Lancé le 30 novembre dernier, le titre Telk Qadeya se fait l’écho d’une génération déplorant l’indignation sélective de l’Occident, tout en exprimant un sentiment de culpabilité. Il approche des 2 millions de vues sur YouTube.
Sur fond rouge, une statue de la Liberté aux deux visages occupe la pochette du single. Voilà en une image tout le sens de Telk Qadeya (« Ça, c’est un cas », en arabe), chanson désenchantée à trois temps du groupe égyptien Cairokee. Sans jamais prononcer les mots Gaza, Israël ou États-Unis, le morceau reproche le deux poids deux mesures du « monde libre » à propos des atrocités commises dans la guerre déclenchée depuis l’attaque meurtrière du Hamas le 7 octobre 2023.
Le titre, diffusé sur les grandes plateformes musicales en ligne depuis le 30 novembre, atteint 1,8 million de vues sur le seul réseau YouTube. Repris en décembre sur la chaîne libanaise Al-Mayadeen, il reflète en Égypte et bien au-delà l’état d’esprit d’une génération entière. Celle, notamment, qui a exprimé sa hardiesse place Tahrir, au Caire, durant les révolutions arabes de 2011, lorsque cette formation rock devenue mythique faisait sonner la protestation.
« Depuis cette époque, Cairokee évoque toujours les problèmes et sait traduire nos sentiments comme personne », remercie un fan égyptien de la première heure, parmi les 4 300 commentaires du réseau social associé à la chanson. Le tube circule également sur les comptes de Palestiniens de Gaza. « Nous aimons ta voix qui atteint le monde, nous aimons l’humanité, nous aimons toute l’Égypte », déclame l’un d’entre eux coincé dans le sud de l’enclave.
Le texte pointe du doigt un Occident aux valeurs universelles, mais dont l’indignation serait sélective face aux plus grandes injustices. « Comment devenir un ange blanc ? /Ayez une demi-conscience/Lutter pour les mouvements de liberté/Anéantir les mouvements de libération/Distribuez votre compassion et votre tendresse/Les tués sont plus nombreux selon la nationalité/Mais ça c’est un cas, et ça c’en est un autre », commence le premier couplet.
Les messages affluent d’Égypte mais aussi d’Algérie, de Turquie, de France et même d’Inde, sans cibler particulièrement États-Unis ou Occident. Domine plutôt un sentiment d’impuissance, chacun depuis son pays d’origine. « Nous aimerions bien faire plus (…) Nous préparons le jour où nous serons tous tenus responsables de cette horreur », réagit un internaute turc.
Sentiment de culpabilité
Cairokee, qui n’échappe pas à la censure du régime autoritaire d’Abdel Fattah Al Sissi, n’avait pas pu sortir en 2017 son album No’ta Beeda (« Point blanc »). Il était donc exclu, cette fois-ci, d’interroger en chanson les ambiguïtés de l’Égypte et celles des autres États signataires des accords d’Abraham qui ont normalisé leur relation avec Israël. Mais le message bien compris des paroles fait apparaître un sentiment de culpabilité, y compris dans le monde musulman. « Pardonnez-nous, Palestiniens, nous avons honte, et nous connaissons la déception que vous ressentez, pardonnez-nous », supplie un fan algérien.
Ce thème de l’indignation sélective des États trouve une audience qui déborde largement les frontières du monde arabe. Dans son rapport mondial pour l’année 2023, paru le 11 janvier, l’ONG Human Rights Watch a passé en revue les pratiques en matière de droits humains dans près de 100 pays, dénonçant les contradictions des dirigeants mondiaux sur le sujet, notamment à propos de Gaza. La chanson Telk Qadeya, qui commence à être traduite dans d’autres langues, dont l’anglais et le français, fait écho à cette thématique, et suscite des réactions toujours plus loin.
https://www.la-croix.com/international/guerre-israel-hamas-en-egypte-une-chanson-devient-l-hymne-pro-gaza-20240122
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