Rédigé le 14/05/2012 à 19:02 dans Histoire | Lien permanent | Commentaires (0)
Alger juin 43 : depuis plusieurs mois des tensions existent* entre : Roosevelt-Churchill d'un côté et De Gaulle de l'autre. La France divisée, occupée, embrouillée, commence cependant à croire en la victoire des alliés.
Les deux chefs de la France combattante , Giraud et De Gaulle s'ignorent. L'hôte de Londres a boycotté en février 43 une réunion au Maroc où le président américain avait fait le déplacement ainsi que Churchill et Giraud , puis en juin 43 De Gaulle voulant asseoir son hégémonie et affirmer sa souveraineté sur tout le territoire non occupé et régler le problème Giraud , se pose sur le petit aéroport de Boufarik le 30 mai, un peu avant midi. Giraud l'accueille poliment, mais dès la première réunion au lycée Fromentin à Alger , De Gaulle se lève*, rompt toutes négociations et se verrouille dans la villa les Glycines sur les hauteurs d'El Biar se doutant que Giraud le fasse mettre aux arrêts ou même l'enlever**(ambiance !)
Quelques jours plus tard Mac Millan que De Gaulle estimait, l'informa qu'il était invité par un mystérieux général Lyon : le roi Georges VI venu incognito inspecter les troupes britanniques débarquées depuis novembre 42 à Sidi Ferruch.Le représentant de la France libre était très sympathique au souverain depuis juin 40.
Nous sommes le 13 juin 43 l'été est déjà là car il fait chaud. De Gaulle après le repas demande à Mac Millan ce qu'il fait cet après midi. Celui ci lui dit : je vais me baigner et me promener dans les ruines romaines à Tipasa. De Gaulle lui propose de l'accompagner. Mac Millan se souvenant de cet après midi là dit plus tard : cette promenade dans les ruines romaines fut un moment privilégié de discussions incessantes ,nous avons parlé de tout , de politique , de religion , d'histoire ancienne et moderne .
Mac millan rapporte avec humour qu'il se baignait nu à la pointe extrême de l'ancienne cité romaine ,tandis que De Gaulle restait assis sur son rocher , en uniforme ,ceinturon ,képi .
Un Tipasien se souvient, que cet après midi là ,une voiture , venant d'Alger par le littoral, pénétra discrètement dans le village désert à cette heure de la traditionnelle sieste. Désert aussi et surtout parce que la plupart des hommes valides étaient mobilisés . La voiture noire descendit la rue du port ,tourna devant ' le café des ruines romaines' et se gara lentement sous les bel'ombras devant ' chez Angelvy ' Deux hommes en sortirent, dont un militaire ,avec képi à la main, particulièrement immense qui eut du mal à s'extirper du véhicule et se déplia avec soulagement .Ils avancèrent lentement et pénétrèrent cérémonieusement dans le parc des ruines romaines comme on entre dans un temple ,une église , un lieu sacré . Sitôt franchie l'enceinte du parc ils étaient face à l'amphithéâtre sous la fraîcheur des grands eucalyptus ,étonné par cette chappe de silence suspendue à la baguette du chef d'orchestre des lieux : la nature troublante . L'odeur puissante , enivrante des eucalyptus,des romarins et des lentisques ajoutaient à l'étrangeté de ces pierres blondes encore assemblées mais déjà ruinées. Comme les roues des chars romains avaient façonnées les dalles de pierre de cette voie décumane ,les deux hommes façonnaient l'histoire moderne en mettant leur pas dans les pas de l' histoire antique.
Les deux visiteurs s'appréciaient :cela se voyait :le rythme de leurs pas lents, de leurs gestes amples , synchronisés, de l'écoute attentive et acquiescement de la tête, l'un vers l'autre ,puis l'un après l'autre, donnait au rare promeneur qui les croisait la vision d'une parfaite communication entre eux . Ils étaient incollables sur l'histoire de la Rome antique et aucun n'eut l'inconvenance d'être 'le professeur-qui-sait-tout' . Maintenant les deux promeneurs arrivaient au ' nouveau temple ' baigné de lumière. Rarement les deux hommes se sentirent aussi en phase avec les vibrations de cette nature :l'air chargé des parfums envoûtants ,ces colonnes ciselées, brisées mais qui s'élancent encore , ces pierres meurtries d' où jaillissent des fleurs jaunes ,rouges et bleues, et puis le chemin des oliviers : le plus mystérieux parcours de cette cité endormie .Là où le promeneur devient spectateur ,là où le silence est prélude d'ouverture à la révélation et crée une indicible sensation qui transporte l'homme universel , enfin satisfait d'être en paix avec lui-même et définitivement heureux de se réaliser ici. C'est le divin dessous des choses
Tout à coup, le grand militaire avec le képi à la main devint encore plus grand ,et son corps se détendit tout entier. Libéré. Il ne faisait plus de grands gestes ,ne parlait plus. Emu, souriant , il regardait l'anglais , dans ce site magique où l'homme se rapproche de l'homme , où l'homme sent s'accomplir en lui la plus profonde nécessité de liberté .
Alors ,comme pour saluer Uranus , Pluton , Neptune : la mer argentée, les pins maritimes, la masse bleue du chenoua , le chant des chardonnerets et des rouges-gorges s élevèrent dans la féerie des mystères de la nature .De longues minutes s'écoulèrent,le temps s'était arrêté...l'homme au képi à la main était resté seul, figé là, sur cette esplanade antique de la basilique Saint Alexandre ,le regard levé au ciel ,ébloui , abasourdi par tant de beauté et heureux de s'accomplir ainsi.
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- venez ! -venez ! la voix rieuse de Mac Millan l'interpella . Comme un enfant , l'Anglais s'était jeté à l'eau , nu , au bout de cette pointe rocheuse de l'antique cité. C'était naturel .Tout Tipasien vous le dira : Cela fait partie du parcours initiatique ,du cheminement, du voyage à travers le temps et l'espace ***.Arrivé là, on a envie de plonger ,de communier avec la dame nature en se jetant dans cette eau limpide , calme et apaisante :tout juste quelques clapotis sur les rochers ,mais prenez donc garde aux oursins !..
-venez ! -venez ! Le grand se retourna , surpris ,et vit juste en contre bas de la basilique ,Mac Millan dans l'eau ,riant aux éclats ,heureux d'avoir étonné son compagnon rêveur et lui faisant des signes de la main pour venir le rejoindre : - venez ! venez ! .
Ces vêtements étaient soigneusement pliés et posés dans le creux d'un rocher. En un instant le grand eut presque le geste de dégrafer sa pesante et encombrante vareuse,de s'abandonner , puis se ravisa ...son corps, étrangement , se raidit . Il resta là , planté comme le centurion romain avec son glaive de justice , comme Pharaon -roi-prêtre-des millions-d'années entre les colonnes du temple ,face à la mer transparente , face à l'histoire qui passe et qui juge . Vareuse , ceinturon , képi : ...héroïque... Que se passa -il ? On le devina bien plus tard****...
...mais, en ce début de soirée,alors que la lumière jaune du soleil , déjà derrière le chenoua, se faisait plus douce, que l'ombre des colonnes dans cet espace sacré , s'étirait , comme pour mesurer le temps ; en ce lieu béni des dieux , il ne se baigna pas .
*jean Lacouture /De Gaulle le rebelle (seuil)
**agence Reuter
*** albert Camus / prix nobel de littérature ,
moraliste , essayiste
**** A.Ange./l'homme à la boucle d'oreille
Saint Augustin (confessions)
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Rédigé le 10/03/2012 à 23:27 dans Histoire | Lien permanent | Commentaires (0)
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Cette Maurétanie est donc l'ancien pays de l'Afrique du nord ,habité par les Maures ,tribus berbères qui formèrent sous le V° siècle avant J.C un royaume . Comment ce royaume passa sous la dépendance de Rome ?
Le long processus déclenché lors de la succession inexistante de Massinissa en cette fin du 1° siècle avant J.C , aboutit à une donation du Royaume de Maurétanie en faveur d 'Octave l'empereur Romain .Le donateur fut Bacchus le Jeune ( en -33 avant J.C) , lequel, avait prouvé son attachement voire son inféodation à Rome ..Bacchus le Jeune légua son Royaume choisissant ainsi dans son testament : Octave comme successeur, lequel , par cet acte, recevait la maîtrise de cet immense territoire , car nul prétendant à la succession, ne semble avoir revendiqué le trône vacant de la Royauté Maure et, étant donné la situation géographique de la Maurétanie ,Rome se trouva certainement confrontée à un cas de vacances de pouvoir qu'elle ne pouvait négliger .
Ainsi en 25 avant notre ère, sous l'empereur Auguste, la Maurétanie devient un royaume protégé (protectorat) dont Rome tirait un immense bénéfice car les souverains ainsi soumis constituaient une force politique avec un fort sentiment d'appartenance à la communauté romaine .
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Les futurs souverains :Juba II * et Cléopâtre Séléné ,tous deux enfants de vaincus ,tous deux nés autour de l'année 50 avant J.C furent élevés à Rome après la perte de leur Royaume .
-Cléopâtre Séléné, seule enfant survivant, issue de l'union de la grande reine Egyptienne avec Marc Antoine .
Cléopâtre VII concéda à sa fille, encore enfant en Libye ,le pouvoir étendu qui fut le sien légitimant ainsi le pouvoir de Séléné .
-Juba II ,lui, restait le seul prince numide , mais il n'oublia jamais la gloire de son père Pompée écrasé par César ; Juba âgé de 5 ou 6 ans fit partie du cortège triomphal célébrant la victoire de l'empereur romain sur les Pompéiens en 46 avant J.C
Ces deux jeunes furent mariés et unis après une éducation princière et Romaine , probablement vers 19 avant J.C . Ils incarnèrent le thème essentiel de l'Empire : réunir l'orient et l'occident . Cléopâtre Séléné issue des Pharaon . Son époux , attaché par sa famille à l'occident .
Ils vécurent unis pendant 24 ans jusqu'à l'an +5 date probable de la mort de Séléné.
Juba II meurt dix huit années plus tard à 73 ans environ .Son règne aura duré 48 ans Son ambition aura été de transformer iol , du nom indigène de l'ancienne et obscure capitale numide en Caesarea . Cet acte n'était pas dépourvu de sens politique et en témoignant ainsi de sa reconnaissance à César Auguste , le fils adoptif de jules César, il révélait une sorte d'attachement quasi religieux à la personne du protecteur impérial .La re-fondation de iol-caesarea , autrement dit sa renaissance , fait partie du système fort cohérent mis au point par Auguste pour lier à ROME les souverains en les concentrant sur l'acte civilisateur par excellence :fonder ou embellir des villes car c'est la cité qui est le lieu et le signe d'une organisation sociale , d'une volonté de s'inscrire dans un ordre politique plus vaste , celui de l'Empire et de la PAX AUGUSTA . En bâtissant Caesarea comme une nouvelle ROME et une nouvelle ALEXANDRIE il mêlait à cet acte politique le désir d'élever iol au rang des cités illustres . Sur le plan architectural son épouse ,Cléopâtre Séléné , s'inspira largement des motifs égyptiens .Ainsi le phare de Caesarea , fut il la copie de celui d'Alexandrie . De plan octogonal , son emplacement sur l'îlot du port rappelle aussi la situation de celui d'Alexandrie .Il ne comprenait que 2 étages, sa hauteur : 38 m son diamètre : 18 m
Leur fils Ptolémée* âgé de 25 ans , fut le dernier roi de Maurétanie .Son règne fut bref . Sa destinée tragique car sous un prétexte religieux ou alors peut être son manque d'inféodation à l'Empire ,c'est à dire le manquement à 'l'Amicitia ' romaine, il fut mis à mort au cours de l'hiver 39/40 avant J.C, à Lyon sous le règne sanglant de Caligula *** . Une série de condamnations se déroulèrent entre octobre 39 et mars 40 . Ces épurations touchèrent tous les personnages de l'état .Une large part de la folie meurtrière de Caligula s'exerça contre la famille impériale . Tout Rome n'ignorait pas que le Maître de l'Empire entretenait avec ses soeurs, particuliérement Drusilla, des relations incestieuses pour marquer l'intérêt qu'il portait aux traditions égyptiennes. L'annonce de la mort de Ptolémée va pousser les Maures à prendre les armes au printemps 40 .Cette révolte fut brève : 6 à 9mois.Elle fut réprimée avec violence et pour la première fois sur le territoire Maurétanien sous le principat de Claude .Mort de Caligula*** 24 janvier 41 et avènement de Claude , lequel distingue la cité de Tipasa en lui conférant le titre de Municipe Latin. Les cités Maurétaniennes telles que Tipasa ,Volubilis , Lixus connurent sous Juba II et Ptolémée une grande prospérité et imitèrent spontanément le style de vie instauré à iol , devenu Caesarea, colonie romaine .Une découverte récente dans des fouilles entreprises près du tombeau de la chrétienne** atteste que la cité de Tipasa bénéficiait, sans en découvrir le motif de la récompense ,d'une immunité fiscale . Privilège unique en Afrique du nord . Au 1° siècle de notre ère (jusqu'à Hadrien) Tipasa ne couvrait que 7 à 8 hectares seulement. Au 2°siècle , elle passa à 60 ha sous l'effet de nouveaux courants commerciaux .cependant elle n'avait pas le statue de colonie .A noter que la cité de Tipasa a échappé aux 're-baptisations' et le nom qu'elle porte , elle le tient d'une habitude des navigateurs phéniciens qui nommèrent ce lieu , cet abri , où l'on tirait les barques sur la grève , lieu de passage :Tipasa .En fait les cités rebaptisées en occident furent rares .Elles le furent en faveur d'un chef tout puissant , d'un 'princeps' . L'orient 'hellénistique' avait vu au contraire , se multiplier les actes d'obédiences à l'égard du nouveau maître du monde et de nombreuses capitales prirent le nom de Caesarea ou de Sébasté les noms protecteurs acquis à la suite d'action politique remarquable
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* Michèle Coltelloni-Tramoy a soutenu une thèse d'université à Paris IV Sorbonne en nov. 88 et publié aux éditions du CNRS sous le titre : ' Le Royaume de Maurétanie sous Juba II et Ptolémée '
Bouchekani et P.A Fevrier , un castellum
** ainsi nommée car chacune de ses monumentales fausses portes tournée aux quatre points cardinaux est ornée d'une immense croix. Christophle, architecte-bâtisseur qui réalisa avec succès des travaux de restitutions de 1912 à 1950 , prête la construction de l'édifice à Juba II . Ce grand mausolée Royale est à l'image d'un état organisé , hiérarchisé et structuré .Il est le symbôle de la puissance d'un roi et de sa famille .Il signale les connaissances des techniques de construction particulièrement audacieuse , élaborée ,longues à édifier dans le temps (plusieurs décennies) et inviolable car inviolée
Selon M.Coltelonny-Tramoy : l'archéologie date le mausolée de la chrétienne du 1° siècle avant JC et qu'il serait l'oeuvre de Bocchus le jeune qui étendit son pouvoir sur toute cette région
*** connu aussi sous le nom de caius, Augustus, germanicus
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Rédigé le 10/03/2012 à 23:14 dans Histoire | Lien permanent | Commentaires (0)
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La fondation Casbah a renouvelé son appel pour le rapatriement du canon Baba Merzoug et de 158 autres objets appartenant au patrimoine mémoriel de l’Algérie et se trouvant en France.
Lors de la conférence de presse donnée par la fondation au forum d’El-Moudjahid à l’occasion de la journée nationale de la Casbah, les membres de la Fondation ont affirmé qu’ils continueront à réclamer la restitution du canon "Baba Merzoug", rappelant que " Les pourparlers avec les officiels français sont en bonne voie", selon M. Babaci, président de la Fondation.
Le canon Baba Merzoug, une pièce d’artillerie conçue de 1536 à 1542 à la fonderie de Dar Ennahas à Alger, a été transféré en France comme prise de l’armée coloniale française en Août 1830.
Baptisé "La Consulaire", le canon Baba Merzoug est depuis exposé au Port de Brest (Nord de la France).
Le canon "reviendra un jour dans son pays natal. Nous nous y engageons", a martelé M. Babaci dont la Fondation réclame également avec force, les crânes de célèbres résistants algériens à la conquête coloniale au début du 19e.
Les crânes de Boubaghla, Bouziane et Derkaoui, entres autres, sont conservés au Musée d’histoire naturelle de Paris. Cent cinquante-huit pièces historiques sont encore en possession des musées français, dont les effets personnels du Dey d’Alger, selon M. Babaci.
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(APS)
Rédigé le 26/02/2012 à 20:59 dans Histoire | Lien permanent | Commentaires (0)
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Dans son monumental Histoire des Berbères, Ibn Khaldoun attribue l’origine du mot “berbère” à la difficulté des dialectes parlés par les populations du Maghreb, que les différents envahisseurs n’arrivaient pas à déchiffrer et comprendre. Le grand historien explique alors que le mot “barbara” en arabe signifie des cris incompréhensibles ainsi que les rugissements du lion. Ibn Khaldoun reprend dans son explication une origine plus ancienne du mot berbère, qui dérive du mot latin Barbarus, signifiant étranger à la langue et à la culture des Grecs, et désignant aussi les populations qui vivaient en dehors de l’empire romain.
La question de l’origine des Berbères a toujours été un enjeu crucial et important, qui dépassait le cadre de la connaissance scientifique. La recherche historique a été souvent mise à contribution pour servir des ambitions politiques. Ainsi, de nombreux auteurs colonialistes ont voulu prouver l’origine européenne des Berbères, en recourant parfois à des acrobaties scientifiques et des arguments vaseux. La présence de groupes au teint et aux yeux clairs dans certaines zones montagneuses a été présentée comme la confirmation que les Berbères sont des descendants de tribus celtes venant du nord de l’Europe. Cette interprétation visait à légitimer la colonisation française en trouvant une origine ethnique commune avec la population autochtone et semer la division entre les Arabes et les Berbères. La recherche anthropologique et archéologique moderne a totalement démonté et invalidé l’hypothèse de l’origine européenne des Berbères, très en vogue sous la période coloniale.
Dans l’Antiquité, la population berbère d’Afrique du Nord était appelée “les Libyens”. Ce nom recouvrait, chez les historiens grecs et romains, une vaste entité géographique qui s’étendait sur ce qui correspond de nos jours au “Grand Maghreb”. Connus pour leurs qualités militaires et guerrières, les Libyens, ou “les Lebou”, ont pu même accéder au pouvoir en Egypte, avec le roi Chéchonq 1er, pour fonder une nouvelle dynastie de pharaons en 950 avant J.-C. Cette date est considérée comme le début du calendrier berbère.
Mais un autre nom, plus précis, est apparu chez les auteurs grecs et romains pour désigner la population qui se situe à l’ouest de l’Afrique du Nord : les Maures. On ne connaît pas beaucoup de choses, à défaut de traces et de documents écrits, sur cet essaim de tribus berbères qui habitaient sur un territoire correspondant en grande partie au Maroc actuel. D’origine phénicienne, le mot Maures signifie “les Occidentaux” et servait à distinguer géographiquement ce territoire des autres régions d’Afrique du Nord. Le nom de ce peuple aura un autre destin, quand les Espagnols vont l’utiliser, suite à la fin de la présence musulmane en Andalousie, pour désigner ce que nous appelons de nos jours les Maghrébins. Située entre l’Atlantique et oued Moulouya, la population maure était composée essentiellement d’agriculteurs, de pasteurs et de nomades. Le contact avec les Phéniciens, qui ont installé des comptoirs et des escales dans différents endroits du Maroc, a permis aux tribus maures de développer des structures politiques et administratives qui se transforment à partir du IVème siècle avant J.-C en royaume. Les princes et les hauts fonctionnaires maures utilisaient le phénicien comme langue administrative et diplomatique, tandis que les différents dialectes berbères constituaient la langue d’échange entre les populations. La chute de Carthage, qui a entraîné l’effondrement de la puissance phénicienne et l’apparition de l’empire romain, a permis au royaume des Maures d’émerger et de sortir de l’ombre. Les rois maures vont alors entrer dans des alliances complexes avec les Romains pour élargir leur territoire au détriment des autres royaumes berbères d’Afrique du Nord, et notamment les voisins numides.
Jeu de rois…
Pendant trois siècles, la dynastie des Bocchus a régné sur le pays des Maures, qui ressemblait beaucoup plus à une confédération de tribus dotée d’un chef qu’à une monarchie centralisée. La fondation du royaume des Maures et son étendue exacte demeurent peu connues en raison de la rareté et la quasi-inexistence même de documents écrits. Les quelques mentions qu’on retrouve chez des historiens romains permettent de croire qu’il s’agit d’un royaume qui s’étendait du nord du Maroc jusqu’à l’Atlas et dont l’oued Moulouya était une frontière naturelle qui le séparait de la Numidie, royaume berbère oriental, parfois allié et souvent concurrent.
Pendant longtemps, le royaume des Maures était ami et soutien des Romains dans leurs différentes luttes en Afrique du Nord. Ainsi, à la fin du IIIème siècle avant J.-C, le roi Baga a fourni à Scipion l’Africain, le célèbre général romain, des contingents de combattants pour livrer un combat final contre la puissante Carthage. La victoire des Romains sur Carthage et la destruction de cette dernière ont dessiné un nouveau visage de la Méditerranée et de l’Afrique du Nord. Un empire est né de cette victoire. L’alliance des Maures avec l’empire romain a permis à la dynastie des Bocchus d’étendre son royaume, de grignoter sur le territoire des voisins et de gagner en pouvoir et en influence. Le déclenchement d’un conflit, entre Rome et le royaume berbère de Numidie, a été une occasion saisie par les Bocchus pour étaler d’une façon spectaculaire le domaine des Maures.
C’est alors que vers 109 avant J.-C, Jugurtha, le jeune roi numide, refuse le plan proposé par Rome de partager son royaume entre différents héritiers, déclenchant ainsi une longue guerre avec les Romains. Jugurtha se tourne alors vers son voisin et beau-père Bocchus 1er, roi des Maures, pour l’aider et le soutenir dans son combat. Mais le roi maure, craignant une réaction dévastatrice de Rome et pensant d’abord à son propre intérêt politique, a fini par livrer son gendre Jugurtha à ses ennemis. La contrepartie de la trahison a été grande : Bocchus 1er a reçu des Romains toute la partie occidentale du royaume numide, qui s’étendait sur une grande partie de l’Algérie actuelle. Les nouveaux sujets des rois maures ont perdu progressivement leur ancienne appellation et le nom de leur royaume déchu, la Numidie, va disparaître pour devenir le pays des Maures.
Mais l’emprise des Romains ne cessera de grandir et leur contrôle sur l’Afrique du Nord atteindra des proportions considérables. La chute du royaume des Maures en l’an 40 avec l’assassinat de Ptolémée, le dernier souverain de la dynastie des Bocchus, a mis fin aux royaumes berbères et placé l’Afrique du Nord sous administration romaine directe.
L’exception culturelle
Pays excentré, bordé de mers et traversé par de massives chaînes montagneuses, représentant peu d’intérêt économique pour les grandes puissances de l’époque, le Maroc antique n’a subi qu’une faible influence culturelle et politique de ses envahisseurs. Les Romains, les Vandales et les Byzantins ont pu successivement occuper le Maroc et empêcher la résurgence de royaumes berbères, mais sans parvenir à marquer profondément sa composition ethnique ou opérer des transformations radicales au niveau de son identité et sa culture. Seul l’islam et les vagues successives de migration arabe réussiront à s’agréger à la composante berbère et fonder les bases de la nation marocaine. Malgré une présence de plus de cinq siècles, les Romains n’ont marqué le Maroc que d’une façon superficielle et l’impact de leur colonisation a été très ténu. La région “Maurétanie tingitane” qui correspondait au Maroc, selon le découpage administratif romain, a été moins latinisée et moins imprégnée par la culture de l’empire, que l’Algérie et la Tunisie. L’occupation romaine est restée confinée à un territoire étroit dans certaines villes comme Tingis (Tanger), Lixus (Larache) et Volubilis. On trouve alors peu de trace de monuments d’envergure que les Romains ont laissés dans d’autres pays, comme les aqueducs, les ponts ou les grandes routes. Deux mondes coexistaient dans ce contexte : une civilisation romaine cloîtrée dans quelques villes-garnisons réservées aux militaires et aux fonctionnaires venus de la métropole et une population qui a gardé intacts ses coutumes, ses traditions et ses dialectes. Les marques de la présence romaine se sont amoindries et effacées avec le rétrécissement de l’empire et l’arrivée de nouveaux conquérants. Vers 429, les Vandales, hordes de tribus germaniques dont le nom est synonyme de destruction, déprédation et pillage, ont envahi le Maroc à la recherche de terres fertiles et de ressources naturelles. Ils se dirigent après vers l’est, pour atteindre l’ancienne Carthage, et ne laissent derrière leur passage que désolation et ruines. Malgré une présence de plus d’un siècle en Afrique du Nord, les Vandales ne laisseront que peu de traces de leur passage au Maroc. Les Byzantins, héritiers de l’empire romain, essayeront de restaurer la gloire et le prestige de leurs ancêtres en partant à la reconquête du Maghreb. Mais ils n’auront que peu de réussite au Maroc et leur zone d’influence est restée limitée à Tanger et Sebta, en raison de la forte résistance opposée par les tribus berbères. Le champ était alors ouvert à de nouveaux conquérants, venus d’Orient, galvanisés par leur religion qu’ils ont pour ambition de répandre et y convertir d’autres peuples : les Arabes.
Quand l’islam débarque
Après la mort du prophète Mohammed, les musulmans vont se lancer, tous azimuts, dans des conquêtes fulgurantes et rapides, avec des troupes légères et peu fournies en hommes et en armes. En quelques mois seulement et avec une petite armée composée de 4000 hommes, les guerriers arabes ont pu venir à bout des Byzantins en Egypte et annexer l’ancienne terre des pharaons au jeune empire musulman. Mais les choses sont différentes et compliquées au Maghreb face à la farouche résistance berbère. Pour l’armée musulmane, il a fallu plus d’un demi-siècle de combats, de raids et de négociations pour contrôler définitivement l’Afrique du Nord : autant de temps nécessaire pour conquérir la Syrie, l’Egypte, l’Iran et l’Espagne réunis ! Oqba Ibn Nafiî, personnage légendaire et combattant fervent et obstiné, symbolise la dureté de la tâche et la violence de la résistance opposée par les Berbères. Nommé par le calife Yazid en 669, Oqba s’est lancé dans une vaste offensive générale au Maghreb. Après avoir défait les Byzantins et construit Al Kairouan, la ville tunisienne, il pousse un long raid vers la pointe occidentale du Maghreb et atteint Tanger, puis chevauche jusqu’au sud du Maroc, pour arriver aux “pays des Noirs”. Selon la légende rapportée par des historiens musulmans, Oqba avança avec son cheval dans les flots de l’Océan Atlantique, ou “la mer des ténèbres” selon l’appellation arabe, et prend à témoin Dieu que s’il avait la possibilité d’étendre sa conquête au-delà de l’océan il n’aurait pas hésité à le faire. En route vers Al Kairouan, Oqba est tué, près de Biskra en Algérie, dans un combat contre la tribu des Awraba dirigée par Kousseila, le chef berbère. Après la mort de Oqba, de nouvelles campagnes militaires musulmanes sont menées au Maghreb et peu d’entre elles atteignent le Maroc. L’alliance des Byzantins et des tribus berbères a donné de la tablature aux troupes envoyées par les califes de Damas et retardé la domination musulmane sur l’Afrique du Nord. Une femme s’est illustrée dans la résistance des tribus berbères de l’Aurès, en Algérie, et a obligé les troupes musulmanes à battre en retraite. Dihiya ou Damiya, selon les sources, surnommée Kahina par les historiens arabes, est passée dans la mythologie maghrébine pour avoir fait face, jusqu’à sa mort, à l’avancée des troupes musulmanes. Mais une nouvelle et dernière offensive a été l’œuvre de Moussa Ibn Noussaïr en 704. Impétueux, fin négociateur et chef militaire déterminé, Moussa Ibn Noussaïr réussit à conquérir tout le Maroc et à convaincre les Berbères de se convertir à l’islam. La nouvelle religion adoptée par les Berbères leur offre alors un lien solide permettant de transcender les divisions locales et tribales et de cimenter les différentes composantes de la population vivant au Maroc. Beaucoup de Berbères ont intégré l’armée musulmane et participé activement et ardemment aux conquêtes menées sous la bannière de l’islam. L’un d’entre eux, Tariq Ibn Ziad, sera même chargé par Moussa Ibn Noussaïr de lancer les troupes à la conquête de l’Espagne. Tout un symbole.
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Chronologie
• 10 000 Av. J.-C : Apparition des ancêtres directs des Berbères au Maroc.
• 1100 Av. J.-C : Les Phéniciens installent leurs premiers comptoirs commerciaux.
• 203 Av. J.-C : Massinisa fonde le royaume numide.
• 105 Av. J.-C : Bocchus 1er étend le royaume des Maures vers l'est.
• 40 Ap. J.-C : Assassinat de Ptolémée, dernier roi maure.
• 285 : Les Romains se replient et abandonnent le Maroc.
• 430 : Début de l'invasion vandale.
• 533 : Les Byzantins tentent de reconquérir le Maghreb.
• 681 : Oqba ibn Nafiî arrive au Maroc.
• 711 : Tariq Ibn Ziad débarque en Espagne.
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Par Abdellah Tourabi
Rédigé le 12/02/2012 à 08:54 dans Histoire | Lien permanent | Commentaires (0)
Durant les deux derniers siècles avant notre ère, les Numides créèrent, en Afrique du Nord, un État puissant à la civilisation originale. C’est là un fait exceptionnel dans l’histoire de l’Afrique antique.
Alors que Carthage rayonnait de toute sa puissance, les royaumes numides de Gaïa, Massinissa et Syphax, avaient atteint un degré de développement exceptionnel sur les plans économique, social et culturel. Bien que peu, ou encore mal connu, cette période reste l’une des plus passionnantes de l’Histoire des Maziɣes. Faute de repère plus précis, il faut remonter à l’histoire de Carthage pour accéder à la chronologie des royaumes numides. Selon les récits de Virgile dans l’Enéide, Elissa Didon, sœur de Pygmalion, roi de Tyr, fuyant l’oppression de son frère, débarqua avec ses trésors et une poignée de fidèles Tyriens et Chypriotes sur la côte africaine de Tunis, vers 860-870 avant Jésus-Christ. Entre le lac et les marais saumâtres, dans la péninsule formée par l’ancienne embouchure et les alluvions du fleuve Madjerda, elle fonda Carthage “Qart Hadast” (ville nouvelle).
À sa fondation, elle n’est qu’une modeste escale. Avant de devenir une puissante métropole méditerranéenne. Pendant trois siècles et demi, elle dut payer un tribut annuel aux maziɣes. À la suite de la ruine de Tyr, elle imposa sa protection aux cités phéniciennes. Vers le VIe s., elle commença à conquérir les territoires en Tamazɣa.
Au IIIe siècle avant J.-C., pendant qu’une fédération maure se constituait dans le nord du Maroc actuel, deux royaumes numides apparurent, celui des Massaessyles à l’ouest, entre la Mulucha (Moulouya) et Cirta (Constantine), celui des Massyles, aux confins des territoires carthaginois. Syphax, roi des Massaessyles, apparut comme un puissant personnage ; il domina toute l’Algérie actuelle et choisit pour capitale Cirta, que son site naturel rendait presque inexpugnable. En 203, cependant, cette puissance s’effondrait. Le royaume massyle était beaucoup plus petit que celui de son rival. Syphax en entreprit la conquête et réduisit à une vie de proscrit Massinissa, fils du roi défunt Gaïa.
Le cœur du pays numide était l’actuel constantinois, les hautes plaines qui s’étendent entre l’Aurès au sud, le Hodna et la Kabylie au nord. Cependant, on considérait comme Numides les tribus maziɣes de l’actuelle Tunisie. Les Numides peuplaient donc la partie orientale de l’Afrique du Nord et se distinguaient des Maures de la partie occidentale et des Gétules des confins sahariens. Tous n’ignoraient pas l’agriculture, mais, pour l’essentiel, jusqu’au IIIe siècle avant notre ère, ils vivaient en nomades pasteurs : les Grecs les nommaient ὅι Νομ́αδες : ceux qui font paître. C’est l’origine du nom des Numides. Ils étaient divisés en de nombreuses tribus entre lesquelles des liens assez lâches et instables s’instaurèrent.
1. Gaïa
Gaïa (en punique : GYY) fut le dernier roi de la Numidie orientale des Massyles avant sa réunification avec la Numidie occidental par son fils Massinissa. Il est petit-fils d’Ilès, le fils de Zelalsan et frère d’Ulzasen, et eut également une fille, Massiva.
La succession au trône de Gaïa se fit dans la guerre civile, au cours de laquelle l’héritier du trône, l’oncle de Massinissa fut assassiné par l’aventurier Macetulo, qui souleva le peuple et plaça sur le trône le jeune Lacumaces, tout en conservant le pouvoir. Massinissa dut alors rentrer et affronter d’abord Lacumaces, puis les troupes de Macetulo renforcées par Syphax. Il vainquit Macetulo et récupéra le royaume de son père, alors que la lutte avec Syphax ne faisait que commencer. Celui-ci, poussé par Hasdrubal, attaqua et poursuivit Massinissa avec acharnement, l’obligeant à se replier dans les zones montagneuses sans pour autant arrêter les combats. L’imminence de la guerre en Afrique se précisant, les deux monarques furent contraints de prendre position. Hasdrubal obligea Syphax, en le mariant à sa fille Siphonisba, à se ranger à ses côtés. Massinissa, pour sa part, afin de pouvoir récupérer le royaume de son père réduit par Syphax, se retrouva aux côtés de Scipion. Grâce à l’appui des Romains, en 203 av. J.-C., il vainquit et fit prisonnier Syphax dont il épousa la femme : Sophonisba. Scipion, craignant que Sophonisba ne poussât son mari vers le parti carthaginois, exigea qu’elle lui fût livrée. Mais Massinissa avait promis à Sophonisba de ne pas la remettre aux Romains et de lui procurer du poison si cette éventualité se confirmait. Et il en fut ainsi.
2. Massinissa
Il est le premier roi de la Numidie unifiée. Son nom a été retrouvé dans son tombeau à Cirta, l’actuelle Constantine sous la forme consonnique MSNSN (à lire MAS-N-SEN, qui veut dire « Leur Seigneur »). Fils du roi Gaïa (agellid en Tamaziɣeṭ) Il naquit vers 238 av. J.-C. dans la tribu des Massyles (Mis Ilès). Il mourut début janvier 148 av. J.-C. Lors de son couronnement, Massinissa avait 36 ans et régna pendant 54 ans jusqu’à sa mort. Après sa mort, un temple lui fut érigé à Dougga. (Logo).
Massinissa était d’une trempe et d’une habileté exceptionnelle. En pleine guerre entre Rome et Carthage, il s’allia à Scipion. Il bénéficia de la victoire romaine. Son entrée par surprise à Cirta, en 203, mit fin au royaume massaessyle. Il fut bientôt le maître de tous les pays situés entre la Mulucha et le territoire laissé à Carthage au nord-est de l’actuelle Tunisie.
C’est à la fin de la Deuxième Guerre punique, que Massinissa fut rétabli dans le royaume de ses pères. Le titre du roi des Numides le mit en mesure de récupérer des territoires depuis longtemps carthaginois. Sans l’aide romaine, il œuvra durant toute son existence à la récupération des territoires annexés par Carthage depuis son établissement en Afrique. Ainsi il s’appropria des villes ; des Emporia. L’opulente Leptis Magna fut du nombre des possessions carthaginoises récupérées par Massinissa. Soixante-dix localités de la Zeugitanie faisant partie du territoire de Hippo-Regius et s’étendant jusqu’à la Tasca furent récupérées, ainsi que la région qui s’étend sur la rive droite du Madjerda.
Au plan militaire, son pouvoir, aussi, fut considérable : il entretint une puissante armée et une flotte importante. Sur le plan économique, la Numidie occupa, pendant son règne, une place prépondérante dans l’économie mondiale de l’époque. Sa gestion fit de son pays un État très prospère qui commerçait avec la Grèce et Rome. Cirta en fut la capitale. Dans son œuvre d’unification, il empiéta sur le domaine de Carthage, qui lui déclara la guerre. Massinissa en sortit vainqueur.
Il entreprit la construction d’un état unifié et monarchique. D’abord il s’attacha à sédentariser les populations et transforma les pasteurs nomades en agriculteurs. Il favorisa l’urbanisation de la Numidie, poussant les cultivateurs à former de gros bourgs, auxquels il donna une organisation semblable à celle des villes puniques.
« Il mit en valeur de très vastes espaces », dit l’historien Polybe. Son but était d’accroître les ressources du pays et ainsi de pouvoir prélever des impôts qui fourniraient les ressources financières indispensables à l’État qu’il voulait créer. D’autre part, les nomades étaient de perpétuels rebelles ; des sédentaires seraient beaucoup plus disposés à accepter un pouvoir politique central. Les nouveaux cultivateurs furent groupés dans des bourgs fortifiés ; ainsi se développa une véritable urbanisation. Les villes reçurent des constitutions inspirées de celles des cités puniques de la côte : elles furent administrées par des suffètes. Cirta devint une capitale où s’élevèrent des monuments.
Massinissa qui regardait avec intérêt l’Orient grec avait accepté la forme de civilisation que six siècles, placés sous l’influence de Carthage, elle-même hellénisée au cours des deux derniers siècles, avaient apportée aux élites numides. Il voulait éduquer son peuple selon les méthodes hellénistiques. Le projet politique le plus cher à Massinissa fut l’unification de tous les royaumes numides, devenant ainsi l’aguellid incontesté de son immense royaume. La récupération des terres ayant appartenu à ses ancêtres lui permit d’introduire de nouvelles méthodes dans des domaines aussi variés que l’agriculture, l’hydraulique et la culture en terrasses.
Il fut probablement, le premier à introduire auprès des paysans le culte hellénistique de Déméter et de Coré. Pour mieux assurer sa puissance ; il voulut diviniser la monarchie et établir le culte de la divinité royale.
Massinissa, dit Tite-Live, proclamait que l’Afrique devait appartenir aux Africains, et non aux étrangers, qu’ils fussent Romains ou Phéniciens. La civilisation qui se développa dans son État s’inspirait de Carthage, de la civilisation grecque et romaine. Les inscriptions montrent un emploi simultané de la langue punique et de la langue libyque. Sur le plan religieux, l’influence carthaginoise fut profonde.
Massinissa demeura fidèle à l’alliance romaine, ce qui lui permit d’accroître ses possessions vers l’est. En 162, il occupa la région des emporian des Syrtes (la Tripolitaine). En 153, il annexa une importante partie du territoire carthaginois. Carthage dut alors se défendre et son réarmement fut le prétexte que saisit Rome pour déclencher la troisième guerre punique (149-146) qui s’acheva par la destruction totale de la capitale punique. Peut-être les Romains avaient-ils voulu surtout prévenir une annexion du territoire carthaginois par les Numides, ce qui aurait reconstitué un empire africain puissant et dangereux.
La puissance grandissante de Massinissa en Afrique inquiéta Rome, au point qu’en déclarant la guerre à Carthage en 149 av. J.-C. (troisième guerre punique), elle visait aussi Massinissa. En détruisant Carthage en 146 av. J.-C. et en créant la première colonie romaine en Afrique, Rome mettait une limite à l’extension territoriale de la Numidie et au renforcement de son pouvoir économique et politique.
3. Jugurtha
Massinissa est mort en 148, à près de quatre-vingt-dix ans. Scipion Émilien, qui s’apprêtait à détruire Carthage, présida au partage de la Numidie entre les trois fils du roi, mais la mort rapide de ses frères laissa tout le pouvoir à Micipsa. Durant les trente ans de son règne, il continua la politique de son père et veilla à garder de bonnes relations avec Rome. À sa mort, en 118, il légua son royaume à ses deux fils et à son neveu Jugurtha. Rome fit procéder au partage de la Numidie. Jugurtha ne s’y résigna pas. À deux reprises, en 116 et en 113-112, il attaqua les États de ses cousins qu’il tua successivement, bravant impudemment les ordres de Rome. Les marchands italiens de Cirta furent massacrés et une longue guerre commença.
Jugurtha gagna du temps, utilisant la corruption de la noblesse romaine qu’il connaissait bien. En 109 et 108, les Romains reprirent l’offensive grâce à Metellus. Les succès décisifs furent remportés par Marius en 107 et 106. Enfin, en 105, grâce à la trahison du roi Bocchus de Maurétanie, jusque-là allié de Jugurtha, le Numide fut capturé par le questeur Sylla, le futur dictateur. Jugurtha fut cruellement mis à mort à Rome.
4. Juba et la fin du royaume numide
Le royaume numide fut divisé en deux parties, confiées à des rois qui furent les dociles vassaux de Rome. L’un d’eux, Juba, qui régnait au milieu du Ier siècle sur la moitié orientale du pays, était l’ennemi personnel de César. Il prit le parti des Pompéiens réfugiés en Afrique et joignit ses forces aux leurs. La déroute des républicains d’Afrique après la bataille de Thapsus (46 avant J.-C.) lui fut fatale. Il se suicida pour ne pas tomber aux mains de César, qui annexa son royaume à l’empire de Rome.
Dans la partie centrale et occidentale de l’Afrique du Nord, le royaume vassal de Maurétanie devait survivre jusqu’au temps de Caligula.
C’en était fait de l’indépendance numide. Une longue œuvre de romanisation et de mise en valeur commença. Sous Tibère, Takfarinas souleva la grande tribu numide des Musulames et, par la guérilla, tint tête à l’armée romaine de 17 à 23 après J.-C. Par la suite, la domination romaine ne rencontra pas de graves obstacles en Numidie (alors qu’elle demeura précaire en Maurétanie).
La romanisation fut profonde, comme en témoignent les nombreuses ruines de villes romaines trouvées dans le pays. La fidélité au culte punique de Baal-Saturne témoigne cependant du maintien, en Numidie, des traditions religieuses préromaines.
Firmus T
Encyclopédie universalis
Encyclopédie maziɣe (berbère) Gabriel Camps
Charles-André Julien
Rédigé le 04/02/2012 à 21:24 dans Histoire | Lien permanent | Commentaires (0)
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Lors d’une émission diffusée récemment à la radio El Bahdja, l’historien maison s’est largement étalé sur l’histoire de l’Amirauté d’Alger. En abordant le sujet du mausolée qui se trouve à l’intérieur de ce site, l’intervenant a précisé que celui-ci abrite la tombe du saint Sidi Brahim El Ghobrini, originaire de Cherchell.
En réalité, il s’agit de Sidi Brahim Essalami, originaire du Moyen-Orient, venu combattre aux côtés de Kheiredine Barberousse et dont la lignée se trouve en Kabylie et près de Bou Saâda dans la tribu des Ouled Sidi Brahim.
Sidi Brahim était un saint. Les femmes stériles, notamment, venaient se recueillir sur sa tombe en quête d’une éventuelle fertilité. Comme l’histoire est un domaine très sensible, il faudra vérifier toutes les données en sa possession pour éviter des amalgames préjudiciables à la connaissance de la vérité et de l’histoire telle qu’elle s’est déroulée.
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Rédigé le 19/12/2011 à 21:36 dans Histoire | Lien permanent | Commentaires (4)
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Le neveu du sultan de Telmessen (Tlemcen) vient
chercher, du secours contre son oncle chez les chrétiens;
expédition dirigée sur Ténès; Khaïr-ed-din va
combattre; fuite du prétendant; partage du territoire
d’Alger entre les deux frères; Aroudj s’avance à la tête
d’une armée dans le pays.de Telmessen; soulèvement
général; le sultan va demander des secours aux Espagnols
; siège de Beni-Rachid ; mort d’Ishaac ; mort d’
Aroudj
Dans ce temps-là , le prince qui régnait à
Telmessen était de la famille de Beni-Zian. Il
avait un neveu qui cherchait à lui enlever sa
couronne. Son oncle découvrit ses complots, et
il donna des ordres pour l’arrêter. Mais le neveu,
qui en fut instruit, prit la fuite et se réfugia auprès
du roi infidèle, qui s’était rendu maître de toute
l’Andalousie. Il en fut très bien accueilli, et il
lui promit qu’on l’établirait dans cette partie de
la côte de Barbarie, où régnaient les Beni Abd-Aborad.
Le but que se proposait ce roi maudit
de Dieu, était de semer la division parmi les
musulmans, et de profiter ensuite de leur faiblesse
pour les assujettir. D’après ce plan, il
arma une flotte, sur laquelle il fit embarquer de
nombreuses troupes, et il les expédia à Ténès.
En peu de temps, elles se rendirent maîtresses
de cette ville, où s’établit le neveu du sultan
de Telmessen, sous la protection du roi infidèle.
Lorsque la fl otte jugea à propos de retourner en
Espagne, celui qui la commandait laissa quatre
vaisseaux, avec cinq cents hommes d’équipage
pour défendre la ville.
Khaïr-ed-din, en apprenant tout ce qui
s’était passé, s’abandonna au zèle qui l’enf ammait
pour l’islamisme, et partit sur-le-champ
avec toute son escadre pour Ténès. Au moment
où les chrétiens le virent entrer dans le port,
ils désertèrent leurs vaisseaux et se réfugièrent
dans la ville. Khaïr-ed-din vint y mettre le siège,
qu’il pressa avec son impétuosité accoutumée.
Il était près à s’en rendre maître, quoiqu’il n’eût
combattu qu’un seul, jour, depuis le soleil levant
jusqu’à l’Asr(1) lorsqu’il vit venir les gens de
loi de Ténès, qui étaient députés vers lui pour lui demander la paix.
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1.Asr, arabe; ce mot signifi e le moment de la troisième
prière. Vespera, c’est l’heure moyenne entre le
midi vrai et le coucher du soleil, et qui, à Alger, répond
plus ou moins, selon la saison, à trois heures de l’aprèsmidi.
C’est l’Ikindi des Turcs. Les Arabes et les Maures
ont encore le Magreb, qui répond au coucher du soleil
et à la quatrième prière; puis le Zohour, mieux connu
clans les ports de la Barbarie sous le nom de Bandera-
Abaxo, qui est le midi vrai et l’heure de la deuxième
prière. Cet instant est signalé du haut des minarets par
un pavillon blanc, que l’on hisse et que l’on amène
ensuite à l’heure précise.
Ils avaient ordre de lui promettre que le lendemain,
de bon matin, il se rendrait lui-même en
personne à son camp. Khaïr-ed-din se fia à leurs
promesses, et fit aussitôt cesser l’attaque de la
ville. Mais lorsque la nuit fut venue, le nouveau
sultan trouva le moyen de s’évader et de gagner
la campagne, déguisé.
Le matin, à la pointe du jour, les habitans de
la cité vinrent se présenter à Khaïr-ed-din, pour
lui apprendre en tremblant la fuite de l’usurpateur,
à laquelle ils n’avaient aucune part. En
même temps ils lui remirent les clés de la ville,
et le prièrent d’en prendre possession, l’assurant
que tôt ou tard ils le rendraient maître de la
personne du prince qui les avait si cruellement
trompés.
Khaïr-ed-din agréa leurs excuses. C’était
un homme droit et simple, qui ne soupçonnait
jamais la duplicité ni le mensonge. Il fit son
entrée dans la ville, et il s’empara de tout ce qui
appartenait au prince fugitif et à ,ses protecteurs
les ennemis de la loi. Il fit quatre cent esclaves
chrétiens, et il trouva cent cinquante quintaux
de poudre, trois cents pièces de gaze, quatorze
mille pièces de toile, six cents quintaux de miel
et tout autant de cire. Il fit charger ce riche butin
sur ses vaisseaux, et mit à la voile pour Alger.
A son retour, Aroudj et Khaïr-ed-din se partagèrent
le gouvernement des pays qu’ils avaient
conquis. Khaïr-ed-din eut la partie de l’est, et
son frère Aroudj la partie de l’ouest. Khaïr-eddin
alla s’établir à Tédlès, avec les troupes qui
lui étaient nécessaires pour faire respecter son
autorité et pour soumettre les cantons de cette
province qui étaient encore rebelles. Il régla
d’une manière fixe la solde des soldats qui le
suivaient, et il établit quatre lieutenans dans
divers lieux de son gouvernement.
Revenons maintenant à Ténès. Lorsque
l’usurpateur, qui avait fui de cette ville, eut appris
que Khaïr-ed-din avait fixé son séjour à Tédlès,
il retourna dans la cité qu’il avait abandonnée,
et là, ayant négocié avec les principaux habitans,
il obtint sa restauration dans le commandement
du pays.
Lorsqu’il se vit à la tête des affaires il
ne s’occupa qu’à rassembler des forces suffisantes
pour enlever à Aroudj les pays qu’il possédait
dans la partie de l’ouest. Les mouvemens
qu’il faisait donnèrent de l’inquiétude à celui-ci,
qui invita Khaïr-ed-din à quitter Tédlès et à
se rendre à Alger en diligence. A son arrivée,
Aroudj lui confia le gouvernement de la ville,
et se mettant lui-même à la tête d’un corps de
troupes suffisant, il s’avança dans la partie de
l’ouest, pour contenir par sa présence tous ses
sujets dans l’obéissance, et pour tacher de surprendre
l’usurpateur de Ténès. Il avait consulté
sur son compte les gens de loi de la ville d’Alger,
lesquels lui avaient répondu unanimement
qu’il était licite et juste de verser le sang de ce
malfaiteur et de tous ceux qui, comme lui, ne
cherchaient qu’à répandre le tumulte et la sédition
dans le pays de l’islamisme.
Il s’avança avec une armée petite, mais
redoutable, dont les Turcs faisaient la principale
force, et chemin faisant, il apprit que le sultan,
qui régnait à Telmessen, s’était attiré la haine de
tous ses sujets par les tyrannies et les vexations
qu’il exerçait contre eux.
Aroudj, profitant d’une si belle circonstance,
se porta vers Telmessen, la capitale du
royaume de ce nom, où le sultan tenait emprisonnés
deux de ses frères. A mesure qu’il s’approchait,
tous les habitans de cette contrée
venaient au devant de lui pour lui offrir leurs
services et leur obéissance en le suppliant de
les délivrer de la tyranniedu prince cruel qui
les gouvernait. Lorsque le sultan de Telmessen
apprit le soulèvement général qu’il y avait contre
lui dans tous ses états, il jugea qu’il lui serait
impossible de résister aux armes d’Aroudj. Et
ramassant ses effets les plus précieux, ainsi que
son trésor, il s’enfuit de la ville. Aroudj y entra
sans combattre, et il s’assit sur le trône de Telmessen
aux acclamations de tout le peuple. La
première chose qu’il fit ce fut d’élargir les deux
frères du sultan et tous les prisonniers. Ces deux
princes maures se retirèrent à Fes.
Le sultan fugitif de Telmessen tint pendant
quelque temps la campagne avec le peu de troupes
qui lui étaient restées fidèles; mais voyant
qu’il n’avait point assez de forces pour reprendre
son royaume, il se retira lui-même à Fes, auprès
du sultan qui y régnait et qui était de la dynastie
de Beni-Merin. Il le supplia de le prendre sous
sa protection, et de lui donner le moyen de s’asseoir
sur le tronc de ses pères, en considération
des secours mutuels que les rois de Fes et de
Telmessen s’étaient. toujours accordés dans les
circonstances critiques.
La contrée où est située la forteresse
nommée Beni-Rachid , passait dans ce temps-là
pour le plus fertile et le plus riche de tous les
pays connus. L’abondance de ses grains et les
autres productions de son sol semblaient inépuisables.
Les Espagnols, qui à cette époque étaient
déjà maîtres de Wehran(1), tiraient toutes les provisions
qui étaient nécessaires à l’entretien de
leurs troupes de la forteresse de Beni-Rachid, et
les moyens faciles d’approvisionnement qu’offraient
ce territoire devenaient fort nuisibles aux
intérêts de l’islamisme et étaient la cause principale
de leurs fréquentes irruptions sur les côtes
de la Barbarie.
____________________
1.Oran
Dès qu’Aroudj se vit en possession des Etats
de Telmessen, il fi t défendre, sous les peines les
plus sévères, aux habitans de Beni-Rachid de
transporter et de vendre des provisions de
bouche à la place de Wehran. Grâce à cette sage
mesure, la garnison de la place se trouva en peu
de temps réduite aux abois.
Le sultan de Telmessen, réfugié à Fes, profita
d’une circonstance aussi favorable, pour
obtenir secours des Espagnols. Il fi t parvenir au
commandant de Wehran une lettre dans laquelle
il lui parlait ainsi :
« Voyez la situation dans
laquelle vous êtes réduit depuis que j’ai perdu
ma couronne, et que les Turcs se sont assis sur
le trône de mes pères. Ils vous ont privés de
provisions abondantes, que vous receviez de la
forteresse de Beni-Rachid et de toutes les contrées
voisines. Si vous vous étiez réunis à moi
pour combattre Aroudj, et si vous aviez eu la
prévoyance de m’aider de vos troupes et de vos
trésors, vous ne seriez point dans le cas d’éprouver
la disette et la famine. Pesez toutes les conséquences
de l’usurpation d’Aroudj, et prenez
les meilleurs moyens pour arrêter ce torrent à
sa source, sans quoi vous serez victime de votre
imprudence, et la perte de la forteresse que vous
possédez sera le moindre des maux qui vous
attendent. »
Le commandant infidèle de la place fit à cette
lettre la réponse suivante :
« Vous ne nous avez
jamais appris l’embarras dans lequel vous vous
trouviez, et l’impossibilité où vous êtes de résister
aux armes d’Aroudj. Si vous nous aviez
demandé des secours, nous nous serions empressés
de vous les accorder, et nous aurions
envoyé nos troupes et tout l’argent qui aurait pu
vous être nécessaire. Mais ce qui ne s’est pas
fait peut se faire encore, et tant de mal peut être
bientôt réparé. Vous pouvez disposer de tous les
secours qui dépendent de nous. Préparez-vous à
aller attaquer l’ennemi commun; nous nous réunirons
à vous, et nous pourvoirons à toutes les
dépenses nécessaires à cette expédition. »
Le sultan de Telmessen fut au comble de la
joie en voyant cette lettre, et il sentit l’espérance
renaître dans son coeur. Il dépêcha un exprès au
commandant de Wehran pour lui demander des
fonds suffisans pour rassembler des troupes, et
se mettre en état d’enlever Telmessen aux Turcs
qui l’occupaient, avec promesse de sa part que
dès qu’il serait rentré en possession de ses états,
il leur fournirait, comme par le passé, en bestiaux,
en grains, en légumes, toutes les provisions
qui leur étaient. nécessaires.
Le commandant de la place lui envoya
sur-le champ sept mille ducats, et demanda en
otages soixante fils de cheiks arabes, qui lui
furent remis comme garantie de la fidélité du
sultan dans l’observation de ce traité. Celui-ci
rassembla aussitôt quinze mille cavaliers, auxquels
se joignirent quinze cents hommes d’infanterie
de la place de Webran.
Lorsque Khair-ed-din apprit les mouvemens
qui se manifestaient, il envoya des troupes
pour renforcer la garnison de la forteresse
de Beni-Rachid, et il la donna à commander à
Ishaac, son frère aîné. Le renfort arriva devant
cette forteresse, dans le temps qu’un corps d’armée,
de Wehran en faisait le siège. Les Turcs,
quoiqu’en petit nombre, ne tardèrent pas à
attaquer les infidèles, et la victoire se déclara
en faveur des vrais croyans. Ils massacrèrent six
cents chrétiens sur le champ de bataille, et ils
firent trois cents esclaves, ensuite de quoi ils
entrèrent en triomphe dans la forteresse.
Ils y étaient à peine établis, qu’ils virent
arriver le sultan de Telmessen, à la tête de
l’armée d’Arabes, qu’il avait ramassés, et des
quinze cents chrétiens qui s’étaient joints à lui. Il
entoura la forteresse, qu’il pressa de tous côtés.
Mais les Turcs qui la défendaient firent un jour,
bien à l’improviste, une sortie qui mit le plus
grand désordre dans l’armée des assiégeans
Ils en tuèrent un grand nombre ; et firent prisonniers
cent soixante chrétiens, qu’ils emmenèrent
avec eux à la forteresse.
Quelques jours après, les Turcs se proposèrent
de faire une nouvelle sortie. Des espions en
donnèrent avis au sultan de Telmessen, qui se
tint sur ses gardes. Les chrétiens dressèrent une
batterie masquée devant la place où les assiégés
devaient s’avancer. Dans le moment où ils
opéraient leur sortie, on tira sur eux plusieurs
coups de canon à mitraille, qui en renversèrent
une grande quantité. Le petit nombre de ceux
qui ne furent point tués rentrèrent dans la forteresse
qu’ils défendirent avec impétuosité pendant
l’espace de six mois.
Les infidèles, désespérés de ne pouvoir
emporter cette place malgré le peu de combattans
qui la défendaient, imaginèrent de pratiquer
une mine qu’ils avancèrent jusque sous les murs
de la forteresse. Une fois remplie de poudre, ils
y mirent le feu; l’explosion fit sauter une partie
des remparts ; ils voulurent alors pénétrer dans
la forteresse; mais les Turcs se présentèrent à la
brèche, où ils opposèrent une résistance invincible.
Les assiégeans leur dirent : « Vous avez
beau faire, il faut que nous emportions la place,
ou si cela est nécessaire, nous passerons encore
six ans à en continuer le siége.. » Cette opiniâtreté
réciproque fit faire des réflexions aux deux
partis et amena enfin un accommodement. Les
assiégés demandèrent à sortir avec leurs armes
et leurs bagages ; et les assiégeans exigèrent
qu’on leur rendît les chrétiens qui avaient été
pris, ils voulurent en outre que, pour l’exacte
observation de cette capitulation, les Turcs
remissent en otages seize hommes choisis parmi
les principaux officiers. On tomba d’accord sur
tous ces points, et les assiégés ouvrirent les
portes pour évacuer la place. Ils commençaient
à défiler, lorsqu’ils s’aperçurent que les assiégeans
détournaient une partie de leurs effets, et
que, non contens de manquer ainsi à la foi promise,
ils épiaient le moment de les surprendre.
Les Turcs ne consultèrent que leur courage et
finirent le sabre à la main. Le combat s’engagea
avec une fureur réciproque; mais là partie
n’était pas égale. Ishaac, le frère aîné d’Aroudj
et de Khaïr-ed-din, fut tué un des premiers et
alla recevoir, dans le sein de l’Éternel, la récompense
de son martyre. Le brave Iscander, son
lieutenant, se mit à la tête de la petite troupe de
héros qui faisaient face à une nombreuse armée.
Il fi t des prodiges de valeur ; mais à la fi n, il
succomba , ainsi que tous ses compagnons ; en
vendant chèrement sa vie.
Le sultan de Telmessen prit possession de
cette forteresse, et après avoir fait les réparations
nécessaires, et y avoir mis une forte garnison,
il se porta vers Telmessen avec les Arabes
et l’armée des infidèles. Il y avait déjà vingt-six
jours qu’il en faisait le siége, lorsqu’Aroudj,
voyant que la disette commençait à se faire
sentir dans la ville, résolut de tout tenter pour
éloigner les ennemis; il se mit à la tète de ses
Turcs, et vint les attaquer dans leur camp.
La fortune cette fois ne seconda point son
courage ; il fut tué d’un coup de feu au commencement
du combat(1). Ses intrépides compagnons,
bien loin de se décourager d’une si
grande perte, ne pensèrent qu’à venger sa mort;
ils firent un massacre effroyable d’Arabes et de
chrétiens ; et tous jusqu’au dernier d’eux, ne
cessèrent de combattre qu’après avoir versé des
torrens de sang.
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1. Cet évènement eut lieu vers l’an de l’égire 924
(1518 de l’ère chrétienne). Aroudj avait quarante-cinq
ans quand il mourut
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Rédigé le 17/12/2011 à 22:25 dans Histoire | Lien permanent | Commentaires (0)
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Colère du roi d’Espagne, en apprenant la nouvelle
du désastre de l’expédition; Khaïr-ed-din promet des
secours à Alger. Sur l’avis d’Aroudj, il se rend d’abord à
Gigel , pour déposséder un cheik, et il se contente de le
rendre tributaire ; Aroudj et Khair-ed-din se réunissent
à Alger; digression rétrospective tirée d’Haédo, et complétant
la chronique; Mort de Sélim Eutemi ; révolte des
habitans d’Alger; Exécutions sanglantes; Constitution
définitive du pouvoir entre les mains d’Aroudj.
.
Lorsque le roi infidèle apprit la déroute de
l’armée qu’il avait envoyée contre Alger, il se
frappa le visage, il déchira ses vêtemens, il
frémit de rage et se désespéra. Mais, au contraire,
les habitans d’Alger en voyant la victoire
signalée que Dieu leur avait accordée sur les
ennemis de leur loi, firent réjouissance,
et ils offrirent des actions de grâces à l’Éternel.
Aroudj écrivit à Khaïr-ed-din son frère,
pour lui faire part d’un événement si glorieux ,
et il envoya sa lettre à Gigel, pour qu’il la reçût
à l’instant de son arrivée en ce port.
Peu de jours après, Khaïr-ed-din y aborda
avec dix vaisseaux qu’il avait armés pour venir
secourir Alger. Il félicita son frère sur son triomphe,
et il lui fit savoir que dès qu’il aurait terminé
diverses réparations nécessaires à quelques uns
des bâtimens de son escadre, il se rendrait auprès
de lui.
Aroudj, à la réception de sa lettre, lui dépêcha
un courrier, pour lui apprendre que sa présence
à Alger était moins nécessaire qu’à Gigel,
et pour le conjurer de s’occuper de la punition
d’un cheik des Berbers, établi dans les environs
de cette place, qui servait d’espion aux chrétiens,
et qui les aidait contre les musulmans. Et
en effet, ce cheik perfide envoyait tous les ans
aux infidèles qui occupaient Bégiajé, dix mille
ducats en espèces; mille mesures de blé, mille
moutons, sept cent boeufs, et quatorze chevaux
enharnachés.
Khaïr-ed-din, sur l’avis qu’il reçut de son
frère, marcha contre ce traître, et il l’eut bientôt
forcé jusque dans ses derniers retranchemens.
Lorsque ce cheik maudit eut vu qu’il ne lui était
plus possible de résister, il demanda la paix à
Khaïr-ed-din, en lui offrant le tribut annuel qu’il
payait auparavant aux chrétiens. Khaïr-ed-din
accepta ces conditions, et en fi t part à son frère
Aroudj.
Ensuite il se rendit à Alger avec son escadre,
et les deux frères s’occupèrent sérieusement à
en faire le centre d’une souveraineté respectable,
en y établissant de bonnes lois.
Alors les habitans d’Alger, qui sentaient
leur sujétion, et qui se voyaient fort opprimés
à cause d’une forteresse que ce roi avait fait
construire plusieurs années auparavant sur l’île
qui touche presque à la ville, et qui n’en est éloignée
que de quelques pas (et cela afin qu’ils lui
fussent soumis et qu’ils ne se livrassent plus à
la course, comme par le passé, ainsi que c’était
leur coutume) ; les habitans, disons-nous, quand
ils surent cette nouvelle de façon certaine, reprirent
courage, et, de la pleine volonté d’un cheik
arabe, auquel, peu de temps auparavant, ils
s’étaient assujettis, et qui se nommait Sélim
Eutemi, prince qui avait pris l’engagement de les
défendre, ils envoyèrent supplier Barberousse,
de la valeur duquel on faisait tant de récits,
de vouloir bien les délivrer de cette oppression
des chrétiens, en les anéantissant. Ils désiraient
qu’on enlevât leurs yeux de cette forteresse
que les Espagnols possédaient dans l’île. Barberousse
reçut cette ambassade avec beaucoup
de contentement, et non pas tant en raison des
promesses, et de l’argent que la cité d’Alger lui
faisait offrir de concert avec son chef (bien que
tout cela fût considérable), que parce qu’il sentait
parfaitement que rien ne venait plus à propos
pour qu’il fût un jour souverain maître de la
Barbarie, événement qu’il cherchait à réaliser
avec tant de sollicitude et qui devait résulter
pour lui de la domination sur Alger, ville si
importante, si riche, si abondante, et de telle
commodité pour son métier de corsaire. C’est
pourquoi, cachant son intention, il congédia les
envoyés avec de larges offres de services, et
en leur promettant que sur l’heure et sans autre
retard il irait avec ses Turcs et avec le monde
qu’il pourrait rassembler, servir la ville et son
cheik, et il le fi t sur le champ, comme il l’avait,
dit; car cet homme eut entre autres vertus particulières,
et qui naissaient de son grand courage,
celle d’être très prompt et très diligent à exécuter
toute chose.
Et d’abord il envoya, en avant, par mer, jusqu’à
seize galères, appartenant tant à lui qu’à
d’autres corsaires ses affidés, qui, chaque jour
venaient le joindre à Gigel, et qui trouvaient
là accueil, secours, faveur, argent même, parce
que Barberousse était fort généreux avec tout le
monde. Sur ces navires il y avait quinze cents
Turcs, avec quelque artillerie, de la poudre,
des munitions et autres appareils de guerre. Par
terre, il conduisait huit cents Turcs bons tireurs
restés avec lui, de même que trois mille Maures
des montagnes de Gigel, ses vassaux, et deux
mille autres que la renommée de 1a campagne
avait attirés (grâce à l’espérance d’une réussite
certaine): ce fut ainsi qu’il marcha vers les murs
d’Alger. Le chef et les principaux habitans de la
cité, prévenus de son départ, vinrent le recevoir,
à une bonne journée de marche avant qu’il arrivât
à la ville, lui rendant mille grâces de l’excellente
volonté qu’il montrait à les secourir, ou,
pour mieux dire, à les délivrer du joug des chrétiens.
Ils pensaient bien que Barberousse s’en
irait immédiatement après comme il était venu,
pour combattre les ennemis d’Alger ; mais il
leur dit qu’en tout cas il fallait qu’il se rendit
d’abord à Sargel(1), lieu situé sur le bord de
la mer, et qui pouvait renfermer quinze cents
habitans environ; Sargel est à vingt-huit lieues
en avant d’Alger vers le couchant. Barberousse
promit d’être revenu dans un délai fort court, et
d’accomplir enfin ce qu’on désirait et ce qu’il
souhaitait plus que tout autre
____________________
1 Scherchel, ancienne Césarée, rebâtie par les
Maures d’Espagne.
Et voilà quelle était la véritable cause de
cette nouvelle direction. A l’époque où Barberousse
s’était rendu maître de Gigel et de ses
montagnes avec tant de facilité, un corsaire turc
de nation, nommé Car-Hassan, qui, bien des
années auparavant, avait été en course avec lui,
volant, comme il le faisait, sur une galère parfaitement
armée, le corsaire Car-Hassan, disonsnous,
envieux de la façon heureuse dont tout
succédait à son ancien compagnon, et se trouvant
tout aussi digne que lui d’une si haute fortune,
s’était séparé de sa compagnie, et, avec son
navire monté par un grand nombre de Turcs de
ses amis, il avait passé à Sargel. Il est inutile de
dire combien il avait été accueilli des habitans,
qui étaient alors, comme ils sont aujourd’hui,
des Morisques venus de Grenade, de Valence et
d’Aragon , et qui, au moyen de leurs frégates
et de leurs brigantins, se livraient à la course,
comme cela se passe encore de nos jours. Étant
tous nés en Espagne, et bons pratiques de la
côte, ils exerçaient de notables dommages et
faisaient de très grands vols en tous ces parages.
Immédiatement donc, et comme d’un commun
accord, Car-Hassan avait été reconnu pour chef
par tous les corsaires qui habitaient cette bourgade.
Il était devenu aussi le gouverneur et le
seigneur de la contrée, et, en conséquence, avait
toute confiance que son état prospérerait. Nul
roi maure, nul cheik même ne demeurait en son
voisinage. Et en outre, comme le lieu où il
s’était établi se trouvait muni d’un port, qu’avec
peu de travail et d’industrie, on pouvait rendre
fort étendu et fort sûr; que la terre des environs
était on ne peut plus abondante en vivres, tandis
que les montagnes voisines portaient des forêts
propres à la construction des navires ; comme
enfin de là à Mayorque, à Minorque, à Yvice et
dans tout le reste de l’Espagne, la traversée était
extraordinairement courte, et ne durait guère
plus de vingt heures, il espérait que sa situation
future ne serait pas moins heureuse que celle de
Barberousse, tant sur terre que sur mer. Mais de
son côté Aroudj, qui n’ignorait point cela, s’irritait
excessivement à l’idée que celui-ci voulût
s’égaler à lui.
Il allait jusqu’à penser que le fait d’occuper
seulement en ces contrées quelque terre ou seigneurie,
était, pour ainsi dire, les lui dérober,
et comme si on les avait enlevées à lui-même,
tant ses désirs ambitieux convoitaient la domination
de ces terres et de ces provinces. Quant
à la sujétion d’Alger, il était si intimement persuadé
qu’elle aurait lieu lorsque bon lui semblerait,
que sa première pensée avait été qu’il
convenait avant tout de tomber à l’improviste
sur Car-Hassan, et de le chasser de là avant qu’il
n’y prît davantage racine.
Mu par cette intention, il s’achemina donc
sur-le-champ vers Sargel, et cela en grande hâte
et, sans prendre repos seulement durant une
heure. II avait ordonné également à ses galères
de mouiller dans le port d’Alger, et de le suivre
immédiatement par mer.
Une fois arrivé à Sargel, il put s’apercevoir
qu’il lui était on ne peut plus facile d’y
entrer immédiatement et sans résistance, parce
qu’il n’y avait pas alors plus de murailles qu’il
n’en existe aujourd’hui, et qu’on ne voyait qui
que ce fût se mettre en avant. Et toutefois, il
voulut montrer qu’il ne venait point pour faire
le mal, mais bien seulement pour conclure de
libre accord une affaire, comme cela se pratique
entre amis. Conformément donc à cette manière
d’agir, il fi t savoir à Car-Hassan, qui se montrait
fort émerveillé de sa venue, que lui Barberousse
n’était point satisfait. de le voir s’emparer ainsi
de ce territoire, parce qu’il prétendait y établir
sa résidence. Grâce à tous ses bâtimens et
aux corsaires dont il était suivi, il imprima une
telle crainte à Car-Hassan, que celui-ci résolut
d’accomplir sa volonté. Confiant donc dans
l’ancienne amitié qui, durant tant d’années, les
avait unis, il alla sur l’heure s’entendre avec lui,
et lui donner la bienvenue; puis s’excusant le
mieux qu’il put faire, il se remit lui-même, avec
ses Turcs, ses galères, en y comprenant même
le pays, entre les mains de Barberousse; mais
celui-ci usa de bien grande cruauté, car, sans
plus de retard, la tête d’Hassan fut tranchée
devant lui. Non seulement il prit son bâtiment,
mais encore ses esclaves et tout ce qu’il avait en
sa demeure, puis incorporant sous sa bannière
les Turcs qui se trouvaient là, il se fit reconnaître
pour roi et seigneur de tous les habitans de cette
bourgade.
Cela fait, Barberousse laissa environ une
centaine de Turcs pour garnison, et, se dirigea
en toute hâte sur Alger. Et étant arrivé en cette
ville, il fut reçu de tous avec grand contentement
; car ceux-ci ne savaient guère quel incendie ils
allumaient en leur cité, et particulièrement le
cheik, ou, si on l’aime mieux, le prince Sélim
Eutemi, qui tenait la ville sous sa domination.
Ce fut lui qui recueillit et logea Barberousse en
son palais, ne sachant quel accueil lui faire. Les
Maures et les, principaux habitans en agirent de
même avec, les Turcs, et on peut dire en général
que tous, tant les Turcs que les Arabes, furent
reçus avec grande joie et parfaitement hébergés.
Alors voulant montrer qu’il n’était point
venu ; conduit par d’autre intention que celle de
servir les habitans et de les délivrer du joug des
chrétiens, Barberousse commença, dès le jour
suivant, avec grand bruit et clameur, à ouvrir
une tranchée et à planter une batterie en face de
l’île où étaient les Espagnols, les menaçant tous
de leur faire perdre la tête, usant de rodomontades
et proférant mille bravades orgueilleuses
comme les Turcs en font souvent. Et néanmoins,
avant que la batterie commençât à jouer, et
pour ne point négliger les moyens ordinaires et
de droit usités en ces sortes d’occasions, il fit
entendre par un Turc, au commandant de la forteresse,
que s’il voulait la lui remettre sans coup
férir, il lui donnait sa parole de le laisser sortir,
lui et sa troupe, avec ses bagages, et de lui assigner
outre cela certains bâtimens qui les transporteraient
à leur bon plaisir en Espagne. A cela
le commandant répondit qu’il l’excusait et de
ses bravades et de ses offres; que ces dernières
ne pouvaient avoir quelque infl uence que sur
des lâches, et qu’il eût bien à considérer luimême
qu’il lui en adviendrait pis encore qu’il
ne lui en était advenu devant Bougie. Cela ayant
été dit, et, sans attendre autre réplique, Barberousse
commença à battre en ruine cette forteresse,
qui n’était pas distante de la ville de plus
de trois cents pas (comme aujourd’hui on peut
encore le voir dans l’endroit de l’île où elle
était située). Jamais néanmoins le dommage ne
put être considérable, parce que toute l’artillerie
des Turcs était de petit calibre. Les habitans
d’Alger, voyant qu’au bout de vingt jours aucun
résultat n’avait eu lieu, ce qui rendait la venue
de Barberousse comme superfl ue, commencèrent
à se repentir de leur démarche; car, en
outre de cette circonstance, les Turcs se rendaient
insupportables, exerçant mille violences
et mille exactions en la ville (et cela avec un
orgueil démesuré, comme il arrive en tout lieu
où on les accueille et où on les reçoit). Dans
leur pensée, en effet, il était à craindre qu’il
n’en advînt pas mieux par la suite, et c’est ce
qui accroissait leur mécontentement, particulièrement
celui du cheik Sélim Eutemi, le seigneur
d’Alger, qui ne pouvait déjà plus, supporter l’arrogance
de Barberousse, et le peu de cas qu’il
faisait de lui dans sa propre habitation et hors de
là en public. Dès cette époque il redoutait déjà
ce qui, dans bien peu de temps, devait arriver.
Et, en effet, de nuit comme de jour, Barberousse
n’avait autre chose en l’imagination que ceci :
comment et de quelle manière, à quelle occasion
enfi n il pourrait s’emparer du pays.
Malgré les obligations qui sont naturellement
imposées à un hôte, il prit en dernier lieu
la résolution de tuer traîtreusement le cheik qui
l’avait accueilli; puis, cela une fois exécuté, de
se faire reconnaître de force et à main armée
pour roi et seigneur, ordonnant qu’on le proclamât
comme tel, et qu’on lui jurât obéissance. Et
pour venir à bout d’un tel dessein sans tumulte,
et sans bruit, un jour, vers midi, comme le
cheik Sélim Eutemi était entré au bain, en son
palais, afi n d’accomplir l’ablution qu’on doit
faire avant la prière de cette heure (ainsi que
c’est l’usage des Maures et le précepte du
Coran), Barberousse, qui logeait en la même
habitation, entra traîtreusement dans le bain , et
y trouvant le prince seul, nu , à l’aide d’un autre
Turc qu’il avait amené avec lui, il l’étouffa et
le laissa étendu à terre. Il cacha ce qui s’était
passé durant quelques instans, environ un quart
d’heure ; puis, venant à entrer une seconde fois
dans le bain, il commençait à appeler à grands
cris le secours des gens de la maison, et à dire que
le cheik était mort, que c’était la chaleur du bain
qui l’avait étouffé ; et cela étant publié immédiatement
dans la ville, non sans de grands soupçons
que Barberousse fût l’auteur d’une telle
méchanceté et d’une si grande trahison, tout le
monde se recueillit chez soi de terreur; mais, par
ordre de leur chef, les Turcs qu’il avait instruits
prirent à l’instant les armes et se joignirent
aux Maures des montagnes de Gigel. Ils firent
chevaucher Barberousse sur son cheval, et le
conduisant, par la ville avec grandes clameurs
et acclamations, ils l’intronisèrent comme roi.
Cela fut fait sans qu’aucun Maure ou aucun
habitant d’Alger osât ouvrir la bouche et dire
une parole d’opposition. Le cheik avait un fils
qui se trouvait encore en bas âge ; mais voyant
que son père n’existait plus, et craignant que
Barberousse le fît périr, grâce à l’aide de quelques
Maures du palais et des serviteur de son
père, il s’enfuit et ne s’arrêta que quand il fut
parvenu en la ville d’Oran, où le marquis de
Comarès (qui alors était le général commandant
le pays et ses forteresses) l’accueillit favorablement.
Plus tard, il l’envoya en Espagne au cardinal
archevêque de Tolède don Fray Francisco
Ximenès, qui, à la suite de la mort du roi catholique,
et en l’absence de Charles-Quint, alors en
Flandres, gouvernait ce royaume. Barberousse,
devenu de cette façon roi et seigneur d’Alger,
fit appeler les principaux d’entre les habitans de
la ville, et leur offrant des grâces et de grands
avantages, après leur avoir promis pour l’avenir
bien des faveurs, il obtint facilement ce à quoi
d’ailleurs on se voyait contraint, et tous l’acceptèrent
pour leur roi et pour leur seigneur absolu.
Une fois cela terminé, il commença immédiatement
à battre monnaie et à fortif er la Casauba de
la cité, parce qu’alors il n’y avait point en toute
la ville d’autre forteresse. Dressant là quelques
pièces d’artillerie, mais en petit nombre, il y établit
également une garnison de Turcs. Et comme
ceux-ci se voyaient déjà maîtres absolus d’Alger,
au bout de quelques jours ils traitèrent les
Maures et les habitans comme s’ils avaient été
leurs esclaves, les violant, les injuriant de mauvaises
paroles, les vexant par des actions pires
encore, ainsi que c’est leur coutume, et comme
il semble naturel à leur orgueil de le faire. Ceuxci
ne savaient donc plus à quel parti s’arrêter,
et ils eussent encore préféré être vassaux des
chrétiens que de se voir ainsi soumis aux Turcs.
A tout cela venait se joindre une circonstance
particulière : sachant que le fi ls du cheik Sélim
Eutemi était passé d’Oran en Espagne, ils étaient
tous en crainte qu’il ne revint avec une fl otte, et
des troupes, afin de recouvrer les états de son
père; ils redoutaient aussi que, dans la persuasion
où il serait qu’ils avaient trempé dans sa
mort, il ne fit pas seulement la guerre aux Turcs,
mais bien à eux: venant à cette fi n, les détruire
et les anéantir complètement. C’est du moins
ce que leur suggéraient les soldats espagnols
qui se trouvaient en la forteresse de l’île, et
qui leur répétaient ces propos, en les menaçant
Voilà pourquoi tous les baldis(1), c’est-à-dire les
citoyens et les Maures principaux de l’endroit,
se consultant entre eux, commencèrent à avoir
des intelligences avec le commandant de la forteresse,
le priant, quand le temps serait venu, de
les aider, au moyen de sa garnison, à chasser les
Turcs du pays ; car, pour les Maures de Gigel, ils
étaient déjà retournés en leurs foyers, et Barberousse
ne se trouvait entouré que de ses propres
Turcs. Ces hahitans d’Alger disaient donc qu’ils
serviraient de bien meilleur gré les chrétiens,
gens de justice et de raison, qu’une race superbe
et ennemie de toute bonté, comme était celle
____________________
1. Le titre de baldis est toujours adopté par Haedo,
en ce sens ; il paraît être particulier au XVIeo siècle,
car on ne le rencontre plus, que nous sachions, dans les
ouvrages postérieurs.
des Turcs. Cela étant. ainsi, ils commencèrent
à s’entendre fort secrètement avec les alarbes(1)
de Mutidjà(2), qui habitent les vastes plaines aux
alentours d’Alger, et qui avaient ressenti à l’excès
la mort de Sélim Eutemi: Sélim était non
seulement leur chef naturel, mais c’était aussi
un homme de leur sang et de leur race, et dont
ils avaient à coeur surtout de venger l’assassinat
dès que l’occasion s’en présenterait ; et
ils étaient d’autant plus incités à agir de cette
façon, qu’aussitôt que Barberousse avait vu son
pouvoir s’accroître par la possession d’Alger,
et qu’il avait pu, tant bien que mal, ramener la
tranquillité parmi les habitans, il s’était tourné
vers les alarbes de la plaine, leur faisant grandes
instances et employant même auprès d’eux toutes
____________________
1. Le mot alarbe que nous croyons employé ici
pour la première fois, est fort usité dans les historiens
espagnols et portugais. On le retrouve, également à
Alger parmi le peuple indigène. Il signifi e: gens grossiers
sans culture, et il sert toujours à désigner les
Arabes des campagnes ou du désert.
2. Metidjà ; c’est le nom de la magnifique plaine
qui environne Alger et son massif de montagnes, de l’est
à l’ouest, en passant par le sud, plaine dans laquelle les
prétendus colons ont fait de nombreuses acquisitions.
des Turcs. Cela étant. ainsi, ils commencèrent
à s’entendre fort secrètement avec les alarbes(1)
de Mutidjà(2), qui habitent les vastes plaines aux
alentours d’Alger, et qui avaient ressenti à l’excès
la mort de Sélim Eutemi: Sélim était non
seulement leur chef naturel, mais c’était aussi
un homme de leur sang et de leur race, et dont
ils avaient à coeur surtout de venger l’assassinat
dès que l’occasion s’en présenterait ; et
ils étaient d’autant plus incités à agir de cette
façon, qu’aussitôt que Barberousse avait vu son
pouvoir s’accroître par la possession d’Alger,
et qu’il avait pu, tant bien que mal, ramener la
tranquillité parmi les habitans, il s’était tourné
vers les alarbes de la plaine, leur faisant grandes
instances et employant même auprès d’eux toutes
____________________
1. Le mot alarbe que nous croyons employé ici
pour la première fois, est fort usité dans les historiens
espagnols et portugais. On le retrouve, également à
Alger parmi le peuple indigène. Il signifi e: gens grossiers
sans culture, et il sert toujours à désigner les
Arabes des campagnes ou du désert.
2. Metidjà ; c’est le nom de la magnifi que plaine
qui environne Alger et son massif de montagnes, de l’est
à l’ouest, en passant par le sud, plaine dans laquelle nos
prétendus colons ont fait de nombreuses acquisitions,
dans l’espérance (vaine jusqu’à ce jour) de voir notre
occupation militaire y porter la sécurité
sortes demenaces, pour qu’ils l’eussent à recevoir
comme seigneur, ainsi que cela était arrivé
à l’égard de Sélim Eutemi: il réclamait en même
temps le tribut que l’on avait coutume de payer.
Bien souvent les Turcs s’en allaient par bandes de
trois et quatre cents hommes à travers la campagne.
Armés alors de leurs mousquets, ils contraignaient
ces babitans à payer le tribut dont nous venons de
parler, ou bien ils leur prenaient leurs vaches, leurs
moutons, tout ce qu’ils possédaient enfin, jusqu’à
leurs propres enfans.
En conséquence donc, les baldis de la cité et
les alarbes s’entendirent tous ensemble, et avec
eux les chrétiens de la forteresse de l’île. Il fut
convenu qu’à un certain jour, et sous prétexte
d’acheter ou de vendre divers objets, comme
ils avaient coutume de le faire, un bon nombre
d’alarbes entreraient dans la ville, armés en secret,
et qu’ils mettraient le feu à vingt-deux galiotes
(c’était le nombre des bâtimens, les uns appartenant
à Barberousse, les autres aux corsaires qui
venaient se joindre à lui). Elles étaient tirées à terre
et rassemblées en deux endroits différens : les unes
dans les fossés de la ville, vers cette partie de la
muraille qui est près de la porte de Bab-al-oued(1)
____________________
1.Bab-al-oued, porte de la rivière à cause du ruisseau
qui l’avoisine : c’est la porte du couchant.
entre la mer, et le bastion de Rabadan-Pacha; les
autres plus en avant, sur la plage de la Fiumara(
1) ou du ruisseau qui descend de la colline.
II avait été décidé qu’au moment où Barberousse,
avec ses Turcs, sortirait pour éteindre
le feu par la porte de Bab-al-oued, les baldis et
les autres citoyens courraient à l’instant fermer
cette porte, et qu’on s’opposerait ensuite à leur
entrée. On était convenu en même temps, que
le commandant de la forteresse et les soldats
chrétiens passeraient sur des embarcations en
la ville, et que, réunis aux Maures, tous d’un
commun consentement et d’un même courage,
d’un côté ils tueraient tous les Turcs qui seraient
restés dans la ville, de l’autre ils attaqueraient
Barberousse ainsi que les gens qui seraient sortis
avec lui pour éteindre l’incendie Tout cela enfin
était si bien combiné qu’on n’eût pu rien trouver
de préférable. Comment la chose arriva, c’est ce
que jamais on n’a pu savoir ; mais Barberousse
eut avis de ce qui se tramait secrètement. Il dissimula,
et faisant faire bonne garde, auprès des
galères de course, n’omettant rien en sa vigilance,
____________________
1. C’est la plage qu’avoisinent les fours à chaux
qui, de tous temps, ont été où nous les voyons encore, à
quelques centaines de pas de la porte de Bab-al-oued.
Le nom de Fiumara est Franque.
il s’arrangea de manière que les alarbes ne
purent jamais accomplir leur dessein.
Un de leurs jours consacrés, c’était le vendredi,
jour férié et qui remplace le dimanche
parmi eux, comme Barberousse se rendait à
la grande mosquée, à l’heure de midi, pour y
remplir les rites de son culte, en sa compagnie
allaient quelques Turcs, les seuls au fait de ce
qui devait advenir; puis venaient la plupart des
baldis et les principaux citoyens qui avaient coutume
en ce jour de se rendre à la mosquée avec
leur seigneur pour y faire la prière. Ils étaient
donc tous présens, mais ils ne savaient pas, et ils
ne pouvaient guère imaginer que Barberousse
sût le moindrement leur projet. Ils entrèrent
donc en la mosquée; mais dès qu’ils y furent,
les Turcs coururent au même instant fermer les
portes. Au dehors donc ainsi qu’au dedans, la
force leur appartenait par les armes. En conséquence,
faisant lier les mains aux principaux
baldis et, aux citoyens maures de la ville, sans
plus attendre, Barberousse en fit décoler vingtdeux
des plus coupables à la porte de la mosquée.
Leurs têtes et leurs corps furent jetés en la
rue, et ensuite, pour la plus grande ignominie,
il les fit enterrer dans de grands cloaques placés
alors dans l’intérieur de la ville, précisément
au lieu où se trouvent situées aujourd’hui les
écuries du dey. Grâce à cette façon d’agir,
aussi inattendue que rigoureuse, les habitans
d’Alger demeurèrent en l’épouvante, et dorénavant,
quelque maltraités qu’ils fussent par les
Turcs, ils n’osaient ni parler ni sortir de la ville,
car Barberousse ne l’eût point permis. Aussi, de
gré ou de force, ont-ils vécu jusqu’à ce jour en
repos, fort soumis et fort obéissans aux Turcs(1).
____________________
1. Les évènemens rapportés ici eurent lieu en 1517.
Rédigé le 12/12/2011 à 19:32 dans Histoire | Lien permanent | Commentaires (0)
.
Les habitans d’Alger prient Aroudj de venir à leur
secours ; il se rend à cette invitation ; Khaïr-ed-din
envoie ses soldats, turcs à son aide, puis il part pour
Tunis ; arrivée d’Ishaac, dans ce pays ; Khaïr-ed-din le
garde auprès de lui; armement formidable ; flotte chrétienne
à Bizerte; Aroudj et Khaïr-ed-din se réunissent
de nouveau ; Khaïr-ed-din se rend à Tunis, où il fréquente
le corps des Ulemas ; expédition des chrétiens
contre Alger ; Aroudj défend la ville.
Lorsque Khaïr-ed-din arriva dans cette ville,
il se trouva qu’Aroudj en était parti depuis quelque
temps sur une invitation qu’il avait reçue
des habitans de Gezaïr(1), qui l’engageaient à
venir les délivrer de la tyrannie des ennemis
de leur loi. Ces infi dèles, profi tant de leur faiblesse,
avaient bâti sur l’île voisine de leur ville
un château dont ils se servaient pour les subjuguer.
Aroudj , en lisant la lettre dans laquelle
ils lui faisaient le récit des vexations qu’ils
éprouvaient, ne consulta que son zèle pour l’islamisme,
et vola au secours de ses frères. En
partant, il recommanda aux habitans de Gigel de
prier de sa part son frère Khaïr-ed-din , lorsqu’il
paraîtrait chez eux, de lui envoyer une troupe
de ses braves compagnons avec lesquels il pût
attaquer les chrétiens qui s’étaient fortifi és sur
la petite île.
_______________
1 Gezaïr, ou Gezaïr-el-Garb, est la fameuse ville
que nous nommons Alger. Les Turcs la nommaient les
îles d’occident, à cause de quelques petites îles qui formaient
son port, et sur lesquelles sont maintenant assises
les fortifications de la marine.
Lorsque Khaïr-ed-din fut arrivé à Gigel(1),
les habitans, transportés de joie, accoururent
au devant de lui et l’accueillirent comme leur
souverain. Ils s’acquittèrent de la commission
dont les avait chargés Aroudj reis au sujet du
secours qu’il attendait de sa part. Khaïr-ed-din
se mit aussitôt en devoir de le satisfaire, et il
lui envoya deux cent quatre vingts Turcs avec
toutes les munitions de guerre et de bouche qui
leur étaient nécessaires. Puis, après avoir resté
quelques jours à Gigel, il fit voile pour Tunis.
Il n’est point aisé de peindre la satisfaction
qu’éprouva Aroudj, lorsqu’il vit arriver la petite
armée que son frère lui avait expédiée. Il fi t à
ces braves soldats l’accueil le plus flatteur, et il
augmenta leur solde.
Khaïr-ed-din, en arrivant à Tunis, apprit
que Courd-Ogli avait fait décharger tous les
bâtimens dont on s’était emparé, et qu’il venait
de mettre toutes les marchandises en magasin. Il
donna ordre d’en faire la vente, et de distribuer
aux propriétaires des corsaires, aux reis et aux
équipages la part qui revenait à chacun(1).
En ce temps-là, Khaïr-ed-din eut la consolation
de revoir son frère Ishaac, qui était l’aîné
des quatre enfans de Jacoub reis; il avait quitté
le pays de Romélie où il s’était fi xé pour venir
chercher son frère Khaïr-ed-din, et l’engager à
s’établir auprès de lui.
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1 Voici quel est l’usage des régences en ce qui
concerne les parts : les propriétaires ont la moitié de la
prise, et l’autre moitié se partage ensuite entre l’équipage.
Le reis a quarante parts, le matelot trois, le simple
combattant une et demie; mais, surtout la régence prélève
un droit de douze et demi pour cent.
Khaïr-ed-din le reçut avec des transports de
joie inexprimables : mais bien loin de condescendre
à ses instances, il ne voulut point lui permettre
de retourner en Romélie, et il le retint auprès de
lui à Tunis.
Les prises immenses que Khaïr-ed-din avait
faites sur les chrétiens, et le trouble qu’il portait
à leur navigation, avaient enfin réuni toutes
les puissances infidèles contre lui: elles avaient
toutes contribué à faire les fonds nécessaires
pour équiper une flotte de trois cent soixante
vaisseaux destinée à le poursuivre, lui et son
frère Aroudj, jusqu’à leur entière destruction.
Cette flotte qui couvrait toute la surface de
la mer, vint mouiller à Binzerte(1), un des ports
du royaume de Tunis où les chrétiens trouvèrent
à l’ancre quatre navires musulmans sans équipage
pour les défendre; ils s’en rendirent maîtres;
ensuite de quoi, ils mirent pied à terre pour
tâcher de s’emparer de la forteresse qui défend la
ville. Ils mirent le siège devant elle : mais grâce
à ses excellentes fortifi cations et au courage avec
lequel les assiégés musulmans se défendirent,
ces infi dèles furent contraints d’abandonner leur
entreprise et de retourner à leurs vaisseaux.
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1 Binzerto à quelques lieues à l’Ouest de Tunis
Ils vinrent dans la rade de la Goulette où était
mouillée l’escadre de Khaïr-ed-d in qui se prépara
à les recevoir avec son artillerie, sa mousqueterie
et ses archers, selon la manière de combattre
des Turcs. Les infidèles ne tardèrent pas à
s’apercevoir qu’ils n’avaient rien à gagner avec
lui par mer : ils voulurent tenter une descente,
mais Khaïr-ed-din se portait comme la foudre
partout où ils cherchaient à mettre pied à terre,
et il les repoussait avec perte. Quand ils virent
l’impossibilité de réussir dans leur dessein, ils
prirent le parti de retourner vers leur pays, couverts
d’opprobre, et d’ignominie, et ils reconnurent
que l’Éternel est le protecteur des vrais croyans.
Lorsque le reis Courd-Ogli et le reis Musliked-
din apprirent que les chrétiens réunissaient
leurs efforts contre Khaïr-ed-din, et préparaient
la nombreuse flotte dont nous venons de parler,
ils pensèrent qu’il était de la prudence de ne pas
attendre l’orage, et ils retournèrent à Constantinople.
Dans ce temps-là, le sultan Selim se préparait
à partir pour la conquête de l’Égypte, où
régnait le sultan Gouri le Circassien ; ils le suivirent
dans cette expédition qui fut si glorieuse
pour les armes ottomanes : ce trait d’histoire
est. trop connu pour que je m’arrête à en faire le
récit.
Après le départ ignominieux de la fl otte des
infidèles, Khaïr-ed-din fit armer quatre chebecs;il
les chargea d’un, grand nombre de combattans,
et de quinze grosses pièces d’artillerie, et il les
envoya sous le commandement, de son frère
Ishaac au secours d’Aroudj qui était toujours à
Alger.
Aroudj embrassa avec transport un frère
chéri qu’il avait perdu de vue depuis plusieurs
années ; et il lui fi t mille questions sur sa santé et
sur ses projets. Il fut enchanté du nombre et du
choix des troupes qu’il lui avait envoyées, il fit
à ces soldats un accueil plein de bonté et d’affabilité,
et il augmenta leur paye lunaire.
Quant à Khaïr-ed-din, il passa toute la
saison d’hiver dans la ville de Tunis, où il s’occupa
à cultiver le corps des ulémas dont la conversation
et les exemples raffermirent ses vertus
religieuses. Au commencement du printemps, il
renonça au repos pour aller, selon sa coutume,
chercher les combats et la gloire(1).
Lorsque la fl otte des chrétiens fut de retour
au port d’où elle était sortie, les infidèles furent
plus que jamais convaincus de l’insuffisance
des moyens qui leur restaient pour détruire une
troupe de héros qui, affrontant tous les dangers,
étaient prêts à verser leur sang pour le triomphe
de la vraie religion ; et qui allait à la mort avec
la même sollicitude que les chrétiens en montrent
pour conserver leur vie.
Ils assemblèrent un grand conseil où il fut
résolu d’attaquer la ville d’Alger et de s’en emparer.
En conséquence, ils firent tous les préparatifs
nécessaires pour cette expédition importante; et
voici comment ils raisonnaient entre eux : Si les
Turcs viennent à bout de s’établir solidement à
Alger et de réduire tous les pays d’alentour sous
leur domination, ils augmenteront nécessairement
le nombre de leurs vaisseaux et de leurs
troupes ; il ne nous sera plus possible alors de
naviguer, et nos côtes mêmes ne seront pas à
l’abri de leurs insultes; heureux celui qui pourra
acheter la tranquillité par un tribut annuel.
Ce qui déterminait surtout les infi dèles à
penser à la conquête d’Alger, c’était la ressource
qu’ils avaient dans le château bâti sur l’île voisine
de cette ville d’où on pouvait inquiéter facilement
les Algériens en employant le canon, ou
même simplement en faisant usage de la mousqueterie.
La vue de cette forteresse était pour
les habitans d’Alger une épine qui leur perçait
le coeur. Mais le terme de la destruction de cet
édifice d’opprobre et de tyrannie n’était point
encore arrivé, et il était réservé à Khair-ed-din
d’effacer jusqu’aux vestiges de la forteresse.
Nous raconterons, quand il en sera temps, toutes
les circonstances de cet évènement si consolant
pour l’islamisme.
Les chrétiens s’imaginèrent encore que
la conquête d’Alger une fois accomplie, ils
pourraient la garder et apaiser le ressentiment
du Grand-Seigneur, moyennant une somme
annuelle qu’ils enverraient à la Sublime Porte
ottomane. En conséquence de la résolution qui
avait été prise dans le conseil, ils se préparèrent
à cette expédition , et ils équipèrent trois cent
vingt navires de toute grandeur, sur lesquels
ils mirent quinze mille hommes de troupes de
débarquement. Ils vinrent mouiller dans la baie,
et ils mirent à terre leurs troupes pour faire le
siège de la ville.
Aroudj, à la tête de ses braves turcs et des
habitans d’Alger , se chargea de la défense de
la ville, et fi t toutes les dispositions nécessaires
pour rendre vains les efforts des ennemis.
Les infidèles vinrent asseoir leur camp près
de la ville, et, selon leur usage, ils se mirent
à l’abri de l’attaque par de larges fossés et au
moyen de retranchemens. Ils y arborèrent leur
étendard abominable, et ils commencèrent à
canonner Alger. Aroudj craignit que cette façon
de combattre ne devint trop avantageuse aux
ennemis de la loi. Il assembla un grand divan
dans lequel il proposa à sa troupe de faire une
sortie, comme le seul moyen qu’il y eut de
décourager les chrétiens, et de leur faire perdre
espérance.
Les braves turcs qu’il commandait approuvèrent
unanimement son idée, en s’écriant :
« Nous ne devons point balancer : c’est nous
qui sommes la cause que les infidèles sont
venus attaquer Alger, et puisque les habitans
n’ont point assez de forces pour se défendre, il
est de toute justice que nous versions jusqu’à la
dernière goutte de notre sang afi n de détourner
l’orage que nous avons attiré sur eux ». Aroudj
enchanté de les voir dans de si belles dispositions,
n’attendit que le moment favorable pour
en profiter.
Lorsqu’il fut arrivé, il fit ouvrir les portes de
la ville, et s’avança le premier. Tous ses braves
le suivirent avec une égale ardeur. On les entendait
élever jusqu’au ciel les acclamations de leur
profession de foi. Ils coururent sur l’ennemi qui
venait au devant d’eux. Les chrétiens ne purent
résister longtemps à ce choc impétueux ; ils
tournèrent le dos et prirent la fuite pour rentrer
dans leurs retranchemens. Aroudj y pénétra avec
eux ; les infi dèles furent contraints d’abandonner
leur étendard, ainsi que leurs tentes, et de
chercher à regagner leurs navires. Les Turcs les
poursuivirent le sabre à la main, renversant les
uns dans la poussière, faisant les autres esclaves.
La plage d’Alger était toute couverte de sang, et
l’on prétend que de cette nombreuse armée d’infi
dèles, c’est à peine si un millier d’hommes put
se sauver à bord de la fl otte, qui mit à l’instant
à la voile pour retourner au port d’où elle était
partie.
.
Rédigé le 11/12/2011 à 20:40 dans Histoire | Lien permanent | Commentaires (0)
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