C’est Mohammed ben Salmane qui vole la vedette de ce Sommet avec une imposante délégation qui, selon la presse saoudienne, avoisine les… 300 personnes. Les mêmes sources rapportent que le prince héritier sera accompagné de 16 ministres ! Du jamais-vu dans l’histoire des Sommets arabes.
Tout est fin prêt pour le rendez-vous des 1er et 2 novembre prochain, à Alger. Menés avec une stricte rigueur et une grande célérité, les préparatifs sont presque terminés pour un bon déroulement du 31e Sommet de la Ligue arabe, qui s'annonce exceptionnel à tous points de vue. Exceptionnel d'abord par le niveau de représentation. Après un intense travail diplomatique mené par le ministre des Affaires étrangères et de la Communauté nationale à l‘étranger, Ramtane Lamamra, sur instruction du président Abdelmadjid Tebboune, le retour d'écoute a été à la mesure des garanties et des efforts fournis par l'Algérie.
Les différents pays arabes invités ont confirmé une large représentation politique, y compris au niveau des présidents et chefs d'État. En plus de l'écrasante majorité des rois et princes héritiers des pays du Golfe, du président égyptien, le maréchal Abdel Fattah al-Sissi, ainsi que du roi du Maroc Mohammed VI qui sera présent avec son fils, c'est l'Arabie saoudite qui vole la vedette de ce sommet avec une imposante délégation qui, selon la presse saoudienne, dépasserait les... 300 personnes. Mieux encore, des internautes du Royaume chérifien, ont rapporté, hier, que le prince héritier, Mohammed ben Salmane, sera accompagné à Alger par une délégation de pas moins de 16 ministres! Du jamais-vu dans l'histoire des sommets arabes. Faut-il s'attendre alors à un prolongement du séjour de MBS à Alger? Il est fort probable, en effet, qu'après le sommet, l'Algérie et l'Arabie saoudite procèdent à la signature de plusieurs contrats et l'étude des perspectives d'investissement dans plusieurs domaines économiques. À ce niveau hiérarchique de la représentation de pays arabes,il y aura également la présence de personnalités de premier plan qui vont donner une résonance internationale à ce sommet qui dépasse ainsi, le strict cadre arabe. Qu'on en juge par le gabarit: le secrétaire général des Nations unies, Antonio Guterres, le président de la Commission de l'Union africaine, Moussa Faki, le président azerbaïdjanais, Ilham Aliyev, en sa qualité de président en exercice du Mouvement des non-alignés, Macky Sall, président sénégalais et président de l'Union africaine,Adel bin Abdul Rahman al-Assoumi, président du Parlement arabe. Cette représentation de haut niveau laisse présager que de grands résultats sont attendus de ce sommet dont l'ordre du jour comprend des points d'une importance capitale. En plus de la question palestinienne, il s'agira également d'unir une nation arabe divisée pour affronter les défis régionaux et internationaux auxquels ces pays font face. C'est dans cette perspective que seront abordées les questions de la sécurité alimentaire et énergétique.
Sur le plan de l'hébergement, Alger est bien sûr au top des préparatifs. Des villas ont été réservées au sein du complexe résidentiel pour les délégations officielles. Les personnes accompagnatrices seront logées au Sheraton et d'autres hôtels de haut standing d'Alger, tous réquisitionnés à cet effet. Au plan médiatique, ce sont près de 500 journalistes de 24 pays qui seront présents au sommet. « Il n' y a pas que des journalistes des pays arabes. Il y aura des journalistes américains, britanniques, russes et français qui sont accrédités pour la couverture des travaux de ce sommet», a indiqué une source du ministère de la Communication. Le sommet sera abrité par le Centre international de conférences Abdelatif Rahal (CIC), à 25 kilomètres à l'ouest de la capitale. Un imposant complexe qui dispose de toutes les commodités nécessaires pour les événements internationaux: une salle de conférence de 705 places, un grand espace dédié à la presse, doté d'une connexion Internet de très haut débit, des restaurants et un immense parking pour véhicules.
Le président de la république du Vietnam du Nord (avant la réunification) reçoit de la main de Benyoucef Benkhedda, président du Gouvernement provisoire de la République algérienne le drapeau algérien.
Àl’occasion de ce 60ème anniversaire de l’établissement des relations diplomatiques entre le Vietnam et l’Algérie, je voudrais rappeler l’importante similitude du combat de nos deux peuples pour la conquête de leur indépendance respective. Cette similitude est à considérer sur les plans historiques, socio-économiques et militaires.
D’abord, on dira qu’à l’époque, le monde était partagé entre les grandes puissances coloniales à savoir le Royaume-Uni, la France et les Etats-Unis. Les populations colonisées étaient réduites pratiquement à l’esclavage au service du colonisateur et utilisées à l’exploitation intensives des ressources des pays occupés au profit du conquérant. Les Etats-Unis imposaient quant à eux des gouvernements fantoches à leur solde. Néanmoins, cette donnée a vu un début de changement avec la Deuxième Guerre mondiale. Les victoires fulgurantes des fascistes allemands en Europe ont démontré la fragilité du colonialisme franco-britannique, et ont encouragé les peuples colonisés à se préparer à la lutte armée pour arracher leur indépendance.
Le cas du peuple héroïque du Vietnam est édifiant à cet effet. La révolution d’Août 1945 a abouti à la naissance du nouvel État indépendant vietnamien le 2 septembre 1945. Puis, ce nouvel État vietnamien a dû résister durant 9 années, de 1945 à 1954, à l’armée française après la fin de la Deuxième Guerre mondiale, et Dien Bien Phu a clôturé sa victoire sur le colonialisme français.
Mais, après la défaite française au Vietnam en 1954 a malheureusement commencé une nouvelle guerre d’Indochine, cette fois menée par les impérialistes étasuniens et leurs fantoches depuis 1945 au 1975. Les impérialistes étasuniens ont mis en œuvre une machine de guerre totale infernale qui a visé la destruction de l’économie du pays, de sa faune, sa flore et sa population. Ils ont mobilisé un effectif de 550 000 soldats étasuniens et 70 000 militaires de l’OTAN qui étaient soutenus par plus d’un million de soldats du régime fantoche vietnamien. Leurs dépenses militaires dans la guerre du Vietnam ont été de 676 milliards de dollars contre 341 milliards de dollars lors de la Deuxième Guerre mondiale et 45 milliards de dollars lors de la guerre de Corée. 7,8 millions de tonnes de bombes ont été utilisées, une quantité qui dépasse tous les records des autres guerres passées.
– Les présidents vietnamien et algérien Ho Chi Minh et Houari Boumediene
La guerre totale engagée par les EU au Vietnam a eu de lourdes conséquences. Plus de 10 % de la superficie des terres du sud vietnamien a été arrosée par plus de 18,2 millions de gallons (80 millions de litres) d’agent orange (dioxine) occasionnant la destruction de milliers d’hectares de forêts, terres agricoles et faune ; plus de 4,8 millions de personnes ont été affectées par l’agent orange et des milliers sont morts.
– Un timbre-poste émis par l’Algérie en 1973 en hommage au peuple vietnamien. Deux ans après, le Vietnam chasse les Américains et réunifie le Sud.
Malgré tout cela, les EU et leurs fantoches ont été battus par le peuple du Vietnam héroïque qui a remporté la victoire totale en avril 1975 avec la campagne de Ho Chi Minh. Durant toute cette guerre, l’Algérie a soutenu sans faille le peuple vietnamien sur le plan financier et diplomatique. Le président Boumédiène a offert un chèque en blanc à Ho Chi Minh pour l’achat des armes chez les soviétiques lors de l’offensive de 1975.
En Algérie, la France a voulu accorder l’indépendance au nord du pays et garder le sud qui représente 4/5 du territoire et où se concentrent toutes les richesses du pays. Comme au Vietnam, un ensemble d’opérations de destruction massive a été entrepris, massacrant et détruisant les campagnes et les ressources du pays (forêt, arbres fruitiers, cheptels etc.) par le napalm. Les populations furent parquées dans des zones dites de sécurité et contrôlées par les sections administratives spéciales (SAS). La politique de la terre brulée a été pratiquée à grande échelle comme au Vietnam avec le silence des instances internationales de l’époque. Comme pour les Vietnamiens, le patriotisme et la rage de vaincre ont eu raison du colonialisme français fragilisé par la bataille historique de Dien Bien Phu.
– Le président Boumediene reçoit à Alger le général Giap.
Sur le plan socio-économique, le dynamisme vietnamien est un exemple de développement à suivre après plus de 45 ans de réunification du pays. Le Vietnam est sorti du sous-développement pour se classer dans les pays à revenu intermédiaire avec une population qui approche aujourd’hui les 100 millions d’habitants. Le PIB qui était de 200 dollars par personne en 1976 est passé à 3743 dollars en 2021. Présentement, le Vietnam constitue un modèle de pays à suivre. Il est attrayant pour les investissements étrangers. Il a signé 15 accords de libre-échange (ALC) avec les autres pays et il est aussi membre de l’ONU, l’OMC, L’ASEM, L’APEC, L’ASEAN, et d’autres organisations internationales et régionales.
Beaucoup de gens ne savent pas ce qui s’est passé hier. Pour faire simple, Biden a obligé tous les Américains travaillant en Chine à choisir entre quitter leur emploi et perdre la citoyenneté américaine. Tous les cadres et ingénieurs américains travaillant dans l’industrie chinoise des semi-conducteurs ont démissionné hier, paralysant l’industrie manufacturière chinoise du jour au lendemain. Un seul cycle de sanctions de Biden a fait plus de dégâts que les quatre années de sanctions performatives de Trump. Bien que les exportateurs américains de semi-conducteurs aient dû demander des licences pendant les années Trump, les licences étaient approuvées en un mois.
Par Mike Whitney
Avec les nouvelles sanctions de Biden, tous les fournisseurs américains de blocs IP, de composants et de services sont partis du jour au lendemain, coupant ainsi tout service [à la Chine]. En bref, toutes les entreprises de semi-conducteurs de pointe sont actuellement confrontées à une interruption totale de l’approvisionnement, à la démission de tout le personnel américain et à une paralysie immédiate des opérations. Voilà à quoi ressemble l’anéantissement : L’industrie chinoise des semi-conducteurs a été réduite à zéro du jour au lendemain. Effondrement complet. Aucune chance de survie.
Posté sur le compte Twitter de Jordan Schneider @jordanschnyc à partir d’un fil de discussion traduit sur @lidangzzz.
L’administration Biden a intensifié sa guerre contre la Chine la semaine dernière en faisant exploser une bombe thermonucléaire au cœur de l’industrie technologique florissante de Pékin. Dans un effort pour bloquer l’accès de la Chine à la technologie cruciale des semi-conducteurs, l’équipe Biden a annoncé de nouvelles règles d’exportation onéreuses visant à « couper complètement l’approvisionnement » en technologie essentielle des semi-conducteurs, ce qui, selon un analyste, a entraîné une « paralysie immédiate des opérations« . La terreur déclenchée par cette annonce a été résumée avec justesse dans un fil de discussion posté sur le compte Twitter de Jordan Schneider à partir d’un fil de discussion traduit sur @lidangzzz (voir la citation ci-dessus).
Naturellement, le gouvernement chinois a été pris de court par les nouvelles règles draconiennes qui incluent « toutes les entreprises chinoises de conception de puces informatiques avancées » et qui, sans aucun doute, « assureront l’élimination de tous les produits et technologies américains de l’ensemble de l’écosystème. » Le nouveau régime de sanctions infligera probablement des dommages importants à l’industrie technologique chinoise, qui est florissante, tout en causant un préjudice considérable aux partenaires américains qui n’ont pas été consultés à ce sujet.
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Par Peter Lee – Le 15 octobre 2022 – Source Patreon
Les restrictions américaines sur les ventes de puces et d’équipements, et même sur les citoyens américains travaillant pour soutenir l’industrie des semi-conducteurs de la RPC, annoncées le 7 octobre, ont fait l’effet d’une bombe.
Les restrictions ont pris la forme d’une mise à jour des contrôles à l’exportation annoncée par le Bureau de l’industrie et de la sécurité du ministère du commerce, censé être un bastion de la guerre contre la Chine sous la direction du secrétaire Raimondo, mais les empreintes digitales du conseiller à la sécurité nationale Jake Sullivan sont partout. [Un pdf de l’annonce du BIS est disponible sur cette page].
Contrairement aux interdictions sanctionnant Huawei, qui ont été expliquées comme étant une punition pour le mauvais comportement de Huawei, aucun effort n’est fait pour présenter ces restrictions comme une réponse punitive au piratage, au vol de technologie, ou autre. Les interdictions actuelles sont ouvertement destinées à paralyser les avancées de la RPC en matière d’intelligence artificielle et de supercalculateurs.
Par conséquent, l’annonce selon laquelle l’hégémon technologique mondiale envisagerait gracieusement l’octroi de certaines exceptions pour certains produits, appareils et individus méritants ne semble pas avoir fait grande impression.
Après tout, selon la doctrine américaine de lutte contre la fusion civile/militaire de la RPC, les opérations et les capacités menées n’importe où en Chine sont automatiquement considérées comme un renforcement de la capacité militaire de la RPC.
Alors quel est le critère pour obtenir une licence ? Que l’armée chinoise vous considère comme stupide et incompétent et qu’elle vous déteste ?
Cela a été perçu davantage comme un aveu ouvert et embarrassant que les États-Unis ont abandonné leur hypothèse optimiste considérant que l’ingéniosité des Yankees permettrait aux États-Unis de toujours garder une confortable avance sur les Chinois qui s’intéressent aux semi-conducteurs.
La victime visée est donc, bien sûr, la Chine, même si je pense qu’elle trouvera des solutions de contournement.
En fait, je soupçonne que l’annonce américaine a été déclenchée par la prise de conscience que les interdictions et blocus précédents ne ralentissaient pas suffisamment la Chine et qu’il était nécessaire de lâcher la plus grosse enclume à portée de main.
Selon le New York Times, le moment « Sputnik » a été l’annonce que la société chinoise Semiconductor Manufacturing International Corporation ou SMIC avait réussi à fabriquer une puce de 7 nanomètres sans utiliser la lithographie EUV. Il s’agit de la lithographie par ultraviolets extrêmes, que les États-Unis considéraient auparavant comme la solution miracle ou le point d’étranglement pour la fabrication des petites puces à haute performance dont tout le monde se soucie tant.
A part la Chine, les autres victimes, bien sûr, sont les fournisseurs de puces, d’équipements et de services de semi-conducteurs. Et pas seulement les fournisseurs américains comme NVIDIA. Les restrictions couvrent les fournisseurs étrangers qui utilisent des technologies ou des équipements américains. C’est le cas d’AMSL, une société néerlandaise, qui est jusqu’à présent le seul fabricant de machines EUV.
L’explication étasunienne est que, comme les entreprises étrangères ont tardé à signer l’initiative américaine par crainte d’offenser la Chine, les États-Unis ont généreusement promulgué les interdictions mondiales eux-mêmes à la place, afin de prendre la température.
Les explications les plus probables sont les suivantes : 1) personne ne voulait céder volontairement des marchés et 2) tout le monde avait peur que ses concurrents les remplacent à leur dépens, de sorte que les États-Unis ont dû sortir le gros marteau et tout chambouler d’un coup, pour tout le monde.
Ce qui en fait un autre exercice classique de non-diplomatie américaine.
Les États-Unis ont déjà annoncé qu’ils accordaient une dérogation d’un an à la République de Corée pour lui permettre de réduire certaines de ses opérations en Chine, en partant du principe que le président de la République de Corée, M. Yoon, devra obéir pour plaire aux États-Unis en matière de politique de sécurité en Asie du Nord, faute de quoi ses champions des semi-conducteurs, qui sont très exposés à la Chine, en subiront les conséquences.
Eh bien, Team Semicon devra se contenter de la perte du haut de gamme d’un marché de plus de 300 milliards de dollars et, apparemment, personne n’est très heureux de cela. Mais il faut espérer que la cascade d’aides provenant de la loi CHIPS et une utilisation judicieuse des contrats de défense adouciront la pilule.
À en juger par l’expérience passée, je m’attends à ce que la RPC joue la carte de la victime/martyre en se positionnant comme le champion de la mondialisation et de l’ouverture.
Cette position lui vaudra une certaine sympathie dans le monde entier, notamment dans ce que l’on appelle le « reste du monde« , c’est-à-dire les sombres royaumes situés en dehors du G7.
Mais je soupçonne que même l’Europe, où la glorieuse croisade en Ukraine s’est transformée en une destruction systématique de l’industrie européenne lourde et à forte intensité énergétique et, selon un politicien allemand, en une sollicitation active des entreprises européennes pour qu’elles s’installent aux États-Unis afin de profiter de notre délicieux gaz à bas prix, considérera cette position comme un ajout malvenu à ses problèmes économiques et diplomatiques.
Ironiquement, si l’industrie des semi-conducteurs de la RPC s’effondre, cela rend plus probable une attaque de la RPC contre Taïwan. Il n’y a pas d’ « ordre international » à protéger, ni d’accès aux puces taïwanaises à prendre en considération, et la mise à genoux des capacités occidentales en matière de semi-conducteurs pourrait être considérée comme une mesure de rétorsion justifiée/uniformisation des règles du jeu.
Une confrontation avec Taïwan, associée à la possibilité que la RPC lance un missile en direction de la TSMC ou qu’elle fasse du sabotage, accélérerait le retrait de la TSMC et d’autres producteurs de semi-conducteurs de l’île, rendant ainsi le fameux « bouclier de silicium » sans objet.
À propos, je pense que vous pouvez écarter l’idée que la RPC tentera d’envahir Taïwan et de s’emparer des précieuses installations de la TSMC. S’il y a la moindre menace que la RPC accède à ces usines, que ce soit par la conquête, par la reddition ou peut-être simplement par une coexistence pacifique, les États-Unis les élimineront en moins d’une heure.
Les véritables victimes dans cette affaire ont été les experts, les actifs et les complices des États-Unis qui se cachaient derrière le mythe utile selon lequel les États-Unis défendaient l’ordre international fondé sur des règles contre l’agression chinoise. L’interdiction des semi-conducteurs est une agression nue et sans équivoque contre la Chine et le prétexte peu convaincant selon lequel elle est justifiée par la politique de « fusion civile/militaire » de la RPC ne passe même pas le test de l’odeur et encore moins celui du rire.
Il y aura un réajustement déchirant lorsqu’ils pivoteront vers le mantra « c’est la faute de la Chine si les États-Unis ont dû renverser l’ordre économique mondial » . Cela pourrait arriver subitement, en une journée.
Paul Krugman a écrit une chronique sur le thème « Quand le commerce devient une arme » . Il aurait dû l’intituler « Nous sommes tous des Trumpistes maintenant » . Il y a eu une continuité remarquable entre les politiques anti-RPC de Trump et Biden.
La guerre technologique américaine de l’ère moderne a débuté à l’époque de Trump avec l’hypothèse que l’étranglement de Huawei paralyserait les capacités de télécommunication 5G de la RPC.
Eh bien, aujourd’hui, l’hypothèse est que l’étranglement des capacités d’intelligence artificielle de la RPC assurera la domination américaine dans les applications militaires, et permettra également aux entreprises occidentales de récolter les milliards de dollars de la manne mondiale des voitures à conduite autonome qui, autrement, pourraient être récupérées par la RPC.
Et vous savez, avant l’IA et avant la 5G, il y avait la DRAM.
La guerre moderne des semi-conducteurs contre la Chine a en fait commencé lorsque l’élection du gouvernement pro-américain de Tsai Ing-wen a rendu possible un assaut frontal contre les aspirations de la RPC en matière de semi-conducteurs.
Le point d’inflexion clé a été atteint en 2017, lorsque Taïwan s’est associé aux États-Unis pour écraser une usine de DRAM à 700 millions de dollars que la RPC tentait de construire.
La RPC en a bien sûr pris note et a accéléré ses efforts pour développer la technologie nécessaire en interne ou du moins sans aide occidentale.
Vous n’en avez probablement entendu trop parler car, sous les aspects juridiques, il s’agissait d’un acte d’agression économique.
Les personnes qui étudient les prétextes des États-Unis pour justifier la guerre économique noteront qu’en 2018, l’attaque contre l’industrie des semi-conducteurs de la RPC était justifiée par le fait que la Chine, qui importait à l’époque 90 % de ses puces, poursuivait des plans infâmes pour dominer le marché mondial des puces.
Aujourd’hui, nous avons supprimé ces qualificatifs de domination mondiale.
Ah, que de chemin parcouru en seulement quatre ans !
Je décris l’affaire DRAM ci-dessous, dans un article que j’ai réalisé en 2018 pour Newsbud. Il fournit le contexte des machinations américaines et montre clairement que, si pour les observateurs américains la guerre des semi-conducteurs à spectre complet a commencé aujourd’hui, en réalité, elle se déroule déjà depuis 5 ans.
Nous n’avons simplement pas pris le temps de l’annoncer avant cette semaine.
Devant le juge d'instruction Zollinger, M. Lespinoy, alias " colonel Foyer ", qui se présente comme un ancien chef du service de renseignements du " réseau Lemarchand " à Alger, a fait une déposition sur les activités des " barbouzes " dans la lutte contre l'O.A.S. (voir le Monde du 29 janvier 1966). L'hebdomadaire l'Express, dont le directeur, M. Jean-Jacques Servan-Schreiber, avait accompagné M. Lespinoy jusqu'au cabinet de M. Zollinger, a publié lundi un long récit du " colonel Foyer ". Celui-ci, qui serait un ancien fonctionnaire algérois du service de la jeunesse, indique dans quelles circonstances il entra dans l'organisation anti-O.A.S. ; il assure que celle-ci, formée en bonne partie de personnages " en marge ", avait été rapidement " grillée " et que ses membres s'étaient livrés à des exactions. La liquidation du réseau aurait été alors décidée.
Le 29 janvier 1962 une explosion détruisit en effet la villa Andréa, à El-Biar, où l'organisation avait son siège ; la déflagration, déclenchée par l'ouverture d'une caisse de fortes dimensions, provoqua la mort d'une vingtaine d'agents spéciaux. Le " colonel Foyer " déclare qu'il échappa à l'attentat car il n'était pas dans la villa lors de l'explosion.
Son récit correspond par bien des points à celui qu'avait publié l'hebdomadaire Minute daté du 11 septembre 1964 sous la signature d' " Un agent secret du régime " : Une barbouze parle. Seule, on le verra, la conclusion est différente.
Le terrorisme de l'O.A.S.
Il importe, pour bien comprendre l'affaire, de la replacer dans son cadre. Dans les derniers mois de 1961, l'action de l'Organisation armée secrète, dont Salan assume le commandement, prend une ampleur croissante. Quotidiennement, des attentats ensanglantent Alger, sans qu'on sache toujours s'ils sont d'origine F.L.N. ou O.A.S. Les " commandos delta " de Degueldre multiplient les plastiquages et les assassinats.
La police locale et une partie de l'administration ont plus ou moins ouvertement pris parti pour les activistes. Les prisonniers s'évadent à peine arrêtés et les autorités ne savent plus à qui se fier.
Les polices et les services spéciaux métropolitains ne sont pas apparemment d'un grand secours. Une brigade anti-O.A.S. envoyée de Paris sous les ordres du commissaire Grassien a été repérée aussitôt par l'O.A.S. L'adjoint du commissaire Grassien, le commissaire Joubert, a été abattu sous les yeux de ce dernier dans un café d'El-Bia..
Quant au S.D.E.C.E., qui, rappelons-le, n'est pas une police, mais un service de renseignement et d'action, il est uniquement orienté vers la lutte contre le F.L.N. et ne se soucie nullement de se battre sur deux fronts. Les sympathies de beaucoup de ses agents et de certains de ses chefs sont d'ailleurs peu équivoques : en haut lieu on le considère - et c'est le moins qu'on puisse dire - comme peu sûr. Jacques Achard, ancien administrateur en Indochine puis sous-préfet, devenu un des chefs de l'O.A.S. algéroise, passe notamment pour y avoir conservé de nombreuses et précieuses amitiés.
En outre, s'il entend - ouvertement - ne pas se mêler d'une " affaire intérieure ", le S.D.E.C.E. ne cache pas son antipathie pour les autres services secrets, officiels ou non.
La " loi du talion "
C'est alors que s'installe à Alger en octobre 1961, sur l'initiative de Me et Mme Lemarchand, d'anciens, membres du service d'ordre du R.P.F. et d'éléments locaux du Mouvement pour la Communauté (M.P.C.), une organisation à laquelle les plus hautes instances dénieront toujours le titre de " police parallèle ", bien qu'elle dispose de discrets appuis officieux et de crédits considérables. Ses membres sont recrutés en grande partie en métropole. Certains sont des Asiatiques. On suppose alors qu'un des chefs du réseau est le fameux colonel Leroy, officier eurasien de l'armée française, qui, dans la région de Bentré, en Indochine, s'était taillé un véritable fief au cours du conflit d'Extrême-Orient.
Il apparaît aujourd'hui que le colonel Leroy, qui n'a rien de commun avec M. Le Roy-Finville, n'était pour rien dans l'affaire, et que les Asiatiques - moins nombreux qu'on ne l'a dit - étaient des hommes de main, spécialistes des sports de combat, recrutés à Paris par un des chefs du groupe, le judoka Jim Alcheick. Me Lemarchand lui-même ne paraît pas avoir participé directement aux activités du groupe qu'il contrôlait de métropole. Il venait seulement de temps à autre à Alger.
Ceux que les Algérois baptisent " les barbouzes " appliquent une tactique identique à celle de l'O.A.S. C'est la " loi du talion " : plastiquages et même enlèvements. La " contre-terreur " qu'ils font alors régner, les excès aussi qu'ils commettent - arrestations, détentions sans mandat et, des témoignages le laissent supposer, tortures - font que leur nombre et leur rôle réels se trouvent démesurément gonflés aux yeux des Européens d'Alger, qui les entourent d'une haine farouche. Elle se manifestera notamment le jour où la foule regardera brûler en pleine rue une voiture d'où des " barbouzes " blessées par l'O.A.S. ne purent sortir.
Dans la nuit du 31 décembre 1961 au 1er janvier 1962, une villa où logent des " barbouzes " est attaquée à coups de lance-roquettes et d'armes automatiques.
Puis c'est l'attentat du 29 janvier. Une caisse envoyée de Paris et longuement attendue - elle contenait une machine à reproduire des documents - sert de " cheval de Troie ". Une énorme charge de plastic fait explosion avec les résultats que l'on sait.
La fin du réseau
Me Lemarchand accourt à Alger. Il est, assurent certains de ceux qui l'ont alors vu, effondré et hagard. Sa femme se chargera de faire inhumer certaines des victimes dans le cimetière de Santeny, près de Boissy-Saint-Léger, en Seine-et-Oise.
Le réseau ne survivra guère à l'affaire d'El-Biar. Ses membres retrouveront ou rechercheront des occupations " civiles " plus ou moins légales. A Alger, l'opinion locale porte évidemment au compte de l'O.A.S. la destruction du " repaire des barbouzes ".
Il est permis de se demander si celles-ci n'ont pas été plus ou moins consciemment utilisées par la police " officielle " pour leurrer l'organisation subversive. Alors que l'O.A.S. pensait atteindre au succès final - c'est le 5 janvier 1962 que Salan proclamera la " mobilisation générale des Fiançais d'Algérie entre dix-huit et quarante-cinq ans ", le 29 janvier que le colonel Château-Jobert échappé de métropole annonce à la " radio pirate " son arrivée en Algérie, - une nouvelle force de l'ordre, la " Mission C ", formée d'équipes d'inspecteurs basées en métropole et qui n'agissent que par de rapides coups de main aller et retour, sur renseignements, est discrètement mise en place par M. Michel Hacq.
On lui attribuera notamment quelques mois plus tard l'arrestation des principaux chefs de l'O.A.S. en Algérie : les généraux Salan et Jouhaud.
Reste à savoir qui piégea la caisse, qui fit sauter la villa Andréa. Les versions varient. Le " colonel Foyer " laisse entendre qu'il s'agissait là d'un mode brutal de liquidation par ses propres responsables d'une organisation qui échappait à leur contrôle et devenait plus dangereuse qu'utile. L'O.A.S. serait donc hors de cause. Le mystérieux auteur de l'article de Minute parle pour sa part " d'une autre police clandestine, d'autres terroristes de la légalité ". Cette version de l'affaire plus vraisemblable mais qui laisserait supposer de terribles rivalités, une complicité quasi directe avec l'O.A.S., a également couru à l'époque, dans certains milieux d'Alger.
Et là c’est pas un coup d’Audiard, une réplique de Blier, la manœuvre d’un Ventura ou la griffe du Lautner. Non, c’est bel et bien l’arnaque du siècle, enfin, du mien, celui qui me fit naître avec les barbouzes. J’avais quatre ans et Debré tournait la super-production de De Gaulle en ayant engagé des acteurs de l’ombre de sa Résistance, Le Tac, Ponchardier, Lemarchand, Hacq,,, pour foutre la pâtée aux subversifs de l’OAS. Il ne restait plus à Melnik qu’à trouver un metteur-en-scène pour s’engager, un bleu, un idéaliste, bref, un héros anonyme mais assez habile pour faire passer la pilule aux gaullistes puritains.
Lucien Bitterlin se trouva là, comme lieutenant de louveterie, à moins qu’on ne l’y ait un peu poussé car on ne saura jamais qui du hasard pond le destin de l’œuf de poule.
Volailles non labellisées, poulagas discrets, les barbes étaient nées de la conjonction de coordination qui devait répondre au « Mais où est donc Ornicar ?» de la voie de l’autodétermination algérienne.
Tout pétait, les nuits bleues n’illuminaient aucune conscience mais les feux d’artifice continuaient de faire croire que de toutes ces étincelles arriverait la lumière. Quelle connerie la guerre, « ma parole »… pour la Barbara de Prévert comme pour la Fatima de la casbah. Ornicar était dans le pétrin!
La Garenne-Colombes, Vendredi 17 Février 2017
Lucien Bitterlin, président de l’Association de Solidarité franco-arabe (ASFA)
Il est là dans un beau paletot de bois, matelassé, capitonné des plus grandes attentions de la poignée de proches qui tient encore debout, les hallebardiers du dernier cercle, les centurions d’une légion d’absents. Lucien Bitterlin est mort et je suis là, comme pour mon père, à ceindre le catafalque de mon attention, histoire d’en pouvoir saisir encore et encore les derniers secrets.
Scène de film « Les Barbouzes » de Georges Lautner
Il y a là ses filles, son gendre, ses petits-enfants et, croisant le vaisseau de chêne, l’encens du Grand-Orient, les huiles d’une politique pro-arabe et les bénédictions feutrées de vieux compagnons ébaubis de chagrin. Dix tout au plus, moi qui m’attendais à une marée, oubliant que la méditerranée est bien avare de mascaret.
Bon, les valeureux sont là, Jean-Pierre-G Foucault en capitaine de cérémonie, n’oubliant rien de son compagnonnage et mandaté par le grand Maître ; Maurice Buttin et ses plaidoiries pour que résonne France-Palestine ; les frères Terrenoire honorant la fidèle complicité entre leur Ministre de père Louis et Lucien Bitterlin ; Jean-Pierre Gonon l’avocat libéral à l’accent de Bab-el-Oued pour France-Algérie ; les proches palestiniens de la famille Hamchari en reconnaissance d’une si belle aventure littéraire ; le journaliste Gilles Munier de France-Irak ; le savant père arabophone Régis Morelon ; François Teiro et son Cœur-Monde au service des orphelins ; Marie-Josée de Saint-Robert pour représenter son mari, vieux complice de Lucien pour les prix Palestine…et quelques autres dont la discrétion m’aura sapé la curiosité de savoir.
Je me retrouve vite seul.
Dans cette chambre dont j’ai déjà oublié le numéro.
Casaque noire.
Après tout, le seul bon numéro c’est celui qu’on laisse gagner.
Il n’y a pas de hasard.
Funérarium des Batignolles, c’est un nom de foire,
mais heureusement que c’est au premier
du Boulevard Leclerc de Clichy, ça fait plus chic !
Ce n’est pas une chapelle mais une chambre dans l’alignement d’autres chambres, les unes occupées, d’autres libres et faut pas s’tromper, y’a du monde dans les couloirs et ça grouille de chagrins. Cette pièce a son chiffre de bronze doré comme à l’hôtel, c’est rassurant pour les âmes perdues. Elle est dite funéraire, c’est Guillaume Roussel, le maître du lien et d’autres rites plus discrets qui me l’a dit. Quelques sièges en désordre, sorte de chaises mais à part la bière, pas de bois ici, que du nickel-chrome, j’ai l’impression d’entendre « au suivant ». Enfin, faut s’adapter, et un mufti séculier me montre les vis posées en triangle évoquant l’équerre et le compas qui donneraient le nord à la fermeture du ban.
Là, je sais que je dois accomplir un devoir, celui que Lucien Bitterlin souhaitait pour être conforme à son engagement maçonnique. Il me faut le revêtir de son sautoir de vénérable et de ses gants blancs, vestiges de la pompe de la loge d’Edmond Rostand. Il manque son tablier qui a disparu dans la débâcle de presque dix années de combats contre Alzheimer, vieillesse et Parkinson. Commando delta de trois saloperies qui fit basculer Lucien six jours plus tôt, à Saint-Raphaël près de sa fille Catherine.
Pas le moment de philosopher sur l’injustice des sorts, ni de s’attendrir sur la vie, mais c’est dur de ganter la raideur. Mes doigts se crispent sur ses mains fines et, agrippé à la nécessité de ce décorum, j’éprouve là une certaine fierté. Je sais, c’est puéril, mais tout se passe comme si ma présence face à Lucien, me rendait de l’absence de papa.
Quelques livres de Lucien Bitterlin
Au coin de la veste, sa légion d’honneur « modèle réduction » que je prends soin d’accrocher avec l’idée qu’il l’emportera au paradis et qu’il pourra foutre à la gueule, de Saint-Pierre ou des sbires de ses croyances, qu’il fallut, à la République et aux gaullistes, l’amnésie de cinquante ans de silence pour recevoir les insignes de son courage. Dans ma tête défilent les mots de papa après cette aventure barbouzarde, « tous des planqués ces politicards, sauf Lucien !». C’était un peu court, mais la concision, sous la plume des condamnés (par l’OAS), avait valeur de vertu car, comme disait l’autre, encore Audiard, « la retraite faut la prendre jeune… faut surtout la prendre vivant. C’est pas dans les moyens de tout le monde »…
Il est beau, plastronné, médaillé, ganté, le visage fin de ses vingt ans. Sans doute déjà en train de se bidonner en voyant nos gueules d’enterrement. Faut quand même bien que nous aussi, les vivants approchions la fin par un début de crispations… ben oui, la mort, c’est sérieux.
C’est parti, feu vert pour la fermeture, on me regarde, mes gorilles me tendent le tournevis, empoignent le couvercle, le calent contre le ventre du cénotaphe et nous voilà mécaniquement investis pour clore le sujet dans sa majesté l’éternité.
Voilà.
Il reste la douane à passer, sorte de messe républicaine dans une chambre cérémonielle où chacun doit réciter les sourates d’une douleur de l’absence. Un pupitre, Lucien raide dans sa boite, au garde-à-vous pour écouter tomber les gouttes de notre reconnaissance et toutes ces gerbes, fleurs et couronnes pour étouffer de couleurs les envies de broyer du noir. Alors on écoute les mots, les voix et les chants qui perlent, qui sonnent le clairon du rassemblement des souvenirs de toute une vie. Courbevoie, La Garenne, sa famille, l’Algérie, ses engagements, la politique, De Gaulle, ses combats, les pays arabes, le journalisme et l’ab el baroud entre la flamme de son idéal et l’odeur du soufre d’une mèche de barouf.
Quelle vie !
Pour ses filles et ses petits-enfants, c’est le papa, pour d’autres c’est la cause palestinienne, le journalisme, la franc-maçonnerie, le militantisme ou encore son impossible pèlerinage pour la paix. Pour moi c’est le centurion des barbouzes. Que voulez-vous, éclectisme oblige, à chacun sa vision du commandeur qui se tire de là sous les hommages d’une poignée trop mince de témoins. Et là ça me fait braire, si peu de monde aujourd’hui, lui qui croisa, soutint, aida, hébergea tant de pèlerins de la paix en pays d’orient, de politiques, de ministres et de chefs d’État.
Allez, faut partir.
Au cimetière le caveau est ouvert, des berlines noires nous attendent.
« C’est le sort des familles désunies de se rencontrer uniquement aux enterrements » me glisse encore Audiard, mince, c’est une manie que j’ai de voir et comprendre en « barbouze », car « on n’emmène pas de saucisses quand on va à Francfort » mais je dois dire que là, sur le bitume des allées, les sycophantes se faufilent comme des glaçons dans l’anisette. Faut donc essayer de comprendre la langue des signes pour pas s’tromper. Il y a de l’incognito, des Personae non gratae, de l’agent-secret et du cousinage entre patrons du pour et du contre-espionnage…
Le serpentaire de ce balai noir semble articuler son mouvement autour ou plutôt derrière Madame l’ambassadrice Syrienne Lamia Chakkour. Quelques confidences honorifiques vite épinglées entre deux poignées de pétales de roses, l’hommage est rendu et son excellence se retire. Une cour de mandarins, sortie tout droit du synopsis d’un Lautner, serre des mains, courbe la tête, présente des condoléances attristées et murmure des silences de compassion. Il y a là la Tunisie, c’est sûr, sans doute l’Algérie, peut-être le Liban musulman et chrétien, nous n’en saurons rien de plus car telle est l’astuce, être là sans tbal ni zokra et encore moins d’objectifs ou de caméras.
Un comble pour un ancien journaliste de l’ORTF ?
Non, du tout, c’est juste beau la discrétion quand on veut rassembler des frères…ennemis !
Les maçons s’affairent déjà.
Le monument-caveau referme sa gueule d’enterrement.
Les fleurs couvrent la peine.
Le soleil tombe, le froid saisit et les idées remontent.
Bon Dieu de Nom de Dieu.
Je suis en pétard.
Bitterlin, où sont tes paperasses, tes centaines de dossiers, tes milliers de lettres, tes carnets d’adresses et tes billets secrets ? C’est vilain de jurer mais là ça m’emmerde de le savoir muet avec pour seule ordonnance une parcelle du cimetière de La Garenne-Colombes.
Soixante ans de correspondances, soixante ans de secrets, soixante ans d’archives, faut pas me prendre pour un con, ça disparaît pas comme ça. On n’écrit pas tant d’articles, tant de livres et on ne dirige pas une revue et une association voulue et décidée par De Gaulle sans laisser des tonnes de documents, des brouettes de dossiers et des quintaux d’indices.
Lucien avait tout déménagé en silence, planqué dans le coffre de sa petite bagnole et déposé carton après carton tout ce qui se trouvait rue Augereau, siège de l’Association de Solidarité franco-Arabe, dans les pavillons de famille de Courbevoie, rue Estienne d’Orves. Un an de va-et-vient dans un secret qu’il aimait tant cultiver. Des dizaines et des dizaines de caisses, de cartons et de boîte déposées comme des briques de Lego d’un plastic encore instable.
Lucien avait tout déménagé en silence, planqué dans le coffre de sa petite bagnole et déposé carton après carton tout ce qui se trouvait rue Augereau, siège de l’Association de Solidarité franco-Arabe, dans les pavillons de famille de Courbevoie, rue Estienne d’Orves. Un an de va-et-vient dans un secret qu’il aimait tant cultiver. Des dizaines et des dizaines de caisses, de cartons et de boîte déposées comme des briques de Lego d’un plastic encore instable.
C’est simple, la petite maison était pleine, de la cave à l’étage en passant par le garage, comme si le pavillon des années vingt de ses parents pouvait se transformer en tabernacle recueillant le calice d’hosties consacrées aux affaires les plus sibyllines. Pensez-donc, tout avait commencé par les barbouzes, les vraies, pas celles de la Gaumont, puis France-Algérie, France-Pays-Arabes, la Palestine, l’O.L.P, le FPLP, El Fatah, les affaires d’otages, le Liban, la Syrie, bref tous les pays d’Orient, leurs dirigeants, Présidents, Résistants ou terroristes, anonymes ou reconnus, sanguinaires ou pacifistes approchés par Lucien Bitterlin. Brochette de Fort-de-L’eau sauce piquante explosive aux viandes et abats entrelardés de Saddam, de Haffez, de Yasser, de Illich, de Houari ou de Mouammar, j’te jure qu’avec ça, y’a pas besoin d’Harissa, même confite par Habib pour sentir le felfel t’exploser la guerba !
Avant même qu’il ne décède, en 2016, j’ai retrouvé ce pavillon, celui qui fut notre première planque pour mon père et ma famille en mai 1962, après Barberousse pour Papa et notre refuge F.L.N d’Alger pour ma mère et nous trois, les gosses de guerre. Des armoires débordaient de livres, des milliers, toute la bibliothèque de France Pays-Arabes, des tables recouvertes de revues et de panneaux d’expositions diverses. Dans le coin d’une des chambres transformées en dépôt, des dizaines de drapeaux froissés et poussiéreux de toutes les nations arabes. Reliques des ornements des vitrines de la rue Augereau en l’honneur de visites de chefs d’État ou d’anniversaires de révolutions et d’indépendances. Imaginez entrer dans le mystère d’une tombe égyptienne comme celle de l’ami Toutankhamon en espérant renifler les parfums invisibles d’une belle Néfertiti.
Ben j’en étais là, à contempler le trop plein de vide et humer l’entourloupe car je cherchais… les archives, ces sacrées archives, des boîtes, des cartons, des cageots, des classeurs même éventrés mais avec des chemises aux cols amidonnés de secrets.
Il y avait encore le garage, atelier satané dont ma sœur, mon frère et moi, avions examiné nerveusement les contours intérieurs, autrefois, privés provisoirement de liberté par la moudjahida Zohra pour lui avoir taxé les groseilles de son jardin. Histoires de gosses pendant que papa réglait ses histoires de barbouzes avec le Général Billotte et consorts de la S.M… chacun sa guerre et ses fruits glorieux… c’était en mai 1962 !
J’ai de suite reconnu cette porte, le trou de la serrure et la clef de ce champ de manœuvre. Rien n’avait changé en cinquante-cinq ans, sauf qu’à l’intérieur, l’invraisemblable chaos laissé par les pilleurs de tombe me mit le moral dans l’accélérateur de particules de colère. Ah les cons, les salauds, une centaine de boîtes à archives gisait là comme orpheline de son destin.
Merde !
Mektoub ?
J’en ai marre de ce qui est écrit, de la fatalité,
de la mauvaise fortune.
Alors vous savez, l’explication des archives moisies qu’il a fallu détruire, première piste sur laquelle on voulait me faire glisser comme un bourricot, alors qu’aucune de ces boites ne possédait la moindre petite tache de Pénicillium, d’Aspergillus, de Cladosporium ou Myxotrichum me mit le cervelet en surchauffe. Ma fausse naïveté m’engagea à faire croire que je croyais… ça c’est mon côté « hmar » kabyle. Faut toujours faire semblant d’être con, on en apprend beaucoup plus sur ce qui sous-tend les valeurs apparentes de l’ânier que sur le contenu du bât. Après, il suffit de déduire, soustraire et conjuguer pour tout savoir…
Ainsi, à force de jouer au candide j’eus d’autres pistes livrées à mon ingénuité pour rassasier ma curiosité sans doute considérée comme infantile… ben oui, vous savez, un ethnologue qui se prend pour un historien, c’est pas sérieux, alors on le ballade au pays des merveilles enfumées.
Ben voilà, c’est ce que tout le monde fait depuis deux ans.
On m’enfume.
D’abord les micromycètes et la crémation.
Ensuite les soupçons sur le MOSSAD.
Forcément, l’antisémitisme n’est jamais loin de l’antisionisme… donc l’histoire d’un mec qui trempe ses pompes en Palestine, ça peut intéresser les archivistes de Tel Aviv pour comprendre les chansons de Carlos et les complaintes d’Abou-Nidal…
Enfin, comme pour éloigner les soupçons de l’autre côté de la méditerranée, un mystérieux ambassadeur d’Afrique du Nord aurait non moins mystérieusement essayé de savoir où étaient les archives de Bitterlin… sans donner de suite apparente.
N’empêche qu’elles ont disparu.
Malgré les infernales sirènes alarmantes d’un système sécuritaire au tip-top de ses performances.
Je le sais, j’en ai pris plein la gueule et mes oreilles en sonnent encore l’hallali.
Ce dont je suis sûr.
C’est qu’on me prend pour une abeille et qu’on veut m’endormir par l’enfumoir d’un nuage de désorientation d’indices. Soufflez, fumez les gros bourdons, j’en viens même à me demander pourquoi, lors de la cessation d’activités de l’Association France-Pays-Arabes en 2008, le liquidateur n’ait pas pris soin de faire transférer ces archives, conformément au devoir de la République et au nom de l’utilité historique publique, tous ces documents en lieu sûr, B.N.F, Archives Nationales… mystère et boules de gomme arabique…A moins que d’autres services d’archives plus discrètes ne soient intervenus en douce pour les mettre au secret dans les culs de basse-fosses de Vincennes (DGSE) ou de Levallois-Perret (DGSI)…
Que voulez-vous !
Tout le monde ferme sa gueule !
Je n’oublie pas que le danger vient souvent de l’intérieur avec ou sans jeux de maux.
Alors aujourd’hui j’ai décidé de l ‘ouvrir.
Ma gueule, mon clapet, ma tronche.
Je n’ai pas la mémoire courte.
Le 29 Janvier 1962 dix-neuf des hommes de Bitterlin, les dites « barbouzes » se faisaient exploser le portrait dans un attentat à Alger. Papa y échappa, il était en tôle, Bitterlin et Goulay interdits de quitter Paris, Lemarchand et Ponchardier à l’abri et Despinoy en retard au rendez-vous pour ouvrir la caisse… d’explosifs estampillés contre-barbouzes. Plus de cinquante ans que l’OAS s’enorgueillit de cette tuerie alors que chacun sait combien le SDECE savait organiser et trier avec soin l’ivraie du bon grain. Les services « s’arrangèrent » pour séparer ainsi le barbouze barbu invendable du gaulliste barbouze exploitable. En 1962 les premiers moururent, les seconds survécurent mais en mettant en veilleuse leur 9-43, 6-35 et colt 45. Frey, Marcellin, Pompidou et d’autres ministres de De gaulle purent très tranquillement exposer aux journalistes qu’il n’existait pas de police parallèle en France et encore moins de barbes. En 1965 l’affaire Ben-Barka fit reparler, un peu, des barbouzes mais sans plus. Les initiatives mémorielles individuelles furent auto-lessivées et en 1968 le gaullisme prit du plomb dans l’aile droite. Le patron ne s’en remit pas, mais ça, tout le monde connaît la suite pompidoulienne, giscardienne, mitterrandienne, chiraquienne sans compter les gardiennages républicains qui suivirent…et dans tous les cas de figure on nous balance le « devoir de mémoire ».
Faut savoir ce qu’on veut quand tout est fait
pour l’émasculer cette mémoire.
Alors répondez à ma question :
Qui a planqué les archives de Lucien Bitterlin ?
Et pourquoi ?
Barbouzes d’aujourd’hui !
Nos archives nom de Dieu !
Car « bordel de merde », la république, c’est nous.
Nous les historiens qui cherchons l’Histoire
et nous les enfants qui recherchons la vérité.
Rendez-nous ces cinquante années d’archives arc-en-ciel.
Ce serait bien pour commémorer plus dignement l’anniversaire du décès de Lucien Bitterlin.
C’était il y a un an, le dimanche 11 février 2017.
*Christian Hongrois est ethnologue, fils de Marcel Hongrois (MPC-OCC-Mission C), compagnon de lutte
anti-OAS de Lucien Bitterlin.
Pu
Ancien producteur d'émission de radio à France V à Alger, Lucien Bitterlin, Il avait été autrefois le secrétaire général du MPC (Mouvement pour la Communauté) créé le 9 juillet 1959 par le mouvement gaulliste pour servir de couverture aux opérationsdes « barbouzes » visant à lutter contre mes membres de l'OAS à la fin de la guerre d'Algérie. Dans "Histoire des barbouzes" (Éditions du Palais Royal, 1972) : L'auteur raconte l'actions des équipes et cite ceux sont morts dans les opérations sans évoquer la suite de la carrière de ceux deviendront agents électoraux ou gardes du corps, ou encore feront du renseignement pour les services secrets. ils s’installèrent dans une villa du quartier d’El Biar à Alger .Une caisse qui devait contenir une machine pour imprimer les tracts fut piégée dans les locaux des douanes. Son explosion dans la villa tua 19 barbouzes. Les blessés furent soignés à l’hôpital, mais le convoi qui les ramenait à la villa fut attaqué, et les deux voitures incendiées. Les témoins dansèrent la farandole autour des voitures pendant que les passagers mourraient. Le gouvernement décida de rapatrier les survivants en France. Ils eurent 87 tués sur 200.
La Barbouze Lucien Bitterlin à l'enterrement du commissaire de police Gavoury le 2 juin 1961 à l'école de police d'Hussein Dey
Une action secrète menée contre l'OAS serait en cours... C'est ce que comprend le journaliste Lucien Bodard, alors qu'il se trouve dans l'avion qui le conduit à Alger avec de hauts responsables de la police. Telle est l'origine de l'article qu'il publie dans France-Soir le 2 décembre 1961, intitulé Les barbouzes arrivent .
Tout commence, en fait, à la fin de l'été 1961 par une réunion de Louis Joxe, négociateur d'Evian, Jacques Dauer, fondateur du Mouvement pour la coopération (mouvement gaulliste qui exerçait son activité en Algérie), et Raymond Schmittlein, président du groupe gaulliste à l'Assemblée. La nécessité de contrer l'OAS à Alger s'impose aux trois hommes. Ils dépêchent donc dans la capitale Lucien Bitterlin, membre du mouvement de Dauer, qui avait déjà milité outre-Méditerranée pour une « troisième force » soutenant la politique du général de Gaulle.
Or, six mois après le putsch, toutes les entreprises de troisième force sont abandonnées par le gouvernement. Bitterlin et ses hommes ciblent leur action contre l'OAS. Et uniquement contre elle. Aussi, ceux que l'on appellera les barbouzes délaissent-ils vite affiches et pots de colle pour l'action directe contre les partisans de l'Algérie française, désignés dans la presse de l'époque comme des « activistes ». L'adjoint de Bitterlin, Goulay, le met en contact avec Ponchardier et l'avocat Lemarchand, deux vieux routiers de la guerre de l'ombre, qui fournissent des hommes. L'argent est versé par le délégué général en Algérie, Jean Morin. Les explosifs et les armes par la sécurité militaire. Des cafés, des restaurants d'Alger, tenus pour des repaires de l'OAS, sont plastiqués, des militants de l'OAS ou des suspects sont enlevés. Premières initiatives en un domaine où elles feront florès à partir du 17 avril 1962, sous la responsabilité cette fois des commandos du FLN (ils enlevèrent 3 018 personnes).
Le colonel André, de la sécurité militaire, demande aux barbouzes de collecter des renseignements sur l'OAS. Mais les membres de cette dernière ne tardent pas à réagir. Une villa des barbouzes, située sur les hauteurs d'Alger, est plastiquée le 29 janvier 1962 à l'initiative du lieutenant Degueldre. La succession d'opérations menées par l'OAS finit par affaiblir considérablement les barbouzes de Bitterlin.
Pour autant, l'opération n'est pas terminée. Le 12 février suivant, Ponchardier et son adjoint Robert Morel prennent le relais et lancent un groupe de contre-terreur, le Talion, qui enlève notamment un responsable de l'OAS, un dénommé Petitjean, beau-frère du général Méry, celui-là même qui deviendra responsable du cabinet militaire de Valéry Giscard d'Estaing. Petitjean est torturé et retrouvé près d'Orléasnville, découpé en morceaux.
Beaucoup de questions se posent à propos de l'activité des barbouzes, dont l'efficacité comme les méthodes furent des plus discutables. A quoi ont servi ces hommes, peu nombreux, mal armés et dont les chances, face aux commandos de l'OAS, étaient bien minces ?
Certains affirment que les barbouzes ont servi à leurrer l'OAS en l'entraînant vers des cibles secondaires tandis que se mettait en place, discrètement, la Mission C, dirigée par Michel Hacq, directeur de la police judiciaire. Celui-ci était à la tête de deux cents policiers triés sur le volet, fonctionnaires du gouvernement, lesquels, aidés par les gendarmes du capitaine Lacoste, allaient porter de durs coups à l'organisation clandestine. Cette théorie du leurre a été soutenue par le journaliste et historien Yves Courrière. De nombreux chefs de l'OAS, comme le docteur Perez, l'estiment valable. Toutefois, pour Jean Morin, alors délégué général en Algérie, comme pour Vitalis Cros, alors préfet de police d'Alger, une conclusion s'impose : ce rôle de leurre, les barbouzes ne l'ont joué que par hasard. IN Barbouzes-FLN, une alliance inavouée http://www.historia.presse.fr/data/thematique//76/07605201.html Par Jean Monneret
Cette photographie prise le 14 décembre 2021 montre le buste du dramaturge français Molière, à la Comédie Française, théâtre national, à Paris. (Photo, AFP)
Officiellement, 2022 a été, dès janvier, décrétée en France «L’Année Molière», pour commémorer les 400 ans de la naissance de l’auteur
Molière a toujours eu des adeptes dans plusieurs pays arabes: au Liban, en Égypte, en Tunisie, en Algérie, au Maroc
Officiellement, 2022 a été, dès janvier, décrétée en France «L’Année Molière». Pour commémorer les 400 ans de la naissance de l’auteur du Malade imaginaire et de L’Avare. Auteur français le plus joué en France comme à l’étranger, et particulièrement dans les pays francophones. Mais ce que peu de gens savent, c’est qu’il a toujours eu des adeptes dans plusieurs pays arabes: au Liban, en Égypte, en Tunisie, en Algérie, au Maroc. En 1956 déjà, le Marocain Tayeb Saddiki connut un grand succès au Théâtre des Nations à Paris (1), avec l’une de ses adaptations (Les Fourberies de Scapin?).
Traduction et/ou adaptation
Traduites et adaptées au XIXe siècle déjà, plusieurs de ses pièces eurent un succès populaire, notamment en Algérie, avec Hassan el-Hassani, plus connu du public sous le sobriquet de «Boubagra», qui donna une popularité prégnante au Bourgeois gentilhomme, devenu «Belkacem el-Bourgeoisi», et à L’Avare: البخيل (El-Bakhil»). Ahmed Cheniki, un éminent professeur d’université d’Alger à la retraite, et spécialiste de l’histoire du théâtre maghrébin, en parle sur son blog en ces termes: «Je me souviens encore d’une pièce de Hassan el Hassani, “Belgacem el Bourgeoisi”, qui fut, pour moi, un véritable détonateur. Je découvrais ainsi un grand comédien populaire qu’appréciaient énormément mes parents et qui allait me faire aimer davantage Molière dont on lisait les textes à l’école. Hassan el Hassani, un grand militant qui fit du théâtre dans les prisons, puis après l’indépendance, avec la Troupe du Théâtre populaire, entre 1967 et 1978.»
En Égypte, dans les années 1870, le répertoire de Molière fut traduit et adapté par ‘Uṯmān Jalāl, surnommé «Le Molière d’Égypte». Onis Trabelsi, chercheuse spécialiste des arts du spectacle qui s’est penchée sur «le répertoire arabo-moliéresque au XIX siècle», écrit: «Jalāl cite ses sources et entend adapter une comédie de Molière à un public égyptien. Sa démarche est déterminée: il s’agit d’arabiser et d’égyptianiser le texte de Molière et non de traduire en arabe le texte français. À partir de ce principe, Jalāl n‘hésite pas à modifier la structure interne des comédies, la composition des personnages et à faire correspondre la signification des dénouements avec le contexte socio-politique, toujours dans le but de s’adresser directement, avec son dialecte, son humour, sa gestuelle, au spectateur égyptien» (2).
De L’École des Femmes à L’École des… Épouses
On peut s’étonner de cet engouement dans une société dont l’univers culturel et même cultuel est à cent lieues, pour ainsi dire, de celui de Molière. Surtout que le 6e Art à l’occidentale n’était pas dans la tradition arabe. Ce qui s’en rapprochait le plus, c’était le «théâtre de rue», la «halka» – que Mohamed Aziza définissait comme «une forme avortée» de théâtre (3).
Il aura fallu le savoir-faire des adapteurs et des metteurs-en-scène pour conformer le texte original à l’esprit du public et à l’époque. La traduction n’est pas toujours du mot à mot. Ainsi, en Égypte, le titre L’École des Femmes était-il devenu ««Madrasāt al-zawjāt», ce qui, mot à mot, signifie: «L’École des Épouses». Sic. Une nuance socialement correcte, en somme.
Il serait intéressant de savoir comment l’adaptateur s’était arrangé pour traduire certains passages comme cette réplique d’Arnolphe à son ami Chrysalide, dans L’École des Femmes:
«Fort bien: est-il au monde une autre ville aussi
Où l'on ait des maris si patients qu'ici?
Est-ce qu'on n'en voit pas, de toutes les espèces,
Qui sont accommodés chez eux de toutes pièces?
L'un amasse du bien, dont sa femme fait part
À ceux qui prennent soin de le faire cornard (…)» (4)
Tout Molière n’était pas soluble dans le référentiel de la scène arabe. L’adaptation, au double du sens du terme, était de rigueur, et pouvait aller jusqu’à l’introduction de références sociales et culturelles du pays. Il est même arrivé que deux pièces de Molière soient associées dans une même adaptation: Le Médecin malgré lui et Le Malade imaginaire (5). Il arriva même qu’une seule pièce, en Turquie, réunît plusieurs passages de différentes pièces de Molière, comme le découvrit l’auteur dramatique et orientaliste Adolphe Thalasso (1858-1919): «Lors de plusieurs spectacles, Thalasso remarque que le karagoz turc modernise et renouvelle son répertoire en empruntant certaines scènes à L’Avare, à Tartuffe et aux Fourberies de Scapin.» (6)Mieux encore, l’orientaliste surprit un jour des enfants, dans la rue, en train d’échanger des répliques qu’il reconnut comme relevant du répertoire de Molière!...
En 2000, au Festival du théâtre d’amateurs de Mostaganem, en Algérie, une jeune troupe de Miliana présenta Le Bourgeois gentilhomme, où le personnage-titre était campé comme un «Nouveau riche du marché noir» (Sic) (7). En fait, si certaines adaptations se réfèrent explicitement à l’auteur, comme chez le Marocain Tayyeb Saddiqi, avec L’École des femmes et Les Fourberies de Scapin (8), d’autres n’étaient même pas sourcées, souvent «réécrites», entrecoupées de références locales et même d’emprunts à la tradition orale…
Au Liban, le premier à avoir adopté Molière, avant de l’adapter, fut Maroun el-Naqqash, un Maronite formé à la scène italienne et à l’opérette: en 1847, il présenta L’Avare («Al-Bakhil») ; en 1850, L’Étourdi («Al Moughaffal»), et Tartuffe («Al-Hasoud»), en 1853.
Molière au Panthéon, pas à L’École des fans
Le génie de Molière, nous dit Edgar Davidian, «réside dans le fait d’avoir créé des archétypes qui nous renvoient encore aujourd’hui à nos propres travers, intemporels et universels. En célébrant les 400 ans de sa naissance, l’on revient volontiers sur ces personnages qui ont dépassé la fiction pour se couler, avec une fluidité naturelle, dans le registre humain avec une foule de personnalités que l’on croise tous les jours» (9).
Un Molière qui visait toujours juste, pointant les défauts de ses contemporains, raillant les snobs comme les dévots. Et puis, quelle langue!... Classique, quand il faut, inventive et vivace quel que soit le registre où évoluent ses personnages. Autant dire qu’en réclamant que Molière fasse son entrée au Panthéon le comédien Francis Huster ne cherchait qu’à magnifier un nom qui, déjà à lui seul, est un patrimoine. Après tout, on dit bien «la langue de Molière», pas «la langue de Voltaire»!...
Alors, Molière au Panthéon? Pas évident, semble-t-il, selon l’Élysée. Très tôt, l’étonnement est venu de là où on ne l’attendait pas, là où l’auteur de L’Avare est surnommé «Sidi Molière»! Et notamment, du Maroc: «Incompréhensible rejet de la demande de panthéonisation de Molière par l’Élysée» (10). Cela dit, la consécration de Jean-Baptiste Poquelin, déjà universellement faite, n’a pas besoin de passer par… L’École des fans: elle passera par celle de l’évidence. Une évidence qui, elle, fera école, tôt ou tard.
Hommage à nos mères, ces Algériennes, travailleuses dignes et fières.
Autant que je me souvienne maman, tes moments de bonheur ne se comptent guère plus que sur les doigts d’une main. De courts instants rares et furtifs, noyés dans un océan de chagrin qui s’acharnait sur toi et agitait ta vie, jour et nuit, pour te malmener sans égards ni retenue.
Je me souviens de ces après-midi d’automne où l’enveloppe d’un ciel menaçant amplifiait l’angoisse et la mélancolie dans lesquelles te plongeait l’absence de mon père, ton mari. Ces interminables moments d’une jeunesse rayonnante qui ne débordait de rien d’autre sinon de patience et d’attente, au milieu du temps qui semblait te narguer en suspendant son vol, à des heures pas du tout propices à ton bonheur. Ces instants cruels d’une douleur décemment contenue pendant lesquels, pour verser plus de larmes, tu me serrais dans tes bras, moi le petit dernier, comme pour puiser, de ces étreintes maternelles, l’énergie du désespoir et les forces nécessaires pour t’accrocher à une raison de vivre et chasser l’ombre de cet homme toujours manquant. Cet homme parti ailleurs -pour mieux revenir et construire notre avenir nous disait-on- happé très vite par le tourbillon d’un exil féroce pour te laisser seule avec 3 enfants, alors que tu n’avais pas encore consumé tes vingt-ans.
Je me souviens de ces prières que tu murmurais au ciel, à la tombée de la nuit, pour combattre tes peurs, en attendant des lendemains meilleurs qui tardaient à se profiler pour te délivrer de ce cauchemar interminable, rempli de solitude et d’abandon. Ce ciel, que j’appris, en guise de coup de main à la mesure de mon enfance, à questionner aussi, finit par me lasser par sa surdité et son silence complice déjà, à mes yeux d'enfant, devenu insensé.
Je me souviens de ces nouvelles que notre oncle nous livrait de son frère aîné, en lisant des encarts de journaux, le soir au coin de la cheminée. Ces premières nouvelles qui annonçaient son arrestation pour «port d’arme prohibée» suivie d’une condamnation pour «association de malfaiteurs et atteinte à la sûreté extérieure de l’Etat», et les suivantes qui le disaient tantôt détenu à Nancy, tantôt à la prison d’El-Harrach et tantôt transféré à celle de Berrouaghia.
Je me souviens de ces deux ou trois soirées où l’on annonçait enfin son retour. Retour dont l'imminence donnait à ton visage des teintes radieuses et blafardes à la fois. Ce visage, très vite assailli par un flot d’incertitudes, se transformait en terrain de combat sur lequel s’affrontaient la joie et la tristesse, celle du bonheur de le revoir pour un ou 2 soirs et l’inquiétude d'un autre départ.
Je me souviens, et tu me l’as rappelé récemment, de cette journée de révolte où les femmes du village avaient organisé une marche sur les sentiers qui menaient au campement militaire pour hurler et gémir de tout leur saoul contre l'armée coloniale qui avait embarqué tous les hommes, en représailles à un coup du FLN. Je me souviens de ces cris de lamentations que tu communiquais, dos contre poitrine, à l’enfant que tu portais à califourchon, lequel les transformait en sanglots incessants. Tu avais beau lui dire à cet enfant hébété par la puissance de ces complaintes qui fusaient de cette foule compacte «Soussam a’emmi, ourtsougadh, dha’sena3mal kane !» (tais toi mon fils, c’est de la comédie, ne t’inquiètes pas!), rien n’y fit, je braillais de plus en plus fort, comme pour mieux amplifier tes sanglots que je ressentais comme une douleur de plus, une douleur de trop, même simulée, portée à une nature éplorée.
Je me souviens de ces soirées de folies sur la place du village où les hommes et les femmes dansaient à l’endiablée pour fêter le départ des roumis, pendant que, à l’écart, tu ne faisais qu’observer et faire semblant d’apprécier. Je t’épiais du coin de l'œil et comprenais bien que ton mari n’étant pas là, cette fête n'était pas pour toi. Je me souviens que pour t’entrainer sur la piste, une vieille du village t’avait lancé : "Aller, viens danser aussi Ouardia, et inchallah, Ouhrich reviendra !". Elle a su faire mouche la petite fadhmouche ! Et pour ne pas irriter les Dieux que, pour toi, elle venait d’invoquer, tu osas quelques petits pas et déhanchements timides et furtifs, histoire de ne pas contrarier cette incantation prononcée pour ton mari et son retour, l’unique synonyme à ton bien-être et ses contours.
Oui, il est revenu un soir d’avril, à la fin d'une journée éclatante, empaqueté dans un cercueil, pour enterrer tes derniers espoirs, tes ultimes illusions ! Tu n’avais que 37 ans ! L’âge ou la vie commence pour les autres, la tienne soudain s’arrêtait, et nos ennuis ne faisaient que commencer.
Je me souviens de cette gifle, portée avec violence sur ta joue gauche par mon oncle, moins d’un an après la mort de mon père. Ce jour-là ma mère, du haut de mes seize ans, pour une fois, comme jamais plus de ma vie, j’avais envie de tuer !
Je me souviens de cette convocation au tribunal d’Alger, suite à une plainte déposée contre nous par cet oncle insatiable, lequel, non satisfait de piller l’héritage de tous les biens accumulés par mon père juste avant la guerre, s’était mis en tête et appliqué pour nous chasser et nous confisquer les dernières ruines du toit ancestral dans lequel nous étions retranchés et entassés.
Je me souviens de l’air et du regard hautains que Mme la juge jetait sur toi car elle trouvait anormal que tu ne comprennes pas l’Arabe, allant jusqu’à te le reprocher, osant te signifier un "lazem t’at3almi" que tu ne saisissais pas. Malmenée par une vie ingrate et un oncle vorace, te voilà devenue, pour couronner ton destin, étrangère sur ta propre terre!
Je me souviens de cet instant où mon départ se précisait, quand tu eus cette formidable réaction face à ceux qui s’en inquiétaient et n’y voyaient que malédiction, une de plus, pour toi : "França n’mi thelha, yewbi yidhess arawiss !" (L’exil de mon fils est plaisant, il emmène ses enfants !). Qui d’autre que toi pouvait énoncer tel postulat ?
Je me souviens enfin de ces premières années d’exil, au milieu de la décennie de barbarie, quand, à chaque fois que je te faisais part de l’envie de te revoir, tu m’en dissuadais, l’instinct de protection toujours intact, par un discours clair et direct «alla ammi, quimdhina, dhagui l’3ivadh amkhech la’theneken» (Non mon fils, restes où tu es, les hommes comme toi, ici on les abat !)
Je me souviens de tant et tant de choses, mais aujourd’hui je veux apaiser mon âme et te demander pardon maman ! Pardon de n’avoir pu tenir ma promesse faite à mon adolescence, à la perte de ton mari, celle d’être toujours présent à tes côtés ! Et si je devais un jour faire mon chemin de croix, c’est celui de mon infidélité envers toi !
Ta vie, la nôtre, ne fut pas un conte de fées, nos cauchemars nous fussent toujours infligés par des proches. Il ne se trouvât personne pour alléger le fardeau de la veuve et des orphelins auquel le sort nous avait cantonnés. Alors, quand les tiens, au lieu de te défendre, te pillent, pourquoi ne pas chercher protection ailleurs et partir se réfugier sous des ciels plus cléments, là où l’humanisme n’a pas perdu ses derniers pions, et résiste encore aux appels «d’onques» démons?
Comme tant d’autres, je suis parti aussi maman parce que rien d’autre ne se profilait, à l’horizon de ce pays martyrisé par une bande d’aventuriers, pour ma descendance, la tienne, à part cet enfer, celui que tu as vécu et duquel tu nous as si élégamment et si dignement extirpés.
Tu t’es bien battue ma mère, et quoi que ta lignée accomplisse loin de la terre ancestrale, en Amérique, en France ou ailleurs, elle n’oubliera jamais que ses succès et ses triomphes, elle les doit, avant tout, à cette grand-mère courage restée debout sur cette colline de Kabylie, celle qui a porté le fardeau de tant de souffrances, pour tracer, contre vents, tempêtes et toutes sortes de malveillances, les chemins qui ne mènent nulle part ailleurs qu’à des endroits où règne la résilience.
Mohammed VI participera, les 1er et 2 novembre prochain, au 31e sommet de la Ligue arabe à Alger, selon l’hebdomadaire Jeune Afrique qui affirme détenir l’information de sources diplomatiques. algériennes.
La venue du monarque marocain, accompagné par l’héritier du trône, son fils le prince Moulay Hassan, intervient dans un contexte marqué par une crise diplomatique aigüe entre le royaume chérifien et son voisin l’Algérie. Depuis deux ans au moins, les relations diplomatiques se sont gravement dégradées entre les deux pays.
A coup sûr, cette visite si elle venait à se confirmer, va accaparer l’intérêt des médias qui suivront à la loupe les moindres gestes et déclarations du monarque marocain sur le sol algérien. Une présence qu’il s’agira d’interroger à l’aune des fortes turbulences qui caractérisent les relations bilatérales et de la possibilité de leur réchauffement.
Abdemadjid Tebboune qui s’est fait le champion du « rabibochage » des relations entre les « frères » arabes ira-t-il jusqu’au bout de sa logique réconciliatrice ? Acceptera-t-il de tendre la main au souverain d’un pays que les médias algériens ont voué aux pires gémonies, le qualifiant de « voisin de toutes les malfaisances », un ennemi patenté coupable d’avoir fomenté des actes de déstabilisation de notre pays, à travers le financement des opposants au régime et d’être l’instigateur des feux de forêts qui ont ravagé la Kabylie. Rien que ça !
On peut supposer aussi que la présence du souverain marocain à Alger est la conséquence des pressions qui auraient été exercées, en sous-main, sur l’Algérie, par les monarchies du Golfe qui, à en croire certains observateurs, avaient agité la menace du boycott du sommet d’Alger de la Ligue arabe si le roi du Maroc n’est pas invité. Ils auraient posé leurs conditions pour leur participation. En plus de leur refus de la participation du dictateur syrien, ces pays dont l’Arabie saoudite auraient fait du lobbying en faveur de la venue de M6 à Alger. Quand on connaît la proximité des monarchies du Golfe avec celle des Alaouites, tout cela est bien probable.
Des médias avaient évoqué les efforts de médiation entrepris par l’Arabie saoudite pour la normalisation des relations entre les deux pays d’Afrique du Nord. Une perspective que l’Algérie aurait subordonné à la révocation par le Maroc de sa coopération militaire et sécuritaire avec l’Etat hébreux, selon Maghreb Confidentiel.
L’âge de glace des deux voisins
Entre Alger et Rabat, les échanges sont à couteaux tirés. Sur fond de la question du Sahara occidental, les deux capitales ne répugnent aucune manœuvre. On se souvient, Alger avait annoncé, en août 2021, par la voix de son ministre des Affaires étrangères, Ramtane Lamamra, la rupture ses relations bilatérales avec le Maroc.
Une décision assortie de la cessation des échanges commerciaux avec le voisin de l’ouest, y compris l’arrêt de la livraison du gaz via le gazoduc Maghreb Europe et la fermeture du champ aérien algérien à ses avions.
La tension était telle entre les deux voisins qu’on avait craint le pire: toutes les conditions étaient réunies pour faire entendre la voix des armes au lieu de donner sa chance à la raison diplomatique et du dialogue pour le règlement du différend.
Et les raisons n’ont pas manqué pour alimenter le litige qui s’était exacerbé a cause du rapprochement stratégique entre le Maroc et Israël. L’Algérie avait ouvertement soutenu d’être la cible du rapprochement sécuritaire et militaire entre ces deux pays.
La dernière visite de Mohammed VI en Algérie remonte à 2005. Sa présence, à l’occasion de la tenue du sommet de la Ligue arabe, va inévitablement constituer l’un des points focaux du 31e rendez-vous des souverains et dirigeants des pays arabes. Faudra-t-il s’attendre alors à un réchauffement des relations. Attendons de voir.
La publication de la belle thèse de Sylvie Thénault tombe à pic en ce temps de remue-ménage dont la guerre d’Algérie est l’objet. Avec la tranquille assurance des vrais savants, recoupant une foule de documents inédits implacables et d’interviews de témoins, cette jeune historienne montre comment, dans une guerre cruelle que le pouvoir français refusait de considérer comme telle, les combattants algériens furent traités en criminels par une justice qui accepta de jouer le jeu de l’ordre militaire colonial dans son paroxysme. A l’exception de quelques magistrats — dont le procureur général Reliquet à Alger, limogé par Michel Debré en 1958 -, l’appareil judiciaire français accepta sans grands états d’âme, quand ce ne fut pas avec complaisance, son effacement et se rendit coupable d’un déni de justice permanent.
On comprend que, dans ces conditions, la torture fût érigée en système et que l’impunité fût conférée à tous les soldats français quoi qu’ils fissent. A vrai dire, dénis de justice et tortures furent le bouquet final d’une période coloniale où régnèrent en permanence la discrimination et le non-droit. Sur 198 condamnés à mort guillotinés pendant la guerre d’Algérie, il n’y eut qu’un Français, le militant communiste Fernand Yveton. La période gaullienne de la guerre, à la fois paracheva la mainmise militaire sur la justice en Algérie par la création, début 1960, du procureur militaire, et à la fois traita plus humainement les combattants algériens. Ce fut finalement par la liquidation de la guerre que la Ve République laissa espérer en l’avènement d’une justice en Algérie. Que cette espérance n’ait pas vraiment été tenue dans l’Algérie indépendante est une autre histoire.
Une drôle de justice. Les magistrats dans la guerre d'Algérie (Préface de Jean-Jacques Becker. Postface de Pierre Vidal-Naquet)... Essai de Sylvie Thénault, Editions Edif 2000, Alger 2010, 347 pages, 850 dinars.
Elle n'avait que vingt ans lorsqu'elle était venue proposer comme thème de recherche en vue d'une maîtrise d'histoire «La manifestation du 17 octobre 1961» à un professeur qui avoue (préface) que si pour un homme de sa génération, c'était un événement qui avait une place précise dans la mémoire...», il n'en était pas de même pour les générations des années quatre-vingts. «Un événement déjà ancien, bien oublié. La guerre d'Algérie n'était plus un sujet de préoccupatuion et la manifestation du 17 octobre encore moins». Il se trompait lourdement, mais il avait accepté le sujet. Il venait de «lancer» une «historienne» qui allait se spécialiser sur «la guerre d'indépendance algérienne», découvrant de nouvelles sources alors ignorées, et posant mille et une vraies questions aux témoins encore en vie... ou à leurs hétitiers. Six années après, elle soutenait sa thèse devant un jury qui comportait les meilleurs spécialistes français soit de l'Algérie, soit des problèmes de justice : Ageron, Stora, Vidal-Naquet, Farcy. La recherche pour reconstituer le puzzle a été longue, difficile, fastidieuse... peut-être facilitée par le fait que le point de départ était clair, net, précis. Cent vingt années de colonisation ne pouvaient qu'enfanter un système judiciaire monstrueux. C'est ce que l'auteure écrit dès le départ : «Le système de répression élaboré après le 1er novembre 1954, rompt avec l'existence ordinaire de la justice, mais les hommes appelés à instruire et juger les nationalistes ne sont jamais que ceux qui exerçaient, déjà, avant le déclenchement de la guerre d'indépendance. Loin d'être vierges de toute expérience, ils connaissaient la société coloniale, la vivent, la reflètent même dans leurs pratiques...».
De ce fait, «l'histoire de la guerre (et de la justice) ne peut s'écrire sans plonger dans ses origines profondes qui l'enracinent dans un contexte colonial et dans une continuité historique bien antérieurs à 1954». Et, hélas, cela va durer jusqu'à l'indépendance du pays. La justice franco-colonial(ist)e sera impitoyable à l'encontre des nationalistes et plus que laxiste, à la fin de la guerre, avec les terroristes de l'Oas.
L'Auteure : Sylvie Thénault, née en 1969, est une historienne française, agrégée et docteur en Histoire, directrice de recherche au CNRS. Elle est aussi membre du Centre d'histoire sociale du xxe siècle. Ses travaux portent sur le droit et la répression légale pendant la guerre d'indépendance algérienne. Elle a, en particulier, étudié des mesures ponctuelles, comme les couvre-feux en région parisienne et les camps d'internement français entre 1954 et 1962. Ses recherches s'orientent vers l'étude de l'internement à la période française dans son ensemble, dans le champ de l'étude de l'administration coloniale en Algérie : structures, législation, personnel, pratiques. Sa maîtrise d'histoire, en 1991, portait sur «La Manifestation des Algériens à Paris le 17 octobre 1961» et sa répression. Sa thèse soutenue en 1999 traitait de «La Justice dans la guerre d'Algérie», et l'ouvrage présenté dans le cadre de son habilitation à diriger des recherches porte sur «La violence ordinaire dans l'Algérie coloniale». Prix Malesherbes (2002). Dernier ouvrage : En co-direction avec Abderrahmane Bouchène, Jean-Pierre Peyroulou et Ouanassa Siari Tengour : «Histoire de l'Algérie à la période coloniale : 1830-1962», Paris, La Découverte, collection «Poche : Essais», 2014, 720 p.Table des matières : Préface/ Introduction/ I. Génèse d'une situation controversée (1954-1956)/ II. Quand la guerre oblige la justice ((1957-Mai 1958)/ III. La justice civile à l'heure du retrait (mai 1958-1962)/ Epilogue/Postface/Bibliographie/Index.
Extraits : «Les trois départements de la rive sud de la Méditerranée n'ont jamais constitué une zone de droit à l'identique de la métropole» (p 20), «La compétence de la justice militaire et l'existence de camps d'internement restèrent les deux grands principes de la législation jusqu'à la fin de la guerre» (p38), «Sur le terrain, l'armée impose sa logique qui fait cohabiter la justice avec d'autres moyens de répression» (p93), «Aucun conflit ne surgit donc entre autorités militaires, judiciaires et politiques sur le fonctionnement de la justice. Malgré des logiques divergentes, tous s'accordent sur les nécessités de la répression» (p97), «Aux yeux du commandement, les avocats sont des adversaires à partir du moment où ils partagent les opinions des nationalistes qu'ils défendent» (p115), «Depuis le début de la guerre d'Algérie, il n'existe guère de hauts fonctionnaires qui n'aient, plus ou moins, directement ou indirectement, par action ou par abstention, participé à l'avènement du règne de la violence «(p139), «Dans l'idéal du commandement (note : de l'armée française d'occupation), l'instruction n'existe plus, les condamnations à mort sont multipliées et les exécutions quasi-immédiates» (p201), «L'étude des réactions du commandement aux instructions ministérielles démontre, elle aussi, une persistance de la pratique de la torture, des disparitions et des exécutions sommaires, tandis que l'impunité reste de mise «(p264), «La fiche («incomplète pour la fin de la guerre») de l'armée de terre comptabilise 1.415 condamnés à mort du 1er janvier 1955 au 15 septembre 1961, ainsi que 198 exécutions» (p313)
Avis : Un titre qui, à lui tout seul, résume la situation dans laquelle se sont retrouvés, volontairement (pour la plupart) ou non, empêtrés, les magistrats français en période d'une guerre dont on s'entêtait à ne pas vouloir reconnaître les causes et à dire les noms... La justice devenue une arme, elle a donc couvert (presque) tous les crimes colonialistes. Un travail quasi-complet qui fourmille de détails et qui, en même temps, déprime à la lecture de la description du fonctionnement de l'horrible «machine de guerre» encore plus redoutable qu'était la justice de l'époque.
Citations : «L'arme par excellence de l'historien, (c'est) la possibilité de recouper les sources les unes par les autres, car un document seul ne fait pas la vérité» (Jean-Jacques Becker, préface, p 2), «La guerre rend l'armée intouchable. Le silence sur ses violences s'impose» (p 158), «La crainte de desservir l'armée en agissant contre la torture, les disparitions ou exécutions sommaires explique en grande partie l'inaction dont les magistrats ont fait preuve (... ). C'est d'une justice soumise à une logique de guerre qu'héritent les dirigeants de la Vè République» (pp 160-161), «En guerre, la solidarité avec les forces armées s'impose et contrarie toute politique de lutte réelle contre les illégalités» (p268), «(Entre1954 et 1962) la justice d'alors est bien plus un «rouage de l'Etat», c'est-à-dire une «machine judiciaire faite de textes et de juges qui les appliquent», qu'un «pouvoir judiciaire indépendant tenant la balance égale entre le Pouvoir et le citoyen» (Casamayor, octobre 1962 et 1968, cité p 320)
LE GLAIVE ET LA BALANCE. PLAIDOYER POUR UNE JUSTICE INDEPENDANTE. Essai de Abdelkader Hammouche. Editions Barkat, Alger 2019, 189 pages, 400 dinars (Fiche de lecture déjà publiée. Pour rappel)
L'auteur n'y va pas par quatre chemins. Il est vrai que pour l'avocat qu'il est devenu, le temps et la précision comptent énormément. De plus, la situation de la justice algérienne était devenue tellement dramatique (aux yeux des citoyens et des justiciables comme à ceux des avocats), faisant tellement peur (à tort ou à raison) que le «remède de cheval» s'avère nécessaire. Dramatique et cela s'est plusieurs fois vérifié avec la cascade d' affaires» enregistrées durant le règne du bouteflikisme mais «traitées» de telle manière que les «gros» s'en tiraient toujours avec peu de dégâts, que les «très gros» n'étaient cités que comme «simples témoins» et qu' «essuyaient les plâtres» (dans les cellules des prisons) seulement les «troisièmes couteaux». Elle faisait si peur car il arrivait que la victime se voit, parfois, transformée en coupable. Cherchez les erreurs !
L'auteur, grâce à ses décennies d'activité en tant qu'avocat, ancien journaliste de terrain (ayant d'ailleurs goûté du «glaive» pour une «affaire» somme toute banale, pour ne pas dire ridicule), s'en est donc allé à la pêche aux «affaires» puant à plein nez l'injustice (ou bien plutôt la justice sur «injonctions»). D'ailleurs, après le mouvement populaire du 22 février 2019 («Hirak»), bien des dossiers vont, semble-t-il ressortir des tiroirs. On a donc quelques exemples désormais fameux, dignes d'être étudiés dans les Ecoles de Droit, d'Administration ou/et de Magistrature : L'affaire Cnan Group/Ibc, révélée en 2010/2011 pourtant commencée en 2005/2006... La privatisation d'une entreprise publique dévoyée au profit d'intérêts personnels. L'Algérie flouée par deux sociétés étrangères et un homme d'affaires algérien résidant en Jordanie. Les membres du Cpe et le Premier ministre de l'époque, jamais entendus et deux personnes, des Dg, condamnées. L'affaire Khalifa Bank, en 2003, date de la «découverte «du scandale. Quelques milliards de dollars envolés !
Lors d'un premier procès, 124 personnes mises en cause... et 4.000 auditions. Le juge d'instruction a bien convoqué et entendu des ministres en exercice et des ex-ministres, mais n'a placé aucun en détention provisoire ni même sous contrôle judiciaire. Idem lors du second procès, en 2015 : 18 condamnations, mais 53 acquittements. L'affaire Sonatrach (en fait, il y en aura 4) en 2010... et un ministre de l'Energie, ancien Pdg de l'entreprise... en fuite puis revenu «librement» au pays... et un procureur (B. Zeghmati) et un ministre (M. Charfi), trop téméraires ou trop confiants... qui «essuieront les plâtres». Une grosse affaire de corruption et des peines estimées «légères», car «politiques». L'affaire de l'Autoroute Est-Ouest : Pour 1226 km une enveloppe initiale de 6 mds usd... devenue 11 mds usd... mais en fait, dit-on, 20 mds usd. Certaines personnes sont accusées d'avoir empoché 2,5% de commissions. Bien sûr, tout le monde nie. Et le ministre en charge du dossier déclare même que «l'affaire avait été montée de toutes pièces par le Drs à seule fin de ternir l'image du Président». Une instruction qui a duré près de 3 années. 16 accusés et un verdict «en demi-teinte». L'affaire Mellouk... un petit fonctionnaire ayant dévoilé, en 1992 déjà, une cinquantaine de dossiers de «magistrats faussaires», ayant falsifié des attestations d'ancien moudjahid... Aujourd'hui encore, à un âge avancé, après avoir connu la prison et l'Istn et avoir été menacé, lui et sa famille, il continue son combat... car rien n'a été encore tranché... d'autant que le dossier est «introuvable»... Situation inédite dans les annales de la Cour suprême. L'affaire Benchicou, emprisonné (deux années purgés sans bénéficier d'une seule journée de remise de peine) pour une affaire, «banale», de «bons de caisse» introduits en Algérie à son retour de l'étranger, puis ruiné suite à la «saisie-vente» de son journal, «Le Matin»... tout cela parce qu'il avait publié, en 2004, un livre pamphlet à grand succès, «Bouteflika, l'imposture algérienne» et qu'il était poursuivi, aussi, par la haine du puissant ministre de l'Intérieur de l'époque, accusé d'avoir pratiqué la torture dans les années 70.
Mais que faire pour éliminer la «justice aux ordres» et mettre, enfin, le glaive au service de la balance et se débarrasser de juges surnommés, dans certaines villes, «les chambres à gaz de la justice», là où les verdicts sont considérés inéquitables et expéditifs: des juges indépendants certes mais aussi compétents et aux comportements qui honorent la profession/ Une nouvelle organisation... à revoir en urgence... avec plus de moyens humains et matériels et gestion informatisée des affaires/ Revoir la loi cadre de 2017 portant code de déontologie des magistrats/Nécessité de réformer de Csm pour une plus grande indépendance / Nomination reposant sur les compétences professionnelles et non pas sur le «copinage»/Une gestion budgétaire autonome des juridictions/Mettre les juges à l'abri des groupes de pression et de la corruption (la mafia politico-financière)/ Revoir le recrutement et la formation/ Spécialisation dans les médias (rubriques judiciaires) / Mobilisation des avocats, les ligues de droits de l'homme et des associations civiles /Transparence des patrimoines (magistrats et leur famille) dès l'entrée en fonction/ La publicité immédiate des décisions de justice et accès des justiciables à toutes les décisions judiciaires/Imposer aux magistrats l'utilisation des microphones placés dans les salles d'audience (c'est tout bête et pourtant...) / Améliorer les conditions de travail des greffiers/ Que les justiciables sortent de l'attitude passive et promotion de la culture de la protestation et ne plus se complaire dans le fatalisme... Au départ, il est vrai, il y a la «volonté ferme des pouvoirs publics». En bonne voie... mais, hélas, toujours après une révolte, comme le «Hirak» actuel. Auparavant on a eu des déclarations mais une volonté bien molle et clanique ou affairiste. Des dégâts difficiles à réparer !
L'Auteur : Né à Alger en 1952. Ancien journaliste d'Algérie Actualités (tous les anciens se souviennent de sa «mésaventure» avec la Sm de l'époque qui l'avait «embarqué» -pour un certain temps. Il avait alors trop bien fait son boulot)... Par la suite, devenu avocat. Auteur de plusieurs ouvrages (romans, récits et essais ).
Extraits : «Nos commissariats et nos tribunaux sont froids comme des couperets et impersonnels comme une salle de gare. En somme, tout est fait pour instiller sinon la peur, du moins un sentiment désagréable de malaise» (p 17), «A quoi serviraient des lois aussi juste soient-elles- si certains magistrats les appliquent «à la tête du client» ? Si la justice des amis détrône la justice du peuple ? «(p 122), «Si notre élite est attirée par l'étranger, ce n'est pas toujours parce qu'elle aspire à être mieux rémunérée qu'en Algérie, mais surtout parce qu'elle a soif de justice» (p 146), «La goutte qui a fait déborder le vase est sans doute le cinquième mandat d'un président impotent et muet... Mais la cause de ce soulèvement (février 2019) est plus profond : la pérennisation d'un système politique fondé sur la négation de la justice, la corruption, et l'incompétence» (p 190)
Avis : Un véritable réquisitoire (contre les abus des magistrats), mais aussi une formidable plaidoirie (pour une justice équitable et transparente) qui remettent «les pendules à l'heure»... dans une horloge jusqu'ici trop tripatouillée. Ne nous manque plus que des ouvrages sur le «monde» des avocats, des greffiers, des notaires, des huissiers... pour faire tout le tour de la question. Citations : «La justice ne s'accommode pas de demi-mesures : son fonctionnement est soit transparent, soit obscur» (p 46), «La bonne foi ne suffit pas lorsqu'on veut démolir un mur. Et la justice est un mur d'une solidité à toute épreuve» (67) «Pour rester impuni, mieux vaut être une haute personnalité qu'un second couteau» (p 77), «Une société sans justice est une société tyrannique. La tyrannie conduit, à brève ou moyenne échéance, à l'explosion sociale «(p 135), «Que la justice dérape, et c'est toute la société qui en pâtit» (p 179).
AU NOM DE LA LOI !
Belkacem Ahcene DjaballahPublié dans Le Quotidien d'Oran le 02 - 12 - 202https://www.djazairess.com/fr/lqo/5307677
Quelque temps après son installation à la maison, j'ai voulu en savoir davantage sur la photo qu'Étienne nous avait envoyée d'Algérie deux ans plus tôt. Quand je la lui ai montrée, la violence de sa réaction m'a déconcertée. « Je ne veux plus voir ça ! » Je n'ai pas insisté. Il ne voulait pas parler de cette guerre. « Je mets tout ça dans ma poche avec mon mouchoir par-dessus. »
PAR SOPHIA AMMAD | 9 COMMENTAIRES | 15 RECOMMANDÉS
Comment un pays peut prétendre défendre la paix où les droits de l'homme en Ukraine ou au Mali, alors qu'il cadenasse toujours des archives militaires, 60 ans après ? Comment croire les médias quand ils affirment que les troupes françaises sont en Afrique ou en Orient pour protéger les populations alors que c'est la même propagande qui avait été utilisée pour l'Algérie ?
Nous sommes en 1957, 1958, 1959. Avocats des militants et militantes algériens, recueillent et rassemblent les noms de « disparus » qui leur sont rapportés. Dans la lettre accompagnant un « Premier Cahier Vert », on lit : « Nous avons l’honneur de vous soumettre 150 cas de disparitions à Alger. Elles sont d’une effrayante monotonie. Au milieu de la nuit, des soldats sont venus, ont enlevé l’homme – père, fils ou époux – et sont partis dans les rues désertes... »
Carte postale ancienne de Bône, devenue Annaba
Mes ancêtres juifs ont quitté l’Algérie avant le grand exode de 1962. J’essaye de comprendre ce qu’ils ont vécu dans ce « là-bas », qui était chez eux.
J'apporte mon témoignage individuel à la présence de mes parents en Algérie et des mes grands parents maternels, il y a plus de 60 ans, pour contribuer à cette nécessaire mémoire collective de nous tous et nous toutes, et à cette pacification nécessaire des rapports entre la France et l'Algérie.
PAR ALAIN NORDET | 12 COMMENTAIRES | 13 RECOMMANDÉS
En ce jour de célébration de l'indépendance algérienne, voici le témoignage d'un engagé volontaire mêlé « par inadvertance » à la guerre d'Algérie, ce beau pays qui le faisait rêver...
Comme toute chose périssable, une Révolution peut-elle vieillir ? Au rendez-vous des célébrations décennales, elle est convoquée au gré des humeurs présentes. La Révolution se met à la table des incertitudes du moment, quand elle n’est pas mobilisée en morphine mémorielle afin d’endormir les espérances d’émancipation encore vivaces.
«Ne pas se moquer, ne pas déplorer, ne pas détester, mais comprendre.» (Spinoza)
Résumé
Cette contribution n’est pas une énième polémique mais un modeste constat de ce qui s’est passé pendant cette période charnière de fin de la présence française et du démarrage de l’Etat algérien naissant dans une atmosphère plombée par le bruit des bombes de l’OAS. Nous allons rapporter, en honnêtes courtiers, quelques témoignages qui contredisent le mythe de la valise ou le cercueil ceci sans nier la terreur de certains Européens travaillés au corps par les slogans de l’OAS sachant que beaucoup d’entre eux parmi les plus aisés se sont repliés bien avant le cessez-le-feu. Nous décrirons aussi rapidement le sort des harkis en Algérie et le refus du général de les accueillir comme des rapatriés puisqu’ils ne retournent pas dans la patrie de leur père... Nous donnerons aussi un témoignage concernant Oran, où, là encore, les vérités sont contradictoires, oubliant sciemment que des Algériens ont aidé à sécuriser des Européens condamnés à une fin certaine par des révolutionnaires de la 25e heure. Enfin, il nous semble que le moment est venue pour la mise en place, avec les historiens des deux bords, d’une «commission de la vérité» avec l’ouverture des archives, le but étant dans le calme et la sérénité d’arriver pédagogiquement à faire toucher du doigt l’horreur d’une colonisation sans état d’âme. Une fois cela admis, rien ne s’oppose à construire graduellement le futur.
Le 5 Juillet 1962 sous la plume de Jules Roy
Nous rapportons le texte de Jules Roy ( ancien colonel d'aviation né en Algérie) qui «couvre» pour l'Express les premiers jours de l'indépendance de l'Algérie. «Il décrit ici la joie des Algériens, mais aussi l'espoir des Français d'Algérie qui veulent encore croire, en dépit de la politique de la terre brûlée de l'OAS, qu'ils pourront rester dans le pays et vivre en paix aux côtés des musulmans. La grande fête, Jules Roy l’a vécue les premiers jours de l'Indépendance parmi les amnésiques de l'Algérie française. La surprise colossale du jour, ce fut celle-là : on croyait que les Européens s'abstiendraient. Et s'ils étaient obligés de sortir, ils raseraient les murs pour échapper aux provocations toujours (…) — Oui, monsieur, nous venons voter, ma femme et moi, parce que c'est une affaire qui nous intéresse directement. Nous vivons en bonne intelligence avec les musulmans. Nous habitons dans leur quartier. Nous partageons leurs préoccupations. S'ils sont heureux, nous le serons et nous souffrons quand ils sont malheureux. Alors nous venons faire acte civique et je ne vous cache pas que nous voterons oui. — Parce que nous voulons rester Ici. (…) Un à un, canalisés par les soldats de la force locale et le service d'ordre du FLN, ils entrent et se dirigent vers les bureaux de vote, exhibent leur carte d'électeur, piquent un bulletin blanc sur la table.»(1)
«Alors, quoi, ce jour de colère et d'apocalypse où les hordes arabes allaient descendre de La Casbah pour égorger les hommes, violer les femmes et éventrer les enfants, briser les devantures, piller les magasins et mettre la ville à feu et à sang, alors, mes bons compatriotes qui foutez le camp à pleins bateaux et à pleins avions, vers les rivages de la métropole, où est-il, ce dies irae jailli des orgues de l'enfer vers la terreur de l'an mille ? Eh bien ! Mes bons, mes excellents compatriotes ont changé d'avis. Ils sont à présent pour la coopération et l'amitié, et, qu'ils me pardonnent, si je les entends bien, ils ont toujours été ainsi.» «Il y a plus d'un siècle, parlons au passé, qu'ils refusaient toute intelligence comme toute sagesse politique aux musulmans. ‘’Ces gens-là, monsieur, ne comprennent que la force. Un point c'est tout.’’ Il n'y avait pas à discuter ou alors on vous descendait au nom de la défense de l'Occident et des valeurs. Les musulmans réfléchissent, les musulmans sont doués d'une rare maturité politique, les musulmans ont la mystique de l'unité du peuple. (…) Je pense que nos excellents compatriotes qui s'empilent dans les centres d'accueil de Marseille ou d'Orly en voudraient bien autant et qu'ils ne respirent plus le vent tiède chargé de l'odeur des vignes et des eucalyptus." (1)
«Je raconte comment, ces jours-ci, à Oran, ils s'écrasaient contre les grilles du port et dans le hall de l'aérogare pour être loin d'ici le 1er juillet (…) — Tout ça par bêtise, dit René. Ils n'ont jamais rien compris. Ils pouvaient s'entendre avec les musulmans sans s’entre-tuer. Quand ils se sont mis à fuir sans pouvoir rien vendre de ce qu'ils laissaient, je leur ai dit : ‘’Vous êtes tous des fous. Vous le regretterez.’’ Moi, je ne m'en irai que si on me met de force sur un bateau. Ici, les pharmaciens ont foutu le camp et les coiffeurs aussi. Alors je suis allé chez un coiffeur musulman et il m'a rasé sans me couper la gorge. L'autre jour, des gosses s'entraînaient à marcher au pas et à chanter. Ils faisaient pas mal de boucan et notre voisin s'en est plaint. Eh bien, un Arabe a demandé aux gosses de mettre une sourdine et ils ont obéi. — Oui, dit René. Il leur a crié : ‘’Ma tesguiche’’. " Ne faites pas de bruits" Ç'a été fini. Voilà, mon pauvre, comment ils sont. On n'aurait jamais cru.»(1)
«(…) Il y a un an, pour voir l'abbé Scotto qui habitait à quelques pas de là, il fallait échapper au pistolet de ces braves gens convertis, en quelques jours, en super-libéraux. ‘’C'est que, monsieur, me dit l'employé du gaz, nous ne sommes pas des imbéciles et des criminels comme les gens d'Oran. Que voulez-vous, nous ne sommes pas de la même race...’’ «Ici, les commandos de l'OAS ont détruit tout ce qui leur résistait et tué, chaque jour, par dizaines, les musulmans qui ne s'étalent pas encore réfugiés dans les montagnes. Aidés parfois par la bande à Jésus de Bab-el-Oued et par les bérets noirs du 12e bataillon d'infanterie (...) Pourquoi ? Pour rien. Pour imposer le mythe de l'Algérie française car les cinglés de l'OAS et du 12e bataillon d'infanterie y ont enfoui, par centaines, les cadavres des ‘’rebelles’’ qu'ils ont liquidés.»(1)
«Nous avons vécu ensemble jusqu'à présent. Je ne vois pas pourquoi nous ne continuerions pas une ‘’fichta’’ comme on n'en a pas connu ici de mémoire d'homme, qui dure et bat son plein au moment où j'écris, vingt-quatre heures plus tard. Une fête à tout casser, sans que rien soit cassé, où tout un peuple sevré de joie pendant des années laisse éclater celle qui l'envahit à lourdes lames exaltantes et consolatrices. Aucun autre alcool ne le grise que celui du bonheur de posséder enfin une patrie libre. À vrai dire, le premier soir, j'ai eu peur. Les voitures pavoisées qui dévalaient de La Casbah sillonnaient les quartiers du centre avec des allures de meneurs de raids et les Européens voyaient en elles les éléments précurseurs du déferlement dévastateur qui allait suivre. Mais le soir fut calme. Le lendemain, dans la matinée, la ronde reprit dans un vacarme assourdissant. Puis, en fin d'après-midi, comme aucun incident ne s'était produit, comme ce fleuve torrentiel restait sagement entre ses rives, un étrange basculement eut lieu : la joie des musulmans perdit tout caractère de provocation pour n'être plus que de la joie, et la crainte abandonna les Européens. On vit alors des officiers et des soldats français en uniforme s'approcher, sourire, se mêler à la foule en liesse, participer à cette gigantesque explosion de bonheur qui n'offense personne. Sous mes yeux, dans le défilé tonitruant des voitures, un gendarme mobile est passé au volant d'une 203 décapotable, pavoisée elle aussi de drapeaux algériens, derrière un camion chargé de soldats de l'ALN. Demain, je crois que le nouveau miracle sera accompli et que musulmans et Européens battront des mains et crieront ensemble : ‘’El Djezaïri yahia !’’ Ils se disaient frères. Aucune fête ne durera assez longtemps pour célébrer l'un des plus grands événements de l'histoire de nos deux pays.»(1)
«Sans valise ni cercueil» Des pieds-noirs sont restés en Algérie
Pour Pierre Daum : «Depuis quarante-cinq ans, les rapatriés ont toujours soutenu l’idée qu’ils avaient été ‘’obligés’’ de quitter l’Algérie au moment de l’indépendance en 1962, car, menacés physiquement par les ‘’Arabes’’, ils n’auraient pas eu d’autre choix. Pourtant, à la fin de la guerre, deux cent mille pieds-noirs ont décidé de demeurer dans le nouvel État. Témoignages de personnes qui y vivent encore aujourd’hui. Alger, janvier 2008. Pour trouver la maison où habite Cécile Serra, demandez à n’importe quel voisin : «Mme Serra ?
C’est facile, c’est la maison avec les orangers et la vieille voiture !» Cécile Serra reçoit chaque visiteur avec une hospitalité enjouée. «Mais pourquoi serais-je partie ? Ici, c’est notre pays. Tout est beau. Il y a le soleil, la mer, les gens. Pas une seconde je n’ai regretté d’être restée.» Son mari, Valère Serra, était tourneur dans une entreprise pied-noir «Pendant la guerre, il se déplaçait souvent pour vendre des produits. Il disait à nos voisins [arabes] : “Je vous laisse ma femme et mon fils !” Et il ne nous est jamais rien arrivé. Sauf quand y a eu l’OAS. La vérité, c’est que c’est eux qui ont mis la pagaille ! Mais “la valise ou le cercueil”, c’est pas vrai. Ma belle-sœur, par exemple, elle est partie parce qu’elle avait peur. Mais je peux vous affirmer que personne ne l’a jamais menacée.» À écouter les récits de cette délicieuse dame de 90 ans à l’esprit vif et plein d’humour, on aurait presque l’impression que la «révolution» de 1962 n’a guère changé le cours de son existence de modeste couturière. «Et pourquoi voulez-vous que ça ait changé quelque chose ? Vous apostrophe-t-elle avec brusquerie. J’étais bien avec tout le monde. Les Algériens, si vous les respectez, ils vous respectent. Moi, j’ai jamais tutoyé mon marchand de légumes. Et aujourd’hui encore, je ne le tutoie pas.» Cécile Serra fait partie des deux cent mille pieds-noirs qui n’ont pas quitté l’Algérie en 1962.(2)
Pour Benjamin Stora, «(…) Quand l’OAS est venue, un grand nombre d’entre eux l’a plébiscitée. Ils avaient donc peur des exactions de militants du FLN, en réponse à celles de l’OAS. Pourtant, une grande majorité d’Algériens n’a pas manifesté d’esprit de vengeance, et leur étonnement était grand au moment du départ en masse des Européens.» Jean-Bernard Vialin avait 12 ans en 1962. Originaire de Ouled Fayet, son père était technicien et sa mère institutrice. Ancien pilote de ligne à Air Algérie, il nous reçoit sur son bateau, amarré dans le ravissant port de Sidi Fredj (ex-Sidi-Ferruch). On s’imagine mal aujourd’hui à quel point le racisme régnait en Algérie. À Ouled Fayet, tous les Européens habitaient les maisons en dur du centre-ville, et les “musulmans” pataugeaient dans des gourbis, en périphérie. «Ce n’était pas l’Afrique du Sud, mais presque.» En janvier 1962, une image s’est gravée dans les yeux du jeune garçon. «C’était à El-Biar [un quartier des hauteurs d’Alger]. Deux Français buvaient l’anisette à une terrasse de café. Un Algérien passe. L’un des deux se lève, sort un pistolet, abat le malheureux, et revient finir son verre avec son copain, tandis que l’homme se vide de son sang dans le caniveau. Après ça, que ces mecs aient eu peur de rester après l’indépendance, je veux bien le croire.»(2)
«En septembre 1962, ces deux mille Européens ont déserté Ouled Fayet, sauf les Vialin. (…) Dès 1965, la famille acquiert la nationalité algérienne. «Et finalement, je me sens algérien avant tout. À Air Algérie, ma carrière s’est déroulée dans des conditions parfaitement normales ; on m’a toujours admis comme étant d’une autre origine, mais sans faire pour autant la moindre différence.» Et puis, il y a Félix Colozzi, 77 ans, communiste, engagé dans le maquis aux côtés du FLN, prisonnier six ans dans les geôles françaises, devenu ingénieur économiste dans des entreprises d’État. Et André Lopez, 78 ans, le dernier pied-noir de Sig, à cinquante kilomètres d’Oran, qui a repris l’entreprise d’olives créée par son grand-père, et qui y produit à présent des champignons en conserve. Et le père Denis Gonzalez, 76 ans, à l’intelligence toujours très vive, «vrai pied-noir depuis plusieurs générations», qui, dans le sillage de Mgr Duval, le célèbre évêque d’Alger honni par l’OAS, a choisi de «rester au service du peuple algérien». «On a eu ce qu’on voulait, maintenant on oublie le passé et on ne s’occupe que de l’avenir.» Il était donc possible d’être français et de continuer à vivre dans l’Algérie indépendante ? «Bien sûr !» s’exclame Germaine Ripoll, 82 ans, qui tient toujours avec son fils le petit restaurant que ses parents ont ouvert en 1932, à Arzew, près d’Oran. «Et je vais même vous dire une chose : pour nous, la situation n’a guère bougé. Le seul vrai changement, c’est quand on a dû fermer l’entrepôt de vin, en 1966, lorsque la vente d’alcool est devenue interdite. Mais ça ne m’a jamais empêché de servir du vin à mes clients.»(2)
Au fur et à mesure de ces entretiens avec des pieds-noirs, ou «Algériens d’origine européenne», comme certains préfèrent se nommer, une nouvelle image apparaît, iconoclaste par rapport à celle véhiculée en France. L’inquiétude des Européens était-elle toujours justifiée ? La question demeure difficile à trancher, sauf dans le cas des harkis.(2)
Appel réitéré du FLN à l’émergence de la nation algérienne
La plupart des pieds-noirs de France, lit-on encore dans la contribution, semblent avoir complètement oublié que, durant cette guerre, la direction du FLN a pris soin, à plusieurs reprises, de s’adresser à eux afin de les rassurer. «Moi, je les lisais avec délectation», se souvient très bien Jean-Paul Grangaud, petit-fils d’instituteurs protestants arrivés en Kabylie au XIXe siècle et qui est devenu, après l’indépendance, professeur de pédiatrie à l’hôpital Mustapha d’Alger, puis conseiller du ministre de la Santé. Dans le plus célèbre de ces appels, lancé de Tunis, siège du gouvernement provisoire, le 17 février 1960, aux «Européens d’Algérie», on peut lire : «L’Algérie est le patrimoine de tous (...). Si les patriotes algériens se refusent à être des hommes de seconde catégorie, s’ils se refusent à reconnaître en vous des supercitoyens, par contre, ils sont prêts à vous considérer comme d’authentiques Algériens. L’Algérie aux Algériens, à tous les Algériens, quelle que soit leur origine. Cette formule n’est pas une fiction. Elle traduit une réalité vivante, basée sur une vie commune.»(2)
«En ce qui concerne leurs biens, les Européens qui sont restés n’ont que rarement été inquiétés. «Personne ne s’est jamais avisé de venir nous déloger de notre villa !» s’exclame Guy Bonifacio, Oranais depuis trois générations, à l’unisson de toutes les personnes rencontrées. Quant au décret de nationalisation des terres, promulgué en 1963 par le nouvel État socialiste, il n’a concerné que les très gros domaines, les petites parcelles laissées vacantes, et éventuellement les terres des Français qui, bien que demeurés sur place, ont refusé de prendre la nationalité algérienne. Il n’a non plus jamais été suffisamment souligné avec quelle rapidité la paix complète est revenue en Algérie. «Je suis arrivé dans le pays à l’été 1963, raconte Jean-Robert Henri, historien. Avec ma vieille voiture, j’ai traversé le pays d’est en ouest, dormant dans les coins les plus reculés. Non seulement, avec ma tête de Français, il ne m’est rien arrivé, mais à aucun moment je n’ai ressenti le moindre regard d’hostilité. J’ai rencontré des pieds-noirs isolés dans leur ferme qui n’éprouvaient aucune peur.» «C’est vrai que, dès août 1962, plus un seul coup de feu n’a été tiré en Algérie.»(2)
«C’est comme si, le lendemain de l’indépendance, les Algériens s’étaient dit : “On a eu ce qu’on voulait, maintenant on oublie le passé et on ne s’occupe que de l’avenir.”» Marie-France Grangaud confirme : «Nous n’avons jamais ressenti le moindre esprit de revanche, alors que presque chaque famille avait été touchée. Au contraire, les Algériens nous témoignaient une véritable reconnaissance, comme s’ils nous disaient : “Merci de rester pour nous aider” !» Finalement, on en vient à se demander pourquoi tant de «Français d’Algérie» ont décidé de quitter un pays auquel ils étaient aussi charnellement attachés. Lorsqu’on leur pose cette question, en France, ils évoquent presque toujours la peur, alimentée par le climat de violence générale qui régnait en Algérie dans les derniers mois de la guerre — «Le déchaînement de violence, fin 1961-début 1962, venait essentiellement de l’OAS, rectifie André Bouhana. À cause de l’OAS, un fossé de haine a été creusé entre Arabes et Européens, qui n’aurait pas existé sinon.» Quand l’OAS est venue, un grand nombre d’entre eux l’a plébiscitée. Ils avaient donc peur des exactions de militants du FLN, en réponse à celles de l’OAS. Pourtant, une grande majorité d’Algériens n’a pas manifesté d’esprit de vengeance, et leur étonnement était grand au moment du départ en masse des Européens.(2)
L’autre raison : l’esprit de race supérieure !
Pierre Daum poursuit : «Nous vivions de facto avec un sentiment de supériorité. Nous nous sentions plus civilisés.» Mais, si la raison véritable de cet exode massif n’était pas le risque encouru pour leur vie et leurs biens, qu’y a-t-il eu d’autre ? Chez Jean-Bernard Vialin, la réponse fuse : «La grande majorité des pieds-noirs a quitté l’Algérie non parce qu’elle était directement menacée, mais parce qu’elle ne supportait pas la perspective de vivre à égalité avec les Algériens !» Marie-France Grangaud, fille de la bourgeoisie protestante algéroise devenue ensuite directrice de la section sociale à l’Office national algérien des statistiques, tient des propos plus modérés, mais qui vont dans le même sens : «Peut-être que l’idée d’être commandés par des Arabes faisait peur à ces pieds-noirs. Nous vivions de facto avec un sentiment de supériorité. Nous nous sentions plus civilisés. Et puis, surtout, nous n’avions aucun rapport normal avec les musulmans. Ils étaient là, autour de nous, mais en tant que simple décor. Ce sentiment de supériorité était une évidence. Au fond, c’est ça la colonisation....» Entre 1992 et 1993, la chercheuse Hélène Bracco a parcouru l’Algérie à la recherche de pieds-noirs encore vivants. Elle a recueilli une soixantaine de témoignages. Pour elle, «la vraie raison du départ vers la France se trouve dans leur incapacité à effectuer une réversion mentale.
Les Européens d’Algérie, quels qu’ils soient, même ceux situés au plus bas de l’échelle sociale, se sentaient supérieurs aux plus élevés des musulmans. Pour rester, il fallait être capable, du jour au lendemain, de partager toutes choses avec des gens qu’ils avaient l’habitude de commander ou de mépriser». Néanmoins, Marie-France Grangaud amorce un sourire : « Depuis quelques années, de nombreux pieds-noirs reviennent en Algérie sur les traces de leur passé. L’été dernier, l’un d’eux, que je connaissais, m’a dit en repartant : “Si j’avais su, je serais peut-être resté.”»(2)
En 2008, l’écrivain Pierre Daum est revenu refaire un état des lieux sur la présence des pieds-noirs en Algérie. Nous lisons : «Sur le million de Français que comptait l’Algérie coloniale (pour neuf millions et demi de musulmans), cent cinquante mille sont partis avant 1962 et six cent cinquante et un mille pendant l’année 1962. Dans les années 1980, le consulat incitait fortement toutes les personnes âgées à partir finir leurs jours en France dans des maisons de retraite», se souvient M. Roby Blois, de l’ambassade de France en Algérie de 1984 à 1992. «Pourtant, j’ai connu tant de vieilles dames choyées par leurs voisins arabes comme jamais elles ne l’auraient été en France !» Et puis, il y a tous ceux qui sont morts de vieillesse. Selon la chercheuse Hélène Bracco, ils étaient encore trente mille en 1993.(3)
Récit de première main d’un témoin à Oran
Dans ce qui suit, nous apportons le témoignage première main de monsieur L. G., jeune bachelier, qui a pu déjouer une tentative de massacre le 5 juillet 1962. : "’étais au secrétariat du capitaine Bakhti, chef de la Zone Autonome d'Oran, Wilaya 5. Il écrit : «Ce 5 Juillet 1962. Par une journée d'été très chaude, vers 14h, le hasard a voulu que je ne fasse pas ma sieste obligatoire ! J'ai croisé, pas loin de mon quartier, Lamur, un camion de bétail rempli de personnes se dirigeant vers la sortie ouest de la ville, J'ai compris qu'un événement grave allait se passer. J'avais attache dans un ex-commissariat de police à Victor Hugo, pour le maintien de l'ordre sous la responsabilité d'un officier de l'ALN, et de mon beau-père qui s'occupait des problèmes sociaux post-indépendance du quartier. Chaque quartier populaire de la ville avait son PC pour gérer les premiers pas de l'Algérie libre. L’auteur explique la désorganisation entre une armée française sur le départ et une prise en charge qui démarre (…) Voilà l'atmosphère de début de règne qui caractérisait l'Algérie ce 5 Juillet, et Oran en particulier, et qui pourrait expliquer des débordements incontrôlables." (4)
(…) J'ai donné l'alerte à une heure où presque personne n'était à son poste, sieste oblige ! Aussitôt ce fut le branle-bas de combat. Toutes les unités militaires disponibles furent instruites d'intervenir. Je rejoins rapidement mon PC de Victor Hugo et avec les moyens du bord nous interceptons sur le même axe centre-ville, direction sortie Petit Lac, un camion sur lequel se tenaient debout un certain nombre de personnes. Le camion a été détourné violemment de sa route, les convoyeurs prenant la fuite sous nos menaces. Ramenées au PC, 53 personnes ont été dénombrées, dont un bébé, Philippe. J'ai en ma possession la liste complète dactylographiée établie le 12 juillet 1962 au nom du FLN ALN, Wilaya 5, Zone Autonome d'Oran. Toutes ces personnes ont paraphé le manuscrit, avant d'être remises aux mains d'un officier de l'armée française, du côté de l'hôpital d'Oran, sous la bonne garde d’une section de militaires. Ma propre écriture figure sur la liste originale. (…) Les ‘’Massacres d'Oran’’ du 5 Juillet 1962 ne sont pas l'œuvre ni du FLN, encore moins de l'ALN, ou de tout Algérien censé, heureux d'avoir recouvré sa liberté ce jour de liesse historique, j'en suis témoin. Les tueurs sont à rechercher ailleurs.»(4)
On le voit les choses ne sont pas aussi noires telles qu'elles ont été présentées Des Algériens et même des militaires du FLN ALN ont dû certainement intervenir pour ramener l'ordre et sécuriser la situation
L’accueil mitigé des pieds-noirs en France
S’il est admis que les harkis ont été mal accueillis, à l'été 1962, on héberge les pieds- noirs dans des internats, d'anciennes casernes, voire dans de petits hôtels réquisitionnés par les préfectures. Le chercheur Yann Scioldo-Zürcher souligne néanmoins que l'État a veillé à ce que les rapatriés n'échouent pas dans les bidonvilles. Et ceci contrairement aux harkis envoyés sur le plateau de Larzac. Il y a eu cependant des réactions. Ainsi : «Gaston Defferre, alors maire de Marseille, se place au premier rang du ‘’comité d'accueil’’. Supporter de l'indépendance, il n'éprouve pas de sympathie pour ces intrus qui débarquent par milliers chaque jour dans la cité phocéenne. Le 2 juillet 1962, dans une interview à Paris-Presse, il déclare : «Au début, le Marseillais était ému par l'arrivée de ces pauvres gens, mais, bien vite, les pieds-noirs ont voulu faire comme ils le faisaient en Algérie quand ils donnaient des coups de pied aux fesses des Arabes. Alors les Marseillais se sont rebiffés. Vous-même, regardez en ville: toutes les voitures immatriculées en Algérie sont en infraction !» «Halte au péril pied-noir», peut-on lire sur des affiches placardées sur les murs du port. Dans ce climat tendu, des pieds-noirs verront même leurs caisses jetées dans les bassins par des dockers CGT... le quart des biens des rapatriés déchargés à Marseille a été purement et simplement volé (…)»(5)
L’accueil des harkis en France et ceux qui sont restés au pays
On a beaucoup parlé des harkis pour les présenter comme des victimes du FLN. Personne n'a parlé de la réalité de ces épaves dont la France ne voulait pas. 19 Mars 1962, fin d'un cauchemar qui a duré 132 ans. Personne n'a parlé de la réalité du calvaire après la ghettoïsation de ces épaves dont la France ne voulait pas. Un seul militaire les défendit, Hélie Denoix de Saint-Marc. Il écrit : «Lors d'un Conseil des ministres le 25 juillet 1962, Pierre Messmer déclare: «Des musulmans harkis et fonctionnaires se sentent menacés, l'armée demande la position du gouvernement.» De Gaulle répond : «Le terme expatrié ne s'applique pas aux musulmans, ils ne retournent pas dans la patrie de leur père, dans leur cas il ne saurait s'agir que de réfugiés. On ne peut les recevoir en France comme tels que s'ils connaissent un réel danger.» À une question de Pompidou sur l'inadaptation de quelques milliers de harkis installés sur le plateau du Larzac, de Gaulle ordonne «de les mettre en demeure de travailler ou de partir».(6)(7)
Pierre Daum a enquêté et apporte le témoignage suivant concernant le manichéisme entretenu. En fait s’il y eut des exactions qui ne sont pas le fait du pouvoir naissant mais des patriotes sur le tard ou même de vengeance personnelle. Il n’en demeure pas moins que beaucoup ont choisi de rester au pays : «Le jour du cessez-le-feu, le 19 mars 1962, le commandant rassemble ses harkis : «Celui qui veut partir en France, il peut partir. Et celui qui veut rester, il reste !» M. Snoussi choisit de rester. «Ma famille était ici. Ma mère, mon frère, je ne pouvais pas les abandonner » À peine l’armée française disparue, les moudjahidine descendirent des montagnes. « Ils nous ont emmenés dans la caserne de Sidi Larbi, à trente kilomètres d’ici, de l’autre côté de la montagne. C’est une ancienne caserne de l’armée française, que l’ALN [Armée de libération nationale, la branche militaire du FLN] a récupérée.» Il y passe quinze jours, «en avril 1962», au milieu de quatre cents autres harkis, en provenance de toute la région. «Ensuite, ils nous ont relâchés petit à petit, et je suis rentré au village. A Beni Bahdel, nous étions sept harkis. On vit tous encore ici.» (8)
M. Snoussi fait partie de cette grande majorité de harkis — plusieurs centaines de milliers si on prend le terme au sens large — qui sont restés en Algérie après l’indépendance, et qui n’ont pas été tués. «Depuis cinquante ans, nous sommes restés bloqués sur cette seule alternative concernant les harkis : soit ils se sont échappés en France, soit ils ont été massacrés en Algérie, explique l’historien Abderahmen Moumen, un des meilleurs spécialistes des harkis. Mais la réalité historique, sans éluder les violences à l’encontre d’une partie d’entre eux après l’indépendance (massacres, internements, marginalisation sociale...), nous oblige à considérer une troisième possibilité : qu’ils soient restés en Algérie sans avoir été tués.»(8)
Que peut-on en conclure ?
Le temps a fait son œuvre et de plus en plus de pieds-noirs viennent visiter l’Algérie. On a même signalé un pèlerinage de 130 juifs d’Algérie à Tlemcen en 2018. Conformément à sa dernière volonté, Roger Hanin a été enterré en Algérie. Il faut imaginer le futur qui passe forcément par la lucidité ! Un examen sans complaisance mais avec le recul du temps permettrait d’évacuer la partie émotionnelle pour s’en tenir aux faits. Dans ce cadre, la mise en place d’une «commission de la vérité» sur le modèle sud-africain serait la première fois que l’on décide enfin d’aller de l’avant. Ainsi cette commission pourrait être mise en place pour savoir ce qui s’est passé en recensant dans un premier temps les faits par des experts historiens des deux pays sur la base de documents et de l’ouverture des archives.
La commission cherchera à identifier les causes de la violence, à identifier les parties en conflit, à enquêter sur les violations des droits de l’Homme. Il n’est pas question d’en arriver à un calcul de détail, c’est le fait avant tout pédagogique de se rendre compte de la violence de chaque acte et de ses conséquences. Cette justice restauratrice œuvre dans un esprit de réconciliation entre les deux peuples, viendra ensuite le mode de réparation qui peut être multiforme et sans arrière-pensée si ce n’est la volonté d’aller de l’avant pour construire enfin un partenariat dans l’égale dignité des deux peuples.
Notes
1. Jules Royhttps://lentreprise.lexpress.fr/actualites/il-faisait-29-degres-a-l-ombre-les-premieres-heures-de-l-independance-de-l-algerie_2176482.html 05/07/2022 2. Aurel & Pierre Daum https://www.monde-diplomatique.fr/2008/05/DAUM/15870 3.PierreDaumhttps://www.monde-diplomatique.fr/2008/ 05/DAUM/15872#tout-en-haut 4. Lahouari Ganouri «Témoignage sur un massacre évité», l’Espace de Mémoire, à Oran, tenu par M. Mohamed Fréha. 5. https://www.lefigaro.fr/actualite-france/2012/01 /27/01016-20120127ARTFIG00422-les-pieds-noirs-50-ans-apres.php 6. Besnaci-Lancou, F. (2019). Harkis au camp de Rivesaltes. La relégation des familles. Septembre 1962 – Décembre 1964. France : éditions Loubatieres 7. Hélie de Saint Marc : Les champs de braise : Editions Perrin 1995 8. Pierre Daum2015 https://www.monde-diplomatique.fr /2015/04/DAUM/52832
Article de référence : Chems Eddine Chitour https://www.lesoirdalgerie.com/contribution/pour-en-finir-avec-l-exode-force-des-pieds-noirs-l-autre-realite-85116
Semcheddine
16 JUIL. 2022
Professeur de Thermodynamique à l'Ecole Polytechnique Alger
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