ttérature peut-elle nuire ? C’est l’une des questions qui traversent le cinquième roman de Kaouther Adimi, « Au vent mauvais », qui se déroule sur fond d’histoire de l’Algérie au XXe siècle.
Tarek et Leïla sont mis en scène par leur ami d’enfance, Saïd, dans un livre. Une publication qui transforme leur vie, percutée par ailleurs par la colonisation, la guerre mondiale, les luttes d’indépendance et la guerre civile.
Un récit fictionnel où l’on croise aussi Frantz Fanon, les Black Panthers, Yacef Saadi, la musique de Warda Al-Jazaïria, un récit qui nous entraîne, en un souffle, d’Alger à Rome en passant par Paris. Rencontre avec son autrice, Kaouther Adimi.
Jeune Afrique : Au vent mauvais s’inspire de l’histoire de vos grands-parents. Quand commence la fiction ?
Kaouther Adimi : Il y a une idée de départ : moi, qui reconnais dans un roman publié en Algérie mes grands-parents, car ils sont nommés et qu’il s’agit du même village où j’ai passé du temps. Après, j’ai imaginé tout le reste. Je dédie le livre à mes grands-parents car ils sont en quelque sorte à l’origine de cette idée, mais passée la dédicace, il n’y a que le roman. L’écrivaine disparaît – du moins jusqu’aux ultimes pages.
Le roman a pour décor l’histoire politique de l’Algérie au XXe siècle. Saïd, qui a fait de ses amis d’enfance, Tarek et Leïla, des héros de roman, dit qu’il s’agit de » « personnages dont les trajectoires ont été déterminées par les bouleversements du pays ».
Je crois que le XXe siècle fracasse Tarek et Leïla. Ils subissent la seconde guerre mondiale, la guerre d’Algérie, puis la parution du roman de Saïd qui les force à fuir et, enfin, la guerre civile. S’ils ne sont pas déterminés uniquement par les bouleversements de l’Algérie, ils sont en prise avec ces événements. Que faire à l’intérieur de ce cadre ? Tarek comme Leïla vont dévier de leur trajectoire initiale. Le premier en partant à Rome, la seconde en apprenant à lire. La parution du livre de Saïd va les forcer à prendre une nouvelle voie.
Vous faites référence à plusieurs pages de l’Histoire, dont la mutinerie de Versailles de 1944. Pouvez-vous revenir sur cet épisode méconnu ?
Le roman est constitué d’ellipses car ce n’est pas un roman historique. Je ne voulais pas que la grande histoire prenne le pas sur les trajectoires des personnages, mais pour autant, je ne pouvais pas faire abstraction de certains événements. Il me fallait par exemple trouver une façon de raconter le début et la fin de la seconde guerre mondiale sans être expéditive ni convenue. Lors de recherches, j’ai lu un article d’Emmanuel Blanchard sur une révolte de soldats nord-africains à Versailles, en décembre 1944. J’ai contacté les archives départementales des Yvelines et fouillé des tas de boîtes de documents. J’ai pu lire la correspondance du ministère de l’Intérieur, des militaires et officiels de l’époque.
L’histoire m’a semblé extraordinaire : il y avait ces centaines de soldats africains cantonnés à Versailles au lendemain de la libération de la ville, qui attendaient de pouvoir rentrer chez eux après deux ou trois ans au front ou dans les camps et qui vivaient dans des conditions déplorables. Peu à peu, le cinéma, les cafés, l’alcool leur ont été interdits par toute une série d’arrêtés, jusqu’à l’arrestation de trois d’entre eux et la mutinerie d’une partie des soldats. Ce qui donne lieu quelques semaines plus tard à une rafle organisée par le ministère de l’Intérieur. Tarek est au centre de cette révolte.
Le film La Bataille d’Alger et sa fabrication est une autre page importante racontée dans Au vent mauvais. Pourquoi ?
J’ai été marquée par le fait que ce tournage a eu lieu au lendemain de l’indépendance dans les lieux mêmes de la bataille d’Alger, filmé avec des acteurs non professionnels, des gens qui avaient connu la guerre. La réception du film est intéressante aussi : la France a mis des années à délivrer le visa d‘exploitation, les rares cinémas à l’avoir programmé ont dû faire face à une hostilité importante orchestrée par l’extrême droite et les nostalgiques de la colonisation… Pour Tarek, le tournage de La Bataille d’Alger, c’est ce moment où il réalise que la guerre perdure, à Alger dans les lieux de la guerre, mais aussi en banlieue parisienne.
Suite à une agression à Paris, Tarek décide de laisser derrière lui « la France, l’Algérie et tout ce merdier ». À quoi sert sa parenthèse à Rome ?
C’est un temps suspendu et le seul coup de folie que s’autorise Tarek, une folie nécessaire car il peut enfin mettre de côté ses démons, oublier un temps les guerres. C’est aussi, peut-être, une façon de dire que s’éloigner de l’axe Algérie-France permet une distance salutaire.
Votre année de résidence à la villa Médicis à Rome a-t-elle permis cela ?
J’ai été heureuse de pouvoir m’éloigner un peu, de ne pas être en France pendant l’année électorale, même si les débats puants sont tout de même arrivés jusqu’à moi. Rome a été pour moi, en revanche, un moment important de rencontre avec des artistes exceptionnels.
Le récit s’ouvre avec la mention des essais nucléaires effectués par la France en Algérie. Le premier « vent mauvais ». Dans quelle mesure le « vent mauvais » est à la fois l’absence de récits tout autant que la dominance de certains autres ?
Le vent mauvais c’est surtout cette chose présente dans les airs et autour de nous, malgré le temps qui passe, et auquel on ne peut échapper.
Ai-je le droit à un joker ? Son déplacement s’inscrit dans une relation entre l’Algérie et la France, qui, quoiqu’on en dise, est importante de par les liens humains, commerciaux, historiques, etc. Ce qui est perturbant dans la position d’Emmanuel Macron, c’est l’évolution du discours : il parlait de crime contre l’humanité lorsqu’il était candidat et aurait pu faire espérer beaucoup. Une ouverture réelle des archives, une approche différente sur les questions d’indemnités pour tous ceux et celles qui ont subi les essais nucléaires, les tortures, les crimes de guerre…
Quelle est la place de la guerre d’Algérie, aujourd’hui, dans les relations franco-algériennes ?
C’est une épine dans le pied de la France et dans beaucoup de familles françaises, souvent avides d’histoires et de réponses, une épine qui s’est infectée. Emmanuel Macron ne veut pas retirer les épines, il veut seulement calmer les douleurs de manière superficielle, alors qu’il faudrait regarder le pied, examiner la plaie et arracher l’épine. Par ailleurs, l’Algérie comme la France font mine de ne pas voir que la question de la guerre d’Algérie concerne aussi la manière dont l’État français a construit sa relation avec les Algériens sur son sol et avec les Français d’origine algérienne.
L’État algérien actuel ne se préoccupe pas de la manière dont nous sommes traités, ce n’est pas un enjeu pour lui. Quant à Emmanuel Macron, il mène une politique islamophobe, portée par un ministère de l’Intérieur d’extrême droite, raciste, qui, chaque jour, contribue à faire de la France un pays de plus en plus dangereux pour les musulmans, les Français originaires du Maghreb, etc. Il est naïf de croire qu’il n’y a pas là un héritage colonial. Certains discours de Marlène Schiappa ne sont pas sans rappeler les discours des femmes de généraux à l’époque de la guerre. La façon de vouloir réglementer la vie des musulmans est directement inspirée de la colonisation. Je ne crois pas de mon côté à une possibilité de relation apaisée entre l’Algérie et la France si ce sujet n’est pas traité avec lucidité et courage.
« Qu’héritent nos enfants de nos peines ? » demande justement Leïla. Vos fictions sont-elles une manière de transmettre les impossibilités de dire ?
L’impossibilité de dire, de parler, de communiquer, d’interagir et en même temps d’oublier sont des thèmes récurrents de mes romans. C’était déjà le cas dans mon premier livre, Des ballerines de Papicha, où chaque membre d’une famille racontait sa journée et se racontait, tout en étant incapables, les uns avec les autres, de la moindre interaction. La difficulté d’être soi, d’exister en tant qu’individu à part entière, de trouver le bon équilibre entre pudeur et parole, sont très présents dans Au vent mauvais.
Quels mots et quels silences vous ont été transmis ?
Je viens d’un pays où le silence est une forme de prolongement de la pudeur. On parle peu de nos douleurs et de nos drames, et c’est l’un des sujets du roman : que gardons-nous et que transmettons-nous des guerres que nous vivons ? Tarek et Leïla en subissent trois, dont ils ne parlent jamais à leurs enfants. Et leurs enfants et petits-enfants feront de même : moi-même, je n’évoque que rarement la guerre civile et ce que nous avons vécu dans les années 1990. Pour autant, ne rien dire ne signifie pas ne rien transmettre. Le silence est une forme d’héritage. Important, car il pousse celui qui le reçoit à essayer de découvrir ce qu’il recouvre.
Saad Khiari est de cette race qui tend à disparaître, celle des intellectuels authentiques, pétri de culture et de connaissances, et qui décline idées et concepts avec une maîtrise parfaite de la langue arabe ou sa consoeur, la française.
Lui qui partage sa vie entre Paris, Alger et Marrakech, animé par un esprit de transversalité maghrébine trop rare aujourd’hui, est d’abord un cinéaste, diplômé, excusez du peu de la célèbre IDHEC, mais aussi auteur, essayiste, romancier.
On lui doit de nombreux articles et analyses sur l’Islam, la dialogue des religions, l’Algérie, etc., parus dans les plus grands titres de la presse maghrébine et hexagonale, et, notamment, deux ouvrages qui ont fait grand bruit lors de leur parution : « Catholique/Musulman : je te connais, moi non plus », en 2006, et « L’Islam et les valeurs de la République », en 2015.
Son dernier roman, « Le soleil n’était pas obligé », édité au Maroc par « La Croisée des Chemins », sera présent au 25è SIEL et figure parmi les titres en compétition pour le Prix Grand Atlas.
Saad Khiari a bien voulu répondre, avec la finesse qu’on apprécie tant chez lui, aux questions de www.lnt.ma et de La Nouvelle Tribune. A déguster sans modération…
Fahd YATA
La Nouvelle Tribune :
Vous avez publié il y a quelques mois aux Éditions La Croisée des Chemins un roman sous le titre : « Le soleil n’était pas obligé » et que vous présenterez lors de la 25ème édition du Salon International de l’Edition et du Livre de Casablanca, du 7 au 17 Février 2019.
Ce livre aborde la relation entre un personnage fictif, Marie Cardona, virtuelle fiancée de Meursault, le personnage principal du célèbre roman d’Albert Camus, « L’étranger », et l’écrivain algérien Kamel Daoud.
Ce romancier avait publié en 2016 un livre dédié à la victime inconnue de Meursault, « l’Arabe » sous le titre, « Meursault, contre-enquête » dans lequel il évoque le destin du frère de cet homme assassiné par le principal personnage d’Albert Camus.
Pourquoi reprendre à votre manière et aujourd’hui « la saga » de « L’étranger » en mêlant imaginaire et réel ?
Saad Khiari
J’aimerais en préliminaire avant de répondre à votre question, vous remercier de votre accueil et de l’hospitalité de vos colonnes et ensuite apporter la réponse à une question qu’on me pose souvent à propos du titre : « Le Soleil n’était pas obligé ». Je l’ai choisi en hommage à mon ami feu Cheikh Ahmadou Kourouma, dont le roman « Allah n’était pas obligé » a obtenu le Prix Renaudot en 2000. C’était un grand écrivain ivoirien engagé et un grand militant anticolonialiste.
Pour revenir à votre question, je dois à la vérité de préciser que je n’avais nullement l’intention de reprendre comme vous dites la saga de « L’Etranger ». L’idée m’est venue à la suite d’une lettre que j’avais fait publier par un grand hebdomadaire français, suite à la parution de « Meursault, contre-enquête » le roman de Kamel Daoud qui venait d’obtenir le Goncourt de premier roman. L’auteur tentait d’explorer à son tour et avec un immense talent, les zones d’ombre du fameux roman de Camus et notamment le fait que son auteur n’ait pas donné un nom à « l’Arabe ». Cette lettre avait eu beaucoup de succès auprès des internautes. Je l’ai adressée à Kamel Daoud et signée « Marie Cardona », la « fiancée » de Meursault.
Elle demande à le rencontrer au nom de ce que j’ai appelé la « proximité dans le malheur » puisque Marie Cardona avait perdu l’homme de sa vie (Meursault), le héros du roman de Camus. Il avait été condamné par la justice et exécuté pour avoir tué « l’Arabe » qui n’est autre que le frère du héros du roman de Kamel Daoud. J’avais pris le risque de donner corps à un personnage fictif (Marie Cardona) et à la faire exister en m’adressant à un auteur vivant ( Kamel Daoud ) au sujet d’un personnage fictif ( Meursault). L’exercice était séduisant d’une part, parce que j’en profitais pour parler d’un aspect important du drame de la guerre d’indépendance en Algérie ( nous y reviendrons ) et d’autre part, parce que je tenais là l’occasion de mettre mon petit grain de sel à mon tour dans le débat autour de l’œuvre d’Albert Camus, en créant une situation absurde, pour rester dans l’atmosphère du roman et d’un aspect majeur de l’œuvre d’Albert Camus.
Avec « L’étranger », « Meursault, contre-enquête » et « Le soleil n’était pas obligé », c’est en quelque sorte une trilogie sur la colonisation française de l’Algérie et ses suites qui est évoquée. Pourquoi avez-vous ressenti le besoin de « parfaire » l’œuvre de Kamel Daoud ?
Je suis très flatté par votre question parce qu’elle me place sans crier gare, à côté d’Albert Camus et de Kamel Daoud, mais je décline d’emblée ce que je considère comme une imposture car je n’ai pas leur talent et je n’aurai jamais l’audace et l’outrecuidance de lorgner sur un quelconque rapprochement avec ces deux auteurs immenses ; tout au moins sur ce plan-là.
Même si on l’a souvent écrit, mon roman ne fait pas partie de cette trilogie, sauf à considérer que les deux autres romans traitent essentiellement de la colonisation ; ce qui n’est pas tout à fait exact. J’aborde effectivement la colonisation de l’Algérie et ses conséquences, mais sous l’angle particulier de l’incompréhension entre les êtres à cause de l’absence de dialogue entre eux. Ibn Arabi a écrit : « L’homme est l’ennemi de ce qu’il ignore ».
C’est – mutatis mutandis – l’endroit par où ont péché les Français (pas dans leur ensemble naturellement, nous y reviendrons, là aussi). Comme je l’ai écrit, les pieds noirs « avaient découvert un peu tard qu’ils vivaient sur les terres de voisins dont ils avaient fini par oublier jusqu’à l’existence, à force de certitudes imposées et de mépris inconscients » (sic). Il faut peut-être rappeler pour ceux qui ne le savent pas, que le départ massif et dans des conditions dramatiques de la très grande majorité des pieds noirs au lendemain de la proclamation de l’indépendance en juin 1962, s’est fait sous la menace de l’O.A.S ( Organisation de l’Armée Secrète : groupe armé d’extrême droite animé par les putchistes. NDLR ). Le slogan de cette organisation à l’adresse des Français – « La valise ou le cercueil » – annonce à lui seul l’étendue de la catastrophe.
Il fallait pendant ces terribles semaines sanglantes, beaucoup de courage et l’amour profond du peuple algérien, pour ne pas quitter le pays. J’ai eu l’immense bonheur de connaître dix ans plus tard, quelques-unes des familles qui n’ont pas quitté l’Algérie. C’étaient essentiellement des communistes et des progressistes qui avaient eu le courage de soutenir la lutte du peuple algérien pour son indépendance, au nom de la justice et des valeurs humanistes. Mon roman est pour une large part, une manière de leur rendre hommage. De même que j’y aborde la question de ce qu’on appelle les « petits blancs ». Ce sont ces français modestes qui vivaient entre eux, qui ne se mélangeait pas aux autochtones et qui n’avaient pas vu venir le soulèvement du peuple algérien et sa volonté de se libérer du colonialisme. C’est injuste de les assimiler dans leur totalité à des colons esclavagistes et racistes comme l’ont été les gros colons car il y avait aussi parmi ces pieds-noirs d’origine modeste, des hommes et des femmes qui certes n’avaient pas épousé la cause du peuple algérien, mais qui s’étaient retrouvés involontairement du côté de l’occupant.
Pensez-vous que le passé colonial de l’Algérie, qui est la trame sous-jacente de votre livre, interpelle encore les lecteurs et notamment ceux de votre pays d’origine ? Car, dans un premier temps, on peut penser que la décolonisation des esprits (et des cœurs) n’est pas accomplie après plus de cinq décennies d’indépendance de l’Algérie ?
Est-ce que le passé colonial de l’Algérie interpelle encore les lecteurs ? Je ne peux qu’exprimer un sentiment personnel, fondé plus sur des intuitions que sur des vérités. Je ne pense pas que plus de cinquante après la fin de la guerre, on s’intéresse de manière sérieuse à cette période de l’histoire de l’Algérie et des relations franco algériennes. En Algérie on n’insiste pas trop à mon goût dans l’enseignement sur cette période essentielle ou alors on le fait de manière inadéquate. En France, hormis les historiens et les chercheurs, cette question n’intéresse que l’extrème-droite et les nostalgiques de l’empire colonial. Je regrette profondément cette situation car on gagne toujours à s’adosser à l’histoire de manière objective quand on veut étudier l’évolution de la société et le mouvement des idées.
Guy Pervillé, Histoire de la mémoire de la guerre d’Algérie, Préface de Serge Barcellini, Ed Soteca, 2022
La guerre d’Algérie, contrairement à ce que l’on dit trop souvent, tient une place non négligeable dans les programmes d’histoire de l’enseignement secondaire français depuis les années 1980, et sa mémoire a fait l’objet d’un enseignement méthodologique particulier pour la préparation de l’oral du baccalauréat, concurremment avec celle de la Seconde Guerre Mondiale. Pourtant, ces deux histoires et ces deux mémoires sont loin d’être identiques. Les élèves et les enseignants en sont d’ailleurs bien conscients, et se sentent souvent moins à l’aise avec la plus récente qu’avec la plus ancienne des deux.
D’autre part, le statut reconnu par l’Etat à la mémoire de cette guerre n’est pas du tout le même en France et en Algérie. Il faut comprendre les raisons de cette différence et ses conséquences, d’autant plus importantes que l’Etat algérien s’est efforcé depuis plus d’un quart de siècle d’effacer cette différence en essayant d’obtenir que la mémoire française s’aligne sur la mémoire algérienne, sans succès jusqu’à présent.
L’auteur a donc voulu faire œuvre d’histoire contemporaine et immédiate, en allant jusqu’aux événements les plus récents.
Guy Pervillé, professeur émérite d’histoire contemporaine, a consacré de nombreux livres et articles à la guerre d’Algérie.
L’ouvrage de Guy Pervillé rentre dans la collection « Histoire de Mémoire », dirigée par Serge Barcellini.
Parmi les autres ouvrages publiés dans cette collection :
Rémi Dalisson, Histoire de la mémoire de la guerre de 14-18, 2015
Olivier Lalieu, Histoire de la mémoire de la Shoah, 2015
Emile Kern, Histoire de la mémoire du Premier Empire, 2016
Sophie Hasquenoph, Le devoir de mémoire, Histoire des politiques mémorielles, 2017
Véronique Gazeau-Goddet, Tramor Quemeneur, Mourir à Sakiet, Enquête sur un appelé dans la guerre d’Algérie, puf, 2022
Cet ouvrage vient rompre le long silence tombé sur la mort de l’aspirant Bernard Goddet, l’un de quinze tués du 3/23e Régiment d’infanterie dans l’embuscade de Sakiet du 11 janvier 1958, à la frontière algéro-tunisienne. L’enquête s’est cristallisée autour du jeune homme qui a laissé des écrits et une abondante correspondance, croisés avec des sources archivistiques et des entretiens avec des appelés du 23e Régiment. Sorti d’HEC, chrétien, le jeune homme s’interroge sur différentes solutions pour mettre fin à la guerre. L’opération dans laquelle Bernard Goddet et ses camarades trouvent la mort est enfin mise au jour grâce aux archives militaires. Cette opération était-elle bien préparée ? L’événement soulève aussi la question des frontières. Ainsi, à la suite de l’embuscade, la France bombarde le village de Sakiet Sidi Youssef et déclenche ainsi une grave crise, tant internationale que nationale, qui se solde par la chute de la IVe République, avec le putsch d’Alger du 13 mai 1958.
Ce deuxième numéro de la nouvelle formule de L’Histoire-Collection, réunit les spécialistes de l’Algérie.
Le trimestriel du magazine L’Histoire fait peau neuve et devient un mook de 132 pages. Portfolios, cartes, BD, infographies, entretiens, complètent les articles pour éclairer le passé et en comprendre les enjeux.
Le temps long de l’Algérie a été privilégié : les violences de la conquête et du régime colonial français les huit ans d’une guerre qui déchira tous les camps, mais aussi les drames qui ont suivi l’indépendance de 1962.
Historia, Numéro spécial, Guerre d’Algérie, Le choc des mémoires, mars 2022
Historia revient dans ce dossier sur les points de tensions mémoriels entre la France et l’Algérie et publie, pour la première fois dans l’histoire des relations franco-algériennes un sondage, réalisé des deux côtés de la Méditerranée, qui ouvre de nouvelles perspectives pour un avenir apaisé.
Raphaëlle Branche (Dir) En guerre(s) pour l’Algérie, Témoignages, Tallandier, 2022
La guerre s’est achevée il y a soixante ans en Algérie. Elle a marqué durablement les sociétés française et algérienne et touché directement des millions de personnes. Comment ces Français et ces Algériens ordinaires l’ont-ils vécue ? Quinze femmes et hommes ont accepté de confier leurs souvenirs de jeunesse. Leurs témoignages sont essentiels pour écrire une histoire qui ne soit pas seulement celle des décisions et des grands événements politiques et militaires. Ils éclairent ce que furent des vies simples prises dans la tourmente de la guerre.
Ils étaient appelés du contingent, militaires de carrière, harkis ou militants indépendantistes (du FLN et du MNA) en métropole et en Algérie, mais aussi membre de l’OAS, simples civils algériens ou français. Conscients de l’urgence de témoigner, ils racontent la guerre vue d’un appartement d’Alger, d’une usine parisienne, du maquis, d’une caserne. Quelles peurs les habitaient ? Quels dangers ont-ils affrontés ? Quelles étaient aussi les raisons de leur engagement ? Quels étaient leurs espoirs ? Ils répondent à ces questions avec le souci constant de dire au plus vrai, de raconter au plus juste. Les témoignages ne se situent pas d’un côté ou de l’autre de la Méditerranée. Ils ne sont pas au service d’une groupe de mémoire particulier. Au contraire, ils permettent d’explorer les multiples facettes de ce conflit complexe où guerre de libération et luttes fratricides se sont mêlées, où destruction et ravages se sont accompagnés d’aspiration au renouveau.
Raoul Girardet, L’idée coloniale en France de 1871 à 1962, Bartillat, 2022
Comment s’est développé en France, aux lendemains de la guerre de 1870, une volonté cohérente d’expansion coloniale ? Comment cette volonté s’est-elle affirmée, quels échos a-t-elle rencontrés dans les esprits et dans les cœurs ? Autour de quels thèmes la vision impériale française s’est-elle progressivement définie ? À quelles résistances s’est-elle heurtée et comment celles-ci se sont manifestées ? De l’époque où se consommait le partage du monde jusqu’aux derniers sursauts de la décolonisation, quelle place le fait et le débat colonial ont-ils en définitive occupé dans la conscience nationale française ? C’est à ces questions encore jamais abordées qu’a tenté de répondre Raoul Girardet.
Étude d’histoire collective des mentalités, des sentiments et des croyances, menée avec toute la rigueur méthodologique du spécialiste, ce livre est aussi l’histoire d’une idée, une idée que l’on voit naître, croître, combattre, s’imposer, puis décliner et succomber…
La renaissance de ce livre équilibré et original permettra justement d’offrir un regard pertinent sur le fait colonial qui fait tant débat aujourd’hui.
Simon Murray, Légionnaire, un Anglais dans la guerre d’Algérie, Perrin 2022
Le 22 février 1960, à l’âge de dix-neuf ans, Simon Murray pousse les portes du fort de Vincennes pour s’engager dans la Légion étrangère. L’Aventure commence : l’embarquement à Marseille, l’arrivée en Algérie, à Sidi bel-Abbès, les longs mois d’instruction, l’affectation au 2e régiment étranger de parachutistes, la guerre et la traque des fellaghas de la frontière marocaine à la frontière tunisienne, les Aurès, le putsch avorté de 1961, les accords d’Evian, la lente et difficile adaptation au temps de paix… Durant ses cinq années de service, Murray consigne dans ses carnets de bord son expérience quotidienne de la rude vie de légionnaire, l’entraînement, les marches sans fin et les échauffourées avec les fellaghas dans les montagnes de l’Atlas. La force du récit tient à la personnalité atypique de son auteur. Issu d’un milieu bourgeois, formé dans une vénérable école britannique, il s’enorgueillit de servir dans une unité légendaire. Telle est la vertu première de ce journal de guerre unique en son genre : il dit la vérité, toute la vérité et permet de comprendre l’organisation et les motivations de cette troupe à nulle autre pareille.
Un témoignage essentiel sur la guerre d’Algérie comme sur le quotidien des « hommes sans nom » qui composent la Légion étrangère.
Alice Kaplan, Maison Atlas, Le Bruit du Monde, 2022
Au début des années 1990, Emily quitte le Minnesota pour s’installer à Bordeaux. Sur les bancs de l’université, elle rencontre Daniel Atlas, un juif algérien dont elle tombe amoureuse. Il n’est encore qu’un jeune dandy lorsque la guerre civile déchire son pays, l’obligeant à quitter Emily et la France. De retour à El Biar, le quartier de son enfance, Daniel retrouve ses parents isolés et menacés. Cette illustre famille de commerçants, qui a connu l’Algérie colonisée puis indépendante, a choisi de rester sur cette terre envers et contre tout. Bien des années plus tard, Becca, une jeune Américaine fera elle aussi le voyage jusqu’à Alger pour mieux comprendre leur lignée.
Béatrice Commengé, Alger, rue des Bananiers, Verdier, 2022
« Le hasard m’avait fait naître sur un morceau de territoire dont l’histoire pouvait s’inscrire entre deux dates : 1830-1962. Tel un corps, l’Algérie française était née, avait vécu, était morte. Le hasard m’avait fait naître sur les hauteurs de la Ville Blanche, dans une rue au joli nom : rue des Bananiers. Dans la douceur de sa lumière, j’avais appris les jeux et les rires, j’avais appris les différences, j’avais aimé l’école au Soleil et le cinéma en matinée, j’avais découvert l’amitié et cultivé le goût du bonheur. »
En remontant le cours d’une histoire familiale sur quatre générations, Béatrice Commengé entremêle subtilement la mémoire d’une enfance et l’histoire de l’Algérie française. Au plus près de l’esprit des lieux, elle parvient à donner un relief singulier au récit de cet épisode toujours si présent de notre passé.
Henri-Christian Giraud, Algérie : Le piège gaulliste, Perrin, 2022
« Je ne me sens bien que dans la tragédie » Charles de Gaulle. Au terme de sa longue traversée du désert, Charles de Gaulle s’empare de la cause de l’Algérie française pour prendre le pouvoir en 1958. Loin des hésitations et des tâtonnements que certains historiens prêtent au Général à cette époque, Henri-Christian Giraud dresse le portrait d’un homme déterminé, guidé par une idée qu’il suivra tout au long de l’affaire algérienne : l’indépendance ne fut jamais pour lui une concession accordée à contrecœur, pas plus qu’une noble initiative anticolonialiste placée sous le signe du temps.
Elle fut un moyen, un prétexte pour la France de s’extraire d’une colonie dont elle n’avait plus rien à espérer. Convaincu de servir l’intérêt supérieur de son pays, de Gaulle doit faire face à de nombreux obstacles : l’armée, l’opinion publique, le gouvernement, le peuple français, la presse, les agitateurs, les Européens d’Algérie… Autant d’intransigeants que ce « prince de l’ambiguïté » entend surmonter à sa façon. Faisant miroiter l’association aux uns, la sécession aux autres, louvoyant entre représentants de l’URSS, du FLN, du GPRA et de son propre camp, de Gaulle orchestre d’une main de maître, et par une série de coups montés, le piège dans lequel tous les acteurs du conflit vont être amenés à glisser, jusqu’à la tragédie finale. Un document capital, fondé sur des archives inédites, notamment soviétiques, et des observations presque quotidiennes de nombreux témoins clés des événements.
Maxime Tandonnet, Georges Bidault, de la Résistance à l’Algérie française, Perrin, 2022
Fondée sur d’abondantes archives personnelles récemment ouvertes et de nouveaux témoignages, cette biographie de Georges Bidault (1899-1983) brosse le portrait romanesque d’un professeur d’histoire issu de la France profonde, militant chrétien dans l’entre-deux-guerres, engagé dans la lutte clandestine au sein du mouvement Combat dès 1941 et devenu, en 1942, le plus proche compagnon de Jean Moulin avant de lui succéder à la tête du Conseil national de la Résistance. Ministre des Affaires étrangères du général de Gaulle à la Libération, il prit personnellement une part déterminante à la reconquête du « rang » international de la France en 1945, malgré des relations tendues avec l’homme du 18 Juin. Créateur d’un parti politique, l’inclassable Mouvement républicain populaire (MRP), Bidault fut l’un des principaux dirigeants de la IVe République, plusieurs fois reconduit au Quai d’Orsay en pleine guerre froide, visionnaire de la réconciliation européenne et bête noire de Staline, mais aussi président du Conseil à l’origine de grandes réformes sociales dont la création du SMIG.
Pourtant, son style exagérément bohème, mâtiné d’un sens aigu de la dérision et de la provocation, le condamna à l’incompréhension puis à la solitude. Au début des années 1960, son engagement en faveur de l’Algérie française acheva de le diaboliser et d’en faire un authentique paria contraint à l’exil avec son épouse Suzanne Borel, ancienne résistante et première femme diplomate française. Grand-croix de la Légion d’honneur, compagnon de la Libération, passé en quelques années de la lumière du héros à la nuit du pestiféré, hanté par le déclin de la France et de l’Europe mais pourfendeur de la résignation, Bidault sort aujourd’hui de l’oubli grâce à la plume savante et passionnée de Maxime Tandonnet.
Pierre Pellissier, Les derniers feux de la guerre d’Algérie, Perrin, 2022
Le couchant de l’Algérie française. Cet ouvrage brasse les derniers mois de « l’Empire » et apporte une réponse à de nombreuses questions demeurées en suspens. Oui, avant même les accords d’Evian, des contacts entre l’Etat français et le FLN ont eu lieu contre l’OAS et les populations réfractaires à l’indépendance. Oui encore, il y a eu un engagement commun contre le maquis de l’Ouarsenis. Un ordre a été effectivement donné pour ouvrir le feu contre des civils, rue d’Isly à Alger, le 26 mars 1962. Un général français a bien refusé de voir les massacres d’Oran et de venir en aide aux victimes. Le livre s’attarde également sur le refus de la métropole d’accueillir les harkis et autres supplétifs au service de la France, sur son indifférence, également, devant l’exode des pieds-noirs. Cet ouvrage, nourri de sources inédites, fait la lumière sur la fin crépusculaire de l’Algérie française.
Saad Khiari, Le soleil n’était pas obligé, orientseditions, 2021
Dans « l’Etranger », le célèbre roman d’Albert Camus, Meursault est condamné à mort et exécuté pour avoir assassiné l’ « Arabe », laissant seule sa compagne Marie Cardona. Des dizaines d’années plus tard, celle-ci vit seule dans le sud de la France et apprend par le roman de Kamel Daoud « Meursault, contre-enquête » que l’auteur n’est autre que le propre frère de l’ « Arabe ». Meursault, l’unique homme de sa vie a donc été guillotiné pour avoir tué le frère unique de l’auteur. Convaincue que le malheur partagé crée la proximité, elle se sent dès lors proche de Kamel Daoud et cherche à le rencontrer. Elle décide de partir en Algérie pour des raisons que l’auteur nous dévoile dans ce roman au cours de ce voyage éprouvant et difficile mais riche en découvertes surprenantes.
Daniel Saint-Hamont, Lionel d’Arabie, Orients Editions, 2021
Daniel Saint-Hamont est un scénariste connu pour avoir décrit au cinéma ou dans ses romans les affres et les souffrances des Pieds-noirs d’Algérie, aussi bien dans leur exode que lors de la leur arrivée en France. Le Coup de Sirocco, Le Grand Pardon, Le Grand Carnaval, l’Union Sacrée, ne sont que quelques-uns des films qu’il a signés ou cosignés, el plus souvent avec le réalisateur Alexandre Arcady.
On ne sait toutefois pas que le père de l’auteur était en fait algérien et musulman, marié à une Pied- noire chrétienne, dont la sœur avait elle-même épousé un Juif. Deux événements très rares dans l’Algérie d’alors.
Lionel d’Arabie revient sur cette histoire familiale enfouie où cultures et religions, Bible, Coran et Evangiles mélangés se bousculent dans un tourbillon étonnant qui fait tour à tour sourire et pleurer.
Alexandre Lalanne Berdouticq, Souvenirs du colonel de la Chapelle, Dans les tempêtes de l’Histoire, de la drôle de guerre au putsch d’Alger, Ed Pierre de Taillac, 2022
En avril 1961, le colonel de la Chapelle commande le célèbre 1er régiment étranger de cavalerie. Considérant « qu’il y a des choses qui ne se font pas », il fait le choix d’engager son unité dans le putsch d’Alger. Cet officier courageux a commencé sa carrière à l’âge de 20 ans comme simple soldat. Pendant les vingt-sept ans où il servira la France les armes à la main, Gilbert de la Chapelle sera impliqué dans toutes les guerres où sera engagé notre pays : la campagne de France (1940), la guerre fratricide en Syrie (1941), la dure campagne de Tunisie (1943) et la libération de la France (1944-45)
Il part en Indochine en 1951 et s’illustre à la tête d’un groupement amphibie pendant deux ans puis sert un an à l’état-major du commandant en chef, entre autres lors de la bataille de Diên Biên Phu. Après un premier séjour en Algérie, il se voit confier le commandement du 1er REC en 1960. Ces souvenirs offrent un éclairage original sur les tempêtes de l’Histoire qu’a traversées l’armée française au XXe siècle, vécues par un acteur étranger aux passions. Son témoignage, inédit, a été recueilli par le général Lalanne Berdouticq en 1995 sur des cassettes audio. Il se révèle exceptionnel et apporte à l’Histoire bien des précisions sur des événements parfois peu connus.
Dominique Lormier, Histoires secrètes de la guerre d’Algérie, Alisio Histoire, 2022
Soixante ans après les accords d’Évian, la guerre d’Algérie (1954-1962) demeure un événement majeur et douloureux de notre histoire contemporaine. De nombreuses zones d’ombre restent à ce jour non élucidées : faits d’armes, arrestations, missions secrètes, guérillas…
Dans cet ouvrage, Dominique Lormier revient sur les moments déterminants du conflit jusqu’à la déclaration d’indépendance et donne voix aux récits de 23 acteurs de la guerre d’Algérie : politiques, anciens combattants, officiers et simples soldats, Pieds-noirs et nationalistes algériens, partisans et adversaires de l’Algérie française. Ils racontent à l’historien leur guerre, ce qu’ils ont vu, ce qu’ils ont vécu. Et leur parole, bien des décennies après, brûle encore.
Jean-Claude Degras, De la monarchie à la France libre, Destins d’officiers et de soldats français de la Caraïbe, 2022
Il y a quatre siècles, le hasard et la géographie ont placé les Antilles au cœur du monde. De la monarchie à la République, des soldats et des officiers nés sur ces terres françaises ont par éducation, désir de s’émanciper ou esprit d’aventure, choisi le métier des armes. Dans le chaos de l’histoire, leurs motivations disparates en ont fait des héros et rarement des proscrits avec pour seule devise la France ou l’honneur de servir leur conscience. Ce dictionnaire qui décrit leur parcours rappelle l’apport des îles des Caraïbes à l’histoire de France avec pour seul passeport pour l’existence : la vie ou la mort.
Jean-Claude Degras est délégué général du Souvenir Français pour le département de la Guadeloupe.
Jean-Yves Séradin, La maison d’à côté ou les trois filles du Professeur Lot, à l’ombre des Mots, 2022
En 1939, le grand historien Ferdinand Lot achète la villa Breiz-Izel à Trégastel sur la Côte de Granit rose. Le prix Osiris obtenu pour l’ensemble de son œuvre lui permet cette acquisition. Il a 73 ans. Avec son épouse Myrrha d’origine russe, médiéviste et théologienne, il projette d’y retrouver ses filles lors des longues vacances d’été : Irène et son mari Boris Vildé, linguiste et ethnologue né à Saint-Pétersbourg comme sa belle-mère, Marianne et son mari Jean-Berthold Mahn, historien et Eveline, la cadette. La défaite de juin 1940 ne le permettra pas. La famille Lot ne peut tolérer que les principes de la République française soient piétinés par les envahisseurs nazis et les Français qui les soutiennent. Dès la fin de l’été 1940, Boris prend la direction de ce qui va devenir le Réseau du Musée de l’Homme. Eveline y participe, tapant des articles pour le journal publié par Boris et ses amis : Résistance. Jean-Berthold, après un séjour en Espagne, rejoindra les armées de la France Libre. Le 23 février 1942, Boris est fusillé avec six camarades au Mont Valérien. Le 23 avril 1944, Jean-Berthold est tué dans une embuscade lors de la conquête alliée de l’Italie. Amoureuse d’Anatole Levitsky, ethnologue d’origine russe lui aussi, adjoint de Boris, fusillé ce 23 février 1942, Eveline sera doublement frappée. Les trois sœurs sublimeront leurs souffrances dans un intense travail intellectuel : Irène, bibliothécaire et linguiste, Marianne, historienne, et Eveline, ethnologue. Chaque été, les trois filles du Professeur Lot venaient se ressourcer à Trégastel. L’auteur les a connues dès le milieu des années 1950. Sa maison familiale est voisine de Breiz-Izel. Dans ce livre, ses souvenirs de vacances ouvrent les portes de leurs histoires et de leurs œuvres.
Jean-Claude Auriol, Les insoumises de 1914-1918, La résistance des femmes oubliée, 2022
« Ce que personne ne sait et qui ne laisse pas de trace, n’existe pas… « . Cette phrase de l’écrivain Italo Sveso décrit bien la résistance durant la Première Guerre mondiale et notamment celle des femmes. Qu’elles soient françaises ou belges, elles se sont révoltées face aux exactions des troupes allemandes. Dans cet ouvrage l’auteur a voulu honorer et rendre publiques, les épreuves de celles qui n’ont pas eu le beau rôle dans cette tragédie que fut la Grande Guerre, et parmi cette foule anonyme, il a choisi celles qui ont résisté dans un mouvement jusque-là inconnu.
Ce livre répare un oubli. Il interroge sur les conditions de vie et de lutte des résistantes, espionnes disait-on à l’époque. Il met en lumière les parcours exceptionnels des femmes ayant œuvré dans la vie politique et économique du pays.
Au moyen d’une sélection de témoignages, ce document propose d’explorer diverses facettes de la guerre clandestine dans les régions occupées. Ainsi le lecteur pourra connaître les différentes formes de cette guerre secrète : l’espionnage ferroviaire, la transmission de courriers, l’édition et la distribution d’une presse clandestine ou encore l’histoire de la « ligne », barrière électrifiée le long de la frontière belgo-hollandaise. Sans oublier les difficultés quotidiennes, la peur, les différentes craintes et soucis engendrés par la féroce répression de la « Polizei » allemande.
Grande absente de l’historiographie de la Grande Guerre, la résistante féminine retrouve la place qui correspond à la vaillance, mais aussi à la souffrance, engendrées par la lutte contre l’occupant. Il est vrai que le terme de résistance n’a pas la même valeur sémantique de celle du second conflit mondial, car elle ne fut pas armée. Mais cette lutte de l’ombre a généré des héroïnes obscures, humbles, voire marginales. Toutes ces résistantes resteront hostiles à l’occupant, insensibles aux punitions et sourdes aux invitations à trahir.
Nicolas Balique, Tu verras du pays mon fils, Paroles d’appelés en Algérie, 2022
Un film écrit et réalisé par Nicolas Balique, président du comité du Souvenir Français de Martigues dans les Bouches-du-Rhône. Il a retrouvé et interviewé des anciens appelés de la guerre d’Algérie qui racontent leurs souvenirs de la guerre, et le retour en France et à leur vie après les accords d’Evian.
Avant-première au cinéma La Cascade le jeudi 17 mars 2022 à Martigues.
France télévision, C’était la guerre d’Algérie, série en 6 épisodes, 2022
Juillet 1962, l’Algérie est indépendante. Ils sont des millions à travers tout le pays à fêter la naissance d’une nation et la fin de 130 années de présence française. Un million d’autres, Européens, appelés les « Pieds-noirs », nés en Algérie, enracinés depuis des générations quittent le pays dans un dramatique exode. « La guerre d’Algérie, c’est la guerre qui n’aurait jamais dû avoir lieu », a dit Ferhat Abbas, le premier président du gouvernement provisoire de la République algérienne. Et pourtant cette guerre qui longtemps n’aura pas de nom va durer huit longues années. De 1954 à 1962, la guerre d’Algérie, ce sont un million et demi de jeunes appelés français, contre des milliers de maquisards, côté algérien, 30 000 morts militaires français, des centaines de milliers d’Algériens tués, des milliers d’Européens disparus au moment de l’indépendance… On devrait dire « les » guerres d’Algérie. Une guerre entre nationalistes algériens et l’armée française bien sûr, mais aussi une guerre entre Algériens ; celle qui opposa cruellement deux mouvements indépendantistes rivaux. Et l’autre qui opposa les harkis, ces musulmans pro-français, au Front de libération nationale algérien (FLN) et qui fit, à l’indépendance, des dizaines de milliers de morts, côté harkis. Et enfin la guerre franco-française qui commence à Alger en juin 1958 par un grand malentendu. Une guerre qui divisa la France, la terrorisa durant des années et faillit la faire basculer dans le chaos. C’est tout cela la guerre d’Algérie. L’histoire de deux peuples déchirés un temps, mais liés à jamais par ce passé commun.
A partir d’archives rares, restaurées et colorisées, C’était la guerre d’Algérie, est un film sans tabou et à hauteur d’hommes. Tous les tabous de cette « guerre sans nom » sont abordés : les tabous de la colonisation française et de ses promesses non tenues ; mais aussi les tabous d’une histoire algérienne méconnue, avec ses vainqueurs et ses victimes…
Arte, En guerre(s) pour l’Algérie, série en 6 épisodes, 2022
Soixante ans après les accords d’Evian, cette série documentaire retrace l’un des plus traumatisants conflits coloniaux du XXe siècle. En archives et à travers l’expérience intime de celles et ceux qui l’ont vécu en France et en Algérie, un récit aussi éclairant que touchant.
Brahim, chauffeur de car, assiste dans les Aurès, le 1er novembre 1954, à l’assassinat de deux passagers. Cet attentat, signé par le FLN, compte parmi les dizaines qui éclatent ce jour-là sur tout le territoire algérien. Il marque le début de la guerre de libération. Installée depuis 1830 en Algérie, la France coloniale est restée sourde aux alertes. Après le « Manifeste du peuple algérien » de Ferhat Abbas publié en 1943, et malgré les massacres des environs de Sétif et Guelma en 1945, cette dernière ignore encore qu’elle est condamnée, se berçant de l’illusion que la « Méditerranée traverse la France comme la Seine, Paris ». Entre richesse de la plaine de la Mitidja et misère de l’immense majorité de la population, entre discriminations et insouciance, l’histoire de chacun ne paraît pas raconter le même pays.
Ils sont civils algériens, Français d’Algérie, appelés du contingent, engagés et militaires de carrière français, militants indépendantistes du FLN et du MNA, combattants de l’ALN, intellectuels et étudiants, réfractaires, employés de l’administration française en Algérie, membres de l’OAS, supplétifs de l’armée française, porteurs de valises… Soixante ans après, toutes et tous, certains pour la première fois, racontent avec une émotion intacte, la guerre telle qu’ils l’ont vécue, à hauteur de jeunes adultes ou d’enfants : les douleurs subies, les actes de violence commis, les illusions brisées, les regrets et les espoirs aussi.
France télévision, Les appelés de la guerre d’Algérie, Un si long silence, 2022
Un film documentaire qui donne la parole à des appelés partis en Algérie à 20 ans. Ils racontent leur expérience de la guerre d’Algérie, mais surtout le retour en France après la fin du conflit, le retour à la vie qu’ils avaient laissée, et l’incompréhension des proches pour qui la guerre d’Algérie était déjà un lointain souvenir.
Alexis Rousseau, Verdun la première Ligne, en ligne sur YouTube
Court-métrage réalisé par Alexis Rousseau sur un jeune soldat engagé sur la première ligne française à Verdun.
Pour visionner le court-métrage :
La mémoire à travers les spectacles
Les renards volants, L’homme de boue, 2022
L’homme de boue est un seul-en-scène bouillonnant de dynamisme et de fureur de vivre. Le comédien entraîne le public dans un voyage émotionnel à travers 4 ans d’une guerre indicible, celle de 14-18. Rendu vivant par sa parole, le texte apparaît alors troublant de modernité et de poésie. L’acteur virevolte entre les objets parsèment le plateaux seuls compagnons d’armes qui le soutiennent dans les méandres de cette histoire. Complétés par de la vidéo et une bande sonore qui mélange styles et époques, l’Homme de Boue est une pièce hors du temps qui nous rappelle que, finalement, cela aurait pu être écrit aujourd’hui.
Musée Clémenceau, Des femmes et Clémenceau, la liberté pour horizon, du 8 mars 2022 au 30 juillet 2022
Le musée Clémenceau présente Des Femmes et Clémenceau, la liberté pour horizon, une exposition s’intéressant aux positions de Clémenceau sur les droits des femmes à travers plusieurs portraits féminins parmi ses relations : Louise Michel, Marguerite Durand, Sévérine, Rose Caron et d’autres. Réputé misogyne, Georges Clémenceau, à partir de 1894, une fois divorcé, tout en continuant à mener sa vie d’homme libre, œuvre pour la reconnaissance de certains droits aux femmes. Loin de devenir féministe. Il Refuse le puritanisme et se batte contre les humiliations et l’injustice, il combat « l’ordre moral bourgeois » et revendique des droits économiques et sociaux pour les femmes.
Les expositions conseillées par François Rousseau, journaliste du Patrimoine
Musée de l’Ordre de la Libération, Entre ombre et lumière, Portraits de Compagnons de la Libération
C’est la disparition d’Hubert Germain, dernier Compagnon de la Libération, qui a conduit Christian Guémy, alias C215 à réaliser des portraits pour garder leur mémoire. Il n’en est pas à son coup d’essai dans ses représentations de personnages de la Seconde Guerre mondiale. On se souvient par exemple de sa sculpture de haut-relief de Joséphine Baker boulevard de l’Hôpital à Paris.
Christian Guémy exprime son émotion d’exposer à côté de la tenue de Jean Moulin, portée sur une des photos les plus importantes du 20e siècle. «On est au-delà d’un projet strictement artistique, on est dans le champ des valeurs. C’est la diversité des Compagnons qui est passionnante. Ils ont fait plus que ce que le destin aurait pu leur proposer.»
Le choix des 30 Compagnons représentés ne pouvait pas ignorer quelques grands noms qui sont autant de repères pour le grand public. Dans un souci d’équilibre, il exprime tout l’éventail politique de l’époque, d’Estienne d’Orves à Jean-Pierre Vernant.
C215travaille avec des pochoirs fabriqués par ses soins et des bombes aérosols. Il joue sur les contrastes entre ombre et lumière. Les documents originaux servant de supports aux pochoirs, journaux, objets militaires, ont été glanés par l’artiste. Le portrait de Romain Gary est peint sur une veste d’aviateur, tandis qu’une valise sert de support à celui de Marie Hackin. On verra Félix Éboué sur une carte d’Afrique et Leclerc dominant une carte d’Europe.
Comme exemple pour la jeunesse, C215 a choisi Henri Fertet, lycéen, dont la lettre à ses parents avant d’être fusillé montre sa maturité et sa force et bien sûr Daniel Cordier, entré en résistance à 20 ans et dont le portrait fait la couverture du catalogue.
Pour toucher tous les publics et en particulier ceux qui ne franchissent pas le seuil des Invalides, C215 a peint sur du mobilier urbain de l’arrondissement ces mêmes portraits de Compagnons.
Avec chaque portrait, le catalogue de l’exposition montre aussi le plan de l’exposition hors les murs.
François Rousseau
Jusqu’au 8 mai 2022
Musée de l’Ordre de la Libération Hôtel national des Invalides
Ouvert tous les jours de 10h à 18h (nocturne le mardi jusqu’à 20h)
Plein tarif: 14€, réduit: 11€ (avec l’entrée au musée de l’Armée)
Publication: C215 Entre ombre et lumière Portraits de compagnons de la Libération, 120 pages, illustrations couleur, broché avec rabats, Critères Éditions, prix 13,5€
Avec les clichés de 8 femmes photographes de guerre qui couvrent le sort des réfugiés, des victimes civiles et des femmes au combat, l’exposition met en évidence l’implication des femmes dans tous les conflits. Peut-être plus que les hommes, elles prennent des images sans cacher l’horreur des événements.
Sylvie Zaidman, conservatrice du musée de la Libération de Paris, explique: «Nous sommes un musée d’histoire dont le rôle est de faire de la pédagogie. L’exposition, qui couvre plusieurs conflits différents dans le temps et les lieux, permet l’explication du présent par l’histoire.»
Les photos proposées aux organes de presse alertent l’opinion publique dans la limite de ce qu’elle est prête à accepter. On remarquera certaines mises en scène pour adapter la photo aux besoins de la presse.
Prenons l’exemple de Gerda Taro, née dans une famille juive de Galicie avant de s’installer en Allemagne. Elle échappe au nazisme et part pour Paris en 1933. Initiée à la photographie par Robert Capa, elle couvre avec lui la guerre civile en Espagne où elle succombe en juillet 1937. Elle tombe rapidement dans l’oubli, d’autant plus qu’une grande partie de ses images est attribuée à Capa. Ce n’est qu’au début du 21e siècle qu’est redécouvert son travail de photographe de guerre.
Sa photo du bataillon Tchapaiev sur le front de Cordoue porte un regard sur l’armée du peuple. La vision de Gerda Taro paraît la plus proche de nous, en référence au conflit actuel qui secoue de nouveau l’Europe. On verra le fac-similé de la Une de Ce soir du 28 juillet 1937: Notre reporter photographe Mlle Taro a été tuée près de Brunete.
« Dernières heures avant l’aurore » · Le dernier livre de Karim Amellal, Dernières heures avant l’aurore, a été publié au début du Hirak qui a marqué l’année 2019 en Algérie. L’espoir d’un avenir meilleur annoncé par le titre est celui d’une génération à laquelle n’appartiennent pas les personnages du roman, septuagénaires revenus d’un long exil depuis la « décennie noire » et qui cherchent dans l’Alger d’aujourd’hui les traces d’un passé révolu.
Il dit : je suis de là-bas. Je suis d’ici Et je ne suis pas là-bas ni ici. J’ai deux noms qui se rencontrent et se séparent, Deux langues, mais j’ai oublié laquelle était celle de mes rêves1.
Né en 1978, Karim Amellal est ambassadeur délégué interministériel à la Méditerranée au Quai d’Orsay. Il est aussi l’auteur de Cités à comparaître (Stock, 2006), un roman psychologique qui analyse l’endoctrinement religieux d’un jeune des cités et Bleu Blanc Noir (L’Aube, 2016), une fiction dans laquelle il imaginait la victoire de l’extrême droite à l’élection présidentielle en France.
Avec Dernières heures avant l’aurore, son troisième roman, il raconte l’histoire de Mohamed et de Rachid, deux Algériens septuagénaires exilés à Paris au début de la « décennie noire » en Algérie. Après presque trente ans d’absence, les deux amis se sentent enfin prêts à accomplir le voyage du retour à la terre mère. Mais la joie des retrouvailles avec Alger est absente. Dès les premières pages, ce périple nostalgique vers leurs racines oscille entre crépuscule et aurore. Écrit avant même le Hirak, le roman rend compte du désespoir régnant en Algérie, en même temps qu’il laisse entrevoir la possibilité d’une aube radieuse.
LA GÉOGRAPHIE PERDUE
Le roman dépeint Mohamed et Rachid comme habités par l’angoisse de retrouver leur pays natal, et cette femme-patrie que plusieurs personnages ont aimée : Sonia. À la réflexion, ce retour est une source de conflits intérieurs, et les deux amis seront forcés de redéfinir leurs appartenances. Ce retour sera ainsi synonyme de la réinvention d’un espace et d’un état antérieur de leurs mémoires.
Malek Chebel explique dans son Dictionnaire amoureux de l’Algérie ce mélange confus d’émotions et de sentiments éprouvés à l’égard de son pays : « Le retour au pays a toujours été un problème, la joie indicible se mêlant presque instinctivement à la crainte de ne plus se sentir chez soi, d’être devenu un étranger. » Edward Saïd analyse également dans son dernier ouvrage Réflexions sur l’exil et autres essais, l’impossibilité du retour intégral chez soi :
J’ai défendu l’idée que l’exil peut engendrer de la rancœur et du regret, mais aussi affûter le regard sur le monde. Ce qui a été laissé derrière soi peut inspirer de la mélancolie, mais aussi une nouvelle approche. Puisque, presque par définition, exil et mémoire sont des notions conjointes, c’est ce dont on se souvient et la manière dont on s’en souvient qui déterminent le regard porté sur le futur.
C’est d’ailleurs le paradoxe que décrira Mahmoud Darwich lors de son retour historique en Palestine en 1995 : « Je ne reviens pas. Je reviens. […] Je viens, mais je ne reviens pas. Je viens, mais je n’arrive pas. Et ce n’est pas seulement de la poésie. C’est la réalité ».
Les identités de Mohamed et de Rachid sont marquées par un double exil : personnel et métaphorique. Un exil intérieur et extérieur, mais aussi la double douleur de la « géographie perdue » et retrouvée. Ce double exil exigera d’entreprendre un double deuil.
LE ROMAN DE LA VILLE D’ALGER
Le crépuscule faisait exploser à l’horizon un sublime dégradé d’orangés qui tombait sur la baie en se reflétant sur les immeubles du Front de mer. La ville était alors plus elle, peut-être parce que moins humaine.
Les deux septuagénaires arpentent les rues, observent la foule, dans l’espoir de trouver une révélation. Le roman suit le regard des personnages. L’errance sera un fabuleux exercice pour renouer avec Alger. Une fois à Alger, Mohamed pourra : « sentir sa moiteur mêlée au parfum de jasmin, zigzaguer dans ses rues en escalier, arpenter ses boulevards, déambuler sur le front de mer, puis descendre à la Pêcherie et après s’en aller sur la route de Tipaza ».
Ne reviens pas trop sur ton passé, el-hadj [cria-t-il à Rachid.] C’est l’Algérie d’aujourd’hui que tu vois là. Elle ne t’appartient plus. Ne sois pas nostalgique. Celle-ci est encore plus belle, même si elle ne ressemble pas à celle que tu as connue. Tu t’en apercevras un jour.
Les descriptions détaillées évoquent la méticulosité des Promenades dans Berlin de Franz Hessel. Dernières heures avant l’aurore est en fait le roman de la ville d’Alger. Outre la richesse chronologique, la variation des personnages, la profondeur de la thématique, ce roman fonde son unité dans la quête infatigable de ce qu’il se passe sur la scène urbaine algéroise.
Ce qui frappe, c’est surtout la beauté de ces images exceptionnelles qui confondent toutes ces réalités.
« ON NE PEUT PAS QUITTER L’ALGÉRIE, C’EST ELLE QUI VOUS QUITTE »
Karim Amellal rend compte de la métamorphose de l’espace algérois. Le lecteur est transporté dans un espace à la fois physique et émotionnel. Des émotions qui valsent entre espoir et désespoir, alacrité et mélancolie. Le temps et l’espace sont ici protéiformes, offrant des enchaînements riches en émotions et en bouleversements.
L’immersion de soi dans les rues et la déambulation hasardeuse et inconsciente nous invitent à déambuler dans la ville d’Alger et ses quartiers périphériques, observant ses changements continuels, s’attardant sur les célèbres quartiers et la beauté des plages d’Alger. Tout cela sera mis principalement en valeur par le personnage de Rachid : « Il se laissa choir sur la plage et ferma les yeux. Il n’y avait là que la mélodie des vagues et du vent, exactement ce qu’il était venu chercher ».
ENTRE MÉMOIRE ET HISTOIRE
L’écrivain joue avec une narration de reconstitution des événements marquants du pays. Le spectre de l’Alger d’antan rôde toujours dans l’esprit de Mohamed et de Rachid. Le présent et le passé sont en dialogue permanent et les souvenirs sont indissociables des événements majeurs de leurs vies constituant la trame narrative de ce roman.
La densité textuelle de Dernières heures avant l’aurore est mimétique de la richesse de la ville et surtout de la mémoire de Mohamed qui est née de la perte et du déracinement. Rapidement, ses souvenirs déferlent sous ses multiples formes. S’ancrer dans le présent d’une « nouvelle » Alger représente un défi pour les deux exilés hantés par le passé, qui s’accrochent au mythe national et au passé glorieux. On est dans la nostalgie d’un âge d’or chimérique.
Le romancier donne aussi de l’importance à la mémoire vivante, qui passe d’abord par la mémoire personnelle des personnages du roman : la Bataille d’Alger en 1957, l’arrestation de Mohamed alors jeune étudiant et son incarcération à Barberousse, l’année 1973 : « Il n’entendait plus rien. Le bruit des rires et des cigales recouvrait tout le reste. 1973 : la conférence d’Alger, le nouvel ordre économique international, les non-alignés… » ou encore le match de 1982 : « Il ne bougera pas el-hadj : c’est le match 82, c’est sacré ! »
On comprend que l’espace et la mémoire sont inséparables. Mohamed tente d’emprunter un chemin vers sa propre conscience pour affronter puis accepter ses souvenirs dans le cheminement d’une mémoire apaisée.
Chez Amellal, la technique littéraire reproduit la réalité historique du peuple algérien dialoguant avec son présent et murmurant avec son avenir. Il questionne sans cesse et remet en perspective la pluralité des regards portés sur l’histoire de l’Algérie par ce texte aussi brillant que courageux. Entre crépuscule et aurore, Alger sera « flamboyante, turbulente, mais plus belle ».
Au vent mauvais. Roman de Kaouther Adimi, Editions Barzakh, Alger 2022, 280 pages, 1.000 dinars
Il y a un village perdu quelque part en Algérie, El Zahra. Nous sommes en 1922 et il y a trois gamins : Tarek, Said et Leïla qui s'amusent et grandissent ensemble... les deux premiers frères de lait (tous deux nourris au sein de Safia, une nourrice)... mais les deux déjà secrètement amoureux de Leïla.
Un peu plus tard, Tarek, orphelin très tôt, après avoir été berger, un berger timide et discret, s'en ira participer (contre son gré comme beaucoup de jeunes Algériens mobilisés de force) à la 2ème Guerre mondiale, Said après des études universitaires... à l'étranger (fils d'imam quelque peu nanti ) sera, lui aussi, mobilisé et Leïla sera mariée, contre son gré, à un homme bien plus âgé qu'elle.
Démobilisé, Tarek va connaître la solitude et les difficultés de l'exil (dont le racisme). De retour au pays, il épousera (enfin !) Leila depuis un certain temps divorcée. Il rejoint, par la suite, la lutte pour l'indépendance, puis participe, comme chauffeur, décorateur, acteur, etc... , au tournage de «La Bataille d'Alger», sous la direction de G. Pontecorvo, avant de re-partir travailler dans une usine, en région parisienne. Grâce à l'aide «téléphonique» de Pontecorvo, il se retrouve gardien d'une magnifique villa à Rome, parsemée d'œuvres d'art incroyables. Leïla, elle, connaît la vie des femmes rurales de cette époque. Cantonnée dans l'éducation des enfants et les tâches ménagères, elle décide d'apprendre à lire et à écrire. Mais la publication du premier roman de Saïd, devenu écrivain, vient bouleverser la vie du couple. Son livre à succès décrit le village et ses habitants, dont Leila, sans changer les prénoms et les situations («C'est un roman sur l'Algérie d'aujourd'hui. On y croise des personnages tous liés les uns aux autres. Ils sont nés dans le village d'El Zahar... Leila, une jeune fille des plus ordinaires, Tarek, un berger rustre mais attachant et Safia qui fabrique des poteries...»).Tout est étalé dans la presse. Une sorte de «vol» littéraire qui n'est apprécié par personne, les villageois et encore plus Leila (déjà ostracisée par ses voisins), s'estimant violés dans leur intimité. Tarek doit rentrer au plus vite, abandonnant son paradis artistique romain. La famille quitte le village pour s'installer à Alger. Elle n'y reviendra que plusieurs années après, ne se sentant plus en sécurité à la Casbah/Alger, avec la montée du terrorisme islamiste et une guerre civile ne disant pas son nom. En définitive, à travers les destins croisés de trois personnages, Kaouther Adimi dresse une grande fresque de l'Algérie, sur plus de sept décennies : l'occupation coloniale, mai 45, la guerre de libération nationale, le tournage de La Bataille d'Alger et le coup d'Etat du 19 juin 1965, le (Festival) Panaf 1969, les débuts de la décennie rouge, l'assassinat de Mohamed Boudiaf... Une belle histoire d'amour du fond d'Histoire !
L'Auteure : Née en 1986 à Alger. Etudes de littérature.Vit et travaille à Paris. Déjà auteur de quatre romans dont le remarquable «Nos richesses» (Prix Renaudot des Lycéens, Prix du Style et Prix Beur Fm, en 2017) et «Les Petits de Décembre (2019).
Extraits : «Ce n'est pas parce qu'on a combattu pour la France et qu'on porte un uniforme français qu'on n'est pas des étrangers, hein ? Ah, les gens sont mauvais partout» (Un soldat arabe à la fin de la 2ème Guerre mondiale, p 51), «Rome est une ville bruyante qui grouille de monde, encore pire que Paris.Et lorsque la pluie s'abat sur la ville, elle me donne le sentiment qu'elle cherche à nous fracasser» (p 167), «A chaque fois qu'un événement grave se produit, la télévision algérienne suspend tous ses programmes pour diffuser pendant des heures des documentaires animaliers. C'est leur façon à eux, aux gens du gouvernement je veux dire, de gérer la crise» (p 246)
Avis : Un rythme d'écriture très rapide. Affolant même. Certainement pour éviter tout «remplissage» pratiqué par bien de nos romanciers. C'est ce qui donne à son «Histoire» de l'Algérie, à partir des années 20 et jusqu'au début des années 90, une grande épaisseur.
Citations : «Ce n'est pas une mauvaise chose de mourir pour son pays» (Frantz Fanon cité, p 78), «Une minute suffit à faire basculer une vie. Une minute et tout ce qu'on a construit patiemment peut être détruit» (p 132), «Comme souvent lorsqu'on claque la porte le premier sentiment qui suit le bruit est le regret» (p 147), «Ce que vous permet l'art, c'est d'avoir le sentiment d'être à la fois éternel et mortel, c'est quelque chose d'effrayant et de douloureux mais aussi un sentiment extraordinaire. Admirer une œuvre, c'est repousser la mort, c'est permettre à la vie de gagner. Posséder ce genre d'œuvres d'art, c'est être béni des dieux» (p 161), «C'est donc ça être écrivain ? Couper, monter, imaginer des souvenirs et fouiller dedans ? Créer une histoire à partir de petits bouts ? Changer les dates, mélanger les événements ? Créer à partir de rien ? (p 201), «Une fille vous met face à vos contradictions, contrairement à une épouse qui veut bien feindre de ne pas les voir. Une fille ne vous pardonnera rien, n'accepte aucune faiblesse de la part d'un père, n'est jamais compréhensive» (p 270).
« Au vent mauvais » de Kaouther Adimi : les mots de l’Algérie
Critique
Magnifique et poignante évocation de l’Algérie du XXe siècle, ce roman retrace les violentes contradictions qui ont bouleversé jusqu’à l’intime hommes et femmes de ce pays.
Sabine Audrerie,
Petites filles dans une ruelle de la casbah d'Alger, circa 1960, Algérie.JEAN-LOUIS SWINERS/GAMMA/RAPHO
Depuis le début de la vie d’écriture de l’écrivaine algérienne Kaouther Adimi, en 2010 à 25 ans, quatre romans ont montré son attention aimante et lucide à l’histoire troublée de son pays. Nos richesses retraçait l’histoire de la librairie Les vraies richesses, à travers des figures lumineuses d’Algérois portant la mémoire oubliée d’une fière Algérie. Son premier livre, Des ballerines de papicha (1), faisait le portrait en kaléidoscope d’une famille algéroise populaire dont les membres s’inventent des vies meilleures.
Le nouveau roman de Kaouther Adimi rejoint ces inclinations en une fresque très aboutie. L’écrivaine dresse un tableau sensible et puissant de son pays au long du XXe siècle. Son personnage est à nouveau une famille – dont on comprend dans une adresse finale magnifique de délicatesse qu’elle emprunte beaucoup à la sienne –, et plus particulièrement un couple, Tarek et Leïla, nés dans les années 1920 d’un village de l’est de l’Algérie. C’est toutefois séparément que le lecteur les rencontre, chacun faisant rayonner une partie du livre et une époque, en deux regards complémentaires. Cette construction vient souligner l’incommunicabilité poignante entre deux êtres émouvants et taiseux à qui les mots manquent.
Tarek est né d’une femme muette, qui a nourri avec lui un enfant d’extraction plus aisée dont la mère n’avait plus de lait. Saïd et Tarek ont ainsi grandi ensemble, comme des frères, avant que la réalité sociale ne les sépare. Enfants, jouant près des figuiers de barbarie, tous deux étaient subjugués par la belle Leïla, que Tarek épousera plus tard. Bien des guerres balaieront les vies et les rêves secrets de Tarek et de Leïla : la Seconde Guerre mondiale puis, une fois Tarek rentré, celle de l’indépendance, et les incidences de la décolonisation… Avant d’autres départs, d’autres expériences impossibles à partager.
Une fidélité inamovible
L’un et l’autre se réfugieront dans un silence propre. L’intense beauté et la pudeur de ce roman tiennent peut-être – au-delà des paysages, des scènes et des caractères superbement restitués – dans ce halo de non-dits et de complicité qui tient lieu d’amour à Tarek et Leïla. Une fidélité inamovible, malgré la distance, chacun acceptant son rôle, chacun offrant pour l’autre le sacrifice de ses renoncements.
Et c’est d’une Algérie soumise à de violentes contradictions, qui bouleversent jusqu’à l’intime les hommes et femmes, que Kaouther Adimi fait le flamboyant portrait. Les ressorts politiques complexes et la richesse culturelle du pays sont abordés à travers plusieurs épisodes réels, par exemple le tournage du film La Bataille d’Alger de Gillo Pontecorvo, dans la casbah d’Alger en 1965 avec des non-professionnels.
Une jeunesse en pointillé
Les mots qui manquent à Tarek et Leïla leur seront non pas rendus, et même comme volés par la vocation d’écrivain de Saïd. « Si la littérature peut sauver, elle peut aussi être un vent mauvais », note Kaouther Adimi, dont le roman lumineux est empreint d’une poignante gravité. «C’était notre guerre, écrit-elle encore en référence à la guerre civile. Et comme nos grands-parents et nos parents, nous n’en parlerons pas. Nous ne dirons rien des réveils gris et cotonneux, des nuits au décompte macabre, de notre enfance et de notre jeunesse en pointillé, de la vie qui ne s’arrête pas, non, qui fait tout le contraire, qui s’étire indéfiniment, dans une lenteur épouvantable, et où chaque jour est calqué sur le précédent. »
(1) Initialement publié par Barzakh, il vient d’être réédité en poche Points.
Une saga algéroise. Sur le fil du rasoir. Roman de Mohamed Ifticène. Editions Frantz Fanon, Alger 2022, 399 pages, 1.200 dinars(Fiche de lecture déjà publiée. Pour rappel.Extraits)
Voilà un hasard qui fait très bien les choses... littéraires. Au départ, confiait l'auteur à la presse, il y avait un scénario. (... ). Le scénario est transformé en... livre... et un jour, peut-être, en film («peut-être avec l'étranger car il y a plus de moyens»).
. Le contenu ? Presque en souvenir d'un vécu à Alger, de la vie à Alger... à l'époque de la colonisation... et juste après.
Une famille habitant La Casbah d'Alger (celle de Lyès, le très beau gosse, garçon blond aux yeux bleus, presque un «roumi» égaré dans l'école indigène, bagarreur, pas peureux ni timide pour un sourdi, tisseur impénitent de relations intimes avec les filles, les femmes et les maîtresses des puissants, préparant sa vengeance contre ceux qui ont assassiné son père... )... une famille avec des racines (au départ un peu oubliées) en Kabylie. Une famille qui, n'oublions pas que c'est le temps de la domination coloniale dont les effets sont ressentis parfois directement à l'intérieur de la Casbah elle-même. Une ville dans la ville avec des familles honorables mais aussi ses truands musulmans... et européens, parfois s'acoquinant, ses maisons dites de «tolérance» et de jeux clandestins, ses règlements de comptes et ses trafics... plus pour survivre que pour bien vivre ! Il y a donc de la politique, de l'amour, de la bagarre, de la mort violente, de la joie, de la peine... tout ce qui fait la vie d'un individu et d'une communauté. Une cité devenue forteresse assiégée et martyrisée durant la guerre de libération nationale, avec ses héros et héroïnes, ses traîtres, ses lâches et ses «observateurs». C'est à la fois la vie d'une famille mais aussi d'une communauté, durant toute cette période. Une période à la fois exaltante et douloureuse.
Les premières années de lindépendance apporteront certes un vent de liberté mais, aussi, hélas, pas mal de désillusions avec ses «marsiens», la lutte au sommet pour le pouvoir, les dérapages sécuritaires et sociétaux... et, à la base, avec la course aux avantages matériels immédiats. La «grande désillusion» et l'échec des utopies !On ne pouvait moins attendre d'un jeune Algérien devenu adulte avant l'âge.
L'Auteur : Né en 1943 à Bir-Djebah en Haute Casbah (Alger). Réalisateur et scénariste de cinéma... et enseignant en audiovisuel. Etudes à Alger (Institut national du cinéma ) et en Pologne (Lodz). Une vingtaine de films (fiction) à son actif (dont Qorine, Jalti le gaucher, Les rameaux de feu, Le grain dans la meule, Le sang de l'exil, «Les enfants du soleil, Les marchands de rêves... ) et autant de documentaires. C'est là son premier roman.
Extraits : «Zakya dénonça l'alliance entre les colons qui limitent la scolarité des indigènes au cycle primaire afin qu'ils sachent peu et les musulmans qui l'interdisent à leurs filles afin qu'elles ne sachent rien» (p 82), «La vie à Alger en ces premières années dindépendance était entièrement vouée au culte de la personnalité et aux activités du rais» (p 57)
Avis : Passionnant. Une fin d'ouvrage un peu trop «accélérée».Il est vrai que l'écriture cinématographique prend souvent le dessus chez l'auteur. Mille et une vérités. Vivement une ou plusieurs suites... avec un titre plus court. «Une saga algéroise» suffisait
Citations : «La voyance est un monde de ténèbres où la raison et la lumière ne rentrent pas» (p17), «L'amour est la plus belle des libertés... mais il ne faut pas en faire une obsession» (p203), «Quand une seule personne souffre d'illusion, on dit qu'elle est folle mais quand c'est des millions qui en souffrent, on dit qu'elles sont croyantes. Les religions sont des fabriques de fous» (p205)
L'Appel du sang. Roman de Hocine Meghlaoui. Casbah Editions, Alger 2022. 317 pages, 950 dinars
L'Algérie en guerre, le joug colonial meurtrier et sanglant, des familles et des tribus meurtries, éparpillées, massacrées, des enfants devenus orphelins et séparés de leurs racines, des itinéraires de vie plus ou moins heureux, l'Indépendance du pays qui est obligé d'être «à l'écoute du monde et de ses conflits», la recherche de son identité... la découverte de pays étrangers (le Portugal sous la dictature de Salazar, le Liban avec ses provocations sionistes et ses conflits intérieurs, la France avec ses nostalgiques qui n'arrivent pas à digérer leurs pertes et leurs défaites...). Ça, c'est le décor !
L'histoire contée est simple (bien qu'elle soit un peu trop inondée de détails relevant du courrier diplomatique).
Durant la colonisation, toute une tribu est massacrée par l'Armée française... Deux petits enfants, encore bébés, des vrais jumeaux, Hassan et Hocine, se retrouvent orphelins. L'un est sauvé par sa mère... l'autre (que l'on croit mort) a été, en fait, enlevé et «adopté» par l'officier français ayant dirigé le massacre.
Le premier va se retrouver, après une scolarité brillante, officier des «services» et va parcourir le monde cumulant les exploits... Au même moment, le second, lui aussi, protégé et «chéri» par l'épouse du militaire -un raciste impénitent- assassin (devenu Oas), ignorant sa filiation biologique (la circoncision ne voulant rien dire et le «père adoptif» n'ayant jamais avoué ses forfaits), sera le capitaine Henry dans le régiment de parachutiste au macabre palmarès, celui-là même qui avait été dirigé par son père «adoptif».
Il a fallu que les guerres civiles et contre l'envahisseur sioniste gagnent le Liban, pour que les deux itinéraires se croisent et se reconnaissent, dans un Beyrouth en ruines. La fin sera encore plus heureuse: Si Mohamed, dit le Patriarche, chef du clan, peut désormais reposer en paix dans une terre quittée en mai 1873. Il avait fui, avec toute la tribu, la répression après qu'il ait abattu un colon et le caïd qui voulaient déposséder la tribu de ses terres ancestrales,... les deux frères étant revenus sur la terre des ancêtres trop longtemps abandonnée.
L'Auteur : Diplômé de l'Ena (Alger). Diplomate de carrière (en poste en Asie, en Afrique, en Europe, en Amériques du Nord et du Sud), ancien Secrétaire général du Mae, directeur de cabinet du chef du gouvernement... Retraité, il enseigne et écrit.
Extraits : «La meilleure façon de connaître un peuple est de vivre en son sein, d'être attentif à tout ce qui se dit, de partager sa cuisine et, comme a dit Platon, d'écouter sa musique» (p158), «Un pays paye avec la vie de ses enfants les erreurs faites par ses dirigeants dans leurs choix stratégiques» (p305), «Au pays du cèdre (Liban), il y a toujours eu deux fers au feu : la guerre et la diplomatie, l'une n'excluant pas l'autre» (p 307)
Avis : Pourrait très facilement se transformer soit en un film (d'aventures et d'espionnage), soit en une série de télévision. L'auteur pourrait aussi écrire une suite ou plusieurs suites autour des «exploits» de Hassan et Hocine. Il est temps pour notre société de nous inventer des héros plus actuels. On a eu un ou deux essais par le passé, mais hélas cela n'avait pas duré malgré le succès alors rencontré auprès des lecteurs.
Avertissement : Aucune histoire d'amour... mais seulement des non-dits.
Citations : «Les vrais héros sont ceux qui défendent leur pays et non ceux qui asservissent les peuples» (p145), «La souffrance n'a pas de frontière et son seul antidote est le refus de la tristesse» (p156)
Un maure dans la Sierra. Roman de Rénia Aouadène. El Kalima Editions, Alger 2016 (www.elkalima-editions.com) 165 pages, 500 dinars (Fiche de lecture déjà publiée. Pour rappel)
Les années 20 en Algérie. Précisément en Kabylie. L'occupation coloniale (par Madame la France) et son poids de misères. Au village de Darna, petit village perché à 1.000 m d'altitude, le petit Rabah a pris, petit à petit, conscience de la misère qui oblige son père, Brahim, à partir bien souvent loin de la maison pour ramener quelques sous pour (sur) vivre. Il est allé à l'école. Il a appris et compris. Il va se former aux armes et à la lutte (en s'engageant dans l'armée, taisant toutes ses colères)...
Les années 20 en Espagne, années de misère, de disette. Un pays divisé, car c'est aussi la lutte pour le pouvoir. L'Eglise catholique est là, toujours debout, avec ses alliés les conservateurs rétrogrades face aux paysans et aux ouvriers qui (sur-) vivent. La petite Dolorès a vécu dans un petit village.
Le père, ayant perdu ses terres, part souvent loin de la maison familiale pour louer ses bras. Elle a été «élevée» et éduquée par une femme, amante «libre» d'un descendant «moro», Amalia, qui lui a appris la fierté et la lutte pour aider les autres.
Le début des années 30. Inscrit au Parti communiste, Rabah va partir en Espagne pour lutter aux côtés des révolutionnaires contre le fascisme franquiste. Il sera à la tête d'une brigade où l'on retrouve d'autres Algériens, des Palestiniens, des Libanais... beaucoup d'«Arabes». Amalia va s'engager, aux côtés des Républicains, en tant qu'infirmière. Le camp de la révolte, de la justice. Ils lutteront ensemble contre les troupes fascistes de Franco, ils s'aimeront... et la guerre les séparera.
Rabah mourra en combattant, le 25 mars 1938 sur le plateau de Miraflorès... en pensant à Yamina, sa douce maman, à Amalia l'indomptable, à la Kabylie... et aux luttes futures de ses frères en Algérie contre l'occupation coloniale. Aujourd'hui, une rue de Barcelone porte le nom de Oussidhoum.
L'Auteure : Poétesse, nouvelliste et dramaturge algérienne. Est née et vit à Marseille où elle enseigne
Extraits : «Anerez wala neknu», «Plutôt rompre que se plier !», telle est la devise de Brahim et des siens, de tous ceux qui n'ont cessé de lutter contre les milliers d'envahisseurs, ne laissant à cette terre aucun répit au cours des siècles» (p 11), «Il (Rabah) avait saisi la politique coloniale qui consistait à diviser les différentes ethnies, et ce qui le gênait, c'était ce mépris envers les arabophones. Les réflexions méprisantes fusaient et les colons avaient tendance à différencier les Kabyles des Arabes comme s'il ne s'agissait pas d'un même peuple» (p 71) «Les politiciens qui gouvernent ne sauront jamais que des afro-arabo-musulmans ou chrétiens se sont battus et qu'ils deviendront des soldats de l'ombre car l'histoire ne retiendra que ce qui l'arrangera» (p 164)
Avis : Roman réaliste, simple dans sa construction, et «naïf» (au sens noble et littéraire du terme) dans son articulation. Excellent sujet de film !
Citations : «Nul être ne devrait être obligé de quitter les siens, de se couper de ses racines sous la contrainte de la faim. Il n'y a pas de blessures plus graves que celles de l'exil» (p 103), «L'on ne peut humilier une population entière sous prétexte de civiliser et de développer son propre pays avec des richesses pillées à l'étranger «(p 138)
La ville aux yeux d'or. Roman de Keltoum Staali. Casbah Editions, Alger 2022, 175 pages, 700 dinars
Elle (Meryem) revient -après de longues années d'éloignement- à Alger, une ville où elle y a vécu si peu mais une ville qui la possède. Une ville «bavarde mais secrète». Une ville magique pleine d'envoûtements. Une ville embouteillée, envahie par la poussière chaude et les klaxons assourdissants et furieux. Alger, ville blanche? Plutôt ville grise.
«Quand je suis à Alger», dit-elle, «je m'amuse à évoquer la France, en cherchant bien au fond de mon cœur, un petit filet de nostalgie. En France, je fais l'inverse. J'aime être ici et là-bas, là-bas et ici. Je voudrais être un bateau pour aller sans cesse d'une rive à l'autre». Partagée ? Déchirée ?
Elle est certes née en France, mais Alger est la ville de sa «renaissance».
Cela va lui permettre de renouer avec le passé, allant même jusquà (se) fabriquer de toutes pièces des personnages. Ceci dit avec un style qui, lui-même, déroute, en raison du mélange -maîtrisé sans être recherché- littérature classique (n'est-elle pas prof'de Lettres ?) -écriture journalistique
L'Auteure : Née et grandie en France dans les années 60. Etudes de Lettres modernes. Journaliste en Algérie à la fin des années 80 (Révolution africaine, Alger Réublicain). Retour en France au début des années 90. Plusieurs ouvrages : poésie, autobiographie, roman... Actuellement professeure de Lettres (en France)
Extraits : «Ville bavarde et pourtant secrète, où chaque rue est un hommage discret à un sacrifié au nom vaguement familier.Dans chaque maison, une blessure qui ne se ferme pas» (p13), «Le silence est notre maître souverain. Il nous enferme , nous emprisonne, nous donne l'illusion de commander nos vies, mais il nous met à genoux et martyrise nos cœurs» (p 65)
Avis : Un roman ? Peut-être. Car, aucune histoire particulière, mais plutôt une réflexion sur la vie, sur la mort, sur le pays, sur Alger, sur l'exil, sur la guerre, sur le terrorisme, sur l'amour , sur la vie, sur la mort du petit frère, sur Darwich, sur le mimosa, sur Mazouna, sur Nabile Farès (le seul personnage clairement identifié), sur les langues... Un peu de tout, de tout un peu. Un chassé-croisé de personnages et d'événements, réels ou inventés. Une lecture un peu déprimante. Heureusement, de la belle écriture en prose, presque poétique, chargée de nostalgie et souvent de tristesse.
L'avis de Nadjib Stambouli (in Le Jour d'Algérie, avril 2021): «L'auteur construit (et souvent déconstruit en livrant les ficelles de la construction) son œuvre sur un chassé-croisé entre fiction et réalité, entre inventions et vécu où le mot et le verbe font office non pas de décor, mais de personnages principaux. Keltoum Staali trace le chemin, étale des panneaux indicateurs, indique le trajet mais bifurque aussitôt, laissant le lecteur non pas égaré, encore moins désemparé, mais curieux de ce qui l'attend au prochain tournant, c'est-à-dire au prochain paragraphe...»
Citations : «Chez nous, les Arabes, il paraît que l'âge est un privilège, une chance pour les femmes. Délivrées de leurs attraits diaboliques, elles peuvent partager l'espace de la rue en toute quiétude avec les hommes» (p27), «J'ai quitté Alger parce que je n'en pouvais plus d'être une femme» (p72), «Mon premier contact avec la langue française, à trois ans, se résume à une gifle coloniale qui ne me fait pas pleurer (...). La gifle ne détruit pas ma curiosité pour cette langue nouvelle et prometteuse. Au contraire, je me saisis de cette langue qui remettra mon cœur à l'endroit» (p 85), «Il y a un dedans et un dehors de la langue qui sont accessibles quand on est bilingue, même imparfaitement» (p95), «Parler en arabe me renvoie à la fois à ma condition de fille de mon père et en même temps, de manière paradoxale, me met à égalité avec lui, car notre langue est aussi une langue d'adulte pour parler de choses sérieuses et graves» (p101), «Le thé à la menthe se boit toujours brûlant. Il réveille la fête, appelle la convivialité et pique l'esprit par sa petite pointe d'exotisme» (p128)
Et si tu écoutais mon cœur ! Roman de Ahcène Beggache. Editions El Qobia, Alger2022, 252 pages
Qu'elle est belle l'histoire d'amour que celle de Lydia (la dentiste) et de Yacine (lenseignant). Tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes... Mais, il était dit (et écrit) que cela n'allait pas se passer facilement.
Lydia (au bel avenir) est... promise (sans qu'elle ne le sache, la «chose» ayant été arrangée entre son frère et son oncle, tous deux en relations d'«affaires» avec un mafieux) au fils d'un apparatchik, très haut fonctionnaire dans un ministère de souveraineté, roi de la corruption administrative. Une bande et une famille de pourris-ripoux, avec un père maître-chanteur et une mère encore plus affreuse croyant pouvoir tout «acheter»... dont une belle-fille pour son unique fils chéri, un fils à papa, fainéant comme pas un, que même l'armée (la belle «couverture») n'a pas réussi à «re-dresser» L'histoire ? Un vieil enseignant retraité est menacé d'expulsion de son logement de fonction s'il persistait à autoriser son fils, Yacine (un enseignant lui aussi) à vouloir épouser son aimée, Lydia
Par peur ? Par lâcheté ? Par fatalisme devant le pouvoir discrétionnaire du «système» ? Il ordonne sans explications à son fils de rompre. Respectueux de la décision, Yacine s'exile... sans explications. Le poids d'un système autoritariste et archaïque ! Le silence et la fuite en avant... laissant la jeune fille, brutalement abandonnée, seule et choquée ! Une histoire douce-amère où l'on retrouve bien des maux du pays comme la corruption, le népotisme, mais aussi -heureusement- le Hirak... un mouvement aux effets -indirects- sur la gestion politique du pays, ce qui a permis à l'histoire d'amour de bien se terminer, après trois années de parenthèse douloureuse: les méchants seront punis, les marionnettes complices se repentiront, le «fuyard» sera pardonné et les amoureux se réconcilieront...en se mariant. N'est-elle pas belle cette histoire d'amour ? On en redemande et je suis absolument certain que le genre fera beaucoup de bien à la littérature populaire algérienne.
L'Auteur : Né le 2 avril 1972 à Imaandène (M'kira/Tizi Ouzou). Chimiste de formation. Longtemps enseignant de langue française puis Inspecteur de l'Enseignement primaire
Extrait : «Hier fait déjà partie du passé ; le passé est ce qu'il est, tu ne peux rien changer à cela ; nous ne pouvons que le regarder, l'analyser, l'exploiter pour vivre le présent mieux que le passé. L'avenir nest pas encore là, même demain est loin de nous, tu le vivras seulement demain, mais avant tu dois vivre ton jour, sinon tu en feras la prison de tes remords, une source intarissable de regrets» (p73)
Avis : Une belle histoire d'amour. Mais pas que ! Une véritable (bonne) salade algérienne où problèmes de relations sociales et humaines se mêlent (parfois s'affrontent) aux problèmes sociétaux (dont la grande corruption) et politiques... comme le Hirak. Se lit d'un seul trait d'autant qu'il est écrit en très bon français
Citations : «Se taire quand tout son être parle, rire quand son cœur est en colère, dire exactement le contraire de ce que l'on veut dire relève non seulement de la maîtrise de soi, mais aussi du sacrifice de soi, de sa dignité, de ses principes, de sa fierté» (p23), «Parfois, il fait sortir du cadre pour trouver la solution. Nous avons tous besoin de celui qui regarde notre situation sous un autre angle, sous son propre angle» (p 41), «Un cœur qui n'écoute pas la raison est un cœur aveugle ; quand il ouvrira les yeux, ils sera trop tard pour changer sa destinée (p 87), «Quand la pauvreté entre par la fenêtre, l'amour sort par la porte» (p 222).
• Nos richesses, de Kaouther Adimi, Seuil, 216 p., 17 €
La première voix entendue dans ce beau roman est celle de la romancière dans l’Alger de 2017, ville où, dit-elle, « on se balade, le cœur serré… Des siècles que le soleil se lève sur les terrasses d’Alger et des siècles que nous assassinons sur ces mêmes terrasses. »
Guidant le narrateur vers une des rues où un homme, au siècle dernier, rêva de réunir dans une petite boutique toutes les voix de la Méditerranée, elle parvient à mêler récit d’une aventure dans la vie réelle, celle d’Edmond Charlot, et construction imaginaire autour d’un jeune Algérien de 20 ans aujourd’hui.
Étudiant à Paris, Ryad revient dans sa ville natale et y obtient un petit boulot temporaire. Il doit repeindre, 2 bis rue Charras, une librairie désaffectée, « Les vraies richesses », qui sera désormais un magasin de beignets. Mais cette librairie a été à partir de 1935 un foyer rayonnant de littérature.
Comme Sylvia Beach et Adrienne Monnier rue de l’Odéon à Paris, Edmond Charlot, sans argent, riche seulement de culture et d’ardeur inventive, parvient à réaliser son rêve : être à la fois libraire, bibliothécaire et éditeur dans la grande tradition du XIXe siècle. Vendre les livres, les faire circuler grâce à sa bibliothèque de prêt et surtout découvrir des écrivains.
Le premier texte publié est celui d’un jeune inconnu, Albert Camus. Vont suivre Emmanuel Roblès, Kateb Yacine, André Gide, Henri Bosco, Vercors, Mohammed Dib… La librairie, qui doit son nom au roman de Giono (auteur, lui aussi, de la maison) est durant la Seconde Guerre mondiale un creuset de résistance et d’ouverture à tous les vents nouveaux de la Méditerranée.
Kaouther Adami entrelace le récit des difficultés matérielles auxquelles se heurte Charlot et l’autre fil narratif : les retrouvailles de Ryad avec une ville accablée par le chômage, le souvenir des décennies sanglantes, la pauvreté et sa lente découverte de la littérature.
Ryad n’aimait pas lire. Les livres jusqu’alors avaient fait monter en lui une angoisse certaine. Mais la nécessité de trier ce qui doit être conservé des papiers, lettres, ouvrages, documents, photos, témoins d’un monde disparu, le conduit jusqu’à l’écriture, seule peut-être capable d’exprimer le tragique et la beauté de son pays natal.
« Tout est toujours tragique en Algérie », avait-il dit à la jeune femme qu’il aime avant de quitter Paris. Et ce tragique muet est incarné par le vieil Abdallah, jadis employé de la librairie, demeuré dans le local désaffecté, vide désormais, prêt à y mourir comme le vieux domestique dans La Cerisaie. La fin d’un monde.
Dès les premières pages, on le sent. À la fin, on est soufflé. C'est un grand roman. Un grand roman sur l'Algérie, qui va des années 1930 jusqu'à aujourd'hui. «J'ai le sentiment d'avoir écrit tous mes livres précédents pour mériter d'écrire celui-là», indique Yasmina Khadra.
Ce que le jour doit à la nuit, c'est un retour aux sources pour lui. «C'est comme le saumon: il quitte la rivière pour les vertiges de l'océan, et puis il faut qu'il revienne à sa source pour se reproduire», lance le petit homme au regard noir, installé bien droit dans son fauteuil de directeur du Centre culturel algérien, à Paris.
Ses premiers livres, parus sous son vrai nom, Mohammed Moulessehoul, se passaient en Algérie. Tout comme la série de polars extrêmement noirs, extrêmement sarcastiques, qu'il a publiée ensuite, sous son pseudonyme.
Puis il y a eu son départ de l'armée algérienne, où il était entré contre son gré enfant, où il a passé 36 ans. Et son arrivée en France, où il a dévoilé sa véritable identité avec L'Écrivain. C'était en 2001.
L'année suivante, changement de registre. Yasmina Khadra publie Les Hirondelles de Kaboul, où un couple s'entredéchire sous le régime des talibans. Il y aura ensuite L'Attentat, Prix des libraires 2006, en cours d'adaptation pour le cinéma. Il y est question d'un médecin arabe vivant en Israël qui découvre avec stupéfaction que sa femme est une kamikaze.
L'auteur mettra aussi en scène un jeune bédouin irakien qui perd complètement ses repères, dans Les Sirènes de Bagdad. Fin d'une trilogie consacrée aux grands enjeux internationaux de l'heure.
«Après avoir parlé de l'Algérie, résume Yasmina Khadra, j'ai été interpellé par les chamboulements qui chahutent les rapports planétaires, mais il fallait que je revienne à ma littérature. Et la base de ma littérature, c'est mon pays, c'est l'Algérie.»
Dans Ce que le jour doit à la nuit, l'auteur de 53 ans revisite l'histoire de son pays par le biais d'un petit Arabe né dans l'Algérie coloniale qui sera plongé dans la tourmente de la guerre d'indépendance. Il devra choisir son camp.
Toute l'habileté du romancier consiste à placer son héros dans une situation impossible. Dès l'enfance, le petit Younes tourne le dos à la pauvreté crasse de ses parents pour être élevé par un oncle nanti. S'ouvre alors à lui un monde insoupçonné. Où il côtoiera des Européens éduqués, bien mis, des pieds-noirs dont il deviendra l'ami.
Toute sa vie il sera déchiré, cherchera son identité. Même l'amour lui tournera le dos, faute de savoir qui il est, ce qu'il veut. Quand éclatera la révolte sanguinaire, que son entourage sera chassé du pays, il aura tout perdu.
À la fin de Ce que le jour donne à la nuit, le héros devenu vieux rencontre ses anciens amis. Nous sommes dans le sud de la France, en 2008. Tandis que le chaos se poursuit en Algérie, l'heure est à la «nostalgérie».
Retour au pays natal
Pour Yasmina Khadra, «l'Algérie fait rêver. Elle fait encore rêver les gens qui l'ont connue. Les pieds-noirs n'ont jamais cessé d'être Algériens».
Il ajoute: «Dans ce livre, j'ai voulu dire aux Français et aux Algériens l'histoire commune qu'on a vécue, et j'ai essayé de réconcilier les deux camps.»
En d'autres mots, il a essayé «d'être fidèle dans la reconstruction du passé. Ce passé qui a été ruiné, qui a disparu à travers les frustrations, les hostilités, les haines, les rancoeurs». «J'ai essayé, ajoute-t-il, de proposer aux hommes qui ont vécu cette histoire un nouveau départ.»
Lui-même rêve de retourner vivre dans son pays. Il s'est fait construire une maison à Oran. Songe à s'y établir avec sa femme, quand ses trois enfants, dont l'aîné est âgé de 18 ans, auront terminé leur scolarité. «Ils seront libres alors de choisir, de faire ce qu'ils voudront de leur vie», laisse-t-il tomber.
«Mon problème avec l'Algérie, explique-t-il, c'est que j'ai envie d'elle tous les jours, et à peine l'avion se pose-t-il sur le tarmac que déjà je suis dégoûté. Parce que dès qu'on ouvre la portière, on tombe sur des douaniers véreux, des policiers corrompus, et puis ça vous gâche tout. La population est dans le désarroi, la colère permanente, les gens ne croient plus que l'Algérie puisse produire des gens honnêtes tellement la corruption est partout.»
Il s'inquiète pour les jeunes, particulièrement. «Regardez aujourd'hui toute cette jeunesse qui est bouillonnante, pleine de talents, en Algérie. Elle est en train d'aller mourir sur des bateaux de fortune, elle quitte le pays. C'est blasphématoire.»
Alors, où est l'espoir? Yasmina Khadra rêvait de révolution dans les années 1980. Plus aujourd'hui. «J'ai découvert, à travers la révolution islamiste, que dans l'appel de nouveaux horizons, il y avait surtout l'appel du sang.»
Il reproche aux dirigeants de son pays d'avoir trahi les aspirations de son peuple. «Il suffit d'une présence d'esprit pour que les responsables algériens se rendent compte que ça ne servira à rien de se construire un palais sur un dépotoir!»
Il broie du noir: «Qu'est-ce qu'on va laisser aux enfants d'Algérie? Nos aigreurs, nos rancoeurs, nos colères, notre médiocrité? La corruption, le népotisme, le passe-droit? À quoi auront servi tous ces morts, que ce soit pendant la guerre d'indépendance ou la guerre intégriste?»
Si, à ses yeux, l'Algérie a failli politiquement, la culture demeure un outil de changement formidable, une porte ouverte sur l'espoir. «C'est la culture qui est capable de donner une unité, un sens à l'Algérie», martèle celui qui a été nommé en novembre 2007 à la tête du Centre culturel algérien... par le président Bouteflika.
Yasmina Khadra affirme avoir les coudées franches, ne pas subir de pression. «Je vous assure que j'occupe ce poste tout en étant en dehors du système. C'est quoi, vivre dans un système? C'est accepter ses directives. C'est s'identifier à lui, ou profiter de lui. Moi, je suis là pour servir la culture de mon pays. Mon bonheur, c'est de pouvoir aider trois ou quatre artistes algériens à rayonner sous les feux de la rampe, de redonner confiance à tous les écrivains d'Algérie qui vivent dans le désarroi le plus enténébré.»
Il insiste: «Je ne serai jamais dans le système. Vous savez pourquoi? Parce que financièrement je suis à l'abri. Et parce que j'ai l'écriture. Je suis dans mon rêve d'enfance. C'est un miracle: un enfant de neuf ans enfermé dans une caserne militaire qui rêve de devenir écrivain... et le devient.»
Magnifique et poignante évocation de l’Algérie du XXe siècle, ce roman retrace les violentes contradictions qui ont bouleversé jusqu’à l’intime hommes et femmes de ce pays.
Depuis le début de la vie d’écriture de l’écrivaine algérienne Kaouther Adimi, en 2010 à 25 ans, quatre romans ont montré son attention aimante et lucide à l’histoire troublée de son pays. Nos richesses retraçait l’histoire de la librairie Les vraies richesses, à travers des figures lumineuses d’Algérois portant la mémoire oubliée d’une fière Algérie. Son premier livre, Des ballerines de papicha (1), faisait le portrait en kaléidoscope d’une famille algéroise populaire dont les membres s’inventent des vies. meilleures.
Le nouveau roman de Kaouther Adimi rejoint ces inclinations en une fresque très aboutie. L’écrivaine dresse un tableau sensible et puissant de son pays au long du XXe siècle. Son personnage est à nouveau une famille – dont on comprend dans une adresse finale magnifique de délicatesse qu’elle emprunte beaucoup à la sienne –, et plus particulièrement un couple, Tarek et Leïla, nés dans les années 1920 d’un village de l’est de l’Algérie. C’est toutefois séparément que le lecteur les rencontre, chacun faisant rayonner une partie du livre et une époque, en deux regards complémentaires. Cette construction vient souligner l’incommunicabilité poignante entre deux êtres émouvants et taiseux à qui les mots manquent.
Tarek est né d’une femme muette, qui a nourri avec lui un enfant d’extraction plus aisée dont la mère n’avait plus de lait. Saïd et Tarek ont ainsi grandi ensemble, comme des frères, avant que la réalité sociale ne les sépare. Enfants, jouant près des figuiers de barbarie, tous deux étaient subjugués par la belle Leïla, que Tarek épousera plus tard. Bien des guerres balaieront les vies et les rêves secrets de Tarek et de Leïla : la Seconde Guerre mondiale puis, une fois Tarek rentré, celle de l’indépendance, et les incidences de la décolonisation… Avant d’autres départs, d’autres expériences impossibles à partager.
Une fidélité inamovible
L’un et l’autre se réfugieront dans un silence propre. L’intense beauté et la pudeur de ce roman tiennent peut-être – au-delà des paysages, des scènes et des caractères superbement restitués – dans ce halo de non-dits et de complicité qui tient lieu d’amour à Tarek et Leïla. Une fidélité inamovible, malgré la distance, chacun acceptant son rôle, chacun offrant pour l’autre le sacrifice de ses renoncements.
Et c’est d’une Algérie soumise à de violentes contradictions, qui bouleversent jusqu’à l’intime les hommes et femmes, que Kaouther Adimi fait le flamboyant portrait. Les ressorts politiques complexes et la richesse culturelle du pays sont abordés à travers plusieurs épisodes réels, par exemple le tournage du film La Bataille d’Alger de Gillo Pontecorvo, dans la casbah d’Alger en 1965 avec des non-professionnels.
Une jeunesse en pointillé
Les mots qui manquent à Tarek et Leïla leur seront non pas rendus, et même comme volés par la vocation d’écrivain de Saïd. « Si la littérature peut sauver, elle peut aussi être un vent mauvais », note Kaouther Adimi, dont le roman lumineux est empreint d’une poignante gravité. «C’était notre guerre, écrit-elle encore en référence à la guerre civile. Et comme nos grands-parents et nos parents, nous n’en parlerons pas. Nous ne dirons rien des réveils gris et cotonneux, des nuits au décompte macabre, de notre enfance et de notre jeunesse en pointillé, de la vie qui ne s’arrête pas, non, qui fait tout le contraire, qui s’étire indéfiniment, dans une lenteur épouvantable, et où chaque jour est calqué sur le précédent. »
(1) Initialement publié par Barzakh, il vient d’être réédité en poche Points.
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