Ce qui s’est passé cette fin de semaine à Alger est un événement religieux qui aurait dû être rentable pour Bouteflika afin de faire son cinquième mandat en toute quiétude, mais la révolution citoyenne l’a empêché de s'exalter.
Il aurait pu l'être aussi pour Tebboune qui souhaite rétablir la confiance avec les citoyens en leur offrant la troisième mosquée au monde, mais il est allé en Allemagne pour se soigner en urgence.
Y a-t-il un mauvais sort jeté sur ce grand ouvrage religieux qui a coûté l'équivalent de 4 mégas hospitalo-universitaires ? En effet, les autorités ont offert un lieu de culte au lieu d'un lieu de soin, une décision qui sera remise en cause à chaque fois qu'un Algérien tombe malade sans qu'il soit pris en charge par faute de moyens médicaux. Cela dit, c'est une contradiction voulue qui vire vers la bêtise.
Bien sûr cette bêtise humaine n'atteindra jamais Bouteflika, les généraux et Abdelmadjid Tebboune qui disait « que nous avons les meilleurs hôpitaux de l'Afrique ». Il n'a pas tort sur son exemple de référence, pour le respect des Africains qui souffrent des mêmes problèmes que nous, en évitant d'évoquer ceux de l'Allemagne ou de la France.
Dans les faits, le système de santé algérien est délibérément géré en deux collèges : le premier ceux qui se soignent à l'étranger, et le deuxième ceux qui se soignent à l'intérieur. C'est pour ceux-là d'ailleurs que la mosquée fut construite pour prier afin de ne pas tomber malade, pour reprendre la phrase ironique indiquée dans la fameuse caricature d’Ali Dilem.
Pour critiquer la forte affluence des fidèles venus assister l’inauguration de cette mosquée peut paraître blasphématoire, mais de laisser à cette occasion la pandémie se propager dans un pays où les moyens de santé sont dérisoires, c’est de l’inconscience que ni la prière, ni la foi ne pourront faire face à un virus qui fait des millions de morts à travers la planète.
Si on revient aux coûts de construction de cette mosquée, lieu de prédilection des fidèles, qui avoisine les 6 milliards de dollars, il y a de quoi se poser des questions sur son financement. Se permettre une telle dépense inutile dans un pays qui souffre d'infrastructures utiles pour le bien être du citoyen est un paradoxe que l'Histoire gardera en mémoire pour longtemps.
Mais cette mauvaise conscience bien développée au sommet de l'État, et aussi développée au niveau local, à l'échelle des quartiers, villages et des douars. Les mosquées qui naissent comme des champignons sont un véritable danger sociétal. De surcroît, des écoles, universités et entreprises sont envahies par une islamisation galopante qui empêchent l'élève de s'instruire, l'étudiant de réfléchir et le travailleur de s'émanciper en dehors des règles idéologiques et dogmatiques imposées.
Nous constatons que les institutions publiques et étatiques sont en train de devenir des mosquées, elles échappent aux règles institutionnelles et administratives. C'est une lame de fond qui menace l’existence de la nation algérienne.
Dénoncer et se démarquer de ses entreprises islamistes qui sont créées ou encouragées par le pouvoir pour contrôler la morale de la société à des fins politiques est un impératif. On doit cesser d'être des contempteurs, et réagir avec acuité et en solidarité face à ces absurdités.
C'est un rôle qui va être assuré inévitablement par les courants démocrates républicains, les intellectuels, les artistes, les écrivains et même les religieux, car ces derniers ont des arguments solides pour juguler cet envahissement, et expliquer à la société que l'islamisme est un danger et non une religion de paix.
Ce qui s'est passé en France avec l'assassinat du professeur Samuel Paty pour des caricatures du prophète des musulmans, en nombre, est un acte infiniment petit par rapport aux massacres commis en Algérie au nom de la religion. Peu importe la lecture politique qu'on peut lui attribuer, mais ce qui a poussé le jeune à commettre ce crime a interpellé la société française dans son ensemble, car l'intégrisme menace et tue.
La laïcité, qui est une valeur intrinsèque pour la France républicaine, n'a pas réussi à déjouer toutes les intrusions islamistes qui déstabilisent l'équilibre de vivre ensemble entre français. Et la Turquie qui est pourtant constitutionnellement un pays laïque, pour des raisons de géostratégie, a encouragé le phénomène en finançant la majorité des associations et écoles islamistes de France.
Pour revenir en Algérie, la révolution citoyenne a quand même permis aux Algériens de débattre la place de la religion au sein de la société, en revanche c’est loin d’être assez pour endiguer le danger.
La tragédie de la décennie noire est un souvenir qui hante encore, l'islam politique est un virus mortel et anxiogène, là il où sévit la vie n'est pas agréable.
La révolte est un récit politique porté par un discours poétique. Les Surréalistes prônaient la révolution de la poésie mais aussi la poésie dans la révolution. Entre poésie et révolution : la poésie au service de la révolution ; la révolution au service de la poésie.
La révolte par la poésie s'inscrit dans une démarche révolutionnaire. Faute de poésie révolutionnaire, sa charge subversive est désamorcée, amortie par le pouvoir établi. La révolte salutaire doit s'écrire avec le langage de la vie, pour enfanter la langue universelle de la révolution triomphante. Portée par les poétiques révolutionnaires mots, la révolution est assurée de triompher du régime responsable de nos maux.
Voici une transposition personnelle du célèbre chant patriotique « La neige tombe au seuil d’une mosquée ». Rédigé tout au début du Hirak, d’un seul jet, comme du sang jaillissant d’une blessure, ou comme une soudaine explosion de révolte contre la Hogra, ce « poème » est un cri du cœur. La version originale (1), je la chantais, au début des années 1970, à l’époque où j’étais scout (kechafa) à Alger-centre.
La tyrannie s'impose à l'ombre de la mosquée Où les braves enfants d'Algérie sont adossés Ils restent là à résister malgré la terreur qui use Ils restent là jusqu'à la fin du temps de la ruse
Vient se présenter le même candidat auprès du peuple
Pour quémander son énième mandat électoral Le peuple a reconnu l'uniforme de la mafia et de la misère Il repousse la candidature vectrice d’une vie funèbre Car nous sommes les braves enfants d'Algérie Et pour la mafia et la misère on ne tond plus notre vie Dispensez-nous de vos mascarades électorales
Et de vos pantins candidats civils habillés de kaki On garde notre dignité politique et notre intact moral
Pour poursuivre notre populaire révolution géniale
On refuse vos élections manœuvrées par des larbins
Vous nous avez assez brisés les reins
Vous nous avez assez nourris de gourdins
Vous nous avez assez rassasiés de faim
Vous nous avez assez enrichis de déclins
Tyrans, passez vite votre chemin
Notre patience a atteint ses confins
Votre régime despotique touche à sa fin
Votre acharnement à vous éterniser est vain Tyrans, passez maintenant la main Vous nous avez assez sucé notre gain Vous nous avez assez privés de pain
Tout en chantant fièrement la liberté Nos Martyrs sont morts sur le Champ de la dignité Ils doivent se retourner dans leur tombe auréolée de pureté Car on ne sait où s'en est allée leur Algérie rêvée et chérie
On continue à souffrir toujours sous votre tyrannie Le peuple algérien porte encore les stigmates du deuil Car la tyrannie a transformé le pays en cercueil Où ont été ensevelis tous ses révolutionnaires Espoirs Elle a sacrifié la vie du peuple au lendemain de la Victoire Saccagé ses précieuses jeunes années d’indépendance Profané sa noble culture renommée pour son excellence Vandalisé ses prestigieux artistes et brillants intellectuels Perverti sa religion débonnaire et dépravé sa vertueuse morale
Mais le peuple algérien, il ne vous sera jamais acquis Le peuple algérien, vous ne le soumettrez jamais Vous avez accaparé la rente pétrolière et étrillé nos vies Vous avez pu wahhabiser la culture algérienne bien-aimée Mais l'Algérie vous ne la détruirez jamais, jamais, jamais
Ses Enfants se sont enfin soulevés contre votre tyrannie
Dès le 22 février, ce révolutionnaire jour béni
Bien déterminés à enterrer votre Système honni
Avec tous ses criminels symboles abhorrés
Vos illégitimes privilèges et votre indécente vie dorée
À poursuivre le combat révolutionnaire de nos Chouhada
Afin d’abattre le Système imposé au peuple victime de la Hogra
Ressusciter les martyres libertés sacrifiées par les colons d'El Mouradia
L'indépendance implique la libération politique et socio-économique À quoi rime l'indépendance quand règne l’inhumaine misère inique Quand la politique est cultivée par une caste mafieuse sans instruction Quand le désert économique est érigé en mode de production Quand la berbère terre arable fertile est labourée par les friches Quand le pays est librement colonisé par les vils riches Quand le chômage devient le seul emploi occupé par le peuple Quand le diplôme universitaire aboutit à l’ouverture d’un étal ou à l’exil Quand l’ignorance permet un mafieux enrichissement personnel Quand le peuple est dépossédé de ses nationales richesses Quand il est déplumé de sa dignité et de sa noblesse Quand la tyrannie refuse de trépasser, de se fracasser, de se casser Et continue par ses cabales de nous concasser, tracasser, oppresser De se perpétuer sournoisement sous les couleurs kaki Contre la volonté du peuple déterminé à poursuivre son combattif défi De nous livrer en pâture quelques lampistes de sa scélérate caste Pour mieux assurer la pérennité de son Système qui nous dévaste
Le peuple s'est pourtant levé comme un seul homme Pour exiger l’abdication sans concession de tout le Système Il ne compte pas mettre son drapeau révolutionnaire en berne
Tant que l’oligarchie n’a pas abdiqué et l’armée regagné sa caserne
Car le rôle de l’armée du peuple est d’accompagner l’évolution
De surveiller les frontières et préserver la nation
Et non à la place du peuple le pays elle gouverne
Elle peut même par son homogène structure moderne
Une fois expurgée de sa vénale caste friponne
Devenir la locomotive de la populaire Révolution
Si elle s'associe au nouveau peuple algérien en mutation
Résolu à mener à son terme sa radicale émancipation
Vous avez accaparé la rente pétrolière et étrillé nos vies Vous avez pu wahhabiser la culture algérienne bien-aimée Mais l'Algérie vous ne la détruirez jamais
Et le peuple algérien, il ne vous sera jamais acquis Le peuple algérien, vous ne le soumettrez jamais
(1) Version originale algérienne (inspirée elle-même d’une version antérieure créée pendant la Seconde Guerre mondiale par un Juif, elle-même adaptée d’une chanson française « Vous avez eu L'Alsace et La Lorraine ») :
« La neige tombe au seuil d'une mosquée, où est assise une enfant d'Algérie, elle reste là, malgré le froid et la bise, elle reste là, jusqu'à la fin du jour. Un homme passe, à la fillette, donne, elle reconnue l'uniforme ennemi, elle repoussa l'aumône que lui donne à l'officier, elle répond fièrement. Gardez votre offre, je garde ma souffrance, soldat français passez votre chemin, moi je ne suis qu'une enfant d'Algérie, à l'ennemi, je ne tends pas la main. Mon père est mort sur un champ de bataille, et Je ne sais l'endroit de son cercueil. Ce que je sais, c'est que votre mitraille m'a fait porter cette robe de deuil. Ma mère tomba sur le mur écroulé, blessée à mort par l'une de vos balles, blessée à mort par l'un de vos boulets. Vous avez pris nos pères et nos mères, vous avez pris nos terres et nos fermes, vous avez pris nos frères et nos sœurs. Quant à nos cœurs, vous ne les aurez jamais.
L'agent des services marocains, Manar Mansri, est installée à Istanbul. D. R.
Par Houari A. – Une youtubeuse installée à Istanbul, en Turquie, vient de se démasquer en commettant un lapsus révélateur. En effet, la dénommée Manar Mansri s’est oubliée dans son emportement et a prononcé un mot typiquement marocain, «daba» (https://youtu.be/iIl0juuDkmc, 11:24) inconsciemment, dans une riposte au vitriol aux tirs amis qu’elle subit de la part de ses anciens acolytes de Rachad.
Celle qui apparaît désormais comme un agent de la DGED marocaine a, par ailleurs, fait une révélation gravissime relative à une opération qui visait à inciter les pratiquants à occuper la rue à Alger. La concernée a admis qu’elle avait tenté une manipulation en inventant une marche qui allait s’ébranler de la mosquée Errahma, au centre de la capitale. «J’ai pourtant lancé ce mensonge pour des raisons évidentes que vous n’êtes pas censés ignorer», a-t-elle avoué, en réponse à ces complices de Rachad qui l’ont accusée d’avoir agi ainsi dans le but de vendre la mèche aux services de sécurité algériens.
Accusée de mouchardage, la dénommée Manar Mansri a rétorqué qu’elle ne comprenait pas cette réaction hostile subite de la part de ses «compagnons» qu’elle accuse de vouloir diviser les rangs de Rachad – dont la collusion avec les officines étrangères est de plus en plus flagrante. Un des éléments de cette organisation, ancien secrétaire du général Mohamed Betchine, a, lui, reçu l’ordre de la part de ses commanditaires d’inventer la présence de prisonniers «depuis vingt ans» dans les geôles du centre opérationnel de la Direction générale de la sécurité intérieure à Alger, en donnant un faux descriptif du siège de cette institution.
Des sources informées ont, en effet, indiqué à Algeriepatriotique que «ce bonimenteur ne peut pas ignorer les caractéristiques de ce centre puisqu’il a travaillé pour les services secrets lorsque ceux-ci s’appelaient Direction générale de la prévention et de la sécurité (DGPS), puis Direction générale de la documentation et de la sécurité (DGDS)». «Décrire le centre en question comme un Guantanamo algérien est un grossier mensonge, ce dernier ne comptant que quelques cellules pour les gardes à vue avant la présentation des personnes arrêtées devant le procureur».
«Ces cellules sont sous la responsabilité du service de la Police judiciaire qui en dispose pour y maintenir les suspects en détention provisoire entre huit et quinze jours au maximum», expliquent nos sources, lesquelles font savoir que ces cellules servent aussi à mettre aux arrêts des militaires, en rappelant l’exemple du commandant Abderrahmane dit «Tigre», ancien chef de la sous-direction du contre-espionnage, alors puissant bras droit du général Mohamed Betchine, qui avait été détenu dans ces cellules après le départ de ce dernier et y avait passé une quinzaine de jours avant d’être libéré après enquête». «Un commissariat de police en Algérie possède plus de cellules que le centre en question», font encore remarquer nos sources, qui précisent, en outre, qu’il n’existe pas de sous-sol dans cette caserne située sur les hauteurs d’Alger, contrairement à ce qu’allègue cet ancien officier radié de l’armée pour sa lâcheté au début des années 1990.
Le lapsus de la dénommée Manar Mansri a pour mérite de mettre à nu définitivement cette nébuleuse qui roule pour les services secrets marocains et autres officines turques, dans le but d’imposer leur agenda à l’Algérie, en profitant de la situation difficile qu’elle traverse actuellement.
Alger | Après plus d'un an de marches hebdomadaires, stoppées net par le coronavirus, le «Hirak», soulèvement populaire inédit et pacifique en Algérie, est à la croisée des chemins à deux mois d’un référendum sur une réforme constitutionnelle censée répondre à ses aspirations.
Oran, Alger, Tlemcen, Ouargla, Bejaïa ou Biskra. Ces dernières semaines, des tentatives de mobilisation se sont multipliées à travers l'Algérie: le mouvement de protestation antirégime peut-il redémarrer ou est-il condamné à péricliter?
«Bien que les deux hypothèses soient possibles, la plus probable est la reprise des manifestations», prédit la politologue Louisa Driss Aït Hamadouche.
Non seulement les causes multiples du soulèvement n’ont pas disparu, argue-t-elle, mais «la volonté de changer le mode de gouvernance est toujours présente».
Elle s’est même renforcée, selon elle, du fait de la répression (du mouvement) et de la dégradation de la situation sanitaire, économique et sociale.
«En restant pacifiques et civiques, les Algériens ont fait preuve d'une maturité surprenante. Cet esprit de contestation citoyenne fait qu'avec ou sans manifestations populaires, le "Hirak" est là pour rester», estime la politologue.
Survie du système
Son collègue Mahrez Bouich ne doute pas du retour du «Hirak» et de sa poursuite «jusqu'à l'aboutissement des revendications du peuple».
Le «Hirak» n’est «pas un mouvement social organisé en fonction d’une stratégie arrêtée, mais un phénomène populaire qui traverse la planète, provoqué par une accumulation de frustrations et d’atteintes aux libertés par des systèmes politiques qui refusent le changement», souligne Mansour Kedidir, chercheur en sciences politiques.
Cependant, ce mouvement multiforme, sans leadership désigné, est en proie à ses propres divisions, entre progressistes et conservateurs, entre laïcs et islamistes, susceptibles de l'affaiblir face au régime.
«Vingt ans de pouvoir Bouteflika ont dévitalisé la société au point qu'actuellement, aucun parti ne peut prétendre constituer une force alternative», note M. Kedidir.
Par ailleurs, la suspension des marches durant près de six mois, en raison de la pandémie, ne facilite pas la reprise du mouvement.
Le «Hirak», rappelle en outre Mme Driss Aït Hamadouche, «a subi une politique répressive qui l'a mis dans une posture défensive», même s'il a inventé d’autres formes d'expression comme des réseaux de solidarité durant la crise sanitaire ou des cercles de débats sur les plateformes numériques.
Selon le Comité national de libération des détenus (CNLD), une association de soutien, quelque 45 personnes sont actuellement incarcérées pour des faits liés au «Hirak».
Face à une contestation immobilisée, qui a échoué à changer le système politique en place depuis 1962, le pouvoir applique sa «feuille de route» mise en place après l'élection présidentielle de décembre 2019, marquée par un taux d'abstention record (60%).
Le président Abdelmadjid Tebboune a promis une réforme de la Constitution, censée rompre avec l'ère Bouteflika, synonyme d'autoritarisme, de corruption et de népotisme, et une «Nouvelle République».
Le Conseil des ministres a approuvé dimanche le projet de révision constitutionnelle qui, selon un communiqué officiel, «assoit les bases juridiques pérennes de la nouvelle Algérie démocratique».
Mais cette révision constitutionnelle, qui doit faire l'objet d'un référendum le 1er novembre, a d'ores et déjà été critiquée par des partis et associations liés au «Hirak», des juristes et les défenseurs des droits de l'Homme qui dénoncent «un replâtrage» sans véritable remise en cause du régime présidentiel.
Un projet qui vise en fait à permettre au système en place de «se reproduire», explique le spécialiste de philosophie politique Mahrez Bouich.
«Masse précarisée»
Mais ce pouvoir, longtemps incarné par un Front de libération national (FLN) aujourd'hui largement discrédité, est à bout de souffle, note Mme Driss Aït Hamadouche. Il n’a pas su renouveler ni sa base sociale ni sa légitimité. D'où, dit-elle, son recours incantatoire à l’imaginaire de la guerre d'indépendance (1954-1962), en contradiction avec la «Nouvelle Algérie» vantée dans les discours officiels.
De fait, la réforme constitutionnelle ne semble guère passionner jusqu'à présent des Algériens confrontés à une grave crise socioéconomique.
Nombre de travailleurs ont perdu leur emploi ou sont restés de longs mois en chômage technique en raison de la pandémie.
Cet appauvrissement a notamment coïncidé avec la recrudescence des départs clandestins vers l’Europe.
M. Kedidir note à ce propos l'émergence de «forces alternatives invisibles», comme des groupes de jeunes dans le Sud qui s'insurgent contre leurs conditions de vie. Ces forces «vont surgir lorsqu’un souffle de vent enflammera la masse précarisée comme du bois sec», avertit-il.
Pierre Audin, fils du grand Maurice Audin, vient d’être naturalisé Algérien sur décision du président de la République Abdelmadjid Tebboune. Il en parle dans cet entretien accordé à TSA, ainsi que du contentieux mémoriel entre la France et l’Algérie et surtout de ses multiples appels pour la libération du journaliste Khaled Drareni, emprisonné depuis fin mars dernier.
Vous venez d’être naturalisé Algérien sur décision du président de la République. Qu’est-ce que cela représente pour vous ?
Ma mère était algérienne par décret du 4 juillet 1963. Selon le Code algérien de la nationalité, je suis donc moi aussi algérien. Mais comme je n’ai pas de papiers l’attestant, c’est une clarification grâce à laquelle j’aurai donc prochainement mes papiers algériens.
En septembre 2018, le président Macron avait reconnu la responsabilité de l’État français dans la disparition de Maurice Audin. On imagine que c’était la fin d’un calvaire pour vous et votre famille. C’était aussi le début de quelque chose ?
La déclaration du président français concernait Maurice Audin mais pas seulement lui, les milliers d’autres disparus comme lui aussi. Le président annonçait une ouverture de toutes les archives concernant tous les disparus, français et algériens, civils et militaires, de la guerre d’indépendance. De plus il faisait appel aux témoignages et aux archives privées. Cela signifiait que pour Maurice Audin et les milliers d’autres, les historiens allaient pouvoir chercher à savoir ce qui s’était passé. Mais visiblement, le président n’est pas écouté et ses décisions ne sont pas appliquées. Non seulement cette ouverture générale n’a pas eu lieu, mais les archives auxquelles les historiens pouvaient déjà accéder se sont refermées depuis décembre et janvier. Qui a le pouvoir d’empêcher les historiens de travailler comme l’avait promis le président ? Le SGDSN, un service du premier ministre, qui donne des instructions contraires à la loi. La perspective de savoir ce qui a été fait de la dépouille de Maurice Audin s’éloigne de nouveau.
Que faudra-t-il faire, selon vous, pour régler définitivement le contentieux mémoriel entre l’Algérie et la France ?
C’est une question compliquée, qui a différents niveaux de réponses. Par exemple, les deux présidents peuvent s’entendre pour permettre aux chercheurs des deux pays (et d’autres) d’accéder aux archives des deux pays. Mais ça ne suffira pas. Il faut que la coopération puisse jouer à tous les niveaux, pas seulement le niveau présidentiel. Le prix de mathématiques Maurice Audin en est un exemple. Sur l’idée d’un mathématicien aujourd’hui décédé, Gérard Tronel, le prix est décerné depuis 2004 à deux mathématiciens, un de chaque côté de la Méditerranée, et chacun traverse la Méditerranée pour aller présenter ses travaux à ses collègues. C’est une façon de s’habituer à travailler ensemble, en direction de l’avenir. Désormais il y a aussi une chaire Maurice Audin en France et une autre en Algérie, qui accueillent chacune un mathématicien de l’autre pays, de façon à lui permettre de travailler avec ses collègues sur une durée plus longue. La coopération des mathématiciens se fait sur l’histoire de Maurice Audin, pour construire l’avenir. Je crois que c’est la bonne façon de prendre le problème, construire l’avenir en s’appuyant sur le passé. Je ne sais pas si on réglera le contentieux « définitivement » mais en tout cas, on avancera dans la bonne direction. Il faudrait procéder dans cette optique à tous les niveaux, éducation, culture, sport, économie, vie associative.
Il y a moins d’un mois, vous avez appelé à la libération du journaliste Khaled Drareni. Cet engagement pour la défense des libertés en Algérie est-il le prolongement de la lutte d’hier pour l’indépendance, à laquelle votre famille avait activement pris part ?
Je demande la libération de Khaled Drareni depuis le 27 mars, date à laquelle l’Humanité a publié mon appel à sa libération. Je suis désormais membre du comité international de soutien à Khaled Drareni. Pour les journalistes comme pour les mathématiciens, l’Algérie et la France devraient travailler ensemble. C’est un peu ce que fait Khaled Drareni lorsqu’il accepte d’être correspondant d’un média français comme TV5 Monde, ou d’une association de journalistes comme RSF. Oui, en France, il est utile d’avoir le point de vue d’un journaliste algérien comme Khaled Drareni sur la situation en Algérie, il est utile de savoir ce qu’est la révolution du sourire. Si les Algériens inventent une nouvelle façon de s’exprimer, il faut en faire profiter la terre entière, et c’est aussi le travail d’un journaliste de faire cette information.
Il est clair que mes parents étaient dans le camp des opprimés, dans le camp du peuple, pas dans celui des exploiteurs ni dans celui des profiteurs. Malheureusement, ma mère est décédée quelques jours avant le début du Hirak. Elle était désespérée de voir que l’Algérie n’était toujours pas devenue celle pour laquelle elle s’était battue, pour laquelle son mari, Maurice Audin, avait donné sa vie. Maurice Audin a été un symbole à partir duquel la lutte contre la torture s’est développée pendant la guerre de libération. D’une certaine façon, Khaled Drareni est aussi un symbole, à partir duquel l’Algérie doit pouvoir se doter d’une presse libre, dans laquelle les journalistes sont au service de l’information et non pas aux ordres d’un pouvoir ou d’un autre. Il est urgent de libérer Khaled Drareni, le journalisme n’est pas un crime, un journaliste n’a rien à faire en prison sauf bien sûr s’il décidait d’y faire un reportage. Il faut que les journalistes français puissent venir en Algérie comme dans n’importe quel autre pays, et inversement. Il faut libérer Khaled Drareni et le laisser travailler normalement. Lui et tous les journalistes algériens.
Avez-vous prévu de venir bientôt en Algérie ?
Mon dernier voyage en Algérie remonte à décembre 2018. Désormais, la pandémie mondiale ne permet pas de savoir si les voyages pourront reprendre bientôt. J’ai participé à des projets, avec beaucoup de jeunes algériens, concernant la culture scientifique. Il y a beaucoup à faire en Algérie pour la culture, rouvrir des théâtres, des salles de concert et des salles de cinéma, permettre à des acteurs, des musiciens de travailler. Il manque aussi des lieux de culture scientifique. Beaucoup de pays ont créé des « Science Centers ». Je travaillais au Palais de la découverte et je pense qu’un lieu de ce genre manque énormément en Algérie : les manifestations scientifiques que nous avons organisées ont rencontré un public nombreux et satisfait. Il faut relancer de tels projets avec l’éducation, la recherche scientifique, la culture, la jeunesse et les sports. Et s’il est utile que je revienne pour participer à ces projets, je le ferai volontiers. Mais les ressources et les compétences existent déjà en Algérie.
Finalement, cette « naturalisation » a un effet positif : vous m’avez permis de m’exprimer, merci.
Le documentaire de Mustapha Kessous a déclenché des torrents de réactions passionnées, en Algérie comme en France. Au delà des polémiques, « Algérie mon amour » soulève la question du regard que l’on pose sur la société algérienne et de la manière dont on met en image un mouvement tel que le Hirak, présenté ici de façon discutable. Les nombreuses réactions interrogent aussi sur le sens du genre documentaire, sujet à interprétations. Décryptage d’un objet télévisuel controversé.
« Je m’honore d’être un conservateur et je ne rêve pas d’un pays libéré qui serait la réplique de celui qui justement l’enferma dans son ombre en le condamnant à végéter, privé de ses structures, de ses traditions, de ses formes élaborées de sensibilité, de sa manière de croire en Dieu et de ses façons de réagir aux grands thèmes éternels. »
Rédigées à la veille de l’indépendance par le poète Malek Haddad alors en exil en France, ces lignes, tirées de l’essai Les Zéros tournent en rond1, annoncent de façon prémonitoire une part des conflits qui n’en finissent pas de se nouer en Algérie depuis 1962 : la condition des femmes et l’infamant Code de la famille, le problème linguistique, la mise sous tutelle étatique de l’islam, l’étouffant contrôle social et l’articulation complexe entre les sphères individuelle et collective, entre liberté et solidarité…
Ces questions s’ajoutent évidemment à celles des choix économiques opérés dans le pays, au contexte international, etc. Elles demeurent en souffrance faute d’un espace public démocratique capable de les recevoir. C’est parce qu’il pointe, de façon certes caricaturale, tous ces blocages, que le documentaire Algérie mon amour diffusé le 25 mai 2020 sur France 5 a suscité tant de réactions des deux côtés de la Méditerranée. Analyse d’un objet télévisuel qui a fait grand bruit.
EXILÉ.ES DE L’INTÉRIEUR
Edward Saïd insistait inlassablement sur ce point : on ne peut vraiment connaître un auteur qu’en le lisant dans sa propre langue, qu’en entrant directement en contact avec la langue dans laquelle il a pensé et rédigé son œuvre. Il en va tout autant des mouvements sociaux, en particulier d’un soulèvement spontané et populaire comme celui du Hirak, dont on ne peut saisir la spécificité, le génie intime, qu’avec la langue dans laquelle le soulèvement s’énonce et énonce les possibles qu’il entrevoit.
Dès les premiers rassemblements de février 2019, le Hirak algérien s’est montré créatif, usant de multiples registres (chants, slogans, pancartes humoristiques, dessins…), et mélangeant allègrement les langues (l’arabe dialectal, le kabyle, l’arabe littéral et le français). Les nombreuses images des défilés que montre le documentaire témoignent d’ailleurs d’une présence significative du français, attestant que cette langue, « qu’on le veuille ou non, qu’on l’admette ou non, fait partie intégrante du patrimoine national » des Algérien.nes, comme l’a écrit Malek Haddad dans l’essai précité.
Mais en faisant le choix quasi-exclusif du français dans ses interviews, le réalisateur met ses cinq personnages (Anis, Athmane, Hania, Mehdi et Sonia) en situation d’exil intérieur. Si le procédé n’a rien d’étonnant (il s’agit après tout, relève Meryem Belkaïd, d’un « documentaire français, en français pour les Français »), le manque de spontanéité et l’inhibition qu’il produit sont patents, et se remarquent encore davantage dans les échanges des protagonistes avec leur entourage. Ainsi Sofiane, présenté comme un militant indépendantiste kabyle, doit-il raconter le calvaire de son arrestation et des violences qu’il a subies par les autorités dans un français si approximatif que le réalisateur a jugé nécessaire de le sous-titrer.
Pourquoi ne pas avoir recueilli une parole si importante en kabyle ? Pourquoi le réalisateur n’a-t-il pas laissé ses intervenant.es raconter en dialectal (qu’il soit kabyle ou arabe), ce qu’ils éprouvent en dialectal ? En opérant une telle coupure avec la langue maternelle, celle dans laquelle les protagonistes ressentent et pensent, celle dans laquelle s’enracinent les processus essentiels d’apprentissage et de socialisation, le réalisateur commet une grossière erreur. C’est non seulement une mise à distance de ses personnages, mais aussi des spectateurs algériens (berbérophones et arabophones). Cette langue de l’exil est aussi l’exil des spectateurs, pouvons-nous dire à nouveau avec Malek Haddad.
LE HIRAK COMME SIMPLE DÉCOR
Algérie mon amour nous met aux prises avec un autre procédé tout aussi discutable : le décalage qui existe entre les nombreuses et enthousiasmantes images des foules de manifestant.es et le choix du réalisateur de ne retenir à titre principal que les considérations des protagonistes sur l’intime, les relations amoureuses et le poids des traditions dans le pays. Les séquences des défilés font ainsi entendre des revendications qui visent le pouvoir tandis que les témoignages des cinq dirigent pour l’essentiel leurs griefs vers la société algérienne.
Le déséquilibre est tel que le Hirak finit par n’avoir qu’une valeur ornementale dans un film dont le propos est ailleurs. Ce ne sont pas les scènes jugées par certain.es comme transgressives qui sont ici visées, mais le fait que les contestations soient reléguées au rang d’illustration, voire de produit d’appel. Car une fois l’effet d’annonce sur le Hirak dissipé, le film ne tient pas sa promesse et des spectateurs ont pu à juste titre se sentir floués par ce qui apparaît comme un procédé de détournement.
L’opposition entre la politique et les mœurs est toutefois purement formelle. Une dichotomie tout aussi stérile est entretenue en France par certains courants politiques entre le social (jugé noble), et le sociétal (qui ne servirait qu’à masquer les vrais problèmes). Quand le racisme se traduit pour les personnes qui le subissent par un taux de chômage plus élevé et une plus grande difficulté à se loger, pouvons-nous affirmer qu’il ne s’agit que de « questions sociétales » ? Il en va tout autant du patriarcat qui structure en profondeur les sociétés algérienne et française, dans des modalités à la fois identiques et distinctes.
La volonté de Mustapha Kessous de faire un film centré sur la question des relations amoureuses et des difficultés qu’elles impliquent dans une société algérienne où la « pudeur » est érigée en instrument coercitif contre les femmes, aurait très bien pu se justifier. À condition de l’énoncer clairement, comme a pu le faire Mohamed Lakhdar Tati avec Fais soin de toi, documentaire qui explore avec finesse, tendresse et humour le rapport tumultueux à l’amour qu’entretiennent les Algérien.nes, femmes et hommes, jeunes et plus âgé.e.s, citadins et ruraux.
LE FAUX DÉBAT DU MANQUE DE REPRÉSENTATIVITÉ
Le film de Tati et sa galerie de personnages nous renvoie à l’un des griefs fait selon nous à tort au documentaire de Kessous : son supposé manque de représentativité. Que peut bien signifier la notion de représentativité à l’intérieur d’un cadre, celui du cinéma documentaire ? Le documentaire n’est pas un reportage – qui devrait tendre vers une certaine forme d’objectivité – le documentaire est une œuvre de création et, en ce sens, le réalisateur a le pouvoir exorbitant de décider ce qui représentera le mieux son propos. Les représentations qui nous sont montrées sont avant tout celles du cinéaste, de sa boîte de production, de la chaîne diffuseuse.
Comme l’ont justement fait remarquer Louise Spence et Robert Stam dans une étude fouillée parue dans la revue Screen en 1983 (Colonialism, Racism and Representation), la remise en cause de la « plausibilité » narrative ou du manque de précision de telle ou telle œuvre, l’attention portée sur le réalisme, ont souvent trahi une foi excessive dans la possibilité de coller à la réalité de l’art en général, et du cinéma en particulier. Nous perdons ainsi de vue que les films, y compris documentaires, sont des constructions, des fabrications, des représentations.
Le choix de donner la parole à cinq jeunes francophones diplômés peut être critiqué, mais il n’est pas fortuit. D’un point de vue symbolique, la jeunesse est perçue comme étant la population par qui le changement arrive. C’est à elle que reviendrait la tâche de dépasser les blocages de la vieille société traditionnelle pour la renverser. Le désarroi d’une jeunesse arabe « occidentalisée », éprise de liberté, est un thème récurrent du journalisme en Europe et du cinéma néo-orientaliste (documentaires et fictions confondus).
Voilà pourquoi les chantages et formules incantatoires sur l’islam, le patriotisme et le néo-impérialisme suscités par Algérie mon amour, finissent par renforcer les défauts mêmes du film : reconduire la polarisation débilitante de la scène politique algérienne entre « modernes laïques » et « conservateurs religieux », « libéraux occidentalisés » et « véritables patriotes ». Autant de simplifications qui consolident un manichéisme au service du statu quo en Algérie.
LE DÉPART COMME SEULE ISSUE
Disqualifier le film de Mustapha Kessous au motif que ce dernier ne vivrait pas en Algérie est pour le moins douteux. On le sait, la diaspora algérienne installée en France ou ailleurs fait pleinement partie de la réalité du pays. Aucune critique de ce type n’a été émise à l’encontre des membres de l’équipe championne d’Afrique de football qui sont nés en France, ou d’autres cinéastes qui font des films de qualité sur l’Algérie depuis l’Europe où elles et ils sont installé.es.
La déception vis-à-vis d’Algérie mon amour vient plutôt du fait que Mustapha Kessous plaque sur la société algérienne une grille d’interprétation terriblement convenue que l’on peut qualifier de « séculariste ». Dans ce discours devenu dominant en Europe et qu’a su si bien analyser Talal Asad2, le processus de sécularisation est jugé essentiel au projet de modernité, projet érigé en stade suprême vers lequel toute société devrait tendre pour réaliser pleinement la liberté et l’autonomie individuelles. Et tant pis si cela conduit à tordre certains faits et à évacuer toute complexité.
La « décennie noire » en Algérie est ainsi décrite de manière lapidaire dans le film comme « une guerre contre le terrorisme islamiste ». C’est pourtant à peu de choses près le même régime prévaricateur qui était en place dans les années 1990 et contre lequel manifestent aujourd’hui les Algérien.nes. Les enjeux proprement économiques, la manière dont s’organise l’économie de prédation autour notamment de la captation de la rente pétrolière, le soutien des chancelleries européennes, tous ces sujets et d’autres encore sont évacués au profit de ce qui s’est imposé dans les médias français comme un prêt-à-penser sur l’Algérie : une population prise en étau entre le pouvoir militaire et les islamistes. Un lieu commun politique qui place le film dans une véritable impasse.
À l’instar d’un Mohamed Hamidi avec Né quelque part (pour ne prendre qu’un exemple parmi d’autres), Mustapha Kessous traite l’Algérie quasi exclusivement sous l’angle du manque : manque d’intimité, de tolérance, de liberté, de mixité, de légalité, de structures, etc. L’Algérie serait en quelque sorte une France à laquelle il manquerait tout et qui n’existerait qu’en tant que version mutilée de l’ancienne puissance occupante.
Au lieu d’affronter les défis que doit relever le Hirak après un an de manifestations continues et un durcissement de la répression, Mustapha Kessous refuse l’obstacle : pour lui, la seule issue est dans l’exil. Il lui semble ainsi plus facile d’imaginer un départ de l’Algérie vers la France que la fin du régime. En équitation, on appelle cela une dérobade.
« Algérie, mon amour » ·Algérie, mon amour, un documentaire du journaliste Mustapha Kessous, donne la parole à de jeunes Algériens, actrices et acteurs du Hirak, le mouvement de protestation populaire né en février 2019. Diffusé sur France 5, le 26 mai à 20 h 50 et suivi d’un débat, ce film raconte à sa façon une période exceptionnelle de l’histoire de l’Algérie indépendante.
Le vendredi 22 février 2019, des centaines de milliers d’Algériennes et d’Algériens occupaient les rues pour s’opposer à un cinquième mandat du président Abdelaziz Bouteflika, grabataire et invisible depuis cinq ans. Durant plus d’un an, et jusqu’à ce que la pandémie de Covid-19 stoppe ce mouvement populaire historique, chaque vendredi a été l’occasion pour le Hirak de fustiger le système autoritariste qui dirige l’Algérie. Dans un documentaire à hauteur d’homme, Mustapha Kessous, journaliste au quotidien Le Monde a choisi quelques jeunes pour raconter cette épopée citoyenne pacifique. Un choix à saluer, car c’est bien cette jeunesse qui fut au cœur de cet éveil d’une société que l’on croyait définitivement résignée.
Les images des cortèges d’Alger le montrent bien, la jeunesse y est omniprésente avec des slogans qui ne font pas dans la demi-mesure : « Les généraux à la poubelle, l’Algérie teddi l’istiqlal [L’Algérie sera indépendante] » ou bien « Le peuple est éduqué, le pouvoir est traître », ou enfin l’incontournable « Pouvoir assassin ! » qui fait écho aux tueries d’octobre 1988, époque où aucune des personnes interviewées par Kessous n’était encore née. Dans le film, il est aussi question de l’humour omniprésent dans le Hirak, comme lorsque les manifestants exigent du shampoing « pour être bien » tandis que les forces de l’ordre ont recours aux canons à eau pour les disperser.
« ILS NE NOUS CONNAISSENT PAS »
Depuis des décennies, le pouvoir a toujours méprisé et ignoré son peuple. Une jeune femme le dit bien : « Ils ne nous connaissent pas. » C’est tellement vrai que le régime a cru que le cinquième mandat passerait comme une lettre à la poste. « L’humiliation de trop » résume l’un des protagonistes du documentaire. Le film rappelle ce que ces jeunes ont eu à vaincre pour sortir dans la rue et vivre cette « véritable délivrance ». Le lointain poids du traumatisme colonial qui, dans de nombreuses familles passe d’une génération à l’autre. Le fardeau de la décennie noire (1992-2000) encore présent dans les esprits et qui fut pendant longtemps un véritable obstacle à toute contestation majeure.
En février 2019, la jeunesse algérienne est sortie dans la rue pour dire non au cinquième mandat puis, très vite, pour exiger un changement de système. Dans le documentaire, il est souvent question de « réappropriation », notamment de la rue, mais aussi de découverte de l’Autre. Des femmes défilent aux côtés d’islamistes en partageant le même objectif : faire dégager le pouvoir. Minée depuis longtemps par les clichés régionalistes savamment entretenus par le régime, les Algériens retissent soudain des liens entre eux, comme le dit un ingénieur oranais interviewé par l’auteur.
UN AMOUR PARADOXAL POUR LE PAYS
Pour autant, le Hirak n’a pas changé la société. Dans le documentaire, les propos rappellent que les pesanteurs demeurent. La jeunesse vit sa peine dans un pays où il n’y a pas de loisirs, où il faut se cacher pour s’aimer ou passer un bon moment. « On se sent vieux », dit l’un. « On t’empêche de vivre ta jeunesse », dit l’autre. Les femmes ont certes participé au Hirak, mais le Code de la famille qui en fait des mineures assistées n’a pas disparu. La frustration sexuelle est une réalité. Difficile d’échapper à cette mal-vie qui entretient les tensions et pousse à penser que l’ailleurs est un paradis. Partir ou rester ? « Je ne vois rien pour moi » en Algérie, dit une jeune avec amertume. « La force, c’est la jeunesse », répond l’autre qui ne se voit pas quitter sa terre natale.
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