Un site, un livre et un film reviennent sur les manifestations anticoloniales du 11 décembre 1960 en Algérie, analysant le dispositif militaro-policier français face aux soulèvements populaires.
Des parachutistes français dispersent une manifestation d’Algériens à Alger, le 11 décembre 1960 (AFP)
Il y a 60 ans, les manifestations du 11 décembre 1960 en Algérie marquaient un tournant dans le combat anticolonial, six ans après le déclenchement de la lutte armée.
Ces manifestations populaires enracinèrent le soutien de la population algérienne au Front de libération national (FLN) et à son aile politique, le Gouvernement provisoire de la république algérienne (GPRA).
Parties d’Alger et de ses quartiers populaires, elles embrasèrent l’ensemble du pays avant d’être réprimées dans le sang par l’armée et la police françaises, avec plus de 250 morts.
C’est sur ce soulèvement que revient le projet Un seul héros le peuple qui intègre un site web, un ouvrage et un film, fruit d’une recherche sociohistorique de près de sept ans menée par le chercheur Mathieu Rigouste, scrutateur engagé de l’évolution de la doctrine française de contre-insurrection, « cette forme de ‘’guerre dans la population’, modernisée et industrialisée par l’État français en Indochine et en Algérie puis commercialisée dans de nombreux pays, jusqu’à devenir un marché mondial », pour reprendre le chercheur.
« Largement ignorés par l’historiographie, les soulèvements de décembre 1960 passionnent et déconcertent des deux côtés de la Méditerranée. Ceux qui les ont vécus n’aspirent généralement qu’à transmettre leurs souvenirs », précise l’initiateur de ce projet, dont Un seul héros le peuple est le premier film.
Au-delà de la quête historique, ce projet « est aussi une sorte de quête généalogique personnelle, sur les traces de mes grands-parents juifs algériens », explique Mathieu Rigouste dans la présentation du projet.
« À la recherche d’historiens et de témoins, j’ai rencontré des jeunes, des femmes, des anciens qui m’ont toujours accueilli en fils, frère, cousin ou ami. Nous avons parlé de décembre 1960, de la colonisation et de la guerre de libération mais aussi d’aujourd’hui. Il semble que cette histoire suture des plaies de part et d’autre de la mer et de la guerre. »
Remonter aux racines de l’insurrection
« Les insurgés d’hier partagent avec nous des plans de fuite, des techniques de sabotage, des feintes de corps. Une femme explique comment elle fabriquait des drapeaux secrètement et depuis si longtemps, comment le peuple se préparait à surgir. D’autres nous révèlent ce qui selon eux a permis de déclencher l’insurrection de la Casbah d’Alger. On nous confie par où se sont échappés ceux qui ont brûlé le Monoprix de l’Aqiba [quartier populaire d’Alger] et comment des cortèges de femmes ont enfoncé des barrages de soldats », poursuit Mathieu Rigouste, qui a aussi rencontré des historiens pour remonter aux racines de l’insurrection.
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« J’ai pris conscience qu’il y avait un tissu d’histoires cachées, du point de vue du massacre qui avait eu lieu alors, mais également du point de vue de l’engagement des classes populaires. Il y avait urgence à les faire témoigner, ne serait-ce qu’en raison de leur âge. Il s’agissait aussi de recueillir cette parole qui n’avait pas été entendue », avait déclaré Mathieu Rigouste à Middle East Eye.
Pour le chercheur, décembre 1960 est « le ‘’Dien Bien Phu politique’’ de la guerre d’Algérie, une clef indispensable pour saisir le dénouement de la révolution algérienne mais aussi pour penser la place du ‘’peuple’’ et de la violence dans les sociétés contemporaines ».
On peut regarder ce film jusqu’au 15 décembre sur unseulheroslepeuple.org, en attendant des projections publiques ou privées et des débats en salle ou en streaming, comme le souhaite Mathieu Rigouste.
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Par
MEE
Published date: Vendredi 11 décembre 2020 - 09:31 | Last update:1 year 12 months ago
L’Algérie célèbre ce 5 juillet le soixantenaire de son indépendance. Retour à Nekmaria, dans l’Ouest algérien, sur les traces d’une tribu quasiment exterminée en 1845 pendant les « enfumades » du Dahra, au début de la colonisation.
Les grottes du Dahra, 1845. Eau forte de Tony Johannot (1803-1852) (Wikipédia)
« C’est peut-être la centième fois que je viens ici et à chaque fois, je fais de nouvelles découvertes. » Debout, au sommet de l’escalier qui mène de la crête jusqu’au lit de l’oued, Aziz Mouats ne se lasse jamais de revenir sur ce lieu de mémoire.
L’universitaire et journaliste à la retraite contemple le décor : des ruisseaux entaillant la falaise ornée de gypse finissent dans un ravin asséché, caché par des buissons et des bosquets qui donnent aux lieux un aspect pittoresque.
De la lavande et du lentisque verdoyants et odorants disputent la place au genévrier, au chêne sauvage ou encore au genêt.
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C’est ici que disparaît l’eau de l’oued pour entrer dans les entrailles de la terre avant de finir de l’autre côté du massif du Dahra, en Méditerranée. Un cran au-dessus, une autre ouverture plus grande est moins banale : nous sommes dans la grotte des Frachih (chauves-souris), à 70 kilomètres au nord-est de Mostaganem. Il y a 177 ans, un officier de l’armée française y enfuma une tribu entière.
Le 19 juin 1845, le colonel Aimable Pélissier, à la tête de plusieurs bataillons, tua par asphyxie des centaines d’hommes, d’enfants, de femmes et d’animaux appartenant à la tribu des Ouled Riah, qui a toujours ses terres dans la commune de Nekmaria, dans la wilaya (préfecture) de Mostaganem, dans le nord-ouest de l’Algérie.
L’entrée de la caverne porte toujours des traces de fumée qui, dans la mesure où les lieux n’étaient pas récemment fréquentés, remontent très probablement à cette période.
Fresque murale
Aziz Mouats consacre une partie de sa vie à l’entretien du site. Autrefois abandonné et oublié par les habitants, il a aujourd’hui une nouvelle allure, constate-t-il non sans fierté. Car à force de frapper à toutes les portes, il a réussi à convaincre les autorités d’ériger une fresque murale à la mémoire des victimes de ces « enfumades » qui intriguent encore les historiens.
Cette technique, consistant à asphyxier des personnes réfugiées ou enfermées dans une grotte en allumant des feux à l’entrée, fut utilisée par le corps expéditionnaire français durant la conquête de l’Algérie, en 1844 et 1845.
Un tableau noir est gravé sur une énorme muraille en marbre, en haut de laquelle trônent trois affiches écrites en arabe, français et anglais décrivant les enfumades commises par le « sanguinaire Pélissier ». On y voit notamment des figures de soldats s’acharnant sur des hommes, des enfants et des bêtes.
Stèle érigée en mémoire des victimes des enfumades du Dahra (MEE/Ali Boukhlef)
La fresque, illuminée par le soleil radieux de juin et reliée à la grotte par un escalier en béton, est entourée d’une esplanade ornée de drapeaux. À l’extrémité se trouve un petit musée dans lequel sont entreposés des ossements et quelques habits récupérés de la grotte des Frachih.
« C’est moi qui ai récupéré tout ce qu’il y a ici », se félicite Aziz, notre guide, natif de Skikda (est) mais amoureux de cette région de Mostaganem où il vit depuis une cinquantaine d’années.
« Lorsque j’ai commencé à venir ici, les gens ne voulaient pas m’accompagner. C’était comme un tabou. Le lieu étant sacré, les descendants des Ouled Riah pensaient que c’était un sacrilège de marcher sur des cadavres. Parce que si quelques ossements ont été retirés, il y a toujours des restes humains enfouis dans la grande grotte qui n’est désormais plus accessible », raconte-t-il à MEE.
« Le lieu étant sacré, les descendants des Ouled Riah pensaient que c’était un sacrilège de marcher sur des cadavres »
- Aziz Mouats, universitaire et journaliste à la retraite
Mais les choses ont changé. En haut des escaliers, un groupe de visiteurs, une famille de cinq personnes, toutes d’un âge avancé, sont venus se recueillir sur ce lieu chargé de mémoire.
Les Bouhassoun habitent le village de Smara, appelé « Bosquet » durant l’ère coloniale, situé à quelques kilomètres du site. Comme tous les résidents de ces communes de la région du Dahra, ils ont toujours entendu parler des enfumades.
« Nos aïeuls racontaient que l’armée coloniale avait tué des Ouled Riah dans cette grotte. Nous sommes venus leur rendre hommage », témoigne à MEE Mohamed, l’aîné, 79 ans.
Ce récit ne semble pas faire l’unanimité, notamment parmi les historiens.
« Nous ne connaissons de l’enfumade du Dahra que la version française, qui est tronquée », explique Hosni Kitouni, chercheur en histoire depuis des décennies, qui vit essentiellement à Constantine (Est) et donne des conférences en France et en Angleterre. En l’absence de témoignages écrits ou oraux algériens, il travaille à rassembler les documents d’archives concernant la série d’« enfumades » commises par l’armée coloniale dans ces régions du Dahra.
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Parce qu’outre les Ouled Riah, l’historiographie coloniale a évoqué d’autres faits similaires prétendument perpétrés dans la même zone du Dahra, une chaîne montagneuse qui s’étend des Hauts Plateaux jusqu’à la Méditerranée.
« Durant de longues années, la France coloniale enseignait cet événement comme un épisode glorieux de l’occupation de l’Algérie. Cela a duré jusqu’à 1930 », indique-t-il à MEE.
Pourtant, « les documents montrent que le récit de l’armée d’occupation a été exagéré de sorte à convaincre la population de la Métropole, à l’époque, que ce qu’elle faisait en Algérie était glorieux ». Selon lui, il y aurait « entre 500 et 600 victimes, mais pas 1 500 » comme le créditent les récits locaux et surtout la presse française de l’époque.
Néanmoins, les médias français de l’époque donnent un récit quasiment détaillé des événements. Le 19 juin 1845, plus de 1 500 hommes, femmes et enfants de la tribu des Ouled Riah, accompagnés de bétail et de provisions, fuyant l’armée française qui les pourchasse, se réfugient dans la grotte des Frachih.
Indignation de plusieurs députés de l’opposition
Le lieutenant-colonel Pélissier, qui deviendra plus tard maréchal de France, encercle les lieux. Aux deux entrées, il place de la paille et du bois sec.
Le lendemain, le spectacle est horrible. Un soldat raconte, repris par plusieurs sources historiques : « J’ai visité les trois grottes, voici ce que j’y ai vu. À l’entrée, gisaient des bœufs, des ânes, des moutons. Leur instinct les avait conduits vers l’ouverture des grottes, pour respirer l’air qui manquait à l’intérieur. Parmi ces animaux et entassés sous eux, se trouvaient des femmes et des enfants. J’ai vu un homme mort, le genou à terre, la main crispée sur la corne d’un bœuf. Devant lui était une femme tenant son enfant dans ses bras. Cet homme, il était facile de le reconnaître, avait été asphyxié, ainsi que la femme, l’enfant et le bœuf, au moment où il cherchait à préserver sa famille de la rage de cet animal. »
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Certains de ces écrits rapportent même l’indignation de plusieurs députés de l’opposition et de personnalités de l’époque. Des médias espagnols, visiblement renseignés par des soldats de leur armée, ont rapporté des versions similaires.
Cette version est restée chez les populations locales. Gardiens du musée érigé en mémoire des victimes, Mohamed et Samir Fellah sont tous les deux des descendants des Ouled Riah. Selon les récits de leurs aïeuls, il y aurait eu 1 560 victimes.
Il se dit aussi qu’une femme « a réussi à s’échapper » du brasier pour implorer le chef des troupes coloniales « de cesser son acte », racontent les deux Algériens à MEE.
« Les autorités coloniales n’ont jamais réussi à dompter ces populations qui combattaient aux côtés de Mohamed Boumaza », chef rebelle local qui s’était allié à l’émir Abdelkader, figure de la lutte pour l’indépendance, ajoute Aziz Mouats, qui a déjà organisé un colloque en 2012 sur le sujet à l’université de Mostaganem.
C’est ce que nous pouvons retrouver également dans la littérature orale locale. Le grand poète Cheikh Mohamed Mihoubi a consacré un long texte lyrique au martyre des Ouled Riah. « Un point noir dans l’histoire, qui a ébranlé Ouled Riah et leurs voisins… »
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La semaine passée à L'Espace culturel Louis Aragon à Saint-Vallier a été riche d'enseignement. Une exposition : « L'Algérie, de la colonisation à la guerre » a été proposée à la population du 28 novembre au 3 décembre 2022 inclus.
Photo fournie par l'ARAC
« La semaine passée à L'Espace culturel Louis Aragon à Saint-Vallier a été riche d'enseignement.
Une exposition : « L'Algérie, de la colonisation à la guerre » a été proposée à la population du 28 novembre au 3 décembre 2022 inclus.
Le samedi 3 décembre, un film a été projeté sur grand écran. Ce film de René Vautier avait été tourné après l'Indépendance en 1963 avec de jeunes cinéastes algériens : « Peuple en marche ».
Après le film, c'était au tour de Henri Pouillot, accompagné de Liliane Rehby, de venir nous parler de l'Algérie pendant et après la guerre de libération et de nous relater son expérience personnelle à la villa Susini, où la torture était institutionnalisée par l'armée française. Henri Pouillot en arrivait au constat que cette guerre avait fait beaucoup de morts mais qu'il était impossible d'avoir des chiffres officiels, surtout concernant la population algérienne. Les bombes au napalm, fort utilisées par les français, avaient détruit environ 800 villages algériens, ces villages dans la montagne que l'armée française voulait raser pour empêcher les combattants du FLN d'y trouver refuge. Une autre solution pour vider les villages était de parquer des centaines de personnes dans des camps d'internement, bien sûr dans d'horribles conditions.
L'OAS (Organisation de l'armée secrète), organisation fasciste par excellence, joua un rôle détestable en Algérie et essaya par tous les moyens, y compris les plus odieux, de conserver une Algérie française. .
Le peuple algérien, après cette guerre de libération, aspira à une nouvelle vie, avec de nouvelles perspectives et une solidarité entre les villageois et les soldats algériens s'établit, pour tout reconstruire.
132 ans de colonialisme était à transformer en espoir et en actions garantissant la liberté et une vie décente pour chacun.
Le public présent à L'ECLA ne s'est pas distingué par son nombre élevé mais a été fortement impressionné et intéressé par Henri Pouillot et le film projeté. Un bel après-midi de compassion. »
Par Communiqué des comités ARAC Comités St-Vallier, Gueugnon, Montceau-les-Mines - 09 déc. 2022 à 10:43 | mis à jour le 09 déc. 2022 à 12:50
Parmi les éclaireurs de cet automne ouighour parisien figurait Erkin Ablimit, qui a organisé et présidé le tout récent congrès ouighour international dans la capitale. L'actuel président du gouvernement ouighour en exil, un des plus hauts représentant de la communauté avec Rebiya Kadeer et Dilnur Reyhan, avait pu mobiliser des intellectuels et des politiciens pour la circonstance.
L'approche de la manifestation du 3 décembre se voulait empreinte de détermination. C'est autour de la défense de l'identité culturelle que se sont beaucoup orientés les esprits pendant cette marche. Comme à son habitude, l'eurodéputé Raphaël Glucksmann était présent. A noter également, la présence de l’eurodéputé Yannick Jadot d’Europe Ecologie-Les Verts, d'Olivier Faure du Parti socialiste, de la figure militante Omer Alim, qui reste sans nouvelles de sa famille depuis 2017, ou encore d’Irfan Anka, anciennement important journaliste avant son départ pour l'exil.
Mais le rôle déterminant revient à l'universitaire Dilnur Reyhan. Une femme à l'allure discrète mais caractérisée par l'immensité de son talent oratoire au service de son peuple. Une personnalité intellectuelle qui insuffle la dignité comme fil conducteur de la manifestation, en mettant l'accent sur l'urgence de la tragédie. La fermeté du principal slogan du jour en est le reflet : « Génocide en cours, sauvons les Ouïghours ! »
Des Ouïghours attentifs pour sensibiliser à leur cause
De Bastille à la Place de la Nation, l'événement du week-end a été parfaitement organisé, avec une réelle symbiose entre service d'ordre privé et encadrement policier strict mais bienveillant. Une impression confirmée par un fonctionnaire de police en civil, qui nous a affirmé : « Le plus important est d’accomplir mon travail, quelle que soit la mission. Mais quand c'est pour une cause comme celle d'aujourd'hui, c'est une satisfaction d'y être. L'objet de la manifestation est vital. Avec les Ouighours, ça se passe très bien, mais restons vigilants quand même, comme pour tout sujet sensible. »
Le cortège discipliné mais convivial s'est caractérisé par l’aspect hétéroclite des manifestants. Les ressortissants ouighours avaient la mine grave mais étaient avenants envers leurs interlocuteurs qui prenaient la peine de les questionner sur la situation tragique au Turkestan oriental. Parmi les marcheurs extérieurs à la diaspora, on pouvait trouver des membres de la communauté tibétaine ou encore de la péninsule indochinoise.
Un échantillon représentatif varié
Des manifestants non originaires d’Asie étaient aussi présents à la marche comme Stéphane et Sandrine, tous deux « choqués par ce qui est en train de se passer, mais aussi par l'indifférence pendant des années » au sort des Ouïghours.
Anis, journaliste indépendant d'origine algérienne, a pris sur son temps pour participer au défilé tout en recueillant des impressions. Kyane, elle aussi Française d'origine algérienne, a mis un point d'honneur à braver le froid pour « défendre les Ouighours mais aussi un peu tout le monde, la dignité humaine en général », précisant être « venue malgré les mises en garde de nombreuses amies contre...le froid ! Ça prouve que les gens ont encore du chemin à faire pour prendre vraiment conscience de ce que vivent les Ouighours en Chine ».
Une analyse qui rejoint celle de Marion, vendeuse, qui a délaissé son commerce quelques instants au passage du défilé, pour soutenir momentanément le mouvement. La jeune fille explique ses motivations ainsi : « Je suis Italienne du Latium par mon père et Marocaine par ma mère. Donc ce qui arrive aux Ouighours me choque d'autant plus que j'ai une vraie double culture familiale. Le manque de tolérance en Chine est dégueulasse, surtout avec leurs méthodes. »
Nation comme destination finale
Place de la Nation. Terminus du convoi anti-génocide. Après le choix de la Place de la République l'an dernier, c'est une autre place qui recueille les honneurs de la délégation et ses doléances envers un appareil gouvernemental chinois inique. L'occasion d'une mise à jour sur la situation des Ouïghours en rappelant les dernières nouvelles scandaleuses comme l’incendie d'un immeuble survenu fin novembre et qui a coûté la vie à plusieurs occupants dont des enfants à Urumqi. Un très triste épisode qui a été rendu possible par des restrictions excessives appliquées pour bloquer toute sortie des habitations sous prétexte de recrudescence de la Covid-19 en territoire sino-turcophone. Des éléments magistralement expliqués par Dilnur Reyhan dont les talents oratoires servent sa communauté, basés aussi bien sur ses compétences indéniables que sur l’émotion palpable d’une sociologue qui ne prépare pourtant que peu souvent ses discours, dit-elle.
Tout comme l'an passé à la même saison, une place a été le lieu de conclusion d'une marche, celle de La Nation. Après le symbole de La République pouvant faire penser à la République française si liée originellement à la protection des droits de l'Homme. A la République chinoise anti-démocratique avec qui un bras de fer doit s'engager. A la République du Turkestan oriental qui veut recouvrer sa liberté, son indépendance.
Rédigé par Gianguglielmo Lozato | Jeudi 8 Décembre 2022 à 16:00
Gianguglielmo Lozato est professeur d'italien et auteur de recherches universitaires sur le football italien en tant que phénomène de société. Il est auteur de l'essai Free Uyghur (Editions Saint-Honoré, mai 2021).
De la domination marocaine dans la péninsule Ibérique à la forteresse construite par les Portugais au Maghreb, les deux ennemis d’autrefois partagent un passé sanglant.
Une supportrice marocaine assiste au match de Coupe du monde contre l’Espagne à al-Rayyan (Qatar), le 6 décembre 2022 (AFP)
Ce match contre les Espagnols, remporté aux tirs au but par les Lions de l’Atlas, s’inscrivait dans un contexte historique et politique particulier.
Des siècles de tensions et de conflits entre les deux pays, de la conquête islamique de l’Andalousie lancée depuis les côtes marocaines au colonialisme espagnol du XXe siècle en Afrique du Nord, ont ajouté du piment à la rencontre.
Il en va de même pour ce quart de finale : les mêmes conflits et remous agitent les relations entre le Portugal et le Maroc depuis un millénaire.
De la domination musulmane marocaine sur le Portugal à la construction d’un site classé au patrimoine mondial de l’UNESCO au Maroc, en passant par trois rois qui périrent dans la même bataille entre des ennemis de jadis, Middle East Eye se penche sur l’histoire tumultueuse entre les deux pays.
La conquête islamique du Portugal
En 711, Tariq ibn Ziyad, Amazigh converti à l’islam qui gouvernait Tanger, traversa le détroit de Gibraltar avec 7 000 soldats et marqua le début de huit siècles de domination musulmane sur différentes régions de la péninsule Ibérique.
Si une grande partie des territoires conquis sont aujourd’hui situés en Espagne, son voisin occidental le Portugal tomba également sous la domination islamique.
En 718, quasiment tout le Portugal était contrôlé par les musulmans qui l’appelaient Gharb al-Andalus (l’Andalousie de l’Ouest) ou tout simplement al-Gharb, qui a donné son nom à la région portugaise de l’Algarve.
Après l’effondrement de la domination omeyyade sur al-Andalus au milieu du XIe siècle, la région, notamment les zones portugaises, fut divisée en plusieurs principautés musulmanes indépendantes.
Échos d’al-Andalus : la ville portugaise qui célèbre son passé islamique
C’est alors que les Almoravides, suivis des Almohades, deux dynasties amazighes ayant Marrakech pour capitale, s’emparèrent de la plupart du territoire contrôlé par les musulmans dans la péninsule Ibérique, y compris des régions du sud du Portugal.
Mais ces deux empires basés au Maroc eurent du mal à repousser les avancées chrétiennes soutenues par la papauté qui attirèrent des chevaliers croisés de toute l’Europe dans le cadre de la Reconquista.
Le Royaume du Portugal prit le contrôle de sa capitale actuelle lors du siège de Lisbonne en 1147 et de la région de Faro en 1249, mettant fin à Gharb al-Andalus.
En 1496, quatre ans après la chute de Grenade, qui mit un terme définitif à l’Espagne islamique, le Royaume du Portugal emboîta le pas à son voisin ibérique en forçant ses minorités juives et musulmanes à se convertir au christianisme ou à quitter le pays.
Beaucoup choisirent la seconde option, s’installant au Maroc ou dans d’autres régions d’Afrique du Nord.
La domination musulmane sur le Portugal a laissé des traces culturelles durables, de la poésie aux cheminées en forme de minaret, en passant par les 19 000 mots et expressions portugais d’origine arabe.
En 2008, le prix UNESCO-Sharjah pour la culture arabe a été décerné à l’écrivain portugais Adalberto Alves pour avoir documenté ces influences.
L’occupation portugaise au Maroc
L’expansion de l’empire portugais au Maroc commença en 1415 avec la prise de la ville portuaire de Ceuta, avant de se poursuivre dans différentes régions durant trois siècles et demi.
Le colonialisme au Maroc était initialement justifié par des motifs religieux : entre 1341 et 1377, les rois portugais reçurent cinq bulles pontificales successives autorisant des croisades contre les musulmans d’Afrique du Nord ou de Grenade.
En 1520, les Portugais occupaient d’importantes parties du littoral marocain, notamment Ceuta, Tanger, Assilah, Essaouira, Agadir, Azemmour et Ksar Sghir.
Le roi Alphonse V, qui conquit une grande partie de ce territoire au milieu du XVe siècle, fut surnommé « l’Africain » pour ses exploits de l’autre côté du détroit de Gibraltar.
Mazagan (El-Jadida), une forteresse portugaise construite sur le littoral marocain, est classée au patrimoine mondial de l’UNESCO (Wikimedia)
Les occupants européens bâtirent plusieurs forts dans les villes marocaines qu’ils contrôlaient, notamment sur la petite île de La Graciosa, à Castelo Real dans la ville de Mogador (aujourd’hui Essaouira) et à Mazagan, l’actuelle El-Jadida.
Située à 90 km au sud-ouest de Casablanca, El-Jadida a été inscrite au patrimoine mondial de l’UNESCO en 2004, en tant que « témoignage exceptionnel des influences croisées entre les cultures européenne et marocaine, qui apparaissent clairement dans l’architecture, la technologie et l’urbanisme ».
Il s’agit de la fortification portugaise la mieux préservée du Maroc, avec des bâtiments d’époque conservés, notamment la citerne et l’église Notre-Dame-de-l’Assomption.
Le retour en force des Marocains
Au milieu du XVIe siècle, Mohammed ech-Cheikh, premier sultan de la dynastie saadienne du Maroc, mena la riposte contre les Portugais.
Sous son commandement, les Maghrébins chassèrent les Ibères de la plupart de leurs forteresses le long de la côte atlantique, y compris de la ville commerciale stratégique d’Agadir en 1541.
La bataille de Ksar el-Kébir en 1578, souvent désignée sous le nom de bataille des Trois Rois, fut l’une des pires défaites militaires subies par le Portugal durant son ère coloniale.
Avec l’aide du sultan marocain déchu Mohammed al-Mutawakkil, le roi portugais Sébastien Ier débarqua à Tanger avec 20 000 hommes pour affronter le nouveau sultan, Abd al-Malik, et ses 50 000 hommes.
Madrid ou Mayrit ? L’histoire islamique cachée de la capitale espagnole
Les soldats musulmans infligèrent une défaite cuisante aux Européens ; Sébastien Ier et Mohammed al-Mutawakkil périrent tous deux lors des combats. Abd al-Malik mourut également durant la bataille, d’où le nom donné à cette dernière.
La mort de Sébastien Ier, qui n’avait pas d’héritier, provoqua une crise dynastique au Portugal et le royaume passa ensuite sous contrôle espagnol durant les six décennies suivantes. Cette période fut marquée par un déclin international de l’empire portugais.
Tanger fut ensuite cédée à l’Angleterre en 1661 et Ceuta à l’Espagne en 1668. Ceuta est toujours sous contrôle espagnol, ce qui constitue encore aujourd’hui un point de discorde majeur chez les Marocains.
Le dernier bastion portugais, Mazagan, fut remis aux Marocains en 1769 et un accord de paix fut signé cinq ans plus tard entre les deux pays.
Si sa relation avec l’Espagne est tumultueuse, le Maroc n’a pas de différend territorial avec le Portugal à l’heure actuelle et les deux pays entretiennent des relations cordiales depuis deux siècles et demi.
L’énumération contenue dans le titre de ce livre — la terre, l’étoile et le couteau — évoque trois constantes de l’Algérie : la patrie, la liberté et la violence. Il résume une recherche précise et exigeante sur le 2 août 1936 à Alger, date décisive dans l’histoire du pays, mais qui ne dit plus grand-chose aux contemporains.
Deux mois après la victoire en France du Front populaire qui suscite d’immenses attentes dans tout l’empire colonial, une délégation d’élus « indigènes » — comme on disait alors — du Congrès musulman se rend à Paris pour présenter sa Charte, un impressionnant cahier des revendications musulmanes politiques, sociales, et même forestières avec la suppression du Code forestier qui réprimait durement le ramassage du bois dans les forêts domaniales.
Le compte-rendu du rendez-vous avec le gouvernement de Léon Blum doit être présenté au matin du dimanche 2 août 1936 au stade municipal, la plus grande enceinte sportive de la ville, située à Belcourt, un quartier d’Alger. Trois groupes sont à l’origine de la réunion : la Fédération des élus, un regroupement de 150 élus surtout constantinois, sans orientation politique bien précise, menée par l’influent Docteur Salah Mohamed Bendjelloul, élu du Constantinois et président de la délégation qui s’est rendu à Pari ; l’Association des oulémas musulmans algériens (AOMA), ces savants de l’islam, partisans d’un retour aux sources de la religion et opposés aux pratiques des confréries et des marabouts qu’anime le cheikh Abdelhamid Ben Badis. Enfin, un peu marginal, le Parti communiste d’Algérie (PCA), né en octobre 1935 à la suite du revirement de l’Internationale communiste (le Komintern), qui privilégie désormais l’antifascisme au détriment de l’anticolonialisme. Le PCA soutient le Congrès musulman formé par la Fédération des élus et l’AOMA en laquelle il voit l’équivalent du Front populaire en Algérie.
LE DISCOURS DE MESSALI HADJ
Leurs trois représentants doivent prendre la parole à Belcourt. Va s’y joindre un orateur inattendu, débarqué le matin même de la Ville-d’Alger, le navire qui assure les aller-retours avec Marseille. Messali Hadj, leader de l’Étoile nord-africaine, dirige un groupuscule installé en France plutôt qu’en Algérie où il est peu connu et qui milite depuis les années 1920 en faveur de l’Indépendance. Il attend sagement son tour avant de prononcer en arabe et en français une courte allocution qui va renverser le cours de la politique algérienne.
S’il accepte volontiers sept des neuf revendications de la Charte, il s’oppose radicalement à la participation des musulmans à l’élection de députés à la Chambre des députés à Paris. Il y voit le rattachement de l’Algérie à la France, et plaide au contraire pour un Parlement algérien élu par tous les habitants du pays, y compris les minoritaires que sont les Européens et les juifs. Son discours soulève l’enthousiasme des 15 000 participants au meeting d’autant que Messali, joignant le geste à la parole, aurait lancé une poignée de terre et crié : « La terre n’est pas à vendre ». Il est porté en triomphe autour du stade, et place le débat entre assimilationnistes et indépendantistes à un niveau jamais atteint jusque-là dans les masses populaires des grandes villes.
Au même moment, pas loin de là, un imam de 69 ans, Bendali Amor Mahmoud Ben Hadj, dit Kahoul, imposé par l’administration coloniale à la tête de la plus grande mosquée de rite malékite de la ville, est poignardé à mort. C’est le second coup de théâtre de la journée, moins important sans doute que le premier mais qui va empoisonner le climat politique algérien jusqu’à la déclaration de guerre le 3 septembre 1939. Quatre malheureux sont arrêtés le soir même par la Sûreté générale et mettent en cause l’un des chefs des oulémas, Taïeb El-Okbi et un négociant connu de la Casbah, Abbas Turqui Mohamed Ouali, prestement arrêtés à leur tour. À cette version coloniale de l’affaire va très vite s’en imposer une autre, celle des adversaires de l’administration qui se recrutent dans les rangs musulmans et dénoncent, avec de bons arguments, la manipulation policière même si, selon l’auteur, ses sbires ne sont pas à l’origine du meurtre.
UNE MINORITÉ ARCBOUTÉE À SES PRIVILÈGES
Christian Phéline manie avec talent l’art de la composition et après avoir présenté les faits, il consacre une deuxième partie de son ouvrage aux « lendemains », y compris lointains, du 2 août 1936 et à ses « rebonds » tardifs, dont des témoignages douteux sur le meurtre de Kahoul et l’apparition d’un personnage inattendu, Albert Camus, jeune journaliste à Alger Républicain qui défend les victimes de la manipulation policière montée par le gouvernement général, bastion permanent du conservatisme le plus aveugle.
Le refus absolu du régime colonial de s’ouvrir s’illustre dans son rejet des minces progrès politiques proposés par le gouvernement de Front populaire. Vingt mille électeurs musulmans supplémentaires seraient autorisés à garder leur statut personnel, c’est-à-dire à rester sous le droit musulman, eux et leurs enfants. C’est encore trop pour une minorité arcboutée sur ses privilèges et ses pouvoirs qui refuse tout en bloc, exploitant sans vergogne l’absence de toute volonté réelle de réforme du gouvernement à Paris. Ce statu quo morbide va condamner le Congrès musulman et les communistes algériens à l’effacement au profit des disciples de Messali durement touchés par la répression, mais dont les effectifs et l’audience parmi le peuple algérien se gonfleront jour après jour.
Dès l’année suivante, aux élections locales de 1937, le nouveau parti, le Parti du peuple algérien (PPA) progresse considérablement. Le Front de libération nationale (FLN), qui déclenche moins de vingt ans plus tard l’insurrection du 1er novembre 1954, sera un héritier rebelle du parti de Messali. Au passage, l’espoir d’un Parlement algérien et d’un pouvoir qui ne soit pas confisqué par une minorité politico-militaire s’est évanoui, mais n’a pas été oublié par le peuple, comme l’a montré le Hirak qui a manifesté pendant l’année 2019, chaque semaine, son rejet de l’autoritarisme.
Quand on n’a plus rien que sa solitude Le soir venu apparaît le déclin On trinque avec l’oubli de ses habitudes Cherchant une épate pour fuir son chagrin.
Et puis soudain on évoque l’ancien temps Qui nous a vu gravir les marches du succès Grisé par la gloire, et, presque insolent On toise les autres d’un regard agacé
Que de titres, d’honneur et de promotions Paradant de faste, jusqu’à l’arrogance En faisant fi des règles de la tradition Qu’oblige notre rang à plus de bienséance
De cette époque lointaine et révolue Mon cœur contrit, rappelle ses souvenirs De tristes regrets, du trajet parcouru Implorant le pardon pour se repentir.
A l’orée de mon âge, vaincu par les ans Tel un vieil arbre aux branches dégarnies Je ressasse ma vie, passé et présent Suivant à la trace l’ancien chemin pris
NOUBA DU HOGGAR
Paysages sublimes, couleurs de l’ocre qui exsude.
Vide absolu ou s’égrène le bruit du silence.
Murmures des friselis du sable en mouvance
Chaudes caresses du simoun, mer de solitude.
Lumière écarlate ou l’ombre fuit ses habitudes
Ciel et glèbe flamboient sur les sentes de l’errance
Et le reg soupir son mirage de nuances
Faste du Hoggar ! Romance du tindi en prélude
Tassili seigneur des hommes bleus du désert
Farouches guerriers, poètes au langage disert
Les yeux sont en extase devant tant de splendeur
Tandis que le cœur languide s’enivre de l’oubli
Le temps se meut, s’effrite, le soir pose sa candeur
La nuit annonce la fête de l’Ahaggar en folie.
L’héritage de la Paix
O mon fils ! écoute le bruit sourd des canons
CC’est la mort qui dévale le long des terres brûlées
Regarde ces pleutres soldats qui violent nos maisons
Pense à nos rêves d’antan qui se sont écroulés.
C’est la guerre mon fils ! inique et cruel démon
Sa douleur est atroce, tant est féroce son fléau
Sombre qu’elle est , grande et lâche est sa déraison
Elle ne fait ni vainqueur , ni vaincu, ni héros.
Entend mon fils ! ces cris qui déchirent le silence
Venant des épouses navrées et des mères éplorées
Apprend à bon escient que la pire des souffrances
Et le plus souvent un livre de sagesse avérée.
Prend acte fils !que l’histoire est la maîtresse du temps
Nul ne ressent l’ardente braise d’un cœur mortifié
Et lorsque coule sur des joues des larmes d’innocent
Mohammed Kenzi, La Menthe sauvage, détail de la couverture @ éditions Grevis
Publié en 1981, La Menthe sauvage de Mohammed Kenzi est longtemps demeuré épuisé jusqu’à sa réédition en 2022 aux éditions Grevis. Témoignage d’une immigration en France pendant la guerre d’Algérie et d’une adolescence dans les bidonvilles autour de Paris, La Menthe sauvage est également un livre d’apprentissage politique. En même temps que les violences racistes et policières subies quotidiennement dans le bidonville, Kenzi raconte sa participation aux luttes étudiantes. Entretien de Patrick Lyons avec l’auteur, sur l’origine de son livre comme autour ses expériences qu’il raconte.
Vous avez publié La Menthe sauvage en 1981. Pourquoi avez-vous décidé d’écrire ce texte sur votre adolescence en bidonville (et au-delà), et pourquoi à ce moment précis ? Quelles sont les origines de ce texte ?
J’ai commencé à l’écrire avant 1981. Les éditions du Seuil étaient intéressées tout au début, Olivier Rolin qui était en charge du manuscrit voulait que je retravaille certains passages, avant de renoncer à sa publication, pour des questions de quota éditorial paraît-il. J’ai continué à travailler dessus, sans renoncer à certains passages. J’ai voulu prendre une liberté de ton, écrire avec mes propres mots la vie de l’intérieur du bidonville, la période coloniale en faisant le lien avec la France et le pays du soleil comme aurait dit Guy Maupassant, sans faire de concessions. À ce moment-là, les récits sur l’immigration étaient le plus souvent écrits par des sociologues, des journalistes, ils parlaient des conditions sociales, rarement des violences domestiques, policières, des contradictions de la communauté, des parents vis-à-vis de la culture française, des projections et attentes des parents de la décolonisation et de l’indépendance algérienne. Pour ma part, j’ai dû régulièrement me confronter à ma famille, à la communauté, aux grands frères et aux copains pour prendre une direction à l’opposé des attentes familiales et communautaire.
Pourquoi écrire ce récit ? Je ressentais le besoin à une période de ma vie de faire le ménage, d’écrire mon vécu, ma vie, les désillusions et les espérances déçues, une trajectoire particulière, singulière. Avec le temps, c’était devenu un besoin, une nécessité absolue de laisser une trace de ce vécu, mais de l’écrire moi-même, de faire part de mon propre malaise avec mes propres mots, de dire mon parcours, mon histoire de vie si singulière soit-elle, sans laisser à un autre le soin de le faire à ma place… J’ai toujours été déçu par les écrits lisses sur cette période, une vue de l’extérieur sur nos misérables vies d’immigrés, d’étrangers. Après la prison, l’expulsion, l’exil, la naissance de mes filles, j’ai voulu laisser quelques bribes visibles de cette vie-là, ne pas laisser au caveau le soin de faire le ménage, de faire disparaitre une partie de ce vécu à Nanterre, en France. C’était ma manière à moi de remercier la vie, d’être encore vivant, après avoir vécu sur le fil du rasoir.
Vous dites être déçu par les récits qui traitent de la question de l’immigration en France pendant la période où se déroule votre livre. Quand vous évoquez la ‘vue de l’extérieur’ de ces récits sur vos ‘misérables vie d’immigrés, d’étrangers’, je pense naturellement aux bidonvilles, qui attiraient beaucoup d’attention dans la presse française où ils étaient présentés comme des nids de crime insalubres et dangereux. On sait que c’était le contraire, et que les bidonvilles étaient très sévèrement surveillés par la police surtout dans les années 60. Pouvez-vous parler un peu de votre vie dans ce bidonville, et de vos expériences de la police française ?
La vie à l’intérieur du bidonville était particulièrement rude. Au début les baraques étaient en bois, tôles et papier goudron. Ça faisait l’affaire en guise de toit. Durant l’automne et l’hiver, on se retrouvait souvent les pieds dans l’eau et la boue. Les baraques étaient accolées les unes aux autres, ce type de construction évitait la déperdition de chaleur durant les périodes d’intempéries.
Le reste du temps, les parois de séparation de celles-ci étaient bien trop fines pour garder un quelconque secret. Il fallait faire avec la promiscuité, les conflits, les bagarres qui se déroulaient à l’intérieur de la baraque même, quant à l’intimité, elle était presque inexistante du fait de la fragilité de l’habitat. Dans cette cohabitation forcée tout se savait, les bonnes choses comme les mauvaises. Il n’y avait pour ainsi dire pas de secrets entre les voisins les plus proches. Cette promiscuité quasi permanente au lieu de faire l’objet de replis, de rejets, ce fut tout le contraire, cela a permis de tisser des liens puissants et forts entre les diverses familles du bidonville, surtout entre femmes. Nos mères trouvaient certainement là une consolation à leur malheur en s’entre-aidant. Il y avait une certaine solidarité dans ce malheur, cet exil loin du pays d’origine surtout chez les femmes. Les conditions de vie étaient quasi précaires pour tous. Il y avait de l’entraide, c’était l’élément essentiel pour survivre dans ce ghetto, il soudait malgré la disparité des origines de ces habitants.
Plus tard, l’espace devenait plus restreint, la coquille de noix que nous avions ne suffisait plus à contenir tout son monde. Il faut dire que nous étions passés de six individus à douze âmes en quelques années. C’était le cas de plusieurs familles du bidonville. Il a fallu pousser les murs, agrandir les baraques pour ne pas étouffer. Ça se faisait discrètement, en commun pour échapper à la vigilance de la brigade Z qui était chargée de veiller à ce que l’extension du bidonville ne prenne pas l’ascendant sur le voisinage pavillonnaire proche. Parfois, elle fermait l’œil, mais de temps en temps, elle détruisait une baraque ou deux pour l’exemple. Chez moi, mon père qui était maçon avait réussi à pousser les murs de la baraque, en quelques mois de nuit le parpaing et le béton avaient fait leur apparition comme les sols en dur. De nouveaux matériaux étaient en vogue pour vivre plus à l’aise sans avoir continuellement les pieds dans le bouillon.
Quant au rapport avec la police… Dès le début, la police était quasi omniprésente dans notre vie. Avant l’indépendance du pays du soleil nos parents y étaient confrontés, qu’il s’agisse de brutalités, de sévices ou de peurs. Quand le conflit s’est intensifié, les ratonnades, les noyades sont devenues trop visibles pour être ignorées. Après l’indépendance, la police de Nanterre a longtemps maintenu la pression sur le bidonville, les tensions étaient visibles, palpables. Lors de leurs interventions, les policiers usaient facilement de gifles, d’insultes et de brimades.Les term es et propos employés étaient souvent bicots, ratons, bougnoules, etc., c’était humiliant surtout lorsqu’il n’y avait pas de raisons. J’ai toujours eu le sentiment que cela était injuste, et que cette forme d’injustice ne devait ni exister ni être légitimée. À l’adolescence, les rapports de force ont vite changé. Je prenais des coups, mais dès que l’occasion se présentait, je les rendais. Plus tard, durant la période gauchiste, le conflit entre la police et nous était des plus violents, les rapports se sont détériorés assez rapidement, les conflits étaient plus fréquents. Il faut dire que les policiers du commissariat de Nanterre, leur chef Jersey en tête, n’étaient pas des tendres. Avec les jeunes du bidonville et ceux des cités voisines, ce n’était pas l’insurrection, mais ça s’en rapprochait gentiment. Dès que l’occasion se présentait, nous leur rendions la monnaie de leur pièce. Ils nous considéraient comme des enfants perdus, des moins que rien, des sauvageons, des êtres incompatibles avec la société française. Nous étions juste bons pour finir en prison ou dans un charter pour le bled, cette politique a accentué les mauvaises pratiques de la police et a creusé le fossé. Celui-ci perdure aujourd’hui…
Vous évoquez la période gauchiste… dans votre livre vos rencontres avec des étudiants à Nanterre jouent un rôle central dans le développement de vos perspectives politiques. Pouvez-vous parler un peu de ces rencontres et de vos rapports avec des étudiants militants ?
Il y eut une rencontre fortuite avec Jacques Barda. L’accès à l’enceinte de l’université après que le mur est tombé. Une rencontre improbable avec les étudiants et le mouvement maoïste. Je n’avais aucune notion des enjeux ni des divers mouvements existant alors, que ce soit dans l’université ou en dehors. Cette période fut pour moi une ouverture, une fenêtre sur un monde que je ne connaissais pas, existant à 100 m du bidonville ou j’habitais. Instinctivement, j’ai choisi de suivre VLR, Vive la révolution, un groupe plutôt festif, Mao-spontex. Là, j’ai fait la connaissance de Richard Deshayes, Roland Castro de loin, Jacques Barda et Annette Lévy et tant d’autres personnes de cette mouvance et aussi de la bande des Marguerites, une cité proche. Cela m’a permis une ouverture inespérée sur d’autres horizons que le crayeux et grisâtre univers du bidonville. Ce fut une expérience enrichissante avec des rencontres improbables qui me permirent de quitter mon lieu de vie, ma communauté, ma famille. C’était une période où TOUT me semblait possible, vivre, aimer à se saigner les veines. Je n’ai pas de regret, parce que j’ai croisé le chemin d’êtres géniaux, pleins de vie, qui espéraient non pas changer le monde, mais du moins changer la vie, vivre autrement, croire à autres choses que boulot, métro, dodo.
Je n’ai pas de regrets ni d’amertume. J’ai grandi dans un sillon particulier qui m’a permis de sortir vivant de toute cette période. Les gauchistes ne m’ont pas plus déçu que ma communauté. Quand je dis que j’ai failli mourir du gauchisme… c’est que j’étais arrivé à un stade où j’aurais pu basculer dans la violence, dans une sédition mortifère. J’aurais pu partir en Palestine comme mon ami Guy mort là-bas en terre inconnue, mourir dans un coin de rue rattrapé par une balle perdue, finir à l’asile ou tomber dans la drogue et l’alcoolisme comme tant d’autres personnes à avoir vécu cette histoire. J’ai renoncé à cela, parce que la vie en valait la chandelle, ça valait la peine de se battre, de respirer, de sourire à une fille et d’avoir en retour un sourire complice. Après tout cela, les gauchistes sont devenus ce qu’ils ne voulaient surtout pas être, des technocrates, des journaleux, avocats, chefs d’entreprise. Ils sont rentrés dans les clous pour se mettre au service de la société qu’ils dénonçaient. Certains et certaines tirent maintenant sur la planète qu’ils avaient espéré féconder jadis, rendre juste, ils crèchent à nouveau au cœur du système qu’ils avaient rêvé de défaire.
Comment voyez-vous la republication de votre texte et son sujet résonner avec les lecteurs et la politique aujourd’hui en France et au-delà ? Je pense, par exemple, à l’expansion de la mondialisation, à l’intensification de l’immigration, à la propagation de l’économie informelle du logement, au racisme, à la guerre, etc.
Ça a été tout d’abord une surprise après tant d’années, tout cela est dû sans doute au livre de Victor Collet, Nanterre, du bidonville à la cité. Celui-ci a tout fait pour que ce livre reparaisse en France où il n’a pas eu d’échos. Bien sûr, j’étais content et satisfait que La Menthe sauvage ait cette chance de vivre une seconde vie, après avoir complètement disparu. Les Éditions Grevis ont sans doute pris un risque, mais il semble que ce fut un pari gagnant, puisque le livre, couplé avec celui de Victor, a été bien accueilli par un certain public. Désormais il voyage d’un pays à l’autre avec de bons retours. Je pense qu’il est toujours d’actualité… vu la politique française vis-à-vis de l’immigration venant d’Afrique du Nord et leurs enfants. Le rejet, la discrimination, l’arbitraire, le racisme, les violences sont toujours là, des années après les luttes menées par la première génération dite sacrifiée, la deuxième avec la marche des beurs, la troisième continue à souffrir des préjugés, du racisme. S’ajoutent à cela les identités nostalgiques de l’appartenance, la recherche identitaire, l’islam, le terrorisme, les extrêmes s’ancrent dans le rejet, la stigmatisation etc.
La mondialisation a eu pour effet de libéraliser le marché. Il faut croire que cette mondialisation n’est bonne que pour les échanges commerciaux, la finance et l’économie de marché… pour les humains, en revanche, les frontières restent visibles, présentes et toujours aussi difficiles à franchir pour certaines populations. Ouverture pour les capitaux et fermeture pour l’humain. Bien sûr le numérique a pris le dessus, Internet a ouvert des champs que les populations s’approprient et tant mieux, les réseaux fleurissent, la parole se libère, tout est à portée de main ou presque. Les extrêmes reprennent de la voix en surfant sur les incohérences, les faiblesses des États, des systèmes politiques en s’appropriant le terrain lâché par la gauche d’antan. Entre une politique migratoire ambiguë (alors que la balance migratoire n’est pas plus en hausse que par le passé), les extrêmes en vogue, le chômage, la crise économique, les gilets jaunes, le dérèglement climatique, le covid, les guerres, la guerre à la porte de l’Europe…
Le climat est à la politique sécuritaire, le repli refait surface en broyant les plus faibles de la société. La France n’échappe pas à cette donne, le monde est devenu un miroir où défilent riches et pauvres, où chacun joue un rôle défini, c’est la société du spectacle permanent, il n’y a pas d’entracte, pas de zone de repos, le nouveau logiciel semble nous mener à une uberisation des sociétés. La gentrification s’intensifie, airbnb déloge des pans entiers des quartiers, en tuant la vie de ces quartiers, les commerces de proximité disparaissent remplacés par les grosses enseignes. Les bas revenus, les chômeurs, les sans-abris paient la facture de cette politique-là.
Les guerres, la faim, le dérèglement climatique poussent des populations à chercher ailleurs de quoi survivre. Les plus riches accumulent des fortunes et les plus pauvres tirent la langue, meurent de famine ou se noient en mer. Je me demande parfois si nous méritons cette planète après tout ce qu’on lui fait subir. Il faut rester optimistes, les générations futures nous feront peut-être mentir. Je crois que l’obsolescence est déjà intégrée, ce logiciel ne fait que la précipiter, ce monde se prépare déjà à la disparition de l’homme, à vivre sans nous.
La présidence française a reçu depuis une dizaine de jours la liste des cinq historiens qui devront faire partie de la commission mixte chargée d’étudier les archives que possèdent les deux pays sur la colonisation et la guerre d’Algérie. Selon nos informations, l’Élysée tarde encore à valider cette liste préparée par l’historien Benjamin Stora qui pourrait en être le président d’honneur et le sixième membre. L’Élysée a d’ores et déjà transmis cette liste d’experts aux autorités algériennes, qui ont communiqué le 30 octobre, les noms des cinq historiens algériens qui ont été destinataires de cette liste d’experts français.
On ignore si ces derniers seront reçus par Emmanuel Macron pour l’annonce officielle, comme cela a été le cas pour leurs confrères algériens, reçus au Palais d’El Mouradia par le président Abdelmadjid Tebboune.
Les futurs membres de cette commission – qui comprend trois hommes et deux femmes dont une franco-algériennes – ont tous travaillé ou collaboré avec Benjamin Stora sur des ouvrages, des études ou des documentaires liés à la présence française en Algérie. Tous sont reconnus pour leur expertise sur l’histoire générale de la colonisation, sur les harkis et les pieds-noirs, les manifestations de refus de la guerre, mais aussi sur l’aspect culturel de cette mémoire, sur les imaginaires liés à cette histoire ou encore sur l’immigration algérienne en France.
Benjamin Stora à la manœuvre
La création de cette commission mixte chargée d’étudier les archives algériennes et françaises portant sur la période coloniale a été annoncée lors de la visite d’Emmanuel Macron en Algérie en août 2022. L’idée de monter ce groupe mixte d’historiens et d’experts est née de la rencontre qui s’est tenue un mois plus tôt entre le président algérien avec Benjamin Stora.
La semaine passée à L'Espace culturel Louis Aragon à Saint-Vallier a été riche d'enseignement. Une exposition : « L'Algérie, de la colonisation à la guerre » a été proposée à la population du 28 novembre au 3 décembre 2022 inclus.
Photo fournie par l'ARAC
La semaine passée à L'Espace culturel Louis Aragon à Saint-Vallier a été riche d'enseignement.
Une exposition : « L'Algérie, de la colonisation à la guerre » a été proposée à la population du 28 novembre au 3 décembre 2022 inclus.
Le samedi 3 décembre, un film a été projeté sur grand écran. Ce film de René Vautier avait été tourné après l'Indépendance en 1963 avec de jeunes cinéastes algériens : « Peuple en marche ».
Après le film, c'était au tour de Henri Pouillot, accompagné de Liliane Rehby, de venir nous parler de l'Algérie pendant et après la guerre de libération et de nous relater son expérience personnelle à la villa Susini, où la torture était institutionnalisée par l'armée française. Henri Pouillot en arrivait au constat que cette guerre avait fait beaucoup de morts mais qu'il était impossible d'avoir des chiffres officiels, surtout concernant la population algérienne. Les bombes au napalm, fort utilisées par les français, avaient détruit environ 800 villages algériens, ces villages dans la montagne que l'armée française voulait raser pour empêcher les combattants du FLN d'y trouver refuge. Une autre solution pour vider les villages était de parquer des centaines de personnes dans des camps d'internement, bien sûr dans d'horribles conditions.
L'OAS (Organisation de l'armée secrète), organisation fasciste par excellence, joua un rôle détestable en Algérie et essaya par tous les moyens, y compris les plus odieux, de conserver une Algérie française. .
Le peuple algérien, après cette guerre de libération, aspira à une nouvelle vie, avec de nouvelles perspectives et une solidarité entre les villageois et les soldats algériens s'établit, pour tout reconstruire.
132 ans de colonialisme était à transformer en espoir et en actions garantissant la liberté et une vie décente pour chacun.
Le public présent à L'ECLA ne s'est pas distingué par son nombre élevé mais a été fortement impressionné et intéressé par Henri Pouillot et le film projeté. Un bel après-midi de compassion. »
Par Communiqué des comités ARAC Comités St-Vallier, Gueugnon, Montceau-les-Mines - Aujourd'hui à 10:43 | mis à jour aujourd'hui à 12:50
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