Livres
L'Appel du sang. Roman de Hocine Meghlaoui. Casbah Editions, Alger 2022. 317 pages, 950 dinars
L'Algérie en guerre, le joug colonial meurtrier et sanglant, des familles et des tribus meurtries, éparpillées, massacrées, des enfants devenus orphelins et séparés de leurs racines, des itinéraires de vie plus ou moins heureux, l'Indépendance du pays qui est obligé d'être «à l'écoute du monde et de ses conflits», la recherche de son identité... la découverte de pays étrangers (le Portugal sous la dictature de Salazar, le Liban avec ses provocations sionistes et ses conflits intérieurs, la France avec ses nostalgiques qui n'arrivent pas à digérer leurs pertes et leurs défaites...). Ça, c'est le décor !
L'histoire contée est simple (bien qu'elle soit un peu trop inondée de détails relevant du courrier diplomatique).
Durant la colonisation, toute une tribu est massacrée par l'Armée française... Deux petits enfants, encore bébés, des vrais jumeaux, Hassan et Hocine, se retrouvent orphelins. L'un est sauvé par sa mère... l'autre (que l'on croit mort) a été, en fait, enlevé et «adopté» par l'officier français ayant dirigé le massacre.
Le premier va se retrouver, après une scolarité brillante, officier des «services» et va parcourir le monde cumulant les exploits... Au même moment, le second, lui aussi, protégé et «chéri» par l'épouse du militaire -un raciste impénitent- assassin (devenu Oas), ignorant sa filiation biologique (la circoncision ne voulant rien dire et le «père adoptif» n'ayant jamais avoué ses forfaits), sera le capitaine Henry dans le régiment de parachutiste au macabre palmarès, celui-là même qui avait été dirigé par son père «adoptif».
Il a fallu que les guerres civiles et contre l'envahisseur sioniste gagnent le Liban, pour que les deux itinéraires se croisent et se reconnaissent, dans un Beyrouth en ruines. La fin sera encore plus heureuse: Si Mohamed, dit le Patriarche, chef du clan, peut désormais reposer en paix dans une terre quittée en mai 1873. Il avait fui, avec toute la tribu, la répression après qu'il ait abattu un colon et le caïd qui voulaient déposséder la tribu de ses terres ancestrales,... les deux frères étant revenus sur la terre des ancêtres trop longtemps abandonnée.
L'Auteur : Diplômé de l'Ena (Alger). Diplomate de carrière (en poste en Asie, en Afrique, en Europe, en Amériques du Nord et du Sud), ancien Secrétaire général du Mae, directeur de cabinet du chef du gouvernement... Retraité, il enseigne et écrit.
Extraits : «La meilleure façon de connaître un peuple est de vivre en son sein, d'être attentif à tout ce qui se dit, de partager sa cuisine et, comme a dit Platon, d'écouter sa musique» (p158), «Un pays paye avec la vie de ses enfants les erreurs faites par ses dirigeants dans leurs choix stratégiques» (p305), «Au pays du cèdre (Liban), il y a toujours eu deux fers au feu : la guerre et la diplomatie, l'une n'excluant pas l'autre» (p 307)
Avis : Pourrait très facilement se transformer soit en un film (d'aventures et d'espionnage), soit en une série de télévision. L'auteur pourrait aussi écrire une suite ou plusieurs suites autour des «exploits» de Hassan et Hocine. Il est temps pour notre société de nous inventer des héros plus actuels. On a eu un ou deux essais par le passé, mais hélas cela n'avait pas duré malgré le succès alors rencontré auprès des lecteurs.
Avertissement : Aucune histoire d'amour... mais seulement des non-dits.
Citations : «Les vrais héros sont ceux qui défendent leur pays et non ceux qui asservissent les peuples» (p145), «La souffrance n'a pas de frontière et son seul antidote est le refus de la tristesse» (p156)
Un maure dans la Sierra. Roman de Rénia Aouadène. El Kalima Editions, Alger 2016 (www.elkalima-editions.com) 165 pages, 500 dinars (Fiche de lecture déjà publiée. Pour rappel)
Les années 20 en Algérie. Précisément en Kabylie. L'occupation coloniale (par Madame la France) et son poids de misères. Au village de Darna, petit village perché à 1.000 m d'altitude, le petit Rabah a pris, petit à petit, conscience de la misère qui oblige son père, Brahim, à partir bien souvent loin de la maison pour ramener quelques sous pour (sur) vivre. Il est allé à l'école. Il a appris et compris. Il va se former aux armes et à la lutte (en s'engageant dans l'armée, taisant toutes ses colères)...
Les années 20 en Espagne, années de misère, de disette. Un pays divisé, car c'est aussi la lutte pour le pouvoir. L'Eglise catholique est là, toujours debout, avec ses alliés les conservateurs rétrogrades face aux paysans et aux ouvriers qui (sur-) vivent. La petite Dolorès a vécu dans un petit village.
Le père, ayant perdu ses terres, part souvent loin de la maison familiale pour louer ses bras. Elle a été «élevée» et éduquée par une femme, amante «libre» d'un descendant «moro», Amalia, qui lui a appris la fierté et la lutte pour aider les autres.
Le début des années 30. Inscrit au Parti communiste, Rabah va partir en Espagne pour lutter aux côtés des révolutionnaires contre le fascisme franquiste. Il sera à la tête d'une brigade où l'on retrouve d'autres Algériens, des Palestiniens, des Libanais... beaucoup d'«Arabes». Amalia va s'engager, aux côtés des Républicains, en tant qu'infirmière. Le camp de la révolte, de la justice. Ils lutteront ensemble contre les troupes fascistes de Franco, ils s'aimeront... et la guerre les séparera.
Rabah mourra en combattant, le 25 mars 1938 sur le plateau de Miraflorès... en pensant à Yamina, sa douce maman, à Amalia l'indomptable, à la Kabylie... et aux luttes futures de ses frères en Algérie contre l'occupation coloniale. Aujourd'hui, une rue de Barcelone porte le nom de Oussidhoum.
L'Auteure : Poétesse, nouvelliste et dramaturge algérienne. Est née et vit à Marseille où elle enseigne
Extraits : «Anerez wala neknu», «Plutôt rompre que se plier !», telle est la devise de Brahim et des siens, de tous ceux qui n'ont cessé de lutter contre les milliers d'envahisseurs, ne laissant à cette terre aucun répit au cours des siècles» (p 11), «Il (Rabah) avait saisi la politique coloniale qui consistait à diviser les différentes ethnies, et ce qui le gênait, c'était ce mépris envers les arabophones. Les réflexions méprisantes fusaient et les colons avaient tendance à différencier les Kabyles des Arabes comme s'il ne s'agissait pas d'un même peuple» (p 71) «Les politiciens qui gouvernent ne sauront jamais que des afro-arabo-musulmans ou chrétiens se sont battus et qu'ils deviendront des soldats de l'ombre car l'histoire ne retiendra que ce qui l'arrangera» (p 164)
Avis : Roman réaliste, simple dans sa construction, et «naïf» (au sens noble et littéraire du terme) dans son articulation. Excellent sujet de film !
Citations : «Nul être ne devrait être obligé de quitter les siens, de se couper de ses racines sous la contrainte de la faim. Il n'y a pas de blessures plus graves que celles de l'exil» (p 103), «L'on ne peut humilier une population entière sous prétexte de civiliser et de développer son propre pays avec des richesses pillées à l'étranger «(p 138)
par Belkacem Ahcene-Djaballah
Jeudi 15 septembre 2022
http://www.lequotidien-oran.com/index.php?news=5315294
.
Les commentaires récents