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Le neveu du sultan de Telmessen (Tlemcen) vient
chercher, du secours contre son oncle chez les chrétiens;
expédition dirigée sur Ténès; Khaïr-ed-din va
combattre; fuite du prétendant; partage du territoire
d’Alger entre les deux frères; Aroudj s’avance à la tête
d’une armée dans le pays.de Telmessen; soulèvement
général; le sultan va demander des secours aux Espagnols
; siège de Beni-Rachid ; mort d’Ishaac ; mort d’
Aroudj
Dans ce temps-là , le prince qui régnait à
Telmessen était de la famille de Beni-Zian. Il
avait un neveu qui cherchait à lui enlever sa
couronne. Son oncle découvrit ses complots, et
il donna des ordres pour l’arrêter. Mais le neveu,
qui en fut instruit, prit la fuite et se réfugia auprès
du roi infidèle, qui s’était rendu maître de toute
l’Andalousie. Il en fut très bien accueilli, et il
lui promit qu’on l’établirait dans cette partie de
la côte de Barbarie, où régnaient les Beni Abd-Aborad.
Le but que se proposait ce roi maudit
de Dieu, était de semer la division parmi les
musulmans, et de profiter ensuite de leur faiblesse
pour les assujettir. D’après ce plan, il
arma une flotte, sur laquelle il fit embarquer de
nombreuses troupes, et il les expédia à Ténès.
En peu de temps, elles se rendirent maîtresses
de cette ville, où s’établit le neveu du sultan
de Telmessen, sous la protection du roi infidèle.
Lorsque la fl otte jugea à propos de retourner en
Espagne, celui qui la commandait laissa quatre
vaisseaux, avec cinq cents hommes d’équipage
pour défendre la ville.
Khaïr-ed-din, en apprenant tout ce qui
s’était passé, s’abandonna au zèle qui l’enf ammait
pour l’islamisme, et partit sur-le-champ
avec toute son escadre pour Ténès. Au moment
où les chrétiens le virent entrer dans le port,
ils désertèrent leurs vaisseaux et se réfugièrent
dans la ville. Khaïr-ed-din vint y mettre le siège,
qu’il pressa avec son impétuosité accoutumée.
Il était près à s’en rendre maître, quoiqu’il n’eût
combattu qu’un seul, jour, depuis le soleil levant
jusqu’à l’Asr(1) lorsqu’il vit venir les gens de
loi de Ténès, qui étaient députés vers lui pour lui demander la paix.
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1.Asr, arabe; ce mot signifi e le moment de la troisième
prière. Vespera, c’est l’heure moyenne entre le
midi vrai et le coucher du soleil, et qui, à Alger, répond
plus ou moins, selon la saison, à trois heures de l’aprèsmidi.
C’est l’Ikindi des Turcs. Les Arabes et les Maures
ont encore le Magreb, qui répond au coucher du soleil
et à la quatrième prière; puis le Zohour, mieux connu
clans les ports de la Barbarie sous le nom de Bandera-
Abaxo, qui est le midi vrai et l’heure de la deuxième
prière. Cet instant est signalé du haut des minarets par
un pavillon blanc, que l’on hisse et que l’on amène
ensuite à l’heure précise.
Ils avaient ordre de lui promettre que le lendemain,
de bon matin, il se rendrait lui-même en
personne à son camp. Khaïr-ed-din se fia à leurs
promesses, et fit aussitôt cesser l’attaque de la
ville. Mais lorsque la nuit fut venue, le nouveau
sultan trouva le moyen de s’évader et de gagner
la campagne, déguisé.
Le matin, à la pointe du jour, les habitans de
la cité vinrent se présenter à Khaïr-ed-din, pour
lui apprendre en tremblant la fuite de l’usurpateur,
à laquelle ils n’avaient aucune part. En
même temps ils lui remirent les clés de la ville,
et le prièrent d’en prendre possession, l’assurant
que tôt ou tard ils le rendraient maître de la
personne du prince qui les avait si cruellement
trompés.
Khaïr-ed-din agréa leurs excuses. C’était
un homme droit et simple, qui ne soupçonnait
jamais la duplicité ni le mensonge. Il fit son
entrée dans la ville, et il s’empara de tout ce qui
appartenait au prince fugitif et à ,ses protecteurs
les ennemis de la loi. Il fit quatre cent esclaves
chrétiens, et il trouva cent cinquante quintaux
de poudre, trois cents pièces de gaze, quatorze
mille pièces de toile, six cents quintaux de miel
et tout autant de cire. Il fit charger ce riche butin
sur ses vaisseaux, et mit à la voile pour Alger.
A son retour, Aroudj et Khaïr-ed-din se partagèrent
le gouvernement des pays qu’ils avaient
conquis. Khaïr-ed-din eut la partie de l’est, et
son frère Aroudj la partie de l’ouest. Khaïr-eddin
alla s’établir à Tédlès, avec les troupes qui
lui étaient nécessaires pour faire respecter son
autorité et pour soumettre les cantons de cette
province qui étaient encore rebelles. Il régla
d’une manière fixe la solde des soldats qui le
suivaient, et il établit quatre lieutenans dans
divers lieux de son gouvernement.
Revenons maintenant à Ténès. Lorsque
l’usurpateur, qui avait fui de cette ville, eut appris
que Khaïr-ed-din avait fixé son séjour à Tédlès,
il retourna dans la cité qu’il avait abandonnée,
et là, ayant négocié avec les principaux habitans,
il obtint sa restauration dans le commandement
du pays.
Lorsqu’il se vit à la tête des affaires il
ne s’occupa qu’à rassembler des forces suffisantes
pour enlever à Aroudj les pays qu’il possédait
dans la partie de l’ouest. Les mouvemens
qu’il faisait donnèrent de l’inquiétude à celui-ci,
qui invita Khaïr-ed-din à quitter Tédlès et à
se rendre à Alger en diligence. A son arrivée,
Aroudj lui confia le gouvernement de la ville,
et se mettant lui-même à la tête d’un corps de
troupes suffisant, il s’avança dans la partie de
l’ouest, pour contenir par sa présence tous ses
sujets dans l’obéissance, et pour tacher de surprendre
l’usurpateur de Ténès. Il avait consulté
sur son compte les gens de loi de la ville d’Alger,
lesquels lui avaient répondu unanimement
qu’il était licite et juste de verser le sang de ce
malfaiteur et de tous ceux qui, comme lui, ne
cherchaient qu’à répandre le tumulte et la sédition
dans le pays de l’islamisme.
Il s’avança avec une armée petite, mais
redoutable, dont les Turcs faisaient la principale
force, et chemin faisant, il apprit que le sultan,
qui régnait à Telmessen, s’était attiré la haine de
tous ses sujets par les tyrannies et les vexations
qu’il exerçait contre eux.
Aroudj, profitant d’une si belle circonstance,
se porta vers Telmessen, la capitale du
royaume de ce nom, où le sultan tenait emprisonnés
deux de ses frères. A mesure qu’il s’approchait,
tous les habitans de cette contrée
venaient au devant de lui pour lui offrir leurs
services et leur obéissance en le suppliant de
les délivrer de la tyranniedu prince cruel qui
les gouvernait. Lorsque le sultan de Telmessen
apprit le soulèvement général qu’il y avait contre
lui dans tous ses états, il jugea qu’il lui serait
impossible de résister aux armes d’Aroudj. Et
ramassant ses effets les plus précieux, ainsi que
son trésor, il s’enfuit de la ville. Aroudj y entra
sans combattre, et il s’assit sur le trône de Telmessen
aux acclamations de tout le peuple. La
première chose qu’il fit ce fut d’élargir les deux
frères du sultan et tous les prisonniers. Ces deux
princes maures se retirèrent à Fes.
Le sultan fugitif de Telmessen tint pendant
quelque temps la campagne avec le peu de troupes
qui lui étaient restées fidèles; mais voyant
qu’il n’avait point assez de forces pour reprendre
son royaume, il se retira lui-même à Fes, auprès
du sultan qui y régnait et qui était de la dynastie
de Beni-Merin. Il le supplia de le prendre sous
sa protection, et de lui donner le moyen de s’asseoir
sur le tronc de ses pères, en considération
des secours mutuels que les rois de Fes et de
Telmessen s’étaient. toujours accordés dans les
circonstances critiques.
La contrée où est située la forteresse
nommée Beni-Rachid , passait dans ce temps-là
pour le plus fertile et le plus riche de tous les
pays connus. L’abondance de ses grains et les
autres productions de son sol semblaient inépuisables.
Les Espagnols, qui à cette époque étaient
déjà maîtres de Wehran(1), tiraient toutes les provisions
qui étaient nécessaires à l’entretien de
leurs troupes de la forteresse de Beni-Rachid, et
les moyens faciles d’approvisionnement qu’offraient
ce territoire devenaient fort nuisibles aux
intérêts de l’islamisme et étaient la cause principale
de leurs fréquentes irruptions sur les côtes
de la Barbarie.
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1.Oran
Dès qu’Aroudj se vit en possession des Etats
de Telmessen, il fi t défendre, sous les peines les
plus sévères, aux habitans de Beni-Rachid de
transporter et de vendre des provisions de
bouche à la place de Wehran. Grâce à cette sage
mesure, la garnison de la place se trouva en peu
de temps réduite aux abois.
Le sultan de Telmessen, réfugié à Fes, profita
d’une circonstance aussi favorable, pour
obtenir secours des Espagnols. Il fi t parvenir au
commandant de Wehran une lettre dans laquelle
il lui parlait ainsi :
« Voyez la situation dans
laquelle vous êtes réduit depuis que j’ai perdu
ma couronne, et que les Turcs se sont assis sur
le trône de mes pères. Ils vous ont privés de
provisions abondantes, que vous receviez de la
forteresse de Beni-Rachid et de toutes les contrées
voisines. Si vous vous étiez réunis à moi
pour combattre Aroudj, et si vous aviez eu la
prévoyance de m’aider de vos troupes et de vos
trésors, vous ne seriez point dans le cas d’éprouver
la disette et la famine. Pesez toutes les conséquences
de l’usurpation d’Aroudj, et prenez
les meilleurs moyens pour arrêter ce torrent à
sa source, sans quoi vous serez victime de votre
imprudence, et la perte de la forteresse que vous
possédez sera le moindre des maux qui vous
attendent. »
Le commandant infidèle de la place fit à cette
lettre la réponse suivante :
« Vous ne nous avez
jamais appris l’embarras dans lequel vous vous
trouviez, et l’impossibilité où vous êtes de résister
aux armes d’Aroudj. Si vous nous aviez
demandé des secours, nous nous serions empressés
de vous les accorder, et nous aurions
envoyé nos troupes et tout l’argent qui aurait pu
vous être nécessaire. Mais ce qui ne s’est pas
fait peut se faire encore, et tant de mal peut être
bientôt réparé. Vous pouvez disposer de tous les
secours qui dépendent de nous. Préparez-vous à
aller attaquer l’ennemi commun; nous nous réunirons
à vous, et nous pourvoirons à toutes les
dépenses nécessaires à cette expédition. »
Le sultan de Telmessen fut au comble de la
joie en voyant cette lettre, et il sentit l’espérance
renaître dans son coeur. Il dépêcha un exprès au
commandant de Wehran pour lui demander des
fonds suffisans pour rassembler des troupes, et
se mettre en état d’enlever Telmessen aux Turcs
qui l’occupaient, avec promesse de sa part que
dès qu’il serait rentré en possession de ses états,
il leur fournirait, comme par le passé, en bestiaux,
en grains, en légumes, toutes les provisions
qui leur étaient. nécessaires.
Le commandant de la place lui envoya
sur-le champ sept mille ducats, et demanda en
otages soixante fils de cheiks arabes, qui lui
furent remis comme garantie de la fidélité du
sultan dans l’observation de ce traité. Celui-ci
rassembla aussitôt quinze mille cavaliers, auxquels
se joignirent quinze cents hommes d’infanterie
de la place de Webran.
Lorsque Khair-ed-din apprit les mouvemens
qui se manifestaient, il envoya des troupes
pour renforcer la garnison de la forteresse
de Beni-Rachid, et il la donna à commander à
Ishaac, son frère aîné. Le renfort arriva devant
cette forteresse, dans le temps qu’un corps d’armée,
de Wehran en faisait le siège. Les Turcs,
quoiqu’en petit nombre, ne tardèrent pas à
attaquer les infidèles, et la victoire se déclara
en faveur des vrais croyans. Ils massacrèrent six
cents chrétiens sur le champ de bataille, et ils
firent trois cents esclaves, ensuite de quoi ils
entrèrent en triomphe dans la forteresse.
Ils y étaient à peine établis, qu’ils virent
arriver le sultan de Telmessen, à la tête de
l’armée d’Arabes, qu’il avait ramassés, et des
quinze cents chrétiens qui s’étaient joints à lui. Il
entoura la forteresse, qu’il pressa de tous côtés.
Mais les Turcs qui la défendaient firent un jour,
bien à l’improviste, une sortie qui mit le plus
grand désordre dans l’armée des assiégeans
Ils en tuèrent un grand nombre ; et firent prisonniers
cent soixante chrétiens, qu’ils emmenèrent
avec eux à la forteresse.
Quelques jours après, les Turcs se proposèrent
de faire une nouvelle sortie. Des espions en
donnèrent avis au sultan de Telmessen, qui se
tint sur ses gardes. Les chrétiens dressèrent une
batterie masquée devant la place où les assiégés
devaient s’avancer. Dans le moment où ils
opéraient leur sortie, on tira sur eux plusieurs
coups de canon à mitraille, qui en renversèrent
une grande quantité. Le petit nombre de ceux
qui ne furent point tués rentrèrent dans la forteresse
qu’ils défendirent avec impétuosité pendant
l’espace de six mois.
Les infidèles, désespérés de ne pouvoir
emporter cette place malgré le peu de combattans
qui la défendaient, imaginèrent de pratiquer
une mine qu’ils avancèrent jusque sous les murs
de la forteresse. Une fois remplie de poudre, ils
y mirent le feu; l’explosion fit sauter une partie
des remparts ; ils voulurent alors pénétrer dans
la forteresse; mais les Turcs se présentèrent à la
brèche, où ils opposèrent une résistance invincible.
Les assiégeans leur dirent : « Vous avez
beau faire, il faut que nous emportions la place,
ou si cela est nécessaire, nous passerons encore
six ans à en continuer le siége.. » Cette opiniâtreté
réciproque fit faire des réflexions aux deux
partis et amena enfin un accommodement. Les
assiégés demandèrent à sortir avec leurs armes
et leurs bagages ; et les assiégeans exigèrent
qu’on leur rendît les chrétiens qui avaient été
pris, ils voulurent en outre que, pour l’exacte
observation de cette capitulation, les Turcs
remissent en otages seize hommes choisis parmi
les principaux officiers. On tomba d’accord sur
tous ces points, et les assiégés ouvrirent les
portes pour évacuer la place. Ils commençaient
à défiler, lorsqu’ils s’aperçurent que les assiégeans
détournaient une partie de leurs effets, et
que, non contens de manquer ainsi à la foi promise,
ils épiaient le moment de les surprendre.
Les Turcs ne consultèrent que leur courage et
finirent le sabre à la main. Le combat s’engagea
avec une fureur réciproque; mais là partie
n’était pas égale. Ishaac, le frère aîné d’Aroudj
et de Khaïr-ed-din, fut tué un des premiers et
alla recevoir, dans le sein de l’Éternel, la récompense
de son martyre. Le brave Iscander, son
lieutenant, se mit à la tête de la petite troupe de
héros qui faisaient face à une nombreuse armée.
Il fi t des prodiges de valeur ; mais à la fi n, il
succomba , ainsi que tous ses compagnons ; en
vendant chèrement sa vie.
Le sultan de Telmessen prit possession de
cette forteresse, et après avoir fait les réparations
nécessaires, et y avoir mis une forte garnison,
il se porta vers Telmessen avec les Arabes
et l’armée des infidèles. Il y avait déjà vingt-six
jours qu’il en faisait le siége, lorsqu’Aroudj,
voyant que la disette commençait à se faire
sentir dans la ville, résolut de tout tenter pour
éloigner les ennemis; il se mit à la tète de ses
Turcs, et vint les attaquer dans leur camp.
La fortune cette fois ne seconda point son
courage ; il fut tué d’un coup de feu au commencement
du combat(1). Ses intrépides compagnons,
bien loin de se décourager d’une si
grande perte, ne pensèrent qu’à venger sa mort;
ils firent un massacre effroyable d’Arabes et de
chrétiens ; et tous jusqu’au dernier d’eux, ne
cessèrent de combattre qu’après avoir versé des
torrens de sang.
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1. Cet évènement eut lieu vers l’an de l’égire 924
(1518 de l’ère chrétienne). Aroudj avait quarante-cinq
ans quand il mourut
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