Le chef de l’État a défendu mercredi la loi qui fait triompher les idées de l’extrême droite. Faisant le lien entre immigration et insécurité, il n’a pas pris la peine de mentionner tous les obstacles que doivent affronter les étrangers, directement liés aux défaillances de nos politiques migratoires.
PartoutPartout depuis des mois, on entend dire que l’immigration est un « problème » ou qu’il y a un « problème migratoire » à régler. Emmanuel Macron a repris cette rhétorique mercredi 20 décembre, sur le plateau de C à vous, lors de sa première intervention médiatique suivant le vote de la loi sur l’immigration le 19 décembre.
« Il y a un problème d’immigration dans le pays, parce qu’il y a trop d’immigration clandestine et que ça crée des déséquilibres, des sujets, des pressions », a-t-il déclaré, ajoutant que cette situation « faisait pression sur notre système ». Le chef de l’État a également affirmé qu’il y avait « plus de pression migratoire » en France qu’il y a dix ans.
Personne sur le plateau ne l’a repris sur la réalité des chiffres : 16 % des personnes ayant demandé l’asile en Europe en 2022 l’ont fait en France (contre 25 % en Allemagne), et notre pays est celui qui bénéficie du taux de protection parmi les plus faibles d’Europe (70 % des demandes sont rejetées). Gérald Darmanin lui-même s’en est vanté lors des discussions entourant la loi immigration, lorsque celle-ci n’en était qu’au stade de projet.
Certes, l’Europe – et la France par voie de conséquence – a connu un afflux d’exilé·es, notamment de réfugié·es, en 2015 et au-delà, venus en partie de Syrie et d’autres pays ayant connu les printemps arabes. Là encore, la France ne figure pas parmi les pays qui ont le plus ouvert leurs portes. Alors que l’immigration a progressé de 60 % en Europe de l’Ouest entre 2000 et 2020, elle n’a augmenté que de 36 % en France. L’Allemagne d’Angela Merkel a accueilli plus d’un million de réfugiés, sous les critiques ou les congratulations de certains États parfois, faisant l’honneur de l’Europe en des temps particulièrement sombres.
Lorsqu’Emmanuel Macron affirme haut et fort, à une heure de grande écoute à la télévision, que l’immigration est un « problème » ou engendre des « pressions », il oublie donc de dire que, dans les faits, le nombre de personnes ayant rejoint le territoire français n’est pas suffisamment élevé pour chambouler nos politiques intérieures. Et il crache au passage à la figure de millions d’étrangers en France, qu’ils soient arrivés légalement ou non, qu’ils vivent aujourd’hui sur notre sol avec ou sans papiers, qu’ils travaillent ou non.
Politique de non-accueil
Le vrai problème, c’est la politique de non-accueil mise en place par l’État français, qui conduit de nombreux exilés à survivre dans la rue ou sur des campements indignes, alors que l’hébergement est un droit fondamental. Il faut se rendre sur le terrain pour constater que, dans les camps informelsqui se constituent en région parisienne, se trouvent des femmes, des enfants ou des bébés, des hommes, parmi lesquels des demandeurs d’asile, qui devraient pourtant avoir une place d’hébergement via le dispositif national d’accueil qui le prévoit.
On y trouve également des réfugié·es ayant obtenu la protection de la France, et qui devraient, en toute logique, obtenir un logement pour parvenir à s’intégrer correctement. Comment oublier Omar*, réfugié érythréen rescapé de l’attaque au sabre, sur un camp de Bercy, laissé sans prise en charge jusqu’à ce que les associations d’aide aux migrant·es ne se mobilisent pour lui offrir un semblant de stabilité ? Il aura fallu que Ian Brossat, alors élu à la Ville de Paris, se charge personnellement de son dossier afin qu’il obtienne un logement digne de ce nom.
Confrontés à des situations particulièrement difficiles, certains en perdent la raison et sont condamnés à errer dans les rues de la capitale ou d’ailleurs – on pense à l’assaillant de l’attaque au couteau d’Annecy en juin 2023. Ils doivent subir la précarité, le sans-abrisme, mais aussi le harcèlement policier quasi systématique, comme l’a démontré un récent rapport du Collectif accès au droit (CAD) ; lorsqu’il ne s’agit pas de violences policières, souvent passées sous silence ou ne donnant pas lieu à des poursuites judiciaires.
La loi Darmanin sur l’immigration, rejetée à l’Assemblée, revient par la petite porte, dans une version de droite dure. Dans « À l’air libre », débat avec les députés Benjamin Lucas (écologiste), Élisa Martin (LFI) et Cécile Rilhac (apparentée Renaissance). Et François Héran, professeur au Collège de France.
Les entreprises françaises Civipol, Défense Conseil International et Couach vont fournir à la marine du Caire trois navires de recherche et sauvetage dont elles formeront également les équipages, révèle Orient XXI dans une enquête exclusive. Cette livraison, dans le cadre d’un accord migratoire avec l’Égypte, risque de rendre l’Union européenne complice d’exactions perpétrées par les gardes-côtes égyptiens et libyens.
La France est chaque année un peu plus en première ligne de l’externalisation des frontières de l’Europe. Selon nos informations, Civipol, l’opérateur de coopération internationale du ministère de l’intérieur, ainsi que son sous-traitant Défense Conseil International (DCI), prestataire attitré du ministère des armées pour la formation des militaires étrangers, ont sélectionné le chantier naval girondin Couach pour fournir trois navires de recherche et sauvetage (SAR) aux gardes-côtes égyptiens, dont la formation sera assurée par DCI sur des financements européens de 23 millions d’euros comprenant des outils civils de surveillance des frontières.
Toujours selon nos sources, d’autres appels d’offres de Civipol et DCI destinés à la surveillance migratoire en Égypte devraient suivre, notamment pour la fourniture de caméras thermiques et de systèmes de positionnement satellite.
Ces contrats sont directement liés à l’accord migratoire passé en octobre 2022 entre l’Union européenne (UE) et l’Égypte : en échange d’une assistance matérielle de 110 millions d’euros au total, Le Caire est chargé de bloquer, sur son territoire ainsi que dans ses eaux territoriales, le passage des migrants et réfugiés en partance pour l’Europe. Ce projet a pour architecte le commissaire européen à l’élargissement et à la politique de voisinage, Olivér Várhelyi. Diplomate affilié au parti Fidesz de l’illibéral premier ministre hongrois Viktor Orbán, il s’est récemment fait remarquer en annonçant unilatéralement la suspension de l’aide européenne à la Palestine au lendemain du 7 octobre — avant d’être recadré.
La mise en œuvre de ce pacte a été conjointement confiée à Civipol et à l’Organisation internationale pour les migrations (OIM) de l’ONU, comme déjà indiqué par le média Africa Intelligence. Depuis, la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen a déjà plaidé pour un nouvel accord migratoire avec le régime du maréchal Sissi. Selon l’UE, il s’agirait d’aider les gardes-côtes égyptiens à venir en aide aux migrants naufragés, via une approche « basée sur les droits, orientée vers la protection et sensible au genre ».
CIRCULEZ, IL N’Y A RIEN À VOIR
Des éléments de langage qui ne convainquent guère l’ONG Refugees Platform in Egypt (REP), qui a alerté sur cet accord il y a un an. « Depuis 2016, le gouvernement égyptien a durci la répression des migrants et des personnes qui leur viennent en aide, dénonce-t-elle auprès d’Orient XXI. De plus en plus d’Égyptiens émigrent en Europe parce que la jeunesse n’a aucun avenir ici. Ce phénomène va justement être accentué par le soutien de l’UE au gouvernement égyptien. L’immigration est instrumentalisée par les dictatures de la région comme un levier pour obtenir un appui politique et financier de l’Europe. »
En Égypte, des migrants sont arrêtés et brutalisés après avoir manifesté. Des femmes réfugiées sont agressées sexuellement dans l’impunité. Des demandeurs d’asile sont expulsés vers des pays dangereux comme l’Érythrée ou empêchés d’entrer sur le territoire égyptien. Par ailleurs, les gardes-côtes égyptiens collaborent avec leurs homologues libyens qui, également soutenus par l’UE, rejettent des migrants en mer ou les arrêtent pour les placer en détention dans des conditions inhumaines, et entretiennent des liens avec des milices qui jouent aussi le rôle de passeurs.
Autant d’informations peu compatibles avec la promesse européenne d’un contrôle des frontières « basé sur les droits, orienté vers la protection et sensible au genre ». Sachant que l’agence européenne de gardes-frontières et de gardes-côtes Frontex s’est elle-même rendue coupable de refoulements illégaux de migrants (pushbacks) et a été accusée de tolérer de mauvais traitements sur ces derniers.
Contactés à ce sujet, les ministères français de l’intérieur, des affaires étrangères et des armées, l’OIM, Civipol, DCI et Couach n’ont pas répondu à nos questions. Dans le cadre de cette enquête, Orient XXI a aussi effectué le 1er juin une demande de droit à l’information auprès de la Direction générale du voisinage et des négociations d’élargissement (DGNEAR) de la Commission européenne, afin d’accéder aux différents documents liés à l’accord migratoire passé entre l’UE et l’Égypte. Celle-ci a identifié douze documents susceptibles de nous intéresser, mais a décidé de nous refuser l’accès à onze d’entre eux, le douzième ne comprenant aucune information intéressante. La DGNEAR a invoqué une série de motifs allant du cohérent (caractère confidentiel des informations touchant à la politique de sécurité et la politique étrangère de l’UE) au plus surprenant (protection des données personnelles — alors qu’il aurait suffi de masquer lesdites données —, et même secret des affaires). Un premier recours interne a été déposé le 18 juillet, mais en l’absence de réponse de la DGNEAR dans les délais impartis, Orient XXI a saisi fin septembre la Médiatrice européenne, qui a demandé à la Commission de nous répondre avant le 13 octobre. Sans succès.
Dans un courrier parvenu le 15 novembre, un porte-parole de la DGNEAR indique :
L’Égypte reste un partenaire fiable et prévisible pour l’Europe, et la migration constitue un domaine clé de coopération. Le projet ne cible pas seulement le matériel, mais également la formation pour améliorer les connaissances et les compétences [des gardes-côtes et gardes-frontières égyptiens] en matière de gestion humanitaire des frontières (…) Le plein respect des droits de l’homme sera un élément essentiel et intégré de cette action [grâce] à un contrôle rigoureux et régulier de l’utilisation des équipements.
PARIS-LE CAIRE, UNE RELATION PARTICULIÈRE
Cette livraison de navires s’inscrit dans une longue histoire de coopération sécuritaire entre la France et la dictature militaire égyptienne, arrivée au pouvoir après le coup d’État du 3 juillet 2013 et au lendemain du massacre de centaines de partisans du président renversé Mohamed Morsi. Paris a depuis multiplié les ventes d’armes et de logiciels d’espionnage à destination du régime du maréchal Sissi, caractérisé par la mainmise des militaires sur la vie politique et économique du pays et d’effroyables atteintes aux droits humains.
La mise sous surveillance, la perquisition par la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) et le placement en garde à vue de la journaliste indépendante Ariane Lavrilleux fin septembre étaient notamment liés à ses révélations dans le média Disclose sur Sirli, une opération secrète associant les renseignements militaires français et égyptien, dont la finalité antiterroriste a été détournée par Le Caire vers la répression intérieure. Une enquête pour « compromission du secret de la défense nationale » avait ensuite été ouverte en raison de la publication de documents (faiblement) classifiés par Disclose.
La mise en œuvre de l’accord migratoire UE-Égypte a donc été indirectement confiée à la France via Civipol. Société dirigée par le préfet Yann Jounot, codétenue par l’État français et des acteurs privés de la sécurité — l’électronicien de défense Thales, le spécialiste de l’identité numérique Idemia, Airbus Defence & Space —, Civipol met en œuvre des projets de coopération internationale visant à renforcer les capacités d’États étrangers en matière de sécurité, notamment en Afrique. Ceux-ci peuvent être portés par la France, notamment via la Direction de la coopération internationale de sécurité (DCIS) du ministère de l’intérieur. Mais l’entreprise travaille aussi pour l’UE.
Civipol a appelé en renfort DCI, société pilotée par un ancien chef adjoint de cabinet de Nicolas Sarkozy passé dans le privé, le gendarme Samuel Fringant. DCI était jusqu’à récemment contrôlée par l’État, aux côtés de l’ancien office d’armement Eurotradia soupçonné de corruption et du vendeur de matériel militaire français reconditionné Sofema. Mais l’entreprise devrait prochainement passer aux mains du groupe français d’intelligence économique ADIT de Philippe Caduc, dont l’actionnaire principal est le fonds Sagard de la famille canadienne Desmarais, au capital duquel figure désormais le fonds souverain émirati.
DCI assure principalement la formation des armées étrangères à l’utilisation des équipements militaires vendus par la France, surtout au Proche-Orient et notamment en Égypte. Mais à l’image de Civipol, l’entreprise collabore de plus en plus avec l’UE, notamment via la mal nommée « Facilité européenne pour la paix » (FEP).
PACTE (MIGRATOIRE) AVEC LE DIABLE
Plus largement, ce partenariat avec l’Égypte s’inscrit dans une tendance généralisée d’externalisation du contrôle des frontières de l’Europe, qui voit l’UE passer des accords avec les pays situés le long des routes migratoires afin que ceux-ci bloquent les départs de migrants et réfugiés, et que ces derniers déposent leurs demandes d’asile depuis l’Afrique, avant d’arriver sur le territoire européen. Après la Libye, pionnière en la matière, l’UE a notamment signé des partenariats avec l’Égypte, la Tunisie — dont le président Kaïs Saïed a récemment encouragé des émeutes racistes —, le Maroc, et en tout 26 pays africains, selon une enquête du journaliste Andrei Popoviciu pour le magazine américain In These Times.
Via ces accords, l’UE n’hésite pas à apporter une assistance financière, humaine et matérielle à des acteurs peu soucieux du respect des droits fondamentaux, de la bonne gestion financière et parfois eux-mêmes impliqués dans le trafic d’êtres humains. L’UE peine par ailleurs à tracer l’utilisation de ces centaines de millions d’euros et à évaluer l’efficacité de ces politiques, qui se sont déjà retournées contre elles sous la forme de chantage migratoire, par exemple en Turquie.
D’autres approches existent pourtant. Mais face à des opinions publiques de plus en plus hostiles à l’immigration, sur fond de banalisation des idées d’extrême droite en politique et dans les médias, les 27 pays membres et les institutions européennes apparaissent enfermés dans une spirale répressive.
Dans la principale ville du nord du Niger, Agadez, échouent un nombre important de migrants subsahariens expulsés d’Algérie. Parmi eux, raconte “Aïr Info”, beaucoup de mineurs.
Des tentes de fortune abritant des migrants sont vues à Assamaka, au Niger, le 29 mars 2023 (Image d'illustration). Crédit : Stanislas Poyet/AFP
Les autorités algériennes expulsent régulièrement vers le Niger des milliers de migrants qu’elles déversent au “point zéro”, localité située à 15 kilomètres d’Assamaka, la première ville nigérienne à la frontière algérienne.
Parmi les vagues de refoulés, plusieurs centaines d’enfants qui, par la suite, sont transférés à Agadez en vue de leur renvoi vers leur pays d’origine. Avant Agadez, ces migrants passent des jours, voire des semaines, à Arlit.
Tout un parcours qui se passe dans des conditions de prise en charge le plus souvent assez difficiles, malgré les efforts de l’État et de ses partenaires. Pour arriver à Assamaka à partir du “point zéro”, c’est tout un parcours du combattant qui demande beaucoup de courage et d’énergie avant de pouvoir affronter d’autres difficultés à Arlit et à Agadez.
Des rêves d’Italie
Assamaka est une petite ville à environ 212 kilomètres d’Arlit. Koné A., 15 ans, vient de Côte d’Ivoire. Il retrace son parcours du “point zéro” à Agadez : “On nous a refoulés d’Algérie. On nous a laissés à 15 kilomètres d’Assamaka. On a marché jusqu’à Assamaka. Arrivé à Assamaka, on a fait un mois deux semaines et trois jours là-bas dans le camp de l’OIM (Organisation internationale pour les migrations). On nous a mis dans [un] gros camion pour venir à Arlit. Arrivé à Arlit, on a fait un mois là-bas. Ils nous ont mis dans le bus encore pour venir à Agadez aujourd’hui.”
Koné déplore les conditions de vie à Assamaka. Il dit être content d’arriver à Agadez. “Ici, c’est une grande ville. On mange comme on veut et on dort comme on veut. Et puis, il y a l’eau ici et tout, tout”, se réjouit-il.
Le jeune Ivoirien, qui a abandonné l’école en classe de CE1, voulait rejoindre son grand frère en Italie. C’est d’ailleurs ce dernier qui lui avait envoyé de l’argent pour pouvoir le rejoindre, nous a confiés Koné, qui projetait de s’inscrire dans une école italienne avant de pouvoir travailler. Il a dû passer par plusieurs villes, notamment de Côte d’Ivoire et du Mali, pour se retrouver en Algérie, puis à Agadez, au Niger.
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Konaté I., un autre Ivoirien de 17 ans, est aussi l’un des migrants refoulés d’Algérie. Il voulait aussi aller en Italie. Mais, contrairement à Koné, lui n’a pas de frère ni de connaissances en Italie. Son séjour à Assamaka ne lui évoque pas un bon souvenir.
“À Assamaka, il n’y a pas à manger, il n’y a pas d’eau, on ne se lave pas. Tu peux même faire deux semaines [pendant lesquelles] tu ne te laves pas.” Il avait le même projet que Koné. C’est-à-dire, une fois en Italie, il espérait s’inscrire dans une école et, après, travailler.
Konaté I. estime par ailleurs que l’Algérie n’a pas le droit de les refouler, car ils y étaient juste de passage. “On passe seulement. C’est pas pour rester (en Algérie)”, explique-t-il. À présent, selon ses dires, il souhaite rentrer en Côte d’Ivoire pour reprendre l’école. En même temps, il ne pense pas abandonner de sitôt l’aventure de la migration.
Abandonnés au “point zéro”
Limamo, un jeune Sénégalais, nous a raconté qu’ils ont fait trois semaines à Assamaka avant d’être acheminés à Arlit, puis à Agadez. Il affirme avoir vu des migrants qui sont morts à Assamaka à cause de la fatigue. Abandonnés au “point zéro”, Limamo et ses camarades ont parcouru à pied les 15 kilomètres pour se rendre à Assamaka, où les conditions de vie lui semblent difficiles. Heurté par ces tristes conditions, Limamo appelle les autorités de les faire rentrer, lui et les autres migrants, dans leurs pays respectifs.
Souleymane, gambien, fait aussi partie des migrants rapatriés d’Algérie et fraîchement arrivés à Agadez. Le Gambien était en Algérie pour travailler dans les chantiers de construction. Lors de leur rapatriement, Souleymane et ses camarades ont été frappés et dépouillés de leurs biens (argent, téléphone, etc.) en Algérie, nous dit-il. Ils sont arrivés au Niger avec “rien”, regrette-t-il. Il témoigne qu’ils sont plus de 1 000 [à être arrivés] à Assamaka, où ils ont passé trois semaines.
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Mamadou M. D., un jeune Guinéen, nous a confié avoir passé un mois, deux semaines et trois jours à Assamaka. Une seule phrase pour résumer la vie là-bas : “C’était difficile.” Par ailleurs, il se sent un peu soulagé de se retrouver à Agadez.
“J’ai été attrapé en Algérie. C’est l’OIM qui nous a amenés ici (à Agadez). Les Algériens nous ont déposés à 15 kilomètres d’Assamaka. On a marché pour rentrer à Assamaka. L’OIM nous a pris là-bas. Ils nous ont embarqués dans un camion, on est venu jusqu’à Arlit. À Arlit, on nous a embarqués dans un bus qui nous a amenés jusqu’ici, à Agadez”, a retracé Mamadou. Il souhaite par ailleurs retourner dans son pays, la Guinée.
Une prise en charge humanitaire
Parmi les acteurs humanitaires rencontrés, Souleymane Issaka, divisionnaire chargé de la protection de l’enfant à la direction régionale de la promotion de la femme et de la protection de l’enfant d’Agadez.
À Agadez, tous ces migrants sont hébergés et pris en charge dans les centres de transit de différents organismes humanitaires ou au niveau de la direction régionale de la promotion de la femme et de la protection de l’enfant.
Selon le chargé du bureau de l’UNHCR-Agadez, M. Mahamat Nour Abdoulaye, les enfants bénéficient d’une attention particulière dans le cadre de la fourniture des besoins.
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“Au niveau de notre bureau, nous avons des enfants non accompagnés et des enfants séparés, ce qu’on appelle, en sigles, les ENA et les ES. Nous mettons un accent tout particulier sur ces enfants qui sont environ 19 ici, au niveau de la région d’Agadez, sous notre protection”, nous a expliqué le chargé du bureau de l’UNHCR-Agadez.
Ce sont les enfants de 8 à 17 ans qui sont [pris en charge par] le bureau de l’UNHCR-Agadez – pour la plupart des enfants soudanais, étant donné que les réfugiés soudanais sont en nombre élevé à Agadez, selon Mahamat Nour Abdoulaye. En dehors des enfants soudanais, il y a cependant une minorité d’autres enfants qui proviennent d’autres pays, précise-t-il.
À Agadez, la direction de la promotion de la femme et de la protection de l’enfant intervient dans les questions migratoires depuis 2014 à travers le Centre de transit et d’orientation (CTO), créé en 2014 avec les premières opérations de refoulement des migrants nigériens vivant en situation irrégulière en Algérie, nous a fait savoir Souleymane Issaka.
C’est à partir de cette même année que “nous avons commencé aussi à prendre les enfants non accompagnés, les enfants seuls et les enfants victimes de traite”, souligne-t-il. Ce sont principalement les enfants nigériens en situation de migration, qu’elle soit interne ou transfrontalière, qui sont pris en charge par la direction régionale de la promotion de la femme et de la protection de l’enfant.
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“On leur offre un certain nombre de services. Et le premier de ces services, c’est l’hébergement au niveau de notre centre, qui a une capacité d’accueil de 50 lits qu’on peut étendre à plus en cas de nécessité. À part ça, il y a aussi ce que l’on appelle le ‘screening médical’, c’est-à-dire que tous les enfants que nous accueillons bénéficient de l’assistance sanitaire. S’il y a nécessité même d’hospitaliser ou de référer vers un centre de santé plus spécialisé pour la prise en charge, nous le faisons”, énumère Souleymane Issaka.
Traites de mineurs
Selon lui, tous ces enfants qui sont sur la route migratoire et qui sont aussi victimes de traite ont un vécu, que ce soit dans leurs villages d’origine ou bien à travers toute la route migratoire. “Donc, il y a un certain vécu que nous essayons de retracer à travers ce que nous appelons des histoires de vie. Et ces histoires de vie se font à travers des entretiens spécialisés. Et toutes ces informations se retrouvent en fin de compte dans ce que nous appelons des dossiers de protection”, explique le divisionnaire chargé de la protection de l’enfant.
“C’est pour que nos collègues vers qui nous référons ou bien nous transférons ces dossiers puissent continuer la prise en charge. Et ces dossiers concernent spécifiquement les enfants non accompagnés et les enfants seuls”, précise-t-il.
Malgré les efforts que déploie la direction régionale de la promotion de la femme et de la protection de l’enfant d’Agadez pour apporter assistance aux enfants, plusieurs difficultés entravent le processus de prise en charge des enfants migrants.
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Un autre problème, c’est le nombre élevé des enfants en situation de migration dans la commune d’Agadez. “Tous ces enfants-là, peut-être qu’ils sont dans la perspective de continuer sur l’Algérie, mais c’est par milliers qu’on les dénombre au niveau de la commune d’Agadez. Et malheureusement, ces enfants sont aussi dans une situation qui les expose à beaucoup de dangers”, alerte le divisionnaire Souleymane Issaka.
“Et il n’y a pas beaucoup de réponses précises par rapport à la prise en charge de ces enfants-là, qui sont en situation de migration interne”, s’inquiète-t-il.
Le refoulement des migrants vers Agadez reste une préoccupation majeure pour la région en particulier et pour le Niger en général, qui récolte les conséquences de la politique européenne d’externalisation des frontières et de tous les mécanismes mis en place pour stopper le phénomène de la migration irrégulière.
Tous ces mécanismes mettent à mal le respect des droits des enfants du fait de l’incapacité de l’État et de ses partenaires à leur assurer une prise en charge effective.
Notre journaliste Anna a emmené Rim’K au Musée national de l’histoire de l’immigration, à Paris, pour parler de son histoire, de la relation complexe entre la France et l’Algérie mais également de l’immigration dans l’Hexagone au sens large. Bon visionnage !
« Tous les tragiques événements qui se sont passés (Paris, Tunisie, Mali…) et tous les endroits du monde où la paix est fragile m’ont inspiré quelques pensées, j’en ai fait un morceau qui s’appelle « tristesse ». Mon ami et réalisateur Threzor Eils a réalisé un montage sur ce titre que je tenais à vous partager, bonne écoute, paix sur vous et vos familles. »
C’est avec ces mots que Rim’K a décidé de partager son nouveau morceau, et de s’ouvrir aux yeux de tous. Entre compassion et dégoût, le cœur de Rim’K balance et ce dernier a une vision bien sombre de son avenir. Le rapper du 113 nous avait habitué à jouer l’épicurien dans ces derniers tracks. Ici, il nous prend au tournant avec ce titre poignant revenant sur les multiples attentats de ces dernières années.
n hommage à tous mes nombreux amis issus de l’immigration (maintenant ce sont les descendants).
Michel Dandelot
Par micheldandelot1 dans Accueil le 3 Novembre 2023 à 07:30
Le monde doit s’ouvrir sur lui-même, ouvrir ses frontières et devenir terre de migrations.
Il suffit d’ouvrir les yeux et de regarder autour de soi, pour observer ces formes de sociabilité dans les lieux où se réinvente constamment le lien social et politique. Dans les quartiers de la Terre, les individus créent des espaces de sens, de créativité, de valeurs… Dans tous les lieux où le collectif se reflète et produit un discours sur lui-même.
Tous ces lieux de production d’un discours social et politique ne sont pas repérés ou canonisés comme tels. Ils ne relèvent pas d’institutions reconnues comme l’université, les lieux de littérature ou de politique, mais n’en sont pas moins des sources de production organique d’un discours sur soi inscrit dans le temps – qui rejoint d’ailleurs la civilisation de l’oralité.
Pour penser la Terre autrement, évoquons une rupture radicale dans nos postures, nos paradigmes, nos façons de nous lire à travers les yeux de l’autre. Mais le radicalement neuf ne se fait qu’avec des matériaux existants. Une telle transformation ne pourra pas faire table rase du passé. L’aventure est ambiguë et les gens sont censés représenter les tensions culturelles.
Les gens sont pris en tenaille entre deux aliénations, avec un pied chez eux et un pied ailleurs, sans savoir où est leur tête. Cette situation est assez symptomatique d’une forme de schizophrénie que nous vivons.
Aucun futur n’est envisageable si les gens ne pensent pas par eux-mêmes et pour eux-mêmes leur présent et leur devenir. La liberté doit être une passion désormais, parce que le peuple en a été privé trop souvent avec le progrès et les colonisations. On ne peut pas continuer d’être à la remorque des rêves des autres.
Rappelez-vous à vous d’abord et, à tous les autres ensuite, votre souci et le souci du monde.
Dans la difficulté les individus et les communautés se dépassent pour donner le meilleur.
Pas facile de restituer toute la chaleur humaine et conviviale liée à un tel événement, tous les éclats de rire, les étreintes, les joutes, les blagues, les apartés, les bises, les cortèges, les repas collectifs, les pas de danse, les photos de groupe ou les selfies.
Après de telles retrouvailles, difficile de se quitter et le dialogue se prolonge jusqu’au bout de la nuit.
La question planétaire sur le plan philosophique et esthétique ne sont rien d’autre que l’événement du XXIe siècle.
Pendant ces quelques heures, vous aurez le privilège de saisir la respiration de votre ville, en nocturne, au milieu de sons urbains et familiers, et de me mettre à l’écoute de cette force presque tellurique qu’est une métropole. Cette affaire de respiration est d’une importance capitale, car elle nous fait toucher du doigt ce qui menace de nous étouffer ici et ailleurs, au propre comme au figuré.
Le souci de notre pays et du monde va de pair avec le souci de soi, l’attention portée sur nos infrastructures psychiques et physiques. Pas seulement à la tête, mais également au cœur, au corps tout entier. Réfléchir, agir individuellement ou collectivement, poser un geste artistique, tout cela est aussi une affaire de respiration. Parce que la respiration est le signe d’un corps vivant, il s’agit pour chacun d’entre nous d’aller chercher au fond de soi l’oxygène nécessaire pour faire éclore les émotions et pensées, les concepts, les pratiques et les mouvements qui demain changeront la face et l’allure du monde. Penser, écrire, respirer, tel est le but de la pensée !
Souvenez-vous que vous êtes des citoyens du monde, et travaillez à le quitter meilleur que vous ne l’aurez trouvé.
Être citoyen du monde, c’est s’autoriser à être d’ici et d’ailleurs pleinement, à hériter de l’humanité entière et contribuer à l’enrichir de là où nous sommes. C’est concilier le singulier et l’universel, le différent et l’en-commun, c’est refuser les assignations identitaires.
La conversation comme manière de vivre, tout ce qui fait la richesse de la conversation, là où se joue le lien à soi-même et à autrui et où se noue la relation, nous fait tenir l’un à l’autre par la parole.
Comme une traversée, une attitude face au réel, l’envie d’y déceler le multiple et le divers, de percevoir le potentiel et le non-encore-exprimé, de démêler le confus et le non-dit afin de permettre au possible d’éclore. Et de laisser place aux utopies émancipatrices.
L’idée est de contribuer à recréer une communauté intellectuelle afin de faire éclore un penser-ensemble, dans sa diversité et ses tensions, autour des questions qui nous concernent et nous semblent urgentes.
Dans ce monde qui est censé être le nôtre à tous, certains nous demandent encore ce que nous apportons. Il importe donc de mettre en évidence que d’une partie spécifique du monde, de géographies particulières, de visages singuliers de l’expérience humaine, des femmes et des hommes ont apporté des choses importantes pour eux-mêmes et pour les autres.
Être, c’est lier en toute conscience son sort à celui des autres et aller à la rencontre du monde. Nous laisser habiter par cette question, apprendre à vivre avec elle dans son irrésolution si nous voulons être heureux.
Mais pour être cohérent, cela suppose que l’on puisse circuler, s’établir dans un pays comme dans un autre et qu’on ait le sentiment que, dans ces espaces-là, nous sommes les bienvenus.
La démocratie et l’élection n’apparaissent pas comme un critère central. On sait très bien que l’élection ne garantit pas l’expression de la volonté du plus grand nombre. Sans compter qu’elle est devenue une technologie que l’on peut capturer, biaiser et manipuler, la transformant alors en outil antidémocratique.
Quel avenir proposera-t-on à la nouvelle génération ? Que voulons-nous lui transmettre ? Quel type de citoyenneté allons-nous construire avec elle ? Si nous ne relevons pas ce défi, nous aurons des hordes de fanatiques et d’autres mouvements nihilistes.
La défaillance des gouvernances accable sérieusement l’espoir.
Bientôt un an que l’Italie est gouvernée par l’extrême droite et sa principale promesse – mettre un frein au « flux migratoire » – se heurte chaque jour un peu plus à la réalité.
Le 14 septembre, Lampedusa voyait 6000 personnes débarquer en une seule journée – la capacité d’accueil de l’île est de l’ordre de 400 places. En une semaine, ils seront plus de 11 000 à accoster sur ce sol italien. Un « record absolu », écrit Mediapart. Impossible pour Giorgia Meloni, présidente du Conseil des ministres italien depuis le 22 octobre 2022, de gérer seule la situation, alors elle en appelle… à l’Europe. D’autant plus que l’Allemagne a mis en suspens tout accueil de personnes en provenance d’Italie. Pour faire face, la cheffe de l’exécutif italien s’est carrément affichée aux côtés de la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen à Lampedusa. Un affront antifasciste !
En parallèle, dimanche 17 septembre, c’est un autre duo qui parade : Marine Le Pen et Matteo Salvini. Désormais vice-président du Conseil, en charge des Transports, le numéro 1 de la Ligue du Nord joue sur les deux tableaux. D’un côté, il est partie prenante du gouvernement de Meloni – cela dit, il a toujours tenu une ligne beaucoup plus ferme sur cette question que Meloni –, de l’autre, il se targue d’avoir été en 2018-2019 un ministre de l’Intérieur qui ne laissait rien passer. Et il le redit, lui, promis juré, n’accueillerait « pas un seul migrant ».
Sur un an, le « blocus » promis par Meloni affiche un bilan calamiteux (de son point de vue) : plus de 127 000 personnes sont arrivées sur le sol italien, le double par rapport à l’année précédente1. Face à cette déconfiture de la mise en pratique de promesses fascisantes, l’extrême droite française commence donc à prendre ses distances avec son homologue italienne. Plaçant ses pions pour l’horizon 2027, Marine Le Pen ne s’incommode pas de cette mise en concurrence de ses amis transalpins. En meeting dans le Gard la veille, elle a assuré qu’« il est vain d’en appeler à l’Union européenne pour résoudre la crise migratoire comme un enfant appelle maman quand il a un problème ». Prends ça Giorgia !
Car Meloni doit désormais jouer les équilibristes, elle qui est à la tête d’une coalition qui va de la droite à l’extrême droite. Un modèle dont rêvent Le Pen et Salvini à l’échelon européen mais pour lequel la droite européenne « traditionnelle » s’oppose encore assez fermement.
Et c’est tout bonnement la Macronie qui s’entiche de celle qui se veut dans la ligne héritière de Mussolini. « Quand la Première ministre italienne appelle l’Europe à l’aide sur les migrants, il faut répondre », glisse un marcheur influent au journaliste Nils Wilcke.
Prenant à rebours la réaction allemande, Emmanuel Macron se fait le champion de l’Europe en rappelant chaque pays à son « devoir de solidarité ». Là aussi, on manie habilement l’art de la contradiction sans sourciller. Car le 18 septembre, Gérald Darmanin donnait un autre son de cloche sur Europe 1/CNews : « La France ne s’apprête pas à accueillir » une partie des migrants de Lampedusa. Pour rappel, le ministre de l’Intérieur, déjà pas peu fier de trouver Marine Le Pen « trop molle », avait également jugé Meloni « incapable de régler les problèmes migratoires », parce que trop permissive.
Dans cette surenchère à qui sera le plus extrême dans le non-accueil de son prochain, la lutte est acharnée. Une histoire dont ils laisseront tous leurs noms : l’histoire du plus grand cimetière à ciel ouvert au monde.
Selon le ministère de l’Intérieur italien, 42 750 migrants sont arrivés entre le 1er janvier et le 15 septembre 2021 ; 66 237 pour la même période de 2022 ; 127 207 pour ce qui concerne 2023. ↩︎
Migrants : la Méditerranée cimetière depuis 2010
Image du chalutier de migrants avant son nauffrage
le 14 juin 2023.
Le naufrage, mercredi 14 juin, d'une embarcation surchargée de migrants au sud-ouest de la Grèce, qui pourrait avoir fait des centaines de victimes, s'inscrit dans une très longue liste de tragédies similaires en Méditerranée ces dernières années.
L'Organisation internationale pour les migrations (OIM) recense depuis le début de l'année 1166 décès ou disparitions en mer de migrants en Méditerranée. Le bilan s'élève à 26 924 morts et disparus depuis 2014.
Voici les pires naufrages de migrants en Méditerranée depuis 2010 :
Jusqu'à 900 morts dans les eaux de Libye
En avril 2015, entre 800 et 900 migrants périssent au large des côtes libyennes lors du naufrage d'un chalutier de 25 mètres, percuté par un cargo portugais envoyé à son secours. Le bateau de pêche a coulé à pic sous les yeux de l'équipage qui n'a pu sauver que 28 personnes.
Toujours dans les eaux libyennes :
- En mai 2011, des réfugiés arrivés sur l'île italienne de Lampedusa affirment avoir assisté au naufrage d'un autre bateau de migrants dans les eaux libyennes. L'embarcation, qui transportait 600 personnes, est portée disparue.
- En avril 2015, près de 400 migrants meurent dans le naufrage d'une embarcation de fortune à environ 150 kilomètres au large des côtes libyennes.
- En mai 2016, des dizaines de migrants sont portés disparus après le naufrage d'un bateau de pêche surchargé au large de la Libye. Les gardes-côtes italiens évoquent "350 personnes à la mer".
- En février 2015, plus de 300 migrants disparaissent en mer lorsque les bateaux pneumatiques dans lesquels ils avaient pris place chavirent au large de la Libye et 29 autres meurent de froid pendant leur sauvetage dans des conditions extrêmes par les garde-côtes italiens.
Avril 2016 : 500 noyés en Italie
Environ 500 personnes meurent en avril 2016 au large de l'Italie, dans le naufrage d'un grand bateau surchargé, selon des témoignages de rescapés. 41 personnes ont pu être sauvées après avoir dérivé durant trois jours dans un autre bateau.
Egalement dans les eaux italiennes, en octobre 2013, un bateau de pêche parti de Libye et transportant plus de 500 migrants prend feu et fait naufrage en pleine nuit, à 550 mètres des côtes de l'île sicilienne de Lampedusa. 366 personnes, dont beaucoup de femmes et d'enfants, se noient, pris au piège dans les cales, seules 155 personnes survivent.
Septembre 2014 : 500 disparus à Malte
Un bateau parti d'Egypte avec 500 personnes à bord, dont seulement dix survivent, coule au sud-est de Malte en septembre 2014, après avoir été embouti par les passeurs à bord d'une autre embarcation. Le drame survient après que les passagers ont refusé un transfert dans une petite embarcation pour se rendre en Italie.
Juin 2016 : 320 victimes en Grèce
Au moins 320 migrants sont morts ou disparus en juin 2016 dans le naufrage d'un bateau venant d'Afrique et transportant au moins 700 personnes, à 75 milles au sud de la Crète (Grèce). Cinq bateaux marchands qui participaient aux recherches recueillent toutefois 340 rescapés et neuf corps.
Par micheldandelot1 dans Accueil le 19 Septembre 2023 à 17:33
Au moment où des milliers de personnes débarquent à Lampedusa, Tunis déplace des centaines de Subsahariens de la ville de Sfax vers les principaux points départ pour l’Italie.
Le 10 août 2023 à Sfax, des migrants subsahariens interceptés en mer par les forces de l’ordre tunisiennes. FETHI BELAID / AFP
Au moment où les arrivées d’embarcations de migrants sur l’île de Lampedusa se multiplient depuis la Tunisie, Tunis intensifie ses opérations à l’encontre des ressortissants subsahariens encore présents à Sfax, la deuxième ville du pays. Photos à l’appui, le ministère de l’intérieur a annoncé, dimanche 17 septembre, avoir évacué le centre historique de la ville, où des centaines de migrants avaient trouvé refuge après avoir été expulsés de leur logement début juillet. Ceux-ci avaient alors fait, avec le soutien des forces de l’ordre, l’objet d’une chasse à l’homme. « Cette campagne de sécurité a été bien accueillie par les habitants de la région, en particulier après le rétablissement de l’ordre public et l’évacuation des places publiques », s’est félicité le ministère de l’intérieur dans un communiqué publié en fin de journée.
Plus tôt dans la semaine, ce dernier avait déjà prévenu les organisations venant en aide aux migrants et, selon un volontaire présent sur place ayant requis l’anonymat, empêché les bénévoles de leur porter assistance. Acheminées samedi et dimanche dans des bus de la société régionale de transport de Sfax, des centaines de personnes ont été ainsi déplacées vers les zones rurales à quelques dizaines de kilomètres de là, particulièrement dans les localités de Jebeniana et Al-Amra.
« Une réponse purement sécuritaire »
« Il n’y a pas eu de résistance car on leur a fait croire qu’ils allaient être pris en charge dans des camps, alors qu’ils ont été jetés au milieu des champs d’oliviers », décrypte Romdhane Ben Amor, porte-parole du Forum tunisien des droits économiques et sociaux (FTDES), une ONG locale. Des vidéos partagées sur les réseaux sociaux montrent des habitants de ces localités protester contre l’arrivée de bus, escortés par des véhicules de la garde nationale, transportant les migrants délogés du centre de Sfax et déposés au milieu de la route en pleine campagne. « La réponse des autorités tunisiennes est purement sécuritaire et semblable à la politique européenne. On reproduit les mêmes erreurs », dénonce M. Ben Amor.
Après les journées d’extrême tension qui avaient suivi la mort d’un Tunisien le 3 juillet, tué dans une rixe avec des migrants subsahariens d’après la version officielle, des centaines de ressortissants d’Afrique subsaharienne avaient été expulsés de Sfax et conduits dans le désert aux frontières de l’Algérie et de la Libye. Abandonnés sans eau, ni nourriture sous une chaleur caniculaire, au moins 25 d’entre eux avaient péri, selon des sources humanitaires, tandis que des centaines d’autres avaient parcouru des dizaines de kilomètres à pied avant d’être secourus, placés dans des centres d’accueil plus ou moins officiels ou relâchés.
Cette fois, les migrants ont été déplacés vers des zones côtières, au nord de Sfax, connues pour être des points de départ privilégiés vers les côtes italiennes, particulièrement l’île de Lampedusa, située à moins de 150 km. « Il y a des centaines de migrants qui étaient déjà ici à Al-Amra depuis ce qui s’est passé en juillet, ils y séjournent des jours, voire des semaines, avant d’embarquer, c’est l’une des principales zones de départ dans la région », témoigne Wahid Dahech, un militant présent sur place. « On dirait qu’ils les poussent à partir, alors qu’ils n’ont même pas les moyens de payer leur traversée. On les mène à la mort », fustige Romdhane Ben Amor.
« Propagande »
Depuis le 11 septembre, la petite île de Lampedusa, qui compte 7 000 habitants, a enregistré un nombre record d’arrivées d’embarcations de fortune en provenance de Tunisie. En moins de soixante-douze heures, elle a accueilli jusqu’à 6 800 personnes, majoritairement originaires d’Afrique subsaharienne. Deux mois après la signature d’un mémorandum d’entente entre la Tunisie et l’Union européenne (UE) visant à accroître le contrôle des frontières au sud de la Méditerranée, les autorités tunisiennes semblent dépassées par un nombre croissant de départs à destination de l’Europe.
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En juillet, le porte-parole de la Garde nationale tunisienne avait indiqué au Monde que plus de 30 000 migrants avaient été interceptés dans les six premiers mois de l’année 2023, un nombre qui a plus que décuplé depuis 2019. « Il y a un épuisement du dispositif sécuritaire qui manque de moyens et travaille en continu depuis plusieurs mois », estime Romdhane Ben Amor, alors que l’UE s’était engagée, en des termes imprécis, à « fournir un appui financier additionnel adéquat notamment pour les acquisitions, la formation et le soutien technique nécessaires pour améliorer davantage la gestion des frontières tunisiennes », comme le stipule l’accord conclu entre les deux parties et qui tarde à être appliqué.
Selon plusieurs ONG en Tunisie, ces départs massifs ont été favorisés par une météo clémente et une chute du prix de la traversée proposée en moyenne à 1 500 dinars par personne (moins de 500 euros) contre près de 2 000 euros en moyenne en 2022. Une baisse qui s’explique par l’utilisation de barques en métal, moins chères à produire mais aussi plus fragiles. Ces départs s’expliquent également par les conditions de vie des migrants subsahariens « qui se sont largement détériorées depuis qu’ils ne peuvent plus ni se loger ni travailler. Certains d’entre eux pensaient organiser leur projet migratoire sur un temps long mais ont dû précipiter leur départ », explique le responsable du FTDES. Pour ce dernier, le discours officiel sur la lutte contre les réseaux de passeurs, tant de la part de la Tunisie que de l’UE, relève de la « propagande ».
Le secrétaire général des Nations unies (ONU), M. Antonio Guterres a déclaré ce mardi être « profondément préoccupé par l’expulsion de migrants, réfugiés et demandeurs d’asile de Tunisie » et appelle Tunis à « [respecter] pleinement leurs droits humains, quels que soient leurs statuts, conformément au droit international ». Ces déclarations font suite à la recrudescence des violences envers les migrants subsahariens qui se trouvent en Tunisie, comme l’illustrent les affrontements violents entre civils et migrants début juillet à Sfax. Depuis ces évènements, au moins « 1 200 ressortissants subsahariens » (selon l’ONG Human Rights Watch) ont été arrêtés. Expulsés et reconduits à la frontière, ils sont un nombre croissant à être abandonné sans vivres et sans eau en zone désertique, à la frontière libyenne. Thierry Brésillon revenait dans notre livraison de février 2023 sur la progression du racisme envers les Subsahariens en Tunisie, dans un climat de peur instillé par un microparti complotiste d’extrême droite et dont les théories sont reprises jusqu’au sommet de l’État : « Dans le cadre d’une rhétorique fasciste au sens exact du terme, le Parti national tunisien entend démontrer que la Tunisie est soumise à ‘‘une colonisation subsaharienne’’ (…) et il accuse des organisations de défense des droits humains d’imposer au gouvernement des politiques favorables aux migrants. »
Flambée xénophobe sur fond d’autoritarisme
Indésirables Subsahariens en Tunisie
Le 17 avril, M. Rached Ghannouchi, chef du parti islamo-conservateur Ennahda, était arrêté à son domicile puis placé sous mandat de dépôt. Ce nouveau tour de vis à l’égard des opposants au président Kaïs Saïed intervient alors que les flux migratoires clandestins augmentent entre la Tunisie et l’Italie. Nombre de candidats à l’exil sont originaires d’Afrique subsaharienne.
Dans une atmosphère saturée de tensions entre Tunisiens et migrants subsahariens, quelques phrases de M. Kaïs Saïed ont suffi à mettre le feu aux poudres. À l’issue d’un conseil national de sécurité consacré aux « mesures urgentes » pour juguler la « présence d’un grand nombre de migrants illégaux originaires d’Afrique subsaharienne », un communiqué publié sur la page Facebook de la présidence le 21 février dernier a avalisé une version tunisienne de la théorie du « grand remplacement » : dans le cadre d’« un plan criminel préparé depuis le début de ce siècle », y lisait-on, « certaines parties [auraient] reçu de grandes sommes d’argent depuis 2011 pour l’établissement des immigrants irréguliers subsahariens en Tunisie » afin « de réduire la Tunisie à sa dimension africaine et de la dépouiller de son appartenance arabe et islamique ».
Alors que la police menait déjà depuis mi-février des opérations de contrôle des migrants, la garde nationale annonçait, le lendemain du communiqué présidentiel, « une campagne d’arrestations contre les Tunisiens qui hébergent ou emploient des migrants en situation irrégulière ». Les jours suivants, des centaines, voire des milliers, de Subsahariens ont été expulsés de leur logement par leur propriétaire, souvent en pleine nuit, sans préavis, sans pouvoir rien emporter ni a fortiori récupérer leur caution. Parfois avec le concours violent de voisins venus prêter main-forte, saccager les biens des locataires et les dépouiller de leurs économies. Dans certains cas, des groupes de citoyens « vigilants » ont secondé, voire devancé, des opérations de contrôle policier alors que les arrestations se multipliaient.
Pendant plusieurs semaines, des milliers d’autres Subsahariens sont restés cloîtrés chez eux, par peur des arrestations et des agressions, ne pouvant compter que sur la solidarité de groupes d’entraide tunisiens pour se ravitailler. Les ambassades de Côte d’Ivoire, de Guinée-Conakry, du Sénégal et du Mali ont affrété des avions pour rapatrier leurs ressortissants désireux de rentrer au pays. Manière aussi pour ces États de répondre à l’émotion suscitée dans leurs opinions par des propos que le président de la Commission de l’Union africaine Moussa Faki Mahamat a condamnés (1).
Le locataire du palais de Carthage a alors cru devoir rappeler que seuls les migrants en situation irrégulière étaient visés par ses déclarations, qu’ils sont les premières victimes de l’exploitation par les employeurs locaux et les passeurs, que la Tunisie ne saurait renier son appartenance africaine, que ses propos ont été délibérément mal interprétés pour lui nuire ; le ministre des affaires étrangères, M. Nabil Ammar, a, lui, donné des assurances aux ambassades des pays subsahariens et aux organisations internationales sur l’engagement de la Tunisie à respecter les droits humains. Mais les autorités persistent à dénoncer une campagne menée contre la Tunisie et se refusent à condamner explicitement les agressions à caractère raciste — tout juste ont-elles mis un numéro vert à disposition des victimes d’abus. Surtout, elles refusent de reconnaître le problème que pose la constitution de la migration en instrument d’un « plan criminel ».
Complotisme en haut lieu
Cette « théorie » n’est pas le produit de l’imagination de M. Saïed. Elle circule en Tunisie depuis plusieurs mois, articulée et popularisée par un microparti créé à l’initiative de deux personnes en 2018. Dans le cadre d’une rhétorique fasciste au sens exact du terme — haine de la démocratie, apologie de la violence contre les adversaires politiques et de la guerre comme moyen de mobiliser les énergies nationales… —, le Parti national tunisien entend démontrer que la Tunisie est soumise à une « colonisation subsaharienne » avec le soutien de financements européens destinés à maintenir les immigrés en Afrique, et il accuse des organisations de défense des droits humains d’imposer au gouvernement des politiques favorables aux migrants.
Grâce à une audience médiatique croissante, construite d’abord dans les réseaux sociaux, ce parti a imposé un débat public sur la présence de 700 000 Subsahariens dans le pays. Une aberration quand on sait que cette population aurait triplé en Tunisie de 2010 à 2021, passant de 7 000 à 21 000 individus selon l’Institut national de la statistique (le département des affaires économiques et sociales des Nations unies avance, lui, le chiffre de 57 000 personnes en 2019). Et des considérations de ce type ne se cantonnent pas aux discussions de café. M. Mabrouk Korchid, ministre des domaines de l’État de septembre 2017 à novembre 2018, lançait, le 2 janvier dernier, sur l’antenne d’une radio tunisienne : « On amène les Africains en Tunisie pour qu’ils se marient et changent la morphologie du peuple tunisien. » Dans un registre plus expert, l’universitaire tunisien Taoufik Bourgou, enseignant en science politique à l’université Lyon-III, estimait dans une tribune publiée le 15 février que « les arrivées massives incontrôlées prennent l’allure d’une submersion qui va en cinq ans, au maximum, inverser l’équilibre démographique de la Tunisie (…) eu égard aux chiffres d’arrivées et d’implantations, entre 1,2 million à 1,7 million en cinq ans (2) ».
À l’appui de sa thèse, le Parti national tunisien renvoie à d’anciennes vidéos où des figures controversées de la mouvance dite afrocentrique affirment la nécessité d’extirper au Maghreb son arabité : « L’Afrique n’a toujours été que noire. [Les Maghrébins] n’ont qu’à retourner chez eux en Arabie saoudite. » Ou encore : « La Tunisie est noire, le Maroc est noir, la Libye est noire. Nous appelons notre peuple à la reconquête territoriale. » Ces discours, en réalité très marginaux, inspirés par une lecture discutable des écrits du grand penseur Cheikh Anta Diop, constituent le plus souvent une forme de réaction au racisme subi dans les pays du Maghreb (3). Les relations entre Arabes et Noirs y demeurent marquées par la mémoire de l’esclavage (quand bien même certaines populations berbères du Sud avaient aussi la peau noire (4) ). La perception des corps noirs comme une force brute à domestiquer, et donc à rabaisser, s’exprime encore dans les insultes couramment proférées : kahlouch (terme que l’on pourrait traduire par « noiraud », mais dont la portée péjorative est souvent comparable à celle du mot « négro » (5) ), oussif (« esclave »)… Sans compter les crachats et les jets de pierre. Les agressions, les viols, les meurtres restent trop souvent non élucidés quand il s’agit de Noirs. « La police m’a demandé comment j’osais venir porter plainte contre des Tunisiens dans leur propre pays et m’a renvoyée », nous a confié la victime d’un viol collectif début février. Une loi pénalisant le racisme a pourtant été votée en octobre 2018, mais il faudra davantage qu’un texte pour changer les mentalités.
C’est dans cette atmosphère que le chef de l’État a repris à son compte les éléments du Parti national tunisien (qui les lui avait transmis dans un rapport quelques semaines plus tôt). En s’en emparant, le président de la République donnait du crédit au fantasme afrocentrique ; surtout, il officialisait une relecture complotiste d’une mutation bien réelle de la réalité migratoire en Tunisie.
De pays d’émigration, cette dernière est devenue depuis les années 1990 un pays de transit pour les migrants subsahariens, en raison de sa proximité avec l’île italienne de Lampedusa, puis un pays d’immigration. Après la relocalisation à Tunis de la Banque africaine de développement (BAD) en 2003, consécutive à la crise politique en Côte d’Ivoire, « qui a constitué le point de départ d’une immigration africaine, principalement ivoirienne, par le biais de réseaux (6) ». Puis à la suite du choix de la Tunisie du temps de l’ancien président Zine El-Abidine Ben Ali d’attirer dans les établissements privés en plein essor les étudiants issus des classes moyennes émergentes africaines. Plus récemment, la cruauté des conditions de détention sous le joug des milices libyennes (7) et les expulsions en plein désert pratiquées par l’Algérie ont détourné vers la Tunisie les routes de la migration clandestine en provenance d’Afrique de l’Ouest et du Sahel. Les migrants interceptés en mer sont désormais débarqués en Tunisie, même quand ils sont partis de Libye. En quelques années, certains quartiers de Tunis et de Sfax, ville industrieuse et favorablement située pour gagner Lampedusa, ont ainsi vu leur composition changer.
La grande majorité des Subsahariens se trouve dans une situation administrative irrégulière. Même les personnes éligibles à un titre de séjour ont toutes les peines à l’obtenir en raison des lenteurs bureaucratiques. Tous sont redevables de 20 dinars (environ 6 euros) de pénalités par semaine de retard à quitter le territoire. La dette ainsi accumulée, jusqu’à plusieurs milliers de dinars, fait pour eux de la Tunisie une prison à ciel ouvert. Ces migrants précarisés, contraints de gagner sur place de quoi financer soit leur retour, soit la poursuite de leur voyage vers l’Europe, sont devenus de plus en visibles dans les métiers de la construction, de la restauration, la domesticité, acceptant des salaires en moyenne 30 % inférieurs aux Tunisiens. Leurs conditions d’existence favorisent aussi l’exercice d’activités illégales (prostitution, trafic de drogue…) et, par voie de conséquence, la xénophobie.
La traversée de la Méditerranée demeure l’objectif principal de ces migrants. En 2022, ils représentaient la moitié des 38 000 personnes interceptées au large des côtes tunisiennes. Cette industrie de la harga est aux mains de réseaux bien rodés, implantés notamment à Sfax. Ils en contrôlent toutes les étapes — construction des bateaux, achat des moteurs, location des maisons, informations obtenues des forces de l’ordre pour éviter les interceptions — et réalisent un chiffre d’affaires qui se monterait aux alentours de 1 million d’euros par mois.
Climat de peur
Pour sa part, l’Europe a entrepris depuis la fin des années 1990 de confier la gestion de sa frontière sud aux pays du Maghreb. Plus présentable que la Libye, plus coopérative que l’Algérie, la Tunisie en transition démocratique depuis 2011, et signataire d’accords de partenariat avec l’Union européenne, représente une interlocutrice idéale. La coopération avec la politique migratoire européenne est devenue une condition de plus en explicite à l’obtention de l’aide économique. Tandis que le Haut-Commissariat pour les réfugiés (HCR) et l’Organisation internationale pour les migrations (OIM) gèrent respectivement le tri des réfugiés et les retours « volontaires », les États membres et l’Italie en particulier allouent toujours plus de moyens à Tunis pour densifier un dispositif de contrôle maritime de mieux en mieux coordonné entre Européens et Tunisiens.
« Mais, pour les Italiens, ces dispositifs ne suffisent plus », estime M. Romdhane Ben Amor, du Forum tunisien pour les droits économiques et sociaux (FTDES). Afin d’« assécher » le réservoir de candidats à l’exil, « Rome encourage les autorités tunisiennes à faire pression sur les migrants subsahariens, poursuit-il. Le plus simple est de créer un climat de peur pour inciter ceux qui sont là à partir et dissuader les autres de venir ». Le 18 janvier dernier, soit un mois avant le début de la campagne policière de contrôle des sans-papiers, M. Antonio Tajani, le ministre des affaires étrangères italien, et M. Matteo Piantedosi, son collègue de l’intérieur, étaient à Tunis pour évoquer la lutte contre la migration clandestine. La déclaration de la présidence du 21 février répondait ainsi autant aux attentes d’une opinion chauffée à blanc qu’à celles de l’Italie (et plus généralement de l’Union européenne).
Le gouvernement de Mme Giorgia Meloni s’est engagé à plaider la cause de la Tunisie, au seuil du défaut de paiement, devant les bailleurs de fonds. Une cause difficile : alors que le Fonds monétaire international (FMI) conditionne l’octroi d’un prêt de 1,9 milliard de dollars sur quatre ans à la mise en œuvre de mesures d’austérité, le président de la République a dénoncé le 6 avril dernier « les injonctions de l’étranger qui ne mènent qu’à davantage d’appauvrissement ».
De son côté, la diplomatie tunisienne s’emploie à gommer les effets de cette communication présidentielle abrupte auprès des États africains. Des dispositions ont été annoncées le 5 mars pour faciliter la régularisation des Subsahariens qui peuvent prétendre à un titre de séjour (en particulier les étudiants) et alléger l’obligation des pénalités de retard. Mais l’objectif demeure bien de repousser les candidats à la migration loin de la Tunisie.
Les rodomontades en tous genres de M. Saïed retardent la capacité des Tunisiens à traiter la question de la migration en sortant du dilemme approche sécuritaire (la migration, c’est dangereux) ou injonction morale (le racisme, c’est mal), pour formuler leur propre politique, concertée à l’échelle continentale et adaptée à la nouvelle réalité migratoire africaine, dans laquelle la Tunisie se trouve de fait insérée.
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