La bourgade des contreforts de l’Atlas, au sud de Marrakech, est l’une des plus détruites par le tremblement de terre qui a frappé le Maroc. Dimanche, la population continuait de fouiller les gravats, à la recherche d’éventuels survivants.
Des membres d’une famille dans le village d’Imi N’Tala près d’Amizmiz (Maroc), le 10 septembre 2023.
Après avoir enterré les morts, il faut désormais sauver les vivants. A Amizmiz, petite ville nichée au pied des montagnes du Haut Atlas, dans la province d’Al-Haouz, où se situe l’épicentre du séisme qui a frappé le Maroc dans la soirée du vendredi 8 septembre, l’aide affluait, dimanche, pour venir à la rescousse des rescapés.
Le ballet des véhicules transportant des dons, partis de Marrakech, soixante kilomètres plus au nord, a embouteillé la bourgade de 20 000 habitants toute la journée. Des voitures de particuliers, le coffre rempli de denrées alimentaires ; des pick-up chargés de matelas, tentes, couvertures, sacs de vêtements ; des camionnettes de diverses associations ou entreprises… Sur les 2 100 morts causés par la secousse, selon un bilan encore provisoire, plus de la moitié (1 351) est originaire de la province d’Al-Haouz.
Les militaires des forces armées royales (FAR) ont installé leur camp de base à l’entrée d’Amizmiz, sur un terrain de camping, où s’organisent aussi des « unités mobiles » de soignants venus de Rabat. Devant la tente du Croissant-Rouge marocain, où une vingtaine de bénévoles s’affairent pour prendre le relais de l’hôpital partiellement détruit, Meriem (qui n’a pas souhaité donner son nom) décharge son coffre. « Je suis venue de Marrakech ce matin pour apporter de la nourriture et de l’eau, explique cette Marocaine d’une trentaine d’années. C’est catastrophique ce qu’il s’est passé. Pour moi, c’est normal d’aider, tous mes amis le font aussi. »
« Les associations sont arrivées de partout »
Un peu plus loin, devant l’une des rares épiceries encore ouvertes, prise d’assaut par les habitants, deux Français en vacances à Amizmiz au moment du séisme dépensent leurs derniers dirhams avant de reprendre l’avion. « Depuis samedi matin, on fait des petits packs qu’on distribue aux gens : pâtes, sucre, savons, biscuits, bonbons pour les enfants, rapporte, ému, Youssef Chmiti, originaire de Compiègne (Oise). On a vécu le tremblement de terre en direct et on l’a échappé belle. On est des chanceux, alors on aide comme on peut. »
« Hamdulilah [Dieu soit loué], aujourd’hui, les associations sont arrivées de partout : Casablanca, Rabat, Marrakech, Ouarzazate, Agadir… Ce matin, elles nous ont distribué de l’eau, du lait, du pain », dit Abdellatif Bejjar, 55 ans, un habitant d’Amizmiz, les traits tirés. Il n’a pas fermé l’œil depuis deux jours, mais ces premières livraisons d’aide lui redonnent quelques couleurs. Vendredi soir, sa maison, celle qu’il a construite année après année pendant vingt ans, s’est écroulée en trente secondes. « On a cru mourir, raconte-t-il, les yeux emplis de larmes. La maison a fait des va-et-vient comme sur un bateau, puis elle s’est effondrée sur nous, mes quatre enfants, ma femme et moi. On a creusé un trou et on a pu sortir. »
Comme beaucoup d’habitants, il s’est ensuite improvisé secouriste, durant les premières vingt-quatre heures qui ont suivi le séisme, creusant à la main, sans relâche, dans les décombres, à la recherche du corps d’un proche, d’un voisin, d’un ami. « Ni sécurité civile ni gendarmes… personne n’est venu nous aider, déplore-t-il. Heureusement, les gens ici sont solidaires, ensemble dans la fête comme dans le malheur. »
« On a tout perdu »
Des personnes se tiennent dans les décombres des maisons effondrées dans le village d’Imi N’Tala près d’Amizmiz, le 10 septembre 2023.
« Tous les habitants ont aidé pour secourir, mais les autorités, on ne les a pas vues », relate aussi, amer, Abdellah Boudad, 36 ans, vendeur de volailles dans le souk de la médina – quartier le plus ancien de la ville et l’un des plus sévèrement touchés. Assis sur une cagette au milieu de ce petit marché où les échoppes ont rideau fermé, il contemple l’étendue des dégâts, comme s’il peinait encore à y croire. « Sentez cette odeur, ça sent la mort. » A deux pas de là, quatre personnes sont encore prisonnières d’un amoncellement de parpaings. « Eux, on n’a pas réussi à les sortir de là. »
Sa maison, plus haut dans la ruelle, n’a pas résisté non plus. Les trois étages supérieurs se sont effondrés sur le rez-de-chaussée. Pendant cinq heures, dans la nuit de vendredi à samedi, il a creusé un trou dans le mur latéral, armé d’un seul marteau, pour faire sortir sa mère, sa femme et son fils de 3 ans. Les trois sont sains et saufs. Rien d’autre ne lui importe. « J’ai sauvé ma famille, hamdulilah ! Tout le reste, ça peut se reconstruire. »
Dans le quartier populaire de Regraga, Omar Bah Bah, potier de 54 ans, fait le point sur ce qui lui reste de son atelier. Son tour est enfoui dans le sol, les plats à tajine sont réduits en miettes et le toit menace de s’effondrer. Dimanche matin vers 9 h 30, une légère réplique a aggravé les fissures. « Ici, on dit “Ma chaa Allah” [« Comme Allah a voulu »]. Cette catastrophe, ça vient du ciel, de Dieu, pas de la terre, on ne sait pas pourquoi, dit-il. Maintenant, nous sommes tous très pauvres. Plus de maison, plus de travail, plus d’école… On a tout perdu. »
Un champ de ruines
Des femmes réagissent alors que des volontaires récupèrent le corps d’un membre de leur famille dans les décombres des maisons effondrées dans le village d’Imi N’Tala près d’Amizmiz, le 10 septembre 2023.
A Amizmiz, rares sont les habitations épargnées. Les bâtiments qui ne se sont pas écroulés sont craquelés. Beaucoup menacent de s’effondrer. A quelques kilomètres de la ville, au bout d’une piste escarpée qui serpente dans la montagne, le village de Tafeghaghte donne à voir un spectacle plus apocalyptique encore. Le douar – un hameau – est presque entièrement rasé. Au pied d’un amas de débris, une femme blessée gémit tandis que son mari panse un de ses avant-bras. Autour d’eux ne reste qu’un champ de ruines où seuls poules, ânes et moutons osent s’aventurer. En contrebas, un cimetière a été improvisé, où sont alignées des dizaines de tombes, faites de terre et de branchages. Selon les survivants, le séisme aurait décimé ici des familles entières. Une centaine de personnes seraient mortes. Vingt enfants parmi eux.
Selon la télévision publique, « plus de 18 000 familles ont été affectées » par le séisme dans la province d’Al-Haouz. A Tafeghaghte comme à Amizmiz, les habitants s’apprêtaient dimanche soir à dormir pour leur troisième nuit à la belle étoile. Quelques tentes jaunes de la Protection civile ont été dressées, mais en nombre encore insuffisant face aux besoins.
Dans des terrains vagues, des places publiques, dans les champs d’oliviers, ils sont regroupés, famille par famille, allongés sur des nattes et sur des couvertures, séparés par des draps accrochés aux branches. Des femmes ont préparé de la soupe et du couscous avec quelques réchauds et gamelles extraits des décombres. Le thé à la menthe circule de main en main. « Demain, nous aurons peut-être des tentes, des matelas et des couvertures, espère Abdellatif Bejjar. Le Pacha [gouverneur de la province], qui est venu aujourd’hui, nous l’a promis. »
Dans les jours à venir, les secouristes marocains devraient recevoir l’appui de quatre pays – Espagne, Royaume-Uni, Qatar et Emirats arabes unis. D’autres propositions pourraient être acceptées à l’avenir « si les besoins devaient évoluer », a précise le ministère de l’intérieur. L’Espagne a d’ores et déjà envoyé une équipe de quatre-vingt-six sauveteurs qui devaient être à pied d’œuvre lundi. De son côté, la Croix-Rouge internationale a alerté sur l’importance des besoins à venir du Maroc, pour « des mois, voire des années ».
https://www.lemonde.fr/afrique/article/2023/09/11/seisme-au-maroc-la-maison-a-fait-des-va-et-vient-comme-sur-un-bateau-puis-elle-s-est-effondree-sur-nous_6188827_3212.html
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