Auréolée de prix internationaux, la série The Actor passionne, avec ses situations tour à tour cocasses et poétiques, où les barbus n’imposent pas leur loi religieuse, où les femmes mènent (parfois) la danse, etc. Et l’on apprend beaucoup sur la société iranienne, même si, censure et rentabilité obligent, ce sont surtout les couches aisées de la population qui sont mises en scène. Avant d’être diffusée sur la chaîne française Arte, The Actor a été vue par les Iraniens sur des chaînes privées payantes, tolérées sinon encouragées par le pouvoir.
extrait de la série The actor
Depuis le 16 mai, Arte diffuse les huit premiers épisodes de la série iranienne The Actor. La seconde saison, qui en compte neuf, est attendue en fin d’année. Cette comédie noire a remporté le Grand Prix de la compétition internationale au Festival Séries Mania 2023 et le prix du meilleur scénario aux Séoul World Drama Awards en Corée du Sud. C’est la première série iranienne diffusée largement en Europe.
Réalisé par Nima Javidi, The Actor suit les aventures d’Ali et de Morteza, deux comédiens au chômage à Téhéran, interprétés respectivement par Ahmad Mehranfar, acteur connu en Iran, et par Navid Mohammadzadeh, vu dans deux films de Saeed Roustaee (La loi de Téhéran et Leïla et ses frères1). Les deux héros ont pour objectif de mettre en scène une pièce qu’ils ont choisie. Mais, avant cela, ils doivent régler les loyers en retard du lieu où ils répètent — un vieux théâtre fermé — pour éviter d’être expulsés. Ils gagnent donc de l’argent en se déguisant et en jouant chez des particuliers des canulars aux allures réalistes, souvent drôles. Leur situation prend un tournant inattendu lorsqu’un ancien policier leur offre de travailler pour une agence de détectives privés.
Le scénario est riche en rebondissements, à la fois poétique et humoristique, et la production soignée est conforme aux normes cinématographiques occidentales. Les situations semblent parfois improbables dans une société écrasée par l’inflation et la baisse du pouvoir d’achat, telle celle où un père paie une fortune à cette agence privée pour savoir si sa fille, secrétaire médicale, se drogue, comme l’ont fait remarquer les téléspectateurs iraniens. La maison de retraite pour familles richissimes à la décoration californienne, contraste fortement avec les vies modestes des Iraniens et les situations précaires des acteurs.
La série montre ainsi les inégalités et, plus globalement, la société iranienne où il faut s’adapter, mettre des masques, se déguiser, jouer un rôle aussi bien pour survivre que pour cacher son vrai mode de vie et ses convictions. Le réalisateur met en avant la citation de William Shakespeare en exergue de chaque épisode :
Le monde entier est un théâtre et tous, hommes et femmes, n’en sont que les acteurs. Chacun y joue successivement différents rôles.
Contrairement aux films du début des années 2000 qui exploraient les zones rurales et les provinces frontalières en déclin, la nouvelle vague de films et séries se concentre sur les métropoles, à l’instar des œuvres d’Asghar Farhadi, saluées par les festivals européens et aux Oscars2. Elle abandonne les narrations linéaires pour des récits complexes, plus intimes, dans lesquels ces couches urbaines plutôt aisées se retrouvent. L’ambiance citadine et stylée de la série The Actor s’inscrit complètement dans ce mouvement qui a conquis le public européen ainsi que le marché de diffusion dans les pays occidentaux.
Pour ces téléspectateurs habitués à voir des séries américaines ou européennes, découvrir un téléfilm d’un pays sous embargo depuis plus de quarante ans peut susciter la curiosité. Comment vivent les gens dans ce pays autoritaire, leader de « l’axe de résistance » ? Ils seront étonnés de ne pas voir les hommes barbus ni les femmes entièrement voilées, comme ceux qu’ils en ont l’habitude dans les médias, notamment lors des grandes manifestations en Iran. Ils découvriront avec The Actor un monde rempli d’humour et de malice, de jeunes amoureux, de femmes maquillées et une vie apparemment « normale », un peu trop luxueuse sans doute, où la drogue et les relations hors mariage sont banalisées, le tout sur fond de musique rythmée omniprésente, alors qu’on la croyait interdite. C’est une partie de la réalité du pays — une partie seulement.
LES CHAÎNES PAYANTES SERVENT DE SOUPAPES
En Iran, Filmio et Namava, réseaux de diffusion de vidéos à la demande (VOD) ont diffusé la série de vingt épisodes il y a plus d’un an. Ces chaînes privées et payantes dites « réseaux domestiques » sont tolérées en parallèle aux réseaux officiels de distributions et de la télévision d’État. Si ces derniers subissent la censure impitoyable, ces chaînes privées sont acceptées, voire encouragées par le pouvoir depuis plus de vingt ans, comme soupapes de sécurité. Ils offrent un large éventail de programmes, allant des films d’action américains piratés et sous-titrés localement à des films iraniens n’ayant pas obtenu l’autorisation de distribution, ou encore des séries que la télévision officielle ne peut diffuser à cause de leurs contenus en dehors des normes établies par le pouvoir, comme le port du voile, les relations femmes-hommes, etc.3. Cela illustre le fossé entre l’apparence et la réalité dans la société iranienne, et souligne la coexistence plus ou moins difficile entre deux modes de vie opposés : la rose et le réséda, ceux qui respectent encore les codes de la société islamique et ceux qui ne le font plus, les dogmes vieillissants et une population jeune et instruite.
Mais au-delà, la diffusion de ces réalisations représente d’énormes enjeux économiques. En 2020, Filmio, appartenant à la société Saba Idea, comptait plus de 400 000 abonnés mensuels, s’arrogeant plus de la moitié des parts de marché des réseaux domestiques. On estime qu’un quart de la population peut accéder à ces réseaux parallèles.
Il reste cet écart sensible entre le quotidien de la majorité des gens et l’image que renvoient cette série et d’autres films iraniens. La vraie vie est bien plus dure, notamment pour les classes moyennes et populaires, avec une inflation à 50 %, des contrats de travail précaires et des pressions sociétales singulièrement sur les femmes et les jeunes. Le décalage est lié, d’une part, aux contraintes idéologiques et aux défis économiques auxquels sont confrontés ces réseaux de diffusion parallèles. Ils doivent naviguer dans un environnement où la censure et les restrictions limitent la capacité des créateurs à dépeindre fidèlement la vie ; ils doivent également répondre aux exigences du marché et à la rentabilité imposées par les producteurs privés.
MARMAR KABIR
Statisticienne et traductrice pour Le Monde diplomatique en persan.
Ce titre pourra paraitre étrange, voire hermétique, mais je n'ai pas trouvé mieux pour indiquer la tentative de ce texte de montrer que le sophisme, en tant que procédé de rhétorique, est à la base du discours politique et médiatique prédominant actuellement en Occident. Si le lecteur a la patience de nous accompagner dans ce raisonnement, peut-être celui-ci va-t-il s'éclaircir au fur et à mesure à ses yeux et que ce texte lui sera alors utile.
Dès que la société s'est complexifiée, il s'est développé en son sein, des groupes aux intérêts contradictoires. Il est alors devenu nécessaire pour le groupe dominant de soumettre les autres groupes, pas seulement par la force mais aussi, bien mieux, pacifiquement, par l'idéologie, par l'adhésion à l'ordre établi. La pensée politique et sociale, s'est donc, parallèlement, elle aussi différenciée. Elle a produit deux camps intellectuels, celui de la Rhétorique et celui de la Philosophie, au sens grecs des termes. Le camp de la Rhétorique partait de l'idée qu'il n'y avait pas de vérité, puisqu'elle était toute relative. Au service du groupe dominant, il n'avait pas le souci du vrai, mais du vraisemblable, de présenter comme vérités les intérêts des dominants, avec comme arme privilégiée le sophisme, en tant qu'art consommé, en tant que technique, pour emporter la conviction de l'opinion, au besoin la manipuler, le soft power comme on dirait aujourd'hui. Le camp de la Philosophie, faisant de la vérité, des méthodes et moyens de l'atteindre, le but et la légitimation de l'activité intellectuelle.
Ce combat se poursuit jusqu'à nos jours. Il trouve son illustration parfaite dans les conflits mondialisés qui secouent actuellement notre planète, Ukraine, Palestine, Iran. La Rhétorique utilise, dans son récit à leur propos, son instrument préféré, le sophisme sous toutes ses formes pour construire une vérité alternative, et donner à un raisonnement erroné ou trompeur les apparences de la vérité: hypothèses et prémisses du raisonnement fausses, généralisations abusives, caricatures de la position adverse, demi vérités, fausses analogies, omission, diversion par rapport au vrai sujet, non démonstration de l'hypothèse de départ, laquelle est simplement affirmée etc.. Ce qui fait le caractère redoutable du sophisme c'est qu'il est difficile à débusquer, aussi bien dans un débat, dans un ouvrage ou dans les confrontations médiatiques. La raison en est bien simple: le but même du sophisme est de se cacher grâce aux techniques qu'il utilise.
On trouve toute la panoplie de ces techniques du sophisme dans la rhétorique occidentaliste, politique et médiatique actuelle. C'est d'elle dont nous parlerons même si, évidemment, l'Occident n'en a pas le monopole et qu'on pourrait faire la chasse aux sophismes dans d'autres régions du monde.
Quelques exemples rapides.
Des sophismes dans toutes leurs splendeurs
8 avril 2024, une vingtaine de soldats allemands arrivent en Lituanie, pour préparer la venue, à cette frontière avec la Russie, d'une brigade de 4800 soldats qui seront déployés en permanence, progressivement jusqu'à 2027. Il s'agit, version officielle, d'affronter «la menace russe». Ici, c'est un sophisme patent d'inversion, de substitution, d'une prémisse, d'une hypothèse de base affirmée sans aucune démonstration. Elle est doublée d'une analogie abusive, technique courante du sophisme, puisqu'il est sous-entendu que la Russie «peut agresser les pays baltes puisqu'elle a déjà agressé l'Ukraine».
Question: qui se déploie à la frontière de l'autre, l'Allemagne ou la Russie ? La Lituanie et la Russie ont une frontière commune. On ne peut changer la géographie. Ce thème de «la Russie aux frontières» est aussi utilisé pour la Finlande, la Norvège, la Géorgie, C'est donc l'existence même de la Russie qui pose problème. On se trouve, au final d'un raisonnement apparemment banal, devant une conclusion monstrueuse, celle de l'effacement souhaité, rêvé de la Russie, une sorte de génocide géopolitique. Le sophisme, on le voit, peut conduire loin, très loin. Il n'est d'ailleurs pas sans intérêt que cela vienne de l'Allemagne qui a déjà tenté cet effacement de la Russie avec Hitler pendant la deuxième guerre mondiale. Y aurait-il des relents de revanche ? L'Allemagne ne regrette-t-elle pas maintenant, d'avoir fait alors de mauvais calculs en combattant l'Occident au lieu de s'allier avec lui contre l'URSS. Simple hypothèse d'école mais... Comment comprendre, en effet, que l'Allemagne se soit tue devant un évènement aussi énorme que la destruction d'un ouvrage aussi colossal que son gazoduc, Nord Stream, en dépit des graves soupçons pesant sur les dirigeants des États-Unis et de l'Ukraine, et du coût quasiment suicidaire pour son économie de l'utilisation d'un gaz liquéfié américain quatre fois plus cher que le gaz russe
Même logique d'inversion concernant la menace, dite « islamiste» du Hamas, à partir de Gaza. Israel se trouve à la frontière de Gaza, en tant que force d'occupation et il est, d'ailleurs, considéré officiellement par l'ONU comme tel. Qui menace qui ? Le sophisme réside, ici, dans l'omission du fait que les territoires palestiniens sont occupés par Israel. L'omission est l'une des techniques du sophisme, Elle permet, dans cet exemple, d'inverser en acte d'agression, un acte de légitime défense du pays occupé.
Le conflit irano-israélien
Même procédé, même omission, même inversion, même sophisme, concernant le récent conflit irano-israélien. Le 1er Avril, Israël a attaqué de façon soudaine et délibérée la section consulaire iranienne, adjacente à l'ambassade d'Iran à Damas. L'attaque est sanglante. Elle fait treize morts, 6 syriens, 8 officiers supérieurs iraniens dont 2 généraux. Le viol du droit international est sans précèdent. Aucune condamnation occidentale.
L'affaire est cousue de fils blancs. L'attaque n'a été qu'une provocation destinée à obliger l'Iran à riposter, pour pouvoir réaliser le vieux projet, israélo-étatsunien de détruire les installations nucléaires iraniennes. Cette attaque ne pouvait avoir été faite sans l'accord des États-Unis, mais ceux-ci appellent ostensiblement l'Iran à ne pas se livrer à une escalade. Lorsque l'Iran riposte, l'axe occidental exprime son appui indéfectible à Israel et son droit «à se défendre». Et c'est l'ambassadeur iranien qui est convoqué, par les principaux pays occidentaux. Le parti pris est trop évident.
Il est aussi clair, qu'un autre but de l'opération, était de permettre à Israel, «une réconciliation» avec les États- Unis, et de poursuivre le massacre des populations civiles à Gaza, sans n'avoir plus, désormais, à supporter les remontrances de son grand allié. D'autres pays occidentaux, l'Angleterre et la France, comme d'habitude, suivent. Ils y trouvent eux aussi une occasion pour se réconcilier avec Israel et reporter sine die leurs timides protestations contre la boucherie de Gaza.
Mais voilà comme toujours, il y a un grain de sable. On ne joue jamais seul et l'Histoire ne s'écrit jamais sous la dictée. Méfiant, flairant le piège de la provocation, l'Iran a limité son attaque tout en montrant sa maitrise de la guerre moderne de drones et de missiles, et il précise, quelques heures à peine après, que son opération est terminée et «le dossier clos». Pas une seule victime israélienne. Inattendu. Et surtout, depuis le temps que l'Iran s'attend à une attaque israélo-étatsunienne contre ses sites nucléaires, peut-être les a-t-ils protégés efficacement, en les enfouissant à des dizaines de mètres sous terre et en les défendant par des batteries de missiles. Le coup semble raté ou très aventureux. Car s'il se fait, il révèlera du coup les intentions réelles du duo étatsunien-israélien. De plus, un pays arabe, comme la Jordanie, a abattu des drones iraniens survolant son sol et s'est gravement compromis vis-à-vis de l'opinion arabe, révélant qu'il était, en fait, un allié direct d'Israel.
Tout cela n'empêche pas le monde médiatico-politique occidental de continuer de tordre les faits et de qualifier «d'attaque de l'Iran» sa riposte du 13 avril à l'attaque d'Israel. C'est hallucinant, pas un mot, pas un seul, n'est dit sur le déclencheur du conflit. Pour le 7 Octobre, il n'y avait rien, ni avant, ni après. Pour le 13 avril, de même, rien avant, rien après. Pour le 24 février 2022 en Ukraine, de même. Ainsi va la rhétorique du récit occidentaliste.
Mossoul et Gaza
Cette question de «qui attaque qui», «qui agresse qui», est d'ailleurs le terrain favori du sophiste occidental. L'attaque est qualifiée de défense. La riposte qualifiée d'attaque. Cette inversion est l'une des techniques du sophiste. Mais la perle, en la matière, revient comme souvent à Mr Bernard Henry Lévy. C'est un intellectuel français, chantre de toutes les interventions occidentales: en Yougoslavie, en Afghanistan, en Irak, en Libye, en Syrie, y compris celles qui n'ont pas eu (encore) lieu et qu'il appelle de ses vœux comme en Iran. Il est d'évidence un soutien inconditionnel d'Israel. Il s'est autoproclamé philosophe mais il est en fait un rhétoricien dans la pure tradition de ceux qui ont toujours été du côté du manche, du côté des puissants, aussi bien au niveau de la France qu'à l'échelle internationale, à travers son soutien inconditionnel à l'hégémonie occidentale. C'est un expert en sophisme, sous toutes ses formes. Sa principale spécialité est le sophisme par analogie, analogie entre Hitler et tous les dirigeants supposés antioccidentaux de Poutine à Kadhafi, analogie entre les accords de Munich et ceux de Minsk, analogie entre Daesh et Hamas, analogie entre le 7 octobre et les pogroms contre les juifs, analogie entre les massacres perpétrés à Mossoul par la coalition occidentale et ceux de Gaza, pour en conclure qu'il y a un nombre bien moindre de victimes à Gaza. Le sang coulé à Mossoul vient donc justifier celui à Gaza, merveille de sophisme et cynisme du raisonnement.. Et ce n'est pas tout ? Sur le même sujet de Mossoul et Gaza, son dernier sophisme, est un véritable chef d'œuvre en la matière. Le 13 avril, sur une chaine d'information continue, il explique que pour Mossoul, il n'y a pas eu de dénonciations en Occident de la même ampleur que pour Gaza, et que c'est bien la preuve qu'»Israel est toujours le mal aimé, la victime», y compris en Occident. Il faut le faire.
Bref, on pourrait continuer à donner, à l'infini, des exemples de sophismes. L'agression contre la Libye en 2011, justifiée par les puissances occidentales pour «éviter un bain de sang» à Benghazi, ce qui représentait l'avantage de ne pas avoir à être démontrée puisque l'intervention était supposée l'avoir empêchée.
Il y aussi ce thème favori du sophisme qui est celui de la violence. Il permet de rejeter dos à dos agresseur et agressé, chacun ayant recours à la violence, qu'il agresse ou se défende. La violence d'où qu'elle vienne, étant intrinsèquement inhumaine, ses causes et ses effets se mélangent, se nourrissent ce qui permet d'obscurcir les esprits et de faire ainsi silence sur les causes profondes des conflits etc.
Chacun devrait d'ailleurs se livrer à la chasse du sophisme sous toutes ses formes que ce soit dans la pensée dominante occidentale que dans la politique des gouvernements dans le monde. Il ne faudrait pas en effet tout mettre sur le dos de l'Occident.
Quelques lecteurs s'en souviennent peut-être, j'avais dans de nombreux textes précédents, aborder cette question de la déformation de la vérité et de la réalité dans les moyens d'information lourds occidentaux. J'avais donné des exemples, de ce qu'on avait appelé aux États-Unis, de façon tout à fait assumée, «le mensonge utile», le mensonge vrai», «la vérité parallèle», la vérité virtuelle», en tant qu' «armes légitimes» de combat dans la guerre impitoyable de l'information. Parler ici de sophismes, c'est dire au fond la même chose, ou plus exactement, ça n'est qu'une tentative de généraliser théoriquement les méthodes utilisées par l'information, ou la désinformation, de mettre un mot sur elles et de les rattacher à une longue tradition de la bataille intellectuelle dans l'Histoire politique et sociale, depuis la nuit des temps.
Nommé le 2 septembre 2022 en tant que représentant spécial du SG de l'ONU, le Sénégalais, Abdoulaye Bathily, a jeté l'éponge en présentant officiellement sa démission, le mardi 16 avril, soit après une année et demie d'efforts pour tenter de régler la crise libyenne. Au bout, la situation a connu des hauts et des bas, plus de bas que de hauts, qui ont poussé l'émissaire des Nations unies à se retirer, non sans dire tout haut ce qu'il pense de la crise libyenne et des dirigeants libyens. Des dirigeants libyens « égoïstes » qui placent « leurs intérêts personnels au-dessus des besoins du pays», a-t-il accusé. Considérant, dans une déclaration à la presse à l'issue d'une réunion, mardi 16 avril, du Conseil de sécurité sur la Libye, que «dans ces circonstances, il n'y a aucun moyen pour l'ONU, d'agir avec succès ». Faut-il comprendre qu'il conseille au Conseil de sécurité de l'ONU d'abandonner la Libye, déchirée par une guerre civile, depuis 2011 ? Bien sûr que non, mais c'est le cas de le dire si le Conseil de sécurité ne fait pas pression sur ces dirigeants pour les forcer à dialoguer, afin de régler leurs différends. C'est ce qui est ressorti d'un briefing de M. Bathily, mardi, devant le Conseil de sécurité, dans lequel il a mis en garde contre la possibilité d'éventuelles tensions militaires avec la présence de mouvements militaires près de la ville de Syrte et la présence continue de groupes armés et d'armes lourdes dans la capitale, Tripoli, qui menace l'Accord de cessez-le-feu. De profondes divisions éloignent le processus politique d'un heureux dénouement tant attendu par le peuple libyen. Selon le désormais ex-représentant spécial du SG de l'ONU en Libye, les conditions imposées par les parties libyennes, les uns proposant la formation d'un gouvernement unifié, d'autres exigent la participation du Premier ministre du gouvernement parallèle Oussama Hammad, alors que d'autres appellent à reconsidérer les lois électorales, compliquent le processus d'organisation des élections. « L'égoïsme des dirigeants libyens se fait aux dépens des Libyens et doit cesser immédiatement », a soutenu M. Bathily, pour lequel il est clairement question d'abandonner les dirigeants libyens et non le peuple libyen Il dira, dans ce sens, que toutes ses tentatives «se sont heurtées à une résistance obstinée, à des demandes irréalistes, à l'indifférence à l'intérêt du peuple libyen et à un désir (de ces dirigeants) de reporter indéfiniment les élections ». Conséquence directe de divergences persistantes entre les principaux acteurs politiques, la conférence de réconciliation prévue ce mois-ci à Syrte, dans le but de mettre fin aux hostilités, a été reportée à une date inconnue. Malgré les efforts de l'ONU et de la Communauté internationale pour réunir les antagonistes à la même table de négociation afin de résoudre les différends et s'entendre sur une feuille de route qui conduira le pays à la tenue d'élections et à la fin des phases de transition, la situation n'a pas évolué vers le mieux (pour le peuple libyen).
L'ONU va-t-elle encore se mettre à la recherche d'un nouveau représentant spécial pour la Libye ou adoptera-t-elle un nouveau langage envers ces dirigeants qualifiés par celui qui a laissé ce poste vacant d'égoïstes ? Une chose est presque sûre, il sera très difficile dans ce climat défiant d'engager quelqu'un dans ce poste qui est resté vacant durant de longs mois, par le passé, à cause de cette valse des représentants onusiens en Libye.
Israël se contentera-t-il de nouvelles sanctions occidentales à l’égard de l’Iran en guise de riposte à l’offensive inédite déclenchée le week-end dernier par le régime des mollahs ? Éléments de réponse avec le chercheur canadien Thomas Juneau.
homasThomas Juneau est professeur agrégé à l’École supérieure d’affaires publiques et internationales de l’université d’Ottawa, au Canada, où il travaille plus particulièrement sur l’Iran, le Yémen et la théorie des relations internationales.
Pour Mediapart, il revient sur le sens et les conséquences de l’offensive iranienne du week-end dernier et sur les perspectives ouvertes par ce geste sans précédent du régime des mollahs, face auquel Israël a annoncé des représailles que les États-Unis cherchent à contenir pour éviter un embrasement régional.
Mediapart : Avez-vous été surpris par l’offensive iranienne du week-end dernier ?
Thomas Juneau : Oui, dans une certaine mesure en tout cas. Il était évident qu’il y aurait des représailles, mais un principe cardinal du régime iranien est d’éviter une confrontation directe et totale avec Israël. Ils peuvent pousser, provoquer, mais ce régime est rationnel et sait qu’une guerre de grande ampleur pourrait mener à sa perte. C’est ainsi qu’il faut comprendre le fait que l’Iran ait donné le temps à Israël et à ses alliés de se préparer à l’attaque.
Mais il y a malgré cela une véritable surprise liée à l’ampleur de la riposte. Avec le recul, il est tentant de juger que tout s’est finalement bien déroulé parce que l’Iran avait télégraphié son geste à l’avance. Mais c’est une illusion rétrospective.
En dépit de la performance de la défense aérienne israélienne, avec le lancement de plus de trois cents drones et missiles, il aurait été tout à fait envisageable que quelques-uns s’abattent sur Israël en faisant des dizaines de morts civils. Ce qui aurait probablement modifié toute l’équation actuelle.
Cette offensive iranienne, à la fois sans précédent et cependant limitée dans ses effets, est-elle une démonstration de force ou un aveu de faiblesse du régime des mollahs ?
Les deux : l’Iran est faible et fort tout à la fois. Il dispose d’une force de frappe réelle, que ce soit depuis son territoire ou par l’intermédiaire des groupes armés non étatiques dont il est proche, que ce soit au Liban, en Syrie, en Irak ou au Yémen. Cela lui donne une capacité d’action et de dissuasion asymétrique mais importante.
Mais l’Iran est par ailleurs dans une problématique économique très difficile, avec une situation domestique explosive et, au niveau militaire conventionnel, une situation de grande faiblesse vis-à-vis de ses adversaires.
Militairement, l’Iran ne pourrait pas tenir tête ?
En cas de scénario de guerre ouverte et totale, la marine iranienne ne tiendrait guère face à la marine américaine. Et c’est pareil pour la maîtrise du ciel. Les chasseurs iraniens seraient bien incapables de résister longtemps aux avions israéliens et américains. L’intérêt de l’Iran est donc de rester dans un conflit hybride et asymétrique plutôt que de se retrouver dans une guerre conventionnelle ouverte.
L’affrontement entre l’Iran et Israël peut-il en rester là ?
La réponse est difficile, car la situation est volatile. En simplifiant, nous sommes face à trois scénarios possibles. Soit Israël ne répond pas, ce qui est peu probable, parce que cela enverrait un message de faiblesse sans doute impossible après le 7 octobre. Soit Israël se lance dans une réponse à grande échelle, qui mènerait à une escalade régionale alors inévitable.
C’est un scénario qu’il est impossible d’exclure, même si le plus probable demeure une réponse qui se situerait entre ces deux extrêmes, sous forme d’assassinats ciblés et de cyberattaques notamment. Ce n’est pas un scénario harmonieux et ce n’est pas non plus le seul possible.
Quelle lecture faites-vous de la stratégie américaine ? N’y a-t-il pas a minima une contradiction entre le fait d’appeler Israël à la retenue, que ce soit à Gaza ou vis-à-vis de l’Iran, tout en lui fournissant des armes pour mener les guerres et en lui garantissant une protection militaire inébranlable ?
Les États-Unis essayent effectivement de trouver un équilibre entre des priorités qui s’avèrent contradictoires, pour ne pas dire exclusives. Au sommet de la hiérarchie des priorités se trouve la volonté d’éviter une guerre totale et de maintenir une stabilité de la région.
Mais en affirmant aussi, par les paroles et par les actes, leur soutien militaire inébranlable à Israël, les États-Unis prennent le risque qu’Israël considère ce soutien indéfectible comme un feu vert pour une intensification des affrontements.
Certes, l’administration Biden a affirmé que les États-Unis ne se tiendraient pas aux côtés d’Israël en cas de représailles majeures. Mais Israël sait aussi qu’en cas de scénario de guerre totale, les États-Unis seront là.
Il existe une véritable tension entre ce soutien indéfectible à Israël et cette volonté d’éviter une guerre plus intense, qu’il est plus facile de gérer dans des contextes moins incendiaires que celui que nous vivons aujourd’hui.
Avez-vous été étonné de la coalition de pays occidentaux, mais aussi arabes, qui se sont engagés dans la défense d’Israël face à l’Iran le week-end dernier ?
La coopération militaire que l’on a vue alors préexistait à l’attaque iranienne. Mais il faut sans doute opérer une distinction entre le soutien des pays occidentaux et la participation de pays arabes. La France, les États-Unis ou la Grande-Bretagne ont toujours soutenu Israël, surtout face à l’Iran, et il n’est pas étonnant que ces pays soient intervenus, en dépit de l’insatisfaction qui pouvait être exprimée, notamment en Grande-Bretagne, vis-à-vis de la façon dont Israël mène la guerre à Gaza.
L’implication de pays arabes auprès d’Israël s’inscrit dans une dynamique plus large. Jusque-là, on pouvait distinguer trois catégories de pays arabes en fonction de leur attitude envers Israël. Ceux qui, comme la Jordanie et l’Égypte, ont signé un traité de paix avec ce pays. Ceux qui ont signé des accords de normalisation, soit les Émirats arabes unis, le Bahreïn et le Maroc. Et ceux qui, sans avoir signé d’accord formel, étaient de facto en train de normaliser leurs relations avec Israël, en premier lieu l’Arabie saoudite.
Cette tendance à la normalisation a peut-être été gelée par la guerre à Gaza, mais il me semble qu’elle reprendra quand la poussière sera retombée, parce que les États-Unis poussent à cela et parce que l’Iran constitue une menace commune. Pour les dirigeants saoudiens, l’Iran permet aux Houthis d’agir en mer Rouge contre leurs intérêts.
Vous montrez cependant, dans un article récemment traduit en français par le site Orient XXI, que l’Iran et les Houthis, tout en étant alliés, ne poursuivent pas exactement les mêmes buts…
L’Iran et les Houthis sont très proches, mais ces derniers ont une tolérance au risque plus élevée que l’Iran. Ils se permettent ainsi de mener une politique très agressive en mer Rouge. On se retrouve dans une situation où un petit groupe armé non étatique est en mesure d’obstruer l’une des principales artères du commerce mondial. L’Iran regarde cette situation avec une forme de nervosité.
Comment comprendre que l’Iran ait attaqué Israël depuis son propre sol et pas par l’intermédiaire des groupes armés non étatiques alignés sur lui ? Cela peut-il être le signe de divergences entre l’Iran et ses « proxies », comme on les appelle ?
On ne peut aujourd’hui que spéculer là-dessus. Une réponse possible est que le régime iranien voulait ainsi envoyer un message plus fort. Une autre est qu’effectivement, dans un contexte où le Hamas n’est plus en mesure d’agir, où les Houthis se font frapper durement par les États-Unis, il était important de préserver le Hezbollah, qui aurait subi d’importantes représailles par Israël s’il s’était chargé de l’attaquer.
Incapable de trouver une sortie de crise à Gaza, le premier ministre israélien ira-t-il jusqu’à exposer le Proche-Orient à une nouvelle guerre plutôt que de laisser à d’autres la tâche d’assurer la sécurité et l’avenir d’Israël par la négociation avec ses voisins ?
BenyaminBenyamin Nétanyahou résistera-t-il à la tentation de réaliser enfin l’un de ses rêves les plus chers : entraîner les États-Unis, leurs alliés européens et quelques monarchies arabes « modérées », c’est-à-dire proches de Washington, dans une intervention militaire destinée à détruire le programme nucléaire iranien ? Ou bien va-t-il se contenter de frappes aériennes de l’aviation iranienne contre des intérêts stratégiques de Téhéran en Iran ou à l’étranger ? Ou encore demander au Mossad de lancer, comme au début des années 2000, des opérations de cybersabotage contre les installations iraniennes d’enrichissement d’uranium ?
Il pourrait estimer que son obsession proclamée de maintenir face à la République islamique une capacité de dissuasion indiscutable a été satisfaite par l’échec spectaculaire de l’offensive aérienne lancée dimanche contre Israël par Téhéran. Selon le décompte des militaires israéliens, 99 % des vecteurs – drones, missiles de croisière, missiles balistiques – en provenance d’Iran ont été interceptés et détruits par la défense antiaérienne israélienne et celles de ses alliés avant d’atteindre leurs cibles.
L’un des seuls qui ait franchi le barrage visait apparemment la base de Nevatim près de Be’er Sheva, au nord du Néguev, d’où décollent les chasseurs-bombardiers furtifs F-35 utilisés par l’armée de l’air israélienne. Les silos des F-35, selon l’état-major, ont échappé au projectile iranien, dont la principale victime est une fillette blessée par des éclats dans un village bédouin voisin de la base. Mais, manifestement grisé par le nouveau statut de son pays, redevenu un État-victime, objet de la solidarité des démocraties après avoir connu un réel isolement diplomatique et frôlé la situation de paria en raison des crimes commis par son armée depuis six mois dans la bande de Gaza, le premier ministre israélien semble résolu à suivre les suggestions de ses ministres les plus extrémistes.
Les nationalistes religieux Itamar Ben Gvir et Bezalel Smotrich, colons messianiques qui entendent expulser les Palestiniens, sont ainsi partisans d’une « guerre régionale ». Au cours de ses dernières réunions, le cabinet de guerre israélien aurait donné son feu vert au premier ministre, favorable, comme son état-major, à une « réponse militaire » d’Israël à l’attaque iranienne. « L’Iran devra affronter les conséquences de son attaque », a simplement prévenu le général Herzl Halevi, chef d’état-major de l’armée.
Cela malgré les pressions de nombreux alliés, amis et partenaires d’Israël, y compris Washington, Londres, Paris et Amman qui ont participé dimanche à la détection et à l’interception de l’attaque iranienne, et qui plaident pour une désescalade des tensions, entendant éviter l’explosion d’une guerre régionale. Guerre que le régime de Téhéran ne semble pas souhaiter non plus.
En effet, tout en multipliant les rituelles menaces de « douloureuses représailles » en cas de nouvelle agression israélienne – menaces assez peu crédibles, compte tenu du contexte –, les dirigeants iraniens ont répété que pour eux, ce dossier était désormais « clos ». Les prochains jours ou les semaines à venir permettront de vérifier si Nétanyahou a été finalement sensible aux requêtes des alliés d’Israël ou s’il a décidé de céder, une fois encore, à ses alliés extrémistes, de qui dépend la survie de sa coalition. C’est-à-dire son maintien au pouvoir.
Cet affrontement israélo-iranien confirme en tout cas la curieuse conception « amnésique » de l’histoire improvisée par Nétanyahou et ses partisans pour défendre leurs positions ou leurs actes lorsque la chronologie et la réalité des faits les desservent. Dans la guerre de Gaza contre le Hamas, le premier ministre et ses communicants ont pratiquement imposé une vision selon laquelle le conflit entre les habitants de l’enclave et Israël a commencé le 7 octobre 2023 avec l’attaque terroriste du Hamas et de ses alliés contre les villages, fermes et kibboutz des environs. Comme un éclair d’orage dans un ciel bleu. C’est-à-dire comme si la bande de Gaza n’avait pas été, depuis 1967, avec la Cisjordanie et Jérusalem-Est, un territoire militairement occupé et colonisé, évacué en 2005, mais transformé en prison à ciel ouvert par le blocus militaire israélien.
Perte de mémoire
Car depuis près de vingt ans, une barrière terrestre, jalonnée de mitrailleuses automatiques, réputée, jusqu’au 7 octobre 2023, infranchissable, suit la frontière avec Israël. Une autre double la frontière égyptienne. Le rivage, étroitement surveillé par la marine israélienne, est inaccessible. L’aéroport international détruit en 2002 par l’armée israélienne est inutilisable. Sans débouchés, l’activité agricole et industrielle de l’enclave, victime en outre de l’incompétence, de la corruption et de l’incurie du Hamas, est réduite à néant ou presque. Le taux de chômage, selon l’Organisation internationale du travail (OIT), dépasse les trois quarts des actifs. La population est maintenue en survie par l’aide internationale, acheminée et distribuée par les agences de l’ONU.
Jusqu’à la guerre, une « perfusion routière » de 500 camions quotidiens assurait cette mission. Le Programme alimentaire mondial estimait, au début de l’année, que le volume autorisé était descendu à 150 camions quotidiens et qu’il faudrait au moins le doubler pour répondre aux besoins les plus basiques du territoire. Il y a deux semaines, selon l’ONU, près de 2 millions de personnes, sur une population de 2,3 millions, étaient au bord d’une famine dévastatrice. Israël, « puissance occupante », en porterait, selon les conventions de Genève, la responsabilité. Selon l’OMS, près de 600 000 cas d’infections respiratoires aiguës ont été recensés, ainsi que plus de 310 000 cas de diarrhée dus au manque d’eau potable.
Ce sont, semble-t-il, ces informations sur la situation humanitaire qui auraient convaincu Joe Biden de ne pas mettre son veto à la dernière résolution du Conseil de sécurité des Nations unies exigeant un cessez-le-feu immédiat à Gaza. Et cela, alors que depuis la création d’Israël en 1948, les États-Unis l’avaient utilisé à 46 reprises pour empêcher le vote de textes condamnant la politique de leur allié et protégé. Mais pour Nétanyahou et ses conseillers, le traumatisme du 7 octobre efface à la fois le présent et le passé.
Le présent, c’est cette « guerre totale » où les civils paient le plus lourd tribut, chassés de leurs domiciles détruits et condamnés à fuir au milieu des décombres, terrorisés et affamés. Le passé, ce sont les humiliations, les frustrations et les révoltes nées d’un demi-siècle d’occupation et de vingt-cinq ans d’enfermement. Humiliations, frustrations et révoltes qui, sans excuser la sauvagerie du 7 octobre, peuvent aider à en analyser les causes. À supposer qu’on s’y intéresse. Ce qui n’était pas le cas de Nétanyahou. Et ne semble pas être celui d’une majorité d’Israéliens, convaincus aujourd’hui plus que jamais d’avoir raison contre « les Arabes » puisque « ce sont eux qui ont attaqué ».
« Menace existentielle » sur Israël
Le même « oubli » de la réalité chronologique, pourtant récente, donne l’impression qu’Israël a été victime, dans la nuit du 13 au 14 avril, d’une attaque surprise de l’Iran. Alors qu’il s’agissait d’une frappe de représailles de la République islamique après une attaque initiale lancée le 1er avril par l’aviation israélienne contre une dépendance de l’ambassade d’Iran à Damas, au cours de laquelle sept officiers supérieurs de l’armée iranienne – parmi lesquels Mohammad Reza Zahedi, commandant de la force Al-Qods des Gardiens de la révolution pour la Syrie et le Liban – avaient été tués.
Avec la grandiloquence menaçante qu’on leur connaît, plusieurs dirigeants iraniens avaient prévenu que la frappe aérienne israélienne du 1er avril ne resterait pas impunie. Et que, compte tenu de la nature de l’agression, qui avait visé un site diplomatique, la riposte viendrait probablement du territoire iranien lui-même, et non de l’un de ses alliés régionaux irakien, yéménite ou libanais. Avancer que cette menace avait surpris Nétanyahou serait audacieux. Le premier ministre israélien l’avait visiblement anticipée, sinon espérée, en validant l’ordre d’éliminer les militaires iraniens.
D’abord parce qu’elle lui donnait l’occasion de souligner la « menace existentielle », son leitmotiv, que représente l’Iran pour Israël. Ensuite et surtout parce qu’elle détournait l’attention domestique et internationale du conflit avec le Hamas où sa situation devient chaque jour plus inconfortable. Et son attitude de moins en moins lisible et admissible à l’intérieur comme à l’étranger.
Incapable d’obtenir la libération des otages toujours aux mains des terroristes et de concevoir, après six mois de guerre, le moindre scénario de sortie de crise, accusé par son principal allié et protecteur historique, l’administration américaine, d’accumuler « les erreurs » dans sa conduite du conflit, accusé par la majorité de la communauté internationale de maintenir la population civile de Gaza dans une situation humanitaire catastrophique, il se retrouve aujourd’hui dans une précarité politique inédite, face à une crise sans issue.
Car il est clair aujourd’hui que la fin des combats signera aussi la fin de ce gouvernement. Et probablement aussi la fin de la carrière politique du premier ministre, dont des manifestations de plus en plus fréquentes et importantes réclament la démission immédiate. Son impopularité a atteint un niveau inédit. Comme si, à la colère des foules qui lui reprochaient sa corruption et son autoritarisme, s’ajoutaient la fureur de ceux qui l’accusent aujourd’hui de n’avoir pu éviter cette guerre et, surtout, l’incapacité d’en assumer les objectifs proclamés : éradiquer le Hamas et libérer les otages. « Dans nos relations avec nos voisins, écrivait en 2006, à propos d’une précédente crise de Gaza, l’éditorialiste Akiva Eldar, la force est le problème, pas la solution. »
Dix-huit ans plus tard, le constat reste exact. Mais on peut y ajouter, selon un ancien ministre, que « Nétanyahou aussi est le problème, pas la solution ». Depuis son retour au pouvoir en novembre 2022 – dénoncé chaque week-end par des manifestations massives comme une menace pour la démocratie, en raison de ses projets de réforme de la justice destinés à le sauver de ses propres ennuis judiciaires tout en transformant l’État d’Israël en régime autoritaire illibéral inspiré du modèle hongrois –, Nétanyahou a été tout à la fois politiquement sauvé et condamné par l’attaque terroriste du Hamas.
Intérêt personnel ou intérêt de la nation ?
Sauvé, parce que le carnage auquel se sont livrés les combattants islamistes – 1 200 morts, des centaines d’Israéliens pris en otage – a provoqué au sein de la société un traumatisme d’une ampleur inédite dans l’histoire du pays, suscitant un désir de vengeance qui a littéralement submergé le champ politique, engloutissant tous les débats dans une union sacrée autour d’une armée tout à coup redevenue le bouclier et le glaive du peuple. Situation dont Nétanyahou, politicien roué et démagogue sans scrupule, a su tirer un maximum de profit avec un cynisme à toute épreuve en adoptant la panoplie bon marché et le discours simpliste du chef de guerre.
Mais le coup de force du Hamas l’a aussi condamné, car les Israéliens ont vite appris que le mouvement islamiste devait beaucoup au premier ministre. Parce que Nétanyahou, qui pensait pouvoir gérer le conflit israélo-palestinien plutôt que de le résoudre en acceptant la création d’un État de Palestine – ce qu’il refuse depuis toujours –, a favorisé le développement du Hamas pour affaiblir le Fatah et l’Organisation de libération de la Palestine. Au point de tolérer et d’organiser le financement du mouvement islamiste par le Qatar, via Israël.
Et il y a pire : si le carnage du 7 octobre a eu lieu, c’est aussi parce que certaines des unités chargées de protéger les localités, fermes et kibboutz voisins de Gaza, avaient été transférées en Cisjordanie pour assurer la sécurité des colons. Les informations inquiétantes recueillies peu avant le 7 octobre par les postes de surveillance ou les unités de renseignement basées à la périphérie de Gaza ont été systématiquement minorées, négligées, voire ignorées, selon les militaires, par « l’échelon politique supérieur ». Et ce pour ne pas contredire les options stratégiques du premier ministre qui reposaient sur deux piliers majeurs : l’amélioration de la vie quotidienne à Gaza, qui devrait détourner les habitants de leurs rêves d’indépendance et de leur contentieux avec Israël ; le déséquilibre des forces militaires entre Israël et le Hamas qui constituerait une dissuasion décisive pour le cas où les incitations économiques ne suffiraient pas à apaiser les ardeurs nationalistes des Gazaouis.
On sait depuis le 7 octobre que ces options stratégiques ont débouché sur un désastre que beaucoup d’Israéliens comparent aujourd’hui à l’humiliation de la guerre de Kippour, il y a cinquante ans. Avec une différence de taille : contrairement au conflit de 1973, la guerre de Gaza, comme le note l’ancien commandant de la marine et directeur du Shin Bet (le renseignement intérieur) Ami Ayalon, est devenue « un objectif ». Une nécessité inévitable, sans issue prévisible, dont les buts réels se confondent avec ceux, personnels et politiques, de Nétanyahou : éviter d’avoir à répondre devant le tribunal des accusations de corruption portées contre lui, empêcher la reprise des manifestations massives contre les projets de son gouvernement, faire obstacle à l’organisation d’élections anticipées.
La question qui se pose aujourd’hui est peut-être de savoir si le premier ministre ira jusqu’à exposer le Proche-Orient à une nouvelle guerre et à une déstabilisation majeure plutôt que de quitter le pouvoir et laisser à d’autres la tâche d’assurer la sécurité et l’avenir d’Israël par la négociation avec les voisins et non par la vaine tentation du recours aux armes
Les guerres récentes ont marqué le retour de l’artillerie classique, des mines, des blindés, des bombardements, des tranchées, des tunnels… Elles sont surtout aujourd’hui, sur le plan aérien, le terrain de jeu des drones, engins sans pilote le plus souvent armés : vecteurs essentiels des attaques sur le théâtre russo-ukrainien depuis deux ans, ils ont été le principal instrument de l’attaque iranienne contre le territoire israélien dans la nuit du 13 au 14 avril 2024.
John Johnston. — « Drone Warfare Decoration » (décoration avec guerre de drones), 2015.
https://www.jjprojects.com/
Alors qu’au début des années 2000, une poignée seulement de pays — dont les États-Unis et Israël — étaient capables d’en fabriquer et d’en utiliser, les drones armés sont aujourd’hui en dotation dans quatre-vingt armées dans le monde. Il en existe plusieurs centaines de modèles, des nano-drones de quelques dizaines de grammes à des aéronefs aussi imposants que des chasseurs ou avions de ligne.
Ces machines, dans leur version d’observation ou reconnaissance, présentent les avantages de « l’œil déporté » : un gain de temps, d’énergie, de personnel — puisque sans pilote à bord ; des capacités de visionnage, de captation d’image ; la possibilité de transporter des charges, y compris bien sûr d’armes ou projectiles.
L’usage de ce qui est sous sa forme légère une « arme des pauvres, du faible au fort » a eu tendance à se banaliser. On peut fabriquer son drone en kit, et militariser aisément un engin acheté dans le commerce pour quelques dizaines ou centaines d’euros, qui peut ensuite s’attaquer à des cibles de haute valeur : blindés, chars, systèmes radar, etc. On peut aussi multiplier ces armes, et envisager des attaques en essaim, pour saturer les défenses de l’adversaire, et avoir une chance de les franchir.
Flop militaire, coût majeur
Outre les grandes puissances et le petit Israël — qui avaient une longueur d’avance — des pays comme la Turquie, l’Iran, l’Inde se sont lancés avec efficacité dans l’industrie du drone. Une vingtaine de Bayraktar turcs équipés de missiles à guidage laser — 5 millions de dollars l’unité, tout de même, pour ces vrais avions sans pilote — ont aidé l’armée ukrainienne à contenir les colonnes blindées lancées vers Kiev par Vladimir Poutine en 2022. De leur côté, les forces russes ont recouru plutôt aux Shahed iraniens, plus légers, plus nombreux, mais lents et vulnérables — les mêmes qui ont été lancés par les gardiens de la révolution de Téhéran le 13 avril dernier en direction d’Israël.
Une attaque spectaculaire, qualifiée d’ailleurs « d’historique », mais qui a été un « flop » sur le plan militaire : 99 % des 300 drones kamikazes et missiles balistiques ont pu être interceptés dans les espaces aériens irakien, jordanien ou israélien, selon le porte-parole de l’armée israélienne — avec l’appui discret des dispositifs antimissiles américain, britannique, jordanien et français installés dans la région, et grâce à l’efficacité des moyens de défense israéliens. Il s’agit du système antimissiles Arrow, et du « Dôme de fer », réseau d’intercepteurs de roquettes et drones déployé dès 2010 par les Israéliens, puis étendu et modernisé avec l’appui américain.
Trois missiles balistiques seulement ont pénétré samedi 13 en territoire israélien, l’un d’entre eux touchant la base militaire aérienne de Nevatim, sans provoquer de dégâts importants. Mais non sans un prix élevé pour Israël : selon le général de brigade Reem Aminoach, ancien conseiller financier du chef d’état-major de l’armée israélienne, cité le 15 avril par la chaîne i24NEWS, le coût total de la contre-attaque atteindrait 4 à 5 milliards de shekels (soit 1 à 1,3 milliard de dollars).
Bricolages ukrainiens
Précurseur en matière de production de drones autant que de dispositifs anti-drones, Israël a utilisé différents types d’engins dans sa guerre menée depuis octobre 2023 à Gaza contre le Hamas, à la fois pour une observation permanente des champs de bataille, l’exploration de tunnels, ou la détermination de cibles (1). De leur côté, les militaires ukrainiens n’ont cessé d’innover dans ce domaine, bricolant les drones civils, établissant des réseaux de capteurs sonores, perfectionnant les techniques de brouillage ou de « shooting ». Les Russes, déstabilisés dans un premier temps, semblent s’être remis à niveau ces derniers mois.
Lire aussi Philippe Leymarie, « La guerre en Ukraine, grand accélérateur de l’armement mondial », Le Monde diplomatique, janvier 2024.
Déjà, en 2019, la Turquie avait mené des attaques coordonnées de drones dans le nord de la Syrie. La même année, des raffineries d’Aramco en Arabie saoudite avaient subi l’attaque d’une vingtaine de drones, attribuée à l’Iran. Alliées à Téhéran, les milices houthistes du Yémen recourent aux drones iraniens : depuis le début de la guerre à Gaza, consécutive à l’attaque du Hamas, les houthistes ont ouvert un nouveau front en mer Rouge (2) où ils ciblent les navires de passage, entravant une partie du commerce mondial. En 2020, lors du conflit dans le Haut-Karabakh, l’Azerbaïdjan a fait usage d’essaims de drones bon marché contre l’Arménie (3)… avant l’attaque iranienne de ces derniers jours contre Israël.
Opération rattrapage
Les Européens, partis tard dans la course aux drones militaires, notamment sur le segment des drones MALE (moyenne altitude, longue endurance), se sont le plus souvent équipés « sur étagère » : les Allemands auprès d’Israël ; la France côté américain, en acquérant une douzaine de systèmes Reaper, voués à l’observation sur grande échelle, puis armés. Ces drones de la taille d’un avion (20 mètres d’envergure), très endurants (vingt-quatre heures en l’air), sont équipés entre autres de missiles Hellfire (4). Le ministre français des armées, Sébastien Lecornu, reconnaît un « fâcheux retard français », en matière de drones, mis sur le compte des « mauvaises décisions prises il y a dix ou quinze ans », qui ont donc conduit à dépendre des Américains.
Lire aussi Gilbert Achcar, « Moins de troupes, plus de drones », Le Monde diplomatique, novembre 2021.
Sur la période allant de 2014 à 2030, la France devrait cependant consacrer 5 milliards d’euros à un rattrapage sur les drones pour les trois armes. L’armée de terre est déjà en voie de « dronisation » avancée : elle possède actuellement 2000 engins de tous types, et devrait en utiliser 3000 à partir de l’an prochain. Il s’agit de disposer de capacités d’observation et reconnaissance, d’aide à la désignation de cibles, voire de vecteurs de frappes. La panoplie va du plus petit au plus grand : le « drone du combattant » (comme le Black Hornet 3 de 33 grammes, transportable à la ceinture), le drone « spécialisé » par exemple en renseignement (comme le SMDR de Thalès, 15 kilogrammes, envergure de 4 mètres, autonomie de deux heures et demie), jusqu’au « drone du commandement » (comme le Patroller de Safran, opérationnel l’an prochain — « avec lequel nous pourrons quasiment lire l’ordre de bataille de l’adversaire sur plusieurs dizaines de kilomètres », assure le chef de corps du 61e régiment d’artillerie, expert dans la captation et l’exploitation du renseignement d’origine image). Une partie des drones reçus au titre de la commande spéciale passée par le ministère français des armées le mois dernier à la société Delair, fabricant toulousain de mini-drones, sera transférée aussitôt à l’armée ukrainienne.
Les ambitions de la marine nationale paraissent plus limitées. Trois modèles sont à l’étude depuis des années : un drone-hélicoptère de taille moyenne, un drone aérien de petite taille, et un système de drone sous-marin antimines. Ils ne seront pas en service avant plusieurs années, et devront être complétés — en ce qui concerne les fonds marins — par l’achat d’un système sur étagère. Un équipement plus rapide et plus conséquent aurait permis de ménager les frégates modernes — très performantes, mais coûteuses, massives, et vulnérables — en décentralisant capteurs et effecteurs ; ou encore d’assurer une présence renforcée sur les vastes espaces maritimes outre-mer, notamment autour des territoires du Pacifique, y compris sous la forme de postes non habités, gérés à distance (5).
Quant à l’armée de l’air, rivée aux Mirage et Rafale de Dassault, elle s’est refusée à lâcher les commandes au profit d’appareils sans pilotes, jusqu’à devoir fournir sur le tard les équipages de conduite des Reaper acquis en urgence aux États-Unis, pour contribuer aux opérations en Afrique.
Pire cas de figure
Lire aussi Grégoire Chamayou, « Drone et kamikaze, jeu de miroirs », Le Monde diplomatique, avril 2013.« Il est quasiment impossible de se défendre contre les drones », considère Thierry Berthier, directeur scientifique, en France, de la Fédération des drones de sécurité, pour qui ces engins, de plus en plus accessibles et adaptables, ont une efficacité redoutable : « Pour des attaques “simples” impliquant un nombre limité de drones, il existe, bien sûr, des systèmes de détection d’intrusion d’un drone dans un espace protégé (aéroports, stades, etc.), puis de brouillage de son système de navigation, ou de destruction de l’appareil. Mais, certaines attaques dites « en essaim », qui consistent à envoyer plusieurs dizaines — voire plusieurs centaines — de drones dans de multiples directions, sont quasiment imparables. Au-delà de trente drones, il devient compliqué de se défendre ».
C’est un des pires cas de figure envisagés dans le cadre de la préparation aux Jeux olympiques (JO) qui se dérouleront à Paris à compter du 26 juillet prochain. Les armées ont prévu un dispositif lourd durant un mois, notamment les phases d’ouverture et de conclusion de l’événement : un système de détection et de commandement aéroporté (SDCA, en anglais AWACS), ainsi qu’un appareil ravitailleur, des chasseurs Rafale ou Mirage en vol et au sol, des filets de batteries sol-air en couverture, des hélicoptères en alerte avec tireurs d’élite, le déploiement des commandos de gendarmerie (GIGN (6)) et de police (RAID (7), BRI (8)), et la mobilisation de toutes les techniques anti-drones : tirs à vue, fusils-brouilleurs, système d’identification Bassalt (Aéroports de Paris), Milad (radar à capacité de brouillage), ou Radiant (recherche et neutralisation, utilisé par la Préfecture de Police), ainsi que le dispositif Parade, construit par Thalès, qui n’aurait d’ailleurs pas atteint les « performances nominales » au cours de plusieurs tests à la mi-mars, à Paris et à Marseille, suscitant l’inquiétude de sénateurs (9).
La seule armée de l’air mobilisera deux mille militaires durant un mois. Elle sera chargée, assure son chef d’état-major, le général Stéphane Mille, de la coordination de la lutte anti-drones à l’échelon interministériel, afin de disposer en permanence d’une « situation drone » globale, et de pouvoir, le cas échéant, « déléguer des règles d’engagement pour détecter, identifier, brouiller, intercepter ou détruire des engins malveillants ». De son côté, le général Ghislain Rety, qui commande le GIGN, précurseur dans la lutte anti-drones, s’affirme « optimiste » à l’approche des JO, tout en admettant… « se préparer au pire »
Tout le monde pense que l'Iran a offert l'occasion tant recherchée par Israël pour coudre ses déchirures sociales, régénérer ses soutiens et regagner l'opinion publique internationale. Il aurait de ce fait, pensent certains, décrédibiliser tous les gains qu'avait engrangés l'affaire palestinienne depuis le déluge d'El Aqsa. Alors que la contre-attaque était mûrement mesurée, sobre et nécessairement appropriée. L'avenir le dira. Le branle-bas de combat secoue, cependant, les capitales des puissances de ce monde en manque d'équilibre, notamment celles du camp occidental. Des conseils de guerre aux sommets de tous les G, le menu n'est que l'étude du meilleur mode de tuer des gens, de la bonne formule à garder le guidon de l'univers. Croyez-vous que ces conciliabules se tiennent pour résorber la faim dans le monde ou répandre les valeurs de paix et de justice là où elles font défaut, où venir au secours des peuples colonisés ou au moins faire cesser le feu à Ghaza, qui, mortellement, brûle toujours ? Ils sont sensiblement alertes à la moindre action pourtant légitime, d'une part, lorsqu'elle constitue à leurs yeux une menace tant pour leurs intérêts que pour la suprématie de leur hégémonie. Ils veulent tout régenter. Tous leur doivent servilité et obéissance. Les peuples pauvres, les pays sous-développés, les États qui accusent d'immenses retards technologiques qui ne couvrent pas leurs besoins alimentaires, qui ne fabriquent pas leur propre arsenal militaire, qui ne peuvent assurer une totale indépendance pharmaceutique et médicale sont voués, mains liées, bouche cousue, aux desiderata des maîtres du monde. Il sera ainsi, tant que ces pays, ces damnés de la terre, n'auront pas à s'affranchir de toute obédience et ne valoriseront pas les potentialités dont regorgent leurs sociétés sur le plan humain ou en ressources des règnes minéral, animal et végétal indispensable à tout progrès. Ils ont tout. Des sources énergétiques à la force des muscles en main-d'œuvre. Seulement, c'est ce savoir qui leur fait hélas défaut. Ou bien ce refus ou cette indifférence à vouloir le mettre en œuvre et qui ne doit qu'exister chez eux, chez leurs citoyens. Les plus grands innovateurs contemporains proviennent justement des pauvres pays. Sinon pourquoi parle-t-on de la fuite des cerveaux ? L'Iran, malgré l'embargo imposé par les États-Unis depuis plus de 30 ans, ne s'est pas contenté d'agir par voie de résignation, il a pris sa destinée avec l'acharnement de ses savants, de ses chercheurs. Il n'importe rien. Tout est local. Du scanner à l'IRM, du Doliprane à l'insuline, du tank au missile, du nucléaire au gaz rare. Rien ne leur manque. Il valide ainsi l'équation magique que d'un espace, d'une ressource et d'un homme savant on peut tout créer. Et le voilà maintenant qui tient tête, sinon cause un casse-tête à la plus grande puissance mondiale et à son fils adultérin semé à ses proximités. Avec cette attaque-réponse, l'Iran s'est essayé, à son honneur, à opérer un rééquilibrage dans le rapport de force régional. Même en lançant des pétards dans le ventre du dôme de fer. Il dit ne pas choisir la guerre mais si elle s'impose, il n'est que finement prêt à la conduire. Il semble détenir les moyens et les aboutissants à toute éventuelle offensive, affirmant que, cette fois-ci, la réplique ne saurait être un coup de vent ou une frappe de panique. A ce stade d'escalade, l'Iran ne joue pas. Ce ne sont pas les deux mille kilomètres qui le séparent d'Israël qui vont le faire fléchir. La technologie réduit les distances et raccourcit le temps.
L’attaque de l’Iran contre Israël dans la nuit du 13 au 14 avril est venue en réponse au bombardement de son consulat à Damas le 1er avril qui a fait 16 morts, dont des officiers des Gardiens de la révolution. Cette opération soulève plusieurs questions sur la stratégie de Téhéran et de ses alliés dans la région, mais aussi de la Jordanie, ainsi que sur le degré d’autonomie d’Israël par rapport au parapluie américain.
En utilisant plus de 200 drones et une centaine de missiles pour attaquer Israël dans la nuit du 13 au 14 avril, l’Iran envoie un message clair. Si les frappes israéliennes contre ses forces, ses centres militaires et ses sites d’approvisionnement en Syrie ne sont pas nouvelles, le ciblage de sa mission consulaire et diplomatique — protégée par les Conventions de Vienne de 1961 et 1963 — constitue une ligne rouge. Cela explique sa réponse militaire et peut en appeler d’autres, plus élaborées si nécessaire, dirigées directement depuis la République islamique ou par l’intermédiaire d’alliés régionaux et de milices loyales en Irak, en Syrie, au Liban et au Yémen.
En marge de cette même attaque, l’Iran a toutefois clairement indiqué qu’il tenait à éviter une guerre totale avec Israël, et bien sûr avec son allié américain. Annoncée en amont, sa riposte n’avait pas pour but d’infliger à Israël des dégâts considérables ni des pertes humaines qui justifieraient une nouvelle confrontation. Tel-Aviv, Washington et leurs alliés ont eu le temps d’abattre la plupart des 300 drones et missiles détectés sans surprise en provenance du territoire iranien. Après ces représailles, l’Iran tente donc de revenir aux règles d’engagement1 dont les termes ont été violés lors du bombardement contre le consulat. Il a répondu par une démonstration de force dans le ciel de la région, mais sans pertes israéliennes au sol.
PRUDENCE AMÉRICAINE
De son côté, Israël cherche à profiter de la situation pour détourner l’attention de sa guerre génocidaire en cours à Gaza et de ses crimes en Cisjordanie. Il espère aussi mobiliser un nouveau soutien occidental dont il a récemment perdu une partie, ou du moins l’unanimité. Il demeure qu’après cette attaque, Tel-Aviv risque de voir sa liberté de mouvement considérablement réduite dans la région — c’est-à-dire en dehors de la Palestine —, alors que les frappes militaires avaient jusque-là lieu sans crainte de représailles. Cette nouvelle donne devrait le pousser à renforcer sa coordination avec les Américains avant de lancer de nouvelles attaques contre Téhéran.
Ceci nous amène à une autre observation : les États-Unis, ne veulent pas d’une escalade régionale de grande ampleur pendant une année d’élection présidentielle et dans un contexte international très tendu. Ils ont montré qu’ils étaient prêts à défendre la « sécurité d’Israël » sur le terrain. Néanmoins, les annonces de Biden à Nétanyahou montrent que Washington ne souhaite pas participer à de futures opérations israéliennes. La Maison blanche préfère que Tel-Aviv s’abstienne de réagir et ne cherche pas à impliquer les États-Unis. Les recommandations américaines consistent à rester dans les limites de la confrontation qui ont précédé l’attaque du consulat, et à bien anticiper les conséquences de chacune des opérations à venir.
La situation actuelle met également le Hezbollah, principal allié de l’Iran, dans une position très délicate, alors que celui-ci mène une guerre contre Israël à la frontière sud du Liban, depuis le 8 octobre 2023. Tout comme son parrain, le parti chiite libanais ne veut pas d’une guerre totale. Il évite donc d’utiliser son artillerie lourde, uniquement destinée à défendre son existence et le programme nucléaire iranien — dont nul n’est menacé aujourd’hui —, afin de ne pas provoquer des réponses israéliennes dévastatrices. Car l’effondrement économique, les tensions et les divisions politiques internes font que ni le Liban, ni la base du « parti de Dieu » dans le sud ne peuvent assumer une nouvelle guerre contre Tel-Aviv à l’image de celle de 2006. Pourtant Israël augmente progressivement l’intensité de ses attaques. Cela risque d’éroder le pouvoir de dissuasion du Hezbollah, jusque-là garanti par ses missiles et par sa préparation au combat, et de faire glisser la milice vers une confrontation inéluctable.
LE CHOIX DE LA JORDANIE
La dernière observation concerne la Jordanie qui a vu un certain nombre de drones et de missiles iraniens traverser son espace aérien. Le royaume hachémite a participé avec les Américains — ainsi que les Français et les Britanniques — à leur interception. Indépendamment de l’indignation populaire qu’une telle action suscite dans la région, l’initiative jordanienne peut s’expliquer par la crainte d’assister à la transformation de son ciel en une zone ouverte à l’affrontement israélo-iranien. Surtout si l’Iran confie prochainement à des milices irakiennes la mission de lancer des drones depuis la frontière irako-jordanienne. Cette éventualité pourrait affecter la capacité d’Amman à maintenir une marge d’autonomie dans son rôle diplomatique régional, en tant qu’allié des occidentaux et « protecteur des lieux saints musulmans et chrétiens » à Jérusalem. Cela pourrait aussi menacer sa sécurité à un moment où la monarchie est préoccupée par ce qui se passe en Cisjordanie et par les projets de l’extrême droite israélienne de déporter des Palestiniens vers son territoire. En même temps, des doutes persistent — légitimement — sur la capacité et la volonté d’Amman d’attaquer les avions israéliens, si jamais ils pénètrent son espace aérien pour bombarder l’Iran ou ses alliés irakiens.
Les limites du respect par Israël des « recommandations » américaines dans les jours et les semaines à venir restent incertaines. Répondra-t-il à l’attaque iranienne en allant au-delà de ce qui est « acceptable » afin de reprendre l’initiative ? Comment l’Iran réagira-t-il dans ce cas ?
Les complexités s’accroissent et les objectifs des différentes parties s’opposent. D’une part, la droite suprémaciste du gouvernement de Nétanyahou veut étendre la portée de la guerre pour permettre à l’armée et aux colons de commettre davantage de crimes et d’expulsions contre les Palestiniens dans les territoires occupés. D’autre part, le premier ministre israélien voit dans la situation actuelle une opportunité d’affaiblir l’Iran et le Hezbollah. De son côté, Washington fait pression pour contenir la guerre et limiter les dégâts dans la région, mais pas dans la bande de Gaza. Enfin, Téhéran et ses alliés (principalement le Hezbollah) sont contraints de riposter aux frappes israéliennes lorsqu’elles dépassent une certaine limite, sans prendre le risque de transformer la situation en une guerre totale. Si l’on tient compte de tous ces éléments, le risque d’un embrasement sur le terrain dépassant les calculs et les réponses mesurées ne peut être exclu.
Ce qui est certain, c’est que nous sommes dans une phase où la violence et les affrontements — sous diverses formes — se poursuivront encore longtemps. Ils détermineront la suite des événements, que ce soit dans les pays directement concernés ou dans l’ensemble du Proche-Orient.
Sunnites, Chiites, Alaouites, par l’amour du ciel, unissez-vous ! Votre Foi vous impose la même loi : celle de vous unir et non de vous punir. Parce que tout ce qui se passe ici-bas est petit et vous renvoie à l’au-delà de vos appétits. Ressaisissez-vous au lieu d’être insaisissables. Des fuites en avant sans vous soucier de ce qu’il y a devant : l’éternité et non le temps… grand Dieu ! Yémen, Syrie, Liban, Irak, Jordanie, Iran, Égypte, Inde ou Pakistan… Algérie, Maroc ou Tunisie et j’en oublie sont solitaires hélas et malheureusement, mais ils sont censés être solidaires, main dans la main pour revendiquer le même sens du divin… Ils n’ont pas les mêmes intérêts mais ils ont intérêt à avoir les mêmes pour résoudre rien que leurs problèmes d’énergie. Il leur faut une synergie. La division fausse leur vision des choses et remet tout leur potentiel en cause.Après les frappes iraniennes pour répondre au travail de sape des forces israéliennes, Israël a reconstitué autour de lui une coalition païenne, non pour combattre l’Iran mais pour abattre l’Islam. Pour le salut de nos âmes, nous avons tous besoin les uns, des autres.
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