L'aspect réformiste de l'œuvre de Taha Hussein. Essai de Mohammed Arkoun. Editions Frantz Fanon, Tizi Ouzou 2019. 163 pages, 700 dinars
Taha Hussein ? «Homme de devoir, animé d'un dévouement total, d'un amour illimité pour sa terre natale et ce peuple égyptien au destin si contraire, il consacrera donc tous ses instants à faire partager à ses compatriotes et même à ses coreligionnaires, les bienfaits de la liberté et de la culture». Son ambition ? Jeter un pont entre des mondes qui ont tout intérêt à se connaître. Un homme à l'attitude réformiste qui n'est autre chose qu'un effort constant pour réaliser un compromis difficile entre le conservatisme extrême et le radicalisme révolutionnaire. Un homme qui se préoccupera très fortement de l'histoire de l'art et de la littérature égyptienne aux diverses époques; de même que la littérature et de l'histoire arabes, de la religion musulmane. Puis, il se préoccupera très fortement de la culture moderne de l'éducation des masses et de l'émancipation de la femme musulmane. Cela ne veut aucunement dire qu'il devait être indemne de toute critique. Ainsi, pour l'auteur, «s'il a bien accompli son devoir sur le plan littéraire, il n'a pour ainsi dire rien fait pour nourrir et orienter la vie politique et sociale dans son pays».
A l'origine de l'ouvrage, un mémoire de fin d'études de l'auteur sur l'œuvre de Taha Hussein présenté en 1953-1954, travail dont il avait gardé un mauvais souvenir suite aux réactions, «violentes», lors d'une présentation à la Maison des Etudiants à Alger en 1954, «présentation qui lui porta préjudice du côté algérien comme du côté français» au point qu'il le rangea et ne songea jamais à le publier (Touria Yacoubi Arkoun, avant-propos).
L'Auteur : Né à Taourirt Mimoun/Tizi Ouzou, le 1er février 1928, décédé en 2010 en France et inhumé au Maroc, l'Algérie (celle de la «Pensée islamique» radicale) ne l'ayant pas reconnu en temps voulu, l'ayant même (presque) rejeté. Etudes à Oran et à Alger puis à la Sorbonne-Paris. Enseignant et conférencier à travers le monde. Un des islamologues les plus importants de l'époque contemporaine. Penseur exigeant et militant pour une refondation humaniste de l'islam. Il a produit une œuvre qui a révolutionné l'islamologie mondiale, en encourageant l'émergence d'une nouvelle discipline scientifique, «l'islamologie appliquée». Plusieurs ouvrages et un livre d'entretiens (R. Benzine et J-L Schlegel), «La construction humaine de l'islam».
Table des matières : Avant-propos/ Introduction : Les divers aspects du réformisme musulman/ I. Exposé analytique/ II. Exposé critique/ Conclusion : la tâche de l'intellectuel musulman/Bibliographie
Extraits : «L'intelligence occidentale va franchir en trois siècles, à travers des sacrifices admirables et des révolutions grandioses, les étapes décisives qui lui assurent aujourd'hui cette suprématie incontestable dont elle jouit» (p22), «L'Occident va de plus en plus se tourner vers l'homme en tant que tel et l'univers pour le dominer. L'Orient, au contraire, s'épuisant dans ses «retours perpétuels au feu central», réduira la connaissance à une pure accumulation du connu» (p 104), «C'est une grave erreur, du point de vue psychologique, d'initier, d'une part, les jeunes intelligences à la méthode critique et de leur imposer, d'autre part, certains dogmes intangibles» (p 113), «Le cataclysme, c'est le monde capitaliste et le monde communiste en lutte pour la suprématie universelle, lutte dont le Moyen-Orient fait justement les frais en grande partie, car il a la chance -ou la malchance- d'occuper une position stratégique et de posséder du pétrole» (p 153).
Avis - Un ouvrage si riche en renseignements sur la culture et la religion et leurs évolutions. La pensée de Taha Hussein présentée par un philosophe algérien si incompris chez nous, et analysée pour ne pas dire critiquée parfois et admirée souvent.
Citations : «L'idée d'un retour pur et simple au passé trouve dans les masses incultes, pour qui l'avenir est toujours problématique, une grande faveur» (p 9), «La tyrannie de la classe dominante n'aliène pas seulement la liberté de l'écrivain; elle supprime en plus l'égalité entre les citoyens et par conséquent la justice» (p 83), «De tous les égoïsmes, l'égoïsme intellectuel que l'on rencontre chez le conservateur, confortablement installé dans son monde à lui, est sans aucun doute le plus résistant» (p 91), «L'application véritable du régime démocratique ne nécessite-t-elle pas en effet, comme première condition, la libération des esprits de toutes les aspirations vaines, des mythes inconsistants, pour les engager dans la voie des constructions sociales concrètes et des tentatives fructueuses ?» (p 130), «Dans toute société musulmane contemporaine, l'on trouve à la fois : «notre XIIIe siècle avec ses théologiens et ses docteurs; notre XVIIe siècle avec ses réformateurs religieux, notre XVIIIe siècle avec ses philosophes rationalistes et ses encyclopédistes; -Le tout reposant sur la base plus ancienne et populaire du XIIe siècle empreint de mysticismes locaux, peuplé de confréries et de tiers ordres qui se suffisent à eux-mêmes» (Milliot, L. cité. Introduction à l'étude du droit musulman, Recueil Sirey, 1953).
Que sortira-t-il de ce mélange «détonnant» où des hommes éperdus, déracinés, manquant de traditions politiques sur la base desquelles ils pourraient édifier un véritable Etat moderne, se livrent aux luttes sociales ?» (p138-139).
Lectures du Coran. Essai de Mohammed Arkoun. Editions Sedia, Alger 2016, 2.200 dinars, 567 pages. (Fiche de lecture déjà publiée. Extraits pour rappel. Fiche de lecture complète in www.alamnach-dz.con/culture/ bibliothèque dalmanach)
C'est un ouvrage paru initialement en 1982 puis republié en 1991. Un opus fondamental, un recueil d'articles rédigés dans les années 1970. On le sait, on le constate. La pensée de Mohammed Arkoun, foisonnante et tout en nuances, n'est pas d'un abord facile.
Pour l'assimiler, il faut du temps et des instruments critiques que peu de personnes maîtrisent. Mohammed Arkoun avance à pas de loup dans un corpus des plus touffus. À plusieurs reprises, dans son ouvrage, il se déclare conscient de l'inégalité du combat qu'il mène contre l'interprétation idéologique et politique de l'islam. Son objectif : restituer le Coran dans sa fonction d'élan religieux, après son dépouillement de ce que les sciences humaines peuvent légitimement s'approprier du texte, en tirant au clair son mode de production formel. Ainsi, l'islamologue espère rajeunir non pas le Coran, mais sa lecture et, tout en lui gardant son intégrité de Tout signifiant, introduire, pour le comprendre et l'analyser, un appareil critique lourd. Pour ce faire, il mobilise toutes les ressources de la linguistique, de la sémiotique, de l'histoire des mentalités, de la sociologie, de la critique littéraire pour déconstruire le discours classique sur le Coran. Des articles «revisités» durant plus de quarante ans La table des matières est, à elle seule, parlante.
L'Auteur : Voir plus haut
Extraits :Du côté musulman, le vide intellectuel et scientifique est dû à la très faible présence, voire à la totale absence des sciences de l'homme et de la société, surtout dans les facultés ou les départements d'études islamiques. Et, quand il s'agit du Coran, il y a soit l'autocensure imposée par un environnement militant, soit le conformisme desséchant à une «orthodoxie» fixée dès l'époque de Tabari, mais plus que jamais rigidifiée par l'actuel «radicalisme islamiste» (p13).
Avis - Une lecture croyante du Coran, mais libre, contemporaine, affranchie des diktats (notamment vestimentaires) et des commandements et interdits de tous ordres qui en alourdissent la lecture idéologique et politique. Une attitude philosophique ouverte aux apports et aux interrogations des théologies classiques et modernes. A lire pour franchir le pas décisif qui fera, peut-être, entrer v(n)otre pensée philosophique et/ou théologique dans l'investigation scientifique.
Citations : «L'idée principale est qu'on constate une disproportion croissante entre la consommation idéologique et imaginaire du Coran au jour le jour et la prise en considération, par une pensée libre et critique, de tous les problèmes qu'il pose, aujourd'hui, non seulement aux musulmans, mais à tous les esprits soucieux de renouveler notre connaissance du phénomène religieux» (p 35
Taha Hussein ? «Homme de devoir, animé d'un dévouement total, d'un amour illimité pour sa terre natale et ce peuple égyptien au destin si contraire, il consacrera donc tous ses instants à faire partager à ses compatriotes et même à ses coreligionnaires, les bienfaits de la liberté et de la culture». Son ambition ? Jeter un pont entre des mondes qui ont tout intérêt à se connaître. Un homme à l'attitude réformiste qui n'est autre chose qu'un effort constant pour réaliser un compromis difficile entre le conservatisme extrême et le radicalisme révolutionnaire. Un homme qui se préoccupera très fortement de l'histoire de l'art et de la littérature égyptienne aux diverses époques; de même que la littérature et de l'histoire arabes, de la religion musulmane. Puis, il se préoccupera très fortement de la culture moderne de l'éducation des masses et de l'émancipation de la femme musulmane. Cela ne veut aucunement dire qu'il devait être indemne de toute critique. Ainsi, pour l'auteur, «s'il a bien accompli son devoir sur le plan littéraire, il n'a pour ainsi dire rien fait pour nourrir et orienter la vie politique et sociale dans son pays».
A l'origine de l'ouvrage, un mémoire de fin d'études de l'auteur sur l'œuvre de Taha Hussein présenté en 1953-1954, travail dont il avait gardé un mauvais souvenir suite aux réactions, «violentes», lors d'une présentation à la Maison des Etudiants à Alger en 1954, «présentation qui lui porta préjudice du côté algérien comme du côté français» au point qu'il le rangea et ne songea jamais à le publier (Touria Yacoubi Arkoun, avant-propos).
L'Auteur : Né à Taourirt Mimoun/Tizi Ouzou, le 1er février 1928, décédé en 2010 en France et inhumé au Maroc, l'Algérie (celle de la «Pensée islamique» radicale) ne l'ayant pas reconnu en temps voulu, l'ayant même (presque) rejeté. Etudes à Oran et à Alger puis à la Sorbonne-Paris. Enseignant et conférencier à travers le monde. Un des islamologues les plus importants de l'époque contemporaine. Penseur exigeant et militant pour une refondation humaniste de l'islam. Il a produit une œuvre qui a révolutionné l'islamologie mondiale, en encourageant l'émergence d'une nouvelle discipline scientifique, «l'islamologie appliquée». Plusieurs ouvrages et un livre d'entretiens (R. Benzine et J-L Schlegel), «La construction humaine de l'islam».
Table des matières : Avant-propos/ Introduction : Les divers aspects du réformisme musulman/ I. Exposé analytique/ II. Exposé critique/ Conclusion : la tâche de l'intellectuel musulman/Bibliographie
Extraits : «L'intelligence occidentale va franchir en trois siècles, à travers des sacrifices admirables et des révolutions grandioses, les étapes décisives qui lui assurent aujourd'hui cette suprématie incontestable dont elle jouit» (p22), «L'Occident va de plus en plus se tourner vers l'homme en tant que tel et l'univers pour le dominer. L'Orient, au contraire, s'épuisant dans ses «retours perpétuels au feu central», réduira la connaissance à une pure accumulation du connu» (p 104), «C'est une grave erreur, du point de vue psychologique, d'initier, d'une part, les jeunes intelligences à la méthode critique et de leur imposer, d'autre part, certains dogmes intangibles» (p 113), «Le cataclysme, c'est le monde capitaliste et le monde communiste en lutte pour la suprématie universelle, lutte dont le Moyen-Orient fait justement les frais en grande partie, car il a la chance -ou la malchance- d'occuper une position stratégique et de posséder du pétrole» (p 153).
Avis - Un ouvrage si riche en renseignements sur la culture et la religion et leurs évolutions. La pensée de Taha Hussein présentée par un philosophe algérien si incompris chez nous, et analysée pour ne pas dire critiquée parfois et admirée souvent.
Citations : «L'idée d'un retour pur et simple au passé trouve dans les masses incultes, pour qui l'avenir est toujours problématique, une grande faveur» (p 9), «La tyrannie de la classe dominante n'aliène pas seulement la liberté de l'écrivain; elle supprime en plus l'égalité entre les citoyens et par conséquent la justice» (p 83), «De tous les égoïsmes, l'égoïsme intellectuel que l'on rencontre chez le conservateur, confortablement installé dans son monde à lui, est sans aucun doute le plus résistant» (p 91), «L'application véritable du régime démocratique ne nécessite-t-elle pas en effet, comme première condition, la libération des esprits de toutes les aspirations vaines, des mythes inconsistants, pour les engager dans la voie des constructions sociales concrètes et des tentatives fructueuses ?» (p 130), «Dans toute société musulmane contemporaine, l'on trouve à la fois : «notre XIIIe siècle avec ses théologiens et ses docteurs; notre XVIIe siècle avec ses réformateurs religieux, notre XVIIIe siècle avec ses philosophes rationalistes et ses encyclopédistes; -Le tout reposant sur la base plus ancienne et populaire du XIIe siècle empreint de mysticismes locaux, peuplé de confréries et de tiers ordres qui se suffisent à eux-mêmes» (Milliot, L. cité. Introduction à l'étude du droit musulman, Recueil Sirey, 1953).
Que sortira-t-il de ce mélange «détonnant» où des hommes éperdus, déracinés, manquant de traditions politiques sur la base desquelles ils pourraient édifier un véritable Etat moderne, se livrent aux luttes sociales ?» (p138-139).
Lectures du Coran. Essai de Mohammed Arkoun. Editions Sedia, Alger 2016, 2.200 dinars, 567 pages. (Fiche de lecture déjà publiée. Extraits pour rappel. Fiche de lecture complète in www.alamnach-dz.con/culture/ bibliothèque dalmanach)
C'est un ouvrage paru initialement en 1982 puis republié en 1991. Un opus fondamental, un recueil d'articles rédigés dans les années 1970. On le sait, on le constate. La pensée de Mohammed Arkoun, foisonnante et tout en nuances, n'est pas d'un abord facile.
Pour l'assimiler, il faut du temps et des instruments critiques que peu de personnes maîtrisent. Mohammed Arkoun avance à pas de loup dans un corpus des plus touffus. À plusieurs reprises, dans son ouvrage, il se déclare conscient de l'inégalité du combat qu'il mène contre l'interprétation idéologique et politique de l'islam. Son objectif : restituer le Coran dans sa fonction d'élan religieux, après son dépouillement de ce que les sciences humaines peuvent légitimement s'approprier du texte, en tirant au clair son mode de production formel. Ainsi, l'islamologue espère rajeunir non pas le Coran, mais sa lecture et, tout en lui gardant son intégrité de Tout signifiant, introduire, pour le comprendre et l'analyser, un appareil critique lourd. Pour ce faire, il mobilise toutes les ressources de la linguistique, de la sémiotique, de l'histoire des mentalités, de la sociologie, de la critique littéraire pour déconstruire le discours classique sur le Coran. Des articles «revisités» durant plus de quarante ans La table des matières est, à elle seule, parlante.
L'Auteur : Voir plus haut
Extraits :Du côté musulman, le vide intellectuel et scientifique est dû à la très faible présence, voire à la totale absence des sciences de l'homme et de la société, surtout dans les facultés ou les départements d'études islamiques. Et, quand il s'agit du Coran, il y a soit l'autocensure imposée par un environnement militant, soit le conformisme desséchant à une «orthodoxie» fixée dès l'époque de Tabari, mais plus que jamais rigidifiée par l'actuel «radicalisme islamiste» (p13).
Avis - Une lecture croyante du Coran, mais libre, contemporaine, affranchie des diktats (notamment vestimentaires) et des commandements et interdits de tous ordres qui en alourdissent la lecture idéologique et politique. Une attitude philosophique ouverte aux apports et aux interrogations des théologies classiques et modernes. A lire pour franchir le pas décisif qui fera, peut-être, entrer v(n)otre pensée philosophique et/ou théologique dans l'investigation scientifique.
Citations : «L'idée principale est qu'on constate une disproportion croissante entre la consommation idéologique et imaginaire du Coran au jour le jour et la prise en considération, par une pensée libre et critique, de tous les problèmes qu'il pose, aujourd'hui, non seulement aux musulmans, mais à tous les esprits soucieux de renouveler notre connaissance du phénomène religieux» (p 35
par Belkacem Ahcene-Djaballah
Jeudi 9 mai 2024
https://www.lequotidien-oran.com/index.php?news=5329662
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