Devant le juge d'instruction Zollinger, M. Lespinoy, alias " colonel Foyer ", qui se présente comme un ancien chef du service de renseignements du " réseau Lemarchand " à Alger, a fait une déposition sur les activités des " barbouzes " dans la lutte contre l'O.A.S. (voir le Monde du 29 janvier 1966). L'hebdomadaire l'Express, dont le directeur, M. Jean-Jacques Servan-Schreiber, avait accompagné M. Lespinoy jusqu'au cabinet de M. Zollinger, a publié lundi un long récit du " colonel Foyer ". Celui-ci, qui serait un ancien fonctionnaire algérois du service de la jeunesse, indique dans quelles circonstances il entra dans l'organisation anti-O.A.S. ; il assure que celle-ci, formée en bonne partie de personnages " en marge ", avait été rapidement " grillée " et que ses membres s'étaient livrés à des exactions. La liquidation du réseau aurait été alors décidée.
Le 29 janvier 1962 une explosion détruisit en effet la villa Andréa, à El-Biar, où l'organisation avait son siège ; la déflagration, déclenchée par l'ouverture d'une caisse de fortes dimensions, provoqua la mort d'une vingtaine d'agents spéciaux. Le " colonel Foyer " déclare qu'il échappa à l'attentat car il n'était pas dans la villa lors de l'explosion.
Son récit correspond par bien des points à celui qu'avait publié l'hebdomadaire Minute daté du 11 septembre 1964 sous la signature d' " Un agent secret du régime " : Une barbouze parle. Seule, on le verra, la conclusion est différente.
Le terrorisme de l'O.A.S.
Il importe, pour bien comprendre l'affaire, de la replacer dans son cadre. Dans les derniers mois de 1961, l'action de l'Organisation armée secrète, dont Salan assume le commandement, prend une ampleur croissante. Quotidiennement, des attentats ensanglantent Alger, sans qu'on sache toujours s'ils sont d'origine F.L.N. ou O.A.S. Les " commandos delta " de Degueldre multiplient les plastiquages et les assassinats.
La police locale et une partie de l'administration ont plus ou moins ouvertement pris parti pour les activistes. Les prisonniers s'évadent à peine arrêtés et les autorités ne savent plus à qui se fier.
Les polices et les services spéciaux métropolitains ne sont pas apparemment d'un grand secours. Une brigade anti-O.A.S. envoyée de Paris sous les ordres du commissaire Grassien a été repérée aussitôt par l'O.A.S. L'adjoint du commissaire Grassien, le commissaire Joubert, a été abattu sous les yeux de ce dernier dans un café d'El-Bia..
Quant au S.D.E.C.E., qui, rappelons-le, n'est pas une police, mais un service de renseignement et d'action, il est uniquement orienté vers la lutte contre le F.L.N. et ne se soucie nullement de se battre sur deux fronts. Les sympathies de beaucoup de ses agents et de certains de ses chefs sont d'ailleurs peu équivoques : en haut lieu on le considère - et c'est le moins qu'on puisse dire - comme peu sûr. Jacques Achard, ancien administrateur en Indochine puis sous-préfet, devenu un des chefs de l'O.A.S. algéroise, passe notamment pour y avoir conservé de nombreuses et précieuses amitiés.
En outre, s'il entend - ouvertement - ne pas se mêler d'une " affaire intérieure ", le S.D.E.C.E. ne cache pas son antipathie pour les autres services secrets, officiels ou non.
La " loi du talion "
C'est alors que s'installe à Alger en octobre 1961, sur l'initiative de Me et Mme Lemarchand, d'anciens, membres du service d'ordre du R.P.F. et d'éléments locaux du Mouvement pour la Communauté (M.P.C.), une organisation à laquelle les plus hautes instances dénieront toujours le titre de " police parallèle ", bien qu'elle dispose de discrets appuis officieux et de crédits considérables. Ses membres sont recrutés en grande partie en métropole. Certains sont des Asiatiques. On suppose alors qu'un des chefs du réseau est le fameux colonel Leroy, officier eurasien de l'armée française, qui, dans la région de Bentré, en Indochine, s'était taillé un véritable fief au cours du conflit d'Extrême-Orient.
Il apparaît aujourd'hui que le colonel Leroy, qui n'a rien de commun avec M. Le Roy-Finville, n'était pour rien dans l'affaire, et que les Asiatiques - moins nombreux qu'on ne l'a dit - étaient des hommes de main, spécialistes des sports de combat, recrutés à Paris par un des chefs du groupe, le judoka Jim Alcheick. Me Lemarchand lui-même ne paraît pas avoir participé directement aux activités du groupe qu'il contrôlait de métropole. Il venait seulement de temps à autre à Alger.
Ceux que les Algérois baptisent " les barbouzes " appliquent une tactique identique à celle de l'O.A.S. C'est la " loi du talion " : plastiquages et même enlèvements. La " contre-terreur " qu'ils font alors régner, les excès aussi qu'ils commettent - arrestations, détentions sans mandat et, des témoignages le laissent supposer, tortures - font que leur nombre et leur rôle réels se trouvent démesurément gonflés aux yeux des Européens d'Alger, qui les entourent d'une haine farouche. Elle se manifestera notamment le jour où la foule regardera brûler en pleine rue une voiture d'où des " barbouzes " blessées par l'O.A.S. ne purent sortir.
Dans la nuit du 31 décembre 1961 au 1er janvier 1962, une villa où logent des " barbouzes " est attaquée à coups de lance-roquettes et d'armes automatiques.
Puis c'est l'attentat du 29 janvier. Une caisse envoyée de Paris et longuement attendue - elle contenait une machine à reproduire des documents - sert de " cheval de Troie ". Une énorme charge de plastic fait explosion avec les résultats que l'on sait.
La fin du réseau
Me Lemarchand accourt à Alger. Il est, assurent certains de ceux qui l'ont alors vu, effondré et hagard. Sa femme se chargera de faire inhumer certaines des victimes dans le cimetière de Santeny, près de Boissy-Saint-Léger, en Seine-et-Oise.
Le réseau ne survivra guère à l'affaire d'El-Biar. Ses membres retrouveront ou rechercheront des occupations " civiles " plus ou moins légales. A Alger, l'opinion locale porte évidemment au compte de l'O.A.S. la destruction du " repaire des barbouzes ".
Il est permis de se demander si celles-ci n'ont pas été plus ou moins consciemment utilisées par la police " officielle " pour leurrer l'organisation subversive. Alors que l'O.A.S. pensait atteindre au succès final - c'est le 5 janvier 1962 que Salan proclamera la " mobilisation générale des Fiançais d'Algérie entre dix-huit et quarante-cinq ans ", le 29 janvier que le colonel Château-Jobert échappé de métropole annonce à la " radio pirate " son arrivée en Algérie, - une nouvelle force de l'ordre, la " Mission C ", formée d'équipes d'inspecteurs basées en métropole et qui n'agissent que par de rapides coups de main aller et retour, sur renseignements, est discrètement mise en place par M. Michel Hacq.
On lui attribuera notamment quelques mois plus tard l'arrestation des principaux chefs de l'O.A.S. en Algérie : les généraux Salan et Jouhaud.
Reste à savoir qui piégea la caisse, qui fit sauter la villa Andréa. Les versions varient. Le " colonel Foyer " laisse entendre qu'il s'agissait là d'un mode brutal de liquidation par ses propres responsables d'une organisation qui échappait à leur contrôle et devenait plus dangereuse qu'utile. L'O.A.S. serait donc hors de cause. Le mystérieux auteur de l'article de Minute parle pour sa part " d'une autre police clandestine, d'autres terroristes de la légalité ". Cette version de l'affaire plus vraisemblable mais qui laisserait supposer de terribles rivalités, une complicité quasi directe avec l'O.A.S., a également couru à l'époque, dans certains milieux d'Alger.
le: Dans
https://www.afrique-asie.fr/barbouzes-vos-papiers/
https://www.lemonde.fr/archives/article/1966/02/02/les-barbouzes-d-alger-etaient-moins-une-police-qu-un-groupe-contre-terroriste_2704355_1819218.html
Barbouzes, vos papiers !
Et là c’est pas un coup d’Audiard, une réplique de Blier, la manœuvre d’un Ventura ou la griffe du Lautner. Non, c’est bel et bien l’arnaque du siècle, enfin, du mien, celui qui me fit naître avec les barbouzes. J’avais quatre ans et Debré tournait la super-production de De Gaulle en ayant engagé des acteurs de l’ombre de sa Résistance, Le Tac, Ponchardier, Lemarchand, Hacq,,, pour foutre la pâtée aux subversifs de l’OAS. Il ne restait plus à Melnik qu’à trouver un metteur-en-scène pour s’engager, un bleu, un idéaliste, bref, un héros anonyme mais assez habile pour faire passer la pilule aux gaullistes puritains.
Lucien Bitterlin se trouva là, comme lieutenant de louveterie, à moins qu’on ne l’y ait un peu poussé car on ne saura jamais qui du hasard pond le destin de l’œuf de poule.
Volailles non labellisées, poulagas discrets, les barbes étaient nées de la conjonction de coordination qui devait répondre au « Mais où est donc Ornicar ?» de la voie de l’autodétermination algérienne.
Tout pétait, les nuits bleues n’illuminaient aucune conscience mais les feux d’artifice continuaient de faire croire que de toutes ces étincelles arriverait la lumière. Quelle connerie la guerre, « ma parole »… pour la Barbara de Prévert comme pour la Fatima de la casbah. Ornicar était dans le pétrin!
La Garenne-Colombes, Vendredi 17 Février 2017
Lucien Bitterlin, président de l’Association de Solidarité franco-arabe (ASFA)
Il est là dans un beau paletot de bois, matelassé, capitonné des plus grandes attentions de la poignée de proches qui tient encore debout, les hallebardiers du dernier cercle, les centurions d’une légion d’absents. Lucien Bitterlin est mort et je suis là, comme pour mon père, à ceindre le catafalque de mon attention, histoire d’en pouvoir saisir encore et encore les derniers secrets.
Il y a là ses filles, son gendre, ses petits-enfants et, croisant le vaisseau de chêne, l’encens du Grand-Orient, les huiles d’une politique pro-arabe et les bénédictions feutrées de vieux compagnons ébaubis de chagrin. Dix tout au plus, moi qui m’attendais à une marée, oubliant que la méditerranée est bien avare de mascaret.
Bon, les valeureux sont là, Jean-Pierre-G Foucault en capitaine de cérémonie, n’oubliant rien de son compagnonnage et mandaté par le grand Maître ; Maurice Buttin et ses plaidoiries pour que résonne France-Palestine ; les frères Terrenoire honorant la fidèle complicité entre leur Ministre de père Louis et Lucien Bitterlin ; Jean-Pierre Gonon l’avocat libéral à l’accent de Bab-el-Oued pour France-Algérie ; les proches palestiniens de la famille Hamchari en reconnaissance d’une si belle aventure littéraire ; le journaliste Gilles Munier de France-Irak ; le savant père arabophone Régis Morelon ; François Teiro et son Cœur-Monde au service des orphelins ; Marie-Josée de Saint-Robert pour représenter son mari, vieux complice de Lucien pour les prix Palestine…et quelques autres dont la discrétion m’aura sapé la curiosité de savoir.
Je me retrouve vite seul.
Dans cette chambre dont j’ai déjà oublié le numéro.
Casaque noire.
Après tout, le seul bon numéro c’est celui qu’on laisse gagner.
Il n’y a pas de hasard.
Funérarium des Batignolles, c’est un nom de foire,
mais heureusement que c’est au premier
du Boulevard Leclerc de Clichy, ça fait plus chic !
Ce n’est pas une chapelle mais une chambre dans l’alignement d’autres chambres, les unes occupées, d’autres libres et faut pas s’tromper, y’a du monde dans les couloirs et ça grouille de chagrins. Cette pièce a son chiffre de bronze doré comme à l’hôtel, c’est rassurant pour les âmes perdues. Elle est dite funéraire, c’est Guillaume Roussel, le maître du lien et d’autres rites plus discrets qui me l’a dit. Quelques sièges en désordre, sorte de chaises mais à part la bière, pas de bois ici, que du nickel-chrome, j’ai l’impression d’entendre « au suivant ». Enfin, faut s’adapter, et un mufti séculier me montre les vis posées en triangle évoquant l’équerre et le compas qui donneraient le nord à la fermeture du ban.
Là, je sais que je dois accomplir un devoir, celui que Lucien Bitterlin souhaitait pour être conforme à son engagement maçonnique. Il me faut le revêtir de son sautoir de vénérable et de ses gants blancs, vestiges de la pompe de la loge d’Edmond Rostand. Il manque son tablier qui a disparu dans la débâcle de presque dix années de combats contre Alzheimer, vieillesse et Parkinson. Commando delta de trois saloperies qui fit basculer Lucien six jours plus tôt, à Saint-Raphaël près de sa fille Catherine.
Pas le moment de philosopher sur l’injustice des sorts, ni de s’attendrir sur la vie, mais c’est dur de ganter la raideur. Mes doigts se crispent sur ses mains fines et, agrippé à la nécessité de ce décorum, j’éprouve là une certaine fierté. Je sais, c’est puéril, mais tout se passe comme si ma présence face à Lucien, me rendait de l’absence de papa.
Au coin de la veste, sa légion d’honneur « modèle réduction » que je prends soin d’accrocher avec l’idée qu’il l’emportera au paradis et qu’il pourra foutre à la gueule, de Saint-Pierre ou des sbires de ses croyances, qu’il fallut, à la République et aux gaullistes, l’amnésie de cinquante ans de silence pour recevoir les insignes de son courage. Dans ma tête défilent les mots de papa après cette aventure barbouzarde, « tous des planqués ces politicards, sauf Lucien !». C’était un peu court, mais la concision, sous la plume des condamnés (par l’OAS), avait valeur de vertu car, comme disait l’autre, encore Audiard, « la retraite faut la prendre jeune… faut surtout la prendre vivant. C’est pas dans les moyens de tout le monde »…
Il est beau, plastronné, médaillé, ganté, le visage fin de ses vingt ans. Sans doute déjà en train de se bidonner en voyant nos gueules d’enterrement. Faut quand même bien que nous aussi, les vivants approchions la fin par un début de crispations… ben oui, la mort, c’est sérieux.
C’est parti, feu vert pour la fermeture, on me regarde, mes gorilles me tendent le tournevis, empoignent le couvercle, le calent contre le ventre du cénotaphe et nous voilà mécaniquement investis pour clore le sujet dans sa majesté l’éternité.
Voilà.
Il reste la douane à passer, sorte de messe républicaine dans une chambre cérémonielle où chacun doit réciter les sourates d’une douleur de l’absence. Un pupitre, Lucien raide dans sa boite, au garde-à-vous pour écouter tomber les gouttes de notre reconnaissance et toutes ces gerbes, fleurs et couronnes pour étouffer de couleurs les envies de broyer du noir. Alors on écoute les mots, les voix et les chants qui perlent, qui sonnent le clairon du rassemblement des souvenirs de toute une vie. Courbevoie, La Garenne, sa famille, l’Algérie, ses engagements, la politique, De Gaulle, ses combats, les pays arabes, le journalisme et l’ab el baroud entre la flamme de son idéal et l’odeur du soufre d’une mèche de barouf.
Quelle vie !
Pour ses filles et ses petits-enfants, c’est le papa, pour d’autres c’est la cause palestinienne, le journalisme, la franc-maçonnerie, le militantisme ou encore son impossible pèlerinage pour la paix. Pour moi c’est le centurion des barbouzes. Que voulez-vous, éclectisme oblige, à chacun sa vision du commandeur qui se tire de là sous les hommages d’une poignée trop mince de témoins. Et là ça me fait braire, si peu de monde aujourd’hui, lui qui croisa, soutint, aida, hébergea tant de pèlerins de la paix en pays d’orient, de politiques, de ministres et de chefs d’État.
Allez, faut partir.
Au cimetière le caveau est ouvert, des berlines noires nous attendent.
« C’est le sort des familles désunies de se rencontrer uniquement aux enterrements » me glisse encore Audiard, mince, c’est une manie que j’ai de voir et comprendre en « barbouze », car « on n’emmène pas de saucisses quand on va à Francfort » mais je dois dire que là, sur le bitume des allées, les sycophantes se faufilent comme des glaçons dans l’anisette. Faut donc essayer de comprendre la langue des signes pour pas s’tromper. Il y a de l’incognito, des Personae non gratae, de l’agent-secret et du cousinage entre patrons du pour et du contre-espionnage…
Le serpentaire de ce balai noir semble articuler son mouvement autour ou plutôt derrière Madame l’ambassadrice Syrienne Lamia Chakkour. Quelques confidences honorifiques vite épinglées entre deux poignées de pétales de roses, l’hommage est rendu et son excellence se retire. Une cour de mandarins, sortie tout droit du synopsis d’un Lautner, serre des mains, courbe la tête, présente des condoléances attristées et murmure des silences de compassion. Il y a là la Tunisie, c’est sûr, sans doute l’Algérie, peut-être le Liban musulman et chrétien, nous n’en saurons rien de plus car telle est l’astuce, être là sans tbal ni zokra et encore moins d’objectifs ou de caméras.
Un comble pour un ancien journaliste de l’ORTF ?
Non, du tout, c’est juste beau la discrétion quand on veut rassembler des frères…ennemis !
Les maçons s’affairent déjà.
Le monument-caveau referme sa gueule d’enterrement.
Les fleurs couvrent la peine.
Le soleil tombe, le froid saisit et les idées remontent.
Bon Dieu de Nom de Dieu.
Je suis en pétard.
Bitterlin, où sont tes paperasses, tes centaines de dossiers, tes milliers de lettres, tes carnets d’adresses et tes billets secrets ? C’est vilain de jurer mais là ça m’emmerde de le savoir muet avec pour seule ordonnance une parcelle du cimetière de La Garenne-Colombes.
Soixante ans de correspondances, soixante ans de secrets, soixante ans d’archives, faut pas me prendre pour un con, ça disparaît pas comme ça. On n’écrit pas tant d’articles, tant de livres et on ne dirige pas une revue et une association voulue et décidée par De Gaulle sans laisser des tonnes de documents, des brouettes de dossiers et des quintaux d’indices.
Lucien avait tout déménagé en silence, planqué dans le coffre de sa petite bagnole et déposé carton après carton tout ce qui se trouvait rue Augereau, siège de l’Association de Solidarité franco-Arabe, dans les pavillons de famille de Courbevoie, rue Estienne d’Orves. Un an de va-et-vient dans un secret qu’il aimait tant cultiver. Des dizaines et des dizaines de caisses, de cartons et de boîte déposées comme des briques de Lego d’un plastic encore instable.
Lucien avait tout déménagé en silence, planqué dans le coffre de sa petite bagnole et déposé carton après carton tout ce qui se trouvait rue Augereau, siège de l’Association de Solidarité franco-Arabe, dans les pavillons de famille de Courbevoie, rue Estienne d’Orves. Un an de va-et-vient dans un secret qu’il aimait tant cultiver. Des dizaines et des dizaines de caisses, de cartons et de boîte déposées comme des briques de Lego d’un plastic encore instable.
C’est simple, la petite maison était pleine, de la cave à l’étage en passant par le garage, comme si le pavillon des années vingt de ses parents pouvait se transformer en tabernacle recueillant le calice d’hosties consacrées aux affaires les plus sibyllines. Pensez-donc, tout avait commencé par les barbouzes, les vraies, pas celles de la Gaumont, puis France-Algérie, France-Pays-Arabes, la Palestine, l’O.L.P, le FPLP, El Fatah, les affaires d’otages, le Liban, la Syrie, bref tous les pays d’Orient, leurs dirigeants, Présidents, Résistants ou terroristes, anonymes ou reconnus, sanguinaires ou pacifistes approchés par Lucien Bitterlin. Brochette de Fort-de-L’eau sauce piquante explosive aux viandes et abats entrelardés de Saddam, de Haffez, de Yasser, de Illich, de Houari ou de Mouammar, j’te jure qu’avec ça, y’a pas besoin d’Harissa, même confite par Habib pour sentir le felfel t’exploser la guerba !
Avant même qu’il ne décède, en 2016, j’ai retrouvé ce pavillon, celui qui fut notre première planque pour mon père et ma famille en mai 1962, après Barberousse pour Papa et notre refuge F.L.N d’Alger pour ma mère et nous trois, les gosses de guerre. Des armoires débordaient de livres, des milliers, toute la bibliothèque de France Pays-Arabes, des tables recouvertes de revues et de panneaux d’expositions diverses. Dans le coin d’une des chambres transformées en dépôt, des dizaines de drapeaux froissés et poussiéreux de toutes les nations arabes. Reliques des ornements des vitrines de la rue Augereau en l’honneur de visites de chefs d’État ou d’anniversaires de révolutions et d’indépendances. Imaginez entrer dans le mystère d’une tombe égyptienne comme celle de l’ami Toutankhamon en espérant renifler les parfums invisibles d’une belle Néfertiti.
Ben j’en étais là, à contempler le trop plein de vide et humer l’entourloupe car je cherchais… les archives, ces sacrées archives, des boîtes, des cartons, des cageots, des classeurs même éventrés mais avec des chemises aux cols amidonnés de secrets.
Il y avait encore le garage, atelier satané dont ma sœur, mon frère et moi, avions examiné nerveusement les contours intérieurs, autrefois, privés provisoirement de liberté par la moudjahida Zohra pour lui avoir taxé les groseilles de son jardin. Histoires de gosses pendant que papa réglait ses histoires de barbouzes avec le Général Billotte et consorts de la S.M… chacun sa guerre et ses fruits glorieux… c’était en mai 1962 !
J’ai de suite reconnu cette porte, le trou de la serrure et la clef de ce champ de manœuvre. Rien n’avait changé en cinquante-cinq ans, sauf qu’à l’intérieur, l’invraisemblable chaos laissé par les pilleurs de tombe me mit le moral dans l’accélérateur de particules de colère. Ah les cons, les salauds, une centaine de boîtes à archives gisait là comme orpheline de son destin.
Merde !
Mektoub ?
J’en ai marre de ce qui est écrit, de la fatalité,
de la mauvaise fortune.
Alors vous savez, l’explication des archives moisies qu’il a fallu détruire, première piste sur laquelle on voulait me faire glisser comme un bourricot, alors qu’aucune de ces boites ne possédait la moindre petite tache de Pénicillium, d’Aspergillus, de Cladosporium ou Myxotrichum me mit le cervelet en surchauffe. Ma fausse naïveté m’engagea à faire croire que je croyais… ça c’est mon côté « hmar » kabyle. Faut toujours faire semblant d’être con, on en apprend beaucoup plus sur ce qui sous-tend les valeurs apparentes de l’ânier que sur le contenu du bât. Après, il suffit de déduire, soustraire et conjuguer pour tout savoir…
Ainsi, à force de jouer au candide j’eus d’autres pistes livrées à mon ingénuité pour rassasier ma curiosité sans doute considérée comme infantile… ben oui, vous savez, un ethnologue qui se prend pour un historien, c’est pas sérieux, alors on le ballade au pays des merveilles enfumées.
Ben voilà, c’est ce que tout le monde fait depuis deux ans.
On m’enfume.
D’abord les micromycètes et la crémation.
Ensuite les soupçons sur le MOSSAD.
Forcément, l’antisémitisme n’est jamais loin de l’antisionisme… donc l’histoire d’un mec qui trempe ses pompes en Palestine, ça peut intéresser les archivistes de Tel Aviv pour comprendre les chansons de Carlos et les complaintes d’Abou-Nidal…
Enfin, comme pour éloigner les soupçons de l’autre côté de la méditerranée, un mystérieux ambassadeur d’Afrique du Nord aurait non moins mystérieusement essayé de savoir où étaient les archives de Bitterlin… sans donner de suite apparente.
N’empêche qu’elles ont disparu.
Malgré les infernales sirènes alarmantes d’un système sécuritaire au tip-top de ses performances.
Je le sais, j’en ai pris plein la gueule et mes oreilles en sonnent encore l’hallali.
Ce dont je suis sûr.
C’est qu’on me prend pour une abeille et qu’on veut m’endormir par l’enfumoir d’un nuage de désorientation d’indices. Soufflez, fumez les gros bourdons, j’en viens même à me demander pourquoi, lors de la cessation d’activités de l’Association France-Pays-Arabes en 2008, le liquidateur n’ait pas pris soin de faire transférer ces archives, conformément au devoir de la République et au nom de l’utilité historique publique, tous ces documents en lieu sûr, B.N.F, Archives Nationales… mystère et boules de gomme arabique…A moins que d’autres services d’archives plus discrètes ne soient intervenus en douce pour les mettre au secret dans les culs de basse-fosses de Vincennes (DGSE) ou de Levallois-Perret (DGSI)…
Que voulez-vous !
Tout le monde ferme sa gueule !
Je n’oublie pas que le danger vient souvent de l’intérieur avec ou sans jeux de maux.
Alors aujourd’hui j’ai décidé de l ‘ouvrir.
Ma gueule, mon clapet, ma tronche.
Je n’ai pas la mémoire courte.
Le 29 Janvier 1962 dix-neuf des hommes de Bitterlin, les dites « barbouzes » se faisaient exploser le portrait dans un attentat à Alger. Papa y échappa, il était en tôle, Bitterlin et Goulay interdits de quitter Paris, Lemarchand et Ponchardier à l’abri et Despinoy en retard au rendez-vous pour ouvrir la caisse… d’explosifs estampillés contre-barbouzes. Plus de cinquante ans que l’OAS s’enorgueillit de cette tuerie alors que chacun sait combien le SDECE savait organiser et trier avec soin l’ivraie du bon grain. Les services « s’arrangèrent » pour séparer ainsi le barbouze barbu invendable du gaulliste barbouze exploitable. En 1962 les premiers moururent, les seconds survécurent mais en mettant en veilleuse leur 9-43, 6-35 et colt 45. Frey, Marcellin, Pompidou et d’autres ministres de De gaulle purent très tranquillement exposer aux journalistes qu’il n’existait pas de police parallèle en France et encore moins de barbes. En 1965 l’affaire Ben-Barka fit reparler, un peu, des barbouzes mais sans plus. Les initiatives mémorielles individuelles furent auto-lessivées et en 1968 le gaullisme prit du plomb dans l’aile droite. Le patron ne s’en remit pas, mais ça, tout le monde connaît la suite pompidoulienne, giscardienne, mitterrandienne, chiraquienne sans compter les gardiennages républicains qui suivirent…et dans tous les cas de figure on nous balance le « devoir de mémoire ».
Faut savoir ce qu’on veut quand tout est fait
pour l’émasculer cette mémoire.
Alors répondez à ma question :
Qui a planqué les archives de Lucien Bitterlin ?
Et pourquoi ?
Barbouzes d’aujourd’hui !
Nos archives nom de Dieu !
Car « bordel de merde », la république, c’est nous.
Nous les historiens qui cherchons l’Histoire
et nous les enfants qui recherchons la vérité.
Rendez-nous ces cinquante années d’archives arc-en-ciel.
Ce serait bien pour commémorer plus dignement l’anniversaire du décès de Lucien Bitterlin.
C’était il y a un an, le dimanche 11 février 2017.
*Christian Hongrois est ethnologue, fils de Marcel Hongrois (MPC-OCC-Mission C), compagnon de lutte
anti-OAS de Lucien Bitterlin.
Pu
Ancien producteur d'émission de radio à France V à Alger, Lucien Bitterlin, Il avait été autrefois le secrétaire général du MPC (Mouvement pour la Communauté) créé le 9 juillet 1959 par le mouvement gaulliste pour servir de couverture aux opérationsdes « barbouzes » visant à lutter contre mes membres de l'OAS à la fin de la guerre d'Algérie. Dans "Histoire des barbouzes" (Éditions du Palais Royal, 1972) : L'auteur raconte l'actions des équipes et cite ceux sont morts dans les opérations sans évoquer la suite de la carrière de ceux deviendront agents électoraux ou gardes du corps, ou encore feront du renseignement pour les services secrets. ils s’installèrent dans une villa du quartier |
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La Barbouze Lucien Bitterlin à l'enterrement du commissaire de
police Gavoury le 2 juin 1961 à l'école de police d'Hussein Dey |
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Une action secrète menée contre l'OAS serait en cours... C'est ce que comprend le journaliste Lucien Bodard, alors qu'il se trouve dans l'avion qui le conduit à Alger avec de hauts responsables de la police. Telle est l'origine de l'article qu'il publie dans France-Soir le 2 décembre 1961, intitulé Les barbouzes arrivent . Tout commence, en fait, à la fin de l'été 1961 par une réunion de Louis Joxe, négociateur d'Evian, Jacques Dauer, fondateur du Mouvement pour la coopération (mouvement gaulliste qui exerçait son activité en Algérie), et Raymond Schmittlein, président du groupe gaulliste à l'Assemblée. La nécessité de contrer l'OAS à Alger s'impose aux trois hommes. Ils dépêchent donc dans la capitale Lucien Bitterlin, membre du mouvement de Dauer, qui avait déjà milité outre-Méditerranée pour une « troisième force » soutenant la politique du général de Gaulle. |
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Or, six mois après le putsch, toutes les entreprises de troisième force sont abandonnées par le gouvernement. Bitterlin et ses hommes ciblent leur action contre l'OAS. Et uniquement contre elle. Aussi, ceux que l'on appellera les barbouzes délaissent-ils vite affiches et pots de colle pour l'action directe contre les partisans de l'Algérie française, désignés dans la presse de l'époque comme des « activistes ». L'adjoint de Bitterlin, Goulay, le met en contact avec Ponchardier et l'avocat Lemarchand, deux vieux routiers de la guerre de l'ombre, qui fournissent des hommes. L'argent est versé par le délégué général en Algérie, Jean Morin. Les explosifs et les armes par la sécurité militaire. Des cafés, des restaurants d'Alger, tenus pour des repaires de l'OAS, sont plastiqués, des militants de l'OAS ou des suspects sont enlevés. Premières initiatives en un domaine où elles feront florès à partir du 17 avril 1962, sous la responsabilité cette fois des commandos du FLN (ils enlevèrent 3 018 personnes). Le colonel André, de la sécurité militaire, demande aux barbouzes de collecter des renseignements sur l'OAS. Mais les membres de cette dernière ne tardent pas à réagir. Une villa des barbouzes, située sur les hauteurs d'Alger, est plastiquée le 29 janvier 1962 à l'initiative du lieutenant Degueldre. La succession d'opérations menées par l'OAS finit par affaiblir considérablement les barbouzes de Bitterlin. Pour autant, l'opération n'est pas terminée. Le 12 février suivant, Ponchardier et son adjoint Robert Morel prennent le relais et lancent un groupe de contre-terreur, le Talion, qui enlève notamment un responsable de l'OAS, un dénommé Petitjean, beau-frère du général Méry, celui-là même qui deviendra responsable du cabinet militaire de Valéry Giscard d'Estaing. Petitjean est torturé et retrouvé près d'Orléasnville, découpé en morceaux. Beaucoup de questions se posent à propos de l'activité des barbouzes, dont l'efficacité comme les méthodes furent des plus discutables. A quoi ont servi ces hommes, peu nombreux, mal armés et dont les chances, face aux commandos de l'OAS, étaient bien minces ? Certains affirment que les barbouzes ont servi à leurrer l'OAS en l'entraînant vers des cibles secondaires tandis que se mettait en place, discrètement, la Mission C, dirigée par Michel Hacq, directeur de la police judiciaire. Celui-ci était à la tête de deux cents policiers triés sur le volet, fonctionnaires du gouvernement, lesquels, aidés par les gendarmes du capitaine Lacoste, allaient porter de durs coups à l'organisation clandestine. Cette théorie du leurre a été soutenue par le journaliste et historien Yves Courrière. De nombreux chefs de l'OAS, comme le docteur Perez, l'estiment valable. Toutefois, pour Jean Morin, alors délégué général en Algérie, comme pour Vitalis Cros, alors préfet de police d'Alger, une conclusion s'impose : ce rôle de leurre, les barbouzes ne l'ont joué que par hasard. |
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