2015...
De même, il a été envisagé la création de hotspots (ou «centres avancés») de traitement des demandes d'asile, au sud de la Libye, au nord du Tchad et au nord du Niger. Habituellement, c'est à l'intérieur des frontières françaises que les demandes d'asile sont examinées. Il s'agirait, en quelque sorte, de délocaliser l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) au Sahara (Tchad-Niger-Libye) où les requêtes des candidats à l'asile seraient, directement, étudiées sur place. Or, la procédure actuelle de demande d'asile peut offrir quelques garanties d'impartialité aux migrants : examen approfondi de leurs demandes, possibilité d'un recours auprès de la Cour nationale du droit d'asile (CNDA).
Pense-t-on ainsi sérieusement être crédible, efficace et humain ? Ne s'agirait-il pas purement et simplement d'une sorte de «mise sous tutelle » des pays visés supra, compte tenu de leur situation actuelle et de leurs régimes politiques contestés localement ? Selon Thomas Dietrich, ce projet «ne pourra longtemps occulter le véritable cœur du problème : le développement des pays d'Afrique subsaharienne. Et tant que l'Etat français continuera à soutenir des régimes aussi peu soucieux du bien-être de leurs populations que du respect des droits de l'Homme, aucune police, aucune armée française ou africaine, aucun hotspot ne pourra empêcher des désespérés de se lancer à l'assaut du plus grand désert du monde» (Mondafrique, 16-1-2018). Comment, dans ces conditions, tenir la promesse de ne plus voir en France une personne dormir «dans la rue, dans les bois» et de suivre l'exemple de l'Allemagne qui, sous la chancelière Angela Merkel, a sauvé la «dignité collective» de l'Europe en accueillant plus d'un million de réfugiés ?
Hélas, d'aucuns déplorent l'inverse de ce qui était attendu de la patrie des droits de l'Homme, on y arrache leurs couvertures à des migrants à Calais, on y lacère leurs toiles de tente, à Paris, on peut s'y perdre sur les pentes enneigées de la frontière franco-italienne... Ce, après avoir affronté le désert et la mer, les pratiques mafieuses des passeurs, les dures conditions climatiques et souvent les mauvais traitements physiques, notamment pour les femmes et les enfants.
Hélas, pendant ce temps et depuis longtemps, l'Homo sapiens de l'Europe actuelle pratique la migration sous forme de voyages sexuels organisés. Ainsi, nous dit-on, des Agences de voyages américaines comme G&F Tours' ou Philippines Adventure Tours' proposeraient (par contrats ?) «d'assouvir les pulsions les plus viles», en s'assurant les services de jeunes filles ou garçons vierges. Il semblerait que des procédures contre ces agences commencent à être lancées ; ainsi, en février 2004, une agence de voyage installée à New York (Big Apple Oriental Tours) aurait été fermée et ses propriétaires inculpés. Ces Homo sapiens, «touristes» du Nord, peuvent se permettre de transgresser la morale et les lois de leurs pays à l'étranger, avec des adolescentes et des enfants dont on se soucie comme d'une guigne de leur consentement ou des risques encourus en terme de maladies sexuellement transmissibles dont le sida...
Le nouveau plan 2023-2026, présenté lundi, vise notamment à systématiser dans les entreprises les tests sur les discriminations à l’emploi et à « élaborer des outils » avec les plateformes numériques et les influenceurs,
La Première ministre française Elisabeth Borne prend la parole pour présenter le Plan national de lutte contre le racisme, l’antisémitisme et les discriminations, à l’Institut du monde arabe (IMA) à Paris, le 30 janvier 2023 (AFP/Emmanuel Dunand)
La Première ministre française Elisabeth Borne a présenté lundi un plan de lutte contre le racisme, l’antisémitisme, l’anti-tsiganisme et les discriminations liées à l’origine, visant notamment à rendre moins vulnérable la jeunesse aux messages haineux.
« C’est en faisant savoir que l’on empêche l’Histoire de bégayer », a fait valoir la Première ministre Borne, dont le père de confession juive a été déporté puis a mis fin à ses jours quand sa fille avait 11 ans.
Durant sa scolarité, chaque élève devra ainsi participer à la « visite d’un lieu historique ou mémoriel en lien avec le racisme, l’antisémitisme ou l’anti-tsiganisme », car « c’est dès l’enfance que des stéréotypes peuvent s’installer », a-t-elle souligné.
« C’est en faisant savoir que l’on empêche l’Histoire de bégayer »
- Elisabeth Borne, Première ministre
« C’est dans notre jeunesse que certaines théories du complot foisonnent. C’est aussi sur nos jeunes que les messages haineux des réseaux sociaux ont le plus d’effet », a insisté la cheffe du gouvernement français.
Le nouveau plan 2023-2026 présenté lundi prévoit une série de mesures qui touchent différents secteurs, de l’éducation à l’emploi en passant par la justice ou le sport.
Il vise à systématiser dans les entreprises les tests sur les discriminations à l’emploi et à « élaborer des outils » avec les plateformes numériques et les influenceurs. Il portera aussi sur l’accès au logement pour « mettre en avant les bonnes pratiques, et dénoncer les mauvaises ».
Un code de bonne conduite pour les jeux vidéo et l’e-sport va aussi être mis en place. Des dispositifs de signalements pour tous ceux qui sont victimes de propos haineux dans les transports sont prévus d’ici à mars.
Un musée à la mémoire des gens du voyage
Elisabeth Borne a promis une « fermeté totale dans [la] réponse pénale », en permettant « l’émission de mandats d’arrêt » contre les personnes qui « dévoient la liberté d’expression à des fins racistes ou antisémites ». « Il n’y aura pas d’impunité pour la haine », a-t-elle assuré.
Les peines seront aussi aggravées en cas d’expression raciste ou antisémite « même non publique » pour les personnes dépositaires de l’autorité publique ou chargées d’une mission de service public, a-t-elle ajouté.
Une instance de l’ONU à nouveau préoccupée par l’ampleur du discours raciste en France
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Le plan doit permettre de « mieux mesurer » ces phénomènes, « de mieux éduquer et former », de « mieux sanctionner » les auteurs et de « mieux accompagner les victimes », a résumé la Première ministre.
Parmi les mesures, Elisabeth Borne a annoncé la création sur le site d’un ancien camp de concentration dans l’ouest de la France d’un musée à la mémoire des gens du voyage internés pendant la Seconde Guerre mondiale.
« Cette communauté a besoin que cette histoire-là rentre dans l’Histoire de France », a salué Dominique Raimbourg, président de la Commission nationale consultative des gens du voyage.
Le président du CRIF (Conseil représentatif des institutions juives de France ) Yonathan Arfi s’est félicité qu’une visite mémorielle soit proposée à chaque jeune dans sa scolarité, tandis que le président de l’ONG SOS racisme, Dominique Sopo, a qualifié de « positif » le fait que « pour la première fois, un plan intègre la question de la discrimination raciale ».
Un autre plan contre les discriminations liées à l’orientation sexuelle devrait être présenté en juin par le gouvernement français.
L’islamophobie oubliée dans le plan
Le parti d’extrême gauche Lutte ouvrière a réagi à l’annonce de ce plan en considérant que « les déclarations d’intention se dissolvent immédiatement dans la démagogie contre les étrangers qui est l’ordinaire du gouvernement, des sorties [du ministre de l’Intérieur Gérald] Darmanin contre le droit du sol à Mayotte, aux restrictions d’accès à la nationalité et aux expulsions en hausse programmées dans la nouvelle loi sur l'immigration ».
Le site d’information Médiapart note, pour sa part, que « le gouvernement n’a à aucun moment évoqué l’islamophobie qui sévit dans notre pays. Une lacune récurrente dans le discours du pouvoir depuis plusieurs années ».
Par ailleurs, le même média explique que « le plan gouvernemental risque en outre de se fracasser sur le mur de la faisabilité ». Car « plusieurs des dispositions promises lundi relèvent du champ législatif et doivent être adoptées par le Parlement pour entrer en vigueur. Une subtilité loin d’être anodine, alors que le camp présidentiel n’a pas de majorité absolue à l’Assemblée nationale et que le moindre vote de cette mandature relève pour l’exécutif d’une épreuve de force ».
Le secrétaire général des Nations unies António Guterres estime que le monde doit condamner fermement l’antisémitisme et l’islamophobie.
Le secrétaire général de l’ONU António Guterres s’exprime lors de la conférence de presse de fin d’année au siège de l’ONU à New York, le 19 décembre 2020 (AFP)
Le secrétaire général de l’ONU António Guterres prévient que l’extrême droite et les suprémacistes blancs en Occident sont la « plus grande menace terroriste », après l’arrestation de 25 personnes en Allemagne suspectées de vouloir renverser le gouvernement.
Le chef de l’ONU s’exprimait devant la presse lundi à l’occasion de la conférence de presse de fin d’année à New York, au cours de laquelle il a déclaré que cette affaire en Allemagne n’était qu’un exemple de la menace des organisations d’extrême droite pour les sociétés démocratiques à travers le monde.
« Il a été démontré que la plus grande menace terroriste aujourd’hui dans les pays occidentaux vient de l’extrême droite, des néonazis et des suprémacistes blancs », a insisté António Guterres.
Au début du mois, la police allemande a arrêté 25 suspects à travers le pays, des adhérents du mouvement des citoyens du Reich (Reichsbürger).
La France sous la menace du terrorisme d’extrême droite
Le ministère public les accuse « d’avoir réalisé des préparatifs concrets pour s’imposer au Parlement allemand avec un petit groupe armé ».
Les adhérents du mouvement citoyens du Reich rejettent la Constitution allemande d’après-guerre et appellent à renverser le gouvernement.
Guterres a ajouté que le monde devait faire attention à l’islamophobie et à l’antisémitisme, la première ayant énormément augmenté après la guerre contre le terrorisme menée par les États-Unis.
Un récent rapport de l’organisation australienne Islamic Council of Victoria (ICV) a découvert que près de 86 % des publications hostiles aux musulmans publiées en anglais sur les réseaux sociaux venaient des États-Unis, du Royaume-Uni et d’Inde.
Sur deux ans, entre le 28 août 2019 et le 27 août 2021, c’est en Inde qu’on trouve le chiffre le plus élevé avec 871 379 tweets islamophobes, suivi par les États-Unis avec 289 248 tweets et le Royaume-Uni avec 196 376 tweets.
« Je pense que nous devons condamner très clairement et très fermement toute forme de néonazisme, de suprémacisme blanc, toute forme d’antisémitisme et de haine contre les musulmans », a déclaré Guterres.
Les Américains inquiets
Après les attentats du 11 septembre 2001, les États-Unis se sont lancés dans une grande campagne visant à arrêter les groupes d’extrême droite à la fois au niveau national et à travers le monde, avec une grande attention portée aux communautés musulmanes.
Pendant cette période, la menace intérieure posée par l’extrême droite a souvent été minimisée, selon les experts.
Cependant, selon un rapport de New America, un think tank de Washington, les organisations ou individus américains d’extrême droite avec des idéologies de droite ont tué davantage sur le sol américain que toute autre organisation depuis les attentats du 11 septembre.
Et l’année dernière, un sondage de The Associated Press et du NORC Center for Public Affairs Research a conclu que les Américains étaient plus inquiets de la violence des groupes et individus d’extrême droite ayant des idéologies de droite sur le sol national que des menaces provenant de l’étranger.
D’après ce sondage, 65 % des répondants américains étaient soit extrêmement inquiets soit très inquiets à propos des organisations basées aux États-Unis, tandis que 50 % disaient de même à propos des organisations militantes basées à l’étranger.
Ce sondage a été réalisé après les émeutes du 6 janvier 2021, lorsque des partisans du président sortant Donald Trump ont fait irruption au Capitole américain pendant une session du Congrès.
À l’affiche de Nos Frangins, le dernier film de Rachid Bouchareb, la comédienne franco-algérienne Lyna Khoudri sera aussi au casting du très attendu Les Trois Mousquetaires en 2023. Rencontre avec une star montante du cinéma français.
Lyna Khoudri au 75e festival de Cannes, le 24 mai 2022, lors de la présentation de Nos Frangins (AFP/Patricia de Melo Moreira)
Elle s’est distinguée en 2017 par le rôle de Feriel dans le long métrage Les Bienheureux de Sofia Djama et a décroché pour cette interprétation le prix de la meilleure actrice, dans la section Orizzonti, à la Mostra de Venise, en Italie.
En 2019, elle est une nouvelle fois remarquée dans le rôle de Nedjma, une étudiante, dans le long métrage Papicha de la réalisatrice franco-algérienne Mounia Meddour.
Pour cette interprétation, elle a décroché le César du meilleur espoir féminin en 2020, succédant ainsi à une autre Franco-Algérienne, Kenza Fortas, primée pour son rôle de Shéhérazade dans le film éponyme français de Jean-Bernard Marlin, sorti en 2018.
Lyna Khoudri partage la vedette avec Reda Kateb et Samir Guesmi dans le nouveau long métrage de Rachid Bouchareb, Nos Frangins, sorti en France et en Algérie début décembre 2022.
Le film a été projeté en avant-première algérienne au 11e Festival international du cinéma d’Alger (FICA), dédié au film engagé.
Nos Frangins porte pour la première fois au grand écran l’affaire Malik Oussekine, étudiant franco-algérien battu à mort par trois policiers français, dans la nuit du 5 au 6 décembre 1986, à Paris.
À l’époque, les étudiants manifestaient contre le projet du ministre Alain Devaquet sur la réforme des universités françaises, qui prévoyait notamment de sélectionner les étudiants à l’entrée des universités. Le film de Rachid Bouchareb met aussi en lumière une affaire, encore peu connue en France, celle de la mort, la même nuit que Malik Oussekine, d’Abdel Benyahia, jeune Franco-Algérien tué par un policier ivre qui n’était pas en service.
Rachid Bouchareb : « Le racisme s’est banalisé alors que l’immigration est devenue un fonds de commerce »
Fille du journaliste de télévision algérienne Rabah Khoudri, qui s’est installé avec sa famille à Paris au début des années 1990, Lyna Khoudri est diplômée en arts du spectacle après l’obtention d’un bac théâtre.
La comédienne est apparue pour la première fois au petit écran, en 2014, dans l’un des épisodes de la saison 8 de la série Joséphine, ange gardien, réalisée par Philippe Proteau. Elle a joué ensuite dans plusieurs courts métrages, dont Rageuses de Kahina Asnoun et Avaler des couleuvres de Jan Sitta.
Après une quinzaine de longs métrages, elle sera en avril 2023 à l’affiche du dernier film de Martin Bourboulon, Les Trois Mousquetaires, d’après l’œuvre d’Alexandre Dumas, dans lequel elle incarne Constance Bonacieux.
Middle East Eye : Dans Nos Frangins, vous interprétez le rôle de Sarah Oussekine, sœur de Malik Oussekine. Comment avez-vous abordé ce rôle ?
Lyna Khoudri : Il fallait d’abord se documenter pour camper ce personnage. Rachid Bouchareb a partagé avec nous tout le travail de recherche qu’il avait fait en amont avant la réalisation du film.
Cela m’a permis de plonger complètement dans cette histoire que je ne connaissais pas auparavant. Le cinéaste a rencontré Sarah Oussekine et m’a raconté les échanges qu’ils ont eus.
À partir de cela, il fallait trouver le bon angle pour être juste. Il est tout de même délicat de raconter l’histoire d’une famille qui existe réellement.
MEE : Pensez-vous que les affaires Malik Oussekine et Abdel Benyahia aient été effacées des mémoires en France ? L’affaire Abdel Benyahia est toujours inconnue…
LK : Étant née en 1992, je ne connaissais pas l’affaire Malik Oussekine. Ce n’est pas ma génération. Abdel et Malik sont morts la même nuit. Je sais qu’à l’époque, l’affaire fut très médiatisée et il y a un vrai problème sur le traitement médiatique de l’affaire Abdel Benyahia, une affaire complètement étouffée.
Il y a d’autres histoires similaires qui n’ont jamais été mises au-devant de la scène et dont on n’entendra jamais parler. C’est pour cette raison que Rachid Bouchareb a décidé de porter à l’écran l’affaire Abdel Benyahia en mettant en miroir les deux histoires.
Ces deux affaires sont liées à des violences policières. Une question largement débattue ces deux dernières années en France avec le traitement réservé aux manifestations des Gilets jaunes. C’est donc un film lié à une actualité.
Plusieurs milliers de personnes manifestent silencieusement à Paris, le 6 décembre 1986, de la place de la Sorbonne à l’hôpital Cochin où repose le corps de Malik Oussekine, le jeune étudiant décédé le matin même après avoir été violemment frappé par des policiers en marge d’une manifestation étudiante contre le projet de réforme universitaire du ministre Alain Devaquet (AFP/Michel Gange)
C’est pour cette raison que j’ai trouvé important de participer à ce projet. Rachid Bouchareb nous a raconté comment il avait vécu les manifestations de décembre 1986. Je me suis souvenue de ce que j’ai vécu en 2005 lorsque j’étais collégienne dans la banlieue parisienne.
À l’époque, il y avait eu de grosses émeutes après la mort de deux garçons, Zyed Benna et Bouna Traoré [morts électrocutés le 27 octobre 2005 à Clichy-sous-Bois, après avoir été poursuivis par des policiers].
C’est avec cela que j’ai grandi. Aujourd’hui, il y a Black Lives Matter, l’affaire Adama Traoré [décédé à la gendarmerie après son interpellation alors qu’il tentait de fuir un contrôle de police concernant son frère], l’affaire Théo [blessé lors d’une violente interpellation]. Des affaires médiatisées. Cela m’a fait prendre conscience de la nécessité d’en parler aujourd’hui.
MEE : Selon Rachid Bouchareb, rien n’a changé, entre 1986 et 2022, pour les migrants d’origine étrangère vivant en France. Partagez-vous cet avis ? Avez-vous le sentiment d’être toujours étrangère en France ?
LK : Rachid Bouchareb m’a parlé de la difficulté qu’il avait à monter en 2006 le filmIndigènes avec un casting constitué essentiellement de comédiens arabes.
J’essaie de passer au-dessus de cela, de ne pas me soucier du regard des autres. Cela dit, à plusieurs reprises, je ne me suis pas sentie à l’aise dans ma vie, dans des endroits qui n’étaient socialement pas accessibles pour moi. Des endroits très parisiens, un peu bourgeois, où vous n’avez pas les bons codes, où vous n’êtes pas habillé comme il le faut et où on vous regarde de haut.
J’ai connu le contrôle au faciès avec les gens avec qui j’ai grandi. À la sortie d’un train, j’ai subi ce genre de contrôle. Il s’agit de choses qui existent, qui arrivent, qu’on ne peut pas nier.
J’ai connu le contrôle au faciès avec les gens avec qui j’ai grandi. À la sortie d’un train, j’ai subi ce genre de contrôle. Il s’agit de choses qui existent, qui arrivent, qu’on ne peut pas nier
MEE : Les choses ont-elles changé ?
LK : Oui. Pour le métier que je fais, du moins, il y a davantage d’accès parce qu’il y a plus de rôles et plus d’histoires.
En tant que migrants, nous nous sommes appropriés les choses, battus pour faire nos films, avoir nos boîtes de production, écrire nos histoires. Donc, il faut continuer dans ce sens-là.
MEE : En France, des politiques de droite et d’extrême droite critiquent en permanence l’arrivée de migrants en France, certains parlent de « grand remplacement ». Comment réagissez-vous à ce genre de déclarations qui provoquent la peur ?
LK : Ce genre de déclarations n’est pas représentatif de la France. C’est minoritaire. Mais j’ai grandi avec des Le Pen pas très loin ! J’ai l’impression que les choses stagnent. À certains endroits, c’est pire, c’est mieux dans d’autres. Je ne m’y connais pas assez en politique pour m’avancer plus. Je suis différente de mon père à ce niveau-là.
MEE : Justement, être fille d’un journaliste de télévision, qui a donc un rapport avec l’image, vous a-t-il aidée dans votre carrière professionnelle ?
LK : Oui. Cela m’a surtout donné l’amour de l’image. J’ai mis du temps à le comprendre. En faisant le métier de comédienne, je pensais m’éloigner de mon père, mais en fait, ce n’était pas le cas.
Mon père m’a appris à aimer l’image, à regarder un écran, à analyser un plan, à manipuler une caméra, à faire la différence entre les techniques...
J’ai appris très tôt. Petite, je regardais des films avec mon père. Il m’expliquait à chaque fois les plans, la mise en place des caméras, le travelling, les plans-séquences... En grandissant, j’avais tous ces termes techniques en tête.
En fait, je ne me suis même pas rendu compte que c’était un plus. Et, en débutant dans le cinéma, j’avais l’impression de tout savoir, de comprendre tous les codes. Il y avait des mots qui me paraissaient familiers. Parfois, dans les tournages, j’expliquais à mes collègues qui débutaient les techniques, les plans. J’avais donc un petit avantage grâce à mon père.
Cela dit, mon père ne m’a pas pistonnée. J’ai tout fait en France, lui a tout fait en Algérie. Mon père ne connaît ni Rachid Bouchareb ni Mounia Meddour mais il m’a donné l’amour du cinéma. Et l’amour de l’Algérie aussi. Mais j’ai fait ce que je voulais : je n’ai pas étudié les sciences politiques à l’université comme lui. J’ai fait autre chose en apprenant de lui.
MEE : Qu’est-ce qui vous a amenée au cinéma ?
LK : Au début, j’ai fait du théâtre au lycée pour m’amuser avec mes amis. Après le bac, je n’ai pas continué et j’ai senti comme un manque.
Un jour, j’ai rencontré la réalisatrice Nora Hamdi, qui est d’origine algérienne et qui a réalisé en Algérie le film La Maquisarde, en 2020. Elle m’a demandé si j’étais intéressée par une carrière d’actrice. Je lui ai répondu que j’aimais bien le cinéma sans penser à être actrice.
Je voulais rester dans la culture sans savoir quoi faire, peut-être travailler dans les musées, faire l’école du Louvre, faire du cinéma... je n’avais pas tranché.
Le César a donné plus de visibilité au travail que je fais au cinéma. Il m’a ouvert des portes et m’a permis de faire des rencontres
Donc, je me suis inscrite au cinéma à la fac et me suis rendu compte que je n’aimais pas ça ! Après, j’ai fait des études de théâtre, et là, j’ai senti que j’étais bien à ma place, j’ai pris beaucoup de plaisir. Je me suis dit, quitte à prendre du plaisir, autant en faire son métier.
J’écris beaucoup sur les personnages que je joue. Le César a donné plus de visibilité au travail que je fais au cinéma. Il m’a ouvert des portes et m’a permis de faire des rencontres. Cela dit, il n’y a pas un avant ou un après le César. Je suis restée la même et je continue de faire mon travail normalement.
MEE : Voulez-vous reprendre le théâtre ?
LK : Oui, j’ai envie de continuer à faire du théâtre. Cela fait bien partie du métier de comédien. Ce qui se passe au cinéma est différent de ce qui se passe sur scène. J’ai beaucoup appris au théâtre. J’ai l’impression que quand on fait du théâtre, on peut tout faire après.
Il y a l’obligation d’être là et de créer sur l’instant, quoi qu’il arrive, même si vous oubliez votre texte ou si vous êtes fatigué ou malade. Il faut inventer au moment présent. Pour moi, le théâtre est la meilleure école pour le comédien. Au théâtre, on a plus de temps pour préparer le rôle. Les répétitions peuvent durer six mois. Ce temps n’existe pas au cinéma. Cela fait cinq ans que je tourne dans des films et en 2023, je vais revenir au théâtre.
MEE : C’est la deuxième fois que vous jouez avec Reda Kateb au cinéma. Comment se fait le travail avec lui sur le plateau de tournage. Dans Nos Frangins, vous partagez des rôles principaux ?
LK : C’est très simple entre nous. Reda est bienveillant. Il y a beaucoup d’entraide et de partage. On est très à l’écoute l’un de l’autre. Reda Kateb est mon grand frère. On se comprend. Nous avons les mêmes codes. Nous avons la même origine, la même culture et la même éducation.
Avec Rachid Bouchareb, le tournage se fait dans une ambiance de famille. Je trouve que les fins de tournage sont toujours tristes. On passe deux à trois mois ensemble avec la même équipe, et puis on se retrouve seule dans sa chambre un soir.
Après, il faut bien reprendre sa vie, sortir, faire des courses, mais j’ai l’impression que les personnages ou les éclats de personnages restent, continuent d’exister en nous...
MEE : Vous n’avez pas connu l’Algérie des années 1990 contrairement à votre père Rabah Khoudri. Des journalistes et des techniciens de la télévision algérienne, ex-RTA, avaient été ciblés par les islamistes radicaux armés. Tourner Papicha avec la réalisatrice Mounia Meddour, un film qui aborde aussi la question de l’extrémisme, était peut-être pour vous une manière de plonger dans les années 1990…
LK : Ma chance est que mes parents ne m’ont rien caché, m’ont toujours tout raconté.
J’ai vu le film Le Repenti de Merzak Allouache, c’est tout. Je n’ai pas beaucoup de matière par rapport à cette période. Parler de l’Algérie des années 1990 est toujours douloureux, cela ravive à chaque fois de mauvais souvenirs.
Mes parents m’ont parlé de leur installation en France. C’était un déchirement pour eux. J’ai toujours su d’où on venait, pourquoi on était là et comment on était arrivés.
Le 22 mars, les Algériens aussi se souviennent de leurs morts
Quand j’ai tourné dans Papicha, en mai 2018 à Alger, je savais que je rendais hommage à mes parents. Se replonger dans les années 1990 était émouvant. Tous les membres de l’équipe de tournage étaient concernés par les années 1990, avaient un rapport de près ou de loin avec cette guerre.
Nous avons tous un membre de la famille, un voisin ou un ami victime des violences. Tout le monde dans la rue en Algérie a une histoire avec la décennie noire, moi, je préfère parler de « guerre civile ».
MEE : Pourquoi ?
LK : Parce qu’il faut mettre des mots clairs sur ce qui s’est passé en Algérie durant cette période.
Lors du tournage de Papicha, il y avait une certaine énergie puisque tout le monde était concerné. Tout le monde avait son mot à dire. J’ai appris lors de ce tournage qu’à l’époque, en Algérie, les gens ne disaient pas « au revoir » mais « smah binatna » (je te pardonne ; sous-entendu, si jamais on ne se revoit plus parce que l’un de nous est tué, on fait table rase du passé).
Personne n’a encore compris pourquoi Papicha n’a pas été projeté en Algérie. Cela a attiré l’attention et finalement, tout le monde l’a vu d’une manière ou d’une autre. Donc, c’est raté. On nous a bien rendu service en bloquant sa projection en salles
Ces détails étaient importants pour la consistance et la véracité du film. Donc oui, c’était une forme de plongeon collectif dans cette période. Nous avons tourné à Tipaza [sur le littoral septentrional] dans des bâtiments complètement désaffectés alors qu’ils étaient, avant la guerre, destinés aux activités touristiques. Revenir dans ces murs, tourner dans la Casbah d’Alger, se réimprégner de tout cela, c’était fort émouvant.
MEE : Les films Papicha et Houria évoquent aussi la question de la femme. Le cinéma est-il le meilleur moyen d’aborder la thématique de la femme, de ses droits et de son émancipation ?
LK : C’est un bon moyen, comme le sont aussi la littérature et la musique. L’art reste un bon moyen pour s’emparer de problématiques sociétales et humaines. Il est important que le cinéma soit féminin.
MEE : Le film Papicha n’a toujours pas été projeté en Algérie, presque trois ans après sa sortie. Une réaction ?
LK : Personne n’a encore compris pourquoi Papicha n’a pas été projeté en Algérie. Cela a attiré l’attention et finalement, tout le monde l’a vu d’une manière ou d’une autre. Donc, c’est raté. On nous a bien rendu service en bloquant sa projection en salles
« Nous n’accepterons pas que renaisse cette idéologie de débiles que nous n’avons que trop connue au temps de la guerre d’Algérie », écrivait Jean-Paul Sartre en 1972.
Faisant un parallèle entre le colonialisme et le racisme en France, Jean-Paul Sartre pointait, dans « le Nouvel Obs » en 1972, « une autre colonisation », celle consistant à faire venir en France « des ouvriers de pays européens pauvres, comme l’Espagne ou le Portugal, et de nos anciennes colonies pour les affecter à des travaux pénibles dont les ouvriers français ne veulent plus ». Le philosophe revenait sur un fait divers : un Arabe, Mohamed Diab, 32 ans, abattu par un policier, dans le commissariat de Versailles, parce qu’« il ne voulait pas se tenir tranquille ». Plus de sept ans après, le sous-brigadier Robert Marquet bénéficiera d’un non-lieu, la légitime défense étant retenue.
Dans les archives de « l’Obs »
Quel monde, quels Français, quelle société racontait « le Nouvel Observateur » (devenu « l’Obs » en 2014) voilà un demi-siècle ? Chaque week-end, nous vous proposons un article, interview, reportage, portrait ou encore courrier de lecteurs puisé dans nos archives.
L’année précédente, notre hebdomadaire exposait le refus de propriétaires et d’agences immobilières de louer à des Nord-Africains. Une décennie plus tard, en 1984, c’était certains campings qui affichaient complet pour les Maghrébins, et en 1986, comme le rappelle « Nos frangins », le film de Rachid Bouchareb en ce moment sur les écrans, les jeunes Malik Oussekine et Abdel Benyahia étaient tués, la même nuit, par des policiers, sans aucune légitime défense dans les deux cas. Il y avait des témoins, mais seul le meurtrier du jeune Abdel fera de la prison ferme (condamné à sept ans, il en fera quatre) ; ceux de Malik Oussekine n’écoperont, pour deux d’entre eux, que de peines avec sursis.
par Jean-Paul Sartre
En France, le racisme, presque inexistant au XVIIIᵉ siècle, s’est développé en même temps que la colonisation bourgeoise. Une colonie devait vendre très bon marché les produits de son sol et de son sous-sol à la métropole et lui acheter cher les produits manufacturés : cela ne pouvait marcher que si l’on surexploitait les colonisés et si on les payait d’un salaire qui tendît de plus en plus vers zéro. Pour justifier cette pratique, l’idéologie raciste s’installe : les colonisés étaient des sous-hommes, il convenait de les traiter comme tels. Depuis 1945, les guerres perdues d’Indochine et d’Algérie auraient dû nous ouvrir les yeux : les colonisés, pauvres et sans armes, qui nous ont, par deux fois, battus, n’étaient pas plus que nous des sous-hommes.
Malheureusement, il s’est établi, depuis, une autre colonisation, que nous faisons sur notre propre sol : nous attirons chez nous des ouvriers de pays européens pauvres, comme l’Espagne ou le Portugal, et de nos anciennes colonies pour les affecter à des travaux pénibles dont les ouvriers français ne veulent plus. Sous-payés, menacés d’expulsion s’ils protestent, parqués dans des logements immondes, il fallait justifier leur surexploitation, qui devient un rouage essentiel de l’économie capitaliste française : ainsi naquit un nouveau racisme qui voulait faire vivre les immigrés dans la terreur et leur ôter, par là, l’envie de protester contre les conditions de vie qui leur étaient faites.
Des bandes mystérieuses, à Lyon, à Paris, opérant la nuit, égorgent ou noient des Arabes. D’autres, moins clandestines, prétendent « purifier » les quartiers où ils vivent, c’est-à-dire les en chasser. On avait peine à croire que ce renouveau de haine raciale avait pour origine un plan réfléchi de la police et de l’administration quand, ces jours derniers, l’assassinat de Mohamed Diab par le brigadier Marquet est venu nous ouvrir les yeux.
Ce jeune Arabe a été tué à coups de mitraillette dans le commissariat de Versailles, ainsi qu’en témoigne sa sœur Fatna, qui était présente et a tout vu. Au moment où Marquet a tiré, Mohamed était à cinq mètres de lui et n’était pas dangereux ; il est tombé, pour finir, à deux mètres cinquante du brigadier. Il ne s’agit donc pas de légitime défense : un flic « s’est fait un Arabe » pour se distraire. On lui a demandé « Pourquoi as-tu tiré ? » Et il a répondu : « Il ne voulait pas se tenir tranquille. »
Les journaux ont maquillé cette histoire ; le brigadier, pour l’instant, n’est pas poursuivi. Rien n’est plus clair. On met au point, en haut lieu dans les milieux politiques et administratifs, le nouveau racisme dont on veut infecter la population : on dit que l’Arabe est querelleur, voleur, violeur, etc. Mais ces idées périmées doivent se diffuser lentement, les bons citoyens qui assassinent les Marocains et les Algériens doivent rester anonymes : le brave brigadier Marquet a fait du zèle. En vérité, cet éclat est l’aboutissement inévitable du racisme qui s’est reconstitué en dix ans dans l’administration et dans la police et qui tire son origine de l’économie.
Nous n’accepterons pas que renaisse cette idéologie de débiles que nous n’avons que trop connue au temps de la guerre d’Algérie. Ou bien qu’on ôte le mot égalité des trois mots qui sont, nous dit-on, la devise des Français. (Il est vrai que l’on pourrait aussi ôter les deux autres, mais c’est une autre histoire.)
De 1956 à 1962, nous avons lutté pour que la victoire demeure aux Algériens. Pour eux d’abord, mais aussi pour nous : pour que la honte du racisme disparaisse de la pensée française. Nous n’accepterons pas que, aujourd’hui, en pleine paix, sous la présidence de Pompidou, elle reparaisse, tolérée, encouragée par les pouvoirs. L’ignoble assassinat de Mohamed a dessillé les yeux de beaucoup de Français. Ceux qui veulent montrer qu’un point de non-retour a été atteint, qu’il faut écraser le racisme ou nous résoudre à mériter le gouvernement de la peur à qui la bourgeoisie terrorisée a donné le pouvoir en 1968 appellent à des interventions directes dont la première sera une marche dans Paris.
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