Alors que l’Iran attend cette semaine de nouvelles journées de mobilisation contre le pouvoir, un haut responsable de la justice a annoncé l’abolition de la très controversée police des mœurs.
Le rôle de la police des mœurs a évolué au fil des années, mais il a toujours divisé, même parmi les candidats à la présidentielle (AFP/Behrouz Mehri)
Le procureur général Mohammad Jafar Montazeri, cité par l’agence de presse IRNA, a annoncé l’abolition de la police des mœurs à l’origine de l’arrestation de la jeune Mahsa Amini, dont la mort en détention a provoqué une vague de contestation en Iran qui perdure depuis près de trois mois.
Cette annonce, considérée comme un geste envers les manifestants, est intervenue après la décision samedi des autorités de réviser une loi de 1983 sur le port du voile obligatoire en Iran, imposé quatre ans après la révolution islamique de 1979.
C’est la police des mœurs qui avait arrêté le 13 septembre Mahsa Amini, une Kurde iranienne de 22 ans, à Téhéran en l’accusant de ne pas respecter le code vestimentaire strict en République islamique, qui impose aux femmes le port du voile en public.
Sa mort a été annoncée trois jours plus tard. Selon des militants et sa famille, Mahsa Amini a succombé après avoir été battue, mais les autorités ont lié son décès à des problèmes de santé, démentis par ses parents.
Son décès a déclenché une vague de manifestations durant lesquelles des femmes, fer de lance de la contestation, ont enlevé et brûlé leur foulard, en criant « Femme, vie, liberté ».
« Abolie par ceux qui l’ont créée »
« La police des mœurs n’a rien à voir avec le système judiciaire et a été abolie par ceux qui l’ont créée », a déclaré Mohammad Jafar Montazeri.
Cette police, connue sous le nom de Gasht-e Ershad (patrouilles d’orientation), a été créée sous le président ultraconservateur Mahmoud Ahmadinejad, pour « répandre la culture de la décence et du hijab ». Elle est formée d’hommes en uniforme vert et de femmes portant le tchador noir, qui couvre la tête et le haut du corps.
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Cette unité a commencé ses premières patrouilles en 2006.
Le rôle de la police des mœurs a évolué au fil des années, mais il a toujours divisé, même parmi les candidats à la présidentielle.
Sous le mandat du président modéré Hassan Rohani, on pouvait croiser des femmes en jeans serrés portant des voiles colorés.
Mais en juillet 2022, son successeur, l’ultraconservateur Ebrahim Raïssi, a appelé à la mobilisation de « toutes les institutions pour renforcer la loi sur le voile », déclarant que « les ennemis de l’Iran et de l’islam voulaient saper les valeurs culturelles et religieuses de la société en répandant la corruption ».
Samedi, il a toutefois déclaré que les fondations républicaines et islamiques de l’Iran étaient constitutionnellement établies « mais qu’il existe des méthodes de mise en œuvre de la Constitution qui peuvent être flexibles ».
Mohammad Jafar Montazeri a annoncé le même jour que « le Parlement et le pouvoir judiciaire travaillaient » sur la question du port du voile obligatoire, sans préciser ce qui pourrait être modifié dans la loi.
Selon le correspondant de RFI à Téhéran, Siavosh Ghazi, qui cite un député iranien, la police pourrait cesser toute arrestation et mettre en place des amendes pour non-respect du voile.
« De fait, ces dernières semaines, on voit de plus en plus d’Iraniennes, en particulier des jeunes, non voilées sans que les forces de l’ordre interviennent », rapporte-t-il.
« Certaines femmes se promènent dans la rue en pantalon et avec une simple veste, sans même avoir sur elles un simple foulard au cas où la police leur ferait des remarques », fait remarquer Siavosh Ghazi.
Traduction : « La police des mœurs sur le point d’être dissoute par le régime islamique d’Iran ? Cela a déjà était fait par la révolution des femmes en Iran. Idem pour les lois sur le port obligatoire du voile. Les femmes, avec le soutien des hommes, ont enlevé et brûlé leurs voiles, marchant dans les rues sans voile. »
Des « émeutes »
Le correspondant de RFI à Téhéran estime que cette décision a été prise pour « apaiser les esprits ». Il note que ces derniers temps, les membres de la police des mœurs ont disparu des rues de la capitale.
« On voit beaucoup de femmes ou de jeunes filles se balader sans voile, sans même porter un voile de précaution sur les épaules comme elles le faisaient auparavant », relève-t-il.
« Mais cela va-t-il suffire ? », se demande-t-il aussi, les slogans des manifestants ces dernières semaines étant plutôt des slogans politiques contre les dirigeants iraniens. Et malgré la répression qui a fait des centaines de morts, le mouvement de contestation se poursuit.
La question du voile obligatoire est une question ultrasensible en Iran, sur laquelle s’affrontent deux camps : celui des conservateurs qui s’arc-boutent sur la loi de 1983 et celui des progressistes qui veulent laisser aux femmes le droit de choisir de le porter ou non.
Selon la loi en vigueur depuis 1983, les femmes iraniennes et étrangères, quelle que soit leur religion, doivent porter un voile et un vêtement ample en public.
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Depuis la mort Mahsa Amini et les manifestations qui ont suivi, un nombre grandissant de femmes se découvrent la tête, notamment dans le nord huppé de Téhéran.
Le 24 septembre, soit une semaine après le début des manifestations, le principal parti réformateur d’Iran a exhorté l’État à annuler l’obligation du port du voile.
L’Iran, qui voit dans la plupart des manifestations des « émeutes », accuse notamment des forces étrangères d’être derrière ce mouvement pour déstabiliser le pays.
Selon un dernier bilan fourni par le général iranien Amirali Hajizadeh, du corps des Gardiens de la Révolution, il y a eu plus de 300 morts lors des manifestations depuis le 16 septembre.
Sur les réseaux sociaux, de nombreux Iraniens appellent à rester prudents face à l’annonce de la dissolution de la police des mœurs.
Traduction : « C’est de la désinformation de dire que la République islamique d’Iran a aboli sa police des mœurs. C’est une tactique pour arrêter le soulèvement. Les manifestants n’affrontent pas des armes à feu et des balles pour abolir la police des mœurs. Ils veulent la fin du régime islamique. »
Traduction : « Un rappel amical : ces crimes ont été commis sans la police des mœurs en Iran. Les appareils de la sécurité de la République islamique sont forts, partout, et continuent, sans se décourager ni être redevables, à commettre des crimes. »
Traduction : « Deux choses : l’Iran n’a pas ‘’officiellement’’ aboli ce qu’on appelle la police des mœurs. Ce qu’un officiel dit lors d’une [conférence de presse] n’est pas une annonce officielle. La problème des manifestants n’est pas lié à la police des mœurs, il est lié au régime dans son ensemble. Ils veulent un changement de régime. »
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MEE et agences
Published date: Dimanche 4 décembre 2022 - 11:08 | L
Vue d’un drone lors d’un exercice militaire dans un lieu non divulgué en Iran, le 24 août (Reuters)
Le bourdonnement des drones de fabrication iranienne est devenu un bruit familier dans les villes ukrainiennes, alors que la Russie intensifie ses attaques dans le pays, détruisant des centrales électriques et des infrastructures civiles et militaires.
Alors que les stocks de missiles russes s’amenuisent à vue d’œil, Moscou s’est tourné vers l’Iran pour bloquer rapidement et à moindre coût les avancées militaires ukrainiennes et éviter de perdre de nouveaux territoires.
Selon les informations relayées, la Russie a acheté plusieurs centaines de drones iraniens et un millier d’exemplaires supplémentaires ont été commandés. Moscou et Téhéran démentent pour leur part ces transactions.
Le guide suprême iranien, l’ayatollah Ali Khamenei, a toutefois fait allusion à une utilisation potentielle en Ukraine en vantant le programme de drones du pays.
Par le passé, a-t-il déclaré, les gens doutaient des technologies iraniennes et pensaient qu’elles étaient fausses. « Maintenant, ils disent que les drones iraniens sont dangereux. Ils nous demandent pourquoi on les vend à untel ou untel. »
Une priorité nationale
En direct à la télévision, un expert militaire russe pro-Kremlin, Ruslan Pukhov, ne s’est pas rendu compte que son micro était déjà ouvert et a laissé échapper le secret le plus mal gardé du pays : « Nous savons tous qu’ils sont iraniens, mais le gouvernement ne le reconnaîtra pas. »
Depuis leur déploiement début septembre, les drones iraniens sont un outil efficace pour la Russie sur le champ de bataille en Ukraine. Selon le ministère ukrainien de la Défense, au moins 300 drones kamikazes iraniens Shahed 136 ont été utilisés à partir de mi-octobre pour détruire une grande partie du réseau de centrales électriques du pays.
L’utilisation de ces drones offre à l’Iran l’occasion de les mettre à l’épreuve dans un conflit dynamique et permet ainsi à ses scientifiques de tirer des enseignements et à ses responsables politiques de mettre en valeur le matériel iranien.
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Le major-général Yahia Rahim Safavi, ancien commandant du corps des Gardiens de la révolution islamique et principal conseiller militaire du guide suprême iranien, a récemment déclaré qu’au moins 22 pays étaient intéressés par l’acquisition de drones militaires de fabrication iranienne.
La maîtrise iranienne en matière de drones représente une priorité nationale depuis des décennies, que les autorités entretiennent et coordonnent en dépit des sanctions visant l’économie du pays.
Depuis la révolution islamique de 1979 et l’éclosion de l’hostilité entre l’Iran et l’Occident, les sanctions internationales incitent Téhéran à devenir autosuffisant pour toutes sortes de produits, notamment militaires.
En raison d’un embargo occidental de longue date sur les armes, l’Iran n’a pas été en mesure de moderniser son armée, alors que ses voisins régionaux ont progressé quantitativement et qualitativement avec le soutien de l’Occident, selon Hamidreza Azizi, spécialiste de l’Iran à l’Institut allemand des affaires internationales et de la sécurité (SWP).
« L’Iran a commencé à ressentir une faiblesse très particulière, à savoir son incapacité à moderniser sa force aérienne de manière significative », explique-t-il à Middle East Eye. « La République islamique a hérité de l’armée de l’air du shah, mais elle n’est fondamentalement plus adaptée à un quelconque conflit militaire avec des adversaires régionaux ou mondiaux. »
« L’Iran a développé son programme de missiles et de drones pour compenser l’absence d’une force aérienne efficace »
– Hamidreza Azizi, expert à l’Institut allemand des affaires internationales et de la sécurité
C’est au cours de la guerre Iran-Irak, au milieu des années 1980, que l’intérêt de Téhéran pour les drones a réellement vu le jour, avec un premier drone baptisé Ababil (volée d’oiseaux), un nom qui préfigure l’utilisation stratégique des drones par le pays sur le champ de bataille.
L’utilisation des Ababil par l’Iran, soit comme munition rôdeuse, soit pour des opérations de surveillance et de reconnaissance, soulignait l’impératif militaire consistant à préserver des ressources limitées tant sur le plan du capital humain que des forces aériennes, puisque la maintenance dépendait d’entreprises américaines et n’était donc plus assurée.
Au cours des décennies qui ont suivi, « le programme iranien de drones a été conçu comme une partie intégrante de l’armée du pays », indique Hamidreza Azizi.
La stratégie du pays en matière de drones est l’un des quatre piliers de la stratégie militaire iranienne, les autres étant son programme de missiles, son réseau d’alliés et d’intermédiaires non étatiques et ses capacités croissantes dans le domaine de la cyberguerre.
Selon Hamidreza Azizi, ces éléments réunis constituent les piliers de la « dissuasion asymétrique » développée par l’Iran face à des sanctions paralysantes.
« L’Iran a développé son programme de missiles et de drones pour compenser l’absence d’une force aérienne efficace », explique Hamidreza Azizi, qui souligne que « le développement local a commencé à prendre le pas dans la réflexion militaire de l’Iran ».
Une flotte de drones
La prédominance croissante des drones dans la pensée stratégique iranienne a en grande partie décollé au cours des dernières années, selon Anoush Ehteshami, professeur à l’université de Durham (Royaume-Uni) et auteur de Defending Iran: From Revolutionary Guards to Ballistic Missiles.
« C’est toujours le programme de missiles de l’Iran qui a occupé le devant de la scène en raison de sa valeur dissuasive, notamment vis-à-vis d’Israël », indique Anoush Ehteshami à MEE. « Ce n’est qu’au cours des dix dernières années que le développement des drones a vraiment décollé en Iran. Et ceci est lié en partie à l’acquisition par l’Iran d’un drone américain qui a été abattu dans son ciel. »
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En parvenant à abattre quelques drones américains dans son ciel, l’Iran au pu développer son savoir-faire technologique en matière de drones. Par ailleurs, les scientifiques iraniens n’ont pas ménagé leurs efforts pour apprendre de leurs adversaires.
En 2011, les forces armées iraniennes ont abattu un drone américain RQ-170 Sentinel intact, dont elles ont effectué la rétro-ingénierie en l’espace d’un an. Elles ont fini par produire leur propre version par le biais d’une compétence affinée depuis les années 1980.
« L’Iran a développé son expertise en matière de rétro-ingénierie au cours des dernières décennies », souligne Anoush Ehteshami. « Vous pouvez leur donner à peu près n’importe quel appareil, et leurs ingénieurs et scientifiques, en particulier dans le complexe militaro-industriel, peuvent ensuite le démonter et trouver comment le reconstituer. »
L’Iran possède désormais une flotte de drones capables de tirer des missiles à guidage de précision d’une portée de 2 000 km, en plus de nombreux drones de surveillance.
Isolé de ses anciens fournisseurs d’armes, l’Iran a principalement mis l’accent sur l’autosuffisance. L’attaque américaine qui a détruit une grande partie de la marine iranienne en 1988, et que la Cour internationale de justice a jugée injustifiée par la suite, n’a fait que catalyser la nécessité d’instaurer une dissuasion face à la puissance aérienne américaine.
« Vous pouvez leur donner à peu près n’importe quel appareil, et leurs ingénieurs et scientifiques, en particulier dans le complexe militaro-industriel, peuvent ensuite le démonter et trouver comment le reconstituer »
- Anoush Ehteshami, professeur à l’université de Durham
Le développement du programme national de drones a été principalement confié à plusieurs entreprises du secteur de la défense. La Qods Aviation Industry Co., l’Iran Aircraft Manufacturing Industrial Co. et Shahed Aviation Industries ont mené la charge en concevant certains des drones les plus redoutables du pays.
Comparés aux drones israéliens, turcs ou américains, ils paraissent certes simples mais se montrent efficaces, souligne Anoush Ehteshami.
« Au cours de la dernière décennie, les drones iraniens ont connu un essor considérable. L’Iran dispose désormais d’une gamme très complexe de drones qu’il utilise pour la surveillance, mais aussi de plus en plus pour la livraison de munitions, le brouillage de radars, le déplacement d’objets et l’essaimage, comme on l’observe dans le golfe Persique. »
Le Shahed 136, également connu pour sa capacité à être déployé en essaim et désormais largement utilisé en Ukraine, ne fait que souligner le chemin parcouru par l’Iran pour s’imposer comme une puissance dans le domaine des technologies de drones.
Présenté officiellement par l’Iran en 2021, le Shahed 136 a pour objectif de contourner les systèmes de défense aérienne d’un adversaire et de submerger les forces terrestres. Il transporte une ogive d’environ 35 kg. Il est parfois qualifié de drone « kamikaze », puisqu’il fonce directement sur sa cible.
Une diplomatie des drones
L’arsenal iranien comporte un autre drone de combat létal avancé, le Shahed 129, qui a été testé au combat dans divers environnements au Moyen-Orient, notamment en Syrie, au Liban et dans la région du Golfe.
Conscient de l’impossibilité de se confronter directement aux États-Unis, l’Iran consacre ses ressources limitées à la construction de « drones à grande échelle, relativement rudimentaires et peu coûteux, mais efficaces », selon Thomas Juneau, de l’université d’Ottawa.
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Expert en politique étrangère iranienne, Thomas Juneau explique à MEE que le développement des drones par Téhéran est également le résultat de son habileté à bâtir un « vaste réseau mondial de contrebande » permettant au pays frappé par les sanctions « d’obtenir des pièces et des technologies, dont certaines à double usage, dans le monde entier, y compris depuis des pays européens ».
Même si les autorités américaines et européennes tentent de réprimer ces activités illicites, leurs efforts s’apparentent souvent à un jeu du chat et de la souris.
« Même si ces divers drones sont moins avancés que les drones américains, l’Iran montre qu’il peut les transférer à des partenaires, tels que les Houthis [yéménites] [et maintenant aussi la Russie], qui peuvent ensuite les utiliser à diverses fins, notamment les envoyer s’écraser contre les défenses aériennes de l’adversaire ou dans des zones civiles », souligne Thomas Juneau.
Si la genèse du programme de drones iranien était motivée par la nécessité de défendre le front intérieur, ces derniers sont devenus avec le temps un complément utile pour renforcer le réseau d’alliances de Téhéran avec d’autres États et acteurs non étatiques.
Cette année, l’Iran a ouvert sa première usine de drones au Tadjikistan, en Asie centrale, afin de produire et d’exporter l’Ababil-2, une variante d’un de ses premiers drones.
Le Tadjikistan, pays à majorité musulmane sunnite, est dirigé par un régime farouchement laïc. Les autorités interdisent le port du hijab dans les institutions publiques et mènent régulièrement des campagnes pour obliger les hommes à se raser la barbe, ce qui contraste fortement avec les règles en vigueur au sein de la société iranienne.
Néanmoins, l’Iran est un État pragmatique. Le Tadjikistan permet à Téhéran d’améliorer ses relations bilatérales tout en développant son programme de drones à l’abri d’un éventuel sabotage israélien.
« L’une des raisons pour lesquelles l’Iran coopère avec le Tadjikistan pour la production de drones est qu’ils partagent les mêmes préoccupations en matière de sécurité face aux talibans et à L’EI-K en Afghanistan », indique Eric Lob, professeur associé au département de politique et de relations internationales de l’université internationale de Floride.
« L’Iran utilise [également] son industrie des drones pour renforcer ses relations avec des acteurs étatiques comme le Venezuela, l’Éthiopie et la Russie, en particulier depuis l’expiration de l’embargo sur les armes de l’ONU à son encontre en octobre 2020 », explique-t-il à MEE.
Israël cherche à contre-attaquer
La coopération de Téhéran avec la Russie en matière de drones remonte au moins à 2016, lorsqu’un général iranien de haut rang a indiqué que Moscou avait demandé de l’aide pour faire décoller son programme.
Les décideurs politiques iraniens n’hésitent pas non plus à fournir leurs technologies de drones à des acteurs non étatiques de la région.
« L’Iran et ses partenaires et intermédiaires en Syrie et en Irak utilisent ses drones, ses technologies et sa formation pour surveiller et frapper les alliés et les possessions des Américains, ainsi que les groupes extrémistes comme al-Qaïda et l’EI », souligne Eric Lob.
« La différence apportée par le soutien des Iraniens aux Houthis dans cette région est extrêmement significative »
– Giorgio Cafiero, PDG de Gulf State Analytics
L’une des forces des drones iraniens, estime Eric Lob, est leur capacité à offrir « des alternatives abordables et des avantages tactiques similaires à des acteurs étatiques et non étatiques au Moyen-Orient et au-delà qui présentent des contraintes budgétaires et disposent d’une puissance aérienne faible ou inexistante ».
Dans des endroits comme le Yémen, « les technologies de drones iraniennes ont changé la donne », affirme Giorgio Cafiero, PDG de Gulf State Analytics, une société de conseil en risques politiques basée à Washington.
Les attaques de drones spectaculaires menées par les rebelles houthis soutenus par l’Iran au Yémen ont amené la guerre des Saoudiens au Yémen sur leur propre territoire en faisant de leurs installations énergétiques une cible fréquente.
« La différence apportée par le soutien des Iraniens aux Houthis dans cette région est extrêmement significative. Les attaques de drones des Houthis au cœur du territoire saoudien constituent une source d’influence considérable pour les rebelles soutenus par l’Iran au Yémen », explique Giorgio Cafiero à MEE.
Alors même que l’Iran poursuit son programme de développement de drones, son principal adversaire régional, Israël, cherche à contre-attaquer.
Israël utilise le Nord de l’Irak comme tremplin pour attaquer des installations iraniennes de production de drones, des agissements que l’Iran tente de dissuader avec des frappes de missiles. Fin octobre, plus près de son territoire, Israël a bombardé une usine iranienne d’assemblage de drones en Syrie.
Une mise à l’épreuve en Ukraine
C’est toutefois la guerre en Ukraine qui met à l’épreuve les drones iraniens et qui devrait rendre le matériel iranien plus commercialisable.
En venant en aide à la Russie en Ukraine, l’Iran ne cherche pas seulement à tirer profit de la vente de drones ou à approfondir ses relations avec Moscou.
« L’aide urgente apportée par l’Iran à un allié important qui se révèle impuissant vise à empêcher une défaite humiliante à la fois pour Poutine et pour la Russie, mais aussi à mettre un terme à ce qui est perçu comme “les aspirations de l’OTAN à s’étendre vers l’est” », affirme à MEE Farzin Nadimi, analyste basé à Washington et spécialisé dans les affaires de sécurité et de défense de l’Iran et de la région du golfe Persique.
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Ces dernières années, les généraux américains ont formulé des mises en garde contre la puissance des drones iraniens. Les progrès des technologies de drones iraniennes ont permis à Téhéran de bénéficier d’une « supériorité aérienne localisée ».
« Pour la première fois depuis la guerre de Corée, nous opérons sans bénéficier d’une supériorité aérienne totale », a déclaré un général au Congrès.
En s’impliquant dans le conflit ukrainien, l’Iran cherche également à « se projeter en tant que partenaire égal à la Russie dans le nouvel “ordre mondial multipolaire” », explique Farzin Nadimi à MEE.
Alors que la Russie est confrontée à des sanctions similaires à celles auxquelles l’Iran a dû faire face au cours des dernières décennies, Téhéran cherche désormais à synchroniser davantage ses relations avec Moscou pour renforcer sa propre résilience.
Un accord énergétique de 40 milliards de dollars conclu cette année entre le ministère iranien du Pétrole et la société russe Gazprom a mis en évidence l’entrée de la relation dans une nouvelle phase et la constitution d’un front anti-américain plus large en Eurasie.
Il est également considéré comme quelque peu ironique que la Russie, qui a voté de concert avec l’Occident en faveur de plusieurs résolutions du Conseil de sécurité des Nations-unies entre 2006 et 2010 qui ont aggravé les difficultés économiques de l’Iran, se tourne désormais vers ce pays pour obtenir une aide militaire et financière.
« L’Iran espère qu’à un moment donné, les Russes lui rendront la pareille et lui fourniront le matériel militaire qu’il a toujours demandé – des avions de combat de pointe, par exemple des Su-35, ou des systèmes de défense aérienne plus avancés », poursuit Hamidreza Azizi, du SWP.
Alors que le maintien des sanctions à l’encontre de l’Iran limitera les ventes de drones, la guerre en Ukraine devrait avoir le même effet pour les drones iraniens que le conflit arméno-azerbaïdjanais pour les drones turcs, en prouvant leurs capacités et leur efficacité dans des conflits entre États.
Si l’Iran n’est pas parvenu à s’imposer comme un fournisseur d’armes fiable, « leur utilisation par la Russie pourrait changer cette image », selon Anoush Ehteshami, de l’université de Durham.
« Si les drones iraniens n’ont pas encore une valeur économique importante, ils présentent en revanche une valeur politique considérable. Plus le monde voit leur force militaire, plus ils se sentent à l’aise à Téhéran. Et, bien sûr, cela fait partie intégrante de la stratégie de dissuasion de l’Iran. »
Depuis les années 1980, cette armée idéologique a acquis un poids et une influence considérable dans tous les rouages de la République islamique mais aussi dans plusieurs pays du Moyen-Orient.
Ils sont reconnaissables à leurs uniformes et casquettes verts. Les Gardiens de la révolution (appelés « Pasdaran » en persan) sont nés presque en même temps que la République islamique d’Iran. En 1979, après que la révolution a chassé le chah, l’ayatollah Rouhollah Khomeini, devient le premier Guide suprême du pays. Craignant alors un coup d’état de l’armée, il décide quelques semaines après sa prise de pouvoir de fonder un corps militaire chargé de protéger et sauvegarder les acquis de la révolution : les Pasdaran.
Ils se sont très vite faits connaître auprès de la population iranienne. Ce sont eux qui ont été envoyés sur le front durant la guerre Iran-Irak (1980-1988). Depuis, les Pasdaran n’ont cessé d’acquérir du poids et de l’influence en Iran mais aussi dans la région. Ils sont aujourd’hui, plus que jamais, l’un des piliers du régime des mollahs.
Un « État dans l’État »
Contrôlés par le Guide suprême, les Gardiens de la révolution comptent plus de 125 000 hommes et forment une véritable armée parallèle par rapport à l’armée régulière (« Artesh » en persan). Ils ont à leur disposition des forces navales, terrestres, aériennes ainsi que des unités d’élite comme la « force Al-Qods ». Cette dernière est notamment présente dans plusieurs pays du Moyen-Orient où l’influence iranienne est présente (en Irak, Syrie, Liban…).
Leur influence en Iran atteint un pic sous la présidence de l’ultraconservateur Mahmoud Ahmadinejad (2005-2013). Plusieurs ministres du gouvernement d’alors venaient directement des Gardiens de la révolution ou des services de renseignement. Les Pasdaran ont également sous leur contrôle une partie de l’économie iranienne. On estime la part du PIB iranien sous leur contrôle à environ 15%.
Le corps des Gardiens de la révolution est donc un acteur économique, financier, militaire, sécuritaire mais aussi un politique très important de par le rôle qu’il occupe au sein des structures du pouvoir iranien. « Ce sont les Pasdaran qui doivent être consultés pour la nomination des ambassadeurs dans les pays limitrophes de l’Iran, comme en Irak par exemple. » explique Jonathan Piron, spécialiste de l’Iran et chercheur associé au Groupe de recherche et d’information sur la paix et la sécurité (Grips), contacté par Mondafrique. Il ajoute que les Pasdaran sont « un véritable État dans l’État ».
Le corps des Gardiens de la révolution n’est toutefois pas une structure uniforme et homogène. « Le cœur du régime iranien fonctionne avec toute une série de jeux de factions au sein duquel on retrouve les Pasdaran mais aussi d’autres factions conservatrices, des membres du clergé… », précise le chercheur. Il ajoute qu’il existe aussi « des factions et des tensions au sein même des Gardiens de la révolution ».
Pas de gouvernance « sans le soutien des Pasdaran »
Les manifestations survenues en Iran au mois de septembre ont remis sur le devant de la scène une question qui se pose depuis plusieurs années : celle de la succession du Guide suprême. La dernière fois qu’elle s’est posée, c’était en 1989, à la suite de la disparition de l’ayatollah Khomeini. Ali Khamenei, l’actuel Guide suprême, est âgé de 83 ans et occupe ce poste depuis 33 ans. Déjà opéré d’un cancer, de nombreuses rumeurs circulent sur son état de santé. Des médias pointaient notamment son absence durant l’été. Il a cependant apparu en bonne forme lors de cérémonies publiques récentes.
Compte tenu du poids et de l’influence des Pasdaran, ces derniers auront-ils un rôle à jouer dans la succession du plus haut personnage de l’État iranien ? Une question légitime car « aucun des successeurs de Khamenei ne peut gouverner sans le soutien des Pasdaran. » estime Jonathan Piron. Il ajoute que le corps des Gardiens de la révolution s’est toujours distingué par une « forme de distinction dans ses revendications politiques ». « On voit que leur volonté est de ne pas se mettre clairement en avant pour éviter de se retrouver sous le feu des critiques (…) Les intentions politiques des Pasdaran sont difficilement discernables de par le jeu des factions et de contrôler en coulisses l’ensemble des choses ».
La loyauté des Gardiens de la révolution va à l’égard d’Ali Khamenei depuis 1989, à la fin de la guerre avec l’Irak, à une époque où ils n’étaient pas aussi puissants qu’aujourd’hui. « La grande question est de savoir comment cette loyauté à l’égard du successeur du Guide va se réaliser aujourd’hui. Sont-ils des faiseurs de roi, tellement indispensables que ce sont eux qui vont pousser pour que ce soit un tel qui succède au Guide et non un autre ? Ou accepteront-ils, du fait de la présence des autres factions, la nomination d’un successeur parce qu’ils trouvent des intérêts ? », s’interroge M. Piron. Il estime qu’il est difficile pour le moment de connaitre la réponse, notamment parce que « tout se joue en coulisses ».
Ebrahim Raïssi et Mojtaba Khamenei
Parmi les prétendants à la succession d’Ali Khamenei, deux noms reviennent souvent : l’actuel président Ebrahim Raïssi, et le fils du Guide : Mojtaba Khamenei. Mais ces deux personnages font l’objet de critiques. « On a vu des déclarations d’Ali Khamenei dans lesquelles il était très critique à l’idée que le titre du Guide s’hérite. On ne sait donc même pas si Khamenei est favorable à ce que son fils lui succède, qu’on revienne à une sorte d’âge impérial théocratique », précise Jonathan Piron, ajoutant par ailleurs que cette critique est aussi exprimée par certains membres du clergé.
Ebrahim Raïssi est critiqué par certains conservateurs, « du fait de sa mollesse, parce qu’il ne parvient pas à mettre en place les différentes réformes économiques et sociales, et qu’il n’arrive pas à s’imposer comme un leader qui pourrait jouer un rôle très important en Iran à la mort du Guide », précise M. Piron. On se retrouve donc dans une situation où il est, aussi, difficile d’imaginer un potentiel successeur d’Ali Khamenei.
Quoi qu’il en soit, le dernier mot reviendra à l’Assemblée des Experts – un collège de 88 religieux élu au suffrage universel direct -, et dont le rôle est de nommer le nouveau Guide.
Plusieurs des jeunes filles ont été emmenées à l’hôpital et d’autres ont été arrêtées. Panahi aurait succombé à ses blessures. (Photo, AFP)
Les autorités d’Ardabil ont battu et détenu plusieurs enfants à la suite d’une perquisition dans une école
Asra Panahi, 16 ans, est morte à l’hôpital, suscitant l’indignation dans tout le pays
LONDRES: Une écolière iranienne aurait été tuée après avoir refusé de chanter une chanson en faveur du régime de Téhéran dans sa classe.
Asra Panahi, 16 ans, aurait été battue, ainsi que plusieurs de ses camarades de classe, par les forces de sécurité après que le lycée de jeunes filles Shahed, à Ardabil, a fait l’objet d’une perquisition le 13 octobre, dans un contexte de manifestations nationales, selon le Conseil de coordination des associations syndicales d’instituteurs iraniens d’Ardabil.
Plusieurs des jeunes filles ont été emmenées à l’hôpital et d’autres ont été arrêtées. Panahi aurait succombé à ses blessures. Les autorités iraniennes ont nié toute responsabilité, et un homme prétendant être son oncle est apparu plus tard sur la chaîne de télévision d’État, à la suite de la colère générale suscitée par sa mort, pour affirmer qu’elle était décédée d’une cardiopathie congénitale.
Ces dernières semaines, les manifestations se sont multipliées dans tout l’Iran après la mort de Mahsa Amini, 22 ans, détenue par la police des mœurs du pays en août. Les jeunes femmes et filles ont été particulièrement nombreuses à s’opposer au régime, des images virales montrant beaucoup d’entre elles en train d’enlever leur voile et de scander des slogans contre le Guide suprême du pays, Ali Khamenei.
La répression contre les manifestants a été brutale, avec notamment des perquisitions dans les écoles, des arrestations, des passages à tabac et des gaz lacrymogènes, ce que le Syndicat des enseignants du pays a qualifié de «brutal et inhumain». Selon le groupe Iran Human Rights, 215 personnes ont été tuées jusqu’à présent dans les manifestations et les mesures de répression, dont 27 enfants.
Une écolière, identifiée sous le pseudonyme de Naznin, s’est exprimée au sujet de la répression au quotidien britannique The Guardian. «Je ne suis pas autorisée à aller à l’école parce que mes parents craignent pour ma vie. Mais qu’est-ce que cela a changé? Le régime continue de tuer et d’arrêter des écolières.»
«À quoi bon rester chez soi, indignée? Mes camarades et moi dans tout le pays avons décidé de manifester dans les rues cette semaine. Je le ferai même si je dois le cacher à mes parents», a-t-elle ajouté. Une autre femme, du nom de «Nergis», a raconté au Guardian qu’elle avait été touchée par des balles en caoutchouc après être allée manifester après la mort de Panahi et de deux autres lycéennes iraniennes, Nika Shahkarami, 17 ans, et Sarina Esmailzadeh, 16 ans.
«Je n’ai pas de famille à Ardabil», a confié Nergis, «mais avec cette répression brutale contre nos sœurs, qui n’avaient que 16 ans, ils ont réveillé toute la nation». «Nous ne savions pas que nous étions si unis – dans les régions baloutches comme dans les régions kurdes. Le monde a entendu parler de Nika, Sarina et Asra, mais il y a tant d’autres enfants sans nom dont nous ne savons rien.»
«La République islamique tue notre peuple depuis quarante ans, mais nos voix n’ont pas été entendues. Que le monde sache que nous n’appelons plus à des manifestations, mais à une révolution. Maintenant que vous écoutez tous nos voix, nous ne nous arrêterons pas.»
Le Kurde iranien Erfan Salih, 34 ans, cousin de Mahsa Amini, décédé en garde à vue en Iran, est photographié dans une base du groupe nationaliste kurde iranien Komala, à l'extérieur de la ville de Suleimaniyah, dans le nord de l'Irak, le 26 septembre 2022. (AFP)
«La mort de Jhina a ouvert les portes de la colère populaire», a dit M. Mortezaee, en treillis militaire, utilisant le prénom kurde de sa cousine pour évoquer les manifestations en Iran.
Ils ont également pulvérisé un spray au poivre au visage de son frère, pour le neutraliser, avant d'emmener les femmes dans un van de la police des moeurs.
SOULEIMANIYEH: Mahsa Amini, l'Iranienne dont la mort a déclenché de vastes manifestations en Iran, est décédée après "un violent coup à la tête" donné par la police des moeurs le jour de son arrestation, a assuré son cousin qui vit en Irak.
La jeune femme de 22 ans était à Téhéran pour des vacances en famille avant d'entamer ses études universitaires dans la province de l'Azerbaïdjan occidental (nord-ouest). Mais son chemin a croisé celui de la police des moeurs le 13 septembre, a raconté à l'AFP Erfan Salih Mortezaee, 34 ans.
Ce dernier est installé depuis un an au Kurdistan d'Irak (nord), où il a rallié le groupe nationaliste kurde iranien Komala, engagé de longue date dans une insurrection contre le pouvoir iranien.
Il a affirmé avoir appelé la mère de Mahsa Amini, qui lui a narré les faits de ce funeste 13 septembre.
"La mort de Jhina a ouvert les portes de la colère populaire", a dit M. Mortezaee, en treillis militaire, utilisant le prénom kurde de sa cousine pour évoquer les manifestations en Iran.
Selon lui, la jeune femme, accompagnée de ses parents et de son cadet de 17 ans, était à Téhéran pour rendre visite à des proches.
Mahsa, son frère et d'autres femmes de la famille, ont voulu faire un tour dans la capitale. En sortant de la station de métro Haghani, "la police des moeurs les a stoppés, interpellant Jhina et ses proches", a dit M. Mortezaee, rencontré dans une base de Komala près de Souleimaniyeh.
Le jeune frère a essayé d'amadouer les forces de l'ordre en expliquant qu'ils sont "à Téhéran pour la première fois" et "ne connaissent pas les traditions" locales.
Rien n'y fait.
"Le policier lui a dit +nous allons l'embarquer, lui inculquer les règles et lui apprendre comment porter le hijab et comment s'habiller+", a ajouté le cousin, assurant que la jeune femme était "habillée comme toutes les femmes en Iran, et portait un hijab".
«Perdu connaissance»
En Iran, les femmes doivent se couvrir les cheveux et le corps jusqu'en dessous des genoux. Mais au quotidien, une grande partie d'entre elles s'autorisent certaines libertés -un foulard négligemment noué sur les cheveux par exemple.
"Les policiers ont frappé Jhina, ils l'ont frappée devant son frère, il est témoin", a encore dit M. Mortezaee. "Ils l'ont giflée, avec un bâton ils l'ont tapée aux mains, aux jambes."
Ils ont également pulvérisé un spray au poivre au visage de son frère, pour le neutraliser, avant d'emmener les femmes dans un van de la police des moeurs.
Direction leurs locaux, rue Vezarat.
Les coups vont se poursuivre à bord du véhicule, d'après M. Mortezaee.
"Quand ils l'ont frappée à la tête avec le bâton, elle a perdu connaissance."
Après son arrivée au poste, il a fallu attendre encore au moins une heure et demie avant qu'elle ne soit transportée à l'hôpital, selon M. Mortezaee. Après trois jours dans le coma, son décès sera prononcé le 16 septembre.
Toujours selon le récit de la mère rapporté par le cousin, les médecins à l'hôpital ont informé la famille que leur fille "avait reçu un violent coup à la tête".
«A l'avant-garde»
Les autorités nient toute implication dans la mort de Mahsa Amini. Mais depuis, des Iraniens manifestent tous les soirs contre son décès.
Selon un dernier bilan donné mardi par l'agence de presse iranienne Fars, "environ 60 personnes ont été tuées" depuis le 16 septembre lors des manifestations. Mais l'ONG Iran Human Rights (IHR), basée à Oslo, a fait état d'au moins 76 morts.
En outre, plus de 1 200 manifestants ont été arrêtés, selon les autorités.
Dans un Iran frappé par des sanctions américaines, en proie à une grave crise économique, des manifestations ont secoué le pays ces dernières années.
Mais cette fois-ci, "les femmes sont à l'avant-garde et participent courageusement aux manifestations", a dit M. Mortezaee.
"Nos jeunes savent que si ce régime tombe, une vie meilleure les attend."
La mort de Mahsa (Jhina) Amini, une femme de 22 ans d’origine kurde arrêtée à Téhéran par les agents de la « Brigade des mœurs » parce que son voile était mal ajusté a provoqué des manifestations qui se sont étendues à l’ensemble de l’Iran. Elles ont été particulièrement nombreuses au Kurdistan, où la politique de Téhéran est regardée avec méfiance.
Le 19 septembre 2022, six jours après l’assassinat de Mahsa Amini, commerçants et bazaris se sont mis en grève dans de nombreuses villes du Kurdistan iranien à l’appel de plusieurs partis kurdes. Des manifestations ont pris le relais à Sanandaj, Mahabad, Ashnoyeh, Saghez, Marivan, Bukan, Kamiyaran et Piranshahr. Des images diffusées sur les réseaux sociaux montrent les assauts et les tirs des Gardiens de la révolution et des forces de police locales contre les manifestants. À Bukan, lors d’une fusillade déclenchée par des agents antiémeute, une fillette de 10 ans a été atteinte par une balle à la tête. Ces derniers jours, au moins 1 500 Kurdes ont été arrêtés.
Étant donné leur histoire empreinte de discriminations, de luttes et de répression ainsi que leur situation géopolitique (la région se situe au nord-ouest du pays à la frontière de l’Irak et de la Turquie), les Kurdes tiennent une place particulière dans les mouvements de contestation iraniens.
UN DIXIÈME DE LA POPULATION
Ils sont près de dix millions, principalement sunnites, et représentent un dixième de la population iranienne. Les jeunes générations politisées de la région ne sont pas adeptes d’un islam rigoureux. Marginalisé comme celui du Baloutchistan au sud-ouest où des incidents armés ont fait une vingtaine de morts fin septembre, leur territoire pâtit d’un manque d’investissements de la part de Téhéran et, de ce fait, souffre d’un sous-développement chronique.
Victimes de persécutions, d’arrestations et d’assassinats ciblés, les oppositions kurdes iraniennes ont trouvé refuge dans la région du gouvernement autonome du Kurdistan d’Irak (GRK). Disposant de plusieurs milliers de combattants, le Parti démocratique du Kurdistan iranien (PDKI) est le plus important de ces groupes. Le Parti pour une vie libre au Kurdistan (PJAK), le (petit) frère du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), fondé en 2004, constitue la deuxième force politico-militaire majeure. Trois autres mouvements, le Komala, le Parti de la liberté au Kurdistan (PAK) et, jusqu’à récemment, le Parti démocratique du Kurdistan-Iran (issu d’une scission du PDKI en 2006) sont de moindre importance.
UNE ÉPHÉMÈRE RÉPUBLIQUE APRÈS-GUERRE
L’histoire légendaire du PDKI remonte à 1946, lorsqu’il proclama la République de Mahabad après le retrait de l’armée iranienne du Kurdistan après une intervention anglo-soviétique en 1941. Britanniques et Soviétiques souhaitaient empêcher l’Allemagne de s’emparer du pétrole iranien. La République de Mahabad s’employa à développer l’instruction, l’hygiène publique, fit construire des routes, imprima des livres scolaires en kurde, mit sur pied une armée. Mais l’expérience tourna rapidement court, la république n’étant pas en mesure de résister à l’attaque des troupes iraniennes, encouragées par les États-Unis. Son leader, Qazi Muhammad, sera pendu en 1947, ainsi que d’autres responsables kurdes.
En dépit de sa brève existence, la République de Mahabad demeure emblématique dans l’histoire et l’imaginaire collectif des Kurdes.. Bien que décapité, le PDKI retrouvera peu à peu de la vigueur et, en 1979, lors de la Révolution islamique, il prendra une part active au renversement de Reza Shah Pahlavi dans les zones à majorité kurde pour lesquelles il propose un Kurdistan autonome au sein d’un Iran démocratique. La région devait être dotée d’un parlement, les questions de défense, de politique extérieure et de planification économique relevant du gouvernement central. Le PDKI demande également la reconnaissance de la langue kurde comme langue nationale au même titre que le persan. Toutes ces revendications resteront lettre morte, Téhéran refusant d’y souscrire.
En 1988, à l’occasion d’une vague d’exécutions de milliers de militants et de dirigeants des partis d’opposition, Abdol Rahman Ghassemlou, le dirigeant du PDKI, est assassiné par un agent du ministère du renseignement, le redoutable Vevak. Dans ses mémoires, l’ayatollah Hashemi Rafsanjani, président de la République islamique de 1989 à 1997, précise que Ghasemlou négociait avec des diplomates iraniens au moment de son assassinat. En 1992, Sadegh Sharafkandi, le secrétaire général du parti, venu rencontrer des dirigeants suédois, est assassiné à son tour dans un restaurant grec de Berlin avec deux de ses camarades et un interprète. Après une décennie de mise en sommeil, le PDKI, dirigé depuis 2010 par Moustafa Hijri, a de nouveau repris ses activités militaires et diplomatiques. En juin 2018, Hijri a été reçu par plusieurs membres du Congrès et du département de la Défense américaine.
Depuis le début de la révolution, les États-Unis sont conscients du rôle que pourraient jouer les Kurdes dans un scénario qui viserait au renversement du régime iranien. Ainsi que le souligne le chercheur Émile Bouvier, « l’intérêt des Américains pour le PDKI est évident : en août 2017, avant d’être nommé conseiller à la sécurité nationale, John Bolton publiait un éditorial dans lequel il appelait l’administration américaine à s’entendre avec les minorités ethniques d’Iran, au premier rang desquelles les Kurdes, les Arabes du Khouzistan et les Baloutches, afin de créer un réseau d’alliés régionaux contre l’Iran. ».
Téhéran aussi a bien compris l’enjeu de ces alliances potentielles ; c’est pourquoi ces mouvements, s’ils ont été approchés par les Américains, l’ont été aussi par la République islamique. En 2019, alors que les accrochages à la frontière entre les combattants kurdes et les forces iraniennes avaient nettement diminué, des négociations ont été engagées entre le gouvernement et le PDKI afin d’arrêter les combats. Ceux-ci ayant repris l’année suivante, l’initiative qui n’a pas abouti. À la mi-novembre 2021, une vague d’arrestations a eu lieu dans le Kurdistan iranien. Puis, en juillet 2022, Téhéran a annoncé l’arrestation de cinq membres du Koumala, les accusant de complicité avec les services de renseignement israélien afin de faire sauter un site « sensible ».
DES RAIDS MILITAIRES EN TERRITOIRE IRAKIEN
Le mois suivant, seize ans après leur séparation, le Parti démocratique du Kurdistan d’Iran (PDKI) et le Parti démocratique du Kurdistan (PKI), faisaient état de leur réunification. Khalid Azizi, le porte-parole du PDKI, a déclaré à la section en persan de Voice of America : « La situation interne de l’Iran et plus particulièrement l’intensité de la lutte du peuple en général et des Kurdes en particulier, contre la République islamique sont des facteurs importants de cette décision ».
Comme en réponse à cette réconciliation, l’agence de presse officielle Tasnim a publié le 24 septembre un communiqué dans lequel il est précisé que « suite à une offensive armée de grande ampleur, des groupes terroristes Komala et PDKI dans les villes frontalières du pays, afin de semer le chaos, les forces terrestres des Gardiens de la révolution islamique ont attaqué le quartier général de ces groupes dans la région du Kurdistan irakien ». L’attaque conduite à l’aide des drones Shahed-136 et de missiles a tué au moins 13 personnes et en a blessé 58. Le siège du PDKI situé à Koya, à 65 kilomètres à l’est d’Erbil, capitale du GRK, a été particulièrement touché. Le gouvernement fédéral irakien et le GRK ont élevé des protestations contre ces intrusions barbares.
Avec cynisme, l’agence Tasnim conclut : « L’ennemi cherche toujours un prétexte pour déstabiliser cette région et tout le pays. Cette fois, ils ont utilisé la mort de Mehsa Amini, bien que nous-mêmes soyons désolés et affectés par la mort de cette fille du Kurdistan ».
LES VRAIES CAUSES DE LA DÉSTABILISATION
Mais le pays est avant tout déstabilisé par la politique menée par le pouvoir. Depuis les années 1980, tous les partis et syndicats indépendants ont été interdits. Les restrictions liées à l’absence de liberté pour les femmes, la presse, les médias, les artistes, les associations et les syndicats se sont banalisées. Elles freinent, mais n’empêchent pas la colère des populations de s’exprimer. Ces dernières années, des heurts à caractère spontané ont éclaté dans la province à majorité arabe du Khouzistan, dans le sud-ouest du pays, aux confins de l’Irak et du golfe Persique. Des manifestations ont eu lieu à Ispahan contre le manque d’eau et les conditions de vie difficiles. Des enseignants et des conducteurs de bus ont fait grève, les retraités ont manifesté pour leur pouvoir d’achat, etc. Les frustrations s’accumulent. Le chômage, l’inflation, la corruption, la contrebande, l’omniprésence des réseaux mafieux et le manque de perspectives — notamment pour les jeunes — ont créé un terreau favorable aux protestations.
Le poids des élites économiques corrompues et le fossé entre les riches et les classes moyennes et populaires se sont aggravés, les sanctions américaines contribuant au délitement social. Alors qu’environ 45 % des Iraniens vivent sous le seuil de pauvreté et que 10 % d’entre eux sont sous-alimentés, début mai 2022, dans un contexte marqué déjà par une importante inflation (de l’ordre de 40 %), des mesures d’austérité comme la diminution des subventions sur une partie des denrées alimentaires de première nécessité ont été annoncées par le gouvernement. Au même moment, un durcissement s’est traduit par des arrestations de cinéastes, de journalistes, de bahaïs (une obédience chiite hétérodoxe née à la fin du XVIIIe siècle), de pressions sur les syndicalistes et les binationaux ainsi que sur des institutions culturelles, mais aussi par le retour massif des patrouilles de la Brigade des mœurs, moins nombreuses sous la présidence d’Hassan Rouhani.
Les hackers d’Anonymous ont revendiqué des attaques sur plusieurs sites du gouvernement, mais également sur ceux des médias officiels. Le nombre de vues du hashtag #Mahsa Amini, avoisinant les 100 millions, a franchi des records mondiaux de diffusion. Les réseaux sociaux sont bombardés de vidéos et de messages relayant les informations et des images de la contestation. La plupart de ces vidéos d’amateurs sont envoyées lorsqu’un VPN (casseur de filtre) le permet, et surtout les premiers jours quand Internet n’était pas encore coupé et que les sites des influenceurs ou des médias de la diaspora iranienne étaient accessibles.
Reste que si le mouvement a été populaire sur les réseaux et s’est répandu dans tout le pays, l’absence d’opposition politique structurée laisse planer des doutes sur ses perspectives. Peut-il déboucher sur une remise en cause en profondeur du régime ou assistera-t-on au contraire à une répression accrue et à une déstabilisation mortifère de l’Iran ?
Si l’incapacité du régime à répondre aux demandes de changement est bien ce qui a déclenché ce soulèvement, la majorité des Iraniens en Iran ne recherchent pas un renversement du système par la violence.
Une femme tient une affiche lors d’une manifestation après la mort de Mahsa Amini, devant le siège de l’ONU à Erbil (Irak), le 24 septembre 2022 (Reuters)
Il restera de nombreuses images emblématiques du dernier mouvement de protestation en Iran puisque pratiquement tout le monde possède un téléphone équipé d’un appareil photo.
Une image en particulier résume toutefois cette explosion de colère : celle d’une jeune femme, le poing levé, debout sur une poubelle renversée, entourée de feu et de fumée. Une image puissante, mais pas seulement sur le plan artistique.
Traduction : « Les manifestations en Iran atteignent leur dixième nuit consécutive. Une force incroyable montrée par tant de femmes à travers le pays. »
Cette jeune femme au cœur de Téhéran fait face à un État qui pourrait littéralement abréger sa vie en un instant.
Cette femme mène une révolution, la sienne. Des jeunes d’Iran descendent dans les rues de dizaines de villes du pays, brûlent des hijabs et scandent « Femme, vie et liberté ! ».
D’autres protestent discrètement, littéralement, en marchant dans la rue avec les vêtements de leur choix, ou en faisant un tour en voiture pour créer des embouteillages et compliquer ainsi la tâche de la police et de la milice religieuse des bassidjis.
Un mouvement qui remonte à 1905
Ces gens forment la toute dernière génération d’un mouvement qui remonte à 1905 et à la lutte pour les droits démocratiques. Ce mouvement n’a pas éclaté soudainement en 2022 et existe sous une forme ou une autre depuis plus d’un siècle.
La solution à cette crise doit venir d’Iran, et non d’exilés monarchistes, de guerriers sur Twitter ou d’activistes imbus d’eux-mêmes installés à l’étranger, se complaisant dans leur propre culte de la personnalité
Il fallait généralement du temps pour que ces revendications donnent lieu à des slogans contre l’establishment, voire à des appels en faveur de son effondrement.
En 2022, il n’y a pas de période de grâce. Presque au moment même où les manifestants sont descendus dans la rue après la mort de Mahsa Amini, la démission du guide suprême et le démantèlement du système ont été réclamés. C’est parti au quart de tour.
Mais ne vous y trompez pas : l’agitation en Iran est une crise venue d’Iran, et en tant que telle, la solution à cette crise doit venir d’Iran, et non d’exilés monarchistes, de guerriers sur Twitter ou d’activistes imbus d’eux-mêmes installés à l’étranger, se complaisant dans leur propre culte de la personnalité.
Quoi qu’il se passe en Iran, que ce soit une révolution féministe, un soulèvement ou une brève explosion de colère, il est question d’un phénomène indigène et organique. Que les revendications des manifestants aboutissent ou non, il s’agit de leur mouvement et uniquement du leur.
Iran : quand une partie de la société ne souhaite plus se plier au port obligatoire du voile
Cette crise s’est produite à l’intérieur des frontières de l’Iran, notamment parce que le système, la République islamique elle-même, refuse non seulement d’évoluer et de se réformer, mais sabote aussi activement tout effort de sa population en ce sens.
Malgré ce que déblatèrent nombre d’exilés et de médias occidentaux, il se trouve que jusqu’à récemment, la majorité des Iraniens en Iran ne réclamaient pas l’effondrement de la République islamique d’Iran ni un quelconque renversement violent. Ils exigeaient tout simplement des réformes.
En témoigne la forte participation à l’élection présidentielle de 2013, où 72,94 % des électeurs se sont rendus aux urnes, puis de 2017 (73,3 % de participation). Lors de cette dernière élection, le président sortant Hassan Rohani a remporté une victoire écrasante et les électeurs ont massivement rejeté son principal rival, Ebrahim Raïssi, candidat favori de l’establishment.
Il ne s’agissait pas simplement d’une élection. Il s’agissait d’un référendum sur l’avenir de l’Iran, dont les électeurs ont pleinement compris les conséquences.
La véritable essence de la République islamique moderne
Malgré les victoires écrasantes de candidats réformistes – à commencer par Mohammad Khatami – l’establishment composé du guide suprême, d’un noyau de partisans de la ligne dure et d’éléments du corps des Gardiens de la révolution islamique contrecarre les souhaits du peuple.
En réalité, Raïssi, dont l’impopularité était tout à fait évidente, a pu remporter l’élection présidentielle de 2021 uniquement parce que tous les candidats notables se sont vu interdire de se présenter contre lui.
Le taux de participation a été le plus faible de l’histoire de la république (48,8 %). Mais le scrutin a également battu un autre record : 14,07 % des suffrages étaient des votes de protestation invalides, dépassant ainsi tous les candidats vaincus. Dans les faits, le peuple a terminé deuxième.
Le système actuel ne laisse aucune place au débat ou à la réforme. Ce système qui rejette les souhaits de la majorité de ses citoyens a détruit sa propre légitimité
À l’heure actuelle, Raïssi est bien entendu président. Et toutes les branches de l’establishment iranien, élues et non élues, sont contrôlées par les partisans de la ligne dure. Il en est ressorti une phase décisive de retranchement.
La tâche de Raïssi est également plus facile que celle de ses prédécesseurs. Contrairement aux gouvernements réformistes ou pragmatiques, le président n’est pas constamment miné par les partisans de la ligne dure, une presse contrôlée par l’État ou des cartels non élus, et ses ministres ne sont pas régulièrement traînés devant le Parlement avec des menaces de destitution.
Ainsi, ce que nous observons aujourd’hui est la véritable essence de la République islamique moderne – non pas son idéation initiale sous Khomeini, lorsqu’il y avait des partis politiques, bien que limités, et un débat considérable entre factions –, mais sa forme contemporaine, beaucoup plus restrictive.
Le système actuel ne laisse aucune place au débat ou à la réforme. Ce système qui rejette les souhaits de la majorité de ses citoyens, comme lors des élections susmentionnées, a détruit sa propre légitimité. Et la légitimité est un terme qui figure au cœur de ce qui se passe en ce moment.
Les jeunes Iraniens et les réseaux sociaux, entre répression et enfermement virtuel
Comme je l’ai noté dans mon livre, la plupart des manifestants dans les rues sont des jeunes sortant de l’adolescence ou d’une vingtaine d’années qui luttent pour prendre leur destin en main.
C’est la « génération TikTok », qui s’intéresse davantage à la série NetflixStranger Things qu’à la révolution qui a fait descendre nombre de leurs parents dans les rues en 1979.
Mais ils sont également intrépides et ne semblent pas être encombrés par la déception des précédents soulèvements manqués, comme celui de 2009, qui a brisé l’élan et les espoirs de millions de leurs contemporains.
Sans aucun doute, parce que l’establishment a fait avorter le mouvement de réforme – et peut-être même pire, parce que ses propres dirigeants se sont rendus insignifiants par leur assentiment –, ce mouvement de protestation est privé d’un chef et a peu de chances d’obtenir un quelconque succès significatif.
À l’inverse, les partisans de la ligne dure et de l’establishment font reposer depuis longtemps leur légitimité sur un soulèvement populaire similaire : celui de 1979. La plupart des Iraniens ont soutenu à un moment ou à un autre la révolution, en particulier son objectif principal : l’indépendance vis-à-vis de toute ingérence étrangère.
Un « point de non-retour »
En parallèle, de manière plutôt perverse, les sanctions occidentales, la politique de pression maximale et l’hystérie anti-iranienne n’ont fait qu’aider la République islamique à justifier plus facilement son existence et ses mesures répressives mais aussi, comme nous le constatons avec l’absence de coopération technologique extérieure, à couper les Iraniens d’Internet et du reste du monde.
La révolution de 1979 et sa quelconque signification en 2022 ne peuvent plus maintenir la cohésion du peuple face à la privation généralisée de droits, à la corruption, au népotisme et à la brutalité.
Nous sommes témoins d’un establishment qui préfère arrêter et tuer plutôt que de faire des compromis. Parce que dans un État où la légitimité est remise en question, tout compromis est une capitulation
En effet, des milliers d’Iraniens qui se sont battus contre un dictateur et pour une révolution ont perdu la foi en ce qu’ils ont fait il y a longtemps pour diverses raisons. Et maintenant, pour des millions d’autres jeunes Iraniens nés bien après cet événement, le point de non-retour est atteint.
Cela ne devait pas se passer comme ça. Ce qui aurait pu rassembler les gens, c’était une voie à suivre. Un système et des dirigeants prêts à se plier à leur époque, à négocier, à écouter et à permettre aux Iraniens ordinaires de revenir dans le processus décisionnel.
Au lieu de cela, nous sommes témoins d’un establishment qui préfère arrêter et tuer plutôt que de faire des compromis. Parce que dans un État où la légitimité est remise en question, tout compromis est une capitulation.
Il y a des années, face à un autre soulèvement, une jeune personne me présentait les choses ainsi : « Le problème est que nous sommes prêts à mourir pour ce que nous croyons. Mais eux, ils sont prêts à tuer. »
- Soraya Lennieest journaliste d’investigation et analyste. Elle est l’auteure de Crooked Alleys: Deliverance and Despair in Iran (Hurst, 2021). Depuis 2006, elle couvre des sujets aux quatre coins du monde, notamment la guerre contre Daech, l’accord sur le nucléaire iranien, les attentats de Paris et les crimes de guerre en ex-Yougoslavie. Elle a passé plus de dix ans au Moyen-Orient, notamment à Téhéran et à Kaboul, pour le compte de divers organes de presse internationaux tels qu’Al Jazeera English et TRT World. Elle a également collaboré avec CNN, la BBC, le Washington Post et Vogue.
Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.
Soraya Lennie is an investigative journalist, analyst and the author of Crooked Alleys: Deliverance and Despair in Iran (HURST, 2021). Since 2006, she has covered stories across the world, including the war against ISIS, the Iran nuclear deal, the Paris terror attacks and war crimes in the former Yugoslavia. She has spent more than a decade based in the Middle East, including Tehran and Kabul, for various international news organisations, such as Al Jazeera English and TRT WORLD. Lennie has also contributed to CNN, BBC, Washington Post and Vogue.
Pour la première fois depuis l’avènement du régime islamiste, les femmes sont soutenues par les hommes et, côte à côte, ils défendent leur droit à la liberté et à la démocratie
Des femmes brandissent des pancartes imprimées de la photo de Mahsa Amini, décédée à 22 ans alors qu’elle était détenue par les autorités iraniennes, lors d’une manifestation dénonçant sa mort devant les bureaux de l’ONU à Erbil, la capitale du Kurdistan autonome d’Irak, le 24 septembre 2022 (AFP/Safin Ahmed)
La mort brutale de la jeune Mahsa Amini, le 13 septembre, a complètement bouleversé l’Iran et, depuis, c’est un pays tout entier qui est en deuil.
La jeune Mahsa marchait à côté de son frère dans les rues de Téhéran, lorsqu’elle a été arrêtée par la police des mœurs, parce que ses cheveux n’étaient pas entièrement couverts par son voile.
Battue à mort, elle a succombé sous les coups quelques heures après son arrestation. Selon le médecin légiste, l’hôpital a reçu le corps inanimé de la jeune femme et les soins médicaux qui lui ont été procurés n’ont été qu’un simulacre.
Trois jours après, la police des mœurs a officiellement annoncé sa mort des suites d’une prétendue crise cardiaque.
Mahsa Amini : les manifestations en Iran suscitent la sympathie de tous les pans de la société
Cette annonce a indigné tous ceux et toutes celles qui, ayant eu déjà affaire à la police des mœurs, connaissent la violence policière qu’inflige la République islamique aux Iraniens depuis son avènement.
La première mesure répressive de Khomeini en mars 1979, quelques mois après l’instauration du nouveau régime, fut d’établir l’obligation du port du voile pour les femmes.
Pour faire respecter cette obligation et les lois de la charia (loi islamique), Khomeini a créé cette police des mœurs pour cibler les femmes osant un tant soit peu transgresser les contraintes imposées par le régime.
Les Iraniennes n’ont jamais cessé de résister
Depuis plus de quatre décennies, des centaines de milliers de femmes ont été interpellées, arrêtées, violentées et condamnées à de lourdes peines de prison, parce qu’elles ont commis le « crime » de se maquiller ou ne pas avoir mis leur voile comme il faut.
Et d’autres ont été vitriolées dans les rues iraniennes, sans que leurs agresseurs soient arrêtés, parce qu’elles ont eu le malheur d’être belles et d’attirer les regards des hommes.
La justice religieuse de la République islamique se montre également plus sévère avec les femmes qu’avec les hommes, particulièrement avec celles qui n’ont pas les moyens d’acheter leur peine et de payer les lourdes amendes qui leur sont infligées.
Les ayatollahs ont employé tous les moyens pour réprimer les femmes et les enfermer entre les quatre murs de leur maison, en vain
Nombre de femmes ont été pendues parce qu’elles avaient tué leur agresseur lors d’un viol. Le drame de Reyhaneh Djabbari restera à jamais gravé dans la mémoire collective des Iraniens. La jeune fille de 19 ans a été pendue en prison, condamnée pour avoir tué un homme qu’elle accusait d’avoir voulu la violer.
Les lois de la République islamique, conformes à la charia, réduisent la femme iranienne à une citoyenne de seconde zone. Sa législation reconnaît aux femmes le droit de réclamer de l’argent à leur mari pour allaiter leur enfant, mais elles n’ont pas le droit d’hospitaliser celui-ci ou de consulter son dossier scolaire.
L’avis de la mère concernant la vie de son enfant n’est jamais pris en compte, même si le père n’est plus là. Dans ce cas, c’est un membre masculin de la famille qui doit prendre en charge l’éducation de l’enfant, sinon un religieux. Pour la République islamique, la mère n’est pour ses enfants qu’une nourrice.
Les Iraniennes sont seules au monde. Et l’ONU se fait complice d’un pouvoir qui les soumet
Malgré tout, les Iraniennes n’ont jamais cessé de résister à la répression que le régime islamique leur impose. Cibles privilégiées de la violence de l’État, elles se sont mises à transgresser les lois islamiques en se maquillant à outrance et en s’habillant à l’occidentale.
Cette transgression peut leur coûter cher : des coups de fouets jusqu’à 25 ans de prison ferme. Les ayatollahs ont employé tous les moyens pour réprimer les femmes et les enfermer entre les quatre murs de leur maison, en vain.
Durant les dix dernières années, cette transgression a pris une ampleur telle que le régime des mollahs n’arrive aujourd’hui plus à contrôler les jeunes générations.
Accablés et impuissants
Au point que certains observateurs confondent cette transgression avec un allégement des contraintes et une ouverture de l’espace public en Iran. Vision illusoire, car ce n’est pas la répression qui s’allège ni le régime qui recule, mais les dirigeants religieux qui se retrouvent accablés et impuissants face à la résistance massive des femmes et des jeunes.
Jamais la répression en Iran ne s’est atténuée, mais jour après jour, génération après génération, les jeunes et les femmes sont devenus de plus en plus courageux sans jamais hésiter à bafouer les contraintes religieuses et à enfreindre des lois qu’ils estiment moyenâgeuses.
Le 13 septembre, la mort de Mahsa Amini est la goutte d’eau qui a fait déborder le vase : 43 années d’insultes, de violences et d’humiliations envers les femmes et les jeunes se sont cristallisées sur le corps inanimé de la jeune femme de 22 ans.
À elle seule, à son insu, elle est devenue le symbole des souffrances d’un peuple. Toutes les femmes ont retiré leur voile lors de ses obsèques, en chantant et en dansant sur sa tombe, pour pleurer sa mort injuste. Une fois de plus, les agents du régime n’ont pas hésité à tirer sur la foule en deuil.
Les images de l’événement passent en boucle sur les réseaux sociaux et les Iraniens, partout dans le pays, sont indignés de voir tant d’agressivité et de violence envers une famille dont la fille a été assassiné par la police.
Depuis le 13 septembre, plusieurs centaines de villes iraniennes ne décolèrent pas. Les jeunes sont dans la rue et crient : « À bas la dictature, à bas la République islamique ». Mais un autre slogan retentit pour la première fois, particulièrement émouvant : « Femme, vie, liberté » (zan, zendegi, azadi).
Pour la première fois depuis l’avènement du régime islamiste, les femmes sont soutenues par les hommes et, côte à côte, ils défendent leur droit à la liberté et à la démocratie.
Une grande nation
Plus de quatre décennies de République islamique ont fortement isolé les femmes iraniennes, qui ont été contraintes d’affronter dans la solitude un État violent, sans l’aide des hommes.
En accordant aux hommes les privilèges d’un patriarcat désuet, le régime des mollahs a réussi pendant plusieurs décennies à rendre les hommes complices de sa politique répressive envers les femmes.
Les Iraniens ont reconnu leurs filles et leurs sœurs dans le sort tragique de la jeune fille de 22 ans et ont compris qu’un pouvoir politique qui humilie les femmes détruit aussi les familles, les vies, et les hommes
Dans l’espace privé, celles-ci devaient subir la violence conjugale contre laquelle aucune loi dans ce pays ne les protège. Et dans l’espace public, elles subissaient systématiquement des insultes et des humiliations des forces de l’ordre, sous les regards indifférents des hommes.
La mort de Mahsa Amini a réveillé les hommes et les a rendus conscients des souffrances des femmes. Ils ont reconnu leurs filles et leurs sœurs dans le sort tragique de la jeune fille de 22 ans et ont compris qu’un pouvoir politique qui humilie les femmes détruit aussi les familles, les vies, et les hommes.
Ils ont enfin compris que leur sort est étroitement lié à celui des femmes et que celles-ci, en réclamant leurs droits fondamentaux, ne s’opposent pas à eux, mais au pouvoir religieux qui glorifie un patriarcat démodé.
Iran : quand une partie de la société ne souhaite plus se plier au port obligatoire du voile
Cette nouvelle solidarité qui se manifeste entre les femmes et les hommes, dans toutes les villes iraniennes et entre toutes les classes sociales, prouve que quatre décennies de dictature religieuse n’ont pas réussi à venir à bout de la cohésion sociale en Iran.
Alors que la société est paralysée par d’innombrables crises politiques et économiques, les Iraniens pleurent aujourd’hui ensemble la mort des libertés à travers leur deuil de Mahsa Amini.
Ils montrent qu’ils sont une grande nation qui sait se solidariser à un moment clé de son histoire pour dire NON à l’une des pires dictatures religieuses de toute l’histoire de l’humanité.
Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.
Mahnaz Shirali est sociologue et politologue, spécialiste de l’Iran. Elle est directrice d’études à l’Institut de science et de théologie des religions de Paris (ISTR-ICP). Elle enseigne également à Sciences Po Paris. Elle est l’auteure de plusieurs livres sur l’Iran et l’islam, notamment : La malédiction du religieux, la défaite de la pensée démocratique en Iran (2012), et Fenêtre sur l’Iran, le cri d’un peuple bâillonné (2021)
Mahnaz Shirali
Jeudi 29 septembre 2022 - 07:33 | Last update:1 day 7 hours ago
Vues de France, les mobilisations en Iran à la suite du meurtre de Mahsa Amini sont mises au service de récits convenus sur la musulmane en péril, l’islam, la modernité ou l’impérialisme. Au mépris d’une analyse rigoureuse du contexte iranien.
Manifestation contre le président iranien Ebrahim Raïsi devant les Nations unies le 21 septembre 2022 à New York, après la mort de la jeune Mahsa Amini, décédée en garde à vue pour avoir prétendument enfreint les règles du pays relatives au hijab (AFP/Stéphanie Keith)
Dans un article fameux paru en 1988, la philosophe indienne Gayatri C. Spivak posait la question suivante : « les subalternes peuvent-elles parler ? ». Pour y répondre, l’auteure s’appuie en fin de texte sur l’histoire tragique de Bhuvaneswari Bhaduri, une jeune femme de 16 ou 17 ans qui s’est pendue à Calcutta en 1926.
Ce suicide avait alors été interprété comme ayant un lien avec le rituel du sati par lequel la veuve se jette dans le bûcher funéraire de son défunt époux. B. Bhaduri n’étant pas mariée, il fut supposé que son geste résultât d’une relation illégitime. G. C. Spivak a révélé le caractère erroné de ces lectures.
Membre d’un groupe indépendantiste indien et incapable d’accomplir l’assassinat politique dont elle avait été chargée, Bhaduri a préféré se suicider. La réduction de son geste à une histoire d’amour illicite, alors qu’elle a mis fin à ses jours pendant qu’elle était indisposée (excluant toute possibilité de grossesse), fit dire à Spivak que « la subalterne en tant que femme ne peut être ni entendue ni lue ».
Les précautions prises par B. Bhaduri pour que son geste ne soit pas interprété comme résultant d’une grossesse illégitime ont été vaines. Les représentations coloniales l’ont reléguée au rang de femme soumise aliénée par sa culture. Coincé entre l’impérialisme et le patriarcat, son récit n’avait aucune chance d’être entendu. Une surdité à la parole subalterne qui a toujours cours.
Emotion et émeutes
Le 13 septembre 2022, Mahsa Amini, 22 ans, une habitante de la petite ville iranienne de Saghez dans la province du Kurdistan, était en visite à Téhéran. Elle a été arrêtée par « la patrouille d’orientation » (plus connue sous le nom de « police des mœurs ») pour des motifs qui demeurent encore flous. Elle est morte trois jours plus tard en détention, officiellement d’un arrêt cardiaque.
Les images de femmes bravant les autorités et retirant leur foulard ont fait l’objet d’une instrumentalisation immédiate
Une version aussitôt démentie par sa famille, qui évoque des traces de blessures sur son corps. Cette mort violente a suscité une vive émotion dans le pays, où des émeutes ont éclaté dans plusieurs villes (ce n’est pas un hasard si les mots émeute et émotion partagent la même racine). La répression visant la tenue vestimentaire des femmes est la cause immédiate du soulèvement.
À l’heure actuelle, les forces de sécurité iraniennes ont déjà fait des dizaines de victimes parmi les manifestants, bilan qui devrait s’alourdir à mesure que les protestations se poursuivent et gagnent en intensité. Les tirs à balles réelles se multiplient et démontrent une nouvelle fois que le régime est décidé à réprimer dans le sang toute opposition à sa politique.
Dévoilements
En France, les commentateurs d’habitude si réticents à dénoncer les violences policières qui ont cours ici ont salué avec enthousiasme le soulèvement iranien. Les images de femmes bravant les autorités et retirant leur foulard ont fait l’objet d’une instrumentalisation immédiate. La symbolique règne en maître, au détriment d’une analyse rigoureuse des faits.
La spécificité de la politisation du port du voile en Iran est évacuée. Le voile aurait la même valeur partout. Et si les Iraniennes dénoncent son imposition par le régime, alors c’est le voile même qui devrait être interdit en France. Une manière de légitimer l’offensive islamophobe et de dénier aux musulmanes portant le voile en France toute autonomie sur leur propre pratique.
Les images d’Iraniennes brûlant leur voile ont pu être comprises ici comme une mise à distance, voire comme un rejet de l’islam. Le parallèle avec les cérémonies de dévoilement dans l’Algériecolonisée est frappant. À partir de mai 1958, les autorités coloniales ont littéralement mis en scène des musulmanes ôtant leurs voiles sur la place publique à Alger. Une opération de propagande destinée à montrer que la puissance occupante était du côté des Algériennes, contre le patriarcat qui les écrasait.
Mais qu’on l’idéalise ou qu’on le rejette, le geste de défiance des Iraniennes contre l’imposition étatique du voile doit être interprété dans son contexte précis, au risque de faire télescoper des époques et des enjeux radicalement différents.
Fémonationalisme
Le discours dominant sur l’Iran est celui de musulmanes prisonnières de leur culture qu’il faudrait accompagner vers la modernité. Le patriarcat de la société française est exonéré par la mise en accusation du patriarcat musulman. La politologue Sara R. Farris a forgé le terme fémonationalisme pour désigner pareille instrumentalisation du féminisme à des fins racistes.
Abréviation de féminisme et de nationalisme fémocratique (ce terme désigne les hommes qui tiennent des discours féministes), le fémonationalisme renvoie à l’exploitation des thèmes féministes par les nationalistes et les néolibéraux dans les campagnes contre l’islam et l’immigration, et à la participation de féministes et de fémocrates à la stigmatisation des hommes musulmans sous la bannière de l’égalité des sexes.
Une manière de légitimer l’offensive islamophobe et de dénier aux musulmanes portant le voile en France toute autonomie sur leur propre pratique
L’affaire de Cologne constitue un cas d’école. La propagation de la fausse information faisant état de centaines de viols commis par des personnes migrantes dans la nuit du Nouvel An dans cette ville allemande témoigne de la diffusion en Europe de l’image des hommes musulmans comme étant des violeurs en puissance du fait de leur arriération culturelle en matière sexuelle.
Des émeutes consécutives à un crime policier sont courantes en France. Le soulèvement actuel en Iran nous est à maints égards familier. Certains s’en distancient pourtant et expriment leur sympathie pour le régime iranien, décrit comme opposant et victime de l’impérialisme états-unien. Selon cette grille de lecture analysée par Leila al-Shami et Robin Yassin-Kassab, c’est l’État iranien (et non sa population) qui est censé représenter les opprimés.
Une posture étatiste et campiste, qui se pense radicale et subversive, mais demeure prisonnière du regard dominant. Un héritage archaïque de la guerre froide, qui polarise le monde en deux camps et produit « un anti-impérialisme sélectif et confus ».
Iran : quand une partie de la société ne souhaite plus se plier au port obligatoire du voile
La fausse alternative entre critique de l’impérialisme et soutien aux émeutiers reconduit en définitive un statu quo qui arrange les partisans de l’embargo illégitime et injuste contre l’Iran, mais aussi le régime de Téhéran lui-même, qui présente de manière opportune ses opposants dans le pays comme des agents déstabilisateurs à la solde de l’Occident.
Une logique conspirationniste et raciste reprise sur les réseaux sociaux en France, qui dépolitise les débats et ôte toute capacité d’action spontanée aux populations arabes et/ou musulmanes dans la région, qui seraient satisfaites d’endurer la pauvreté et l’humiliation. De la Tunisie au Soudan, de la Syrie à l’Égypte, derrière chaque soulèvement contre la dictature, il y aurait la main de l’Occident qui pilote l’opération.
Refuser la polarisation
L’instrumentalisation raciste de la mort de Mahsa Amini et des protestations qui ont suivi est obscène. La fétichisation du dévoilement des Iraniennes est insupportable. Mais ce n’est pas le sujet principal. Le sujet reste et demeure la mort d’une femme parce que des forces de l’ordre ont jugé sa tenue inappropriée et se sont senties autorisées à disposer de son corps.
Réduire la population iranienne au seul statut de victime de l’impérialisme est aussi simpliste que de figer les Iraniennes dans celui de victimes du seul patriarcat. Il faut rejeter cette fausse alternative et chercher – à l’instar de Sherene H. Razack – à définir une position qui permettra « de condamner tout autant le largage de bombes sur les musulmans et les coups de poing que des hommes décrochent au visage des femmes ».
En dépit de la récupération islamophobe des événements en cours, nous devons rester fidèles à certains principes. Notre boussole doit toujours être une attention au sort des populations locales, ainsi que la solidarité avec les personnes qui combattent à la base l’oppression et l’injustice, non l’opinion de quelques éditorialistes à Paris dont il faudrait prendre le contre-pied.
La volonté d’afficher une fermeté anti-impérialiste n’a de radicale que la forme. Sur le fond, elle marque une méconnaissance de la réalité sur le terrain et une incapacité à se projeter dans le quotidien des Iraniens. Une attitude en surplomb, qui ne prend aucun risque. Les subalternes, femmes et hommes, qui affrontent en ce moment même au péril de leur vie la police anti-émeutes en Iran, prennent ces risques.
Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.
Avocat, Rafik Chekkat a exercé dans des cabinets d’affaires internationaux et intervient désormais en matière de discriminations et libertés publiques. Concepteur et animateur du projet Islamophobia, il codirige la rédaction de la revue Conditions. Rafik Chekkat est diplômé en droit (Université Paris 1) et en philosophie politique (Université de Paris). Vous pouvez le suivre sur Twitter : @r_chekkat
Rafik Chekkat
Mardi 27 septembre 2022 - 07:57 | Last update:6 hours 42 mins ago
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