Une soixantaine de morts dans un violent séisme de magnitude 7,6 degré qui a frappé, au premier jour de l'année 2024, le centre du Japon, et qui a été suivi le jour suivant (mardi 2 janvier) par pas moins de 150 secousses.
Deux autres séismes enregistrés en 2023, au Maroc (le 8 septembre dernier) et en Turquie (le 6 février), de magnitudes 7 et 7,8, ont fait respectivement 3.000 morts et plus de 35.000 morts. Sur le plan des dégâts humains, le Japon s'en tire à bon compte. Par quel miracle ? Rien à voir avec le miracle, car le Japon a su se prémunir contre les tremblements de terre. Malgré les milliers de secousses sismiques enregistrées chaque année au pays du Soleil levant, le Japon reste un exemple presque parfait en matière de limitation des dégâts humains, grâce à une expérience acquise au fil des ans, notamment sur le plan de la discipline des populations, parfaitement éduquées aux risques des tremblements de terre, du génie parasismique et d'une logistique adaptée à la gestion des catastrophes naturelles. « Les tremblements de terre ne tuent pas, ce sont les constructions qui tuent », une vérité rappelée par des experts dans le domaine du BTPH, que les pouvoirs publics se doivent de méditer. Le monde entier doit apprendre du Japon la leçon des constructions parasismiques.
Situé sur la ceinture de feu du pacifique, le Japon ne s'est pas toujours tiré avec de moindre dégâts humains de ses tremblements de terre, devenus familiers pour sa population. C'est un pays qui a lui-même tiré des leçons du tremblement de terre qui a dévasté Tokyo et Yokohama en 1923, tuant plus de 140.000 personnes. Ainsi, le Japon a mis en œuvre, après la seconde guerre mondiale, des mesures obligeant les constructeurs à respecter d'une manière rigoureuse les techniques parasismiques, soit des codes de constructions parasismiques strictes qui ont par la suite fait leurs preuves.
Pourquoi les pays à risque, où les tremblements de terre sont fréquents, n'adoptent-ils pas les techniques japonaises sur le plan de la construction parasismique, qui sauvent des milliers de vies humaines ? Certes, il n'est pas du tout aisé de suivre le modèle japonais, qui exige un certain niveau de développement, mais une éducation comme celle des Japonais, qui apprennent à leur plus jeune âge comment se comporter en cas de séisme, ou la mise en place d'un système de gestions des catastrophes sur un plan technique, ce sont des domaines abordables. Il y a tout juste lieu d'initier les jeunes à cette culture éducative du comportement face aux tremblements de terre, pas seulement occasionnellement, et de copier l'expérience technique japonaise, à savoir que les architectes et les ingénieurs en génie civil suivent des formations adaptées et que les pouvoirs publics mettent en place un cadre juridique adéquat en matière de respect obligatoire des techniques parasismiques. Surtout, ne pas se croiser les bras jusqu'à la survenue des drames pour commencer à lancer des enquêtes et préparer des actions en justice contre les entrepreneurs qui n'ont pas respecté les normes de construction.
Abdelkrim Zerzouri
Jeudi 4 janvier 2024
http://www.lequotidien-oran.com/?news=5326528
LA NATURE ET LE PARADOXE
Le drame que vit en ce moment l'ancien grand empire du Soleil levant et qui avait dominé l'ensemble du monde asiatique est la démonstration d'une impossible victoire de l'homme contre la nature. Considéré toujours comme une des puissances mondiales actuelles, le Japon voit une de ses villes totalement rasée par une récente succession de séismes le poussant à baisser les bras. Face au drame et aux incommensurables dégâts difficiles à inventorier, on imagine le sourire sarcastique de dame nature pour avoir déjoué la formidable puissance industrielle d'un pays qui faisait et défaisait toute l'Asie.
Si après les terrifiants tremblements de terre incessants, des milliers de Japonais assoiffés et en queue leu leu réclament de l'eau et des abris de fortune, il est vrai tout de même que le Japon a su se prémunir d'un drame qui aurait pu être plus catastrophique. Mais la disparition d'une ville reste une indication sur les limites de l'intelligence humaine pour prendre le dessus sur la nature. Elle justifie les observations des âmes bien avisées selon lesquelles il est inutile de s'évertuer encore à tenter de braver l'incontournable réchauffement climatique. Aussi, comment peut-on dans un immense paradoxe livrer bataille contre les bases essentielles qui ont donné naissance à la civilisation dominante actuelle ? On ne creuse pas sa tombe avec la conviction d'être éternel. Le retour de manivelle est imparable car la nature humaine s'est enfoncée dans une multitude de cultures contre nature jusqu'à dénier les lois de la procréation et dénaturer le sens de l'existence.
Il est maintenant certain que l'on ne peut échapper à la nature vengeresse. Les catastrophes se multiplient, les mers s'étendent et les terres disparaissent. Les tourbillons des ères géologiques millénaires se répètent.
Le réveil de plusieurs volcans dans le monde et les séismes de plus en plus puissants et incessants au Japon et ailleurs ne sont-ils pas finalement les premiers indices d'une reconfiguration de la terre ?
Canada: Les fausses alertes à la bombe ont semé la panique et la confusion au Québec au cours des dernières semaines, touchant de nombreux établissements et institutions.
lors que l’incertitude régnait quant à l’origine de ces menaces, un développement récent a apporté des réponses cruciales. Un homme de 45 ans, soupçonné d’être à l’origine de ces appels à la bombe qui ont secoué le Québec et d’autres parties du monde, a finalement été arrêté au Maroc. Cette arrestation met en lumière les détails captivants d’une enquête internationale
complexe.
La Vague d’Alertes à la Bombe
Tout a commencé entre le 18 octobre et le 27 novembre, lorsque des courriels menaçants ont commencé à inonder les boîtes de réception de nombreuses institutions au Québec. Les destinataires de ces courriels allaient des écoles aux commerces, en passant par les bureaux gouvernementaux et les médias. Au total, plus d’une cinquantaine de cas présentant les mêmes caractéristiques ont été signalés dans différentes régions du Québec, provoquant une mobilisation des forces de l’ordre et semant le doute dans l’esprit de la population.
Ces courriels n’étaient pas simplement des menaces vides. L’expéditeur exigeait une rançon en échange de la révélation de l’emplacement présumé des bombes. La gravité de la situation était palpable, et une enquête internationale a rapidement été lancée pour traquer l’individu derrière ces actes criminels.
Une Enquête Collaborative
Plusieurs agences internationales, en collaboration avec la Sûreté du Québec (SQ), ont mis en place une enquête pour identifier et arrêter l’auteur présumé de ces faux appels à la bombe. L’enquête s’est avérée être un défi de taille, car l’individu utilisait des méthodes sophistiquées pour dissimuler sa véritable identité et sa localisation.
La coopération internationale a été essentielle pour progresser dans cette affaire. Les autorités québécoises ont travaillé en étroite collaboration avec des agences de sécurité d’autres pays pour démêler cette affaire complexe qui avait des répercussions internationales. Les enjeux étaient considérables, car la sécurité de la population était en jeu.
La Traque Jusqu’au Maroc
Finalement, après des semaines de travail acharné et de coordination entre les forces de l’ordre, une percée a été réalisée. L’auteur présumé de ces fausses alertes à la bombe a été localisé et appréhendé au Maroc, à Tafraoute, une petite ville située dans le sud-ouest du pays. Cette arrestation a été un soulagement pour les autorités et la population du Québec qui avaient vécu dans la crainte des menaces.
L’individu de 45 ans, dont l’identité n’a pas encore été dévoilée publiquement, devra répondre de ses actes devant la justice. Les charges qui pèsent contre lui sont graves, car non seulement il a semé la panique, mais il a également tenté d’extorquer de l’argent en exploitant la peur des autres.
Les Conséquences de ses Actes
Les fausses alertes à la bombe ne sont pas à prendre à la légère. Elles mobilisent d’importantes ressources policières et créent un climat d’insécurité au sein de la population. De plus, elles peuvent entraîner des coûts importants pour les institutions qui doivent évaluer la crédibilité de chaque menace et mettre en place des mesures de sécurité.
L’arrestation de l’auteur présumé mettra un terme à cette vague de fausses alertes à la bombe au Québec, mais elle souligne également l’importance de lutter contre de telles menaces. Les conséquences de ses actes sont graves, et la justice devra déterminer sa culpabilité et prononcer une peine appropriée.
L’arrestation de l’auteur présumé des fausses alertes à la bombe au Québec est un développement majeur dans cette affaire qui a secoué la province et au-delà. Elle démontre la puissance de la coopération internationale dans la lutte contre la criminalité, même lorsque les criminels utilisent des méthodes sophistiquées pour se cacher.
Cependant, cette arrestation ne doit pas être vue comme la fin de l’histoire, mais comme le début d’un processus judiciaire qui déterminera la culpabilité de l’individu et les conséquences de ses actes. Les fausses alertes à la bombe sont des crimes graves qui ont un impact sur la sécurité et le bien-être de la population, et il est essentiel qu’ils soient traités avec toute la rigueur de la loi.
En fin de compte, cette affaire rappelle que la sécurité est une responsabilité partagée, et que la collaboration entre les forces de l’ordre nationales et internationales est essentielle pour maintenir la paix et la stabilité.
Depuis les grandes manifestations de colère des années 2016 et 2017, le Royaume n’avait pas connu de rassemblements de si grande ampleur. Le soutien à la Palestine fédère à nouveau dans les rues, encadré par une coalition expérimentée et toléré par le pouvoir.
Casablanca (Maroc).– L’annonce est tombée mercredi 18 octobre : le personnel du bureau de liaison Maroc-Israël, à Rabat, a été évacué. Pareil pour la diplomatie israélienne au Caire. Depuis la macabre nouvelle du bombardement d’un hôpital à Gaza, mardi 17 octobre, la pression est montée d’un cran dans le monde arabe. Au Maroc, l’ampleur et la multitude des rassemblements pro-Palestine dans tout le Royaume montrent que la rue a renoué avec son pouvoir de contestation.
Dans le viseur : les accords de normalisation de 2020, considérés comme une « trahison ». Les États-Unis, soutiens inconditionnels d’Israël, sont eux aussi ciblés. Mercredi 18 octobre, devant leur consulat de Casablanca, la police a dû fermer aux voitures tout un boulevard, peuplé de manifestant·es. Au même moment, la place des Nations-Unies, haut lieu de contestation citoyenne de la capitale économique, était elle aussi noire de monde.
Ces mouvements n’ont, pour l’instant, pas obtenu gain de cause auprès des autorités. La fermeture du bureau de liaison avec Israël n’est que temporaire, et rien ne démontre que le Maroc va faire marche arrière sur la question de la normalisation. Sur le plan diplomatique, le Royaume continue d’appeler à l’apaisement du conflit, sans prendre parti.
Selon l’association Instance marocaine de soutien aux causes de la oumma, il y aurait eu, dans tout le Maroc, 58 manifestations dans les rues, et 40 dans les universités, depuis les premiers jours qui ont suivi l’attaque du Hamas jusqu’au 18 octobre. Et cela ne semble pas s’arrêter. Un deuxième vendredi de colère a été décrété par l’Instance, le 20 octobre, sous le slogan « Nous sommes tous Gaza ».
Ce pic de manifestations est incontestable par rapport aux habitudes des Marocain·es, qui se sont mobilisé·es, en moyenne, seulement 17 fois par semaine entre 2006 et 2016, selon une étude menée par le centre de recherche Tafra. Dans la majorité des cas, c’était pour le travail, l’emploi, les politiques sociales et, dans une moindre mesure, les droits civiques, observe la chercheuse Chantal Berman, qui note tout de même de fortes mobilisations ponctuelles liées aux questions internationales et notamment à la situation en Palestine.
Depuis les manifestations du mouvement du Hirak, dans la région du Rif, entre 2016 et 2017, et l’arrestation de plusieurs de ses militants, on n’avait plus vraiment vu de rassemblements de très grande ampleur dans le Royaume. Alors pourquoi la cause palestinienne, plutôt qu’une autre, a-t-elle finalement suscité la sortie de tant de Marocain·es ?
Pour Fouad Abdelmoumni, militant, ancien vice-président de l’Association marocaine des droits humains (AMDH) et ancien secrétaire général de Transparency Maroc, le fait que ce soit une question extérieure au contexte national évite une confrontation directe majeure avec le pouvoir, et donc, le risque de répression. « C’est un enjeu extérieur, donc le régime n’est pas légitime à faire couler le sang. On a le sentiment diffus que les enjeux sont partagés, et les risques minorés », analyse-t-il.
La cause palestinienne, qui a déjà suscité de grandes manifestations par le passé, était, ces dernières années, tombée dans une certaine « léthargie », dit-il encore. En cause, une « politique de manipulation menée par le Makhzen [le pouvoir royal marocain − ndlr] pour banaliser la normalisation avec Israël ». Cela n’aura pas suffi à faire accepter au peuple l’abandon de ses sympathies pour la Palestine.
Derrière les sit-in, une puissante association islamiste
Mégaphones, drapeaux, banderoles, slogans… Derrière les sit-in pour la Palestine, une coalition expérimentée est à l’œuvre. Deux entités la composent : le Groupe d’action nationale pour la Palestine et le Front marocain en soutien à la Palestine contre la normalisation. Elles réunissent des syndicats de travailleurs, des partis de gauche, tels que le Parti socialiste unifié, ou la Fédération de la gauche démocratique… mais aussi des organisations islamistes : le parti islamiste Justice et Développement (PJD), et surtout, une association non reconnue par les autorités, Al Adl Wa L’Ihssane (« Justice et bienfaisance », en arabe), autrefois appelée la Jamâa.
Se présentant comme un « mouvement communautaire islamique indépendant », Al Adl Wa L’Ihssane possède une importante capacité de mobilisation, ce qui lui procure une certaine tolérance de la part du pouvoir. C’est elle qui a gonflé les rangs, en 2011, lors des manifestations du 20 février, et même plus récemment, des sit-in de soutien aux prisonniers du Hirak. Ce pouvoir a été construit, au fil de ses quarante années d’existence, en partie par son fondateur, Abdessalam Al-Yassine, mort en 2012. Son credo : « islamiser la modernité ».
Opposée au système du Makhzen, il s’agit d’une idéologie révolutionnaire qui s’adresse aux masses, vers un renversement du pouvoir au nom de l’islam. Al Adl Wa L’Ihssane s’inscrit aussi dans une logique anticoloniale, dénonce la suprématie de l’Occident… et s’est donc naturellement emparée de la cause palestinienne, depuis des décennies. La Jamâa, comme on continue de l’appeler au Maroc,n’avait toutefois pas fait une telle démonstration de sa force de mobilisation depuis plusieurs années. Difficile de dire, cependant, combien de manifestant·es sont véritablement venu·es en son nom, malgré la présence de bannières siglées. Nous avons tenté de joindre l’association, sans réponse.
Faut-il craindre une récupération islamiste de la cause?Pour Fouad Abdelmoumni, il y a sûrement un calcul d’opportunités, qui n’éclipse pas une vraie conviction. « Al Adl Wa L’Ihssane est réputée comme l’organisation qui compte le plus grand nombre de membres affiliés, avec une grande discipline. Il est naturel qu’ils soient perçus dans ces manifestations,explique le militant. Évidemment, le mot a circulé par le relais des groupes organisés, mais je constate que c’est réellement un mouvement de masse qui a eu lieu, sans signes distinctifs partisans. »
La récupération viendrait plutôt… du Makhzen lui-même. « Le pouvoir interdit les rassemblements, mais dès que le nombre de gens dépasse un certain seuil, ils préfèrent laisser courir »,analyse Fouad Abdelmoumni, qui, présent à la marche de Rabat, dit même avoir vu des signes de sympathie de la part des forces de l’ordre. « Récemment, les éléments de langage du pouvoir consistent à dire qu’ils laissent faire parce qu’ils sont d’accord avec la foule »,ajoute-t-il.Tout en ignorant royalement une de ses revendications principales : la fin de la normalisation.
Sur les réseaux sociaux, les Marocains se sentent muselés
Si tant de gens sont sortis dans la rue, c’est aussi parce que la caisse de résonance offerte par les réseaux sociaux est massivement dénoncée comme défaillante par les Marocain·es. Au sit-in de la place des Nations-Unies, une jeune femme est venue avec une pancarte au message fort :« You can’t shadowban us in real life – Free Palestine »(« Vous ne pouvez pas nous invisibiliser dans la vraie vie − Libérez la Palestine »).
Comme elle, de nombreux utilisateurs et utilisatrices marocain·es d’Instagram et Tiktok se sentent muselés. Le shadowban, c’est cette façon qu’ont les réseaux sociaux, et notamment Meta, qui possède Instagram et Facebook, de rendre moins visibles certaines publications. Pour beaucoup d’internautes marocain·es, y compris celles et ceux qui vivent à l’étranger et qui veulent soutenir les contestations dans le Royaume, cela ne fait aucun doute : tout message pro-Palestine est sous-exposé auprès de leur communauté. Dans le monde entier, on se passe des moyens de duper l’algorithme : avec l’emoji pastèque, par exemple. Parce qu’il est rouge et vert, il a remplacé le drapeau palestinien.
Les personnalités marocaines, surtout celles qui ont de larges communautés en ligne, se sont trouvées pressées de prendre position sur le conflit. Le footballeur Achraf Hakimi, par exemple, n’a fait aucune déclaration, contrairement à d’autres stars de l’équipe nationale. Résultat : pluie de commentaires l’interpellant sur le sujet. « As-tu vu le génocide qui a lieu à Gaza ? Es-tu arabe ? Es-tu humain ? On n’oublie pas, wallah ! »,ou encore « Free Palestine », que l’on peut lire sous un post où il célèbre une victoire de l’équipe nationale.
Les stades de foot sont connus au Maroc pour être des arènes de contestation. Les associations d’ultras n’ont pas manqué à l’appel de la cause palestinienne, chantant en leur honneur, ou brandissant des drapeaux pendant les matchs.
De nouvelles sources d’information
Vendredi 20 octobre, à Rafah, Rahma Zein, podcasteuse égyptienne, a invectivé Clarissa Ward, journaliste pour CNN : « Viens me parler comme un être humain »,lui lance-t-elle. « Vous vous accaparez le récit […] Où sont nos voix ? Elles doivent être entendues aussi. Nous avons regardé vos chaînes. Au lieu de pleurer nos morts, ces enfants palestiniens, nous avons affaire à plus de déshumanisation des Arabes », s’insurge-t-elle. Sa tirade a été partagée des dizaines de milliers de fois sur les réseaux, notamment au Maroc, où la défiance envers les médias occidentaux ne fait que s’attiser. La couverture, notamment française, du séisme d’Al-Haouz, en septembre, avait déjà suscité de vives polémiques.
Dans une vidéo filmée vendredi 20 à Fès, Ali, un jeune manifestant, s’adresse directement à l’Occident et à ses médias phares : « Vous avez menti sur l’Irak, vous avez menti sur les bébés et maintenant, vous mentez sur les bombardements. France, États-Unis, vous financez tout ça. CNN, Fox News, honte à vous. Nous nous souviendrons toujours de vous. »
Quand il parle des « bébés », Ali fait allusion aux journalistes qui ont répandu la rumeur d’un massacre de 40 bébés par le Hamas, à Kfar Aza. Après l’avoir diffusée, CNN avait dû rétropédaler, déclarant qu’Israël ne pouvait pas confirmer cette déclaration spécifique.
Concernant le bombardement de l’hôpital Al-Ahli, le Hamas et Israël se rejettent aujourd’hui toujours la faute, et s’accusent d’alourdir ou d’alléger le nombre de morts selon leur intérêt. Pour Ali, c’est très clair : « Israël est responsable de ce bombardement. On en a toutes les preuves. Quelques jours plus tard, ils ont frappé une église. Il est temps d’arrêter de se voiler la face pour protéger un État terroriste. »
Comme beaucoup de Marocain·es, Ali préfère s’informer sur des pages indépendantes, en anglais ou en arabe, ou encore par les canaux Instagram de journalistes gazaouis. « Tout ce qui est presse internationale, je le prends avec des pincettes », explique-t-il.
Néanmoins, les pages palestiniennes rencontrent aussi des difficultés. Vendredi 20 octobre, Instagram a dû publiquement s’excuser d’une anomalie dans la traduction automatique de la biographie de certains comptes : les mots « palestinien », suivi de l’emoji drapeau, et « al-hamdoulillah » (« grâce à dieu », littéralement, en arabe) donnaient lieu à l’ajout automatique de la mention « terroriste ». Explication de Meta : un bug dans la matrice.
L’écrivain Gilles Perrault est mort dans la nuit du 3 au 4 août dernier. Il avait été rendu célèbre par ses diverses enquêtes, notamment Notre ami le roi, consacrée au Maroc et à Hassan II. Un ami marocain se rappelle cette période. La famille, Orient XXI et la Ligue des droits de l’homme (LDH) lui rendront hommage ce mardi 24 octobre à 18 h 30 à Paris.
L’écrivain Gilles Perrault est mort dans la nuit du 3 au 4 août dernier. Il avait été rendu célèbre par ses diverses enquêtes, notamment Notre ami le roi, consacrée au Maroc et à Hassan II. Un ami marocain se rappelle cette période. La famille, Orient XXI et la Ligue des droits de l’homme (LDH) lui rendront hommage ce mardi 24 octobre à 18 h 30 à Paris.
Ceux qui l’avaient rencontré ou lu ses ouvrages ne l’oublieront jamais. Encore moins ceux ayant subi les affres de la répression sous le règne du roi Hassan II : les prisonniers d’opinion embastillés jusqu’aux débuts des années 1990, les militaires des deux putschs emmurés dans l’exécrable bagne de Tazmamart, et les enfants du général Mohamed Oufkir et leur mère mis sous les verrous sans procès en 1972.
Gilles Perrault, décédé dans la nuit du 3 au 4 août 2023 à l’âge de 92 ans, connaissait sans doute du Maroc ce que se racontaient nombre d’écrivains et de journalistes français : une monarchie répressive mais ouverte sur l’Occident, un roi ami fidèle à la France qui avait l’art de séduire et de flatter par son immense culture francophone et francophile ses élites et ses médias.
Quant aux disparités socioéconomiques criantes qui y sévissaient, elles ne dérangeaient pas outre mesure les élites de la France, une fatalité, se disaient-elles, que beaucoup d’autres pays partageaient au demeurant, et qu’il ne fallait pas s’en alarmer. En tout cas, l’auteur de livres-enquêtes à grand succès, notamment L’Orchestre rouge et, surtout, Le Pullover rouge sur l’affaire du jeune Christian Ranucci, l’un des derniers condamnés à mort guillotinés en France avant l’abolition de la peine capitale, s’intéressait peu à ce que se passait au Maroc.
LETTRE DE PRISON
Voilà un jeune homme de 33 ans, sous les verrous depuis dix ans pendant le règne de Hassan II qui, encore plus curieux après sa lecture de l’enquête sur Leopold Trepper, le chef du service d’espionnage soviétique en Occident pendant la seconde guerre mondiale (« l’Orchestre rouge »), écrivit une lettre à l’auteur pour lui demander quelques détails. On était en 1984. Une phrase à la fin de l’ouvrage avait particulièrement touché le lecteur-prisonnier. Parlant de Trepper, arrêté par Joseph Staline après son retour en URSS une fois la guerre terminée et envoyé croupir pendant dix ans à la Loubianka de Moscou, l’auteur commente :
Il sort de la Loubianka tel qu’il y est entré : communiste. Et nous qui ne sommes pas communistes, nous aimons pourtant qu’il le soit resté, car la défaite d’un homme que les vicissitudes, même affreuses, amènent à rejeter ses convictions comme un fardeau trop lourd, c’est une défaite pour tous les hommes.
L’auteur de la lettre, ne connaissant même pas l’adresse de l’écrivain, l’envoya comme on en envoie une bouteille à la mer à son éditeur : Fayard, 13 rue de Montparnasse à Paris. J’étais l’auteur de ce courrier et la phrase sur Trepper avait résonné toute la nuit dans ma tête : je n’étais plus communiste, quant à moi, et j’avais quitté toute activité militante. Et pourtant, on m’avait arrêté, torturé, forcé à rester poignets menottés et yeux bandés pendant de longs mois au centre de détention clandestin de Derb Moulay Cherif, puis condamné à l’issue d’un procès-mascarade à 22 ans de prison ferme. Je suis parti les purger à la prison centrale de Kenitra avec une centaine de mes camarades lourdement condamnés eux aussi. Quitter l’organisation « IIal Amam »1 à laquelle j’appartenais ne signifiait pas, pour moi, renier mes convictions : celles d’un homme libre qui, au-delà de toute idéologie, abhorrait l’arbitraire et le despotisme.
Sur le dos de l’enveloppe j’avais mentionné mon nom, et en guise d’adresse : PC (Prison centrale) de Kenitra. Une dizaine de jours plus tard, je reçus à ma grande surprise une réponse courtoise, avec un colis de livres dont Les Gens d’ici et Le Pullover rouge.. Une relation épistolaire s’instaura, depuis, entre moi, Gilles Perrault et son épouse Thérèse, et naîtra une amitié de quarante ans qui restera intacte et affectueuse jusqu’à son décès. Au départ, l’écrivain croyait que « PC » signifiait « Poste de Commandement » et que j’étais un soldat qui se morfondait dans une caserne à Kenitra. Je lui avais répondu que non, lui expliquant ma situation de prisonnier d’opinion.
LIBÉRÉ PAR GRÂCE ROYALE
Je n’avais jamais imaginé que ma lettre allait déclencher quelques années plus tard chez Gilles, habitant un village du nom Sainte-Marie-du-Mont en Normandie, à 3 000 kilomètres de Kenitra, une rage d’écrire sur le Maroc pour rendre justice à des jeunes qui croupissaient dans les geôles pour leurs idées. Avec le recul, si je suis fier de quelque chose dans ma vie c’est d’avoir commis cette lettre et d’avoir provoqué chez cet homme, aux valeurs humaines et de justice chevillées au corps, cette rageuse envie de dénoncer l’arbitraire, à une époque où la liberté d’expression et les libertés tout court étaient bâillonnées dans mon pays. Il m’écriti un un jour :
Je t’ai toujours comparé à Sidney, mon fils aîné, qui a ton âge et qui avait milité comme toi dans un mouvement d’extrême gauche. Lui, il avait tout au plus reçu des coups de matraque sur le crâne, alors que toi tu es dans la prison jusqu’au cou.
Je fus libéré par une grâce royale que je n’avais jamais demandée, le 7 mai 1989, après quatorze ans et quatre mois à l’ombre, laissant derrière moi une huitaine de camarades — dont Abraham Serfaty — que le régime avait refusé de relâcher. Cela faisait suite à une campagne internationale de solidarité à laquelle Gilles Perrault et d’autres écrivains et hommes et femmes épris de justice (Christine Daure-Serfaty, Nelcya Delanoë, Claire Etcherelli, Me Henri Leclerc, François Della Suda, François Maspero, Yves Baudelot, Pr Alexandre Minkovski…) avaient participé.
UNE BOMBE SOUS FORME DE LIVRE
« Le complot », comme l’avait nommé Edwy Plenel dans sa préface (ourdi par Christine Daure-Serfaty2, Perrault et Plenel, lequel dirigeait à l’époque une collection chez Gallimard, pour l’écriture de Notre ami le roi), avait commencé à prendre forme vers 1987, mais j’ignorais tout du projet. Nous continuions à correspondre Gilles et moi comme si de rien n’était, et il continuait à me gratifier de livres, dont Un homme à part , sa célèbre enquête sur Henri Curiel assassiné à Paris en 1978. Tout au plus avait-il plusieurs fois insisté pour que je lui envoie les mémoires de prison que je consignais — qui serviraient plus tard à la rédaction de mes deux livres La Chambre noire et Vers le large3. Le jour de ma libération, Thérèse et Gilles m’envoyèrent un télégramme de félicitations, je leur téléphonai pour les remercier. Ce fut notre première communication de vive-voix. Gilles me posa une question qui voulait tout dire : « Et les autres, pourquoi n’ont-ils pas été libérés, es-tu sûr qu’ils le seront aussi ? »« Je n’en sais rien », lui avais-je répondu.
Quelques mois plus tard, fin 1990, la bombe explosa à la figure du roi du Maroc sous forme d’un livre, Notre ami le Roi : incendiaire pour un régime qui soudoyait par l’argent et les prébendes une élite française pusillanime ; un canot de sauvetage inespéré pour des centaines de prisonniers politiques, civils et militaires, encore emprisonnés. Je me rappelle le courroux du roi dans les les semaines qui suivirent la sortie du livre : on obligeait les gens à réagir contre ce « brûlot », une avalanche de lettres et de télégrammes de protestation était envoyés, tous les jours, à l’auteur et à l’Élysée. Peine perdue.
Interdit au Maroc, le livre circulait à grande échelle sous le manteau et il connut un succès foudroyant. Des exemplaires furent introduits clandestinement aux prisonniers de la PC prison centrale de Kenitra, des entretiens radiophoniques de l’auteur avec la presse furent captés au fin fond de l’un des bagnes des plus indignes de l’être humain, celui de Tazmamart, où les militaires des deux putschs de 1971 et 1972, ou ceux qui avaient survécu, souffraient encore le martyre.
LE DERNIER CARRÉ DES PRISONNIERS
Résultat, le dernier carré des prisonniers gauchistes du procès de 19774 furent libérés. Les survivants du bagne de Tazmamart et les enfants Oufkir disparus depuis 1972 retrouvèrent la lumière après son aveuglante absence durant vingt ans. Abraham Serfaty, lui, fut exilé manu militari en France avec un passeport brésilien.
Dix ans plus tard, invité par le Salon du livre de Paris, en 2001, après la publication de La Chambre noire, j’organisais une table ronde pour débattre du passé de mon pays et, surtout, de son avenir sous le nouveau règne de Mohamed VI. Je téléphonai à mon ami Gilles, auquel j’avais consacré une postface dans mon livre, pour l’inviter à venir y participer. Il répondit présent. Je l’aperçus au milieu de l’assistance, presque effacé, refusant d’intervenir et d’être la vedette d’une soirée consacrée aux rescapés, « héros » de son livre. Je pris la parole pour attirer l’attention sur cette présence en lui rendant un vibrant hommage.
Pour la première fois, 17 ans après cette première lettre, je vis mon ami Gilles devant moi en chair et en os. Suivront notre première poignée de main et notre première bise. Pendant la campagne de présentation du livre, il n’avait jamais osé citer mon nom, ni d’ailleurs dans le l’ouvrage lui-même quand il avait reproduit un paragraphe de l’une de mes lettres, se contentant de répondre, à ceux qui lui demandaient d’où venait son intérêt pour le Maroc, que c’est un étudiant condamné à 22 ans de prison qui l’avait alerté. Ce n’est que trente ans après la sortie de Notre ami le roi, lors d’un [entretien accordé au journaliste et écrivain Omar Brouksy à Orient XXI, qu’il mit un nom sur cet étudiant anonyme.
Le « tremblement de terre » qu’avait provoqué ce livre, avec le recul, fut en réalité une aubaine, non seulement pour les damnés de la terre de notre pays, mais aussi pour la monarchie elle-même : il lui a permis de se ressaisir pour enclencher un processus d’ouverture, et, quelques années plus tard, de avec la création de l’Instance équité et réconciliation (IER)5.
Un jour, sachant qu’il suivait de près l’actualité marocaine, je lui avais posé une question sur ce qu’il pensait de cette Instance : imposture ou grande réalisation ? « J’ai envie de dire : les deux mon général. Réponse de Normand ? Il existait une foule d’arguments à l’appui de l’une et de l’autre jugement. Il demeure que le règne actuel, avec toutes ses imperfections, ne ressemble pas au précédent, fort heureusement ». Dans ce restaurant parisien, où il nous avait invités mon épouse et moi le soir du débat, Gilles parlait peu, écoutait surtout.
AVEC SEULEMENT UN STYLO
Nous continuâmes notre échange deux jours plus tard, en présence de mon épouse et de la sienne, dans sa maison à Sainte-Marie-du-Mont où il nous avait invités pour passer une nuit, là où en 1961, quittant Paris, il alla s’installer au bord de la Manche et de la plage Utah Beach, théâtre du débarquement des Alliés en 1944. C’est pendant cette soirée que j’avais mesuré l’ampleur de sa culture et sa passion pour l’Histoire : partout des livres, pas un coin où glisser une aiguille, là où il y a un vide il était colmaté par un ouvrage, un beau livre, un magazine…, jusqu’aux murs d’un escalier en colimaçon qui conduisait au premier étage de sa maison, remplie à ras-bord d’ouvrages. À mi-chemin de cet escalier, il s’arrêta un instant pour me montrer son bureau de travail : une petite pièce modeste meublée d’une humble table ornée d’un abat-jour, où il avait produit son immense œuvre.
Il m’avait raconté comment se déroulaient ses heures de travail : « À partir de quatre heures du matin, et ça dure toute la matinée. » Pas d’ordinateur pour saisir son texte, seulement un stylo à encre lui servant d’arme pour noircir des milliers de pages et tirer quelques cartouches pour éveiller les consciences. À force d’user de ses trois doigts pour écrire, une petite bosse avait pris place sur le bout de son majeur. « J’écris tout à la main, puis je dicte mon texte sur des cassettes de magnétophone et une spécialiste de l’ordinateur retranscrit sur sa machine. Complexe et… assez cher. »
Lors de notre échange en ce mois de mars 2001, il m’avoua les tourments qu’il avait endurés après la publication de son livre sur le Maroc :
Ah, mon cher Jaouad, tu m’as créé beaucoup de problèmes ! Notre vie n’est plus la même depuis la sortie de ce livre, et même avant : ton irruption dans notre vie a modifié quelque chose dans notre existence paisible dans ce village. L’essentiel est que vous soyez enfin libres, mes emmerdes ne sont rien devant celles qui vous avez endurées.
POUR ALLER PLUS LOIN
Principaux ouvrages de Gilles Perrault :
– L’Orchestre rouge, Fayard, 1967. – Le Pull-Over rouge, Ramsay, 1978. – Un homme à part, Barrault, 1984. – Notre ami le roi, Gallimard, 1990. – Souvenirs, Fayard, 1995-2008 (trois tomes) – Le Secret du roi, 1992-1996 (trois tomes). – Le Livre noir du capitalisme, Le Temps des Cerises, 1998. – Dictionnaire amoureux de la Résistance, Plon/Fayard, 2014.
Documentaire sur Gilles Perrault :
L’Écriture comme une arme, de Thierry Durand, FAG production/France 3, 2014.
Des centaines de milliers de personnes ont défilé dimanche à Rabat en solidarité avec le peuple palestinien. Jamais une marche ouvertement critique envers les accords de coopération entre le Maroc et Israël n’avait rassemblé autant de monde.
RabatRabat (Maroc).– Dimanche 15 octobre, Rabat est aux couleurs de la Palestine. Les drapeaux rouge, vert et noir s’agitent sous les palmiers de l’avenue Mohamed-V, brandis par des dizaines de milliers de Marocaines et de Marocains révolté·es par les bombardements de Gaza par les forces israéliennes. Depuis le 7 octobre, jour du lancement de l’offensive « déluge d’Al-Aqsa » du Hamas dans le désert du Néguev, de petits rassemblements pro-Palestine se sont multipliés dans tout le Royaume, de Rabat à Tanger en passant par Marrakech ou encore Fès… La marche nationale de dimanche a, elle, pris une dimension historique.
À l’initiative, le Groupe d’action nationale pour la Palestine et le Front marocain de soutien à la Palestine contre la normalisation ont réuni des partis politiques de gauche et des groupements islamistes. Jamais une marche ouvertement critique envers la politique de normalisation des relations du Maroc avec Israël n’avait rassemblé autant de monde. Entre 300 000 et 1 million de personnes auraient déferlé dans les rues, selon différentes sources. Une première depuis les accords passés en décembre 2020.
Sur une grande bâche que les manifestant·es sont invité·es à venir signer, le message est clair : « Nous, filles et fils du peuple marocain libre, […] appelons aussi l’État marocain à stopper la normalisation avec l’entité sioniste et à prendre des actions urgentes pour soutenir nos frères palestiniens avec toutes les ressources disponibles. Nous appelons le peuple palestinien à rester ferme et à continuer la résistance contre l’occupation jusqu’à la libération de chaque mètre carré de terre palestinienne. »
Les Marocains, soutiens inconditionnels de la cause palestinienne
À Bab-El-Had, au cœur de Rabat, la foule est immense, dès 9 h 30. Chargé de banderoles et de drapeaux, le cortège démarre vers 10 heures, marchant devant le Parlement, lieu historique de mobilisation citoyenne, puis terminant devant la gare Rabat-Ville. Depuis leurs estrades mobiles, des militants scandent des slogans éloquents - « mort à Israël », ou encore « à bas le sionisme » - repris en chœur par une foule multigénérationnelle.
Bien que l’heure soit grave, une ambiance familiale règne dans la foule : les manifestant·es sont venu·es avec leurs grands-parents, leurs enfants, et même leurs bébés en poussette. On tape des mains, on chante, on crie, on prie… Pendant près de trois heures, l’avenue ne désemplit pas.
Leila, jeune habitante de Rabat, ne s’attendait pas à voir une telle marée humaine. « J’avais 6 ans lorsque j’ai assisté à ma première manifestation pro-Palestine, ici, à Rabat », se souvient-elle avec émotion. Une passante, qui contemple la foule, fait aussi le lien entre son enfance et la cause palestinienne : « Chez nous, on avait la télé branchée sur Al-Jazeera, tout le temps. La Palestine, c’est peut-être loin géographiquement, mais les images, elles, étaient dans nos salons, à tous les repas. » Des images douloureuses de Gazaoui·es meurtri·es sous les bombes, des manifestant·es en ont imprimé, pour les élever au-dessus de leurs têtes.
D’où vient ce lien, si fort, entre Marocains et Palestiniens ? Une pancarte tenue dans la foule donne un premier élément de réponse : « Je ne suis pas de Syrie, ni de Palestine, ni d’Afghanistan ou d’Irak, mais lorsque vous saignez, je saigne aussi, car nous sommes une seule oumma [communauté musulmane mondiale, en arabe – ndlr] ». Au Maroc, l’Instance de soutien aux causes de la oumma a quant à elle appelé le 13 octobre à un « vendredi de colère ». Dans tout le pays, des mosquées ont organisé, après la prière du vendredi, des rassemblements pour soutenir Gaza.
Rajaa, venue marcher ce dimanche avec sa fille, précise : « Ce qui nous réunit, ce n’est pas seulement l’islam, c’est aussi notre arabité », pense-t-elle. « Et puis, c’est surtout notre humanité. Le plus important, dans tout ça, c’est l’injustice subie par les Palestiniens. Parce qu’on n’accepte pas l’injustice, ni pour nous, ni pour les autres », explique-t-elle. Pour Leila, il y a aussi un lien créé par le traumatisme commun de la colonisation : « Le décolonialisme, c’est un mouvement mondial », dit-elle.
Le Hamas, mouvement de « résistance héroïque »
En plus d’une démonstration de solidarité avec les Gazaouis, admirés comme des « martyrs », la marche nationale tient un propos politique. Il s’agit, pour le Front marocain de soutien à la Palestine contre la normalisation, de « célébrer la bataille d’Al-Aqsa », considérée comme une « victoire de la résistance ». Dans la communication des organisateurs de la marche, le fait que le mouvement Hamas ait tué près de 1 300 civils israéliens est décrit comme une « humiliation » infligée à Israël, dont le drapeau a été brûlé publiquement, ou piétiné lors des divers sit-in dans le Royaume, sous les applaudissements.
L’autre drapeau présent lors de la marche, plus discret cependant, était celui du Hamas, souvent perçu, au Maroc, comme un mouvement de résistance héroïque. Dans un cortège, un jeune homme tient, les deux bras en l’air, une pancarte explicite : « HAMAS = RÉSISTANCE ». Il développe : « Le Hamas est la lutte armée face à l’échec des pourparlers pour la paix. C’est un mouvement de résistance d’un peuple qui n’a pas d’autre moyen pour lutter. »
Une position qui tranche avec l’attitude adoptée par l’Union européenne, qui considère le Hamas comme une organisation terroriste.
Salma, manifestante qui a la double nationalité franco-marocaine, exprime sa « sidération » face à la position de « l’Occident », et plus particulièrement de la France, qu’elle juge « inhumaine, car elle hiérarchise la souffrance des gens, et se rend complice d’un génocide ». Précisant qu’elle ne partage pas tous les slogans de la marche, elle nuance : « Malgré la cruauté des actions menées sur les civils, que je ne cautionne pas, on oublie de dire que le Hamas a agi dans un contexte précis. Dire que c’est une organisation terroriste, c’est jeter quatre-vingts ans d’occupation aux oubliettes. »
« Normalisation : trahison ! »
Lorsque l’on interroge Rajaa sur ce qu’elle pense de la réaction du Maroc face aux événements, elle demande : « Vous parlez de la réaction du système, ou du peuple marocain ? » Car ce sont deux choses bien différentes.
Le 22 décembre 2020, le Maroc a signé un accord de normalisation de ses relations avec Israël. Les deux pays ont inauguré un tout nouveau chapitre diplomatique, qui s’est traduit notamment par l’ouverture de vols commerciaux, mais aussi de bureaux de liaison de part et d’autre. Négocié par l’intermédiaire des États-Unis, il s’agissait surtout, pour le royaume chérifien, d’obtenir la reconnaissance de la marocanité du Sahara occidental par deux grandes puissances qui pèsent sur la scène internationale.
Tous ces bouleversements diplomatiques n’ont fait l’objet d’aucune consultation auprès des citoyens marocains. Alors, ce dimanche matin, Rajaa scande : « Normalisation : trahison ! » Révoltée, elle développe : « Il n’y a eu aucun dialogue avec nous, le peuple. Le système ne voit que ses propres intérêts. » Elle poursuit : « Je suis contre la normalisation, depuis le début. C’est comme si on embellissait l’image du colonisateur, comme si on acceptait la présence sioniste sur les terres palestiniennes. »
Plusieurs formes de contestation ont émergé. Début 2021, un groupe d’avocats avait même tenté de déposer un recours, mais en vain. De nombreux sit-in ont déjà eu lieu, souvent réprimés. Certains ont été interdits, d’autres dispersés.
Il y a moins de trois mois, un citoyen marocain installé au Qatar, Saïd Boukyoud, a été arrêté et condamné à cinq ans de prison pendant ses vacances au Maroc, pour avoir critiqué la normalisation sur les réseaux sociaux. Mais ce dimanche, le message est clair : « Le peuple demande l’annulation de la normalisation », crient les manifestant·es. Certaines revendications vont même plus loin, réclamant une loi qui criminalise la normalisation, ou encore l’expulsion de l’ambassadeur d’Israël, David Govrin.
Si l’opposition ne se bride plus, c’est que le Maroc a fait preuve d’une neutralité qui a beaucoup troublé, lorsqu’il a condamné les attaques contre les civils « d’où qu’ils soient », se disant « préoccupé par le déclenchement d’actions militaires » à Gaza, et appelant à l’apaisement. Dans la foule, la pancarte d’un jeune homme dénonce les membres de la Ligue arabe, assimilés à des « chiens du sionisme ».
Un message qui vise directement Nasser Bourita, le ministre des affaires étrangères marocain, qui a présidé, mercredi dernier, au Caire, les travaux de la session extraordinaire du Conseil de la Ligue des États arabes. Le ministre a également été sollicité par les États-Unis pour aider à la libération des otages étrangers et israéliens.
Rajaa, elle, ne décolère pas. « S’ils ont autorisé cette marche, c’est parce qu’ils y sont obligés. Ils savent que le peuple est en colère. Cette marche, c’est comme si c’était le peuple qui l’avait imposée. »
C’est aux confins du Moyen et du Haut Atlas que se sont déroulées, en août 1933, les dernières grandes batailles lancées par les combattants berbères contre l’ingérence française au Maroc. Considérées dans la culture populaire comme des épopées de la résistance contre le colonialisme, elles ne figurent pourtant ni dans les manuels scolaires ni dans l’histoire officielle.
« Conteur indigène excitant les tribus contre la domination française », 1913, photo attribuée à Raymond Lavagne pour l’agence Rol BNF Gallica
« Conteur indigène excitant les tribus contre la domination française », 1913, photo attribuée à Raymond Lavagne pour l’agence Rol BNF Gallica
Il a fallu attendre l’année 1933, soit 21 ans après la signature du traité de protectorat par le sultan Abd Al-Hafid en 1912, livrant le Maroc à la France, pour que le pays soit entièrement « pacifié »1 par l’armée occupante d’une IIIe République arrogante et colonisatrice. Avant cette date, la France a dû faire face à une série de batailles contre les résistants marocains dont les théâtres se situaient surtout dans les montagnes du Rif, du Moyen et du Haut Atlas, la dernière ayant eu lieu il y a tout juste 90 ans.
L’élément déclencheur, à la fois historique et politique, remonte à 1911 lorsque les tribus berbères apprirent que le sultan Hafid, qui avait succédé à son frère Abdelaziz en 1908, s’apprêtait à livrer le pays aux Français à la suite de l’endettement colossal dont son frère était le principal responsable. Surnommé le « sultan des chrétiens » à cause de sa connivence avec la future puissance colonisatrice, Hafid est aux abois : traqué et assiégé en 1911 par les tribus berbères, il se réfugie à Fès où il sollicite d’abord la protection des notables de cette ville du centre du pays, avant de faire appel à celle des Français.
PAYS SOUMIS, PAYS INSOUMIS
Fès a été pendant des années la capitale des sultans alaouites. Ils y sont tous nés et en avaient fait le centre de leur pouvoir. Ses habitants sont pour la plupart les descendants des musulmans et des juifs qui avaient fui l’Andalousie à la fin du XVe siècle. Ils forment, jusqu’à aujourd’hui, une bourgeoisie commerçante et lettrée, mais arrogante. Ils ont toujours fait partie du Blad El-Mahzen, le pays soumis à l’autorité du sultan, par opposition au Blad Siba, le pays insoumis, majoritaire et peuplé essentiellement par des tribus berbères autonomes. En contrepartie de la protection militaire du sultan et de son armée, composée de mercenaires et d’esclaves affranchis, les Fassis (habitants de Fès) lui apportaient un soutien financier et lui reconnaissaient une légitimité religieuse et politique. C’est ce qui explique la fuite de Hafid en 1911 à Fès, où il fut assiégé pendant six mois par les tribus berbères avant de solliciter l’aide militaire de la France.
Libéré en mai 1911 par le général Charles Émile Moinier à la tête d’une armée de 23 000 hommes, Hafid signera le traité du protectorat un an plus tard avec un certain… Hubert Lyautey. Mais en dépit de cet acte militaire quasi fondateur de la présence des armées françaises, de longues et dures batailles contre les Berbères les attendaient : « Conquérir le Maroc berbère ne sera pas une promenade de santé », prévient Lyautey2.
La première bataille est celle d’El-Hri, fief de la grande tribu des Zaïans au Moyen Atlas, dont on fêtera les 110 ans en 2024. Menée par Moha ou Hammou Zayani, une légende de la résistance berbère au Moyen Atlas, et, du côté français par le lieutenant-colonel René Philippe Laverdure, la bataille d’El-Hri se déroula le vendredi 13 novembre 1914 près de Khenifra, la capitale des Zaïans : l’armée coloniale est décimée en quelques heures : 33 officiers (dont Laverdure) et 650 soldats sont tués et près de 180 blessés.
Beaucoup plus connue et de plus grande ampleur que celle d’El-Hri, la bataille d’Anoual eut lieu sept ans plus tard contre l’armée espagnole, dans le Rif marocain, sous la direction d’une autre légende de la résistance berbère, Abdelkrim El-Khattabi. Elle débouchera sur une déroute mémorable de l’armée ibérique et à la naissance, en 1921, d’une république rifaine dans le nord du pays. Il faudra l’alliance des armées française et espagnole, aidées par les mercenaires du sultan Youssef ben Hassan, pour vaincre Abdelkrim et ses partisans en 1926.
UNE LÉGENDE BERBÈRE
Mais c’est dans les montagnes du Haut Atlas que les derniers grands affrontements se sont tenus, avec leurs lots d’actes de barbarie coloniale et de pertes humaines et militaires considérables. Les combats commencèrent à partir de 1930, sous la conduite de deux hommes : un mystique soufi du nom d’El-Mekki Amhaouch, autour de « la montagne verte » appelée Tazizaout, qui culmine à plus de 3 000 mètres près d’un village appelé Anfgou ; et Assou Baslam, une légende berbère qui portera les attaques au cœur des montagnes de Saghro, dans le Haut Atlas marocain. Les Français, quant à eux, étaient commandés par le général Antoine Jules Joseph Huré. Devant l’acharnement des Berbères, retranchés dans « la montagne verte » et ses ravins rocheux, ensevelis sous une végétation infranchissable, l’armée coloniale va employer les avions de combat qui feront un carnage parmi la population locale. Les résistants, leurs femmes et leurs enfants seront ainsi bombardés, assoiffés et affamés après avoir été soumis à un siège qui les obligera à se cacher pendant plusieurs semaines dans des trous à rats creusés au pied des arbres.
Mais devant l’ampleur des massacres et peut-être par opportunisme, El-Mekki Amhaouch, contre la volonté de la plupart des combattants, décide de se livrer aux Français le 14 septembre 1932. Il sera nommé « caïd » quelques jours après par Lyautey. Aujourd’hui encore sa reddition est « chantée » en berbère comme une « trahison » et moquée par la poésie locale :
Sidi El Mekki vous a conviés à la fête Mais c’est du poste de caïd qu’il rêvait au fait ! À l’ennemi, il promettait le ridicule ! Et les événements l’ont mis vite à découvert. Ô Tazizaout ! J’entends toujours tes fracas en moi retentir ! Et seul celui qui était à Achlou peut les ressentir. Nulle fête ne me fera ôter le deuil que je te porte Maintenant que je suis soumis et devenu muletier ! Moi je me suis rendu après tant d’évasions et de cavales. À la famine et aux bombardements ai résisté ! Plus rien de ce que je possédais ne m’est resté.
La reddition d’Amhaouch n’empêchera pas les combattants et leurs familles de poursuivre la résistance. Après la « chute » de Tazizaout, ils se retranchent dans une montagne voisine, Jbel Baddou, truffée de grottes invisibles et de barres rocheuses, idéales pour les stratégies défensives. C’est Ouhmad Ouskounti qui prendra le relais d’Amhaouch pour diriger la résistance. Témoignage du colonel Louis Voinot dans ses mémoires : « Bien que la position d’Ouskounti devienne de plus en plus critique, celui-ci demeure toujours aussi intransigeant (…) Pour la seule journée du 25 août 1933, l’armée avait perdu 13 soldats, dont un officier, et 31 blessés3 . »
Finalement, le général Huré décide de confisquer tous les points d’eau de la région, privant les résistants et leurs familles d’une ressource vitale. Selon l’anthropologue franco-britannique Michael Peyron, berbérophone et spécialiste de la région, « finalement, comme au Tazizaout, l’encerclement de leur bastion montagneux par les forces françaises, en empêchant l’arrivée du ravitaillement, eut raison de l’opiniâtreté des défenseurs qui souffrirent davantage de faim et de soif que de la violence des seuls bombardements4 . » Le dernier assaut de l’armée française, consacrant la fin des combats, eut lieu le 29 août 1933.
« LA VIE EST BELLE ! »
Parallèlement à ces combats, d’autres batailles avaient déjà débuté quelques kilomètres plus loin : ainsi de la célèbre bataille de Jbel Saghro qui vit la participation de deux officiers français mythiques, le général Henri Giraud et le capitaine Henri de Bournazel. Auréolé d’une réputation d’invincibilité lors de la guerre du Rif contre Abdelkrim, de Bournazel était déjà un mythe vivant de l’armée coloniale.
Juste après le massacre de Tazizaout, le jeune officier français rejoindra les montagnes berbères de Saghro, où il fera face aux hommes du grand résistant Assou Oubaslam. La bataille décisive commence le 21 février 1933 à Bougafer (Haut Atlas), mais la résistance ne prendra fin que plusieurs mois plus tard. Dès les premiers jours, de Bournazel, trop sûr de lui, s’illustrera par ses mises en scène et les extravagances qui construiront plus tard sa « légende », avant de mourir une semaine jour pour jour après le début des combats, le 28 février 1933. Sitôt installé, de Bournazel voulait en effet s’emparer d’un monticule rocheux qui lui paraissait stratégique. Il aurait couvert sa célèbre tunique rouge d’une djellaba berbère avant de partir à l’assaut, en criant : « La vie est belle ! » Il est d’abord touché par une première balle. Blessé, il revient à la charge : il est de nouveau touché par une seconde balle. Elle lui sera fatale.
La guerre de « pacification » du pays berbère marocain a duré près d’un quart de siècle : de 1911 à 1934. Selon les chiffres officiels de l’armée coloniale, 8 628 militaires français (dont 622 officiers) ont été tués et 15 000 blessés au cours de cette période. À ces chiffres s’ajoutent plus de 12 000 goumiers marocains ayant combattu aux côtés de l’armée française, également tués, et autant d’étrangers, dits « indigènes » (Algériens et Sénégalais notamment). Ces chiffres ne comprennent pas les 16 000 soldats espagnols tués lors de la bataille d’Anoual, dans le Rif, contre Abdelkrim. Du côté des résistants, les historiens dénombrent près de 100 000 morts. Des Berbères pour la plupart.
Désormais, toutes les relations du Maroc sont fondées sur la question du Sahara occidental et les prises de position de ses partenaires à l’égard de ce conflit. Un choix que même le séisme du 8 septembre 2023 n’a pas remis en cause. Et qui vise avant tout la France, la Tunisie, et bien sûr l’Algérie.
Dans sa politique étrangère, le Maroc distingue les pays amis et les autres. Les premiers sont ceux qui ont reconnu le caractère marocain du Sahara occidental, tandis que les seconds ne l’ont pas fait. Le séisme qui a violemment frappé la région d’El-Haouz dans le Haut Atlas marocain dans la nuit du 8 septembre donne à Rabat l’opportunité de confirmer le « prisme à travers lequel le Maroc considère son environnement international », comme l’avait annoncé le roi Mohamed VI, un an auparavant dans son discours à la nation, prononcé à l’occasion du 69e anniversaire de la Révolution et du peuple.
Parmi les pays partenaires ou voisins, trois pays sont frappés par cette discrimination. La France d’abord, qui n’a pas emboité le pas aux États-Unis et à Israël qui ont reconnu la « marocanité » du Sahara. L’Algérie bien sûr, puisqu’elle continue de soutenir le Front Polisario, engagé dans un conflit contre le royaume chérifien pour la souveraineté du Sahara occidental. Et La Tunisie, coincée entre l’Algérie et le Maroc, deux pays bien déterminés à prolonger le conflit qui les oppose, en y impliquant d’autres acteurs régionaux. Ces dernières années, la tension entre les deux grands États du Maghreb s’est tellement intensifiée que Tunis a du mal à maintenir sa neutralité historique sur ce dossier qui empoisonne la région.
LES CHOIX DE PARIS
La France vient d’avoir la preuve qu’elle ne compte plus parmi les pays amis du Maroc. Alors que les Espagnols ont été très rapidement sollicités pour déblayer et sauver les vies encore ensevelies sous les décombres, les équipes françaises de sauvetage n’ont pu se rendre sur le terrain, l’aval de l’exécutif marocain ne leur ayant pas été donné. Paris s’y était pourtant préparé et le président français Emmanuel Macron l’avait bien spécifié : « À la seconde où cette aide sera demandée, elle sera déployée ». Sur près de cent pays ayant proposé leur aide, seuls quatre ont été choisis par Mohamed VI (Espagne, Royaume-Uni, Qatar et Émirats arabes unis). En France, cette mise à l’écart suscite gêne et incompréhension s’agissant du pays arabe avec lequel Paris a toujours entretenu des relations importantes sur le plan économique, commercial et culturel.
Dans les médias français, on multiplie les émissions et les débats en sollicitant les experts, pour tenter de minimiser, et de se rassurer en se disant que la France sera sûrement appelée à intervenir plus tard, pour reconstruire villages et écoles, et naturellement pour remettre à neuf Marrakech. On loue la logistique mise en place par l’exécutif marocain qui souhaite éviter un « engorgement » de l’aide internationale. On insiste aussi sur le fait que « toute polémique sur l’aide est malvenue ». Malgré cela, la polémique est bien là, suscitant des interrogations sur le silence du roi, les relations entre les deux pays, et la responsabilité d’Emmanuel Macron. Le 12 septembre, le chef de l’État français décide d’y mettre un terme, en s’adressant directement aux Marocaines et aux Marocains, dans une vidéo postée sur X (ex-Twitter).
affirme qu’il appartient « à Sa Majesté le roi, et au gouvernement du Maroc, de manière pleinement souveraine, d’organiser l’aide ». Tout en accordant une aide de 5 millions d’euros aux ONG qui sont présentes sur le terrain, Macron replace la relation entre les deux pays dans le temps long : « Nous serons là dans la durée, sur le plan humanitaire, médical, pour la reconstruction, pour l’aide culturelle et patrimoniale, dans tous les domaines où le peuple marocain et ses autorités considéreront que nous sommes utiles. »
UNE VISITE QUI SE FAIT ATTENDRE
Par ces propos, le chef de l’État français essaye de dépasser la tension qui s’est installée depuis 2020, Rabat reprochant à Paris de ne pas s’être aligné sur les États-Unis et Israël qui ont reconnu la « marocanité » du Sahara occidental. Mais la France estime avoir été, depuis cinq décennies, le principal soutien de Rabat dans sa position sur le Sahara, que ce soit au Conseil de sécurité des Nations unies, auprès de la Commission européenne, ou encore en ayant appuyé le plan d’autonomie proposé par le Maroc en 2007. La ministre française des affaires étrangères Catherine Colonna l’a rappelé en décembre 2022, alors qu’elle était en déplacement au Maroc, dans le cadre de la préparation de la visite d’Emmanuel Macron à Rabat.
Mais la visite d’État du président français se fait toujours attendre et paraît de moins en moins probable, tant la tension entre les deux pays a pris de l’ampleur, affectant la confiance qui régnait entre les deux classes dirigeantes. La rupture date de 2021, lorsque Emmanuel Macron lui-même et certains de ses ministres ont été espionnés par le Maroc avec le logiciel Pegasus. Elle s’est également nourrie de la colère exprimée par les Marocains quand Paris a pris la décision de réduire de 50 % le quota de visas octroyés durant cette même année 2021.
C’est dans ce climat délétère, que Paris s’est rapproché d’Alger, attisant un peu plus le courroux de Rabat. La visite « officielle et d’amitié » effectuée par Emmanuel Macron et une grande partie de son gouvernement à Alger en août 2022, destinée à « refonder et développer une relation entre la France et l’Algérie » a fortement contrarié Rabat qui a vécu ce déplacement comme une agression, d’autant que lors de ce voyage, une réunion s’est tenue près d’Alger, à laquelle ont participé les deux présidents Abdelmajid Tebboune et Macron, avec les chefs d’état-major et du renseignement des deux pays. Un pacte sécuritaire a été conclu au niveau régional. Pour le Maroc, il ne peut s’agir que d’un axe d’alliance prioritaire, mis en place à son détriment.
En réalité, ce rapprochement entre Paris et Alger se produisait dans un contexte marqué par la guerre en Ukraine, et alors que l’Algérie revenait en force sur la scène internationale par le biais des hydrocarbures. Et depuis son retrait du Sahel, la France entend également s’appuyer sur Alger pour faire barrage au djihadisme radical dans cette région.
Toujours est-il qu’en affichant une entente avec la classe politique algérienne, Emmanuel Macron semblait ignorer la relation triangulaire qui s’est installée à travers les ans, entre la France, l’Algérie et le Maroc : lorsque deux pays s’engagent dans une relation, ils doivent impérativement tenir compte du troisième. Mais cette pratique impose un jeu d’équilibrisme souvent difficile pour Paris, et notamment sur le dossier du Sahara occidental. Or la France, qui a besoin de l’Algérie sur le plan énergétique et sécuritaire peut difficilement aller plus loin sur le Sahara.
UN PAYS ENNEMI ?
Comment sortir de cette contrainte, au moment où les deux grands États du Maghreb entendent conditionner leurs relations étrangères à la question du Sahara occidental ? Si le roi Mohamed VI l’a exprimé clairement, la rupture des liens énergétiques qu’a imposée Alger à Madrid montre que les deux classes politiques marocaine et algérienne sont bien dans le même état d’esprit. Le refus opposé par le Maroc à la proposition d’aide française montre à quel point cette contrainte pèse lourdement dans la relation entre Paris et Rabat, remettant en question une amitié et un partenariat très anciens. Se pose alors la question de la définition du « pays ami ». Dans quelle mesure la France, qui ne reconnaît pas explicitement la souveraineté marocaine sur le Sahara occidental est-elle brutalement devenue un « pays ennemi » ?
La question se pose autant en France qu’au Maroc, où nombreux sont ceux qui se demandent comment le pays où le roi passe une grande partie de l’année entre le château de Betz dans l’Oise, acquis par Hassan II en 1972 et son propre hôtel particulier acheté à Paris en 2020, peut être considéré comme un pays ennemi. Mais outre les vacances prolongées du roi en France, les deux pays sont également liés par la présence d’une communauté importante : 1,5 million de Marocains en France, dont 670 000 binationaux et 51 000 Français qui résident au Maroc, constituant la plus grande communauté étrangère du royaume. Les Marocains sont également les principaux bénéficiaires des premiers titres de séjour (environ 30 000 par an).
Premier investisseur au Maroc, la France entretient avec Rabat d’importantes relations militaires et sécuritaires, qui s’appuient principalement sur un accord de coopération technique (1994) complété par un accord signé en 2005, et des exercices militaires conjoints sont organisés chaque année. Elle est aussi liée au Maroc par une coopération judiciaire. Par ailleurs, la crise des visas a révélé combien les élites marocaines étaient culturellement attachées à la France, souffrant de ne pouvoir s’y rendre régulièrement. Aussi, comment réduire la France à un pays mis au ban, pour n’avoir pas reconnu la « marocanité » du Sahara occidental et donc interdit d’intervenir dans les villages sinistrés du Haut Atlas ?
Le séisme dans le Haouz a donné à l’exécutif marocain l’occasion de redéfinir ses partenaires comme l’avait clairement formulé le roi en août 2022 :
S’agissant de certains pays comptant parmi nos partenaires traditionnels ou nouveaux, dont les positions sur le Sahara sont ambiguës, nous attendons qu’ils changent et revoient le fond de leur positionnement, d’une manière qui ne prête à aucune équivoque.
UNE FIN DE NON-RECEVOIR À LA TUNISIE ET À L’ALGÉRIE
Le 12 septembre, le ministère algérien des affaires étrangères annonçait le refus des autorités marocaines d’accepter l’aide proposée par Alger. Pourtant, dès l’annonce du tremblement de terre, l’Algérie s’était dite prête à « fournir des aides et à mobiliser tous les moyens matériels et humains en solidarité avec le royaume marocain frère en cas de demande du Royaume du Maroc ». Elle a ouvert son espace aérien pour faciliter l’arrivée de l’aide humanitaire et trois gros porteurs étaient prêts à décoller de l’aéroport de Boufarik.
Cette aide algérienne donnait à Alger l’occasion de faire baisser la tension entre les deux pays. Mais pour Mohamed VI, la fermeture de la frontière terrestre depuis 1994, la rupture des relations diplomatiques sur décision des Algériens en 2021, et les accusations contre Rabat consécutives à la pénétration d’Israël au Maghreb du fait de la normalisation des relations entre les deux pays ne peuvent être surmontées par des considérations d’ordre humanitaire.
La Tunisie ne bénéficie pas de plus d’égards. Voulant afficher sa proximité et son amitié au Maroc dans cette épreuve, le pays a également offert son aide. Le président Kaïs Saïed s’est dit disposé à envoyer un hôpital de campagne. Et dans une vidéo diffusée par les autorités tunisiennes, on a pu voir des équipes prêtes à partir : une cinquantaine de médecins et de secouristes, avec chiens de reconnaissance, médicaments, etc. Le ministre de l’intérieur Kamel Feki est venu les saluer en personne le 9 septembre : « Vous allez vous rendre au Maroc, pays ami, auprès de nos frères marocains qui ont été victimes d’une catastrophe naturelle (…), j’espère que vous serez à la hauteur. »
L’absence de réponse à cette offre est due à une position sur le Sahara occidental que le Maroc considère comme ambiguë. En recevant le chef du Front Polisario Brahim Ghali le 26 août 2022, et en lui réservant un accueil digne d’un chef d’État, Kaïs Saïed rompait avec la neutralité de son pays sur le Sahara occidental, d’autant que Tunis ne reconnaît ni le Front Polisario ni la République arabe sahraouie démocratique (RASD), autoproclamée en 1976 et membre à part entière de l’Union africaine (UA).
Mais cette neutralité et cette distance par rapport au dossier du Sahara deviennent difficiles à respecter. Économiquement dépendante de l’Algérie, la Tunisie est victime de ce choix cornélien qu’imposent les deux grandes capitales du Maghreb aux pays amis et voisins. D’une part, l’importance de l’aide offerte par Alger prend de plus en plus souvent des allures de mainmise algérienne. D’autre part, la position du Maroc sur la question est désormais trop tranchée, comme le confirme la déclaration du roi Mohamed VI d’août 2022 citée plus haut.
L’implication de la Tunisie dans ce différend montre qu’Alger et Rabat entendent bien prolonger leur conflit, en y impliquant d’autres acteurs régionaux, notamment dans le reste de l’Afrique. Et le sauvetage des vies humaines ensevelies dans les ruines provoquées par le séisme ne pèse pas lourd face aux choix géopolitiques.
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