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Entre la Tunisie et la Libye, « Matyla et Marie sont mortes pour rien »

 

La frontière tuniso-libyenne a emporté sa compagne, Matyla Dosso, et sa fille Marie, âgée de 6 ans. Aujourd’hui sain et sauf, Crépin Mbengue Nyimbilo, surnommé « Pato », raconte l’enfer vécu dans le désert, où des centaines de migrants subsahariens ont été abandonnés en juillet.

 

Nejma Brahim

1 août 2023 à 18h33

 

image from static.mediapart.fr

Matyla, Crépin et leur fille Marie, en Libye. © Crépin Mbengue Nyimbilo

À Mediapart, il raconte comment le couple a décidé de rejoindre la Tunisie le 13 juillet, pour « garantir un avenir sûr » et une éducation « adéquate » à leur fille, après cinq tentatives ratées de la Méditerranée depuis la Libye. Ils nourrissaient l’espoir de s’y installer, venant renforcer les rangs de l’immigration africaine déjà présente dans le pays (lire notre entretien avec le chercheur Camille Cassarini).

Contraints de se séparer dans le désert

Mais sans le savoir, leur projet s’inscrit dans un contexte extrêmement répressif à l’endroit des Subsahariens, notamment ceux présents à Sfax, où des tensions ont éclaté début juillet, menant au décès d’un Tunisien et à une véritable « chasse aux Noirs ». ONG et chercheurs ont documenté une série de « déportations » organisées par les autorités tunisiennes, qui auraient concerné plus d’un millier de personnes à ce jour.

Après avoir été refoulée une première fois, la famille parvient à traverser la frontière tuniso-libyenne dans la nuit du vendredi 14 au samedi 15 juillet. « On a ensuite marché jusqu’à la ville de Ben Gardane [une ville côtière à l’est de la Tunisie – ndlr]. »

 

À leur arrivée près d’une mosquée, où ils croisent une habitante à qui ils demandent de l’aide, une patrouille de police déboule et leur ordonne de « monter » à bord du véhicule. Matyla, qui souffre de crampes menstruelles, demande à aller à l’hôpital. « Au lieu de ça, ils nous ont emmenés au poste de police près du désert. Ils ont frappé tous les hommes, pris mon téléphone et notre argent », relate Crépin.

Ils passent la nuit de samedi à dimanche dans la cour, couchés à même le sol sur le sable et entourés de chiens de garde. Dimanche matin, la famille voit un premier groupe d’exilés contraint de monter à bord d’un fourgon. « Notre tour est venu ensuite. C’est là qu’ils nous ont abandonnés dans le désert. »

La famille marche, encore et encore, submergée par la fatigue, la soif et l’excès de chaleur. Crépin s’écroule, trop affaibli pour continuer. « Matyla était si assoiffée qu’elle a demandé à la petite d’uriner dans sa bouche. Mais Marie n’a pas pu, car elle était complètement déshydratée. » Ils n’ont alors pas bu une goutte d’eau depuis 24 heures.

« Je ne pouvais plus avancer et je ne pouvais pas les forcer à rester avec moi. Je leur ai dit : “Si Dieu veut, on se retrouvera en Libye”. » Elles doivent rejoindre un groupe d’exilés, abandonnés eux aussi dans le désert et qu’elles aperçoivent au loin.

Matyla échange par téléphone, sur WhatsApp, avec un ancien voisin jusqu’à 5 h 50, lundi 17 juillet. Puis plus rien. La position dans laquelle elles ont été retrouvées laisse penser à Crépin qu’elles se sont endormies, et que Matyla s’est éteinte avant Marie.

Une image qui le « hantera » toute sa vie

« Elles devaient être épuisées et elles ont dû s’allonger sur le sable, confie-t-il. Marie a dû poser sa main sur sa mère en voyant qu’elle ne réagissait plus. » Tant de scénarios et de suppositions. Tant de questions restées en suspens. Où sont passés leurs corps ? Ont-elles été enterrées et dans quelles conditions ? Pourra-t-il un jour se recueillir sur leur tombe ?

Cette fameuse photo, d’abord publiée par une page Facebook d’actualités sur la Libye, traduit selon lui le désespoir. Elles n’ont finalement pas réussi à rattraper le groupe. Elles n’ont pas croisé la route des gardes-frontières. Elles n’ont pas trouvé d’eau.

 

image from static.mediapart.fr

Matyla, vêtue de la même robe dans laquelle elle a été retrouvée morte dans le désert. © Crépin Mbengue Nyimbilo


« Quand je pense qu’une simple bouteille d’eau aurait pu les sauver… En voyant la photo, j’ai été obligé de reconnaître leur décès. Mais je n’arrive toujours pas à l’admettre. J’attends que Matyla m’appelle au téléphone, qu’elle vienne me retrouver. » Après avoir perdu connaissance dans le désert, Crépin dit s’être réveillé une fois la nuit tombée. Il aurait rêvé – ou halluciné ? – avoir trouvé cinq litres d’eau et les avoir bus d’une traite.

« Je ne sais pas pourquoi ni comment, mais ça m’a donné la force de me relever. » Le trentenaire aperçoit alors deux ombres, marchant elles aussi dans la pénombre. Deux Soudanais déportés également, qui lui offrent une bouteille d’eau. Ils finissent leur route ensemble jusqu’en Libye où ils pénètrent au petit matin, profitant de l’heure de la prière et d’un moment d’attention chez les gardes-frontières ; puis croisent un fermier qui accepte de les déposer à Zouara, où Crépin vivait avec Matyla et leur fille.

« Je suis allé chez nous, persuadé que je les trouverais là-bas. » Sans nouvelles de leur part, il pense d’abord qu’elles ont été arrêtées dans le désert et emprisonnées. Au bout de deux jours, un ami de la famille l’appelle et lui demande de venir en urgence.

« Il avait vu la photo et avait cru reconnaître Marie. Il m’a demandé de m’asseoir et d’être fort pour ce que j’allais voir. J’ai tout de suite reconnu la robe jaune de Matyla et ma petite Marie », s’effondre-t-il au téléphone. Cette image le « hantera » toute sa vie. L’homme avait des tonnes de photos d’elles, perdues lorsque son téléphone lui a été confisqué par les Tunisiens.

Mais en fouillant sur son compte Google, il retrouve une photo de sa femme vêtue de cette même robe jaune. C’est ce qui permet à l’ONG Refugees in Libya d’identifier formellement les deux victimes. Celle-ci lui a depuis trouvé un logement « plus sûr », quelque part en Libye : Crépin dit avoir été menacé par téléphone après avoir livré son récit à la presse une première fois (lire l’article d’AP News).

Des rêves brisés

Il rencontre Matyla pour la première fois à son arrivée en Libye, en 2016, alors que son parcours migratoire le mène jusque-là « un peu par hasard ». « J’ai quitté Buea au Cameroun quand la région était en proie aux sécessionnistes et qu’ils voulaient m’enrôler avec eux. Ils ont tué ma grande sœur parce que j’ai refusé. »

 

image from static.mediapart.fr

Crépin, Matyla et Marie, à Zaouïa en Libye. © Crépin Mbengue Nyimbilo


Crépin atterrit au « campo », près de Tripoli, un lieu où sont cachés les migrants dans l’attente de leur traversée de la Méditerranée. Au milieu d’une majorité d’anglophones, il repère Matyla, avec qui il noue des liens pour se serrer les coudes. Elle vient de Côte d’Ivoire, pays qu’elle a fui en même temps qu’une « vie compliquée ». « On y a passé quelques semaines et on y a conçu Marie. »

Après leur tentative ratée de traversée, ils sont tous deux emprisonnés, l’un à Beni Walid, l’autre à Sabratah. Crépin la retrouve via Facebook et découvre qu’elle est enceinte. Ils gardent le bébé, « heureux » de fonder une famille ; et Matyla accouche en mars 2017. Pour être mieux acceptée en Libye, elle emprunte un prénom à consonance arabe, « Fatima », ou « Fati ».

Au Maghreb, la vie des Noirs ne compte pas.

Crépin Mbengue Nyimbilo

Elle rêve d’ouvrir un restaurant qu’elle nommerait L’Abidjanaise, mais gagne sa vie en attendant en faisant le ménage chez des Libyens. Crépin est peintre, quand l’occasion se présente, dans le BTP. Marie grandit sans pouvoir être scolarisée. « On n’a jamais réussi à traverser. On a choisi d’aller en Tunisie en pensant que ce serait mieux qu’ici. »

Mais, au Maghreb, résume-t-il, « la vie des Noirs ne compte pas ». Si seulement leur histoire pouvait « mettre en lumière cette réalité-là ». Matyla, 30 ans, et Marie, 6 ans, sont mortes « pour rien », estime-t-il. « Gratuitement. » Lui affirme être mort de l’intérieur : « Mon corps est là mais mon esprit s’est éteint. »

Avant-hier, une femme l’a appelé pour lui annoncer que Matyla et Marie auraient été enterrées par les forces de sécurité libyennes à Aljmail, en périphérie de Zouara. « Un commandant m’a recontacté ensuite pour me demander si je voulais leur rendre visite. Il devait me proposer une date mais je n’ai plus de nouvelles. » Il n’attend plus que ça, pour être sûr qu’elles reposent en paix « quelque part ».

 

 

Nejma Brahim

1 août 2023 à 18h33

https://www.mediapart.fr/journal/international/010823/entre-la-tunisie-et-la-libye-matyla-et-marie-sont-mortes-pour-rien

 

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Rédigé le 01/08/2023 à 20:19 dans Immigration | Lien permanent | Commentaires (0)

Clémence Savelli - Ciao - (chanson sur les migrants)

 

 

ANNA MARIA CARULINA CELLI, POEMES ...EXTRAIT
Mieux vaut les doigts du vent
.
Qui te mènent en bateau
.
Par les cheveux vaguant
.
Au grand large de ses chevaux
.
Que les épaves de bois mort
.
Comme des taches d'encre sur la page
.
Où tu jettes les poèmes d'un meilleur sort
.
Echoués sur les bords de la plage
.
D'un lit trop grand ouvert
.
Tu ne saurais en faire les fagots de chaleur
.
Dont au plus fort de l'hiver
.
Il te faudra nourrir ton coeur
.
Mieux vaut le panache du torrent
.
Qui t'attache à ses rubans blancs
.
Te retient en courant
.
T'arrache à la fois des frissons et des rires
.
Que ces mornes visages qui ne respirent
.
Que par gémissements et soupirs
.
C'est par la mer qu'arrive le malheur
.
Par les rivières, l'amorce de l'apesanteur
.
Mes sommeils marchent sur l'eau
.
Mes songes sautent sur les pierres
.
Et moi, je dors la fenêtre béante
.
Au creux de la main, une petite lumière
.
Pour la traversée des vestibules clos
.
Au bout des chemins noirs chante
.
La note d'une rafale rasant une lame
.
Le cri perçant du poignard couvert de sang
.
Mieux vaut le tremblement de l'âme
.
Que le rouge à lèvres fardant le désir absent
.
Du vent ! Du vent !
.
Je vis avec un oiseau en cage
.
Un oiseau d'un bleu plumage
.
Qui me ressemble, m'assemble
.
Pour lui, chaque soir, je f.ais tomber le toit
.
Jusqu'à ce que mon corps tremble
.
Que le vent m'ôte d'un poids
.
Qui me mène en bateau
.
Par les cheveux vaguant
.
Au grand large de ses chevaux
.
Avant de revenir à l'irréel
.
De la toile d'araignée
.
Des enfers artificiels

 

 

image from p5.storage.canalblog.com

 


ANNA MARIA CARULINA CELLI

 

 

 

Rédigé le 31/07/2023 à 21:17 dans Immigration | Lien permanent | Commentaires (0)

Au large de la Tunisie, près de 800 migrants morts noyés en six mois

 

Selon la Garde nationale tunisienne, 789 corps de migrants ont été repêchés en mer, dont 102 Tunisiens au cours des six premiers mois de l’année.

 

Par L'Obs avec AFP
·Publié le 27 juillet 2023 à 14h35
 
Une embarcation de migrants, près de Malte, le 17 mai 2022.  (VALERIA FERRARO / Anadolu Agency via AFP)
Une embarcation de migrants, près de Malte, le 17 mai 2022. (VALERIA FERRARO / ANADOLU AGENCY VIA AFP)
 
 
 

Près de 800 migrants tentant de rallier clandestinement l’Europe sont morts noyés au large de la Tunisie au cours des six premiers mois de l’année, a indiqué ce jeudi 27 juillet le porte-parole de la Garde nationale tunisienne, Houcem Eddine Jebabli. Selon cette source, « 789 corps de migrants ont été repêchés en mer, dont 102 Tunisiens, les autres étant des étrangers et des personnes non identifiées. »

Mokhtar, 25 ans, Mascara, en Algérie : « J’ai tenté deux fois de traverser la Méditerranée »

Du 1er janvier au 20 juin, 34 290 migrants ont été interceptés et secourus, dont 30 587 « étrangers », en majorité originaires d’Afrique subsaharienne, contre 9 217 personnes interceptées ou sauvées sur la même période de 2022 (dont 6 597 étrangers), a précisé Houcem Eddine Jebabli. C’est près de quatre fois plus.

La suite après la publicité
 

Les unités de gardes-côtes ont mené 1 310 opérations durant les six premiers mois de 2023, soit plus de deux fois le nombre (607) recensé en 2022, a-t-il encore indiqué.

Plus de 80 000 passages en 2023 contre 33 000 en 2022

La Tunisie, dont certaines portions du littoral se trouvent à moins de 150 km de l’île italienne de Lampedusa, enregistre régulièrement des départs de migrants, originaires le plus souvent d’Afrique subsaharienne.

Selon Rome, plus de 80 000 personnes ont traversé la Méditerranée et sont arrivées sur les côtes de la péninsule italienne depuis le début de l’année, contre 33 000 l’an dernier sur la même période, en majorité au départ du littoral tunisien et de Libye.

La Méditerranée centrale, entre l’Afrique du Nord et l’Italie, est la route migratoire la plus dangereuse au monde en 2023, selon l’Organisation internationale des migrations (OIM), qui recense plus de 20 000 morts depuis 2014.

Passeurs de migrants, le business du désespoir : « Une traversée réussie, c’est 100 000 euros de bénéfice net »

Le 22 juin, une semaine après le naufrage au large du Péloponnèse d’un chalutier parti de Libye ayant fait au moins 82 morts et des centaines des disparus, une embarcation de migrants partie de Sfax en Tunisie a chaviré au large de Lampedusa, faisant une quarantaine de disparus.

Un climat de plus en plus ouvertement xénophobe se propage en Tunisie depuis que le président Kais Saied, qui s’est arrogé les pleins pouvoirs en juillet 2021, a pourfendu en février l’immigration clandestine.

Des centaines de migrants ont été expulsés de Sfax, deuxième ville de Tunisie, à la suite d’affrontements ayant coûté la vie à un Tunisien le 3 juillet. Depuis le coup de force du président Saied, les tentatives de départs de Tunisiens désespérés par la crise économique frappant ce pays du Maghreb, se poursuivent à un rythme soutenu.

 
 
 
 
Par L'Obs avec AFP
·Publié le 27 juillet 2023 à 14h35
https://www.nouvelobs.com/societe/20230727.OBS76282/au-large-de-la-tunisie-pres-de-800-migrants-morts-noyes-en-six-mois.html
 
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Rédigé le 27/07/2023 à 21:31 dans Immigration, Tunisie | Lien permanent | Commentaires (0)

Les migrants traversant la Méditerranée: plus de 300% cette année

 

 

 

Jamais les migrants sub sahariens n’ont été aussi nombreux à tenter de traverser la Méditerranée, a déclaré sur RFI le patron de Frontex, l’organisation européenne de régulation de l’immigration: plus 300% par rapport à l’année dernière. Près de 40000 auraient tenté la traversée de la Méditerranée.

La Tunisie est un des points de passage privilégiés par cet exode. Des embarcations fragiles d’un nouveau type, d’après Frontex, sont construites sur le sol tunisien, le cout du passage qui s’élève à 400 euros par migrant est à la baisse. Les Corps affluent dans la morgue de Sfax, près de deux cent pour les six premiers mois de 2023. Dans la vidéo tournée par Mondafrique, nous découvrons comment le port luxuriant de Zarzis, à quarante kilomètres de la frontière libyenne, est un des points de départ d’une émigration massive de Tunisiens vers l’Italie ou la France.

 

Les jeunes Tunisiens sont aussi concernés que les migrants sub sahariens ne sont pas les seuls concernés. La plupart s’embarquent  depuis l’île de Kerkena, à quelques kilomètres de la grande ville de Sfax, ou du port de Zarzis, où nous nous sommes rendus.

Mondafrique retrouvé des images d’archives sur le départ du premier chalutier bourré de clandestins qui quitte la Tunisie peu après le départ en 2011 du dictateur tunisien vers l’Arabie Saoudite.

 

By
 Nicolas Beau

13 mai 2023

https://mondafrique.com/video/lexode-des-jeunes-tunisiens-vers-litalie/

 

 

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Rédigé le 24/07/2023 à 15:27 dans Immigration | Lien permanent | Commentaires (0)

Les violences contre les migrants en Tunisie divisent la diaspora tunisienne

 

Propos incendiaires de Kaïs Saïed, racisme systémique, crise économique sont invoquées pour expliquer le déchaînement contre les Subsahariens.

 

image from img.lemde.frA Sfax, en Tunisie, le 12 juillet 2023, après une semaine de violences contre des migrants subsahariens. FATHI NASRI / AFP

 

« Quand j’arriverai en Tunisie pour les vacances, je sourirai aux migrants, ce n’est pas grand-chose, mais qu’ils ressentent qu’on n’est pas tous les mêmes », promet Mayssa Ben Abdallah, une étudiante en commerce de 22 ans qui appréhende son prochain voyage dans le pays de son père.

 

Depuis la mort, le 3 juillet, d’un Tunisien, lors d’affrontements à Sfax entre habitants et migrants subsahariens, la Tunisie est en proie à des violences racistes, encouragées par les déclarations du président Kaïs Saïed. En février, le chef de l’Etat dénonçait les « hordes de migrants » dont la présence serait le fruit d’un complot « pour changer la composition du paysage démographique en Tunisie ». Depuis, plusieurs centaines de personnes originaires d’Afrique subsaharienne, dont des femmes et des enfants, ont été expulsées de Sfax et conduites aux frontières libyenne et algérienne.

En France, la diaspora tunisienne, qui comptait 328 200 personnes en 2022 selon l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee), est divisée. Certains condamnent les violences à l’encontre des migrants, d’autres leur présence sur le sol tunisien et soutiennent la politique gouvernementale, voire justifient les brutalités sur les étrangers.

« Qu’on les renvoie dans le désert ! »

Sur le marché de Belleville, à Paris, l’absence d’empathie envers les migrants est criante. « Y en a plus que marre ! », martèle un homme en rangeant ses marchandises. L’homme d’une trentaine d’années, qui n’a pas souhaité donner son nom, estime que le nombre de migrants a augmenté en Tunisie, les viols, les crimes, et même les actes de cruauté sur les animaux ont explosé. « Avant, on leur tendait la main, maintenant, ils violent les femmes et ils tuent », renchérit un passant anonyme. Des dénonciations sans précisions ni éléments de preuves mais qui éclairent sur l’état des relations. « Qu’on les renvoie dans le désert ! », conclut ce dernier.

 

Pour l’étudiante Mayssa Ben Abdallah, le rejet des migrants serait une question d’âge : « C’est vrai qu’une partie de la génération plus âgée tient le même discours que tiennent les Français d’extrême droite. » Mohamed Bhar, ex-coordinateur de la Fédération des Tunisiens pour une citoyenneté des deux rives, dans le 19e arrondissement de Paris, condamne sans réserve les violences racistes observées de l’autre côté de la Méditerranée. Le 6 juin, comme chaque été, il est parti à Ksour Essef, à 200 km au sud de Tunis. Quelques jours après son arrivée, dans un supermarché, « quelqu’un s’est mis à lancer que les Subsahariens nous colonisent », témoigne-t-il.

« J’ai très peur des vacances que je vais passer en Tunisie, des discussions qui vont sans doute nous diviser », anticipe la psychiatre et écrivaine franco-tunisienne Fatma Bouvet de la Maisonneuve. « En France, l’extrême droite s’exprime comme on aurait jamais imaginé il y a quinze ans, ajoute Wafa Dahman, journaliste et enseignante à Lyon. En Tunisie, il se passe exactement la même chose. »

« Nos frères Africains »

Après les violences qui ont suivi la mort de Nahel, tué par un policier le 27 juin, une partie de la classe politique française a fait le lien entre immigration et émeutes. Pour certains immigrés tunisiens, leur pays d’origine répète ce schéma de stigmatisation. « Alors que les Tunisiens peuvent subir cette situation en France, nous, Tunisiens, exerçons la même chose sur nos frères Africains ? », s’indigne Fatma Bouvet de la Maissonneuve.

Parmi les personnes interrogées, les difficultés économiques actuelles de la Tunisie sont mises en avant comme première piste d’explication à la dérive raciste. « Avec la pauvreté, certains ne trouvent pas un bout de pain sec pendant trois jours », assure Ali Choubani, 80 ans, installé devant un lait fraise sur la terrasse d’un café de Belleville.

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« Il y a des files d’attente pour acheter du pain et il manque des produits de base comme la semoule ou le café, poursuit Mohammed Bhar. Certains rejettent les migrants à cause de ça, mais ce n’est qu’une justification, une partie de la population est simplement tombée dans le rejet de l’autre. » Pourtant, au sein de la société civile, certains se sont mobilisés. Des vidéos, filmées notamment à Sfax, montrent des habitants distribuer eau et nourriture aux migrants.

« Les Tunisiens aussi se noient en Méditerranée »

Par-delà la politique et les difficultés du quotidien, l’étudiante en commerce rappelle que la Méditerranée ne fait pas de préférence : « Les Tunisiens vivent la même chose vers l’Europe, ils galèrent et se noient. » Si de janvier à mai 2023, 3 432 Tunisiens, dont 864 mineurs, ont atteint les côtes italiennes, selon le Forum tunisien pour les droits économiques et sociaux, chaque année, des dizaines de jeunes harraga (littéralement des brûleurs de frontières) meurent en mer.

Ces violences sont advenues dans un contexte de négociation de « partenariat global » entre la Tunisie et l’Union européenne, qui souhaite que Tunis renforce ses contrôles migratoires.

L’épisode d’attaques racistes sur les migrants semble passé, mais « personne n’en sortira indemne », s’inquiète Fatma Bouvet de la Maisonneuve. « Ici, j’ai vu des Français pleurer pour les jeunes de banlieue. Nous, on pleure pour ce qu’on fait aux Noirs dans notre pays », raconte la psychiatre, « que deviendra la femme qui a accouché dans le désert ? Son enfant ? Les gamins, assoiffés, qu’on a laissés traîner dans la chaleur ? Tous auront des séquelles, que l’on ne verra pas. »

 

Par Emma Larbi

Publié aujourd’hui à 19h00
https://www.lemonde.fr/afrique/article/2023/07/13/les-violences-contre-les-migrants-en-tunisie-divisent-la-diaspora-tunisienne_6181858_3212.html
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Rédigé le 13/07/2023 à 15:30 dans Immigration | Lien permanent | Commentaires (0)

Immigrés subsahariens, boucs émissaires pour faire oublier l’hémorragie maghrébine

 

Les autorités tunisiennes mènent depuis début juillet une campagne contre les immigrés subsahariens accusés d’« envahir » le pays, allant jusqu’à les déporter en plein désert, à la frontière libyenne. Une politique répressive partagée par les pays voisins qui sert surtout à dissimuler l’immigration maghrébine massive et tout aussi « irrégulière », et à justifier le soutien des Européens

 

Gare de Sfax, 5 juillet 2023. Des immigrés subsahariens attendent un train pour fuir vers Tunis après les tensions raciales à Sfax qui ont dégénéré en violencesHoussem Zouari/AFP

 

La chasse à l’homme à laquelle font face les immigrés subsahariens en Tunisie, stigmatisés depuis le mois de février par le discours officiel, a une nouvelle fois mis en lumière le flux migratoire subsaharien vers ce pays du Maghreb, en plus d’ouvrir les vannes d’un discours raciste décomplexé. Une ville en particulier est devenue l’objet de tous les regards : Sfax, la capitale économique (270 km au sud de Tunis).

 

Le président tunisien Kaïs Saïed s’est publiquement interrogé sur le « choix » fait par les immigrés subsahariens de se concentrer à Sfax, laissant flotter comme à son habitude l’impression d’un complot ourdi. En réalité et avant même de devenir une zone de départ vers l’Europe en raison de la proximité de celle-ci, l’explication se trouve dans le relatif dynamisme économique de la ville et le caractère de son tissu industriel constitué de petites entreprises familiales pour une part informelles, qui ont trouvé, dès le début de la décennie 2000, une opportunité de rentabilité dans l’emploi d’immigrés subsahariens moins chers, plus flexibles et employables occasionnellement. Au milieu de la décennie, la présence de ces travailleurs, devenue très visible, a bénéficié de la tolérance d’un État pourtant policier, mais surtout soucieux de la pérennité d’un secteur exportateur dont il a fait une de ses vitrines.

L’ARBRE QUI NE CACHE PAS LA FORÊT

Or, focaliser sur la présence d’immigrés subsahariens pousse à occulter une autre réalité, dont l’évolution est autrement significative. Le paysage migratoire et social tunisien a connu une évolution radicale, et le nombre de Tunisiens ayant quitté illégalement le pays a explosé, les plaçant en tête des contingents vers l’Europe, aux côtés des Syriens et des Afghans comme l’attestent les dernières statistiques1 Proportionnellement à sa population, la Tunisie deviendrait ainsi, et de loin, le premier pays pourvoyeur de migrants « irréguliers », ce qui donne la mesure de la crise dans laquelle le pays est plongé. En effet, sur les deux principales routes migratoires, celle des Balkans et celle de Méditerranée centrale qui totalisent près de 80 % des flux avec près de 250 000 migrants irréguliers sur un total de 320 000, les Tunisiens se placent parmi les nationalités en tête. Avec les Syriens, les Afghans et les Turcs sur la première route et en seconde position après les Égyptiens et avant les Bengalais et les Syriens sur la deuxième2.

La situation n’est pas nouvelle. Durant les années 2000 — 2004 durant lesquelles les traversées « irrégulières » se sont multipliées, les Marocains à eux seuls étaient onze fois plus nombreux que tous les autres migrants africains réunis. Les Algériens, dix fois moins nombreux que leurs voisins, arrivaient en deuxième position3. Lorsque la surveillance des côtes espagnoles s’est renforcée, les migrations « irrégulières » se sont rabattues vers le sud de l’Italie, mais cette répartition s’est maintenue. Ainsi en 2006 et en 2008, les deux années de pics de débarquement en Sicile, l’essentiel des migrants (près de 80 %) est constitué de Maghrébins (les Marocains à eux seuls représentant 40 %), suivis de Proche-Orientaux, alors que la part des subsahariens reste minime4.

 

La chose est encore plus vraie aujourd’hui. À l’échelle des trois pays du Maghreb, la migration « irrégulière » des nationaux dépasse de loin celle des Subsahariens, qui est pourtant mise en avant et surévaluée par les régimes, pour occulter celle de leurs citoyens et ce qu’elle dit de l’échec de leur politique. Ainsi, les Subsahariens, qui ne figurent au premier plan d’aucune des routes partant du Maghreb, que ce soit au départ de la Tunisie et de la Libye ou sur la route de Méditerranée occidentale (départ depuis l’Algérie et le Maroc), où l’essentiel des migrants est originaire de ces deux pays et de la Syrie. C’est seulement sur la route dite d’Afrique de l’Ouest (qui inclut des départs depuis la façade atlantique de la Mauritanie et du Sahara occidental) que les migrants subsahariens constituent d’importants effectifs, même s’ils restent moins nombreux que les Marocains.

NÉGOCIER UNE RENTE GÉOPOLITIQUE

L’année 2022 est celle qui a connu la plus forte augmentation de migrants irréguliers vers l’Europe depuis 2016. Mais c’est aussi celle qui a vu les Tunisiens se placer dorénavant parmi les nationalités en tête de ce mouvement migratoire, alors même que la population tunisienne est bien moins importante que celle des autres nationalités, syrienne ou afghane, avec lesquelles elle partage ce sinistre record.

Ce n’est donc pas un effet du hasard si le président tunisien s’est attaqué aux immigrés subsahariens au moment où son pays traverse une crise politique et économique qui amène les Tunisiens à quitter leur pays dans des proportions inédites. Il s’agit de dissimuler ainsi l’ampleur du désastre.

De plus, en se présentant comme victimes, les dirigeants maghrébins font de la présence des immigrés subsahariens un moyen de pression pour négocier une rente géopolitique de protection de l’Europe5 et pour se prémunir contre les critiques.

Reproduisant ce qu’avait fait vingt ans plus tôt le dirigeant libyen Mouammar Kadhafi avec l’Italie pour négocier sa réintégration dans la communauté internationale, le Maroc en a fait un outil de sa guerre diplomatique contre l’Espagne, encourageant les départs vers la péninsule jusqu’à ce que Madrid finisse par s’aligner sur ses thèses concernant le Sahara occidental. Le raidissement ultranationaliste que connait le Maghreb, entre xénophobie d’État visant les migrants et surenchère populiste de défiance à l’égard de l’Europe, veut faire de la question migratoire un nouveau symbole de souverainisme, avec les Subsahariens comme victimes expiatoires.

DÉNI DE RÉALITÉ

Quand il leur faut justifier la répression de ces immigrés, les régimes maghrébins parlent de « flots », de « hordes » et d’« invasion ». Ils insistent complaisamment sur la mendicité, particulièrement celle des enfants. Une image qui parle à bon nombre de Maghrébins, car c’est la plus fréquemment visible, et cette mendicité, parfois harcelante, peut susciter de l’irritation et nourrir le discours raciste.

Cette image-épouvantail cache la réalité d’une importante immigration de travail qui, en jouant sur les complémentarités, a su trouver des ancrages dans les économies locales, et permettre une sorte d’« intégration marginale » dans leurs structures. Plusieurs décennies avant que n’apparaisse l’immigration « irrégulière » vers l’Europe, elle était déjà présente et importante au Sahara et au Maghreb.

Depuis les années 1970, l’immigration subsaharienne fournit l’écrasante majorité de la main-d’œuvre, tous secteurs confondus, dans les régions sahariennes maghrébines, peu peuplées alors, mais devenues cependant essentielles en raison de leurs richesses minières (pétrole, fer, phosphate, or, uranium) et de leur profondeur stratégique. Ces régions ont connu de ce fait un développement et une urbanisation exceptionnels impulsés par des États soucieux de quadriller des territoires devenus stratégiques et souvent objets de litiges. Cette émigration s’est étendue à tout le Sahel à mesure du développement et du désenclavement de ces régions sahariennes où ont fini par émerger d’importants pôles urbains et de développement, construits essentiellement par des Subsahariens. Ceux-ci y résident et, quand ils n’y sont pas majoritaires, forment de très fortes minorités qui font de ces villes sahariennes de véritables « tours de Babel » africaines6.

À partir de cette matrice saharienne, cette immigration s’est diffusée graduellement au nord, tout en demeurant prépondérante au Sahara, jusqu’aux villes littorales où elle s’est intégrée à tous les secteurs sans exception : des services à l’agriculture et à la domesticité, en passant par le bâtiment. Ce secteur est en effet en pleine expansion et connait une tension globale en main-d’œuvre qualifiée, en plus des pénuries ponctuelles ou locales au gré de la fluctuation des chantiers. Ses plus petites entreprises notamment ont recours aux Subsahariens, nombreux à avoir les qualifications requises. Même chose pour l’agriculture dont l’activité est pour une part saisonnière alors que les campagnes se vident, dans un Maghreb de plus en plus urbanisé.

On retrouve dorénavant ces populations dans d’autres secteurs importants comme le tourisme au Maroc et en Tunisie où après les chantiers de construction touristiques, elles sont recrutées dans les travaux ponctuels d’entretien ou de service, ou pour effectuer des tâches pénibles et invisibles comme la plonge. Elles sont également présentes dans d’autres activités caractérisées par l’informel, la flexibilité et la précarité comme la domesticité et certaines activités artisanales ou de service.

AMBIVALENCE ET DUPLICITÉ

Mais c’est par la duplicité que les pouvoirs maghrébins font face à cette migration de travail tolérée, voire sollicitée, mais jamais reconnue et maintenue dans un état de précarité favorisant sa réversibilité. C’est sur les hauteurs prisées d’Alger qu’on la retrouve. C’est là qu’elle construit les villas des nouveaux arrivants de la nomenklatura, mais c’est là aussi qu’on la rafle. C’est dans les familles maghrébines aisées qu’est employée la domestique noire africaine, choisie pour sa francophonie, marqueur culturel des élites dirigeantes. On la retrouve dans le bassin algéro-tunisien du bas Sahara là où se cultivent les précieuses dattes Deglet Nour, exportées par les puissants groupes agrolimentaires. Dans le cœur battant du tourisme marocain à Marrakech et ses arrière-pays et dans les périmètres irrigués marocains destinés à l’exportation. À Nouadhibou, cœur et capitale de l’économie mauritanienne où elle constitue un tiers de la population. Et au Sahara, obsession territoriale de tous les régimes maghrébins, dans ces pôles d’urbanisation et de développement conçus par chacun des pays maghrébins comme des postes avancés de leur nationalisme, mais qui, paradoxalement, doivent leur viabilité à une forte présence subsaharienne. En Libye, dont l’économie rentière dépend totalement de l’immigration, où les Subsahariens ont toujours été explicitement sollicités, mais pourtant en permanence stigmatisés et régulièrement refoulés.

Enfin, parmi les milliers d’étudiants subsahariens captés par un marché de l’enseignement supérieur qui en a fait sa cible, notamment au Maroc et en Tunisie et qui, maitrisant mieux le français ou l’anglais, deviennent des recrues pour les services informatiques, la communication, la comptabilité du secteur privé national ou des multinationales et les centres d’appel.

UN ENJEU NATIONAL

Entre la reconnaissance de leur utilité et le refus d’admettre une installation durable de ces populations, les autorités maghrébines alternent des phases de tolérance et de répression, ou de maintien dans les espaces de marge, en l’occurrence au Sahara.

La négation de la réalité de l’immigration subsaharienne par les pays maghrébins ne s’explique pas seulement par le refus de donner des droits juridiques et sociaux auxquels obligerait une reconnaissance, ni par les considérations économiques, d’autant que la vie économique et sociale reste régie par l’informel au Maghreb. Cette négation se légitime aussi du besoin de faire face à une volonté de l’Europe d’amener les pays du Maghreb à assumer, à sa place, les fonctions policières et humanitaires d’accueil et de régulation d’une part d’exilés dont ils ne sont pas toujours destinataires. Mais le véritable motif consiste à éviter de poser la question de la présence de ces migrants sur le terrain du droit. C’est encore plus vrai pour les réfugiés et les demandeurs d’asile. Reconnaître des droits aux réfugiés, mais surtout reconnaitre leur présence au nom des droits humains pose en soi la question de ces droits, souvent non reconnus dans le cadre national. Tous les pays maghrébins ont signé la convention de Genève et accueilli des antennes locales du Haut-Commissariat aux réfugiés des Nations unies (UNHCR), mais aucun d’entre eux n’a voulu reconnaître en tant que tels des immigrés subsahariens qui ont pourtant obtenu le statut de réfugié auprès de ces antennes.

En 2013, entre la pression d’une société civile galvanisée par le Mouvement du 20 février et le désir du Palais de projeter une influence en Afrique pour obtenir des soutiens à sa position sur le Sahara occidental, le Maroc avait promulgué une loi7 qui a permis temporairement de régulariser quelques dizaines de milliers de migrants. Elle devait aboutir à la promulgation d’un statut national du droit d’asile qui n’a finalement pas vu le jour8. Un tel statut, fondé sur le principe de la protection contre la persécution de la liberté d’opinion, protègerait également les citoyens maghrébins eux-mêmes. Or, c’est l’absence d’un tel statut qui a permis à la Tunisie de livrer à l’Algérie l’opposant Slimane Bouhafs, malgré sa qualité de réfugié reconnue par l’antenne locale du HCR. C’est cette même lacune qui menace son compatriote, Zaki Hannache, de connaître le même sort.

 

 

ALI BENSAAD > 13 JUILLET 2023

Professeur des universités, Institut français de géopolitique, université Paris 8.

https://orientxxi.info/magazine/immigres-subsahariens-boucs-emissaires-pour-faire-oublier-l-hemorragie,6624

 

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Rédigé le 13/07/2023 à 11:00 dans Immigration | Lien permanent | Commentaires (0)

Algérie. Des migrants subsahariens « sans permis de travail ni carte de séjour »

 

Comme les autres pays d’Afrique du Nord, l’Algérie voit arriver des migrants subsahariens, en transit ou pour y chercher du travail. Leurs conditions de vie et de séjour sont particulièrement difficiles, dans un climat marqué par la montée du racisme anti-noirs et les campagnes d’expulsions massives.

 

Pause sur la route vers un centre de transit pour migrants, à environ 200 kilomètres au nord de Tamanrasset
Ryad Kramdi/AFP
 
 

Sac à dos entre les jambes, la tête tenue par une main et le regard perdu, Sidi Yahia attend sa chance. Assis sur un escalier qui mène à une rue commerçante du quartier Safsafa, dans la banlieue sud d’Alger, ce Malien de 26 ans espère être choisi par un employeur. Autour de lui, le quartier rempli de commerces de matériaux de construction grouille de monde. À quelques mètres, en bas de l’escalier, deux ouvriers algériens attendent, eux aussi, une opportunité qui ne viendra probablement pas. Nous sommes fin avril, et le mois de ramadan tire à sa fin. Les ouvriers journaliers algériens et subsahariens se donnent rendez-vous sur des trottoirs ou carrefours, en quête d’une mission ponctuelle. Ils sont généralement sollicités par des citoyens qui construisent leur maison ou de petits entrepreneurs en bâtiment en manque de main-d’œuvre.

 

Le soleil est au zénith et l’approche de l’Aïd génère une certaine frénésie commerçante. Mais Sidi Yahia est préoccupé par autre chose : ce mois de piété pour de nombreux musulmans est celui de la clémence, mais pas forcément de l’abondance des offres d’emploi. Sans doute saignés par les dépenses liées aux festivités et à l’inflation qui touche l’économie algérienne depuis de longs mois, les employeurs se font rares. Malgré un manque cruel en main-d’œuvre dans certains domaines, comme le bâtiment et l’agriculture du fait d’une aversion croissante pour les métiers difficiles (un fait aggravé par la mise en place d’une allocation chômage par le gouvernement algérien), les immigrés subsahariens ne profitent pas des déséquilibres importants sur le marché du travail. La législation n’encourage en effet pas le recrutement d’une main-d’œuvre étrangère.

AU MALI, « NOUS RISQUONS DE QUITTER NOS MAISONS À TOUT MOMENT »

Dans un français correct, Sidi Yahia, vêtu d’une élégante veste noire qui laisse apparaître une belle montre, raconte que malgré sa polyvalence — il est à la fois peintre, manœuvre et parfois maçon — « il y a des jours où je trouve du travail, d’autres non. C’est vraiment aléatoire […] J’ai travaillé durant de longues semaines, avec mon frère, chez quelqu’un. Mais cela n’a pas duré plus que ça ». Il explique que son rêve est de « monter une petite affaire » avec l’argent gagné en Algérie.

S’il s’en sort mieux en Afrique du Nord que dans son pays, ce jeune homme originaire de Segou (sud du Mali) ne gagne pas des fortunes. « Je gagne entre 1 500 et 2 500 DA [entre 7,5 et 16 euros] par jour. » C’est en gros conforme à ce que gagnent les ouvriers algériens journaliers pour un temps plein, ce qui permet de générer un revenu trois fois supérieur au SNMG, le salaire national minimum garanti qui est d’environ 100 euros par mois. Mais comme pour la majorité écrasante des journaliers, Diarra n’a pas droit à la couverture sociale. Ni lui ni ses employeurs ne cotisent aux organismes de la sécurité sociale, et cela lui suffit juste pour vivre.

ulter les difficultés liées à la situation administrative de Sidi Yahia. Pour arriver jusqu’à Alger, il a dû suivre les chemins tortueux du désert : « J’ai parcouru les 4 000 km qui relient Segou à Alger en 4 à 5 jours. Un camion m’a déposé d’abord à Gao, puis un autre m’a conduit jusqu’à la frontière algérienne, à Timiaouine. De là, j’ai rejoint Tamanrasset, puis Alger », détaille notre interlocuteur qui atteste que comme une bonne partie des convois transportant des migrants subsahariens, le sien n’a pas été intercepté par les autorités algériennes. Il est ainsi arrivé à Alger le 15 juin 2015. Sept ans après, il reconnaît avoir eu de la chance puisque c’est son frère qui s’était occupé des frais de voyage. « Il a dû payer environ 300 euros aux passeurs », admet-il.

S’il a quitté son Mali natal, c’est pour échapper au conflit : « Je travaillais comme éleveur pour aider ma famille, mes parents aujourd’hui décédés, ma belle-mère et mes frères et sœurs. Mais depuis 2012, le début de la guerre a tout changé. La situation était devenue dangereuse ». Son frère Soleimane, 35 ans, était déjà à Alger où il avait ses habitudes. Le rejoindre était la seule option possible pour lui. « Les groupes armés s’attaquaient au bétail. Puis, la sécheresse est venue aggraver la situation », se désole encore l’ouvrier.

Le Mali vit depuis son indépendance au début des années 1960 au rythme des coups d’État, une instabilité politique chronique à l’ombre de laquelle prolifèrent des groupes armés en tout genre : djihadistes, bandits, trafiquants d’armes et de drogues. À cela s’ajoute la sécheresse qui rend toute activité agricole difficile et alors que tout investissement est périlleux. « Il existe des eaux souterraines. Mais l’insécurité fait qu’on ne peut rien investir. Nous risquons de quitter nos maisons à tout moment » affirme-t-il. Quant à l’idée de rester au Mali pour travailler dans le bâtiment, « il ne faut pas rêver ». Non seulement les emplois ne sont pas disponibles, mais les salaires sont tellement réduits qu’ils n’assurent pas le minimum de vie décente.

« MON RÊVE ÉTAIT DE VENIR ICI »

Assis sur le bord d’une barrière d’un carrefour d’une voie express menant de Ain Naadja (banlieue sud d’Alger) à Blida, Ahmed n’a pas la chance de Diarra. Ce Nigérien de 21 ans, venu de la région de Zinder, vit au jour le jour. Ses vêtements usagés, presque crasseux et les claquettes en lambeaux qu’il porte ce jour de mai en disent long sur son état. Pour réunir la somme nécessaire à son voyage algérien, il a dû travailler dur dans son pays et emprunter de l’argent : « Mon rêve était de venir ici », dit-il d’un verbe hésitant, dans un français à peine compréhensible, alors que nombre d’Algériens rêvent d’un ailleurs en Europe.

Les premières chaleurs de l’année ont déjà commencé à écraser le ciel algérois, mais n’empêchent pas des dizaines de jeunes subsahariens, essentiellement venus du Niger, de se tenir prêts, en quête d’une opportunité de travail ou d’un repas offert par des bienfaiteurs. La simple vue d’une voiture qui s’arrête provoque un attroupement. Ce jour-là, Ahmed n’a pas trouvé de « boulot », et la semaine a été à l’avenant. Alors, en attendant un hypothétique recruteur, il discute avec ses amis. « Je suis content d’être ici », s’efforce-t-il d’avancer en arabe algérien, sans doute pour gagner notre sympathie. La discussion est difficile, d’autant qu’en plus du handicap de la langue, l’attroupement provoqué par notre présence risque d’attirer l’attention de la police.

DES ABRIS DE FORTUNE À LA PÉRIPHÉRIE DES VILLES

Le chemin d’Ahmed ne ressemble pas à celui de Sidi Yahia. Les deux jeunes hommes partagent pour partie les mêmes raisons pour s’exiler. Le Malien a fui la guerre en plus de conditions économiques très difficiles. Pour le Nigérien, la faim, le chômage et le dénuement demeurent à l’origine de son départ du pays, rendant eux aussi la vie quasi impossible. Dans la région d’origine de ses parents, la terre est infertile. Le chômage atteint des sommets et les occasions d’embauches se raréfient

Malgré leurs bonnes volontés et contrairement à leurs rêves de départ, ces jeunes subsahariens ne vivent pas dans l’eldorado fantasmé. Comme la majorité de ses semblables, Ahmed dort dans des chantiers où s’entassent des dizaines de jeunes étrangers, arrivés récemment en Algérie. Souvent, les seuls mobiliers disponibles sont des matelas poussiéreux. Les sanitaires, lorsqu’ils sont disponibles, se trouvent à l’extérieur, et les occupants sont obligés de chercher les rares points d’eau extérieurs disponibles, créant des points de rassemblements qui les rendent visibles. C’est d’ailleurs cette précarité sanitaire qui permet souvent à la police d’interpeller les groupes d’immigrés dans le but de les renvoyer chez eux.

Ces dernières années, certains étrangers ont créé des camps de fortune dans la périphérie des villes où s’entassaient des milliers de personnes dans des conditions d’hygiène épouvantables. Ces bidonvilles ont été démantelés par les autorités et leurs occupants renvoyés dans leur pays. C’est le cas d’un taudis bâti à Hasnaoua, dans la banlieue sud de Tizi-Ouzou. Ahmed, directeur d’une entreprise à Alger, se souvient du temps où il devait passer par ce regroupement, crée dans un terrain vague. « Il n’y avait pas de toilettes ni d’eau courante. Les migrants faisaient leurs besoins à même le sol. L’odeur était devenue insupportable », raconte-t-il avec un sentiment où la pitié pour ces desperados se mêle à la recherche d’une solution politique au phénomène de l’immigration clandestine. Le camp a fini par être démantelé par les autorités.

Une fois encore, Sidi Yahia est plus chanceux. Son frère aîné Soleimane, convenablement inséré économiquement, a loué un appartement à Birkhadem, à une dizaine de kilomètres au sud d’Alger. En plus de sa femme et leurs deux enfants, il héberge son jeune frère qui a donc un toit et l’accès à des repas réguliers. Leur maison dispose du nécessaire : de l’eau courante, de l’électricité et du gaz, en plus d’être bien située, proche des axes et opportunités d’emploi, mais aussi de crèches ou écoles privées. C’est là un indéniable luxe pour des immigrés qui se plaignent souvent de la difficulté d’accéder à des prestations de base, à cause notamment de l’absence de documents nécessaires à leur établissement dans le pays.

DES EXPULSIONS MASSIVES

Alors que des médias occidentaux et subsahariens rapportent souvent des cas d’expulsions massives de migrants subsahariens1 Sidi Yahia semble plus au moins épargné. Mais à quel prix ? « Je n’ai ni permis de travail ni carte de séjour. C’est intenable ». Il nous montre son passeport. Pour entrer en Algérie, il n’a pas besoin de visas, mais, afin de demeurer en règle, « tous les trois mois, je dois quitter le territoire pour avoir le cachet de la police aux frontières sur mon passeport. Je fais souvent un aller-retour Alger-Niamey ou je sors par la frontière tunisienne. À chaque retour, je peux donc rester trois mois. Cela me coûte de l’argent et du temps », explique calmement Sidi Yahia. Il poursuit en affirmant qu’il lui est impossible de stabiliser sa situation administrative : « Mon seul rêve est de travailler légalement, ici, en Algérie. Je veux payer mes impôts mes cotisations sociales et bénéficier des prestations dont peuvent bénéficier les Algériens. Maintenant, si je tombe malade, je ne peux pas aller à l’hôpital ». Il raconte le jour où ce cachet sur son passeport, preuve de sa légalité malgré tout, l’a sauvé. « Une fois, j’ai été arrêté lors d’une rafle de la police. On m’avait enlevé mon téléphone portable. Mais quelques heures après, j’ai été relâché après avoir montré mon passeport. »

Évidemment, ces défis quotidiens, tant économiques qu’administratifs, ne concernent pas seulement Ahmed et Sidi Yahia. « On relève une tendance à la baisse des travailleurs migrants en situation régulière et une hausse sensible des travailleurs étrangers sans aucune couverture sociale. L’intégration économique des migrants en situation irrégulière exerçant dans l’économie informelle est désormais un défi constant », relève une récente étude menée par le Centre de recherche en économie appliquée en développement (CREAD), basé à Alger, qui s’intéresse à la question migratoire dans le pays d’Afrique du Nord.

ABANDONNÉS DANS LE DÉSERT ?

Grâce à des accords passés avec les pays subsahariens, notamment le Niger, l’Algérie renvoie chaque année des centaines de migrants. Parfois, des journalistes sont invités à couvrir ces opérations à partir des centres de regroupement installés dans plusieurs villes du nord, puis dans un grand camp « doté de toutes les commodités » à Tamanrasset, dans l’extrême sud. Des médias ont évoqué récemment des expulsions massives et citant des ONG, ils ont décrit des migrants « laissés » dans le désert, à la frontière nigérienne. Le 22 juin 2023, l’AFP citant des ONG, a fait état de plus de 9 000 migrants renvoyés d’Algérie et bloqués à Assamaka, dans le nord du Niger, depuis le début de l’année. Selon les autorités régionales d’Agadez, 9 192 migrants (8 828 hommes, 161 femmes, 152 garçons et 51 filles), la plupart originaires d’Afrique subsaharienne, sont arrivés à Assamaka depuis le début de l’année. En réponse, les autorités ont toujours affirmé pratiquer un « traitement humain » des migrants. Mais récemment encore, en écho aux discours diffusés par exemple par les autorités tunisiennes, elles ont accusé des « parties extérieures » d’inonder le pays de migrants2.

Durant de longues semaines, nous avons tenté de contacter le ministère de l’intérieur, l’Organisation internationale de la migration (OIM) et des associations d’aide aux migrants. Nous n’avons reçu aucune réponse.

 
 
 
ALI BOUKHLEF

Journaliste algérien indépendant, a travaillé pour les quotidiens Liberté et Al Watan.

12 JUILLET 2023
https://orientxxi.info/magazine/algerie-des-migrants-subsahariens-sans-permis-de-travail-ni-carte-de-sejour,6623
 
 
 

Entre l’Algérie et le Niger, la prison à ciel ouvert d’Assamaka

 

Depuis 2014, l’Algérie multiplie les expulsions vers le Niger de migrants subsahariens dans des convois plus ou moins officiels, et sans aucune humanité. Abandonnés dans le désert, ils doivent marcher plusieurs heures pour atteindre le village d’Assamaka, où, livrés à eux-mêmes, ils survivent comme ils peuvent.

 
 
Au centre de transit de l’OIM à Agadez en 2016. Des Subsahariens expulsés d’Algérie attendent d’être rapatriés dans leur pays.
© IOM
 
 

Des files de migrants s’étendent sur une centaine de mètres au milieu du désert nigérien. Ils attendent aux portes du commissariat d’Assamaka. Depuis une dizaine d’années, ce village proche de la frontière entre l’Algérie et le Niger est le réceptacle des migrants d’origine subsaharienne expulsés par l’Algérie. Ces derniers n’ont parfois d’autre choix que d’y rester sans aucune solution et d’errer dans les rues de cette petite localité perdue au milieu du désert. Entre le 1er janvier et le 1er avril 2023, l’ONG Alarme Phone Sahara, qui vient en aide aux migrants dans la zone sahélo-saharienne, a comptabilisé 11 336 personnes expulsées de l’Algérie vers le Niger. Début mai, plus de 5 000 d’entre elles étaient bloquées à Assamaka, selon les autorités nigériennes.

Assamaka est situé à quelques encablures de la frontière avec l’Algérie, et à environ 500 km d’Agadez.
© Google maps / Afrique XXI

Depuis 2014, l’Algérie est devenue une machine à expulser1. Terre d’immigration pour de nombreux Subsahariens, ce pays a longtemps fermé les yeux sur un phénomène dont tout le monde semblait s’accommoder : ces migrants venaient faire les travaux dont ne voulaient plus les jeunes Algériens. Puis tout a changé après un drame : le 2 octobre 2013, 92 migrants (des Nigériens pour la plupart) sont retrouvés morts dans le désert, à quelques kilomètres de la frontière nigéro-algérienne. Ils faisaient partie d’un convoi de 112 personnes, dont une majorité de femmes et d’enfants venus de la région de Zinder, dans le sud du Niger2. Après cette découverte macabre, les deux États ont multiplié les contrôles sur la route et ont passé un accord (tacite) en décembre 2014 permettant à l’Algérie de renvoyer les femmes et les enfants nigériens entrés clandestinement sur son sol.

« Cet accord devait permettre à l’Algérie de renvoyer vers le Niger les citoyens nigériens se trouvant en situation d’irrégularité », rapporte l’ONG Alarme Phone Sahara. Mais la réalité est aujourd’hui bien différente. Si, durant les premières années qui ont suivi la signature de l’accord, la plupart des rapatriés étaient des femmes et des enfants (dont beaucoup étaient originaires de la région de Zinder), au fil du temps, les cibles de la police algérienne ont changé. Elle a commencé par expulser des hommes nigériens puis, à partir de 2017, des ressortissants d’autres pays que le Niger – des Ouest-Africains pour la plupart, mais aussi des Syriens, des Palestiniens ou encore des Bangladais. Beaucoup sont de jeunes hommes, voire des mineurs3, et certains d’entre eux ne devraient pas être expulsés – soit parce qu’ils sont en situation régulière en Algérie, soit parce qu’ils possèdent une attestation de réfugié délivrée par le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés.

À partir de 2018, on assiste, selon les mots d’un responsable de l’Organisation internationale pour les migrations (OIM) en poste à Niamey à l’époque, à « une véritable chasse à l’homme noir » dans les villes algériennes. Le rapporteur spécial des Nations unies sur les droits de l’homme des migrants, Felipe González Morales, s’en inquiète en octobre 2018. À l’issue d’une mission au Niger, il dénonce le « mode opératoire » choisi par les autorités algériennes. « Ces expulsions collectives de l’Algérie vers le Niger constituent une violation flagrante du droit international, notamment du principe fondamental de non-refoulement et des garanties d’une procédure régulière, et doivent cesser immédiatement », assène-t-il. Sans suite. Les autorités nigériennes ont beau dénoncer la dérive d’Alger, rien n’y fait. En février 2017, l’actuel président, Mohamed Bazoum, alors ministre de l’Intérieur, demande à l’Algérie de cesser ces expulsions. Là aussi sans succès.

UNE POLITIQUE « RACISTE »

Le 12 février 2023, un convoi arrive au « Point zéro », un no man’s land situé à la frontière algéro-nigérienne où les autorités algériennes jettent les migrants, en plein désert. Sur les 899 personnes arrivées ce jour-là, Alarme Phone Sahara a recensé une majorité de Guinéens et de Maliens et une seule personne de nationalité nigérienne. Parmi eux, un grand nombre d’hommes, mais aussi des femmes parfois enceintes, des enfants et des personnes âgées. Certains ont été dépouillés de leurs biens lors de leur arrestation. Isolés au milieu du désert, parfois en pleine nuit, toutes et tous se retrouvent sans eau ni nourriture, et doivent parcourir 15 kilomètres à pied pour rejoindre le village d’Assamaka. Un chemin où l’on peut se perdre. En les abandonnant ainsi, le gouvernement algérien les met en danger de mort.

Comment expliquer qu’Alger profite de cet accord passé avec Niamey pour expulser tous les ressortissants d’Afrique subsaharienne ? « Même au niveau de l’Union africaine, personne ne fait rien, l’Algérie continue de faire ce qu’elle veut », déplore Moctar Dan Yaye, d’Alarme Phone Sahara. Ce dernier dénonce « une politique raciste » de l’Algérie qui cherche à « se débarrasser des Noirs dans le pays ». Une dynamique d’expulsion qui va en s’accentuant. « Selon les chiffres documentés par les lanceurs d’alerte d’Alarme Phone Sahara à Assamaka, au moins 24 250 personnes ont été expulsées d’Algérie au Niger avec des convois officiels et non officiels pendant l’année 2022 », relate l’ONG.

Face à cet afflux (+ 35 % de demandes d’assistance en 2022 par rapport à l’année précédente, selon le bureau de coordination des affaires humanitaires des Nations unies au Niger), les organisations d’aide aux migrants sont désemparées. L’OIM semble paralysée. Moctar Dan Yaye rapporte qu’elle a dû fermer ses portes aux nouveaux arrivants le temps de traiter les dossiers des migrants déjà sur place. Or c’est par cette organisation onusienne que doivent passer les rapatriés d’Algérie lorsqu’ils rejoignent Assamaka. Ils ont le choix entre retenter le passage vers l’Algérie (ou vers la Libye), demander l’asile au Niger, ou rentrer dans leur pays d’origine. Lorsqu’ils optent pour cette deuxième voie, ils doivent en faire la demande auprès du centre de l’OIM à Assamaka. Un centre aujourd’hui fermé aux nouvelles demandes car surchargé. « Depuis le début de l’année, nous avons remarqué un ralentissement dans l’organisation de ces convois de rapatriement. Du coup, les anciens qui étaient là sont restés sur place et les migrants continuent d’arriver. C’est ce qui crée le débordement », témoigne Boulama Elhadji Gori, responsable adjoint de programme pour le Niger au sein de l’ONG Médecins sans frontières (MSF). Fin mars, ni l’OIM ni l’État nigérien n’avaient mis en place de moyens afin de leur permettre de quitter le village. Contactés par Afrique XXI, ils n’ont pas donné suite.

 

Des centaines de personnes expulsées d’Algérie attendent de pouvoir être prises en charge par l’OIM à Assamaka (mars 2023).
© Alarme Phone Sahara
 

Les migrants ayant rejoint Assamaka sont donc condamnés à errer dans ses rues. Boulama Elhadji Gori estime aujourd’hui la population du village à 6 000 habitants alors qu’il n’en comptait que 1 000 il y a quelques années. Il parle d’une « crise humanitaire ». « Le village déborde, constate-t-il. Les migrants sont généralement installés dans le centre de santé ou aux abords avec des conditions d’hygiène inacceptables parce que le centre n’a jamais été préparé pour ça. » Dans cette zone, les habitants souffraient déjà d’un manque d’accès aux services publics avant l’afflux des exilés. En outre, ajoute Boulama Elhadji Gori, « ces personnes sont en situation de désespoir, elles s’exposent à plusieurs risques tels que l’extorsion, la prostitution, mais aussi à des conditions hygiéniques qui peuvent affecter leur santé ».

UNE CRISE HUMANITAIRE ET SOCIALE

Moctar Dan Yaye est en contact avec des correspondants sur place. Ces derniers rapportent une situation devenue intenable. « Les migrants bloqués à Assamaka n’ont pas d’autre choix que de mendier toute la journée pour survivre, et de dormir dans les rues du village. Les personnes expulsées volent et abattent même des animaux pour se nourrir. Cela crée des tensions et des conflits supplémentaires », indique-t-il.

Pourtant, les autorités savent de quoi il ressort. En avril, Elhadj Magagi Maman Dada, le gouverneur de la région d’Agadez, a qualifié la situation de « crise humanitaire et sociale ». Dans le prolongement de ces déclarations, il a invité les chefs des structures institutionnelles et les représentants de la société civile à une réunion au cours de laquelle un groupe de travail a été créé afin de réfléchir à la problématique des conditions de vie des migrants sur place. Le ministre de l’Intérieur du Niger s’est également rendu au centre de l’OIM à Agadez, la grande ville du nord du pays, puis à Assamaka, située à environ 500 km d’Agadez.

Malgré ces avancées, Alarme Phone Sahara n’a jusque-là pas relevé de changement dans la prise en charge des migrants. Sur place, ces derniers dénoncent le comportement de l’OIM qui continue de ne pas prendre en charge les nouveaux arrivants.

Moctar Dan Yaye dénonce une volonté de fermer les yeux : « On est surpris par le silence des grandes puissances, alors qu’on tire la sonnette d’alarme depuis des années. » Le 21 mars, MSF a publié un communiqué appelant à protéger les migrants abandonnés dans le désert. L’ONG dénonce une situation sans précédent. « Il faudrait que des sanctions soient mises en place contre l’Algérie pour qu’elle arrête d’agir comme un État outlaw [hors-la-loi] », explique Moctar Dan Yaye. Mais, d’après lui, la mise en place de sanctions internationales paraît pourtant encore lointaine au vu des réactions de l’autre côté de la Méditerranée. Pour lui, la fermeture des frontières européennes n’offre que peu d’espoir quant à une réaction internationale. Il dénonce « la volonté de l’Occident de s’ériger en une forteresse en oubliant que sa propre histoire est faite de migrations ».

SHAÏ PAUSET

Journaliste indépendante, engagée sur les questions de migrations, d’exil et de droits humains.

 
 
 
 SHAÏ PAUSET > 8 MAI 2023
https://afriquexxi.info/Entre-l-Algerie-et-le-Niger-la-prison-a-ciel-ouvert-d-Assamaka
 
 
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Rédigé le 12/07/2023 à 15:22 dans Algérie, Immigration | Lien permanent | Commentaires (0)

Migrants chassés de la Tunisie: deux corps retrouvés dans le désert près de l'Algérie

 

image from m1.quebecormedia.com

 

Au moins deux corps de migrants africains ont été retrouvés en une dizaine de jours dans des zones désertiques à la frontière entre la Tunisie et l'Algérie où des dizaines d'autres errent abandonnés à leur sort, selon un porte-parole judiciaire et un témoin tunisiens.

• À lire aussi: Tunisie: des migrants africains chassés après la mort d'un Tunisien

• À lire aussi: Tunisie: un homme tué dans des heurts avec des migrants

À la suite d'affrontements ayant coûté la vie à un Tunisien la semaine dernière, des dizaines de migrants de pays d'Afrique subsaharienne ont été chassés de Sfax (centre-est de la Tunisie) et conduits par les autorités, selon des ONG, vers des zones inhospitalières frontalières de la Libye et l'Algérie.

«Un premier corps a été retrouvé il y a au moins dix jours dans le désert de Hazoua (tout près de la frontière algérienne, ndlr) et un autre hier soir», a dit mardi à l'AFP Nizar Skander porte-parole du tribunal de Tozeur, dans le sud-est de la Tunisie, instance qui a «ouvert une enquête pour mort douteuse».

«Il s'agissait de deux jeunes hommes, la protection civile est venue chercher celui qui a été retrouvé hier», a indiqué à l'AFP le témoin, un commerçant local qui a requis l'anonymat.

Selon lui, «deux convois en une semaine ont été vus en train de déposer des migrants d'Afrique subsaharienne, au total une centaine dans les environs de Hazoua».

«Beaucoup de ces migrants essayent de rejoindre les oasis où les habitants leur donnent de l'eau et de la nourriture», a ajouté le témoin.

L'ONG Human Rights Watch a fait part lundi de son inquiétude pour «150 à 200 migrants subsahariens» se trouvant dans les zones frontalières entre l'Algérie et la Tunisie.

Un migrant guinéen, Mamadou, qui s'est géolocalisé à Douar El Ma, du côté algérien de la frontière, a lancé lundi un appel de détresse à l'AFP en disant n'avoir «ni eau ni nourriture». Il n'était plus joignable mardi. Ils étaient une trentaine dans la même situation, a-t-il témoigné.

HRW avait recueilli un témoignage il y a quelques jours parlant de «plusieurs personnes mortes près de la frontière algérienne».

«De nombreuses personnes expulsées près de la frontière algérienne risquent leur vie si elles ne sont pas immédiatement secourues», a déclaré à l'AFP Salsabil Chellali, directrice de HRW en Tunisie.

HRW a annoncé lundi soir la mise à l'abri de 500 à 700 migrants subsahariens qui avaient été abandonnés la semaine passée dans une zone tampon à la frontière entre la Tunisie et la Libye vers au moins trois villes tunisiennes: Ben Guerdane, Tataouine et Médenine.

 


AGENCE FRANCE-PRESSE
Mardi, 11 juillet 2023 09:13

https://www.journaldemontreal.com/2023/07/11/migrants-chasses-de-la-tunisie-deux-corps-retrouves-dans-le-desert-pres-de-lalgerie

 

 

image from i.f1g.fr

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Rédigé le 11/07/2023 à 13:33 dans Immigration | Lien permanent | Commentaires (0)

A Ellouza, port de pêche tunisien, la mort, l’errance et les retours contraints des migrants qui rêvent d’Europe

 

Ce village situé au nord de Sfax n’est qu’à 150 km de Lampedusa. Un point de départ à haut risque pour les migrants subsahariens qui tentent de rallier l’Europe. Dimanche, une nouvelle embarcation a fait naufrage au large des côtes tunisiennes ; une personne a été tuée et une dizaine d’autres sont portées disparues.

 

image from img.lemde.frDes migrants subsahariens attendent un train pour Tunis à la gare de Sfax, le 5 juillet 2023. HOUSSEM ZOUARI / AFP

 

Après cinq heures de mer, Yannick pose finalement pied sur la terre ferme. Mais du mauvais côté de la Méditerranée. Ce Camerounais de 30 ans, avec des dizaines d’autres migrants subsahariens, vient, jeudi 6 juillet, d’être intercepté par les garde-côtes tunisiens au large d’Ellouza, petit village de pêcheurs à 40 km au nord de Sfax. Envolés les 2 500 dinars (800 euros) que lui a coûtés la traversée vers Lampedusa (Italie).

Sur la plage, une unité de la

garde nationale est déjà en poste pour les accueillir. Les agents tentent de contenir les quelques villageois, curieux, venus assister au débarquement. Hommes, femmes, enfants et nourrissons sont ainsi contraints de quitter leur bateau de fortune, devant des spectateurs amusés – ou au moins habitués – et face à une police sur les nerfs. Un gendarme, tendu, prend son téléphone pour demander des renforts. « Vous nous laissez seuls, personne n’est arrivé », reproche-t-il à son interlocuteur. « C’est tous les jours comme ça, plusieurs fois par jour », maugrée-t-il en raccrochant.

 

Les uns après les autres, les migrants quittent le bateau. « Venez ici. Asseyez-vous. Ne bougez pas », crient les agents des forces de l’ordre qui retirent le moteur de l’embarcation de métal et éloignent les bidons de kérosène prévus pour assurer la traversée d’environ 150 km qui séparent Ellouza de Lampedusa. Migrants subsahariens, villageois tunisiens et agents de la garde nationale se regardent en chien de faïence. Dans l’eau, le petit bateau des garde-côtes qui a escorté les migrants surveille l’opération. La présence inattendue de journalistes sur place ne fait qu’augmenter la tension. Yannick, accompagné de son frère cadet, s’inquiète. « Est-ce qu’ils vont nous emmener dans le désert, ne les laissez pas nous emmener », supplie-t-il.

Violents affrontements

Depuis une semaine, des centaines de migrants subsahariens ont été chassés de Sfax vers une zone tampon désertique bordant la mer, près du poste frontière avec la Libye de Ras Jdir. D’autres ont été expulsés à la frontière algérienne. Ces opérations font suite aux journées d’extrême tension qui ont suivi la mort d’un Tunisien, lundi 3 juillet, tué dans une rixe avec des migrants subsahariens, selon le porte-parole du parquet de Sfax.

Trois hommes, de nationalité camerounaise, d’après les autorités, ont été arrêtés. Dans la foulée, des quartiers de Sfax ont été le théâtre de violents affrontements. Des Tunisiens se sont regroupés pour s’attaquer aux migrants et les déloger de leur habitation. Yannick et son petit frère faisaient partie des expulsés. Les deux hommes ont fui la ville au milieu de la nuit, parcourant des dizaines de kilomètres à pied pour se réfugier dans la « brousse », près d’Ellouza.

La région de Sfax est depuis devenue le théâtre d’un étrange ballet. Toute la journée et toute la nuit, dans l’obscurité totale, des groupes de migrants subsahariens errent sur les routes communales entourées de champs d’oliviers et de buissons. « A chaque fois, quelques personnes étaient chargées des courses, de l’eau et un peu de nourriture. Il fallait transporter le tout à pied sur plusieurs kilomètres », raconte Yannick. Lui et son petit frère de 19 ans ont dormi deux nuits dehors, avant que leur grande sœur, qui a réussi à rejoindre la France des années auparavant, ne leur paie leur traversée, prévue le 6 juillet à midi.

« Commerçants de la mort »

Ce jour-là, près du port d’Ellouza, Hamza, 60 ans, repeignait son petit bateau en bois bleu et blanc. Ce pêcheur expérimenté ne cache pas son émotion face au drame dont son village est le théâtre. Lui-même a dû s’improviser pêcheur de cadavres depuis quelque temps. Des corps sans vie se coincent parfois dans ses filets. « Une fois, j’ai trouvé la moitié du corps d’une femme mais elle était dans un état de décomposition tel que je n’ai pas trouvé par où la tenir. Je l’ai laissée là. Je n’ai pas pu dormir pendant des jours », dit-il, la voix tremblante.

Dimanche 9 juillet, une nouvelle embarcation a fait naufrage au large de cette région : une personne est morte et une dizaine d’autres sont portées disparues. En plus des cadavres, les épaves des bateaux métalliques qui servent à la traversée des migrants déchirent souvent les filets des pêcheurs. « Je n’ai pas les moyens de racheter des filets tous les mois », regrette Hamza.

Le long de la côte autour d’Ellouza, les bateaux métalliques échoués et rongés par la rouille sont innombrables. Ces bateaux, de « très mauvaise qualité » selon le pêcheur, sont construits en quantités importantes et coûtent moins cher que ceux en bois, les pneumatiques ou les barques en plastique qui servaient auparavant à la traversée. « Ce sont des commerçants de la mort », accuse Hamza en pointant aussi bien les passeurs que les politiques migratoires européennes et les autorités tunisiennes.

Lire aussi : Article réservé à nos abonnés Au large de la Tunisie, les naufrages de migrants se succèdent :

« Je retenterai ma chance »

La Commission européenne a annoncé en juin le déblocage de 105 millions d’euros « pour lutter contre les passeurs [et] investir dans le contrôle maritime des frontières par les Tunisiens », sans compter la coopération bilatérale venant de Paris ou Rome. Selon le Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés, durant le premier semestre, près de 30 000 migrants sont arrivés à Lampedusa en provenance de Tunisie.

Sur les rochers recouverts d’algues, des centaines de pneus de voiture, servant à amarrer les navires, jonchent la côte. Depuis la falaise, on aperçoit le corps en début de décomposition d’un migrant. Un autre à quelques mètres. Et puis un autre encore, en contrebas, devenu squelette. Personne n’a cherché à les enterrer, ni à savoir qui ils étaient. Ils font partie des « disparus » en mer. Des chiens rôdent. Le paysage est aussi paradisiaque qu’infernalDébarqué vers 17 heures, Yannick sera finalement relâché sur la plage avec son groupe. « C’est grâce à vous, si vous n’étiez pas restés, ils nous auraient embarqués et emmenés à la frontière », assure-t-il. Le soir même, avec son frère, ils ont parcouru à pied les dizaines de kilomètres qui séparent Ellouza de Sfax. Cette fois dans l’autre sens. Après être arrivé à la gare ferroviaire à 3 heures du matin, Yannick a convaincu un vieil homme de leur acheter des tickets pour Tunis.

Ils sont finalement arrivés sains et saufs dans la capitale. « Il faut que je trouve du travail mais la situation est plus acceptable ici », dit-il. Malgré cette expérience, Yannick est toujours convaincu qu’un avenir meilleur l’attend de l’autre côté de la Méditerranée. « Quand j’aurai l’argent, je retenterai ma chance, promet-il. Retourner au pays n’est pas une option. »

 

Par Monia Ben Hamadi(Ellouza (Tunisie), envoyée spéciale)

Publié aujourd’hui à 05h0

https://www.lemonde.fr/afrique/article/2023/07/10/a-ellouza-port-de-peche-tunisien-la-mort-l-errance-et-les-retours-contraints-des-migrants-qui-revent-d-europe_6181249_3212.html

 

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Rédigé le 10/07/2023 à 00:02 dans Immigration, Tunisie | Lien permanent | Commentaires (0)

Pour garder ses frontières, l’Europe se précipite au chevet de la Tunisie

 

Alors que le régime du président Kaïs Saïed peine à trouver un accord avec le Fonds monétaire international, la Tunisie voit plusieurs dirigeants européens — notamment italiens et français — voler à son secours. Un « soutien » intéressé qui vise à renforcer le rôle de ce pays comme garde-frontière de l’Europe en pleine externalisation de ses frontières.

 

 

 

image from lh3.googleusercontent.com

Réception de la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen par le président Kaïs Saïed au palais de Carthage, le 11 juin 2023
Présidence tunisienne/AFP
 
 

C’est un fait rarissime dans les relations internationales. En l’espace d’une semaine, la présidente du Conseil italien, Giorgia Meloni, aura effectué deux visites à Tunis. Le 7 juin, la dirigeante d’extrême droite n’a passé que quelques heures dans la capitale tunisienne. Accueillie par son homologue Najla Bouden, elle s’est ensuite entretenue avec le président Kaïs Saïed qui a salué, en français, une « femme qui dit tout haut ce que d’autres pensent tout bas ». Quatre jours plus tard, c’est avec une délégation européenne que la présidente du Conseil est revenue à Tunis.

Accompagnée de la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen et du premier ministre néerlandais Mark Rutte, Meloni a inscrit à l’agenda de sa deuxième visite les deux sujets qui préoccupent les leaders européens : la stabilité économique de la Tunisie et, surtout, la question migratoire, reléguant au second plan les « valeurs démocratiques ».

UN PACTE MIGRATOIRE

À l’issue de cette rencontre, les Européens ont proposé une série de mesures en faveur de la Tunisie : un prêt de 900 millions d’euros conditionné à la conclusion de l’accord avec le Fonds monétaire international (FMI), une aide immédiate de 150 millions d’euros destinée au budget, ainsi que 105 millions pour accroitre la surveillance des frontières. Von der Leyen a également évoqué des projets portant sur l’internet à haut débit et les énergies vertes, avant de parler de « rapprochement des peuples ». Le journal Le Monde, citant des sources bruxelloises, révèle que la plupart des annonces portent sur des fonds déjà budgétisés. Une semaine plus tard, ce sont Gérald Darmanin et Nancy Faeser, ministres français et allemande de l’intérieur qui se rendent à Tunis. Une aide de 26 millions d’euros est débloquée pour l’équipement et la formation des gardes-frontières tunisiens.

Cet empressement à trouver un accord avec la Tunisie s’explique, pour ces partenaires européens, par le besoin de le faire valoir devant le Parlement européen, avant la fin de sa session. Déjà le 8 juin, un premier accord a été trouvé par les ministres de l’intérieur de l’UE pour faire évoluer la politique des 27 en matière d’asile et de migration, pour une meilleure répartition des migrants. Ainsi, ceux qui, au vu de leur nationalité, ont une faible chance de bénéficier de l’asile verront leur requête examinée dans un délai de douze semaines. Des accords devront également être passés avec certains pays dits « sûrs » afin qu’ils récupèrent non seulement leurs ressortissants déboutés, mais aussi les migrants ayant transité par leur territoire. Si la Tunisie acceptait cette condition, elle pourrait prendre en charge les milliers de subsahariens ayant tenté de rejoindre l’Europe au départ de ses côtes.

Dans ce contexte, la question des droits humains a été esquivée par l’exécutif européen. Pourtant, en mars 2023, les eurodéputés ont voté, à une large majorité, une résolution condamnant le tournant autoritaire du régime. Depuis le mois de février, les autorités ont arrêté une vingtaine d’opposants dans des affaires liées à un « complot contre la sûreté de l’État ». Si les avocats de la défense dénoncent des dossiers vides, le parquet a refusé de présenter sa version.

L’ALLIÉ ALGÉRIEN

Depuis qu’il s’est arrogé les pleins pouvoirs, le 25 juillet 2021, Kaïs Saïed a transformé la Tunisie en « cas » pour les puissances régionales et internationales. Dans les premiers mois qui ont suivi le coup de force, les pays occidentaux ont oscillé entre « préoccupations » et compréhension. Le principal cadre choisi pour exprimer leurs inquiétudes a été le celui du G 7. C’est ainsi que plusieurs communiqués ont appelé au retour rapide à un fonctionnement démocratique et à la mise en place d’un dialogue inclusif. Mais, au-delà des proclamations de principe, une divergence d’intérêts a vite traversé ce groupement informel, séparant les Européens des Nord-Américains. L’Italie — et dans une moindre mesure la France — place la question migratoire au centre de son débat public, tandis que les États-Unis et le Canada ont continué à orienter leur communication vers les questions liées aux droits et libertés. En revanche, des deux côtés de l’Atlantique, le soutien à la conclusion d’un accord entre Tunis et le FMI a continué à faire consensus.

La fin de l’unanimité occidentale sur la question des droits et libertés va faire de l’Italie un pays à part dans le dossier tunisien. Depuis 2022, Rome est devenue le premier partenaire commercial de Tunis, passant devant la France. Ce changement coïncide avec un autre bouleversement : la Tunisie est désormais le premier pays de départ pour les embarcations clandestines en direction de l’Europe, dans le bassin méditerranéen. Constatant que la Tunisie de Kaïs Saïed a maintenu une haute coopération en matière de réadmission des Tunisiens clandestins expulsés du territoire italien, Rome a compris qu’il était dans son intérêt de soutenir un régime fort et arrangeant, en profitant de son rapprochement avec l’Algérie d’Abdelmadjid Tebboune, qui n’a jamais fait mystère de son soutien à Kaïs Saïed. Ainsi, en mai 2022, le président algérien a déclaré qu’Alger et Rome étaient décidées à sortir la Tunisie de « son pétrin ». Les déclarations de ce type se sont répétées sans que les autorités tunisiennes, d’habitude plus promptes à dénoncer toute ingérence, ne réagissent publiquement. Ce n’est pas la première fois que l’Italie et l’Algérie — liées par un gazoduc traversant le territoire tunisien — s’unissent pour soutenir un pouvoir autoritaire en Tunisie. Déjà, en 1987, Zine El-Abidine Ben Ali a consulté Rome et Alger avant de déposer le président Habib Bourguiba.

L’arrivée de Giorgia Meloni au pouvoir en octobre 2022 va doper cette relation. La dirigeante d’extrême droite, élue sur un programme de réduction drastique de l’immigration clandestine, va multiplier les signes de soutien au régime en place. Le 21 février 2023, un communiqué de la présidence tunisienne dénonce les « menaces » que font peser « les hordes de migrants subsahariens » sur « la composition démographique tunisien ». Alors que cette déclinaison tunisienne de la théorie du « Grand Remplacement » provoque l’indignation, — notamment celle de l’Union africaine (UA) — l’Italie est le seul pays à soutenir publiquement les autorités tunisiennes. Depuis, la présidente du Conseil italien et ses ministres multiplient les efforts diplomatiques pour que la Tunisie signe un accord avec le FMI, surtout depuis que l’UE a officiellement évoqué le risque d’un effondrement économique du pays.

CONTRE LES « DIKTATS DU FMI »

La Tunisie est en crise économique au moins depuis 2008. Les dépenses sociales engendrées par la révolution, les épisodes terroristes, la crise du Covid et l’invasion de l’Ukraine par la Russie n’ont fait qu’aggraver la situation du pays.

L’accord avec l’institution washingtonienne est un feuilleton à multiples rebondissements. Fin juillet 2021, avant même la nomination d’un nouveau gouvernement, Saïed charge sa nouvelle ministre des Finances Sihem Namsia de poursuivre les discussions en vue de l’obtention d’un prêt du FMI, prélude à une série d’aides financières bilatérales. À mesure que les pourparlers avancent, des divergences se font jour au sein du nouvel exécutif. Alors que le gouvernement de Najla Bouden semble disposé à accepter les préconisations de l’institution financière (restructuration et privatisation de certaines entreprises publiques, arrêt des subventions sur les hydrocarbures, baisse des subventions sur les matières alimentaires), Saïed s’oppose à ce qu’il qualifie de « diktats du FMI » et dénonce une politique austéritaire à même de menacer la paix civile. Cela ne l’empêche pas de promulguer la loi de finances de l’année 2023 qui reprend les principales préconisations de l’institution de Bretton Woods.

En octobre 2022, un accord « technique » a été trouvé entre les experts du FMI et ceux du gouvernement tunisien et la signature définitive devait intervenir en décembre. Mais cette dernière étape a été reportée sine die, sans aucune explication.

Ces dissensions au sein d’un exécutif censé plus unitaire que sous le régime de la Constitution de 2014 trouvent leur origine dans la vision économique de Kaïs Saïed. Après la chute de Ben Ali, les autorités de transition ont commandé un rapport sur les mécanismes de corruption du régime déchu. Le document final, qui pointe davantage un manque à gagner (prêts sans garanties, autorisations indument accordées…) que des détournements de fonds n’a avancé aucun chiffre. Mais en 2012, le ministre des domaines de l’État Slim Ben Hmidane a avancé celui de 13 milliards de dollars (11,89 milliards d’euros), confondant les biens du clan Ben Ali que l’État pensait saisir avec les sommes qui se trouvaient à l’étranger. Se saisissant du chiffre erroné, Kaïs Saïed estime que cette somme doit être restituée et investie dans les régions marginalisées par l’ancien régime. Le 20 mars 2022, le président promulgue une loi dans ce sens et nomme une commission chargée de proposer à « toute personne […] qui a accompli des actes pouvant entraîner des infractions économiques et financières » d’investir l’équivalent des sommes indument acquises dans les zones sinistrées en échange de l’abandon des poursuites.

La mise en place de ce mécanisme intervient après la signature de l’accord technique avec le FMI. Tandis que le gouvernement voulait finaliser le pacte avec Washington, Saïed mettait la pression sur la commission d’amnistie afin que « la Tunisie s’en sorte par ses propres moyens ». Constatant l’échec de sa démarche, le président tunisien a préféré limoger le président de la commission et dénoncer des blocages au sein de l’administration. Depuis, il multiplie les appels à un assouplissement des conditions de l’accord avec le FMI, avec l’appui du gouvernement italien. Le 12 juin 2023, à l’issue d’une rencontre avec son homologue italien, Antonio Tajani, le secrétaire d’État américain Anthony Blinken s’est déclaré ouvert à ce que Tunis présente un plan de réforme révisé au FMI.

Encore une fois, les Européens font le choix de soutenir la dictature au nom de la stabilité. Si du temps de Ben Ali, l’islamisme et la lutte contre le terrorisme étaient les principales justifications, c’est aujourd’hui la lutte contre l’immigration, devenue l’alpha et l’oméga de tout discours politique et électoraliste dans une Europe de plus en plus à droite, qui sert de boussole. Mais tous ces acteurs négligent le côté imprévisible du président tunisien, soucieux d’éviter tout mouvement social à même d’affaiblir son pouvoir. À la veille de la visite de la délégation européenne, Saïed s’est rendu à Sfax, deuxième ville du pays et plaque tournante de la migration clandestine. Il est allé à la rencontre des populations subsahariennes pour demander qu’elles soient traitées avec dignité, avant de déclarer que la Tunisie ne « saurait être le garde-frontière d’autrui ». Un propos réitéré lors de la visite de Gérald Darmanin et de son homologue allemande, puis à nouveau lors du Sommet pour un nouveau pacte financier à Paris, les 22 et 23 juin 2023.

 

HATEM NAFTI > 26 JUIN 2023

https://orientxxi.info/magazine/pour-garder-ses-frontieres-l-europe-se-precipite-au-chevet-de-la-tunisie,6585

 

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Rédigé le 26/06/2023 à 08:50 dans Immigration, Tunisie | Lien permanent | Commentaires (0)

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