Le mercredi, c’est jour de sortie de films au cinéma. Mais confinement oblige, les films on les regarde chez soi. Du coup, pendant une semaine, on vous propose chaque jour un film au sujet de la guerre d’Algérie. On commence aujourd’hui avec un film récent: “Qu’un sang impur”.
Qu’un sang impur est un film réalisé par Abdel Raouf Dafri, sorti le 22 janvier 2020 et diffusé dans très peu de salles. La promotion du film a été relativement maigre, et seuls les intéressés semblent avoir été au courant de sa sortie. Lyna est allée le voir dans le cinéma associatif de sa ville. Elle raconte.
“ Je suis allée au ciné la boule au ventre, excitée mais sceptique. J’essaye de rester tranquille, mais n’y arrive pas. Les films traitant de sujets algériens sont trop souvent une déception pour moi. Mais là, c’est Dafri. Il sait faire la part des choses, les allégeances douteuses, j’ai cru comprendre que ce n’était pas son genre. Il s’est déjà prouvé mais je suis profondément touchée qu’il ait décidé que son premier film soit sur la guerre d’Algérie. D’après ses interviews, je comprends que ce choix est lourd de sens.
Abdel Raouf Dafri est franco-algérien, comme moi. Né en France, comme moi. Des parents nés là-bas, en Algérie, comme moi. Il assume son hybridité culturelle avec tant d’assurance, j’aimerais devenir aussi sereine que lui à ce sujet-là.
Un film sur la guerre d’Algérie
Pour son premier film, il a choisi un sujet que certains qualifient d’épineux mais il a foncé tête baissée. Et il le dit sans détour, s’il a pu faire ce choix assumé pour sa première réalisation c’est grâce à la place qu’il a su prendre au gré des scénarios et des productions qu’il a co-dirigés avec grand succès. On dirait presque que ce film est l’aboutissement de ses années de galère et de trime, qu’au fond c’est un peu son rêve de gosse d’avoir pu proposer un film sur la guerre d’Algérie au public français. Evidemment, le film est pas très bien accueilli, distribué seulement dans les salles les plus perdues du territoire. Ça fait serrer les dents parce que c’est une oeuvre incroyable de bout en bout, qui avait toute sa place sur les affiches des cinémas de grand public. La preuve, encore, s’il en faut que les Français restent bien trop fermés à cette discussion. Pas grave, ceux qui veulent savoir finiront bien par apprendre ce qu’il s’est passé en dépit de l’arrogance avec laquelle trop de gens écartent cet épisode central de l’histoire française.
La qualité de la mise en scène n’est plus à prouver. Des plans magnifiques. Des torrents écarlates. Putain c’est beau, mais j’ai mal en vrai. Je retiens mon souffle dès le début. Les coups pris à l’écran, moi je les prends dans le bide. Chaque explosion me perce les oreilles. Dafri nous plonge la tête dans la violence sans faire semblant. Après tout, la guerre d’Algérie c’était quoi ? Des morts, du sang, des revendications plus que légitimes. Un non-dit surtout. De ce côté de la méditerranée en tout cas. En Algérie, des gens de notre âge nous diraient qu’ils en ont marre de parler de ça tellement le sujet a été saigné et vidé de son sens à force de récupération et de contorsions opportunistes.
Et nous, en tant qu’enfants et petits-enfants d’Algériens et d’Algériennes, on devra faire nos recherches souvent tous seuls parce que pour beaucoup, la guerre d’Algérie a marqué l’histoire personnelle de nos anciens. Ils n’aiment pas trop en parler, à raison, on le comprend, à cause de la douleur, des pertes, des blessures qui ne sont jamais que physiques. Et nous, on n’ose pas aller au-delà de ce silence. A cause d’une pudeur mal placée, d’un sentiment de non-légitimité aussi. Et on n’a pas eu d’instruction à ce sujet. Pourtant, la raison de notre naissance en France, de notre hybridité culturelle, elle part de là.
Le synopsis, je vais essayer de le décrire en quelques lignes. L’histoire commence dans une caserne française quelque part dans le jbel, on a même pas le temps de se rendre compte, que ça y est la première gifle tombe. On est en plein 1960 et plus personne ne fait semblant pour écorcher les chairs et faire couler du rouge. Le maniement du suspens est plus que propre. Bref, le ton est donné. Ensuite, on atterrît en France et là on rencontre le personnage central de l’action: le colonel Breitner qui se voit convoqué par le sosie de Mme Fichini (la marâtre de Sophie là, oui) qui lui somme d’aller chercher « une babiole » de son fils, ancien compagnon d’arme de monsieur pour qu’elle puisse lui faire des adieux dignes de ce nom… Ce colonel-là, il revient d’Indochine et il se traine un gros PTSD (trouble de stress post-traumatique). Donc il décolle de force pour les Aurès et va monter une équipe pour sa mission spéciale. Il recrute dans les geôles de l’infanterie un blanc bec qui a un hero complex et un tirailleur sénégalais qui a désobéi à ses supérieurs. Ensuite, il oblige une fille de moudjahid à coopérer pendant leur joyeuse expédition. Le colonel a aussi embarqué Soua, sa compagne (d’armes?) Mhong qui est venue en France après avoir aidé l’armée coloniale en Indochine. Une fois l’équipe montée, ils s’enfoncent dans le maquis et forcément ils tombent sur des combattants du FLN. Cascade de péripéties. Trahisons multiples. Fin.
« Ce film, je pense qu’il peut devenir un incontournable pour beaucoup de bi-nationaux franco-algériens »
Ce n’est pas un film historique. Ce n’est pas un documentaire. C’est un drame de malade qui se sert de la réalité de la guerre d’Algérie comme d’un cocon. Et bon dieu ce que Abdel Raouf Dafri assure. Chaque détail est pensé, et magnifiquement bien filmé. Les images transpirent de sens, de sons, d’angoisse. Mais nos yeux sentent quand même la caresse de la caméra. Pendant tout le film, il y a comme une sorte de rugosité qui nous déchire le bide. Mais il y a une douceur que j’ai ressenti en même temps. Je ne saurai pas trop expliquer d’où ça venait : l’environnement du tournage qui me ramenait à mes (trop rares) balades au douar familial pendant mes séjours en Algérie ? La dualité des personnages ? Peut-être juste le plaisir de voir enfin un film qui rend hommage aux femmes et aux hommes qui se sont perdus dans ce conflit. Ici on voit évoluer une Lyna Khoudri touchante aux larmes, beaucoup plus vraie que dans son rôle césarisé. Un Steve Tientcheu incroyable de fragilité (j’ai encore plus apprécié son rôle dans les Misérables après l’avoir vu ici). Aussi, je n’ai pas réussi à trouver leurs noms, mais les petits qui jouaient les enfants m’ont piquée et méritent qu’on parle d’eux.
L’histoire dans sa justesse
Quelle gageure, de faire un film de guerre qui ne soit pas pétri d’un patriotisme douteux, surtout quand on sait le schisme abyssal encore présent entre les anciens partis ennemis. Même si, comme dans chaque conflit, les limites sont poreuses et changeantes. Le film aborde cela avec beaucoup de subtilité, aussi à travers les identités des protagonistes habilement entrelacées et complexes. Les bons, les mauvais Dafri il s’en fout, il n’est pas là pour guider les foules mais pour filmer les faits. Avec, en prime son talent de conteur. Mais en faisant cela, jamais une seule fois il ne maquille la réalité historique ou ne défend l’impensable dans son récit.
En fait, ce film, je pense qu’il peut devenir un incontournable pour beaucoup de binationaux franco-algériens. Parce qu’on a enfin un film sur la guerre d’Algérie qui est raisonnablement réaliste et qui replace les faits à leur juste place. Mais surtout parce qu’en filigrane, il va gratter à la plaie ouverte qu’est l’identité française. Cet abcès qui a pris tellement d’ampleur avec les années qu’on ne sait même plus par quel angle le crever. On l’oublie en espérant qu’il se résorbe tout seul, ouais, inchallah.
La question de l’identité
En vrai, j’ai l’impression que l’identité est aussi le sujet central de « Qu’un sang impur ». Pour moi, c’est le fil conducteur de ce film. Quand on y pense, cette question a été centrale dans le combat indépendantiste et ce bien après l’été 62. Les Algériens musulmans, les Français d’Algérie, les harkis… C’est quoi être Algérien ? Qui l’est ? Qui ne l’est plus ? Qui ne pourra jamais l’être ?
En réalité, là n’est pas le sujet. On le voit, ce problème algérien, qui reste réel mais n’est visible qu’au second plan. Parce qu’ici ce que Dafri tacle surtout c’est ce que cache l’appellation de “français”. Cela se ressent à travers le choix de ses personnages. Un colonel d’origine allemande[1] naturalisé français après ses exploits de guerre, une jeune femme d’une ethnie marginalisée qui a aidé l’occupant français lors de la guerre d’indépendance en Indochine, un tirailleur sénégalais perdu dans les geôles algériennes après avoir servi en Indochine, et probablement avant sur les fronts français des deux grandes guerres. Un jeune français rejeté qui essaye de se racheter un honneur auprès de sa famille en Algérie. La fille d’un moujahid qui devra aider l’ennemi par nécessité, et qui verra ses convictions inébranlables chanceler au milieu de cette guerre impitoyable. Qui est l’ennemi, qui est l’ami, est-ce que l’honneur est une notion viable en tant de guerre? Et les civils on en fait quoi dans ce merdier ?
« La guerre d’Algérie a moulé notre identité »
La guerre d’Algérie, même si personne ne nous le dit clairement, a moulé notre identité, et elle continue de le faire. Cette guerre n’est pas un mauvais passage, ni des « évènements », cette guerre elle continue de nous toucher dans notre chair, dans nos êtres. Nous, les enfants d’immigrés mais les autres aussi, les “Français dits de souche Astérix” comme dit Dafri en plaisantant. On a besoin de démêler les fils de nos histoires personnelles qui y sont liées. Sinon, on va continuer à avancer sur la route cabossée de la cohabitation forcée.
Nous on a le job le plus compliqué on dirait : parvenir à raconter notre histoire personnelle liée à deux pays avec des récits revendiqués par deux camps qui semblent, près de 70 ans plus tard, toujours aussi irréconciliables. Qu’un sang impur est un film qui nous attrape par le col en nous rappelant qu’au fond, cette guerre n’est pas qu’un évènement historique. Ca va bien au-delà.
Si vous n’avez toujours pas compris, ce film est génial. D’autant plus parce j’ai entendu la marseillaise chantée en arabe (on notera une traduction impeccable, comme dans les dialogues du film d’ailleurs, où tous les acteurs même les non arabophones parlaient une darija algérienne parfaite). Et pour la première fois de ma vie, je suis restée l’écouter jusqu’au bout.”
Mohamed est né en 1942. Il a 78 ans aujourd’hui, il en avait douze quand est survenue la guerre pour l’indépendance. Son témoignage est donc celui d’un enfant pendant la colonisation, d’un adolescent pendant la guerre, d’un jeune adulte lors de la proclamation de l’indépendance.
La colonisation, l’insouciance
« Il n’y avait pas de différences…à deux, trois choses près »
C’est quoi, être enfant Algérien pendant la colonisation? Comment ressentait-on la domination coloniale? Est-ce qu’on en avait conscience ? Voilà les questions que je me posais avant d’échanger avec Mohamed. Il me confie que son enfance était banale, qu’il n’y avait pas de différences avec les Français, « enfin…à deux, trois choses près ».
« J’allais à l’école, on n’avait pas de problème, on était que des enfants. J’étais scolarisé avec les Européens et il n’y avait pas de différence avec nous, mis à part le fait que nous étions considérés comme indigènes, donc que nous n’avions pas la possibilité de continuer nos études après l’obtention du certificat d’études ».
Ce « à deux, trois choses près » interpelle, car il révèle en vérité une différence de traitement majeure, qui me rappelle le témoignage de Boualem. Ce dernier m’avait en effet parlé d’une sorte de plafond de verre, en disant que la France voulait former le « futur prolétariat » en empêchant ceux qu’elle considérait comme « indigènes » d’étudier sur son sol – ce témoignage arrivera sous peu.
L’indigénat.
Illustration par Kenza B.
« Les indigènes », c’est le nom qui était donné aux Algériens pendant la colonisation, par le gouvernement français. Comprendre le statut d’indigène, c’est quelque part mieux comprendre la colonisation et les ambitions dites « civilisatrices ».
Mis en place le 28 juin 1881 en Algérie et étendu en 1887 à l’ensemble des colonies françaises, le Code de l’Indigénat soumettait les « indigènes » à des règles différentes de celles des citoyens français. Les Algériens musulmans se voyaient ainsi appliquer des peines spéciales. Par exemple, le droit de vote leur était en général refusé, ou accordé de manière très restrictive. La police et l’administration pouvaient également les emprisonner ou leur infliger des amendes sans jugement. Des journées de travail non rémunéré pouvaient être imposées pour contribuer à l’entretien des routes et des travaux publics.
La citoyenneté française n’était que rarement accordée aux indigènes. Ferhat Abbas, premier président du Gouvernement provisoire de la République algérienne, et ancien chef nationaliste algérien, disait ainsi en ce sens : « Quand un Algérien se disait Arabe, les juristes français lui répondaient : non, tu es Français. Quand il réclamait les droits des Français, les mêmes juristes lui répondaient : non, tu es Arabe ! ».
Ce n’est qu’en 1946 que le Code de l’Indigénat prit fin. Par sa mise en place, la France a donc instauré des discriminations structurelles, révélatrices de la conception que la puissance coloniale avait des populations déjà présentes sur le territoire nouvellement conquis, et légalisé leur exclusion et leur assujettissement. Ainsi, Mohamed m’apprend par son témoignage que c’est ce statut d’indigène qui l’empêchait de continuer ses études.
L’adolescence dans la guerre
Mohamed m’explique que s’il ne voyait pas de différence de traitement lors de son enfance, il a commencé à remarquer un changement seulement lors de son adolescence, c’est la fin de l’insouciance de son enfance. « Vers l’âge de 16 ans, je commençais à remarquer les militaires français sillonner les villes, contrôler les gens. » On est en 1958, Mohamed évoque une « guerre atroce », il insiste sur la peur des interrogatoires menés par les autorités, qui menaient souvent à « de la torture et à des morts ». En tant qu’adolescent, comme d’autres jeunes de son âge, il raconte qu’il devait faire face à « des contrôles fréquents ». Les soldats français se méfiaient des jeunes hommes et n’hésitaient pas à « établir des contrôles envers les Algériens suspects, qui auraient des liens directs ou indirects avec les hors la loi – à savoir la résistance ». La peur du contrôle régnait car cela« pouvait aller de simples interrogations, jusqu’à la torture. »
A côté de la patrouille française, Mohamed me décrit également « la présence et la surveillance de nombreux harkis, exécutés ensuite par les moudjahidines ». « Les Algériens qui étaient du côté des Français étaient méchants et portaient des armes contre leurs frères au djebel – maquis.».
Le début d’une vie d’adulte, celle de l’indépendance
L’indépendance, c’est le début d’une vie nouvelle, c’est la victoire de l’exercice du droit à l’autodétermination du peuple Algérien, une nouvelle ère, la fin de plus d’un siècle de colonisation française. « Les gens étaient heureux » lors de l’indépendance, ils « chantaient, se promenaient avec le drapeau Algérien, ils étaient contents ». Mais Mohamed m’explique très vite que bien que l’indépendance a amené un sentiment de joie, tous ont été marqués par le combat qui y a mené, et nombreux sont ceux qui ont perdu « leurs pères, tués en tant que moudjahidine – combattants ».
Deux ans après l’indépendance, à l’age de 22 ans, Mohamed commence à travailler à la Poste, où il restera jusqu’à ses 60 ans.
Explication du dessin et ressenti de Kenza, 20 an
« Pour moi, quand tu m’as expliqué l’indigénat, c’est comme si les Français avaient stigmatisé les Algériens en leur enlevant tout avenir dès leur enfance, dès leur naissance. Du coup, je me suis dit que le lieu symbolique de l’égalité entre nous tous serait la maternité: on n’a encore rien fait de notre vie. J’ai décidé de colorier uniquement le bébé Algérien pour faire référence d’abord à l’appellation « homme de couleur » mais aussi pour bien le faire ressortir et accentuer sa stigmatisation. Puis il y a le fait que tous les autres bébés dorment paisiblement, mais lui a déjà l’air soucieux et c’est le seul qui regarde en face. Ça rappelle aussi le fait que tout le monde voyait ce qu’il se passait, mais fermait les yeux face à ces injustices. »
Merci à Dahmane pour la mise en contact avec son père, à Kenza pour l’illustration, à Camille pour la relecture
Récits d’Algérie est un projet collaboratif et intergénérationnel né de la volonté de collecter les mémoires de nos aînés au sujet de la guerre d’indépendance algérienne, de la colonisation à l’indépendance.
La parole de ceux qui ont vécu ces évènements se faisant désormais rare, il est devenu nécessaire de réaliser ce devoir de mémoire.
Pour certains ce sont nos parents, nos grand-parents, nos tantes, nos oncles…Nous côtoyons ces générations, et il est désormais temps de rendre hommage à leur vécu, en faisant sortir leurs récits des foyers. C’est vouloir dire enfin ce passé commun issu de la présence française en Algérie et, surtout, c’est vouloir transmettre la mémoire de nos aînés.
– Farah, fondatrice de Récits d’Algérie.
En février 2020, Farah lance le site internet Récits d’Algérie et collecte les récits qu’on accepte de lui confier. Petit à petit, de plus en plus de contributeurs souhaitent nourrir le projet.
Le site s’enrichit ainsi des travaux de chacun, les thèmes des publications se diversifient et l’équipe de contributeurs s’agrandit.
Les récits sont accompagnés d’articles historiques, de recommandations culturelles, littéraires, artistiques. Les contributions ne sont plus ponctuelles mais deviennent de plus en plus régulières. Un noyau dur se forme alors. Un an après, en avril 2021, l’association Récits d’Algérie voit le jour, avec près d’une dizaine de membres actifs.
Comprendre son héritage historique et familial, pour transmettre et ne pas oublier. Ismaël partage avec nous une partie de son histoire personnelle : les récits de sa grand-mère.
” J’ai vécu des misères noires et aujourd’hui mon fils j’attends que la mort vienne me chercher. Je suis bientôt dans ma tombe, j’attends d’être au Paradis insha’Allah.”
Fatma Boukhalfa n’a jamais eu d’anniversaire. Elle n’a jamais connu sa date de naissance mais elle en a vécu des choses depuis. Sur sa carte d’identité il est écrit 31 décembre 1918 mais elle vous dira qu’elle a plus encore. Elle a vécu plus de choses qu’une vie pourrait en raconter. Mais pour lui rendre hommage, pour que nous n’oubliions pas et aussi peut-être pour nous inspirer, je vais essayer de vous raconter l’histoire de ma grand-mère. Elle qui me l’a partagée avec pudeur, distance même, et bien qu’elle ne sache ni lire ni écrire a dépeint tantôt en arabe tantôt en français des scènes de sa vie avec un sens aiguisé de la formule et de l’image. Son histoire est l’histoire de nombreuses femmes, celles que nous voyons aujourd’hui déambuler de plus en plus difficilement dans nos villes et qui sont les gardiennes d’une mémoire commune. La mémoire de l’Algérie colonisée, de l’Algérie en guerre et de l’Algérie indépendante.
Sa mère venait d’El Eulma une petite ville entre Sétif et Constantine. Un soir, son grand-père décide de mettre toute sa famille sur une charrette tractée par un cheval et quitter la maison direction l’est du pays et la ville de Guelma. Il venait tout juste de tuer un homme d’un coup mal placé alors que ce dernier était venu lui disputer l’eau qu’il puisait à un point d’eau. “Mon grand-père devait avoir un ami à Guelma, c’est pour cela qu’il est allé jusqu’à là-bas, ce n’était pas la même époque.” Sa mère était donc une kabyle qui n’avait jamais vraiment réussi à s’intégrer à une Algérie arabe. Elle se maria tout de même à un chaoui du nom de Ali Boukhalfa avec qui elle eut 3 enfants, Fatma, Brahim et Saïda .
“Ma mère ne parlait pas très bien arabe mais mon père n’a jamais voulu qu’elle nous parle en kabyle.”
Fatma est l’aînée de la famille. Sa mère est une sorte de sage-femme qui soigne les gens. Son père lui, est un fermier et agriculteur. Il meurt subitement dans des circonstances floues alors que sa mère est enceinte de sa petite sœur et que Fatma n’a pas encore dépassée les 10 ans. Alors veuve et enceinte, sa mère se rend chez son frère, comme le veut la tradition en cas de décès du mari. Ce dernier accepte de s’occuper de sa sœur mais refuse d’accueillir chez lui des ” enfants d’arabe”. “Je me souviens que quand mon oncle a dit ça, ma mère s’est mise à pleurer. Le frère de mon père est celui qui nous avait amené jusqu’ici. Il était grand et fort, il attrapa mon oncle par le cou et dit à ma mère que désormais ça serait lui son frère et qu’ils nous accueillerait dans sa maison avec sa propre femme et ses enfants.” C’est donc son oncle paternel qui l’élèvera elle, son petit-frère Brahim bien aimé et sa petite-sœur, Saïda. “Je n’ai plus jamais revu mon oncle maternel après cet épisode. Parfois ma mère sortait sur le pas de la porte en pleurs et appelait son frère. Elle ne l’a plus jamais revu.”
À cette tristesse, vint s’ajouter le deuil. Sa petite sœur mourut prématurément, une maladie infantile que nous aurions pu soigner facilement aujourd’hui mais que l’époque ne permettait pas. Après la mort de sa sœur, c’est celle de son oncle que Fatma doit affronter. “Quand mon oncle est mort c’est le père de Hada (un cousin) qui s’est occupé de nous.”
Fatma a grandi. Elle n’est pas encore mariée quand elle se rend chez une des femmes de la ville pour se faire tatouer. Des croix, des traits, des bonhommes, des étoiles et des fleurs parsèment ses bras et son front. “Elle m’a tatoué avec une aiguille, de l’encre et du charbon. J’ai beaucoup saigné ca me faisait mal mais je voulais être belle.”
Aujourd’hui encore ma grand-mère nous surprend parfois parée de belles gandouras aux broderies de fils dorés qu’elle a cousus elle même et du khôl sous les yeux. Elle a toujours voulu être libre et belle. Depuis que je suis petit elle se surnomme parfois en rigolant Madonna. Aujourd’hui quand on lui dit qu’elle est belle elle nous répond : “J’ai des rides, c’est fini la beauté ! C’est haram mais j’aurais aimé allé voir le médecin pour qu’il me les retire avec des piqûres… Mais bon… Dieu m’a fait comme ça, je les garde jusqu’à ma mort”. Âgée de 15 ans, elle se marie avec un jeune homme sortant tout juste de son service militaire et qu’on lui avait présenté comme étant de bonne famille : Ahmed Harkett. “Il était gentil avec moi, il me prenait dans ses bras. Il avait 20 ans. Après notre mariage nous avons eu ta tante Sakina et aussi des jumeaux mais qui sont mort bébés. On avait une petite maison avec un peu de champ dans un village pas loin de Guelma. On a vécu 6 ou 7 ans de mariage.”
Un jour où elle rend visite à sa mère avec son frère Brahim et sa fille en bas âge, sa mère est prise de maux de tête. “Elle faisait son dhikr avec le tasbih (mots à la gloire et au rappel de Dieu) comme d’habitude, puis d’un coup elle nous dit qu’elle a mal à la tête. Elle s’allonge le temps que je lui ramène un verre d’eau. Juste après avoir bu une gorgée de son verre, elle ferme ses yeux et ses lèvres arrêtent de faire le dhikr. Elle venait de mourir, comme ça, d’un seul coup. Mon frère Brahim miskine était encore jeune. (Elle mime des larmes sur son visage en mettant son doigt en dessous de l’oeil et en descendant rapidement jusqu’au menton avant de reprendre.) J’aurais dû la prendre en photo, j’aurais pu la voir encore aujourd’hui et je vous l’aurais montré. Elle me l’avait dit en plus, elle voulait que je la prenne en photo pour que je la garde avec moi si elle meurt. Je faisais le ménage chez une française qui prenait des photos, j’aurais pu. Je ne l’ai pas fait et je regrette”. Cette nouvelle épreuve dans la vie de Fatma en annonçait malheureusement une autre. Elle a une vingtaine d’années, sa fille 4 ou 5, et elle est à nouveau enceinte quand l’annonce de la fin de la Seconde Guerre mondiale retentit à Guelma.
Guelma, la ville de naissance de l’une des figures de proue du FLN (Front de Libération Nationale) , Houari Boumediene, était connue pour ses mouvements nationalistes et indépendantistes. Le 8 mai 1945, à l’annonce de la victoire des alliés contre le nazisme, les Guelmois réclament leur indépendance face à l’empire colonial français en hissant des drapeaux algérien et des pancartes indépendantistes. Une manifestation réprimée par l’empire français qui fera 3 000, 8 000, 15 000, 20 000 ou 30 000 morts selon les différents historiens.
“Ahmed (son mari) travaillait avec le PPA. Le jour de la manifestation, les soldats français lui ont cassé le nez et la bouche puis l’ont tué. Je me souviens qu’il y avait plein de morts dans la rue, on avait creusé un trou pour tous. Il y a une femme que j’avais reconnue à sa ceinture parce qu’elle n’avait plus de visage. D’autres étaient lumineux, des anges avaient écrit sur leurs fronts mais je ne sais pas lire… les shuaadas…”. Alors veuve, orpheline et la mère d’une fille en bas âge, Fatma va accoucher de son fils Rachid dans ce contexte terrible.
“Dans notre maison, il y avait un trou dans le toit. Quand il faisait chaud le soleil y entrait et quand il pleuvait la pluie y entrait aussi. Il n’y avait rien à manger. C’était la misère. Mon fils Rachid est mort de faim, c’était encore un bébé.”
Sa maison avait brûlé. Le traumatisme et les années ont estompé ce souvenir à tel point qu’elle ne sait plus qui l’avait incendié ni à quel moment cela arrive dans sa vie. Elle rejoint donc son frère avec sa fille. Elle réussit à trouver un travail de domestique et est logée chez des colons. Son frère Brahim lui est jardinier pour cette même famille de colon, une branche de la famille Schneider.
La guerre d’Algérie éclate, elle travaille toujours comme domestique pour diverses familles de colons. Mais en ces temps de guerre, il valait mieux pour une mère seule avec sa fille de se marier. “Je ne voulais pas me remarier mais j’avais peur pour ma fille et pour moi. On ne sait jamais ce qui peut arriver.”
Fatma rencontra et épousa donc Abd-el-Kader Guerrib, un notable algérien, commerçant, lettré et garde-champêtre vers 1958. Un homme divorcé qui avait déjà 5 enfants et marié à une autre femme. Il était grand et avait les yeux bleus. Elle partagea son mari avec cette autre femme et accueilli les enfants du premier mariage. Donnant même le sein à la plus petite des enfants qui était encore bébé. Elle s’occupait de tous les enfants car sa maison était la plus proche de l’école. “Abd-el-Kader était gentil avec moi. Mais pas avec les autres. La femme qu’il avait divorcé voulait voir ses enfants et venait parfois chez moi. Abd-el-Kader ne voulait pas qu’elle les voit. Un jour il rentra du travail alors qu’elle était là. Je l’ai cachée derrière un rideau et quand Abd-el-Kader m’a dit qu’il y avait quelqu’un chez moi et qu’il m’a demandé qui c’était je lui ai répondu que j’invitais qui je voulais chez moi. Tant que ce n’était pas un homme il n’avait rien à redire. Il avait compris qui était là mais il était parti en nous laissant tranquille.”
La liberté revenait peu à peu dans la vie de ma grand-mère, bien que la guerre n’était pas officiellement terminée. Elle avait un travail, une maison, un mari (qui voulait dire une sécurité), sa fille avait un peu moins de 20 ans maintenant. Comme sa mère, Fatma est une sage-femme et soigne les gens en plus de faire les ménages. Son nouveau mari travaillait avec le FLN selon ma grand-mère mais son histoire paraît bien plus trouble étant donné qu’il était garde champêtre, il travaillait de fait aussi avec l’administration française. “Il cachait tellement de gens à la maison, tout le temps. Un jour, il m’avait dit de porter des affaires pour le FLN sous ma gandoura en faisant comme si j’étais enceinte. On était passé en voiture devant des militaires en prétextant que je devais aller à l’hôpital. Le FLN avait même réquisitionné la voiture d’Abd-el-Kader… ” Abd-el-Kader faisait des allers-retours entre la France et l’Algérie pour son commerce. Il avait des camions de marchandises qui partaient de Guelma et ravitaillent les Douars du Sahara.
En 1962, l’Algérie devint indépendante et la France a eu besoin d’hommes pour relancer l’économie après la Seconde Guerre mondiale. Les Algériens nés pendant la colonisation avaient alors une carte d’identité de français musulman. Des entreprises diverses recrutaient alors des hommes dans les villes d’Algérie. Après son arrivée à Marseille, Abd-el-Kader passe par Lyon puis s’installe à Corbeil-Essonne. “Il m’a dit de venir le rejoindre, mais moi je venais tout juste de tomber enceinte. Je lui ai dit que je le rejoindrais après. Son autre femme elle n’a pas voulu le rejoindre et en profita pour divorcer puisqu’elle ne lui avait pas fait d’enfants“.
Un peu après la naissance de son fils (mon père), Fatma rejoint son mari en France avec sa fille et les plus jeunes enfants du premier mariage. Elle a un peu moins de 45 ans quand elle arrive en France, mon père lui n’a pas encore 1 an. “Pour des histoires de papier Abd-el-kader va chercher les enfants de sa première femme. Nous déménageons tous à Longjumeau (une ville du 91 près de Corbeille-Essonne).”
Abd-el-kader devient gardien de l’hôpital de la ville et Fatma, elle, fait les ménages et s’occupe de mon père et de mes oncles et tantes nés du premier mariage de mon grand-père. Toujours à la recherche de sa liberté, Fatma divorcera d’Abd-el-Kader quand celui qui était si gentil avec elle en Algérie se mit à devenir violent. C’est ainsi que mon père et ses demis-frères et sœurs furent dispersés dans différents foyers et familles d’accueil. La situation mis près de 5 ans à se stabiliser, 5 ans avant que ma grand-mère ne récupère la garde, 5 ans durant lesquelles elles vivra elle même en foyer pour femme et se demmenera pour rendre visite à mon père.
L’immense fierté de ma grand-mère : c’est mon père. C’est pour lui qui elle vint en France et c’est sur lui qu’elle cristallisa ses espoirs d’une vie meilleure. Malgré une enfance plus que difficile, des discriminations racistes tout au long de sa scolarité, mon père réussit, par son travail et le soutien indéfectible de sa mère, à ouvrir son propre cabinet en tant que kinésithérapeute ostéopathe. Il pu nous offrir à mes trois frères et moi, la vie que ni lui, ni sa mère, n’eut. Comme une épreuve de plus à celle qui en a déjà tant vécue, mon père contracta une maladie auto-dégénerative qui paralyse peu à peu ses nerfs et le prive de l’usage de ses différents membres.
J’ai toujours su que ma grand-mère avait traversé des épreuves dures mais je n’avais jamais osé lui demander de m’en parler. Je portais cette histoire implicitement, sans la connaître ni la comprendre. Aujourd’hui, en écrivant ce témoignage, en osant interroger ma grand-mère sur sa vie, je me réapproprie son histoire comme étant mon héritage. Une histoire de famille qui laissa des traces indélébiles dans la vie de mon père et qui s’exprima notamment dans l’éducation qu’il me donna.
Maintenant je comprends mon histoire et j’en suis pleinement fier. Je ressens le devoir de m’en montrer digne. Je ressens l’amour et l’espoir placé en mon père et dont j’ai la chance d’hériter. Je ressens le devoir de lui rendre hommage, de la préserver et de la transmettre à mon tour.
Le 6 octobre dernier, France 2 diffusait le documentaire “Décolonisations : du sang et des larmes”, réalisé par David Korn-Brzoza, co-écrit avec Pascal Blanchard. Baya et Wafâa l’ont regardé, et partagent avec nous leurs ressentis. C’est la recommandation de la semaine de Récits d’Algérie.
Une re-contextualisation nécessaire
L’histoire coloniale est indispensable pour comprendre la France du XXIe siècle. L’approche temporelle et notamment la mise en œuvre d’un continuum entre périodes coloniale et postcoloniale est inéluctable. Si le passé colonial rejaillit dans notre présent, plus de cinquante ans après les mouvements de libération face à l’impérialisme français, il faut peut-être admettre que cette résurgence est une nécessité aussi bien sur le plan historique mémoriel que sur le plan social. Aujourd’hui nous sommes face à deux approches de cette histoire : celle qui entend faire valoir les « bienfaits de la colonisation », amie du mutisme, et celle qui revient sur les sombres heures, extrêmement violentes, de la colonisation, pour en comprendre ses prolongements contemporains. De la première découle la loi du 23 février 2005 ou l’on peut lire, article 4 : « les programmes scolaires reconnaissent en particulier le rôle positif de la présence française outre-mer ».
Le colonialisme, qui traduit la volonté des nations européennes d’établir leur domination politique économique et culturelle sur le reste du monde, s’appuie sur la racialisation des identités. La France a peint sa toile de fond historique en labourant cruellement les pays colonisés et leur société, en y établissant les règles féroces d’un îlot capitaliste et en y installant la discrimination raciste comme norme des rapports humains. Et voilà qu’à présent, le documentaire en deux parties de Pascal Blanchard et David Korn-Brzoza, « Décolonisations, du sang et des larmes » est diffusée en prime time sur France 2, une chaine du service public français. Une partie de l’histoire de la France et de plusieurs anciennes colonies françaises, est retracée à travers deux films diffusés par le groupe de chaîne télévisées, France télévision. L’occasion d’en apprendre plus sur ce passé à travers des images d’archives mises en couleur.
L’accent sur le processus de décolonisation
Si l’on a, à de nombreuses reprises, entendu parler de colonisation, le terme de « décolonisation » est quant à lui moins commun. C’est ainsi que ce documentaire met l’accent sur cette partie de l’histoire, quelque peu mise sous le tapis, où des peuples tentent de se défaire de l’Empire colonial français. Un processus qui, comme l’évoque le titre du documentaire, a fait couler du sang et des larmes. De façon chronologiques, le documentaire retrace les différents évènements qui illustrent les moyens déployés par la France, dans l’objectif de garder la maîtrise de son Empire colonial.
La force de ce film documentaire réside d’abord dans l’utilisation d’incroyables images d’archives, mais aussi dans les témoignages de femmes et hommes, d’enfants et petits-enfants de victimes, de civils, de combattants… Tous impactés, directement ou indirectement par l’histoire coloniale et décoloniale qu’ils ont décidés de nous raconter. Il s’agit d’une histoire qui a marquée trois générations, cependant, le temps semble effacer ces évènements. Des documentaires comme celui-ci permettent de comprendre l’importance des mémoires quelles qu’elles soient. Les générations s’éteignent, entrainant avec elles des récits uniques. L’inscription de la mémoire d’individus ou de groupes d’individus dans la mémoire collective, est l’aboutissement de luttes entre des institutions et des acteurs antagonistes. Ces éléments sont essentiels pour combler le vide mémoriel de ce passé commun, et palier une vision très parcellaire du conflit.
Les récits d’une histoire mise sous tapis.
Une phrase marquante est prononcée dans ce documentaire : « On n’écrit pas l’histoire avec une gomme ». Ces paroles font échos à l’idée qu’une partie de l’histoire de France est trop longtemps restée tabou. On a souvent gommé la violence du système colonial. Si les programmes scolaires d’histoires sont vastes, certains évènements, notamment liés à la colonisation et décolonisation ne sont encore que très peu étudiés. En ce sens, un tel documentaire qui avant tout, comte l’histoire à travers les récits de personnes vivantes, permet de créer un certain lien avec le public, et notamment une nouvelle génération détachée. Il permet de réaliser à quel point les français ont cru en ce système colonial et à quel point ils en étaient fiers. Il permet aussi de réaliser le rôle central de la propagande au sein de cette démarche.
La diversité des récits
Finalement la mise à disposition de telles images et témoignages permet de réaliser qu’il s’agit d’une histoire collective, commune, que chacun peut tenter de comprendre et s’approprier, mais qu’elle reste aussi, pour des personnes, des récits personnels. Le côté personnel des récits se retrouve dans la diversité des témoignages. Du côté français, il ne pouvait pas en être autrement. L’existence de l’empire et des colonies étaient presque naturelle de par la puissance impérialiste Française : « De la même manière que la seine traverse Paris, la méditerranée traverse la France », peut-on écouter dans ce documentaire. C’est pourquoi des récits divers, d’Algériens, de Vietnamien, Malgache etc… mets finalement le spectateur et la France, face à la violence et la répression commise.
Enfin ce documentaire a permis de montrer les rapports de dominations encore existants entre la France sur ses anciennes colonies. Cela se manifeste par exemple par la mains mise sur les matières premières, les accords économiques d’intérêt unilatéraux (accords d’Evian) et la mise en place du Franc CFA.
Notre ressenti :
Dans les configurations mémorielles, la guerre d’Algérie occupe une place certes centrale vis-à-vis de l’histoire coloniale française, elle ne peut néanmoins pas résumer à elle seule plus de deux siècles de colonisation. La situation propre à chaque colonie a laissé des traces à élucider. Algérie, Madagascar, Vietnam, Maroc, Tunisie, Sénégal, Guinée Française, la Guadeloupe, l’île de la Réunion, le Cameroun, ont ensemble façonné des mouvements de libération des peuples colonisés.
Cette initiative, pour nous, a une importance. La démarche de Récits d’Algérie est semblable. Il s’agit de raconter l’histoire à travers des récits de personnes concernées de prêt ou de loin par la guerre d’Algérie, ayant servie le mouvement de décolonisation. Un tel documentaire est nécessaire, ne serait-ce que pour les récits qu’il a à nous offrir, aussi bien d’un coté de que de l’autre.
S’il est vrai que ce documentaire a très certainement ouvert une brèche, il reste par ailleurs énormément de travail à réaliser pour couvrir l’ensemble de cette histoire coloniale, qui rappelons le, a longtemps été enlisée. Il est selon nous, particulièrement riche et vaut le visionnage.
L’été 1962 marque l’indépendance de l’Algérie, dans un contexte d’effervescence, d’espoir, mais aussi, ne l’oublions pas, de craintes et d’incertitudes sur le plan politique. La perspective de l’indépendance devenant réalité, le FLN apparaît plus divisé que jamais. C’est alors l’été de la discorde (1). Riyad revient aujourd’hui sur la crise de l’été 1962 qui a forgé l’Algérie indépendante, posant les bases de son régime politique actuel.
Algérie, juillet 1962. Les forces politico-militaires coalisées sous l’égide du GPRA (gouvernement provisoire de la République algérienne), et celle de l’EMG (État-major général), autrement connu comme “le clan d’Oujda”, s’affrontent pour la souveraineté. La question de la légitimité du pouvoir se pose : d’un côté, la légitimité politique, de l’autre, la légitimité militaire. Sous le regard impuissant des Algériens, un été sanglant s’ouvre en juillet 1962. Le chapitre conclusif de la colonisation s’ouvre alors sur une entente impossible autour de ce que doit être l’Algérie indépendante.
De gauche à droite au premier rang : Mohamed Boudiaf (2e), Rabah Bitat (3e), Ahmed Ben Bella (4e) et Houari Boumediène (6e)
Le FLN miné par les luttes intestines
Depuis le congrès de la Soummam du 20 août 1956, la direction du FLN est en proie à une constante tension interne, les chefs politico-militaires se disputant le leadership de cette structure dépourvue d’un pôle de pouvoir centralisé. L’historien algérien Mohammed Harbi définit alors le FLN comme étant : « une structure fondée sur une multiplicité d’organisations quasi autonomes, juxtaposées et reliées à un centre (…) L’autorité de ce centre diminue au fur et à mesure que l’on descend du sommet vers la base. La bureaucratie qui gère ces organisations n’est pas régie par des règles, mais modelée par les relations personnelles. Les allégeances aux chefs de faction ne sont pas stables et évoluent au gré des circonstances. (2) »
La réunion du CNRA (Conseil national de la Révolution algérienne) d’août 1957 au Caire revient sur les dispositions politiques phares du congrès de la Soummam : la primauté du politique sur le militaire et celle de l’intérieur sur l’extérieur. Un leadership nouveau émerge, celui des « 3B », composé des colonels Krim Belkacem, Lakhdar Ben Tobbal et Abdelhafid Boussouf. On retrouve notamment les « 3B » au sein du GPRA.
De gauche à droite : Youcef Zighoud, Abane Ramdane, Larbi Ben M’Hidi, Krim Belkacem et Amar Ouamrane, lors du congrès de la Soummam, 1956.
Plusieurs affaires secouent le GPRA et aggravent la fracture entre l
es unités combattantes à l’est et la direction politique (3). L’affaire du « complot des colonels (4)» en 1958-1959 est, à ce titre, un exemple particulièrement significatif.
À partir de 1958 la situation de l’ALN se dégrade. Les barrages frontaliers rendent presque impossible la traversée des frontières et le ravitaillement des wilayas, tandis que les grandes opérations militaires françaises menées entre 1958 et 1959 ont rendu les maquis exsangues. Dans ce contexte, un ensemble hétéroclite de combattants aux frontières, communément nommé « armée des frontières » émerge et se structure progressivement. L’ALN de la frontière tunisienne souffrait d’un manque d’organisation et d’encadrement militaire, d’un régionalisme ambiant et d’une multiplication des cas de dissidences. Les officiers qui y ont servi témoignent de la même situation chaotique qui régnait à la frontière est (5).
La création, sur décision du CNRA, d’un État-major Général en janvier 1960, était une tentative de résoudre ces problèmes et de rendre à nouveau possible le ravitaillement des wilayas. Le CNRA confie la nouvelle entité au colonel Houari Boumediène. Celui-ci entreprend alors de remettre de l’ordre à la frontière, d’opérer une réorganisation du commandement et des unités et de consolider l’instruction militaire (6). Pour accomplir cette mission il compose un État-major composé de trois adjoints : le commandant Kaïd Ahmed, le commandant Ali Mendjeli et le commandant Azzedine. Le général-major Hocine Benmaalem écrit : « Boumediène sut tirer parti du chaos. Il prit les mesures d’urgence qui s’imposaient (7) ». L’EMG structura l’armée des frontières sur le modèle d’une armée classique, Boumèdiène devenant alors le « chef charismatique de l’armée des frontières qu’il réussit à unir sous ses ordres » (S.Arezki, 2018). D’après Khaled Nezzar, sous-lieutenant à l’époque, l’apport principal de l’EMG fut d’opérer un brassage régional au sein du commandement et des unités opérationnelles, afin de briser l’esprit régionaliste (8).
Les chefs de la Zone opérationnelle nord de l’EMG recevant le président du GPRA Benyoucef Benkhedda (en costume). De gauche à droite : capitaine Chadli Bendjedid (2e), capitaine Ahmed Ben Ahmed « Abdelghani » (4e), Commandant Abderrahmane Bensalem (6e). Frontière nord-est, 1961
En 1962, l’armée des frontières stationnée à l’ouest et à l’est est forte d’environ 30 000 à 32 000 hommes (dont la majorité est stationnée à l’est). Elle constitue alors une force disciplinée, formée et bien équipée, au service de son chef, dont les ambitions commencent peu à peu à apparaître au grand jour. Les premières tensions éclatent avec le GPRA lors de l’affaire du pilote français fait prisonnier en juin 1961.
Les accords d’Évian signés le 18 mars, entrent en vigueur le lendemain. Ils ont pour effets immédiats d’appliquer un cessez-le-feu sur l’ensemble du territoire et de libérer les prisonniers politiques algériens. Parmi eux, cinq chefs historiques du FLN arrêtés le 22 octobre 1956 : Hocine Aït Ahmed, Ahmed Ben Bella, Rabah Bitat, Mohamed Boudiaf, Mohamed Khider et Mostefa Lacheraf. L’EMG s’oppose à ces accords, qu’il juge défavorables à l’Algérie, accentuant la discorde avec le GPRA. Entre mars et juillet, alors que les structures de l’État colonial s’effondrent, la confusion s’installe et se généralise (9), notamment sous les actions de l’OAS. Le congrès de Tripoli (27 mai au 7 juin 1962), chargé de statuer sur un programme et une direction politique pour l’Algérie indépendante est lui-même sujet aux divisions idéologiques (10).
Le conflit ouvert : le groupe de Tlemcen contre le groupe de Tizi-Ouzou
Lorsque l’indépendance est proclamée le 5 juillet 1962, le FLN est plus divisé que jamais. En effet, le GPRA décrète la dissolution de l’Etat-major général le 30 juin, une décision refusée par l’EMG. Pour appuyer sa position et combler son manque de légitimité, Houari Boumediène contracte une alliance avec une figure historique du mouvement nationaliste : Ahmed Ben Bella.
Le 22 juillet, Ahmed Ben Bella proclame la formation d’un Bureau politique depuis Tlemcen ; Ce sera le « groupe de Tlemcen ». Le 25 juillet, des affrontements se déroulent en Wilaya II à Constantine et Bône (11), entre les maquisards du Colonel Salah Boubnider « Sawt al-arab (12) » et les bataillons de l’EMG soutenus par des dissidents de la Wilaya II (13). En réponse, Krim Belkacem, Mohamed Boudiaf et Mohand Ouldhadj appellent depuis Tizi Ouzou à la « résistance populaire » contre ce Bureau politique. A la fin du mois de juillet, deux nouvelles organisations politico militaires informelles émergent donc : le Groupe de Tlemcen et le Groupe de Tizi-Ouzou (14).
Les six Wilayas sont divisées et sommées de choisir un camp. Le Groupe de Tizi-Ouzou est composé de :
La Wilaya III du colonel Mohand Ouldhadj qui fait bloc derrière son chef historique Krim Belkacem.
La Wilaya IV qui lutte pour la prééminence du pouvoir politique.
La Wilaya II du colonel Salah Boubnider, qui reste fidèle à son ancien chef Lakhdar Ben Tobbal, membre du GPRA.
Le groupe de Tlemcen n’est pas non plus en reste de soutiens intérieurs :
La Wilaya I, dirigée de facto par le colonel Tahar Z’Biri (15). A. Mohand Amer écrit : « Le ralliement de la wilaya 1 au groupe de Tlemcen n’est pas le résultat de tractations ou de stratégie, il est la conséquence du déficit de légitimité du GPRA (16) ».
La Wilaya V qui fut dirigée par Boumediène se rallie presque mécaniquement à l’EMG. La subordination de cette Wilaya au groupe de Tlemcen est en partie favorisée par le fait que plusieurs cadres de l’EMG sont issus de l’ouest.
La Wilaya VI du colonel Mohamed Chaâbani. Si la Wilaya VI rejoint le groupe de Tlemcen, c’est qu’elle choisit en fait le « segment le plus fort du F.L.N » pour se faire réhabiliter (A. Mohand Amer, 2014).
Le groupe de Tlemcen dispose d’une force de frappe plus puissante, l’armée des frontières étant composé d’environ 30 000 djounouds alors que les maquis de l’intérieur comptaient environ 10 000 maquisards (17). Outre la supériorité numérique, l’ALN aux frontières disposait d’un meilleur équipement que celui des moudjahidines de l’intérieur, qui était rudimentaire. Enfin, le groupe de Tizi-Ouzou manque de cohésion. En son sein, la Wilaya IV fait presque cavalier seul sans faire acte d’allégeance au GPRA. La Wilaya II quant à elle, s’oppose à l’EMG sans formellement rejeter la légitimité de Ben Bella à avoir des ambitions hégémoniques sur le FLN. Dans une perspective pragmatique, l’opposition à Boumediène ne signifie pas pour autant une hostilité à Ben Bella (ce qui renforce ce dernier).
Les premiers affrontements éclatent dans le Nord Constantinois et à Alger, les 26 et 27 juillet. La Wilaya II tombe face aux bataillons de l’EMG et aux maquisards de la Wilaya I. Le 2 août, c’est un GPRA mené de facto par Krim Belkacem, mais vidé de ses dirigeants qui accorde une reconnaissance provisoire au Bureau politique ; Mohamed Boudiaf rejoint cette entité le lendemain. Le 29 août, de violents affrontements entre la wilaya IV et la ZAA (Zone autonome d’Alger (18)), éclatent à la Casbah d’Alger.
Les forces de la coalition de Tlemcen en direction d’Alger, 1962
La population, épuisée et excédée, descend dans les rues et crie “Sab’a snîn barakat !” (Sept ans ça suffit !). Suite à ces évènements, Boudiaf démissionne du Bureau politique. Les maquisards de la wilaya IV sont rapidement écrasés par la coalition de Tlemcen. Ahmed Ben Bella s’impose donc comme le grand vainqueur politique de cette confrontation ; l’état-major général contrôle quant à lui l’ensemble du pays à l’exception de la Kabylie (19). Le 25 septembre 1962, Ahmed Ben Bella devient président du Conseil des ministres, devenant de facto le chef de l’État, tandis que l’assemblée nationale constituante prend ses fonctions avec Ferhat Abbas comme président ; c’est la naissance de l’État algérien contemporain.
Une indépendance confisquée ?
Dans un imaginaire populaire entretenu par une longue tradition contestataire, la crise de l’été 1962 est souvent considérée comme la confiscation de l’Etat et du pays par les militaires, et plus précisément, par le « clan d’Oujda ».
L’été 1962 était une période de transition chaotique. Le FLN n’étant pas préparé à se substituer à l’Etat colonial, l’Algérie a connu une situation anarchique et un vide politique. Cette crise est structurée par des mécanismes d’affiliations idéologiques certes, mais aussi – et surtout – par des mécanismes d’affiliations claniques, régionalistes et par les ambitions personnelles. On ne peut attribuer l’échec du GPRA à s’emparer du pouvoir aux seules ambitions de ses opposants. Le large discrédit qui frappait le GPRA depuis 1961 au sein de l’ALN de l’intérieur a joué en faveur de l’ALN de l’extérieur.
La primauté du militaire sur le civil ne fut pas consacrée en 1962, cette question fut réglée lors du CNRA d’août 1957 au Caire, les chefs de l’ALN avaient récupéré la « Révolution (20)», qu’ils estimaient être leur œuvre. Avaient-ils vraiment tort ? Dans l’immense majorité de ce pays encore essentiellement rural, le FLN était incarné par les moudjahidines issus de ce même monde rural. Ils étaient dépositaires de la légitimité de la souveraineté postcoloniale, aux yeux d’une société et d’une culture qui accordent du prestige au militaire et voient dans la guerre une activité noble (21). La primauté du militaire sur le civil reflète donc la réalité de la Révolution telle qu’elle s’est développée pendant la guerre (J.McDougall, 2017).
L’issue de cette crise voit donc la fondation de l’Etat algérien contemporain, qui prend la forme d’un régime autoritaire à parti unique, le FLN. Jusqu’à la fin des années 1970, la construction de cet État sera entreprise et marquée par ceux qui ont soutenu le groupe de Tlemcen (bien que le coup d’Etat du 19 juin 1965 vienne renouveler la classe dirigeante). Toutefois la crise ne se règle pas uniquement par la violence, elle se règle aussi par la mise en place d’un circuit de redistribution économique et sociale. Comme le relève Luis Martinez, la crise trouve une sortie dans « des débouchés économiques pour les principaux contestataires du pouvoir conquis par“l’armée des frontières”. À certains cadres et responsables politiques du GPRA sont octroyées des autorisations d’importation qui feront d’eux les futurs hommes d’affaires et grossistes de l’Algérie. Aux chefs des maquis de l’intérieur un habile découpage administratif du territoire assure des positions de notables locaux (22) ».
Dans la continuité des pratiques internes du FLN pendant la guerre, le nouvel Etat algérien est irrigué par les pratiques clientélistes et régionalistes. Il se révèle vite être l’assemblage complexe de plusieurs clans confédérés qui se forment sur des critères variés (23). Devenu président en 1965, Houari Boumediène reconnaitra que « l’Algérie était divisée en clans. De 1965 à 1968 nous avons travaillé durement pour ramasser tous ces clans et en faire un État ». S’il est vrai qu’en soixante ans d’existence, le régime politique algérien a connu de nombreux changements et qu’il ressemble peu à celui instauré en 1962, une constante demeure : l’Armée nationale populaire (ANP) reste l’institution la plus solide et puissante de l’État.
Par Riyad (1) Une formule empruntée à Ali Haroun. Voir HAROUN Ali, L’été de la discorde : Algérie 1962, Casbah, 1999.
(2) HARBI Mohammed, « 12. Face à l’implosion du FLN », Une vie debout. Mémoires politiques, Tome 1 : 1945-1962, La Découverte, 2001, p. 356-382.
(3) BENDJEDID Chadli, Mémoires Tome 1 : Les contours d’une vie (1929-1979), Casbah éditions, Alger, 2012.
(4) HARBI Mohammed, « Le Complot Lamouri », Dir. Charles-Robert Ageron, La Guerre d’Algérie et les Algérien 1954-1962, IHTP (Institut d’histoire du temps présent), Paris, Armand Colin, p. 151-179
(5) On peut notamment citer les témoignages de Khaled Nezzar, Chadli Bendjedid, Hocine Benmaalem et Mohamed Zerguini.
(6) AREZKI Saphia, De l’ALN à l’ANP, la construction de l’armée algérienne : 1954-1991, Alger, Barzakh, 2018.
(7) BENMAALEM Hocine, Mémoires du Général-major Hocine Benmaalem, Tome 1 : La guerre de libération nationale, Alger, Casbah éditions, 2014.
(8) NEZZAR Khaled, Journal de guerre 1954-1962),
(9) STORA Benjamin, « 12. La victoire et ses divisions », La gangrène et l’oubli. La mémoire de la guerre d’Algérie, Dir STORA Benjamin, La Découverte, 2005, p. 173-179.
(10) MCDOUGALL James, A History of Algeria, Cambridge University Press, 2017.
(11) Aujourd’hui Annaba
(12) La voix des arabes en français, il s’agit du nom de guerre de Salah Boubnider.
(13) Une dissidence menée notamment par le commandant Larbi Berdjem.
(14) Amar Mohand Amer, « Les wilayas dans la crise du FLN de l’été 1962 », Insaniyat, 65-66, 2014, 105-124.
(15) ZBIRI Tahar, Mémoires du dernier chef historique des Aurès : 1929-1962, Alger, ANEP, 2008.
(16) Amar Mohand Amer, « Les wilayas dans la crise du FLN de l’été 1962 », Insaniyat, 65-66, 2014, 105-124
(17) RAHAL Malika, « 9. La démobilisation », Algérie 1962. Une histoire populaire, Dir. RAHAL Malika, La Découverte, 2022, p. 158-177.
(18) Ne pas confondre avec la ZAA de la bataille d’Alger en 1957. Cette zone en question est une entité nouvelle crée en 1962 et conteste le contrôle d’Alger à la Wilaya IV. Elle fait parti de la coalition de Tlemcen.
(19) STORA Benjamin, AKRAM Ellyas. « CRISE DE L’ÉTÉ 1962. (Algérie, juillet-septembre 1962) », , Les 100 portes du Maghreb. L’Algérie, le Maroc, la Tunisie, trois voies singulières pour allier islam et modernité, Dir STORA Benjamin, AKRAM Ellyas. Éditions de l’Atelier, 1999, pp. 133-134.
(20) Ici la « Révolution » doit être comprise comme une organisation (Nidham), et non pas comme un concept doctrinal.
(21) CARLIER Omar, Entre nation et djihad : histoire sociale des radicalismes algériens, Paris, Presses de Sciences po, 1995.
(22) MARTINEZ Luis, La guerre civile en Algérie, Khartala, Paris, 1998.
(23) OUAISSA Rachid, La classe-Etat algérienne 1962-2000, Une histoire du pouvoir algérien entre sous-développement, rente pétrolière et terrorisme, Publisud, 2010.
(24) FRANCOS Ania, SÉRÉNI J-P, Un algérien nommé Boumediène, Paris, Stock, 1976.
Après ce rapatriement – le sixième en six mois par l’administration Biden – 30 prisonniers demeurent emprisonnés à Guantánamo
(Baie de Guantánamo, Cuba) L’armée américaine a rapatrié jeudi en Algérie un prisonnier qui avait été détenu à Guantánamo sans inculpation pendant plus de 20 ans, alors que l’administration Biden poursuit ses efforts pour réduire le nombre de détenus sur la base navale.
Le prisonnier, Said bin Brahim bin Umran Bakush, âgé de 52 ans, faisait partie de la vingtaine de combattants présumés de bas niveau qui ont été arrêtés par les services de sécurité pakistanais lors d’un raid mené en 2002 à Faisalabad contre des habitations considérées comme des refuges d’Al-Qaïda. Les combattants présumés ont finalement été emmenés à Guantanamo Bay.
À la suite de sa libération, il reste dans la prison du Pentagone à Cuba un seul prisonnier capturé lors du raid. Les autres ont été transférés ou rapatriés.
PHOTO ALEX BRANDON, ASSOCIATED PRESSPrison de Guantánamo
Les avocats qui ont tenté de s’entretenir avec M. Bakush l’ont décrit comme un homme reclus. Il a boycotté les audiences au cours desquelles son aptitude à être libéré a été examinée et est resté la plupart du temps dans sa cellule du camp 6, le bâtiment de la prison où les captifs coopératifs sont détenus et autorisés à manger, prier et regarder la télévision ensemble.
H. Candace Gorman, une avocate de la défense établie à Chicago qui représente M. Bakush depuis 17 ans, a déclaré qu’il avait cessé de la rencontrer en 2017 ou 2018.
M. Bakush n’a jamais été marié et n’a pas d’enfants, mais il pourrait avoir de la famille éloignée en Algérie.
Preuve de la dangerosité future d’un détenu
Dans un premier temps, les forces américaines ont identifié le prisonnier comme étant un Libyen nommé Ali Abdul Razzaq, et ce nom figurait dans les documents déposés auprès du tribunal fédéral. Mais avec le temps, il s’est identifié comme Said bin Brahim bin Umran Bakush et a déclaré qu’il était algérien.
Au moment de l’audience de 2021, les services de renseignement américains avaient conclu qu’il avait « probablement suivi un entraînement de base et avancé en Afghanistan et qu’il avait ensuite servi d’instructeur dans un camp extrémiste avant sa capture ».
Un officier de l’armée américaine représentant les intérêts de Bakush a déclaré qu’« il préfère être seul et passe beaucoup de temps dans sa cellule », ajoutant qu’il a peu d’éducation et aspire à acheter un camion et à devenir chauffeur-livreur.
En 2018, les avocats ont essayé d’utiliser son cas pour amener les tribunaux fédéraux à fixer une norme plus élevée pour l’évaluation des renseignements recueillis contre les hommes dans les premiers jours de Guantanamo Bay. Mais cette tentative a échoué.
Ils ont également fait valoir qu’à l’approche des 20 ans de détention, le gouvernement américain devrait être tenu de prouver la dangerosité future d’un détenu d’une manière plus proche d’un internement civil pour des raisons psychiatriques. La Cour suprême a refusé de se saisir de l’affaire en 2021.
Objectif : fermer la prison
Le rapatriement de M. Bakush est le sixième transfert fait en six mois par l’administration Biden qui, dans ses déclarations, a décrit chaque libération comme conforme à son objectif de « réduire de manière responsable la population de détenus et, à terme, de fermer le centre de Guantanamo Bay ».
À l’heure actuelle, 16 des 30 hommes détenus à Guantánamo peuvent prétendre à un transfert, mais les négociations diplomatiques seront plus complexes que pour les récents rapatriements. Il s’agit de 11 Yéménites, de 1 Libyen et de 1 Somalien qui, en vertu de la loi, ne peuvent être renvoyés dans leur pays d’origine. Les négociations visant à trouver des pays susceptibles d’accueillir certains de ces hommes remontent à l’administration Obama.
En outre, les avocats d’un criminel de guerre reconnu, Abd al-Hadi al-Iraqi, sont à la recherche d’un pays susceptible de l’accueillir dans le cadre d’un accord de plaidoyer qui lui permettrait de bénéficier de soins médicaux. M. Hadi, âgé d’une soixantaine d’années, est handicapé en raison de la détérioration de sa colonne vertébrale et a subi six opérations du dos et du cou à Guantanamo Bay depuis 2017.
Au fil des ans, 780 hommes et garçons ont été détenus à Guantanamo Bay, dont la population maximale était d’environ 660 personnes en 2003. Tous ont été amenés là sous l’administration de George W. Bush.
« La grande majorité de la jeunesse française qui a un lien avec l’Algérie veut des relations apaisées ». Elle réclame ce que Karim Boussahoun appelle le « droit à l’amnésie. » Il s’en explique
Centre ville d' Alger, capitale de l’Algérie. | ARCHIVES OUEST FRANCE/STÉPHANE GEUFROI.
La grande majorité de la jeunesse française qui a un lien avec l’Algérie veut des relations apaisées. Elle réclame ce que j’ai appelé dans le livre « Quatre nuances de France » le « droit à l’amnésie. » Ce qui signifie un quotidien et une imagination non tributaires de la rancœur. La lucidité, oui. La justice devant l’Histoire, évidemment. Mais critiquer le régime algérien ou supputer sur son avenir, non. L’Algérie est un grand pays, et il faut la laisser tranquille. La France est un grand pays, et sa politique extérieure doit être digne de celle d’une amitié entre deux peuples.
Je reviens de deux semaines en Algérie. Mes deux parents étaient nés là-bas, en ce siècle de tourmente, « à l’époque française. » L’Algérie a bien changé depuis. Dans tous les cercles, de l’agriculteur au magnat, on aime la France tout comme on aime l’étranger, d’où qu’il vienne. À l’image des centaines de milliers de Français nés de parents algériens, je ne ressens ni la douleur du passé, ni d’angoisse pour l’avenir. Je navigue avec joie de part et d’autre et partage l’immense espoir réciproque des jeunesses. Rien n’arrêtera chez moi cet amour pour les deux pays, la France et l’Algérie. Ni la mer, ni les visas. Mon âme voyagera librement, comme les poussières de sable rouge que porte le Sirocco.
Tout n’est pas rose car les familles de Pieds noirs, les descendants de harkis et des appelés sont marqués dans leur chair par la guerre. Parmi les 1 150 000 Français descendants de parents algériens, les repères sont parfois encore difficiles à trouver. Entre culture d’origine et choix de vie occidental.
Côté clair, côté obscur
Mais il faut regarder le verre à moitié plein. La première communauté de France est algérienne. 30 000 Français ont élu résidence en Algérie où les réseaux diplomatiques sont pléthoriques. La balance commerciale de la France avec l’Algérie a toujours été positive. De l’autre côté de la rive, et d’ailleurs dans tout le monde arabe, l’Algérie est surnommée « Bilad million chahid », le pays au million de martyrs. On n’efface pas 132 ans d’occupation violente d’un revers de la main.
Pourtant, je ne connais pas pays arabe plus francophile que l’Algérie. Sur le plan stratégique, l’Algérie, deuxième force militaire en Afrique, plus grand pays d’Afrique, dixième au rang mondial, est une puissance régionale. Elle joue un rôle de médiateur efficace pour la stabilisation de certains États du Sahel, comme en témoigne l’accord d’Alger de 2015 pour la paix et la réconciliation au Mali. L’Algérie aux avant-postes pour le contrôle des flux humains, alliée face à la montée du djihadisme, et garde-fou face à l’effondrement de la Lybie qu’elle a tout fait pour empêcher…
L’Algérie regarde loin devant. Au point de vouloir intégrer – et bien lui en prend – le groupe des BRICS. La stabilité des institutions et la « Nouvelle Algérie » initiée par le président Tebboune incarnent ces objectifs. Ils rencontrent, de ce côté-ci de la mer, un président Macron désireux de renforcer « l’amitié » et la coopération franco-algérienne. La Déclaration d’Alger du 27 août 2022 a scellé une démarche de rapprochement inédite.
Côté clair, l’observateur passionné que je suis en a ressenti une grande satisfaction. Côté obscur, les dérapages individuels ne doivent pas porter préjudice à cette démarche. Les propos de l’ancien ambassadeur Xavier Driencourt, que l’opinion algérienne a trouvés à juste titre insultants, « n’engagent pas la France », comme l’a rappelé le Quai d’Orsay.
(*) Conseiller politique, philosophe et essayiste. Co-auteur du livre d’entretien « Quatre nuances de France » paru en 2015 (Salvator) avec Xavier Driencourt et Rachid Arhab ; co-auteur de « Faire réussir la France » (2022) sous la direction de Jacques Attali.
Ouest-France Karim BOUSSAHOUN (*). Publié le 22/04/2023 à 07h00
Commission mixte algéro-française Histoire et Mémoire a tenu, mercredi, sa première réunion par visioconférence durant laquelle la partie algérienne a présenté une feuille de route conformément aux principes fondamentaux énoncés dans la « Déclaration d’Alger » signée entre le président de la République, M. Abdelmadjid Tebboune et son homologue français, M. Emmanuel Marcon, et dans la déclaration du Comité intergouvernemental de Haut niveau (CIHN), indique jeudi un communiqué de la Présidence de la République.
« La Commission mixte algéro-française Histoire et Mémoire a tenu, hier, sa première réunion par visioconférence, durant laquelle la partie algérienne a présenté une feuille de route conformément aux principes fondamentaux énoncés dans la Déclaration d’Alger signée le 27 août 2022 entre le président de la République, M. Abdelmadjid Tebboune et son homologue français, M. Emmanuel Marcon, et dans la déclaration du Comité intergouvernemental de Haut niveau, tenu à Alger les 9 et 10 octobre 2022 », lit-on dans le communiqué.
Durant cette rencontre, « les deux parties ont convenu du traitement de toutes les questions relatives à la période coloniale, la résistance et la Glorieuse guerre de libération », ajoute la même source, précisant qu’elles ont convenu également de « poursuivre la concertation et les contacts pour la mise en place d’un programme d’action futur, et de fixer les prochaines réunions de la Commission mixte ».
Les commentaires récents