Alors que la France a célébré mercredi l'anniversaire de la victoire sur les nazis, l'Algérie a commémoré un anniversaire plus sombre : la répression par les forces coloniales françaises des indépendantistes algériens, le même jour, il y a 79 ans.
**Alors que la France a célébré mercredi l'anniversaire de la victoire sur les nazis, l'Algérie a commémoré un anniversaire plus sombre : la répression par les forces coloniales françaises des indépendantistes algériens, le même jour, il y a 79 ans.**Les deux événements ont eu lieu le 8 mai 1945.
À Paris, le président français Emmanuel Macron a déposé une gerbe mercredi à la flamme éternelle située sous l'Arc de triomphe de l'époque napoléonienne, en hommage aux personnes tuées en combattant les nazis et en marquant la fin de la Seconde Guerre mondiale en Europe.
À l'époque de la guerre, l'Algérie était le joyau de la couronne de l'empire colonial français et les soldats algériens faisaient partie de ceux qui étaient envoyés combattre pour la France en Europe. La fin de la Seconde Guerre mondiale a déclenché des mouvements d'indépendance dans les anciens empires français et britannique.
Mercredi, à Alger, des cérémonies ont été organisées en l'honneur des manifestants qui étaient descendus dans les rues des villes de Guelma, Sétif et Kherrata pour réclamer la liberté face à la domination française.
Indépendance
"En ce jour, nous nous souvenons des massacres du 8 mai 1945, commis par le colonisateur avec une brutalité et une cruauté extrêmes, pour réprimer un mouvement militant national grandissant qui s'était traduit par des manifestations massives exprimant la révolte du peuple algérien et son aspiration à la liberté et à l'émancipation", a déclaré le président algérien Abdelmadjid Tebboune dans un communiqué.
Vidéo associée: La bataille d'Alger (Télé7 Jours)
Il s'agissait de remarques inhabituellement fortes de la part du dirigeant algérien et d'un rappel des tensions persistantes avec la France, plus de 60 ans après que l'Algérie a obtenu son indépendance à l'issue d'une guerre douloureuse entre 1954 et 1962.
Aujourd'hui, l'Algérie et la France entretiennent des liens étroits en matière d'économie, de sécurité et d'énergie, mais la question de la justice historique reste un point sensible.
M. Tebboune devrait la soulever lors d'un voyage en France dans le courant de l'année. La question de la mémoire historique "restera au centre de nos préoccupations jusqu'à ce qu'elle bénéficie d'un traitement objectif qui rende justice à la vérité historique", a déclaré M. Tebboune dans sa déclaration de cette semaine.
Réparations
Lors d'une visite en Algérie en 2022, M. Macron a établi un rapport amical avec M. Tebboune et a accepté de créer une commission d'historiens des deux pays pour faire des propositions de réconciliation. La commission a publié des propositions cette année, notamment la restitution à l'Algérie de documents et d'objets provenant des archives françaises.
Les responsables politiques algériens ont également demandé des réparations financières pour les essais nucléaires français dans le Sahara et, surtout, des excuses officielles de la part de la France pour les crimes commis à l'époque coloniale.
En tant que premier dirigeant français né après cette époque, M. Macron a cherché à confronter les actes répréhensibles commis par son pays tout en s'orientant vers une nouvelle ère de relations avec les anciennes colonies. Mais il a dû faire face à des critiques dans son pays, alors que le public soutient de plus en plus les nationalistes d'extrême droite qui défendent les griefs de certains Français descendants des colonisateurs.
Lancé le 30 novembre dernier, le titre Telk Qadeya se fait l’écho d’une génération déplorant l’indignation sélective de l’Occident, tout en exprimant un sentiment de culpabilité. Il approche des 2 millions de vues sur YouTube.
Sur fond rouge, une statue de la Liberté aux deux visages occupe la pochette du single. Voilà en une image tout le sens de Telk Qadeya (« Ça, c’est un cas », en arabe), chanson désenchantée à trois temps du groupe égyptien Cairokee. Sans jamais prononcer les mots Gaza, Israël ou États-Unis, le morceau reproche le deux poids deux mesures du « monde libre » à propos des atrocités commises dans la guerre déclenchée depuis l’attaque meurtrière du Hamas le 7 octobre 2023.
Le titre, diffusé sur les grandes plateformes musicales en ligne depuis le 30 novembre, atteint 1,8 million de vues sur le seul réseau YouTube. Repris en décembre sur la chaîne libanaise Al-Mayadeen, il reflète en Égypte et bien au-delà l’état d’esprit d’une génération entière. Celle, notamment, qui a exprimé sa hardiesse place Tahrir, au Caire, durant les révolutions arabes de 2011, lorsque cette formation rock devenue mythique faisait sonner la protestation.
« Depuis cette époque, Cairokee évoque toujours les problèmes et sait traduire nos sentiments comme personne », remercie un fan égyptien de la première heure, parmi les 4 300 commentaires du réseau social associé à la chanson. Le tube circule également sur les comptes de Palestiniens de Gaza. « Nous aimons ta voix qui atteint le monde, nous aimons l’humanité, nous aimons toute l’Égypte », déclame l’un d’entre eux coincé dans le sud de l’enclave.
Le texte pointe du doigt un Occident aux valeurs universelles, mais dont l’indignation serait sélective face aux plus grandes injustices. « Comment devenir un ange blanc ? /Ayez une demi-conscience/Lutter pour les mouvements de liberté/Anéantir les mouvements de libération/Distribuez votre compassion et votre tendresse/Les tués sont plus nombreux selon la nationalité/Mais ça c’est un cas, et ça c’en est un autre », commence le premier couplet.
Les messages affluent d’Égypte mais aussi d’Algérie, de Turquie, de France et même d’Inde, sans cibler particulièrement États-Unis ou Occident. Domine plutôt un sentiment d’impuissance, chacun depuis son pays d’origine. « Nous aimerions bien faire plus (…) Nous préparons le jour où nous serons tous tenus responsables de cette horreur », réagit un internaute turc.
Sentiment de culpabilité
Cairokee, qui n’échappe pas à la censure du régime autoritaire d’Abdel Fattah Al Sissi, n’avait pas pu sortir en 2017 son album No’ta Beeda (« Point blanc »). Il était donc exclu, cette fois-ci, d’interroger en chanson les ambiguïtés de l’Égypte et celles des autres États signataires des accords d’Abraham qui ont normalisé leur relation avec Israël. Mais le message bien compris des paroles fait apparaître un sentiment de culpabilité, y compris dans le monde musulman. « Pardonnez-nous, Palestiniens, nous avons honte, et nous connaissons la déception que vous ressentez, pardonnez-nous », supplie un fan algérien.
Ce thème de l’indignation sélective des États trouve une audience qui déborde largement les frontières du monde arabe. Dans son rapport mondial pour l’année 2023, paru le 11 janvier, l’ONG Human Rights Watch a passé en revue les pratiques en matière de droits humains dans près de 100 pays, dénonçant les contradictions des dirigeants mondiaux sur le sujet, notamment à propos de Gaza. La chanson Telk Qadeya, qui commence à être traduite dans d’autres langues, dont l’anglais et le français, fait écho à cette thématique, et suscite des réactions toujours plus loin.
Que s'est-il passé à la bataille de Dien Bien Phu ? Le 7 mai 1954, la France vie un désastre à Dien Bien Phu, dans le nord-ouest de l’actuel Vietnam. Vainqueurs, les Viêt Minh communistes dirigés par Ho Chi Minh et le général Giap mettaient ainsi fin à un siècle de d’occupation française de l’Indochine et à huit années de guerre meurtrière. Selon plusieurs estimations, elle tua environ un million de personnes, notamment des « indigènes ». Quelles sont les raisons de la défaite française à Diên Biên Phu ?
Ce 10 mai, l’ouvrage de l’historien Ilan Pappé, Le nettoyage ethnique de la Palestine sort de nouveau mais chez La Fabrique. Il avait été d’abord publié par Fayard qui s’en est « débarrassé ». L’essai est sans doute trop gênant pour ceux qui veulent nier ce crime majeur que constitue l’expulsion de centaines de milliers de Palestiniens en 1947-1950.
Novembre 1948. Des réfugiés palestiniens expulsés de la Galilée durant le mandat britannique sur la Palestine
Fred Csasznik/Wikimedia Commons
Il y a 75 ans, la première guerre judéo-palestinienne puis israélo-arabe se concluait par ce que les Palestiniens appellent la Nakba – la catastrophe. En l’occurrence, elle était triple : l’État juif avait vu le jour sur un territoire plus grand d’un tiers que celui prévu par le plan de partition de l’Organisation des Nations unies (ONU) voté le 29 novembre 1947, l’État arabe lui était mort-né, partagé entre Israël, la Transjordanie et l’Égypte, et près de 800 000 Palestiniens avaient été forcés à l’exil. Depuis, les origines de ce conflit qui ensanglante encore le Proche-Orient font l’objet d’un débat presque ininterrompu entre historiens palestiniens et israéliens, mais aussi entre ces derniers.
Parmi eux, deux chercheurs incarnent les principales visions en présence. Pionnier de la « nouvelle histoire », Benny Morris s’en tenait dès son premier livre1 à une thèse « centriste ». « Le problème palestinien, assurait-il, est né de la guerre, et non d’une intention, juive ou arabe ». Ilan Pappé, au contraire, a toujours interprété l’expulsion des Palestiniens comme le résultat d’un « nettoyage ethnique » prémédité. C’est tout le sens de son livre majeur, The Ethnic cleansing of Palestine2 qu’Henri Trubert a eu le courage de publier chez Fayard en 2008, sous le titre Le nettoyage ethnique de la Palestine.
FAYARD SE DÉSISTES’agissant du Proche-Orient, on le sait, la réalité dépasse souvent l’affliction. Ainsi, le 7 novembre 2023, Fayard a annoncé le retrait de ce livre de son catalogue. Pour Henri Trubert qui, depuis, a créé les éditions Les Liens qui Libèrent,« cette censure est doublement lamentable. D’abord parce qu’elle sanctionne un livre indispensable à la compréhension du conflit israélo-palestinien. Ensuite parce que, au-delà de Fayard, elle révèle la dégradation du débat intellectuel dans notre pays ». Ajoutons que Fayard n’a même pas eu l’honnêteté d’assumer sa décision liberticide : l’éditeur la camoufle derrière un problème juridique. « Le contrat, affirme-t-il, était caduc depuis le 27 février 2022. La maison a donc acté, le 3 novembre dernier, sa fin d’exploitation ». Pourtant, selon Edistat, un site de statistiques qui publie les ventes de livres en France, 203 des 307 exemplaires du livre vendus cette année ont trouvé preneur après le début des attaques israéliennes sur Gaza3. Fort heureusement, La Fabrique a sauvé l’honneur de l’édition française en republiant, dès ce mois de mai, Le nettoyage ethnique de la Palestine.
Quiconque voudra comprendre la Nakba pourra donc lire ou relire cette contribution exceptionnelle à la recherche et au débat historique à ce sujet. Car non seulement Pappé développe son approche de manière approfondie et cohérente, mais il le fait à la manière de Benny Morris : avec des citations fortes tirées des archives de la Haganah, du Palmah4, de l’armée israélienne, ainsi que des journaux de David Ben Gourion et d’autres dirigeants juifs.
Le livre s’ouvre sur la « Maison rouge », cet immeuble Bauhaus de Tel-Aviv devenu, en 1947, le quartier général de la Haganah. Ce 10 mars 1948, onze hommes,
vieux dirigeants sionistes et jeunes officiers juifs, apportent la touche finale à un plan de nettoyage ethnique de la Palestine. Le soir même, des ordres militaires sont diffusés aux unités sur le terrain afin qu’elles préparent l’expulsion systématique des Palestiniens de vastes zones du pays. Ces ordres comprenaient une description détaillée des méthodes à employer pour chasser les gens par la force.
Six mois après,
plus de la moitié de la population autochtone de la Palestine, soit près de 800 000 personnes, avait été déracinée, 531 villages détruits et onze villes vidées de leurs habitants.
D’ATROCITÉS EN MASSACRES
Les « nouveaux historiens » se sont bien sûr efforcés de réviser la version traditionnelle de la guerre de 1948. « J’étais l’un d’eux », ajoute Pappé qui, autocritique, estime néanmoins que ses confrères se sont « concentrés sur les détails ». Certes, grâce aux archives militaires israéliennes, ils ont pu non seulement démontrer l’absurdité de la thèse selon laquelle les Palestiniens seraient partis volontairement, mais aussi confirmer « beaucoup de cas d’expulsions massives » de villages et de villes et révéler « un nombre considérable d’atrocités, y compris de massacres ».
Mais leur démarche comportait, ajoute Pappé, une limite majeure, évidente chez le précurseur de la « nouvelle histoire ». Le fait de s’appuyer exclusivement sur les archives, considérées comme l’expression d’une « vérité absolue », les a conduits à une appréhension déformée de la réalité sur le terrain. Si Morris et les autres s’étaient tournés vers l’histoire orale, y compris arabe, ils auraient pu mieux saisir la « planification systématique derrière l’expulsion des Palestiniens en 1948 ».
Il est évidemment impossible de résumer ici Le Nettoyage ethnique de la Palestine. Un fait, à mes yeux, suffit à ébranler la thèse d’une expulsion non planifiée : la constitution, dès avant la Seconde guerre mondiale, d’un fichier de tous les villages arabes. C’est un jeune historien de l’université hébraïque de Jérusalem qui en a été chargé. Ce topographe « suggéra de conduire une inspection à l’aide de photographies aériennes ». Les meilleurs photographes professionnels du pays ont contribué au projet, un laboratoire étant installé dans la maison de Margot Sadeh, l’épouse de Itzhak Sadeh, chef du Palmah !
Ainsi ont été constitués des dossiers détaillés sur chacun des villages de Palestine, qui comprenaient, explique Pappé,
les routes d’accès, la qualité de la terre, les sources, les principales sources de revenu, la composition sociologique, les affiliations religieuses, le nom des muktars5, les relations avec les autres villages, l’âge des habitants hommes (de 16 à 50 ans) et bien d’autres choses.
Le dossier le plus important était :
un index de l’« hostilité » à l’égard du projet sioniste, à partir du niveau de la participation du village à la révolte de 1936. Une liste comportait quiconque y avait pris part et les familles de ceux qui avaient perdu quelqu’un dans le combat contre les Britanniques. Une attention particulière était prêtée aux gens qui avaient prétendument tué des Juifs. En 1948, cette dernière information alimentera les pires atrocités dans les villages, conduisant à des exécutions de masse et à des tortures.
« UNE EXPULSION N’EST PAS UN CRIME DE GUERRE »
Plus la fin du mandat britannique était proche, et plus
l’information s’orienta de manière explicitement militaire : le nombre de gardes (la plupart des villages n’en avaient aucun) et les quantité et qualité des armes à la disposition du village (en général archaïques ou même absentes).
Pour compléter leurs fichiers, Ezra Danin et son assistant, Yaacov Shimoni, ont recruté d’autres collaborateurs, parmi eux des « informateurs » palestiniens. L’historien précise :
L’actualisation définitive des dossiers des villages se déroula en 1947. Elle se focalisa sur la constitution de listes de personnes “recherchées” dans chaque village. En 1948, les troupes juives utilisèrent ces listes pour les opérations de recherche et d’arrestation qu’elles conduisaient dès qu’elles occupaient une localité. Les hommes étaient alignés et ceux qui figuraient sur les listes étaient identifiés, souvent par la même personne qui avait fourni les informations à leur sujet (…), la tête recouverte d’un sac avec deux yeux afin de ne pas être reconnue. Les hommes ainsi choisis étaient souvent abattus sur le champ.
Après Le Nettoyage ethnique de la Palestine, nul ne pourra plus raconter honnêtement 1948 comme avant. Paradoxalement, dix-sept ans plus tard, Benny Morris a fini par confirmer l’analyse de Pappé dans une interview au quotidien israélien Haaretz6 :
Dans certaines conditions, une expulsion n’est pas un crime de guerre. Je ne pense pas que les expulsions de 1948 étaient des crimes de guerre. On ne fait pas d’omelette sans casser des œufs. (...) Il y a des circonstances dans l’histoire qui justifient le nettoyage ethnique. Quand le choix est entre le nettoyage ethnique et le génocide – l’annihilation de votre peuple –, je préfère le nettoyage ethnique. Un État juif n’aurait pas pu être créé sans déraciner 700 000 Palestiniens. Il était donc nécessaire de les déraciner. Il n’y avait pas d’autre choix que d’expulser cette population.
DOMINIQUE VIDAL
Journaliste et historien, auteur notamment de Comment Israël expulsa les Palestiniens, éditions de l’Atelier, 2023.
(Casablanca) « Ô Palestine ma bien aimée, Résiste ! » Au Maghreb, la solidarité avec les Palestiniens s’affiche surtout, depuis le début de la guerre dans la bande de Gaza, dans les stades de football, rares théâtres d’expression où les ultras crient les colères et les frustrations de la jeunesse.
CLAIRE GOUNON, AVEC YOUCEF BOUNAB À TUNISAgence France-Presse
Chômage, inégalités, corruption : les ultras scandent des slogans qui ont largement disparu de la rue depuis qu’une vague de répression a balayé les mouvements de contestation, dans la foulée du Printemps arabe, dénoncent des organisations de défense des droits humains.
Entre les banderoles réclamant plus de liberté, il y a les drapeaux palestiniens, omniprésents depuis le début de la guerre entre Israël et le Hamas à Gaza.
Dès le 8 octobre, au lendemain de l’attaque sans précédent du mouvement islamiste palestinien sur le sol israélien qui a déclenché une offensive militaire israélienne meurtrière, retentissait dans le stade Mohammed-V de Casablanca une chanson des ultras de l’un des clubs phares de la capitale économique marocaine.
« Ô Palestine ma bien aimée, où sont les Arabes ? Ils sont endormis, ô toi le plus beau pays, résiste ! », dit l’air écrit par les ultras du Raja et repris depuis des années à travers le monde arabe.
À Alger en novembre, c’est un tifo représentant un Palestinien masqué, avec pour sous-titre « Je me sacrifie pour toi, terre des révolutionnaires », qui était déployé.
« La question palestinienne fédère tout le monde », note Abderrahim Bourkia, sociologue marocain, qui a écrit « Des ultras dans la ville ».
« Les ultras se placent de manière générale du côté des opprimés. Pour eux, ça va de soi de chanter la Palestine », détaille-t-il.
« Devoir »
En Algérie et en Tunisie, des banderoles clament qu’« À Gaza, la faim et la soif c’est tous les jours », promettent que « Nous vengerons les enfants (palestiniens) », quand le Wydad Casablanca salue les « résistants au cœur des tunnels », en référence aux combattants du Hamas terrés sous Gaza, bombardé par Israël.
Pour Seif*, ultra du groupe « Zapatista » de l’Espérance de Tunis, la cause palestinienne fait partie des sujets que les ultras « partagent », comme « la corruption dans le sport » et la quête de liberté.
« Transmettre un message est le moins que l’on puisse faire », lance Ali*, un autre ultra espérantiste.
« Ne pas défendre les gens les plus proches de toi, tes frères, est-ce que ça paraît correct ? », interroge-t-il : « La cause palestinienne n’est pas une tendance, c’est un devoir ».
Les ultras interrogés par l’AFP indiquent qu’ils se sentent plus à l’aise dans les tribunes qu’ailleurs pour exprimer des opinions politiques.
« Le stade demeure le seul lieu » où épancher les émotions « est toléré », relève M. Bourkia.
Au Maroc, les manifestations propalestiniennes dénonçant les « massacres » à Gaza et la normalisation entre le royaume et Israël sont fréquentes, mais largement encadrées par les forces de l’ordre, comme ailleurs dans la région.
Hamza*, ultra du Wydad, estime que si son groupe organisait une marche propalestinienne, « les autorités stopperaient ça dès le premier instant ».
« C’est beaucoup plus simple de le dire dans un stade », où l’« effet de foule » permet de « se défouler », ajoute l’étudiant en communication de 21 ans.
« La vérité sort toujours des stades »
Selon M. Bourkia, la jeunesse, qui se sent marginalisée, « semble avoir trouvé dans les ultras un porte-voix, un canal de liberté d’expression et l’opportunité de se former et de s’adonner à un travail collectif engagé ».
« Nous ne faisons pas de politique, mais la vérité sort toujours des stades […]. C’est la voix des quartiers populaires », affirme à l’AFP Abdelhamid*, un ultra du Mouloudia d’Alger.
Les ultras « veulent montrer qu’ils agissent, qu’ils ne sont pas simplement un groupe de supporters casse-cou et qu’ils ont, eux aussi, un avis », analyse le sociologue tunisien Mohamed Jouili.
Comme les autres ultras rencontrés par l’AFP, Hamza* à Casablanca se défend de tout hooliganisme et regrette que les autorités prononcent des peines contre certains – allant jusqu’à l’emprisonnement – pour « calmer » l’ensemble du groupe, dit-il.
Ces dernières années, des émeutes ont éclaté entre ultras lors de matchs, donnant lieu à des sanctions contre des clubs.
« Mettre autant de pression sur cette population qui veut juste s’exprimer, ce n’est pas la bonne solution. Ça me motive encore plus », assure-t-il : « On n’arrêtera pas de scander ce qu’on veut scander et on n’arrêtera pas de chanter (pour la Palestine) ».
*Les prénoms ont été modifiés
CLAIRE GOUNON, AVEC YOUCEF BOUNAB À TUNISAgence France-Presse
L'aspect réformiste de l'œuvre de Taha Hussein. Essai de Mohammed Arkoun. Editions Frantz Fanon, Tizi Ouzou 2019. 163 pages, 700 dinars
Taha Hussein ? «Homme de devoir, animé d'un dévouement total, d'un amour illimité pour sa terre natale et ce peuple égyptien au destin si contraire, il consacrera donc tous ses instants à faire partager à ses compatriotes et même à ses coreligionnaires, les bienfaits de la liberté et de la culture». Son ambition ? Jeter un pont entre des mondes qui ont tout intérêt à se connaître. Un homme à l'attitude réformiste qui n'est autre chose qu'un effort constant pour réaliser un compromis difficile entre le conservatisme extrême et le radicalisme révolutionnaire. Un homme qui se préoccupera très fortement de l'histoire de l'art et de la littérature égyptienne aux diverses époques; de même que la littérature et de l'histoire arabes, de la religion musulmane. Puis, il se préoccupera très fortement de la culture moderne de l'éducation des masses et de l'émancipation de la femme musulmane. Cela ne veut aucunement dire qu'il devait être indemne de toute critique. Ainsi, pour l'auteur, «s'il a bien accompli son devoir sur le plan littéraire, il n'a pour ainsi dire rien fait pour nourrir et orienter la vie politique et sociale dans son pays».
A l'origine de l'ouvrage, un mémoire de fin d'études de l'auteur sur l'œuvre de Taha Hussein présenté en 1953-1954, travail dont il avait gardé un mauvais souvenir suite aux réactions, «violentes», lors d'une présentation à la Maison des Etudiants à Alger en 1954, «présentation qui lui porta préjudice du côté algérien comme du côté français» au point qu'il le rangea et ne songea jamais à le publier (Touria Yacoubi Arkoun, avant-propos).
L'Auteur : Né à Taourirt Mimoun/Tizi Ouzou, le 1er février 1928, décédé en 2010 en France et inhumé au Maroc, l'Algérie (celle de la «Pensée islamique» radicale) ne l'ayant pas reconnu en temps voulu, l'ayant même (presque) rejeté. Etudes à Oran et à Alger puis à la Sorbonne-Paris. Enseignant et conférencier à travers le monde. Un des islamologues les plus importants de l'époque contemporaine. Penseur exigeant et militant pour une refondation humaniste de l'islam. Il a produit une œuvre qui a révolutionné l'islamologie mondiale, en encourageant l'émergence d'une nouvelle discipline scientifique, «l'islamologie appliquée». Plusieurs ouvrages et un livre d'entretiens (R. Benzine et J-L Schlegel), «La construction humaine de l'islam».
Table des matières : Avant-propos/ Introduction : Les divers aspects du réformisme musulman/ I. Exposé analytique/ II. Exposé critique/ Conclusion : la tâche de l'intellectuel musulman/Bibliographie
Extraits : «L'intelligence occidentale va franchir en trois siècles, à travers des sacrifices admirables et des révolutions grandioses, les étapes décisives qui lui assurent aujourd'hui cette suprématie incontestable dont elle jouit» (p22), «L'Occident va de plus en plus se tourner vers l'homme en tant que tel et l'univers pour le dominer. L'Orient, au contraire, s'épuisant dans ses «retours perpétuels au feu central», réduira la connaissance à une pure accumulation du connu» (p 104), «C'est une grave erreur, du point de vue psychologique, d'initier, d'une part, les jeunes intelligences à la méthode critique et de leur imposer, d'autre part, certains dogmes intangibles» (p 113), «Le cataclysme, c'est le monde capitaliste et le monde communiste en lutte pour la suprématie universelle, lutte dont le Moyen-Orient fait justement les frais en grande partie, car il a la chance -ou la malchance- d'occuper une position stratégique et de posséder du pétrole» (p 153).
Avis - Un ouvrage si riche en renseignements sur la culture et la religion et leurs évolutions. La pensée de Taha Hussein présentée par un philosophe algérien si incompris chez nous, et analysée pour ne pas dire critiquée parfois et admirée souvent.
Citations : «L'idée d'un retour pur et simple au passé trouve dans les masses incultes, pour qui l'avenir est toujours problématique, une grande faveur» (p 9), «La tyrannie de la classe dominante n'aliène pas seulement la liberté de l'écrivain; elle supprime en plus l'égalité entre les citoyens et par conséquent la justice» (p 83), «De tous les égoïsmes, l'égoïsme intellectuel que l'on rencontre chez le conservateur, confortablement installé dans son monde à lui, est sans aucun doute le plus résistant» (p 91), «L'application véritable du régime démocratique ne nécessite-t-elle pas en effet, comme première condition, la libération des esprits de toutes les aspirations vaines, des mythes inconsistants, pour les engager dans la voie des constructions sociales concrètes et des tentatives fructueuses ?» (p 130), «Dans toute société musulmane contemporaine, l'on trouve à la fois : «notre XIIIe siècle avec ses théologiens et ses docteurs; notre XVIIe siècle avec ses réformateurs religieux, notre XVIIIe siècle avec ses philosophes rationalistes et ses encyclopédistes; -Le tout reposant sur la base plus ancienne et populaire du XIIe siècle empreint de mysticismes locaux, peuplé de confréries et de tiers ordres qui se suffisent à eux-mêmes» (Milliot, L. cité. Introduction à l'étude du droit musulman, Recueil Sirey, 1953).
Que sortira-t-il de ce mélange «détonnant» où des hommes éperdus, déracinés, manquant de traditions politiques sur la base desquelles ils pourraient édifier un véritable Etat moderne, se livrent aux luttes sociales ?» (p138-139).
Lectures du Coran. Essai de Mohammed Arkoun. Editions Sedia, Alger 2016, 2.200 dinars, 567 pages. (Fiche de lecture déjà publiée. Extraits pour rappel. Fiche de lecture complète in www.alamnach-dz.con/culture/ bibliothèque dalmanach)
C'est un ouvrage paru initialement en 1982 puis republié en 1991. Un opus fondamental, un recueil d'articles rédigés dans les années 1970. On le sait, on le constate. La pensée de Mohammed Arkoun, foisonnante et tout en nuances, n'est pas d'un abord facile.
Pour l'assimiler, il faut du temps et des instruments critiques que peu de personnes maîtrisent. Mohammed Arkoun avance à pas de loup dans un corpus des plus touffus. À plusieurs reprises, dans son ouvrage, il se déclare conscient de l'inégalité du combat qu'il mène contre l'interprétation idéologique et politique de l'islam. Son objectif : restituer le Coran dans sa fonction d'élan religieux, après son dépouillement de ce que les sciences humaines peuvent légitimement s'approprier du texte, en tirant au clair son mode de production formel. Ainsi, l'islamologue espère rajeunir non pas le Coran, mais sa lecture et, tout en lui gardant son intégrité de Tout signifiant, introduire, pour le comprendre et l'analyser, un appareil critique lourd. Pour ce faire, il mobilise toutes les ressources de la linguistique, de la sémiotique, de l'histoire des mentalités, de la sociologie, de la critique littéraire pour déconstruire le discours classique sur le Coran. Des articles «revisités» durant plus de quarante ans La table des matières est, à elle seule, parlante.
L'Auteur : Voir plus haut
Extraits :Du côté musulman, le vide intellectuel et scientifique est dû à la très faible présence, voire à la totale absence des sciences de l'homme et de la société, surtout dans les facultés ou les départements d'études islamiques. Et, quand il s'agit du Coran, il y a soit l'autocensure imposée par un environnement militant, soit le conformisme desséchant à une «orthodoxie» fixée dès l'époque de Tabari, mais plus que jamais rigidifiée par l'actuel «radicalisme islamiste» (p13).
Avis - Une lecture croyante du Coran, mais libre, contemporaine, affranchie des diktats (notamment vestimentaires) et des commandements et interdits de tous ordres qui en alourdissent la lecture idéologique et politique. Une attitude philosophique ouverte aux apports et aux interrogations des théologies classiques et modernes. A lire pour franchir le pas décisif qui fera, peut-être, entrer v(n)otre pensée philosophique et/ou théologique dans l'investigation scientifique.
Citations : «L'idée principale est qu'on constate une disproportion croissante entre la consommation idéologique et imaginaire du Coran au jour le jour et la prise en considération, par une pensée libre et critique, de tous les problèmes qu'il pose, aujourd'hui, non seulement aux musulmans, mais à tous les esprits soucieux de renouveler notre connaissance du phénomène religieux» (p 35
Soutenues bruyamment par les ministres de la justice, de l’intérieur et de l’enseignement supérieur, des centaines de procédures-bâillons ont été lancées en France pour des propos ou des écrits considérés comme soutenant le terrorisme. Ces procédures sont dans la plupart des cas en suspens, mais menacent des centaines de personnes. Et au-delà, l’expression de la solidarité avec les Palestiniens.
« Maintenant [Israël] organise, sur les territoires qu’il a pris, l’occupation qui ne peut aller sans oppression, répression, expulsion et s’y manifeste contre lui la résistance qu’à son tour il qualifie de terrorisme », disait Charles de Gaulle, alors président de la République, en 1967. S’il tenait ces propos aujourd’hui, le général pourrait être poursuivi pour apologie du terrorisme.
Le nombre de procédures ouvertes pour ce délit en France explose depuis le 7 octobre 2023. Au 30 janvier 2024, Le Monde1 rapporte que 626 sont en cours dont 278 à la suite de saisines du pôle national de lutte contre la haine en ligne. Des poursuites sont alors engagées à l’encontre de 80 personnes. Interrogé sur la mise à jour de ces données, le ministère de la justice n’a pas répondu. Notre enquête permet toutefois d’affirmer que des dizaines de nouvelles convocations ont été émises depuis le 30 janvier.
Simples citoyens, influenceurs, sportifs de haut niveau, étudiants, militants associatifs ou syndicaux, responsables politiques, élus locaux ou députés, les convocations pleuvent, comme celle du militant Anasse Kazib, de la journaliste Sihame Assbague, de la candidate aux élections européennes Rima Hassan ou de la cheffe des députés Insoumis Mathilde Panot.
Si parmi les personnes inquiétées, certaines ont qualifié les attaques du Hamas et du Djihad islamique d’« actes de résistance », peu ont explicitement glorifié le massacre du 7 octobre 2023 ou se sont réjouies de la mort de civils israéliens. « L’apologie du terrorisme consiste à présenter ou à commenter favorablement des actes terroristes », peut-on lire sur service-public.fr, le site officiel de l’administration française. Une définition vague où s’engouffrent des largesses d’interprétation. C’est ainsi que la simple évocation du colonialisme brutal pratiqué par Israël sur les terres palestiniennes pour contextualiser les circonstances des attaques du 7 octobre 2023 est jugée comme de l’apologie. Pour l’avocate Dominique Cochain :
L’explication de la cause à effet est souvent considérée comme de l’apologie. C’est comme si tout avait pris naissance le 7 octobre 2023, et que les décennies d’occupation et de crimes israéliens qui ont précédé n’avaient pas d’existence. Le 7 octobre est présenté comme le jour zéro. Quand des personnes tendent à expliquer que cet évènement n’a pas surgi comme ça, ex nihilo, on vient leur dire : puisque vous prétendez que le 7 octobre est peut-être la conséquence de quelque chose, quelque part vous l’excusez. Expliquer serait excuser. C’est complètement ubuesque.
« Les horreurs de l’occupation illégale se sont accumulées. Depuis samedi [7 octobre], elles reçoivent les réponses qu’elles ont provoquées », peut-on lire sur un tract de la CGT du Nord diffusé le 10 octobre 2023. En raison de ces écrits, Jean-Paul Delescaut, secrétaire local du syndicat et responsable pénal de cette publication, est condamné pour apologie du terrorisme le 18 avril 2024 à un an de prison avec sursis, et à verser 5 000 euros à l’Organisation juive européenne (OJE), l’une des plus lourdes peines prononcées à ce jour. Le syndicaliste a fait appel de la décisio.
DES INTERROGATOIRES TRÈS ORIENTÉS
Nadia2 milite pour la Palestine depuis longtemps. Le 7 octobre 2023, elle publie sur Facebook un post où elle écrit que « tout acte commis après 75 ans de colonisation, de spoliation, d’exaction, est un acte de résistance ». Le 10 octobre, elle publie un extrait (avec guillemets) d’un article du Point dans lequel l’hebdomadaire rapportait des propos du porte-parole des Brigades Ezzedine Al-Qassam, prévenant que ce qui arrivera à la population palestinienne de Gaza arrivera forcément aux otages israéliens.
Quelques minutes plus tard, nouvel appel. Cette fois, un policier lui demande de venir immédiatement au commissariat. Nadia s’exécute. Les policiers organisent alors un convoi de trois voitures pour aller perquisitionner son domicile. Ils prennent en photo ses objets privés : tapis de prière, Coran, livres, et saisissent son matériel informatique. Elle est ensuite placée en garde à vue et déférée au parquet antiterroriste où elle est enfermée en cellule pour la nuit. « J’ai cru que c’était des toilettes, c’était insalubre, j’ai vomi toute la nuit », confie-t-elle. « Est-ce que vous vous rendez compte qu’en partageant ce que vous partagez vous applaudissez le pogrom juif du 7 octobre sachant qu’il y a eu des bébés décapités, des femmes violées ? », lui demande un agent lors de son interrogatoire reprenant à son compte de fausses informations. Il la questionne en outre sur sa pratique de la religion, ses habitudes, sa vie privée. Des questions qu’elle qualifie de « très orientées » et « très personnelles ».
Sur les conseils de Me Cochain, son avocate, Nadia n’ébruite pas l’affaire. Lors de son procès, la procureure requiert seulement 300 euros d’amende et prononce ces mots : « Je voudrais que Madame sache que ce n’est pas son militantisme pour la Palestine qui est aujourd’hui jugé, surtout au vu de la terreur qui se déroule là-bas ». Nadia ne s’y attendait pas. Elle obtient une relaxe du tribunal. Aucun appel n’est interjeté. Durant la procédure, Nadia a appris par la même occasion qu’elle était surveillée par la Direction départementale de la sécurité publique (DDSP). Ayant un casier judiciaire vierge, elle ne voit pas d’autre raison que son engagement pour la Palestine comme motif de cette surveillance.
LOURDE PEINE À MONTPELLIER
Mohamed Makni n’a pas eu la même chance que Nadia. Âgé de 73 ans, cet élu socialiste d’Échirolles avait relayé sans le commenter un article d’un ancien ministre tunisien qui qualifiait d’« actes de résistance » les attaques du 7 octobre. Malgré sa condamnation des exactions du Hamas sur les civils, Mohamed Makni est exclu du Parti socialiste en Isère et ses délégations communales lui sont retirées. Poursuivi par le parquet de Grenoble, il est condamné le 26 mars par le tribunal correctionnel à quatre mois de prison avec sursis. Durant leurs plaidoiries, les parties civiles n’hésitent pas à véhiculer les fausses nouvelles diffusées par les autorités israéliennes concernant le 7 octobre. L’avocat du Conseil représentatif des institutions juives de France Grenoble-Isère (Crif Grenoble-Isère), Maître Éric Hattab, déclare par exemple : « il n’y a aucun débat. Éventrer une femme, lui enlever son bébé [...], ce sont des actes de terrorisme »3.
La plus lourde peine connue prononcée à ce jour l’a été contre Abdel, un quadragénaire de Montpellier, sans emploi et souffrant de dépression. Ce militant a été condamné à un an de prison avec sursis, une inéligibilité de trois ans, 3 000 euros de dommages et intérêts à verser au Crif, à l’association Avocats sans frontières France (ASF France) et trois autres associations parties civiles, le tout assorti d’une inscription au fichier des auteurs d’infractions terroristes (FIJAIT) qui implique, pour une durée de dix ans, de déclarer l’adresse de son domicile tous les trois mois, ainsi que tout changement d’adresse et tout déplacement à l’étranger au moins 15 jours avant le départ. En cas de non-respect de ces obligations, le montpelliérain s’expose à une peine de deux ans de prison supplémentaire et 30 000 euros d’amende.
Lors d’un rassemblement, il avait qualifié l’attaque du 7 octobre d’acte « héroïque » et de « résistance ». Au tribunal, l’homme avait expliqué que ses propos avaient été sortis de leur contexte dans l’extrait vidéo mis en avant sur les réseaux sociaux, à la source de ses ennuis judiciaires. Selon la journaliste Sihame Assbague, présente lors de l’audience le 8 février, Abdel s’est expliqué sur l’usage de l’adjectif « héroïque » pour parler du 7 octobre : il ne faisait pas référence aux tueries de civils mais à des scènes comme celle de la démolition des checkpoints à l’entrée de Gaza. « Il faut se mettre dans la tête d’un Palestinien sous blocus depuis 17 ans », avait-il expliqué.
Abdel n’a pas convaincu le tribunal. Désigner l’attaque comme un « "acte de résistance" revient à émettre un jugement favorable », caractérisant le délit d’apologie du terrorisme, a expliqué la présidente en rendant sa décision.
L’AFFAIRE WARDA ANWAR
Les poursuites pour apologie du terrorisme ont conduit à des situations absurdes. « Si on vous pose une question sur un fait qui n’a pas existé et que vous dites qu’il n’a pas existé, on va vous dire que c’est de l’apologie du terrorisme », résume l’avocate Dominique Cochain en référence à l’affaire de Warda Anwar. Dans une vidéo, cette instagrameuse avait commenté début novembre une fausse information diffusée par les sphères pro-israéliennes, selon laquelle un bébé avait été placé dans un four par des combattants du Hamas. « À chaque fois que je tombe sur l’histoire du bébé qui a été mis dans le four, je me demande s’ils ont mis du sel, du poivre (...), du thym, à quoi ils l’ont fait revenir ? », plaisantait dans sa vidéo la trentenaire. Un enfant, hors champ, abonde dans le même sens disant qu’ils ont sûrement « mis du ketchup sur le bébé rôti ».
Jugée en comparution immédiate, Warda Anwar a été condamnée à une peine de dix mois de prison assortie d’un sursis probatoire pendant 24 mois, à verser 1 000 euros d’amende et 500 euros de frais de procédure à chacune des six associations constituées partie civile, mais aussi à suivre un « stage de citoyenneté » pour s’imprégner des « valeurs de la République ». Lors de son procès, elle a reconnu avoir été « maladroite ». Elle a assuré avoir voulu dénoncer une « propagande » et une « manipulation des médias ». Quand l’une des juges, rapporte l’hebdomadaire Marianne, a demandé à Warda si elle regrettait cette vidéo, après un long silence, la jeune femme a répondu :
Je regrette surtout qu’on n’ait pas eu l’intelligence de la voir comme je voulais le dire. Je ne pense pas avoir fait quelque chose de mal. J’ai été maladroite vu le contexte très tendu, mais je n’avais pas l’intention de faire du mal à qui que ce soit.
L’avocat de l’influenceuse a fait appel de la décision.
Des quatre cas que nous venons d’exposer, seule Nadia a bénéficié d’une relaxe. Elle est aussi la seule dont le procès s’est déroulé sans constitution de partie civile car passé sous les radars médiatiques. Cette discrétion a-t-elle permis au tribunal de se prononcer dans une certaine sérénité ? C’était en tout cas la stratégie adoptée par la défense de l’intéressée. Et elle a fonctionné.
Dans l’affaire de Warda, le député (apparenté Les Républicains) Meyer Habib, proche du premier ministre israélien Benyamin Nétanyahou, est venu tenter de se constituer partie civile. Ainsi, précise l’avocate Dominique Cochain :
Quand on rend public un procès, comme celui de l’influenceuse, cela attire des tas de personnes qui viennent plaider avec des avocats et veulent se constituer partie civile, mais qui en fait n’ont rien à faire là. Ils occupent l’espace et tentent d’influencer. Meyer Habib est venu, il a fait son speech, il a eu sa tribune même s’il n’était pas recevable à se porter partie civile.
Dans cette affaire, Meyer Habib ne pouvait se prévaloir d’aucun « préjudice personnel », a estimé le tribunal qui a rejeté sa demande de constitution de partie civile.
DES PROCÉDURES EN SUSPENS
Ceux qui ont comparu ont vu leur sort fixé rapidement. Toutefois à ce jour, une grande partie des procédures pour apologie du terrorisme reste en suspens. Pour l’avocate Elsa Marcel :
C’est une sorte de troisième voie. Les gens sont convoqués puis n’ont plus de nouvelles. C’est une manière de maintenir une épée de Damoclès sur les personnes en ouvrant une enquête et en laissant le doute planer sur le fait de savoir si le parquet va finir par poursuivre ou abandonner.
Son engagement pour la Palestine a coûté cher à Émilie Gomis. L’ancienne basketteuse de l’équipe de France, ambassadrice des Jeux olympiques de Paris, a « pris la première vague », selon ses mots. Dans la nuit du 9 au 10 octobre 2023, vers 23 heures, elle relaye en story (post éphémère) sur Instagram l’image d’une carte de France avec le drapeau tricolore se couvrant progressivement du drapeau israélien au fil des ans. L’illustration est accompagnée d’une question : « Que feriez-vous dans cette situation ? »
Vers 9 heures du matin, avertie par des messages du mécontentement du cabinet d’Emmanuel Macron, Émilie Gomis supprime son post qui ne sera resté que 10 heures en ligne. Elle poursuit ensuite ses activités d’ambassadrice des JO durant cinquante et un jours, sans qu’il ne se passe rien. Tout bascule le 30 novembre quand le compte pro-israélien Sword of Salomon qui se vante de faire des « signalements » sur X, publie une capture d’écran de la story supprimée et enclenche le rouleau compresseur qui va conduire à la démission forcée de l’athlète de haut niveau de son poste pour Paris 2024.
Rapidement, le Crif reprend le « signalement » et demande, publiquement et en privé, à la ministre des sports Amélie Oudéa-Castéra qu’Émilie Gomis « soit démise de ses fonctions d’ambassadrice de Paris 2024 ». La machine est lancée mais en coulisses, silence radio. « Je voyais ma vie sur les réseaux sociaux. On a voulu me discréditer, m’humilier, on voulait m’éteindre sans que je ne comprenne ce qui m’était reproché », nous confie-t-elle. Émilie Gomis refuse de démissionner sans être entendue. Elle a dû attendre jusqu’au 10 janvier pour avoir la possibilité d’échanger avec sa hiérarchie (et notamment la ministre des sports) lors d’une réunion en visioconférence où on lui a fermement signifié qu’elle devait démissionner pour « manquement à son devoir de réserve ».
Pour couronner le tout, le Bureau national de vigilance contre l’antisémitisme (BNVCA) porte plainte contre l’athlète pour apologie du terrorisme. Elle est convoquée au commissariat le 8 février pour être entendue par la police judiciaire. À sa sortie, elle dénonce un « acharnement ». Rencontrée plusieurs semaines plus tard, elle nous assure ne rien regretter de son engagement pour la Palestine. « Prenez-moi tout ce que vous donnez, ce qui compte pour moi, c’est ce qu’on ne peut pas me retirer : ma dignité, mes convictions », lance-t-elle souriante. À cette heure, aucune procédure n’est enclenchée contre Émilie Gomis. Elle est toujours en suspens.
À l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS), pour des propos publiés début octobre, les convocations ont commencé à tomber en février et mars, « en même temps que beaucoup d’autres convocations » en France, confie Sarah4. « On a vérifié la date, les procédures ont été lancées le 30 janvier contre des centaines d’individus, de militants et d’organisations politiques », assure-t-elle.
Sur le campus parisien, ils sont six membres du syndicat Solidaires à avoir été convoqués pour un tract diffusé le 8 octobre 2023, dans lequel l’attaque de la veille était qualifiée d’« acte de résistance ».« Toute condamnation de la mort de civils israéliens, sans prise en compte des milliers de Palestiniens assassinés par l’État colonial et des effets d’une occupation longue d’un demi-siècle est vaine et insupportable », pouvait-on lire dans le texte.
Les étudiants syndiqués sont inquiétés plus de quatre mois après la publication de ce libelle. Ils ne s’y attendaient pas : « C’est assez dur parce que même si on n’a rien à se reprocher, qu’on est confiants, quand on voit les condamnations qui tombent, on est quand même assez conscients de l’acharnement dont on peut être la cible », confie Sarah. Pour l’instant, pas de nouvelles d’un potentiel procès :
On ne connaît à peu près rien de la procédure parce que l’enquête est encore en cours. On sait juste que le motif pour lequel on a été convoqués à des auditions libres, c’était apologie du terrorisme en ligne et que le service responsable de la convocation, c’est le groupe de lutte antiterroriste, le GLAT.
Dès le 10 octobre, le président de l’EHESS, Romain Huret, annonce avoir fait un signalement Pharos contre le communiqué et envisage des mesures disciplinaires contre les étudiants. Contacté, il n’a pas répondu à notre sollicitation. Comme le rappelle Mediapart, ce genre de signalements a été encouragé par la ministre de l’enseignement supérieur, Sylvie Retailleau, qui, le 9 octobre, avait adressé un courrier aux présidents d’université et directeurs d’instituts de recherche les enjoignant de signaler aux procureurs toute « apologie du terrorisme » et « incitation à la haine, à la violence et à la discrimination »5.
LES CONSIGNES MUSCLÉES DE DUPOND-MORETTI
Dans une circulaire du 10 octobre adressée aux procureurs, le ministre de la justice Éric Dupond-Moretti encourage les poursuites en insistant sur le fait que « les propos qui tendent à inciter autrui à porter un jugement favorable sur une infraction qualifiée de terroriste ou sur son auteur, même prononcés dans le cadre d’un débat d’intérêt général et se revendiquant comme participant d’un discours de nature politique » sont constitutifs de l’apologie du terrorisme visée par l’article 421-2-5 du code pénal. Et le ministre ajoute :
La tenue publique de propos vantant les attaques (…) en les présentant comme une légitime résistance à Israël, ou la diffusion publique de message incitant à porter un jugement favorable sur le Hamas ou le Djihad islamique (…) devront ainsi faire l’objet de poursuites.
Cette circulaire est pourtant contradictoire avec une réforme menée par Christiane Taubira quand elle était garde des sceaux. Il s’agissait alors « d’interdire que soient données des instructions de manière trop ciblées au parquet qui n’est pas un organe indépendant et qui obéit au ministère de la justice », rappelle Maître Cochain. Pourtant le ministère « continue de le faire en donnant des instructions qui ciblent précisément et exclusivement les individus qui critiquent la politique israélienne », développe l’avocate. De son point de vue, la circulaire Dupond-Moretti s’inscrit
dans la continuité des circulaires qui ont été pondues des années durant sur l’appel au boycott d’Israël. En résumé, si vous voyez passer des appels au boycott de produits japonais, chinois, anglais, vous ne poursuivez pas mais pour le boycott des produits israéliens, vous poursuivez. Et là c’est un peu dans la même veine.
Cette circulaire a encouragé les procureurs à ouvrir des procédures et à entamer des poursuites « là où ils ne le feraient pas habituellement », abonde Arié Alimi, avocat de Jean-Paul Delescaut. Maître Alimi ajoute :
En plus, les critères retenus par cette circulaire sont plus larges que l’appréciation traditionnelle de l’apologie du terrorisme par les juridictions. En gros, on a dit aux procureurs : vous pouvez y aller même lorsqu’on est limite, voire lorsqu’on n’y est pas. Ouvrez les procédures, même si on ne poursuit pas, ça va calmer les esprits. On est dans le Père fouettard.
Le ministre de l’intérieur Gérald Darmanin a également multiplié les saisies du procureur au dernier trimestre 2023, notamment contre le Nouveau parti anticapitaliste (NPA) ou la députée LFI Danièle Obono. Selon les informations de Mediapart, entre le 7 octobre et le 31 décembre 2023, le pôle national de lutte contre la haine en ligne du parquet de Paris a reçu 385 signalements de ministres, députés, toutes personnes pouvant le faire, en lien exclusivement avec le conflit au Proche-Orient.
DU DÉLIT DE PRESSE À LA LOI CAZENEUVE
Les poursuites pour apologie du terrorisme s’inscrivent dans le cadre de la loi Cazeneuve du 13 novembre 2014 qui a extrait l’infraction d’apologie du terrorisme de la loi sur la liberté de la presse du 29 juin 1881 pour l’inscrire dans le code pénal et en durcir le régime. La peine encourue, initialement de cinq ans d’emprisonnement, est portée à sept ans et 100 000 euros d’amende lorsque les propos visés sont tenus sur Internet. Le délai de prescription est en outre allongé d’un à trois ans. Il est aujourd’hui de six ans, après l’entrée en vigueur d’une loi en 2017 allongeant les délais de prescription en matière pénale.
Depuis la loi séparatisme de 2021, il est également possible d’inscrire le condamné pour apologie du terrorisme au fichier judiciaire des auteurs d’infractions terroristes FIJAIT. Une telle condamnation peut aussi justifier le retrait du statut de réfugié. La loi Cazeneuve de 2014 a par ailleurs permis de faciliter le placement en garde à vue et la comparution immédiate, ce qui a multiplié de manière spectaculaire le nombre d’affaires, passant de moins d’une condamnation par an à des centaines depuis 2015, selon Mediapart6.
La politique des gouvernements français successifs a cependant suscité de nombreuses inquiétudes. Défenseur des droits, Jacques Toubon fustige en 2017 une loi dont la mise en œuvre conduit à un « fiasco judiciaire » qui plonge dans « un flou incompatible avec la liberté d’expression et d’information »7. L’ancien garde des sceaux, issu de la droite, met alors en garde contre une « sorte de “ciblage” d’une partie de la population ». En 2022, saisie par l’ancien membre du groupe Action directe, Jean-Marc Rouillan, la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) condamne la France, estimant que cette loi sur l’apologie du terrorisme porte une atteinte excessive à la liberté d’expression, « l’une des conditions essentielles » du progrès et de l’épanouissement de chacun dans une société démocratique, y compris si les idées « heurtent, choquent, inquiètent »8. Amnesty International ne dit pas autre chose : « Le délit d’apologie du terrorisme est trop souvent utilisé pour réduire au silence les expressions pacifiques de solidarité avec les Palestiniens et Palestiniennes » tout en créant un « effet dissuasif ».
Selon Maître Cochain, « l’apologie du terrorisme » pourrait connaître le même sort que l’appel au boycott des produits israéliens. Le 11 juin 2020, la France a été condamnée par la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) qui affirmait que l’appel au boycott relevait de la liberté d’expression et devait donc être protégé. « Il pourrait en être de même concernant bon nombre d’accusations d’apologie du terrorisme qui ont, en réalité, pour but de porter atteinte à la liberté d’expression en instrumentalisant la loi », estime l’avocate.
LE RÔLE DÉTERMINANT DES PARTIES CIVILES
Derrière les poursuites pour apologie du terrorisme, il y a des organisations pro-israéliennes qui portent plainte où se constituent partie civile comme le Crif, le Bureau national de vigilance contre l’antisémitisme (BNVCA), des organisations locales communautaires ou l’Organisation juive européenne (OJE). Cette dernière, particulièrement active sur ces dossiers, est à l’origine des poursuites contre des dizaines de personnalités dont l’humoriste Guillaume Meurice (affaire classée sans suite), le footballeur Youcef Atal (condamné à huit mois avec sursis), Jean-Luc Mélenchon, les députées insoumises Mathilde Panot et Danièle Obono, ou la juriste franco-palestinienne Rima Hassan. Comme le note Check News, cette organisation « regroupe principalement des avocats » et sa présidente Muriel Ouaknine Melki a des liens étroits avec les services de renseignement israéliens. Sollicitée, l’OJE n’a pas répondu à nos questions.
Certaines organisations, comme Jeunesse française juive (JFJ) qui se félicite d’avoir fait condamner Jean-Paul Delescaut de la CGT et poursuit plusieurs dizaines de personnalités pour apologie du terrorisme, ont été créées le 7 octobre 2023. N’ayant pas cinq années d’existence, JFJ n’a pas la possibilité de se constituer partie civile mais peut déposer plainte, et ne s’en prive pas. « Notre démarche est d’inciter la justice française à se positionner clairement quant aux propos faisant l’apologie du terrorisme », nous assure Raphaël Attia-Pariente, porte-parole de la JFJ. Il revendique « des centaines d’adhérents bénévoles » et assure que la volonté de JFJ« n’est pas de censurer qui que ce soit ».« Avoir de la sympathie pour les souffrances avérées et incontestables du peuple palestinien n’est pas un crime », développe Raphaël Attia-Pariente.
Selon lui,
À l’évidence, la France vit actuellement une vague d’antisémitisme comme rarement dans son histoire. La violence qui touche les juifs français nous semble être la conséquence directe des discours qui diabolisent Israël. Par conséquent, l’antisionisme fanatique devient de facto un problème françai
DES PROFESSIONNELS SOUS PRESSION
Outre les procédures judiciaires, les pressions professionnelles ne sont pas en reste concernant ceux qui critiquent Israël en France. Le sort de plusieurs avocats en exercice est actuellement examiné par la commission de déontologie en vue d’une saisie (ou pas) de la commission disciplinaire. Cela fait suite à des plaintes ordinales, autrement dit la saisie de l’Ordre des avocats par un confrère contre un confrère. Sont pointés les devoirs déontologiques de modération, de retenue et de délicatesse de la fonction.
L’un des avocats concernés ayant requis l’anonymat avoue être inquiété pour des publications sur les réseaux sociaux critiquant Israël de manière véhémente :
Avec ce qui se passe en Palestine, c’est la première fois où je me suis dit qu’on ne peut pas laisser l’espace médiatique être occupé par les pro-israéliens. Je trouve qu’Israël est un État qui se comporte comme un voyou depuis des décennies dans une impunité absolument totale et je ne vois pas pourquoi moi, je n’aurais pas le droit de parler.
L’anthropologue Véronique Bontemps est chercheuse au CNRS dans une unité en partie sous tutelle de l’École des hautes études en sciences sociales. À l’EHESS, elle est référente d’un séminaire de recherche sur les sociétés palestiniennes depuis plus de dix ans. Le 8 octobre, alors qu’elle est, selon ses mots, « très secouée par les attaques de la veille et par l’incertitude dans laquelle nous étions plongés », les étudiants de la section Solidaires demandent à Véronique de diffuser sur une liste d’e-mails interne à l’école le fameux communiqué qui leur vaudra leur convocation au poste. La chercheuse lit le communiqué en diagonale et le diffuse.
Immédiatement, elle reçoit des messages incendiaires de collègues qu’elle ne connaît pas personnellement et qui vont jusqu’à lui dire qu’elle a de la sympathie pour Daech, qu’elle est médiocre, qu’ils ont honte d’appartenir à la même institution qu’elle, etc. En relisant le communiqué à tête reposée, Véronique estime que le ton n’était pas approprié et qu’elle n’aurait pas écrit les choses de la même manière. Elle maintient que l’histoire n’a pas commencé le 7 octobre mais envoie un message disant qu’elle n’est pas l’auteure de ce communiqué et qu’elle condamne la mort de tous les civils.
En décembre, la direction du CNRS lance une procédure disciplinaire à son encontre pour « apologie du terrorisme »,« incitation à la haine raciale » et « manquement au devoir de réserve ». Après une longue attente, elle apprend en février qu’elle a écopé d’un avertissement de la part du CNRS pour le manquement à son devoir de réserve. Cette affaire a eu pour conséquence que Véronique Bontemps, éminente spécialiste de la Palestine, a refusé toutes les interventions auxquelles elle a été conviée après le 7 octobre :
Tout a été fait pour m’intimider, et ça a fonctionné. Je me suis dit que quoi que je dise, quelqu’un allait déformer mes propos et m’attaquer encore.
Rami Selmi est un médecin franco-palestinien, originaire de Gaza. Radiologue à Marseille, il pratique en France depuis 2006. Le 22 janvier 2024, il est convoqué par le conseil départemental de l’Ordre des médecins après une lettre envoyée par l’Observatoire juif de France adressée deux mois plus tôt. Dans les annexes envoyées avec la lettre figurent des captures d’écran de la page Facebook de Rami Selmi, où il écrivait : « Luttons contre le génocide du peuple palestinien commis par Israël », ou encore des photos de cadavres d’enfants victimes de cette guerre, rapporte La Marseillaise9. « Je ne comprends toujours pas ce qu’on me reproche », livre Rami au média local, disant qu’il se serait plutôt attendu à un soutien de la part du conseil de l’Ordre des médecins car sa famille a subi de lourdes pertes humaines dans cette guerre. « J’attendais aussi que ce conseil apporte son soutien aux médecins palestiniens et aux soignants victimes de l’armée israélienne sur place », a-t-il ajouté.
ET L’APOLOGIE DES CRIMES ISRAÉLIENS ?
De très nombreux commentateurs pro-israéliens ont tenu des propos insultants ou minimisant la souffrance infligée aux Palestiniens, pour la plupart des habitués des plateaux télés comme Meyer Habib (qualifiant le peuple palestinien de « cancer »), Caroline Fourest, Céline Pina ou le twittos Raphaël Enthoven. Quelles marges de manœuvres les organisations sensibles à la cause palestinienne ont-elles sur le plan juridique pour dénoncer des apologies de crimes de guerre, de crimes contre l’humanité ou de génocide ? Pour Maître Marcel,
Le crime de guerre, le génocide, il faut qu’ils soient reconnus d’un point de vue juridique pour en dénoncer l’apologie. C’est toute la différence avec l’apologie du terrorisme qui est vraiment très pratique de ce point de vue.
Ceux qui considèrent qu’il y aurait un deux poids deux mesures sont ainsi confrontés au fait que le Hamas est désigné comme organisation terroriste par l’Union européenne tandis qu’Israël, non. Le droit international a été construit par les puissances occidentales de telle sorte qu’on ne puisse évidemment pas poursuivre aussi facilement Israël pour des crimes de guerre commis sur les Palestiniens qu’un citoyen en France affirmant que le Hamas, c’est de la résistance.
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