Le Maroc pleure ses morts et le monde entier est saisi par une tristesse incommensurable. Elle est identique à celle que l'on ressent quand on accompagne au cimetière un être, un ami, que l'on vient de perdre.
La plus importante convergence de toutes les religions sans exception est que le sentiment ressenti en cet instant de deuil est identique chez l'espèce humaine où qu'elle soit et quels que soient ses couleurs et les préalables de ses vérités et ses croyances contradictoires. Ce rappel à la réalité et à la sagesse empoigne sans la moindre distinction en des instants de drame les hommes pour présenter l'incontournable vérité de l'existence.
La nature prouve indéfiniment avec une instance débordante de drames et de tragédies que les hommes sont égaux devant la mort et quand elle survient elle exige la particulière nudité crue. Alors dans un moment de lucidité, on tire un trait sur l'adage qui veut que le malheur n'arrive qu'aux autres.
A cet instant, les royaumes et les empires ne deviennent que des vues de l'esprit. La seule richesse ne réside plus que dans ce que peuvent offrir la miséricorde, la concorde et la solidarité.
Les Marocains, comme le reste du monde, ont en grand besoin. Toutes les mains qui leur sont aujourd'hui tendues revêtent une signification en or quand on voit que le peuple marocain est assuré que son malheur et son deuil sont partagés.
On avait encore les yeux et la conscience braqués sur le dévastateur séisme de la Turquie, sur les incendies, les inondations et la pandémie qui ont ravagé le monde entier. Survient subitement ce tressaillement de terre emportant plus de 2.000 Marrakchis.
Damnation s'il en ait s'apparentant à une énorme gangrène à laquelle le monde entier est soumis.
Elle est aussi coup de semonce pour confirmer que personne n'est à l'abri des furies naturelles et que chaque être, chaque Etat doivent avoir une suffisante intelligence pour tenter de se prémunir contre les gigantesques coups d'estoc d'une nature décidée à être fâchée.
Au lendemain du séisme meurtrier qui a endeuillé le peuple marocain frère et voisin, l'Algérie a aussitôt réagi en offrant son aide matérielle et humaine ainsi qu'en ouvrant son espace aérien aux vols humanitaires et médicaux à destination du pays éprouvé. Cet acte naturel et responsable est venu en parallèle avec les proclamations de très nombreux pays à travers le monde, tant le soutien à une population sinistrée quelle qu'elle soit relève de l'obligation morale.
Or, les liens fraternels, historiques et indissolubles entre les peuples algérien et marocain font que la réaction de notre pays ne sort pas de l'ordinaire, contrairement à ce qui a pu se dire ou s'écrire, ici ou là. Le séisme qui a frappé le Haut-Atlas, à moins de 100 km de la ville historique de Marrakech, a causé la mort de plus de 2500 personnes et des blessures plus ou moins graves à 2500 autres.
Comme il a aussi entraîné de terribles dommages aux habitations d'innombrables villages dont les habitants sont, désormais, totalement démunis. Mesurant l'ampleur du drame, l'Algérie ne s'est pas contentée de tendre une main secourable au peuple frère, elle a aussi pris l'engagement, comme l'indiquait le communiqué de la présidence de la République, sa disponibilité à «apporter tous les moyens humains et matériels si le royaume du Maroc en faisait la demande».
On sait que celui-ci n'a sollicité, pour le moment, que le concours de quatre pays alors que beaucoup d'autres, comme l'Algérie, ont eux aussi tendu la main au Maroc. C'est notamment le cas de la France, des États-Unis, de la Belgique, de la Hongrie, de l'Espagne, de la Turquie ou encore de la Russie, pour ne citer que ces pays-là. Mais le geste de l'Algérie revêt une signification particulière, compte tenu de la crise diplomatique profonde qui subsiste entre Alger et Rabat sur plusieurs dossiers bilatéraux et non pas, comme on se plaît souvent à l'affirmer, sur la question du Sahara occidental dont chacun sait qu'elle relève des prérogatives des Nations unies.
Il n'empêche que, dès l'annonce du séisme meurtrier, ces aspects ont été relégués au second plan et c'est tout le peuple algérien qui a exprimé sa peine profonde ainsi que sa compassion à l'égard du peuple frère avec lequel il partage un bien commun, à la fois cultuel, culturel et social. Par-delà les différends politiques, les liens traditionnels d'amitié et de solidarité restent indestructibles et constituent, sans aucun doute, le ferment d'un
Le tremblement de terre, de magnitude 7, au Maroc a fait au moins 2 500 morts selon le dernier bilan publié lundi 11 septembre. Le royaume chérifien et l’Algérie voisine, situés sur le point de contact entre les plaques africaine et eurasienne, ont connu d’autres catastrophes par le passé
Le bilan ne cesse de grimper. Les autorités ont annoncé lundi 11 septembre que le bilan du séisme de magnitude 7 qui a fait trembler la terre vendredi 8 septembre au Maroc a fait plus de 2 500 morts. Une catastrophe historique par son ampleur dans une région qui a connu de nombreux précédents.
Le Maghreb est situé sur des failles entre les plaques tectoniques africaine et eurasienne qui se déplacent continuellement du sud vers le nord. La plaque africaine s’enfonce sous la plaque eurasienne et rapproche ainsi l’Afrique de l’Europe de 6 millimètres par an. Cette friction continuelle entre les couches profondes de la croûte terrestre produit de l’énergie, qui est libérée de manière brutale à la surface sous la forme de tremblement de terre.
Ainsi, au Maghreb, la terre tremble quasiment tous les jours avec une fréquence moyenne de 50 séismes par mois. Ces séismes sont pour la plupart inoffensifs et même imperceptibles, tant leur magnitude, sur l’échelle de Richter, est faible. Ainsi, 90 % sont d’une magnitude inférieure à 3. Ils ne sont révélés que par les sismographes.
Pour autant, certaines secousses sont beaucoup plus dévastatrices. Le Maroc et l’Algérie ont connu des catastrophes majeures. La Tunisie, à l’écart des failles sismiques, a été plus épargnée.
Les secousses marocaines
Les témoignages historiques rapportent que la terre au Maroc a tremblé de manière plus ou moins régulière depuis 1079. À Melilla, dans le nord, à plusieurs reprises, en 1579 et plus violemment en 1660 avec d’importants dégâts, puis en 1792 et 1848. Dans la région d’Agadir et de Marrakech en 1719 et 1731.
Au vingtième siècle, les premiers sismographes sont installés (en 1910 en Algérie et 1937 au Maroc) et plusieurs séismes meurtriers sont enregistrés.
Le 27 décembre 1941, au Maroc, la ville côtière de Jadida, au sud-ouest de Casablanca, et ses 15 000 habitants sont frappés par un séisme de magnitude 6,6. C’était le plus puissant dans le pays avant le séisme de vendredi dernier. Le 29 février 1960, un séisme d’une magnitude de 5,7 a pour épicentre Agadir. La ville est détruite et un tiers de sa population périt.
Plus récemment, le 23 février 2004, un tremblement de terre d’une magnitude de 6,3 frappe Al Hoceima, une ville du nord du pays située sur la ligne de faille.
Trois séismes récents majeurs en Algérie
L’histoire sismique de la région est jalonnée d’événements semblables. En Algérie, le plus ancien séisme rapporté remonte à 1365. Ce tremblement de terre avait complètement détruit la ville d’Alger. À nouveau, en mai 1716, Alger est ravagée par un tremblement de terre qui fait 200 000 morts. Le 2 mars 1825, à Blida, 50 km au sud d’Alger, un séisme d’intensité cause la mort de 7 000 personnes.
L’histoire sismique récente a été marquée par trois principales secousses. Deux d’entre elles sont survenus à Chlef, sur la faille entre les plaques eurasienne et africaine. Le 9 septembre 1954, un séisme de magnitude 6,8 fait plus de 1 300 morts et 3 000 blessés. C’est à nouveau près de Chlef que se produit en octobre 1980 la plus violente secousse jamais enregistrée au Maghreb, avec une magnitude de 7,3. Le bilan dépasse 5 000 morts et 9 000 blessés, 80 % de la ville est détruite.
Les deux fortes secousses ressenties au même endroit à vingt-six ans d’intervalle sont perçues localement comme une malédiction. Aussi, la ville alors baptisée Al-Asnam (les idoles en arabe), un nom renvoyant à des réalités préislamiques, est renommée pour conjurer le mauvais sort. Elle est désormais connue sous le nom de Chlef, en référence au cours d’eau qui traverse la vallée.
La bourgade des contreforts de l’Atlas, au sud de Marrakech, est l’une des plus détruites par le tremblement de terre qui a frappé le Maroc. Dimanche, la population continuait de fouiller les gravats, à la recherche d’éventuels survivants.
Des membres d’une famille dans le village d’Imi N’Tala près d’Amizmiz (Maroc), le 10 septembre 2023. FADEL SENNA/AFP
Après avoir enterré les morts, il faut désormais sauver les vivants. A Amizmiz, petite ville nichée au pied des montagnes du Haut Atlas, dans la province d’Al-Haouz, où se situe l’épicentre du séisme qui a frappé le Maroc dans la soirée du vendredi 8 septembre, l’aide affluait, dimanche, pour venir à la rescousse des rescapés.
Le ballet des véhicules transportant des dons, partis de Marrakech, soixante kilomètres plus au nord, a embouteillé la bourgade de 20 000 habitants toute la journée. Des voitures de particuliers, le coffre rempli de denrées alimentaires ; des pick-up chargés de matelas, tentes, couvertures, sacs de vêtements ; des camionnettes de diverses associations ou entreprises… Sur les 2 100 morts causés par la secousse, selon un bilan encore provisoire, plus de la moitié (1 351) est originaire de la province d’Al-Haouz.
Les militaires des forces armées royales (FAR) ont installé leur camp de base à l’entrée d’Amizmiz, sur un terrain de camping, où s’organisent aussi des « unités mobiles » de soignants venus de Rabat. Devant la tente du Croissant-Rouge marocain, où une vingtaine de bénévoles s’affairent pour prendre le relais de l’hôpital partiellement détruit, Meriem (qui n’a pas souhaité donner son nom) décharge son coffre. « Je suis venue de Marrakech ce matin pour apporter de la nourriture et de l’eau, explique cette Marocaine d’une trentaine d’années. C’est catastrophique ce qu’il s’est passé. Pour moi, c’est normal d’aider, tous mes amis le font aussi. »
« Les associations sont arrivées de partout »
Un peu plus loin, devant l’une des rares épiceries encore ouvertes, prise d’assaut par les habitants, deux Français en vacances à Amizmiz au moment du séisme dépensent leurs derniers dirhams avant de reprendre l’avion. « Depuis samedi matin, on fait des petits packs qu’on distribue aux gens : pâtes, sucre, savons, biscuits, bonbons pour les enfants, rapporte, ému, Youssef Chmiti, originaire de Compiègne (Oise). On a vécu le tremblement de terre en direct et on l’a échappé belle. On est des chanceux, alors on aide comme on peut. »
« Hamdulilah [Dieu soit loué], aujourd’hui, les associations sont arrivées de partout : Casablanca, Rabat, Marrakech, Ouarzazate, Agadir… Ce matin, elles nous ont distribué de l’eau, du lait, du pain », dit Abdellatif Bejjar, 55 ans, un habitant d’Amizmiz, les traits tirés. Il n’a pas fermé l’œil depuis deux jours, mais ces premières livraisons d’aide lui redonnent quelques couleurs. Vendredi soir, sa maison, celle qu’il a construite année après année pendant vingt ans, s’est écroulée en trente secondes. « On a cru mourir, raconte-t-il, les yeux emplis de larmes. La maisona fait des va-et-vientcomme sur un bateau, puis elle s’est effondrée sur nous, mes quatre enfants, ma femme et moi. On a creusé un trou et on a pu sortir. »
Comme beaucoup d’habitants, il s’est ensuite improvisé secouriste, durant les premières vingt-quatre heures qui ont suivi le séisme, creusant à la main, sans relâche, dans les décombres, à la recherche du corps d’un proche, d’un voisin, d’un ami. « Ni sécurité civile ni gendarmes… personne n’est venu nous aider, déplore-t-il. Heureusement, les gens ici sont solidaires, ensemble dans la fête comme dans le malheur. »
« On a tout perdu »
Des personnes se tiennent dans les décombres des maisons effondrées dans le village d’Imi N’Tala près d’Amizmiz, le 10 septembre 2023. FADEL SENNA / AFP
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« Tous les habitants ont aidé pour secourir, mais les autorités, on ne les a pas vues », relate aussi, amer, Abdellah Boudad, 36 ans, vendeur de volailles dans le souk de la médina – quartier le plus ancien de la ville et l’un des plus sévèrement touchés. Assis sur une cagette au milieu de ce petit marché où les échoppes ont rideau fermé, il contemple l’étendue des dégâts, comme s’il peinait encore à y croire. « Sentez cette odeur, ça sent la mort. » A deux pas de là, quatre personnes sont encore prisonnières d’un amoncellement de parpaings. « Eux, on n’a pas réussi à les sortir de là. »
Sa maison, plus haut dans la ruelle, n’a pas résisté non plus. Les trois étages supérieurs se sont effondrés sur le rez-de-chaussée. Pendant cinq heures, dans la nuit de vendredi à samedi, il a creusé un trou dans le mur latéral, armé d’un seul marteau, pour faire sortir sa mère, sa femme et son fils de 3 ans. Les trois sont sains et saufs. Rien d’autre ne lui importe. « J’ai sauvé ma famille, hamdulilah ! Tout le reste, ça peut se reconstruire. »
Dans le quartier populaire de Regraga, Omar Bah Bah, potier de 54 ans, fait le point sur ce qui lui reste de son atelier. Son tour est enfoui dans le sol, les plats à tajine sont réduits en miettes et le toit menace de s’effondrer. Dimanche matin vers 9 h 30, une légère réplique a aggravé les fissures. « Ici,on dit “Ma chaa Allah” [« Comme Allah a voulu »]. Cette catastrophe, ça vient du ciel, de Dieu, pas de la terre, on ne sait pas pourquoi, dit-il. Maintenant, nous sommes tous très pauvres. Plus de maison, plus de travail, plus d’école… On a tout perdu. »
Un champ de ruines
Des femmes réagissent alors que des volontaires récupèrent le corps d’un membre de leur famille dans les décombres des maisons effondrées dans le village d’Imi N’Tala près d’Amizmiz, le 10 septembre 2023. FADEL SENNA / AFP
A Amizmiz, rares sont les habitations épargnées. Les bâtiments qui ne se sont pas écroulés sont craquelés. Beaucoup menacent de s’effondrer. A quelques kilomètres de la ville, au bout d’une piste escarpée qui serpente dans la montagne, le village de Tafeghaghte donne à voir un spectacle plus apocalyptique encore. Le douar – un hameau – est presque entièrement rasé. Au pied d’un amas de débris, une femme blessée gémit tandis que son mari panse un de ses avant-bras. Autour d’eux ne reste qu’un champ de ruines où seuls poules, ânes et moutons osent s’aventurer. En contrebas, un cimetière a été improvisé, où sont alignées des dizaines de tombes, faites de terre et de branchages. Selon les survivants, le séisme aurait décimé ici des familles entières. Une centaine de personnes seraient mortes. Vingt enfants parmi eux.
Selon la télévision publique, « plus de 18 000 familles ont été affectées » par le séisme dans la province d’Al-Haouz. A Tafeghaghte comme à Amizmiz, les habitants s’apprêtaient dimanche soir à dormir pour leur troisième nuit à la belle étoile. Quelques tentes jaunes de la Protection civile ont été dressées, mais en nombre encore insuffisant face aux besoins.
Dans des terrains vagues, des places publiques, dans les champs d’oliviers, ils sont regroupés, famille par famille, allongés sur des nattes et sur des couvertures, séparés par des draps accrochés aux branches. Des femmes ont préparé de la soupe et du couscous avec quelques réchauds et gamelles extraits des décombres. Le thé à la menthe circule de main en main. « Demain, nous aurons peut-être des tentes, des matelas et des couvertures, espère Abdellatif Bejjar. Le Pacha [gouverneur de la province], qui est venu aujourd’hui, nous l’a promis. »
Dans les jours à venir, les secouristes marocains devraient recevoir l’appui de quatre pays – Espagne, Royaume-Uni, Qatar et Emirats arabes unis. D’autres propositions pourraient être acceptées à l’avenir « si les besoins devaient évoluer », a précise le ministère de l’intérieur. L’Espagne a d’ores et déjà envoyé une équipe de quatre-vingt-six sauveteurs qui devaient être à pied d’œuvre lundi. De son côté, la Croix-Rouge internationale a alerté sur l’importance des besoins à venir du Maroc, pour « des mois, voire des années ».
Par Aurélie Collas(Amizmiz, Maroc, envoyée spéciale)
L’Algérie présente ses condoléances au «peuple marocain frère» suite au séisme qui a frappé le pays.
Au milieu de l’hiver, un invincible été
Ce terrible drame qui nous frappe a, somme toute, remis quelques pendules à l’heure, celles du monde rural, en rétablissant certaines vérités et priorités. Nous ne sommes pas tous égaux dans notre course au développement et à la modernité. Loin de la ligne d’arrivée, il y a ceux qui sont encore à la traîne et ne vivent pas sur le même fuseau horaire que nous…
«Au milieu de l’hiver, j’ai découvert en moi un invincible été»... Au milieu de cette nuit cauchemardesque, de laquelle nous, les Marocains, ne sommes pas encore sortis depuis le 8 septembre, c’est cette si belle et puissante phrase d’Albert Camus qui traduit assurément le mieux l’espoir et la force qui animent les Marocains.
Des drames, nous en avons vécu tous ensemble, et dans les grands malheurs, comme lors de la mort du petit Rayane tombé dans un puits, nous avons trouvé la force de faire bloc dans la solidarité, la foi et l’amour que nous portons à notre pays.
Aujourd’hui, le malheur a de nouveau frappé à notre porte. Les victimes se comptent par milliers. Mais un malheur n’arrivant jamais seul, précise un funeste adage, il se fait que les très nombreuses familles touchées par le séisme étaient déjà frappées du sceau de la pauvreté. Elles n’avaient presque rien, elles ont aujourd’hui perdu non seulement le peu qu’elles avaient, mais aussi, encore pire, ceux qui leur étaient chers.
Les images qui circulent sont bouleversantes, et chez nous qui avons eu la chance de ne ressentir que quelques secousses sans autres dégâts, le sentiment de culpabilité s’invite sans crier gare. Nous avons vécu une même catastrophe naturelle, mais nos lendemains n’ont pas été les mêmes. Nous avons la chance de dormir sous un toit encore solide, dans notre lit, à côté de nos proches, quand nos concitoyens, eux, ont basculé dans l’horreur.
Que faire de ce sentiment d’impuissance qui nous gagne à chaque minute? Assurément en étant dans l’action et en aidant, par tous les moyens possibles. En se tenant prêt à répondre à tous les appels qui nous sont et seront lancés: dons de sang, de vêtements, de couvertures, de vivres et bien sûr, pour ceux qui le peuvent, d’argent.
Il est impératif que ces villages, qui pour certains ont quasiment été rayés de la carte, soient reconstruits avant l’hiver, que les populations soient relogées. On ne sait que trop bien à quel point ces populations souffrent de l’enclavement de leurs villages, à quel point l’arrivée de l’hiver est une épreuve terrible que peinent chaque année à surmonter ces villageois… Le Maroc joue aujourd’hui une véritable course contre la montre, pour sauver les victimes encore enfouies sous les décombres, mais aussi pour reconstruire une partie du pays en un temps record.
Ce terrible drame qui nous frappe a, somme toute, remis quelques pendules à l’heure, celles du monde rural, en rétablissant certaines vérités et priorités. Nous ne sommes pas tous égaux dans notre course au développement et à la modernité.
Loin de la ligne d’arrivée, il y a ceux qui sont encore à la traîne et ne vivent pas sur le même fuseau horaire que nous, voire pas dans le même monde du tout. On sait qu’ils sont là, mais dans un monde parallèle. Ils sont le Maroc profond, authentique, immuable… Ils incarnent encore ces valeurs dont on est si fiers et qui font notre identité: la gentillesse, la générosité, l’hospitalité… Ils sont cette carte postale si belle du Maroc que tout le monde aime et vers lequel volent depuis quelques jours tant de messages de soutien.
Pourtant, une fois que les dernières victimes auront été retrouvées, une fois que les ruines auront été déblayées, que les larmes auront été essuyées, il faudra alors refaire du désenclavement une priorité, car au milieu de ce drame, le dénuement, le manque de tout, l’absence d’infrastructures se sont aussi dévoilés dans toute leur horreur. A en croire les scientifiques, des catastrophes naturelles, nous serons malheureusement amenés à en vivre de plus en plus. Il est donc impératif, aujourd’hui plus qu’hier et moins que demain, de réfléchir la protection de notre société dans son intégralité, ne serait-ce qu’en termes de normes d’habitation et d’infrastructures de base.
SECOUSSE La secousse a eu lieu à 23h12, à 18,5 km de profondeur, et a été ressentie de Rabat à Agadir.
L'épicentre du séisme qui a secoué le Maroc le 8 septembre 2023 est situé à 80 km au sud de Marrakech. — usgs
Un séisme de magnitude 6,8 a ébranlé le Maroc, à 80 km sud-ouest de Marrakech, dans la nuit de vendredi à samedi, a rapporté l’Institut de géophysique américain (USGS). Si des dégâts ont été signalés, les autorités n'ont pas fait état de victime dans l'immédiat.
La secousse tellurique a été enregistrée à 23h11 locale. La profondeur du séisme a été évaluée à 18,5 km, selon l’USGS. Le Centre sismologique Euro-Méditerranéen (CSEM), organisme scientifique notamment spécialisé dans l’activité sismique de la région méditerranéenne, a de son côté évalué la magnitude de ce tremblement de terre à 6,9.
Deux Franco-Marocains ont été froidement tués par l’armée algérienne au large de Saïdia. Une tragédie maritime aux circonstances encore floues. Les deux ressortissants franco-marocains, naviguant en jet-ski, ont été tués, mardi 29 août par les garde-côtes algériens. Le drame a eu lieu dans l’espace maritime algérien, au large des côtes marocaines de la ville de Saïdia.
Un troisième membre du groupe serait détenu à Maghnia, selon des sources locales, il a été déféré devant un tribunal et condamné à 18 mois de prison dans un jugement expéditif. La victime de l’incident apparaît dans une vidéo diffusée sur les réseaux sociaux, enregistrée au large de la baie de Saïdia, qui montre un pêcheur marocain découvrant un cadavre flottant à la surface de l’eau. Les deux hommes étaient à bord de jet-skis et se seraient égarés au large de la station balnéaire de Saïdia, au Maroc.
Les médias marocains rapportent également qu’une quatrième personne a témoigné auprès d’un site marocain. « Nous nous sommes perdus, mais on a continué jusqu’à ce que nous nous retrouvions en Algérie. Nous avons su que nous étions en Algérie, car un zodiac noir algérien est venu vers nous, il a commencé à zigzaguer comme s’ils voulaient nous renverser, explique le frère d’une des victimes auprès du site marocain Al Omk. Ils (les occupants du zodiac) ont tiré sur nous. Dieu merci, je n’ai pas été touché, mais mon frère et mon ami, ils les ont tués. Ils ont arrêté mon autre ami. »
Pour l’heure, ni le gouvernement marocain ni le gouvernement algérien n’ont commenté publiquement la mort des deux vacanciers. Interrogé par la presse locale, le porte-parole du gouvernement marocain Mustapha Baïtas a simplement indiqué qu’il s’agissait « d’une affaire qui relève de la compétence du pouvoir judiciaire ». L’ambassade de France au Maroc n’a pas souhaité faire de commentaires.
Ce n’est pas la première fois que l’armée algérienne commet un « acte irresponsable ». Le mois de novembre 2014, l’armée algérienne avait tiré sur des civils, à la frontière entre les deux pays, à proximité de la ville d’Oujda. Suite à cet incident grave, l’ambassadeur algérien à Rabat avait été convoqué au ministère des Affaires étrangères et de la coopération.
Vacanciers tués en Jetski à la frontière algérienne : du drame à l'infox • FRANCE 24
Des jet-skis slalomant au milieu de baigneurs médusés et poursuivi par les garde-côtes: Cette vidéo illustrerait les derniers instants de deux vacanciers au Maroc avant leur mort. Ces derniers ont été abattus par les garde-côtes algériens. Pourtant, si cette séquence montre bien des jet-skis, ils appartiennent à des passeurs de migrants espagnols.
Gilles Perrault est mort dans la nuit du 2 au 3 août 2023. Auteur de nombreux livres, dont Notre ami le roi, un livre dévastateur sur le roi Hassan II. Pour le trentième anniversaire de sa parution, il avait donné un entretien à Orient XXI sur cette enquête qui lui avait laissé un souvenir vivace et dont il évoque, avec émotion, depuis sa maison d’un village normand, le tsunami politico-diplomatique qu’il provoqua à sa parution, en septembre 1990.
Omar Brouksy. —Comment l’idée d’un livre sur Hassan II a-t-elle germé ?
Gilles Perrault. — Cela a commencé avec des informations qui n’étaient pas très rassurantes sur le Maroc. Un jour je reçois une lettre d’un lecteur. C’était un garçon qui venait de lire L’Orchestre rouge (Fayard, 1987) et il me posait des questions sur ce livre, qui raconte l’histoire d’un groupe d’espionnage pendant la seconde guerre mondiale. Je lui réponds. Quinze jours plus tard, il m’écrit une longue lettre en me posant des questions précises. Je lui réponds. Je réponds toujours. Et puis un mois après, je reçois à nouveau une lettre de lui. Là je commence à être non pas fatigué — il était visiblement intéressé et intéressant —, mais je me disais qu’il devait être un militaire s’ennuyant dans sa caserne. À l’époque, bien sûr, il n’y avait pas d’emails. Il datait évidemment ses lettres, comme tout le monde, et il précisait : « PC de Kénitra ». Un jour je lui écris en lui demandant ce qu’il faisait au poste de commandement de Kénitra. Il me répond : « Mais non, PC de Kénitra signifie Prison centrale de Kénitra. J’y suis pour vingt ans pour cause de distribution de tracts ». Ce jeune s’appelait (s’appelle toujours) Jaouad Mdidech.
Alors quand vous êtes ici, en Normandie, dans la quiétude du village de Sainte-Marie-du-Mont et que vous apprenez qu’un jeune homme a été condamné à dix ans de taule pour distribution de tracts, vous vous posez des questions. Mes grands fils étaient gauchistes à l’époque. Ils distribuaient beaucoup de tracts, prenaient des coups de matraque, mais ne faisaient pas de prison. Donc voilà, là ça m’a vraiment perturbé. Je me suis dit : « il faut faire quelque chose ». Je me suis senti réquisitionné. Ce garçon, avec qui j’ai gardé des liens amicaux, faisait partie des camarades d’Abraham Serfaty (1928-2010).
Et puis il y a eu la rencontre avec Edwy Plenel qui dirigeait une nouvelle collection chez Gallimard, et qui était un ami de Christine Serfaty. On s’était vus tous les trois à Caen, en Normandie, et je rentrais avec Edwy Plenel. Je reconnais que j’étais un peu réticent. Je me disais : « ça va être encore un livre à problèmes, à emmerdements ». Je traînais les pieds. Et puis Edwy me propose : « Tu vois, ce livre devrait s’appeler "Notre ami le roi". Et ça a été le déclic. J’ai aussitôt dit : « ça y est, je l’écris ». Comme quoi…
Ça m’a fait penser au metteur en scène du film Garde à vue. Claude Miller ne savait pas comment faire pour convaincre Michel Serrault de jouer le rôle d’un pédophile. À la fin il lui dit : « Tu sais, tu feras ta garde à vue en smoking ». Serrault lui répond : « Si c’est en smoking, je joue le rôle ».
O. B. —Quel était le rôle de Christine Serfaty ?
G. P. — Fondamental. J’ai partagé tout simplement les droits d’auteur de ce livre avec Christine.
O. B. —Pourquoi ?
G. P. — Parce que je recoupais tout grâce à elle. J’étais allé au Maroc très jeune. Je connaissais bien le pays, j’y avais des relations. Mais je n’aurais jamais fait ce livre sans Christine. J’ai évité d’écrire beaucoup de choses parce qu’il n’y avait qu’un seul témoin. Il y a un vieil adage qui dit : « Un seul témoin, pas de témoin. » La première fois qu’elle m’a parlé de Tazmamart, je ne l’ai pas crue. Non pas que je pensais qu’elle mentait, mais je ne pouvais pas accepter cette réalité. Je suis passé à autre chose. Et puis finalement elle m’a convaincu.
O. B. —Et concernant le travail proprement dit ? Comme avez-vous procédé ?
G. P. — J’ai travaillé comme je travaille toujours : en exploitant les témoignages après les avoir recoupés. Cela m’a pris moins d’un an.
O. B. —L’éditeur était-il emballé par le projet ?
G. P. — Pas du tout. Personne n’y croyait. Antoine Gallimard m’a dit : « Oui, il faut le faire ce livre, mais, cher Gilles, les droits de l’homme au Maroc, ça n’attire pas les foules. »
O. B. —Beaucoup de livres avaient été écrits auparavant sur la répression au Maroc. Pourquoi celui-là a-t-il eu un tel impact ?
G. P. — Écoutez, j’ai eu beaucoup de chance. J’ai eu une fenêtre de tir comme on dit pour les fusées Ariane. En 1990, l’Union soviétique n’existe plus. Or le Maroc était considéré comme le bastion contre l’Algérie socialiste. Il n’y avait plus de danger communiste et il n’y avait pas encore le danger islamiste.
O. B. —Vous attendiez-vous à toutes ces réactions après la parution du livre ?
G. P. — Pas du tout ! Pas du tout ! C’était le tremblement de terre. J’ai été pris par la surprise : crise diplomatique ; l’année du Maroc en France annulée ; Hassan II qui proteste ; des milliers de Marocains envoyant de soi-disant protestations à l’Élysée, etc.
Je pense que quand on vit, on est embarqués en bateau dans une croisière paisible et tout à coup, on peut se retrouver dans une tempête complètement imprévisible. Et ça tangue et ça bouge. Ahurissant ! Ahurissant !
O. B. —Quelles étaient les réactions des personnalités politiques françaises ?
G. P. — La réaction dont je me souviens le plus est celle d’Hubert Védrine, à l’époque porte-parole de la présidence, un proche de François Mitterrand. Je l’avais rencontré quelques jours après la sortie du livre, et il s’en est pris violemment à moi : « Perrault, m’a-t-il dit, vous êtes un irresponsable, vous oubliez les 25 000 Français qui vivent et travaillent au Maroc, et les centaines de milliers de Marocains qui vivent et travaillent en France. C’est irresponsable, votre livre. » Je n’ai pas besoin de préciser à quel point les Védrine et autres étaient et sont inféodés au trône. Mais après, quand Hassan II a libéré les détenus de Tazmamart, de Kénitra et des autres lieux de détention, j’ai rencontré de nouveau Védrine. Il m’a dit : « Finalement votre livre, Gilles (là il m’appelait Gilles !), a été bénéfique pour Hassan II. Il lui a permis de sauver la fin de son règne. » Je lui ai répondu : « Vous avez raison, Hubert (du coup je l’appelais moi aussi Hubert !), mais ça a été surtout bénéfique pour les victimes, leurs familles et leurs proches. Certains étaient emprisonnés depuis vingt ans. » Mais lui il s’en foutait, des victimes. Il n’y avait, pour lui, que Hassan II qui pouvait sauver la fin de son règne.
O. B. —Quelle était la réaction d’Hassan II envers le livre ?
G. P. — Hassan II ne m’a jamais personnellement attaqué en justice. Mais il a intenté des dizaines de procès aux chaînes de télévision, aux journaux qui m’avaient interrogé en disant que le fait de donner la parole, pour salir le Maroc, à un homme aussi méprisable que Gilles Perrault était une faute professionnelle. Alors, il fait pleuvoir une pluie d’or sur les anciens bâtonniers parisiens qu’il prenait comme avocats. Évidemment c’était une aubaine pour eux, mais il a perdu tous ses procès. Qu’est-ce qu’il croyait ? Que la justice française était aux ordres comme chez lui ?
O. B. —Hassan II avait également réagi sur le plan financier…
G. P. — Oui ! il a d’abord dépêché son âme damnée, Driss Basri, son ministre de l’intérieur et l’homme fort du régime, qui a rencontré son homologue français Pierre Joxe. Il lui a dit : « Nous sommes informés qu’un livre va paraître. Ce serait très fâcheux pour les relations franco-marocaines. Nous sommes prêts à indemniser l’éditeur. On va indemniser l’auteur, bien sûr. » Ils ont proposé des sommes considérables. Joxe lui a répondu : « Écoutez, l’éditeur est Gallimard, la grande maison d’édition, française, européenne, etc. Quant à Gilles Perrault, je le connais bien (ce qui était faux, on ne s’est jamais rencontrés), il a très mauvais caractère. Je ne vous conseille pas d’aller le voir parce que ça se passera mal ».
Mais là où je n’ai pas ri, c’est quand on m’a prévenu au ministère de l’intérieur qu’il y aurait un contrat passé avec le milieu français, une prime pour celui qui me descendrait. Des mesures ont été prises ici à Sainte-Marie. Une camionnette de gendarmes était là, pas loin de la maison. Mais c’est tombé sur nos pauvres voisins et amis dont certains ont pris des contraventions parce qu’ils n’avaient pas mis leur ceinture de sécurité (rires). Trêve de plaisanterie, c’était quand même difficile. Quand vous vous attaquez au roi du Maroc, et que ce roi s’appelle Hassan II, vous savez que vous ne vous attaquez pas à la reine d’Angleterre, au roi des Belges ni à Albert de Monaco. C’est un autre client.
J’ai aussi constaté à quel point la connivence entre Hassan II et l’élite politique française était grande. C’est grâce à la Mamounia. Des directeurs de journaux et de magazines comme Jean Daniel du Nouvel Observateur ou Jacques Amalric du Monde venaient au Maroc à bord des avions du roi pour réaliser des entretiens avec lui. Pour résumer, autour de la piscine de la Mamounia il y avait toute la crème de la gauche et toute la crème de la droite.
Mais malgré tout, je garde un souvenir très ému parce que ce livre a contribué, je dis bien contribué, à ce que des prisons soient ouvertes au Maroc. Car, ne l’oublions pas, les vrais combattants pour la liberté au Maroc, ce sont ces dizaines de militants marocains qui se sont battus en héros pour que le régime d’Hassan II soit obligé de faire des concessions.
O. B. —Mais même après la mort d’Hassan II, vous restez indésirable au Maroc.
G. P. — Oui, André Azoulay1 m’a fait savoir que par fidélité à la mémoire de son père, Mohammed VI me renverrait par le premier avion vers la France si je mettais un pied au Maroc.
O. B. —Quel regard portez-vous sur le successeur d’Hassan II ?
G. P. — Quand vous faisiez de la politique sous Hassan II, vous pouviez disparaître. Définitivement. Sous M6 ça n’est pas la même chose. Et ça fait une grande différence. Mais enfin, le problème essentiel du Maroc est aussi un problème social et il n’a pas disparu avec l’actuel roi. Visiblement la monarchie, telle qu’elle est aujourd’hui, n’est pas le régime qui favorisera une solution à ce problème. Je crois que l’avenir du Maroc est sombre aussi longtemps que ce fossé entre riches et pauvres continuera de s’élargir. Déjà ça n’est plus un fossé, c’est un précipice.
Hassan II était une personnalité complexe. De Gaulle disait de lui : « Il est inutilement cruel. » C’est une formule d’homme d’État parce que ça signifie qu’on peut être inutilement cruel. Et c’est vrai qu’il l’était. Mais il était un véritable chef d’État.
Il aimait le pouvoir. Il aimait aussi l’argent ; mais il aimait surtout le pouvoir. M6, lui, aime d’abord l’argent. Il aime le pouvoir parce que ça facilite surtout ses affaires, mais c’est secondaire pour lui. Ce n’est pas un homme d’État. Il n’a pas rempli le costume de roi du Maroc. Sous Hassan II, les journalistes disparaissaient. Sous M6, ce sont les journaux. Comme vous le savez, un bon journal ne peut pas se passer de la publicité. Les gens qui passent la publicité à des journaux indépendants ou critiques envers Mohamed VI reçoivent des coups de téléphone : « Sa Majesté est très triste de voir que vous passez de la publicité dans ce journal… » Le message est évidemment reçu cinq sur cinq. La publicité s’arrête et le journal… Vous en savez quelque chose !
O. B. — Qu’est-ce qui a changé et qu’est-ce qui n’a pas changé, selon vous, avec l’arrivée au pouvoir de Mohamed VI ?
G. P. — Tout a changé pour que rien ne change. Vingt-et-un ans après l’arrivée au pouvoir de M6 ça n’a pas tellement changé. C’est toujours le clan. Tout part du palais et tout revient au palais. Le cercle est même de plus en plus étroit. Il y avait un côté shakespearien chez Hassan II. Il y avait de la tragédie : les putschs, la répression, le calvaire de la famille Oufkir… Avec M6, on est plutôt dans l’opérette. Il y a eu dès le départ un grand malentendu. On l’appelait même « le roi des pauvres ». Il a été finalement le roi des riches. Et des riches de plus en plus riches. Il est vrai qu’on est souvent déçu par les gens au pouvoir, mais là, quand même, la déception est profonde.
Peu friand de la vie dans les palais, qui sont pour lui des bureaux, Mohammed VI a rompu avec la tradition de ses prédécesseurs. Pendant de longues années, il a choisi de passer ses vacances dans une villa située à M’diq, dans le nord du Maroc, sur la Méditerranée.
Dans l’une des très rares interviews qu’il a accordées à la presse, en l’occurrence au Time, en 2000, « The King of Cool », comme l’a surnommé le magazine américain, déclare qu’il considère les palais royaux comme des « bureaux ». À Rabat, après la naissance de ses enfants, le prince héritier Moulay El Hassan et la princesse Lalla Khadija, Mohammed VI s’est installé dans la résidence privée de Dar Essalam, qu’il a préférée au palais royal (Dar el-Makhzen), contrairement à son grand-père, Mohammed V, et à son père, Hassan II.
Mais s’il y a bien un palais qu’il a longtemps affectionné, c’est celui de Tanger, que Hassan II avait fait construire sur Jbel El Kebir (« la grande montagne »), et qui surplombe à la fois la ville et le détroit de Gibraltar, au milieu des forêts de chênes liège et de pins. Moderne, simple, et malgré tout d’une beauté à couper le souffle, l’édifice est entouré de verdure. Des grilles en fer forgé blanches protègent ses fenêtres. Le palais, qui ressemble davantage à une résidence royale, est situé non loin du prestigieux hôtel Le Mirage et des Grottes d’Hercule. C’est d’ailleurs à partir du Mirage que le souverain emprunte un chemin privé, qui le mène à l’un de ses bateaux.
Le quartier, cossu et prisé, est souvent comparé à Malibu, en Californie. Au fil du temps, il est cependant de plus en plus difficile d’accès pour les badauds et les touristes estivaux. Pourtant, juste en contrebas du palais, vit un drôle de personnage, dans une sorte de bric-à-brac : Abdelghani, un artiste autodidacte, qui a sculpté un lion (symbole de la monarchie chérifienne) afin de rendre hommage au roi et qui a installé cette statue de sorte qu’elle soit visible depuis le palais. La légende veut que son père a été le gardien d’un éléphant appartenant à Hassan II, qui, pour le remercier, lui a offert un bout de terrain à proximité de sa résidence.
L’amour de la Méditerranée
Hassan II a boudé le nord du Maroc tout au long de son règne, principalement parce qu’il avait mené, en 1958-1959, une dure répression contre les Rifains, dont ces derniers ont gardé de la rancœur. Résultat, Tanger était devenue une cité fantôme, « la ville de tous les dangers ». Dès son accession au trône, en 1999, Mohammed VI a désenclavé la région, faisant de Tanger une vitrine de son règne, y lançant des chantiers structurants (le port de Tanger Med, des autoroutes, une marina, une zone franche, un grand hôpital universitaire…) et y attirant les investisseurs.
Ainsi, et pendant de longues années, le souverain a pris l’habitude de passer tous ses étés, du 1er juillet jusqu’au mois d’août, dans le Nord. À Tanger, bien sûr, mais aussi à Tétouan, M’diq ou Al Hoceima. C’est également au palais Marchane, à Tanger, ou au palais royal de Tétouan – classé au Patrimoine mondial de l’Unesco – qu’il a organisé de nombreuses fêtes du trône, des cérémonies de la Bay’a, et qu’il a fêté ses vingt ans de règne, en 2019.
Dès l’arrivée des beaux jours, les villes de la région ont droit à un coup de neuf : les jardiniers municipaux fleurissent les ronds-points ; les trottoirs et les routes sont refaits ; les éclairages publics sont réparés… Autant d’indices qui signalent l’arrivée imminente du roi. Et, que ce soit les habitants, les résidents étrangers, les hôteliers, les restaurateurs ou les vacanciers, chacun éprouve un petit sentiment de satisfaction.
La côte nord-méditerranéenne n’en était pas moins une destination prisée depuis longtemps. Même sous le règne de Hassan II, une partie des notables de l’axe Casa-Rabat passaient leurs étés à Kabila (Tamuda Bay), Cabo Negro ou Martil, considérés comme la « Moroccan Riviera ». La hype était déjà là, mais la présence de Mohammed VI a suscité un boom économique et créé un effet people. Le monarque met néanmoins un point d’honneur à préserver la région, notamment le littoral atlantique, de la spéculation immobilière.
LORSQU’IL AMARRAIT SON BATEAU, DES DIZAINES DE JEUNES SAUTAIENT DANS L’EAU DANS L’ESPOIR DE LUI PARLER
Pourquoi un tel attrait pour le Nord, réputé pour sa beauté et pour son charme légèrement hispanique ? Mohammed VI est un amoureux de la Méditerranée et des sports nautiques, en particulier du jet-ski. Au début de son règne, il n’était pas rare de le voir sur un scooter des mers ou au volant d’une Mercedes décapotable, et d’échanger quelques mots avec lui. Lorsqu’il amarrait son bateau dans la crique de Cabo Negro, des dizaines de jeunes sautaient dans l’eau en criant « Majesté, majesté ! », dans l’espoir de lui parler.
En réalité, même s’il affectionne le palais de Rabat, Mohammed VI a jeté son dévolu sur une autre bâtisse : la villa de Lalla Fatima Zohra, sa grand-tante paternelle (disparue en 2014), située à M’diq, entre le Sofitel et d’autres résidences privées. Sa parente la lui avait prêtée pour un été, mais il a fini par la conserver. En échange, il a fait construire une autre villa à sa tante préférée. Grande sans être un palais, coquette sans être opulente, c’est une maison discrète que le roi a aménagée de façon très contemporaine et qui offre un accès direct à une plage privatisée.
« Ne savez-vous pas qui je suis ? »
Bien souvent, entre 14 heures et 14 heures 30, et à partir du mois d’août, Mohammed VI embarque sur son bateau et vogue sur la Méditerranée jusqu’à Al Hoceima. Déjà propriétaire d’une vieille goélette, El Boughaz I, refaite à neuf et longue de 62 mètres, le souverain utilise le yacht Al Lusia, que Tamim Ben Hamad Al Thani, l’émir du Qatar, lui a prêté en août 2018.
Il a ensuite acquis un voilier de 70 mètres, en mars 2019. Rebaptisé Badis I, ce dernier appartenait au milliardaire américain Bill Duker, qui en demandait 88 millions d’euros. La même année, en juillet, Mohammed VI a convié le gratin casablancais et rbati à l’inauguration de son bateau et à fêter ses vingt ans de règne, au large de M’diq.
Quelques années auparavant, il avait vécu une drôle d’aventure. Le 7 août 2014, son yacht est intercepté par la Guardia Civil espagnole au large de Sebta (Ceuta), alors que le monarque a reçu l’aval des autorités madrilènes pour naviguer dans la zone. La présence d’un jet-ski sur le navire a laissé croire à la Guardia que des « passeurs » étaient à bord. Interpellé, le souverain rétorque : « Ne savez-vous pas qui je suis ? », avant d’appeler son homologue et ami, Felipe VI. Un responsable de la Guardia Civil est alors immédiatement dépêché sur les lieux pour présenter des excuses…
Armada de comptables
Si Mohammed VI préfère les résidences privées aux palais, il a néanmoins totalement réformé la gestion de ces derniers. Dès 1999, il rompt avec le faste d’antan et bon nombre de traditions, dont le harem, allège le protocole et écarte les hommes de confiance du Palais. Son secrétaire particulier, Mounir El Majidi – qui gère aussi la fortune du roi – lui suggère alors de commander un audit portant sur l’ensemble de ses palais et résidences. Objectif : inventorier l’ensemble des biens (immobiliers et mobiliers), définir les besoins et les budgets nécessaires à leur fonctionnement, optimiser la gestion des ressources et diminuer les dépenses, qui avaient atteint des sommets sous le règne de Hassan II.
Pendant plusieurs mois, Majidi et une armada de comptables appartenant tous au holding royal Siger épluchent les livres de comptes dispersés dans tout le royaume. Leurs conclusions sont sévères : trop de gabegie, trop de malversations, et un personnel à changer dans son intégralité. Majidi ne procédera pas à des licenciements massifs, mais édictera de nouvelles règles, et, pour que celles-ci soient respectées, n’hésitera pas à poursuivre le personnel en justice.
Vols de montres et diète forcée
En 2004, Mustapha Hilali, le conservateur du palais d’Agadir, est accusé de détournements de fonds du palais et de malversations. Il écope de cinq ans de prison, mais sera gracié par le roi. En 2005, vingt personnes – toutes issues du « petit personnel » – sont arrêtées pour détournement des stocks du palais royal de Marrakech.
Au cours de l’été 2006, l’ire du roi s’abat sur Abdelaziz Izzou, le directeur de la sécurité des palais, qui entretient des relations suspectes avec Chérif Bin Louidane, un narcotrafiquant. Si les malversations ont fortement diminué, quinze personnes ont toutefois encore été condamnées pour le vol de 36 montres appartenant au roi, en janvier 2020.
Un an plus tard, Mohammed VI a gracié tout le monde. Il n’hésite cependant pas à sévir lorsque des erreurs sont commises. Ainsi, en 2017, il a suspendu provisoirement trois responsables du palais de Tétouan et de sa résidence de M’diq, qui n’avaient pas préparé les chambres et la suite royale pour son arrivée.
Contrairement à ce qui avait cours sous l’ère Hassan II, le budget alloué aux palais et résidences royales, qui a beaucoup baissé (543 millions de dirrhams, en 2022, soit 50 millions d’euros), est approuvé et voté par le Parlement, à Rabat. Les palais et résidences dans lesquels Mohammed VI ne se rend pas (Ifrane, ferme royale de Bouznika, Salé, Témara…) voient leurs dépenses réduites à leur strict minimum. Les autres lieux sont ravitaillés selon leurs véritables besoins, sans plus. À une époque, certains membres du personnel évoquaient une « diète forcée ». La société Primarios, chargée de l’entretien et de l’ameublement des palais et résidences royales, est, quant à elle, dirigée par le Français Jean-Baptiste Barian, qui n’est autre que le bras droit d’André Paccard, feu l’architecte de Hassan II.
Au tour du roi Salmane d’Arabie
À l’été 2022, tout était prêt, à M’diq, pour accueillir le roi : les jet-skis, la nourriture, les chambres… et pourtant, le monarque n’est jamais venu. Depuis quelques années, et avec le choc de la pandémie de Covid-19, Mohammed VI semble se faire plus rare dans la région, ou être moins visible. Son intérêt pour le nord du Maroc demeure. Toujours à M’Diq, le roi suit de près l’ouverture prochaine du Royal Mansour Tamuda Bay, son nouvel hôtel de luxe, détenu par le holding Siger. Avant le confinement, il envisageait de transformer le palais Moulay El Mehdi, de Tanger, en complexe sportif, dont la gestion reviendrait au Maroco-Néerlandais Abu Azaitar, champion du monde de kick-boxing.
Mohammed VI a fait des émules : en 2015, le roi Salmane d’Arabie saoudite a fait construire un gigantesque palais à Gibraltar, ce qui a apporté une manne économique non négligeable.
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