Ciel, l’Iran vient de tomber dans le piège d’Israël avec ses feux d’artifice artificiels et superficiels. Des étoiles scintillantes pour jeter le voile sur les crimes commis par Israël et couvrir son génocide. Israël n’est plus le bourreau mais la victime. Il faut désormais le plaindre au lieu de s’en plaindre. Craindre pour lui, au lieu de le craindre.
En riposte au bombardement de son consulat à Damas, l’Iran a lancé une attaque limitée contre Israël dans la nuit du 13 au 14 avril. Les houthistes yéménites y ont participé et continuent à viser les navires de commerce « ennemis » en mer Rouge. Conscient de sa propre capacité de nuisance et de son inscription dans des enjeux locaux, le mouvement armé Ansar Allah n’est toutefois pas totalement aligné avec les intérêts de la République islamique.
13 août 2019. Le guide suprême iranien, l’ayatollah Ali Khamenei (à droite) rencontre Mohamed Abdel Salam (2e à gauche), porte-parole des rebelles houthistes du Yémen.
Bureau du guide suprême iranien/AFP
La guerre à Gaza a donné aux houthistes, dont le nom en arabe est Ansar Allah, l’occasion de consolider leur pouvoir au Yémen et d’étendre leur influence régionale. Pour atteindre leurs objectifs, ils ont lancé des dizaines d’attaques contre la navigation en mer Rouge. Sur le plan intérieur, cela leur a permis de mobiliser un fort sentiment propalestinien au sein de la population. Au niveau régional, le mouvement a pu s’affirmer comme une puissance émergente. Il a démontré sa capacité et sa volonté d’entraver la navigation dans l’un des principaux goulots d’étranglement du commerce mondial.
Pour comprendre les intérêts et les perceptions de l’Iran concernant la crise en mer Rouge, il est utile d’examiner son approche du Yémen avant l’opération du Hamas le 7 octobre. Pour les dirigeants de la République islamique, la montée en puissance des houthistes constitue une évolution indéniablement positive. Ces derniers sont certes confrontés à des obstacles au niveau national du fait de la situation économique difficile et du mécontentement croissant dans les régions sous leur autorité. Cependant, ils sont sortis de la guerre civile et de l’intervention menée par l’Arabie saoudite depuis neuf ans comme autorité gouvernante de facto dans le nord-ouest du pays, sans concurrent politique ni militaire. Le gouvernement internationalement reconnu reste d’ailleurs, quant à lui, faible et divisé.
LÉGITIMER LE POUVOIR
Le montant exact du soutien financier de l’Iran au mouvement yéménite n’est pas connu, mais il ne dépasse probablement pas quelques centaines de millions de dollars par an depuis 2015. En fournissant aux houthistes des armes légères, des munitions et des pièces détachées pour des armes plus sophistiquées, tels des missiles et des drones, en plus de la formation et des renseignements nécessaires pour les utiliser, l’investissement limité de l’Iran lui a procuré des gains tout à fait significatifs1. C’est en partie grâce à ce soutien que les houthistes sont devenus la puissance dominante au Yémen et un acteur clé de « l’axe de la résistance » — le réseau régional de groupes armés non étatiques guidé par Téhéran.
Le fait que les houthistes aient engagé une escalade militaire en mer Rouge permet à l’Iran de maximiser le rendement de son investissement au Yémen et ne modifie donc pas son calcul global. De son point de vue, la prochaine étape reste la légitimation du pouvoir des houthistes. C’est pourquoi Téhéran soutient un processus politique entre ces derniers et l’Arabie saoudite, dont la République islamique souhaite encourager le retrait. Si ce processus a été mis de côté pour l’instant, il ne fait aucun doute que Riyad souhaite toujours se sortir de sa guerre coûteuse au Yémen. Le résultat en sera inévitablement la consolidation du pouvoir des houthistes et non un processus de réconciliation nationale qui impliquerait une dilution du pouvoir du mouvement contrôlant actuellement Sanaa. Or, au vu de leurs récentes interventions, les houthistes seront en mesure d’obtenir encore plus de concessions de la part de Riyad lorsque les pourparlers finiront par reprendre.
INSTITUTIONNALISATION DE « L’AXE DE LA RÉSISTANCE »
L’émergence des houthistes en tant qu’acteur régional puissant profite également à l’Iran au-delà des frontières du Yémen, en renforçant ses capacités de dissuasion et son aptitude à imposer des coûts à ses rivaux américains, israéliens et saoudiens. Elle indique qu’en plus du détroit d’Ormuz, l’Iran et ses partenaires peuvent perturber la navigation dans un autre point névralgique, le détroit de Bab Al-Mandeb, qui relie le golfe d’Aden à la mer Rouge, et par lequel transite environ 12 % du commerce maritime mondial.
La démonstration par les houthistes de leurs capacités régionales et l’intensification de leurs liens avec d’autres partenaires iraniens, en particulier le Hamas et le Hezbollah, confirment la tendance à l’institutionnalisation de « l’axe de la résistance ». Enfin, la capacité du mouvement yéménite à se positionner en tant que champion de la cause palestinienne renforce le récit porté par ces acteurs issus de différents coins du Proche-Orient. Les houthistes tirent ainsi parti d’une position véritablement populaire au Yémen et dans l’ensemble du monde arabe, au moment où leurs rivaux, forcément alignés sur les États-Unis, se montrent moins engagés dans la défense des droits des Palestiniens.
UN PARI QUI DEMEURE AUDACIEUX
Malgré ces avancées, les récents événements survenus en mer Rouge présentent des risques pour l’Iran. Le principe dominant de la politique étrangère de la République islamique est d’éviter une confrontation directe avec les États-Unis, compte tenu de la grande asymétrie de puissance entre les deux pays. Le soutien apporté aux groupes armés non étatiques dans toute la région lui permet de repousser l’insécurité au-delà de ses propres frontières. Car ses dirigeants comprennent qu’en cas d’escalade majeure, les États-Unis ont en fin de compte la capacité de causer beaucoup plus de dégâts. C’est en partie la raison pour laquelle l’Iran a encouragé le Hezbollah à ne pas intensifier son conflit avec Israël, une retenue compatible avec les intérêts intérieurs actuels du parti libanais.
C’est dans ce contexte que la démesure des actions houthistes présente des risques pour l’Iran. Ceux-ci estiment à juste titre qu’aucun acteur au Yémen ne peut les défier. Non seulement ils peuvent résister à des frappes aériennes limitées de la part des États-Unis et du Royaume-Uni, mais ils peuvent aussi tirer profit de ces attaques sur le plan politique. En ce sens, leur tolérance au risque est plus élevée que celle de l’Iran, qui cherche davantage à éviter l’escalade. L’Iran est également conscient que le Hamas subit des dommages militaires importants et a perdu la capacité de gouverner la bande de Gaza. Ce sont-là deux leviers importants dans le jeu régional de Téhéran qui souhaite ainsi éviter que les houthistes ne subissent davantage de dommages au-delà des bombardements américano-britanniques.
UN CALIBRAGE MINUTIEUX
L’équilibre idéal pour la République islamique est une zone grise dans laquelle les houthistes, comme d’autres groupes armés pro-iraniens, provoquent l’Arabie saoudite, Israël et les États-Unis, et contribuent à les enliser dans des conflits aussi coûteux que possible. Pendant ce temps, « l’axe de la résistance » marque des points sur le plan rhétorique, renforçant sa popularité. Une telle mécanique permet à l’Iran de faire pression directement et indirectement sur ses rivaux et de leur imposer des coûts, tout en évitant une escalade qui lui serait coûteuse. C’est probablement la raison pour laquelle, comme l’ont suggéré de récents articles2, l’Iran s’est efforcé de maîtriser certaines des milices qu’il soutient en Irak. Celles-ci avaient poussé le bouchon trop loin, augmentant le risque d’une nouvelle escalade.
Cet exercice de calibrage minutieux ravive l’ancien débat sur le niveau d’influence opérationnelle et stratégique que l’Iran exerce à l’égard des houthistes. Certains analystes considèrent ces derniers comme des mandataires et affirment que Téhéran, sans nécessairement les contrôler directement, exerce une influence majeure. Les récents événements plaident néanmoins en faveur d’un point de vue plus nuancé. Farouchement nationalistes tout en bénéficiant d’une aide iranienne importante, les houthistes sont devenus un acteur puissant de plus en plus indépendant. Il serait donc davantage judicieux de les qualifier de partenaires. Malgré quelques divergences, leurs intérêts sont pour la plupart alignés et ils collaborent étroitement dans une même quête.
L’objectif principal de la politique étrangère iranienne reste de limiter la marge de manœuvre des États-Unis en augmentant les coûts réels ou potentiels de leurs actions, de même qu’en les forçant à faire de mauvais choix et à adopter des politiques préjudiciables. C’est dans cette situation que l’Iran a contribué à pousser les États-Unis dans la mer Rouge. Washington se retrouve désormais empêtré dans la guerre au Yémen en bombardant les houthistes, avec des chances de succès limitées. Sachant qu’Israël est embourbé dans une guerre coûteuse à Gaza, et que les houthistes ont émergé comme une puissance régionale réalisant d’importants gains en termes de propagande, l’objectif de la République islamique est désormais de protéger les acquis de ses alliés tout en minimisant les pertes : effectives pour ce qui concerne le cas du Hamas, potentielles dans le cas des houthistes. L’équilibre demeure donc précaire.
THOMAS JUNEAU
Professeur associé à l’Université d’Ottawa (Canada)
Considérant devoir sauver la face après l’attaque de son consulat à Damas, le 1er avril, la République islamique d’Iran a mené ses frappes sur Israël en cherchant à éviter un embrasement régional. L’événement est cependant historique et un cap a été franchi : la guerre de l’ombre pourrait devenir une guerre ouverte.
AvecAvec l’opération « Promesse honnête », Téhéran s’est vengé. Le Guide suprême iranien, l’ayatollah Ali Khamenei, l’a lui-même ouvertement reconnu. Dans les minutes qui ont suivi le début de l’attaque, samedi soir, de l’Iran contre Israël, il a ainsi réitéré sur son compte X la menace qu’il avait lancée quelques jours auparavant : « Le régime diabolique va être puni. » Mais c’est une vengeance soigneusement calibrée, stratégiquement calculée pour éviter une réelle escalade régionale, et non pas destinée à infliger des dommages sérieux à l’État hébreu.
Pour Téhéran, il s’agissait de montrer à Israël qu’il n’acceptait plus de voir ses officiers supérieurs éliminés les uns après les autres sur les territoires syrien et libanais. Et tout autant de témoigner à ses alliés régionaux, las d’encaisser des coups durs sans réponse iranienne, qu’il avait la capacité de frapper son ennemi et de le faire par une opération d’envergure. Un message à destination, aussi, de la population iranienne.
Il demeure qu’un cap a été franchi. Pour la première fois dans son histoire, la République islamique d’Iran, en lançant plusieurs centaines de drones et missiles, a mené une attaque directe, massive, d’État à État, contre Israël.
La guerre a donc changé de visage, même si pour Téhéran il ne s’agissait que d’une opération de représailles en réponse à l’assassinat, le 1er avril, dans le consulat iranien de Damas, de deux généraux et d’une dizaine d’autres personnes, dont sept officiers de la force Al-Qods (nom arabe de Jérusalem), branche des Gardiens de la révolution chargée des opérations extérieures de la République islamique.
Effrayer, tout en mesurant le risque d’escalade
Jusqu’à présent, prévalait une guerre de l’ombre qui, du côté de Téhéran, était menée essentiellement, et avec son soutien, par ses mandataires (les houthis yéménites, certaines milices chiites irakiennes…) et ses alliés régionaux – le Hezbollah libanais et, dans une moindre mesure, Damas. Désormais, le conflit sort en pleine lumière pour s’ouvrir sur un nouveau cycle, celui de la possibilité d’une guerre ouverte, en particulier si Israël s’emploie à riposter. Un haut responsable israélien a d’ores et déjà déclaré qu'il y aura une « réponse significative », selon Reuters citant une chaîne israélienne.
Après l’attaque du consulat de Damas, menée en pleine journée par des chasseurs israéliens, Téhéran avait aussitôt fait valoir que c’était le territoire iranien qui avait été touché, l’enclave bénéficiant d’une protection et d’une inviolabilité diplomatiques, et son personnel d’une immunité. Le ministre iranien des affaires étrangères, Hossein Amir-Abdollahian, n’avait d’ailleurs pas manqué, dès le lendemain, de qualifier l’attaque israélienne de « violation de toutes les obligations et conventions internationales ».
En s’attaquant au territoire israélien, les dirigeants iraniens estiment dès lors être dans leur droit. « La punition de l’agresseur s’est réalisée », s’est ainsi félicité le président iranien Ebrahim Raïssi, dans un communiqué publié dimanche 14 avril.
La frappe israélienne, selon divers experts, conjuguée à celles des mois précédents, avait gravement affecté la chaîne de commandement de la force Al-Qods, notamment pour ce qui concerne le ravitaillement des groupes pro-iraniens dans la région.
Mais si l’Iran a renoncé à son concept de « patience stratégique », qui lui permettait de justifier son absence de réponse aux précédentes attaques israélienne, il ne semble pas vouloir pour autant s’engager dans une guerre déclarée avec Tel-Aviv. « L’affaire peut être considérée comme close », a fait savoir sur X la mission permanente de la République islamique d’Iran auprès des Nations unies.
« Toutefois, si le régime israélien commet une nouvelle erreur, la réponse de l'Iran sera considérablement plus sévère. Il s’agit d’un conflit entre l’Iran et le régime israélien voyou, dont les États-Unis doivent se tenir à l’écart », ajoutait le communiqué. Même menace du président iranien: « Si le régime sioniste ou ses partisans faisaient preuve d’un comportement imprudent, ils recevraient une réponse décisive et bien plus forte. »
Ces avertissements ne cachent guère la crainte de Téhéran d’être entraîné dans un conflit où il aurait tout à perdre à l’heure où il s’approche de la capacité nucléaire. Selon une source interne au régime, révélée à Mediapart par un expert français, les forces armées iraniennes ne disposeraient que de capacités militaires pour tenir une soixantaine de jours face à Israël. Et elles souffrent de manquer de ressources financières, soit le nerf de la guerre.
Ainsi, le communiqué de la mission permanente de la République islamique d’Iran a été publié alors que les drones et les missiles n’avaient pas encore atteint Israël, témoignant de ce même souci de voir la région s’embraser et, dès lors, de sa faiblesse stratégique. De la même façon, perce encore davantage, dans le même texte, la peur iranienne d’une confrontation avec les États-Unis, dans le cas où ils s’engageraient aux côtés d’Israël dans une riposte.
Les deux pays partagent d’ailleurs cette même inquiétude de devoir faire face à une situation incontrôlable : un haut responsable américain a ainsi précisé au site américain Axios que le président Joe Biden a prévenu Benyamin Nétanyahou que son gouvernement s’opposerait à toute riposte de l’État hébreu contre l’Iran. Des discussions entre Washington et Téhéran, portant notamment sur le retrait des dernières forces américaines déployées en Irak, sont en cours à Mascate (sultanat d’Oman) et durent depuis au moins plusieurs mois.
Enfin, les alliés et mandataires habituels de l’Iran, les « proxies » pour reprendre l’expression consacrée, se sont montrés fort peu actifs. Le Hezbollah s’est contenté de quelques salves de roquettes tirées sur le plateau du Golan, comme il s’y emploie chaque jour depuis le 8 octobre, alors que son potentiel en missiles et roquettes – plus de 100 000 selon les estimations de certains spécialistes – constitue la menace la plus sérieuse à laquelle soit confrontée l’État hébreu. Et les roquettes tirées par les houthis contre le sud d’Israël, « en coordination » avec l’Iran, ont été des frappes plus symboliques qu’effectives.
Un conseiller du Guide suprême iranien s'est félicité samedi de "la panique totale" qui a saisi Israël dans l'attente de la riposte annoncée par Téhéran à la frappe ayant visé le consulat iranien à Damas.
"Cela fait une semaine que les sionistes sont dans une panique totale et en alerte. Ils ont arrêté l'attaque militaire sur Rafah", dans le sud de la bande de Gaza, et, "comme ils ne savent pas ce que l'Iran veut faire, eux et leurs partisans sont terrifiés", a déclaré Yahya Rahim Safavi, conseiller de l'ayatollah Ali Khamenei, cité par l'agence Isna.
"Cette guerre psychologique, médiatique et politique est pour eux plus terrifiante que la guerre elle-même, car ils attendent une attaque chaque nuit et beaucoup d'entre eux ont fui et se sont réfugiés dans des abris", a-t-il ajouté.
Téhéran a promis de "punir" Israël après la frappe attribuée à Israël contre le consulat iranien à Damas qui a fait, selon une ONG, 16 morts parmi lesquels deux généraux des Gardiens de la Révolution, l'armée idéologique d'Iran.
Israël est, depuis, en état d'alerte maximale et les Etats-Unis ont annoncé l'envoi de troupes supplémentaires vers le Moyen-Orient.
Le président américain Joe Biden a dit vendredi qu'il s'attendait à ce que l'Iran passe "bientôt" à l'action.
Invitée de notre émission « À l’air libre », l’actrice et chanteuse franco-iranienne Golshifteh Farahani livre à Mediapart une puissante leçon de liberté et de courage.
ansDans un livre collectif paru aux éditions du Faubourg, seize femmes iraniennes prennent la plume en écho au puissant soulèvement Femme, vie, liberté en Iran. Elles clament haut et fort : « Nous n’avons pas peur », depuis l’exil ou les geôles de la dictature islamique.
Parmi elles, une voix emblématique de l’émancipation des femmes en Iran et au-delà : l’actrice et chanteuse Golshifteh Farahani. Invitée de notre émission « À l’air libre » aux côtés de l’éditrice Sophie Caillat, elle livre à Mediapart une puissante leçon de liberté et de courage.
Une double explosion s’est produite mercredi dans cette ville du pays, alors qu’une foule importante se rendait sur la tombe du général Ghassem Soleimani, le commandant des opérations extérieures des gardiens de la révolution, tué il y a quatre ans.
Une double explosion a provoqué la mort de 84 personnes à Kerman, en Iran, le 3 janvier 2024. L’organisation Etat islamique a revendiqué l’attentat le lendemain. SARE TAJALLI / AP
L’attentat perpétré mercredi en Iran a été revendiqué par l’organisation Etat islamique (EI) jeudi 4 janvier. La double explosion a eu lieu près de la tombe du général Ghassem Soleimani, ex-architecte des opérations militaires iraniennes au Moyen-Orient, dont le pays commémorait la mort, survenue en 2020. Le dernier bilan de cette attaque fait état de 84 morts.
Sur ses chaînes Telegram, le groupe djihadiste a fait savoir que deux de ses membres ont « activé leur ceinture explosive » au milieu « d’un grand rassemblement d’apostats, près de la tombe de leur leader Ghassem Soleimani hier à Kerman, dans le sud de l’Iran ».
Cet attentat s’inscrit dans le cadre d’une campagne baptisée « Et tuez-les partout où vous les trouvez », selon le communiqué de l’EI. Quelques minutes avant la revendication, l’organisation avait diffusé un enregistrement audio de son porte-parole affirmant que cette campagne était menée « en soutien aux musulmans où qu’ils se trouvent, notamment en Palestine ».
Jeudi, le ministre de l’intérieur iranien, Ahmad Vahidi, avait fait savoir à l’agence officielle IRNA que la sécurité serait renforcée aux frontières poreuses avec l’Afghanistan et le Pakistan, points de passage pour les groupes armés combattant le pouvoir iranien.
Attaque la plus meurtrière en Iran
Il s’agit de l’attaque la plus meurtrière en Iran depuis 1978, selon les archives de l’Agence France-Presse, quand un incendie criminel avait fait au moins 377 morts dans un cinéma d’Abadan.
Outre les 84 morts, l’attentat a fait « 284 blessés, parmi lesquels 195 sont toujours hospitalisés », a fait savoir à la télévision d’Etat le chef des services d’urgence du pays, Jafar Miadfar. Selon lui, l’état dégradé de certains corps après l’explosion a rendu difficile le recensement des victimes.
Cette dernière a eu lieu près de la mosquée Saheb Al-Zaman, qui abrite la tombe du général Soleimani, tué en janvier 2020 dans une attaque de drone américaine en Irak.
L’agence IRNA, citant « une source informée », avait rapporté qu’une première déflagration avait été provoquée par un kamikaze, dont le corps a été déchiqueté. Pour la seconde, l’enquête se poursuit mais il s’agirait également très probablement de l’acte d’un kamikaze, toujours selon l’IRNA.
L’attentat étant survenu dans un contexte régional très tendu depuis le début du conflit en octobre entre Israël et le Hamas, des responsables iraniens ayant accusé Tel-Aviv et Washington. Aux Etats-Unis, le département d’Etat avait jugé « absurde » toute suggestion d’une implication des Etats-Unis ou d’Israël, qui n’a, de son côté, pas réagi.
Le guide suprême de la République islamique, l’ayatollah Ali Khamenei, avait promis avant la revendication de l’EI une « réponse sévère » à cet acte. Le chef de L’Etat, Ebrahim Raïssi, a annulé un déplacement prévu jeudi en Turquie, selon un média d’Etat.
Je n'ai pas peur de leurs menaces de mort... J'ai déjà vécu plus que prévu. Nous sommes dans notre droit de combattre l'occupation. Nous n'arrêterons pas de résister quelles que soient les menaces des sionistes. Au Hamas, nous faisons partie de notre peuple. Nous sommes prêts, comme lui, au martyre. Il y a tous les jours des martyrs à Ghaza et en Palestine occupée. Le plus jeune des martyrs est une couronne sur nos têtes, parce qu'il nous a précédés», ce sont les paroles de Salah Al-Arouri, dans une interview accordée à la chaîne de télévision al-Aqsa, en août dernier, assassiné mardi soir dans la banlieue sud de Beyrouth.
Pas besoin d'une confirmation ou d'une revendication : l'assassinat de Salah Al-Arouri, chef adjoint du Bureau politique du Mouvement de la Résistance islamique (Hamas), est bien une signature de l'entité terroriste Israël. Il faut juste se rappeler que les officiels sionistes menacent, depuis le début l'agression contre Ghaza, de cibler les dirigeants du Hamas «où qu'ils se trouvent». Et quand Mark Regev, un des conseillers du sinistre Netanyahu, déclare sur MSNBC que l'attaque «visait uniquement le Hamas et non pas le Liban ou le Hezbollah», il ne fait aucun doute que c'est bien là une confirmation que l'assassinat d'Al-Arouri, d'une frappe de drone, avec d'autres membres du Hamas au Liban, est une signature israélienne.
Il faut se rappeler aussi que l'attaque terroriste fait partie de la doctrine sioniste de cibler, en Palestine et à l'étranger, les dirigeants palestiniens qu'ils soient de l'OLP, du Fatah, du FPLP, du FDLP, du Hamas ou du Jihad Islamique. C'est le même «modus operandi» qui a mené à l'assassinat de Khalil al-Wazir «Abou Djihab» en 1988, à Tunis, par un commando israélien, et d'autres dirigeants du Hamas, comme Salah Shehadeh (2002), puis du Dr. Abdelaziz Al-Rantissi et de Cheikh Ahmed Yassine en 2004.
L'attentat contre Salah Al-Arouri, dans la banlieue sud de Beyrouth, bastion du Hezbollah ne passera pas sans représailles. Le Hezbollah libanais a déclaré mardi que le meurtre d'Al-Arouri «ne restera pas impuni».
Selon Al Jazeera, le journaliste israélien Barak Ravid du média américain Axios, citant un responsable israélien anonyme, a affirmé que l'entité sioniste se préparait à des «représailles importantes» de la part du Hezbollah y compris par le «lancement de missiles à longue portée par le Hezbollah sur des cibles en Israël».
Pour le directeur du Bureau d'Al Jazeera à Beyrouth, Mazen Ibrahim, l'assassinat d'Al-Arouri devrait conduire à un changement de la situation sur le front libanais avec Israël.
Rappelons que le Secrétaire général du Hezbollah libanais, Hassan Nasrallah, avait déjà mis en garde l'entité sioniste suite aux menaces proférées, en août dernier, par Netanyahu contre les dirigeants palestiniens au Liban.
«Tout assassinat sur le sol libanais d'un Libanais, d'un Palestinien, d'un Iranien ou d'un Syrien fera l'objet d'une réponse ferme. Nous ne pouvons pas rester silencieux et permettre l'ouverture de la scène libanaise aux assassinats», avait alors déclaré le Chef du Hezbollah, Hassan Nasrallah.
ONU : SITUATION «EXTREMEMENT PREOCCUPANTE»
En annonçant l'assassinat par Israël de Saleh Al-Arouri, et deux dirigeants des Brigades Al-Qassam, lors d'une attaque de drone contre un bâtiment de la banlieue sud de Beyrouth, mardi soir, le Hamas, par la voix de Izzat Al-Rishq, membre du Bureau politique du Mouvement, a déclaré que les «lâches assassinats perpétrés par l'occupation sioniste contre les dirigeants et les symboles de notre peuple palestinien, à l'intérieur et à l'extérieur de la Palestine, ne parviendront pas à briser la volonté et la fermeté de notre peuple de lutter contre l'occupation».
Au Liban, le Premier ministre libanais par intérim Najib Mikati a déclaré que l'attentat est «un crime israélien visant à amener le Liban dans une nouvelle phase». Dans un communiqué, le Premier ministère libanais a indiqué que M. Mikati avait demandé au ministère libanais des Affaires étrangères de déposer une plainte urgente auprès du Conseil de sécurité de l'ONU, concernant l'explosion de Beyrouth.
L'Iran, par la voix de son ministère des Affaires étrangères, a appelé les Nations Unies à réagir en urgence à l'assassinat d'Al-Arouri qui «est le résultat de l'échec majeur de l'entité sioniste face à la résistance à Ghaza». «Nous condamnons fermement l'assassinat d'Al-Arouri, et l'entité sioniste porte la responsabilité des répercussions de sa nouvelle aventure», affirme l'Iran. De son côté, l'ONU a affirmé que la situation est «extrêmement préoccupante» suite à l'attentat contre Salah Al-Arouri et d'autres dirigeants du Hamas au Liban. Interrogée par Al Jazeera, Florencia Soto Nino, la porte-parole du Secrétaire général de l'ONU, a appelé «toutes les parties à faire preuve d'un maximum de retenue». «Nous ne voulons pas d'actions irréfléchies qui pourraient déclencher de nouvelles violences», a déclaré Mme Soto Nino.
L'ESCALADE AURA UNE RECIPROCITE
Pour Marwan Bishara, chroniqueur et analyste politique pour Al Jazeera English, «Israël qui a mené des assassinats ciblés contre des dirigeants palestiniens, pendant des décennies, mais sans réussir à éliminer des groupes armés tels que le Hamas et le Hezbollah». «Cela fait 50 ans que les programmes d'assassinat sont menés par les renseignements militaires israéliens et le Mossad dans le monde entier», a déclaré Bishara, soulignant que les attaques réussies contre des personnalités telles que le fondateur du Hamas, Cheikh Ahmad Yassine, et le commandant du Hezbollah, Imad Mughniyeh, en 2015. Ajoutant : «Quel a été le résultat ? Israël aurait pu crier victoire à chaque fois qu'il assassinait l'un de ces dirigeants. Mais si vous regardez son ampleur et son histoire, le Jihad islamique est devenu plus fort. Le Hamas est devenu plus fort. Et le Hezbollah est devenu plus fort.»
Marwan Bishara est convaincu que «le fait que cela se soit produit dans la banlieue sud de Beyrouth, dans leur fief du Hezbollah, constitue une escalade encore plus grande. C'est une escalade contre le Hezbollah et contre le Hamas, et je pense qu'il y aura une réciprocité à cet attentat».
souvent les colères populaires. Entretenant le souvenir de ceux qui se sont battus au fil des siècles pour les libertés, les strophes des poètes sont autant de jalons d’une histoire marquée par les révoltes contre l’arbitraire depuis le début du XXe siècle.
Souviens-toi de la bougie éteinte, souviens-toi.
En Iran, ce vers est connu de tous. Si beaucoup de gens ignorent le nom du poète et le contexte dans lequel le poème a été écrit, ces mots sont subtilement entrés dans l’âme collective. Les citations et les références poétiques font partie de l’imaginaire des Iraniens. La poésie est l’un des éléments indispensables pour alimenter et transmettre les expériences individuelles et surtout collectives.
Chaque époque est illustrée par sa poésie, et chaque ébranlement historique a toujours été scandé par la poésie. Autrement dit, l’imaginaire des poètes iraniens marqué par les événements politiques a souvent contribué à mettre en mots les moments difficiles. Dans cette perspective, les images poétiques jouent un rôle primordial dans la constitution de l’imaginaire collectif iranien, dont l’un des piliers est l’œuvre épique de Ferdowsi, Le Livre des rois1 (en persan Shahnameh), rédigée au Xe siècle.
LA MÉTAPHORE DU SANG
L’un des personnages emblématiques de cette épopée s’appelle Siavash, et « le sang de Siavash » signifie métaphoriquement le sang versé par l’injustice. La figure de Siavash et la métaphore de son sang apparaissent dans plusieurs poèmes, dont les paroles d’une chanson culte du début du XXe siècle écrite par l’un des précurseurs des chansons engagées, Aref Qazvin, poète et compositeur iranien, surnommé « le Poète national » (1882-1934). Intitulé « Des tulipes ont fleuri du sang des jeunes du pays »*2, ce poème a été écrit pendant la révolution constitutionnelle (1905-1911) qui a mené à l’instauration du Parlement et à l’adoption d’une nouvelle Constitution en 1906.
Cette révolte s’inscrit aussi dans un mouvement pendant lequel les intellectuels modernistes publiaient des articles mettant en cause le pouvoir du chah et mettaient la liberté et la justice au centre de débats tenus au Parlement. Ce mouvement ainsi que les intellectuels et les journalistes qui le représentaient n’étaient pas du goût de la monarchie kadjare ni des religieux qui dénonçaient le régime parlementaire. Par conséquent, plusieurs révolutionnaires ont été persécutés ; parmi eux l’un des plus brillants éditorialistes de l’époque, Mirza Jahangir Khan (1875-1908), fondateur et l’éditorialiste du journal Sur-é-Esrafil, une des figures de la révolution constitutionnelle, fut arrêté et exécuté en 1908. Le roi opérait une sévère répression et il bannit les journalistes et écrivains, dont Ali Akbar Dehkhoda (1879-1959), fondateur et auteur du dictionnaire persan en seize volumes dont le premier tome était paru en 1939.
Quelques mois plus tard, exilé en Suisse, Dehkhoda publia un long poème intitulé « Souviens-toi de la bougie éteinte, souviens-toi »*. Ce poème composé de cinq strophes est précédé d’une note dans laquelle le poète dédie son texte à son ami journaliste exécuté.
Si dans la chanson « Des tulipes ont fleuri du sang des jeunes du pays » Aref Qazvini prend le mythe de Siavash pour évoquer les jeunes révolutionnaires tués et la prolongation de leur lutte symbolisée par les tulipes, Dehkhoda souligne l’importance de « se souvenir » de ceux qui se sont sacrifiés pour la liberté.
D’un coup d’État à l’autre, de révolution en révolution, comme en 1954 lorsque le pays est bouleversé par un renversement politique et une vague d’exécutions des membres du Parti communiste iranien (Toodeh), la poésie exprime les sentiments populaires. Le coup d’État de 1953, connu sous le nom d’« Opération Ajax », a renforcé le pouvoir du chah et entraîné la destitution du premier ministre nationaliste, Mohamad Mossadegh qui avait nationalisé les gisements pétroliers d’Iran. Ce coup d’État soutenu par l’intervention des États-Unis et du Royaume-Uni a profondément marqué l’imaginaire des poètes. Nima, Akhavan-Sales, Ebtehaj, Rahmani, Chamlou3 sont parmi ceux qui écrivent à cette époque sur le sentiment d’échec, la frustration et l’accablement. Les œuvres majeures de la poésie contemporaine iranienne pour lesquelles leurs auteurs ont subi des années d’emprisonnement font toujours partie des indispensables d’une librairie.
À cette époque, Ahmad Chamlou, l’un des grands poètes iraniens du XXe siècle et opposant au régime du chah a écrit une série de poèmes politiques. Parmi eux figure celui intitulé « Amour collectif » ou « Amour irradié »4 écrit après l’exécution collective des membres du parti Toodeh en 1954 :
J’ai pleuré pour ce qui vit Versant des larmes avec toi Et avec toi j’ai chanté des chants les plus exquis Dans les ténèbres du cimetière Car les morts de cette année Ont été les vivants les plus amoureux*.
Les poèmes de Chamlou et d’Ebtehaj, comme ce
ux des autres poètes engagés, sont connus et ont été chantés dans la ferveur du début de la révolution de 1979. La chanson d’Aref Qazvini « Des tulipes ont fleuri du sang des jeunes du pays » fut enregistrée plusieurs fois avec différents chanteurs et fait partie des chansons inoubliables du lendemain de la révolution de 1979.
UNE NOUVELLE GÉNÉRATION PASSÉE PAR LA PRISON
Aujourd’hui Ali Asadollahi, Mona Borzouei, Atefeh Chaharmahalian font partie de la nouvelle génération des poètes politiques et ont connu la prison pour avoir écrit ou récité leurs poèmes. Le soulèvement qui a suivi la mort tragique de Mahsa Amini, en septembre 2022, a mis en marche la révolution « Femme, Vie, Liberté » dont l’une des particularités réside dans son caractère culturel.
La poésie a toujours été omniprésente, tel un appui pour vénérer ce long combat pour la liberté. Le Livre des Rois est un ouvrage majeur que tous les Iraniens connaissent, et depuis plusieurs siècles ils n’ont cessé de le lire, de le réciter, de l’enseigner, de le raconter ou de le chanter. Certes, ceux qui l’ont lu en entier sont assez peu nombreux, mais tous les Iraniens connaissent au moins quelques personnages principaux de ce récit de plus de cinquante mille distiques, ainsi que quelques histoires marquantes de cette épopée.
Une de ces histoires est celle du Zahak, le roi-serpent. Zahak est un mythe persan transformé en un personnage marquant de l’épopée de Ferdowsi. Le roi Zahak est manipulé par le mal. Le diable embrasse les épaules du roi, et aussitôt deux serpents surgissent de là où il l’avait embrassé. Le roi se sent terriblement mal, et le seul remède pour calmer les serpents, c’est de les nourrir avec des cerveaux humains. Chaque jour, un certain nombre de jeunes sont arrêtés puis tués pour que leurs cerveaux nourrissent les serpents, jusqu’au jour où Kaveh, un forgeron dont les fils ont été tués par le tyran, se rebelle contre Zahak et obtient le soutien du peuple.
Le mythe de Zahak a toujours fait partie de l’imaginaire collectif des Iraniens. Mais depuis quelques années, sa figure est de plus en plus utilisée pour faire allusion à Khamenei, le Guide suprême. Ainsi, en 2009, la télévision iranienne a diffusé des images lors de la cérémonie de confirmation de la réélection du président sortant, qui montrait le président Ahmadinejad embrassant l’épaule du Guide. Khamenei portant des serpents sur ses épaules en allusion au mythe de Zahak a circulé sur les réseaux sociaux sous la forme d’images retouchées et de photomontages.
Depuis l’assassinat de Mahsa Amini, les poèmes évoquant Zahak circulent sur les réseaux accompagnés de photos de la révolte des femmes. Par exemple, un vers du poète Fereidoun Moshiri (1926-2000) décédé en 2000, se transforme rapidement en une des devises du mouvement « Femme, Vie, Liberté » :
Je suis déçu des hommes, Le prochain Kaveh de l’Iran sera sans doute une femme*.
En même temps, un autre texte de l’un des plus grands poètes iraniens contemporains, Mohamad Reza Shafiei Kadekani (né en 1939), se fait remarquer et s’affiche sur les réseaux. Ce chercheur et universitaire est connu du grand public pour ses poèmes mis en musique par des musiciens et chanteurs iraniens. Dès le début des révoltes de septembre et octobre 2022, l’un de ses poèmes lyriques écrits en 1995 circule sur les réseaux sociaux, et un vers du début de ce poème de 26 vers devint viral : « Si tu es un homme, reste en Iran et sois une femme ». Le poème commence par ces deux distiques :
Viens ici mon ami et reste au pays Partageons les joies et les chagrins de nos âmes Ici les femmes luttent comme les braves lions Si tu es un homme, reste ici et sois une femme*.
La dernière phrase est reprise notamment — et partiellement — en graffiti sur un mur à Téhéran :
L’effet de la poésie est exaltant, et les citations poétiques inspirent les Iraniens. Par exemple, au début du soulèvement, une citation d’Abou Said Abou Al-Kheir (967-1049), maitre spirituel et poète, qui a joué un rôle important dans la cohabitation culturelle entre les penseurs des deux langues persan et arabe, a également circulé sur les réseaux sociaux :
Faites un pas en avant d’où que vous soyez *.
Personne ne sait comment, quand et par qui cette phrase du Xe siècle a resurgi sur les réseaux soucieux, mais tout le monde l’a vue puisqu’en quelques jours elle fut twittée des milliers de fois. L’idée se transforme en message : « On ne peut pas rester indifférent ». La solidarité inouïe et inédite des Iraniens au pays et en diaspora pendant les manifestations en 2022 et 2023 serait d’une certaine manière l’interprétation de cette citation du Xe siècle.
UNE FORME DE DÉSOBÉISSANCE CIVILE
La poésie escorte les révoltes, et renoue sans cesse avec des créations plus anciennes. Ainsi le poème de Chamlou écrit après l’exécution collective des membres du parti de gauche Toodeh en 1954, a fait partie en 1979 avec d’autres poèmes politiques d’un livre avec un CD récité par le poète. Certains des poèmes de ce livre ont été revivifiés à l’occasion des exécutions massives des prisonniers politiques en 1988 ainsi qu’en 2009 ; et ils resurgissent en octobre et en novembre, quand les exécutions des manifestants ont pris de l’ampleur.
Les réseaux sociaux, qui transmettent des photos et les noms des exécutés, affichent des poèmes comme cet extrait d’un texte de Chamlou :
… Les morts de cette année Ont été les vivants les plus amoureux*.
Pour les Iraniens, la poésie fait partie de la vie quotidienne et pendant les moments difficiles, fonctionne comme un remède contre l’oubli, une lueur dans l’obscurité, un espoir pour survivre, une résistance face aux répressions ; l’art de raconter est l’art majeur dans ce pays. De ce fait, le conte des Mille et une Nuits n’est pas qu’un conte, c’est aussi un mode de vie : raconter pour vivre et survivre.
La poésie construit une réserve dans laquelle le peuple puise pour continuer à combattre. Le pouvoir craint les écrivains et les poètes parce qu’il est conscient de du caractère primordial de la poésie et de la fiction dans la vie de ce peuple. La preuve, entre le 18 septembre et le 18 novembre 2022, 34 écrivains et poètes ont été arrêtés.
À l’anniversaire du mouvement « Femme, Vie, Liberté » les photos des jeunes tués par le régime s’affichent sur les réseaux, accompagnées de vers comme, entres autres, « Des tulipes ont fleuri du sang des jeunes du pays » et « Souviens-toi de la bougie éteinte, souviens-toi ».
Sans aucun doute, dans les années à venir, nous pourrons lire les poèmes s’inspirant des expériences vécues depuis septembre 2022 qui ont allumé le feu poétique de cette révolution en marche.
Si les manifestations sont étouffées, si les protestataires sont tués ou en prison, la résistance iranienne est plus solide que jamais, renforcée par une opiniâtreté culturelle. Quand la répression s’abat sur la culture, la création devient l’art de la résistance. La parolière Mona Borzouei fut ainsi arrêtée en septembre 2022 pour la publication de ce poème :
Pourquoi partir ? Reste et reprends l’Iran Étouffe le pouvoir du tyran Chante Pour que l’hymne des femmes résonne partout Pour que cette patrie redevienne celle de tous.
Depuis la sinistre prison iranienne d’Evin, Narges Mohammadi, prix Nobel de la paix 2023 pour son combat pour les femmes, livre un entretien exclusif à Mediapart. Une leçon de liberté, de courage, de féminisme.
C’estC’est un entretien exceptionnel parce qu’il a traversé clandestinement les murs d’une des pires prisons au monde : celle d’Evin, en Iran, que l’on surnomme avec ironie « l’université », car la République islamique y entasse un grand nombre d’intellectuel·les, d’étudiant·es, de journalistes, d’artistes.
C’est un entretien exceptionnel parce qu’il donne à entendre la voix d’une personnalité hors norme, une femme qui va recevoir dimanche 10 décembre à Oslo (Norvège), non pas en main propre mais dans celles de sa famille à laquelle elle a été arrachée, le prix Nobel de la paix 2023 « pour son combat contre l’oppression des femmes en Iran et sa lutte pour la promotion des droits humains et la liberté pour tous » : la journaliste et militante Narges Mohammadi.
Pour des raisons de sécurité, nous ne détaillerons pas les conditions de la réalisation de cet entretien exclusif donné à Mediapart, mais nous remercions celles et ceux qui l’ont permise. Car la voix de Narges Mohammadi doit porter hors des barreaux d’Evin. Elle le dit elle-même à Mediapart : « Les murs de cette prison ne pourront pas étouffer ma voix, elle portera jusqu’au reste du monde. »
Infatigable militante de la cause des femmes, figure emblématique du soulèvement Femme, vie, liberté violemment réprimé, vice-présidente du Centre des défenseurs des droits humains fondé par l’avocate Shirin Ebadi, elle aussi Prix Nobel en 2003, Narges Mohammadi, 51 ans, est dans le viseur de la dictature des mollahs depuis des décennies.
Arrêtée et condamnée à de multiples reprises à diverses peines, dont plus de trente et un ans de prison au total, ainsi qu’à des traitements cruels (notamment 154 coups de fouet), à nouveau incarcérée depuis 2021, elle paie cher son engagement contre l’apartheid de genre en Iran, contre le voile obligatoire, contre la peine de mort.
Leçon de courage, de liberté, de féminisme, d’humilité, Narges Mohammadi n’a jamais abdiqué malgré les sacrifices immenses, à commencer par la séparation forcée d’avec les siens, d’avec son mari, le journaliste et écrivain Taghi Rahmani, exilé à Paris depuis 2012 après plus d’une décennie en prison, et d’avec leurs deux enfants qu’elle ne peut voir grandir, Kiana et Ali, 17 ans, qui ont rejoint leur père en 2015. « Être loin de mes enfants est ce qu’il y a de plus dur et de plus douloureux dans l’enfermement. C’est l’une des tortures les plus insupportables »,témoigne-t-elle auprès de Mediapart.
Elle résiste aux souffrances, aux tortures, parce que son combat, ses combats ont « du sens », dit-elle, « convaincue que nous obtiendrons la démocratie, la liberté et l’égalité, que nous serons victorieux ». Même en prison, elle continue de résister, de manifester, de se battre pour les droits des femmes au prix de nouvelles condamnations. Début novembre, elle a fait une grève de la faim pour avoir le droit d’être admise à l’hôpital sans porter le voile et y être soignée.
Elle raconte à Mediapart son engagement, le quotidien derrière les barreaux, rend hommage à Mahsa Amini − dont la mort sous les coups de la police des mœurs en septembre 2022 a impulsé le puissant mouvement Femme, vie, liberté − ainsi qu’à la lycéenne Armita Garavand, morte elle aussi un an plus tard pour n’avoir pas respecté l’obligation de port du voile. Narges Mohammadi dit aussi son espoir pour l’Iran, interpelle la communauté internationale et nous toutes et tous.
Mediapart : Vous n’êtes pas autorisée à recevoir une photo de vos enfants, âgés de 17 ans, ni de votre mari, encore moins à leur parler. Comment surmontez-vous le fait d’être séparée de votre famille ?
Narges Mohammadi : Être loin de mes enfants est ce qu’il y a de plus dur et de plus douloureux dans l’enfermement. C’est l’une des tortures les plus insupportables. La première fois que Kiana et Ali m’ont rendu visite, c’était juste après leur anniversaire, ils avaient 5 ans et 3 mois. À l’époque, j’étais en cellule d’isolement dans la section de sécurité maximale de la prison, les conditions y étaient très différentes comparées à la section de droit commun. Là-bas, il n’y avait pas la possibilité de passer des appels ou d’avoir des visites, j’étais complètement sans nouvelles de mes enfants.
Je ne pense pas avoir les mots pour décrire pleinement le déchirement que cela était d’être séparée de Kiana et Ali. Quand je repense à ces jours sombres, je ne sais pas comment j’ai pu les surmonter. La deuxième fois que j’ai été mise en cellule d’isolement, Ali et Kiana avaient 5 ans et 5 mois, Taghi venait de quitter le pays. Seule depuis ma cellule, il m’était insupportable de penser à la solitude de Kiana et Ali, si petits et inoffensifs.
Ce qui m’a permis de tenir bon et de persévérer, encore aujourd’hui, c’est ma profonde conviction du droit à la liberté de chaque individu. Le rêve de la liberté est un grand rêve pour celui qui ne peut que la penser, la liberté est une réalité distante, mais pour celui qui met un pied dans l’arène de la lutte, la liberté devient palpable, imaginable. Je suis convaincue que nous obtiendrons la démocratie, la liberté et l’égalité, que nous serons victorieux.
Sur le long chemin qui y mène, les souffrances humaines trouvent un sens. Le poids de la souffrance n’en est pas diminué, mais il mène à un but. Donner un sens à ces émotions est une manière pour l’humain de se donner un but. Même au regard de ces expériences douloureuses et difficiles, je ne peux pas me plaindre.
Comment affrontez-vous l’enfermement, le quotidien en prison où vous subissez la torture ?
Les premières années d’incarcération sont totalement différentes de celles qui ont suivi. En gagnant de l’expérience, en prenant de plus en plus conscience, en comprenant les effets de l’enfermement, tout cela influence l’espoir et les causes qui nous animent et nous font vivre la lutte.
Mon emploi du temps quotidien est très resserré. Je lis, j’échange avec mes codétenues, je fais du sport, j’accomplis des tâches du quotidien, et à travers cela j’ai l’impression que la vie continue. Après le début de la révolution Femme, vie, liberté, nous avons mené beaucoup d’actions collectives dans le quartier des femmes.
À cause de ces rassemblements et des tracts que j’ai écrits depuis la prison, six nouvelles charges ont été ajoutées à mon dossier. J’ai été condamnée à deux reprises, d’abord à vingt-sept mois d’enfermement puis à quatre mois additionnels. L’un de mes dossiers a été confié au tribunal révolutionnaire pour jugement.
Lundi 4 décembre, j’ai reçu comme peine la privation de visites et de communication avec l’extérieur pour avoir enfreint les règles de la prison. Mais je reste déterminée à continuer le combat, et je suis certaine que les murs de cette prison ne pourront pas étouffer ma voix, qu’elle portera jusqu’au reste du monde.
À quoi ressemble la solidarité entre prisonnières ?
Après toutes ces années en prison, je crois pouvoir dire que la solidarité, l’empathie et l’esprit de la lutte sont les plus forts dans le quartier des femmes. Les prisonnières politiques sont d’horizons divers, mais leur but est le même : mettre fin à la République islamique. Ce nouveau chapitre de la lutte a donné naissance à de nouvelles collaborations et à des formes d’entraide entre nous.
Les prisonnières s’occupent et aident particulièrement les mères prisonnières séparées de leurs enfants. Parmi les 86 prisonnières du quartier des femmes, quatre ont plus de 70 ans, elles sont pour toutes les prisonnières des mères qu’elles chérissent et respectent. Parmi nous, six femmes ont moins de 25 ans, elles sont choyées. Nous sommes une grande famille, nous partageons ensemble nos joies et nos tristesses.
Vous êtes une figure de la lutte des droits des femmes et des droits humains, un modèle à travers le monde pour de nombreuses femmes. Que représente le féminisme pour vous ?
L’oppression des femmes est l’une des discriminations les plus anciennes, les plus étendues. Elle est celle qui a les racines les plus profondes dans nos sociétés et elle est révélatrice des autres systèmes d’oppression. Lorsque l’oppression des femmes s’exprime à travers les normes religieuses, la violence faite aux femmes se transforme et atteint des niveaux insoutenables.
Cela perdure tant qu’une société ne se saisit pas de la cause des femmes, et du respect des droits humains. En Iran, le régime religieux et dictatorial opprime les femmes à travers un système d’apartheid de genre. Le voile obligatoire a fait partie dès le commencement du projet théologique et politique de la République islamique, non pas comme un objet religieux ou culturel, mais comme un outil d’emprise politique à travers lequel ce régime asservit et opprime la société tout entière.
Si une société ne porte pas le combat du droit des femmes en son sein, parler de démocratie et de respect des droits humains n’a pas de sens.
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Quel rôle ont joué vos parents dans votre engagement ?
Ma mère a toujours été mon plus grand soutien, elle m’a encouragée à poursuivre mes études, trouver un emploi et m’investir pleinement dans la société. C’était une femme indépendante et engagée dans le combat des femmes, j’ai été témoin de ses luttes et de ses déceptions.
En nous soutenant financièrement, mon père nous a offert à moi et mes sœurs une forme de protection. Dans notre famille, l’entrée des filles à l’université était un moment de célébration. Je pense que le soutien qu’offrent les mères joue un réel rôle social en encourageant les femmes à poursuivre des études et à aller à l’université.
Parvenez-vous à envisager le futur de l’Iran depuis les geôles du régime ?
Le mouvement révolutionnaire Femme, vie, liberté est le fruit de la solidarité de multiples groupes issus de différents milieux et horizons. La société iranienne est animée par de nombreux mouvements, des mouvements sociaux et contestataires, le mouvement des femmes, des étudiants, des jeunes, des enseignants, des travailleurs, etc. Cela a beaucoup joué dans la construction de ce mouvement révolutionnaire.
En élargissant les cercles d’action et en mobilisant massivement à travers la désobéissance civile, ce mouvement a su contrer la répression massive dans les rues. Le mouvement Femme, vie, liberté est un élan démocratique, libertaire et égalitaire pour le pays, sans équivalent, qui a articulé toutes les demandes politiques et sociales et leur a donné un sens nouveau.
Ce mouvement a fondamentalement changé le paysage politique du pays et a influencé jusque dans les sphères religieuses. Ces changements sont profondément ancrés dans l’histoire de la lutte dans notre pays. Cette nouvelle conscience est un point de non-retour.
J’ai beaucoup d’espoir quant à l’avenir de l’Iran. J’espère que la communauté internationale est sensible et a conscience de ces changements profonds et de l’essor du mouvement prodémocratie à travers les couches de la société iranienne. Une sensibilité nouvelle au respect des droits humains exige de la classe dirigeante l’application des valeurs démocratiques.
En septembre 2022, la mort de Mahsa Amini, pour n’avoir pas porté « correctement » le voile obligatoire, a provoqué un soulèvement populaire inédit, mais pas celle de la lycéenne Armita Garavand, agressée un an plus tard, en octobre 2023, selon les ONG, par la police des mœurs car elle ne portait pas de foulard. Comment l’expliquez-vous ?
D’après moi, il y a plusieurs facteurs. Le mouvement Femme, vie, liberté a fait face à une répression brutale. Un an après, lors de la mort d’Armita Garavand, la répression sourde du gouvernement a vidé les rues de la contestation. Cet événement aurait pu être une étincelle, mais l’appareil répressif du régime a œuvré, en détenant les journalistes impliqués dans l’affaire, en contrôlant les caméras de sécurité du métro, en menaçant et en surveillant l’hôpital, l’école et la famille afin qu’aucune information ne puisse filtrer.
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