S’il est un moment bien oublié de l’histoire de la guerre de Libération nationale, c’est assurément l’action menée par la cellule FLN d’Es-Sénia (Oran) contre un avion d’Air France qui effectuait la liaison entre Oran et Paris.
J’exprime ici toute ma reconnaissance à Mohamed Fréha qui, il y a quelques années déjà, avait attiré mon attention sur cet événement, alors hors champ historique, personne n’en avait fait mention. En effet, ni le récit national, ni les historiens, ni les journalistes n’ont évoqué «l’explosion en plein vol d’un avion commercial d’Air France !». Mohamed FREHA est bien le seul. Dans son ouvrage J’ai fait un choix, (Editions Dar el Gharb 2019, tome 2) il lui consacre sept pages. Ses principales sources étaient la mémoire des acteurs encore en vie, celle des parents des chouhada et la presse d’Oran de l’époque, (L’Echo d’Oran en particulier). Les archives du BEA (Bureau d’enquêtes et d’analyses pour la sécurité de l’aviation civile), Fonds : Enquête sur les accidents et incidents aériens de 1931 à 1967 et plus précisément le dossier Accidents matériels de 1957 intitulé à proximité de Clermont-Ferrand (Puy-de-Dôme), Armagnac (F-BAVH) 19 décembre 1957, conservées aux Archives nationales de France, ne sont pas encore consultables. Qu’en est-il des archives de la Gendarmerie française ? Qu’en est-il de celles de la Justice civile et militaire là-bas dont celles des Tribunaux permanents des forces armées (TFPA). Et ici ? Et chez nous ? Il reste à retrouver et travailler les minutes du procès.
C’est ainsi que le jeudi 19 décembre 1957, à 14 heures, affrété par Air France, un quadrimoteur « Armagnac SE » numéro 2010, immatriculé F-BAVH appartenant à la Société auxiliaire de gérance et transports aériens (SAGETA), avait quitté l’aéroport d’Oran-Es-Sénia pour Paris qu’il devait atteindre vers 20 heures. A 18 heures 15, il fut brusquement détourné vers Lyon alors qu’il survolait Clermont-Ferrand. Une déflagration venait de se produire à l’arrière de l’avion au niveau du compartiment toilettes. Selon le témoignage d’un passager, la vue des stewards et hôtesses de l’air, qui couraient dans l’allée centrale vers la queue de l’appareil avec des extincteurs à la main, inspira un moment d’inquiétude. Le vol se poursuivit normalement malgré une coupure d’électricité et la baisse soudaine de la température dans la cabine.
Un petit travail de recherches nous apprend que l’aéronef, l’Armagnac SE, avait une excellente réputation de robustesse. Il était le plus grand avion de transport français jamais construit à ce jour et avait la réputation d’avoir «servi à de très nombreux vols entre Paris et Saïgon (actuellement Ho-Chi-Minh-Ville) lors de la guerre d’Indochine, principalement dans le rapatriement des blessés et des prisonniers». A-t-il été repéré et choisi pour cela ?
Il n’en demeure pas moins que le commandant de bord décida alors de se poser à l’aéroport de Lyon-Bron, rapporte le journaliste du Monde (édition datée du 21 décembre 1957). Toujours selon le commandant de bord : «La robustesse légendaire de l’Armagnac nous a sauvés, car d’autres appareils dont la queue est plus fine auraient certainement souffert davantage ». Une photographie montre bien cette brèche de deux mètres carrés.
Débarqués, les passagers comprennent qu’ils ne sont pas à Orly et l’un d’entre eux remarque une « grande bâche qui recouvre le flanc droit du fuselage ». Ils apprennent qu’ils sont à Lyon et qu’il y avait eu une explosion dans l’arrière de l’avion. Ils sont tous interrogés par les enquêteurs de la police de l’Air. L’hypothèse d’un accident technique est écartée et celle d’une action (un attentat, disent-ils) du FLN s’impose, ce qui provoque l’intervention des agents du SDECE. Et pour cause, c’est bien une bombe qui avait explosé.
Mais il y avait aussi le fait que cet avion transportait 96 passagers et membres d’équipage parmi lesquels 67 étaient des militaires de tous grades, venus en France pour les fêtes de Noël. L’enquête reprend à l’aéroport d’Es-Sénia qui se trouvait, à cette époque encore, au sein d’une base de l’armée de l’Air. Elle est confiée dans un premier temps à la gendarmerie d’Es-Sénia et s’oriente vers le personnel civil algérien, femmes de ménage comprises. Mais les soupçons se portent vers les bagagistes qui étaient dans leur grande majorité des Algériens. Elle aboutit à la découverte d’une cellule FLN à Es-Sénia à laquelle appartenaient, entre autres, des bagagistes.
Dans son récit construit sur la base des témoignages, Mohamed Fréha nous donne des noms et un narratif assez détaillé de l’action de ces militants. Le chef de l’Organisation urbaine FLN d’Oran avait transmis à un membre de la cellule dormante d’Es-Sénia, un ordre du chef de Région. Ils devront exécuter «une action armée spectaculaire.» Lors d’une réunion, le 15 décembre, la décision fut prise de «détruire un avion de ligne en plein vol». Mais il fallait «trouver une personne insoupçonnable de préférence avec un faciès européen». Ce fut un Européen, Frédéric Ségura, militant du Parti communiste, bagagiste à l’aéroport. Mohamed Fréha nous donne six noms des membres de la cellule auxquels il ajoute un septième, Frédéric Ségura. Madame Kheira Saad Hachemi, fille d’Amar Saad Hachemi el Mhadji, condamné à mort et exécuté pour cette affaire, nous donne treize noms dont celui de F. Ségura et présente un autre comme étant le chef du réseau. Ce dernier n’est pas cité par Mohamed Fréha.
Lorsque les militants du réseau avaient été arrêtés l’un après l’autre suite à des dénonciations obtenues après de lourdes tortures, Frédéric Ségura, qui avait placé la bombe, est torturé et achevé dans les locaux de la gendarmerie. Selon un policier algérien présent lors de l’interrogatoire, Ségura n’avait donné aucun nom. «Je suis responsable de mes actes !» avait-il déclaré à ses tortionnaires du SDECE. Son corps n’a jamais été retrouvé. Après l’indépendance, le statut de martyr lui fut certes reconnu, mais son sacrifice n’est inscrit nulle part dans l’espace public d’Es-Sénia. Rien non plus sur cette action. La mémoire est impitoyable quand elle est courte et qu’elle laisse la place à l’oubli. Quant au chef de la cellule, Lakhdar Ould Abdelkader, il aurait trouvé la mort au maquis.
Lors du procès, fin mai 1958, Amar Saad Hachemi el Mhadji, gardien de nuit à l’aéroport, fut condamné à mort et guillotiné le 26 juin 1958. Il avait introduit la bombe, crime impardonnable. Dehiba Ghanem, l’artificier, qui avait fabriqué la bombe artisanale, fut condamné à la prison à perpétuité. Les quatre autres impliqués, Kermane Ali, Bahi Kouider, Zerga Hadj et Salah Mokneche, furent condamnés à de lourdes peines de prison. Quant aux quatre autres, la justice a condamné trois à des peines légères et en a acquitté un. Non seulement ils étaient dans l’ignorance de ce qui leur était demandé (transporter la bombe ou la cacher dans leur local) mais de plus ils n’étaient pas membres de la cellule FLN. Des questions restent en suspens faute d’avoir accès aux archives : l’avion a-t-il été choisi à dessein, à savoir le fait qu’il transportait des militaires ? L’objectif était-il vraiment de donner la mort aux passagers ? Sur cette question, Mohamed Fréha rapporte que, réprimandé par sa hiérarchie, l’artificier répondit : « Non seulement que le dosage n’était pas conforme à la formule, mais également la poudre utilisée était corrompue par l’humidité».
Pourtant, Le correspondant du Monde à Lyon avait alors écrit : «Des dernières portes de la cabine jusqu’à la cloison étanche, le parquet était éventré. Il s’en fallait d’une dizaine de centimètres que les gouvernes n’eussent été touchées, ce qui eut entraîné la perte du quadrimoteur». Enfin et curieusement, le passager avait conclu son témoignage en établissant un lien avec un autre événement survenu une année plus tôt: «Réagissant à la piraterie de la «France coloniale» le 22 octobre 1956, lorsqu’un avion civil qui conduisait Ahmed Ben Bella du Maroc à la Tunisie, en compagnie de Mohamed Boudiaf, Hocine Aït Ahmed, Mohamed Khider et Mostefa Lacheraf est détourné par les forces armées françaises, le FLN voulait une réciprocité spectaculaire».
Spectaculaire ? C’est bien ce qu’avait demandé le chef FLN de la Région. L’action le fut et à un point tel qu’aujourd’hui rares sont ceux qui croient qu’elle a vraiment eu lieu. Il est triste de constater que cette opération qui a causé la mort de deux militants : Frédéric Ségura et Amar Saad Hachemi, n’est inscrite ni dans notre récit national ni dans la mémoire locale. Il nous faut visiter le musée créé par Mohamed Fréha au boulevard Emir Abdelkader à Oran pour y trouver des traces. Ces martyrs et leurs frères du réseau d’Es-Sénia méritent la reconnaissance de la Nation. Peut-être alors que leurs frères d’Es-Sénia et d’Oran leur rendront hommage à leur tour. Inch’a Allah !
par Fouad Soufi
Sous-directeur à la DG des Archives Nationales à la retraite - Ancien chercheur associé au CRASC Oran
Michel Lefèvre, d'Argentan, est décédé le 29 juin, à l'âge de 90 ans. En 2011, il avait publié Chiens de guerre, pour témoigner sur la guerre d'Algérie. Rencontre à lire ici.
Michel Lefèvre, d’Argentan, dans l’Orne, est décédé le 29 juin 2023. L’ancien vétérinaire a été membre du Rotary club d’Argentan pendant une grande partie de sa vie.
Dernièrement, les anciens d’Algérie (FNACA d’Argentan) se sont rendus sur sa tombe , dans le cimetière d’Argentan, pour célébrer l’homme de paix.
Son fils, Jean-François Lefèvre, a rappelé à Jean-Pierre Chollet, président de l’association locale et Daniel Lebossé, porte-drapeau : « … combien mon père avait horreur de la guerre et des armes. Il gardait un mauvais souvenir de l’action psychologique exercée sur les jeunes appelés, “le viol des foules”, pour les envoyer au combat ».
« La souffrance des populations civiles est un effet de la guerre que mon père dénonçait et qui fut la raison de son travail autour du “Miroir des Âmes” dans la poche de Chambois ».
Michel Lefèvre était l’auteur de nombreux livres
Michel l’auteur était aussi l’auteur de nombreux livres tels que Suzanne et la Colombe anglaise, une ode à la paix, ou Les Faces cachées de l’humanitaire/La dilapidation de votre argent par incompétence, tous deux chez Humusaire.
Le Journal de l’Orne republie ici l’article paru en juin 2011, à l’occasion d’une rencontre pour la présentation de son 11e ouvrage Chiens de guerre, sur la guerre d’Algérie.
On a tous de près ou de loin un oncle, un père, un grand-oncle ou un grand-père qui a vécu la guerre. Mais pas n’importe laquelle. Si les témoins de la Seconde Guerre mondiale sont maintenant de moins en moins nombreux, ceux de la guerre d’Algérie ne manquent pas. Mais ils n’ont pas toujours complètement témoigné. C’est ce qu’a voulu faire l’Argentanais, Michel Lefèvre, dans son nouvel ouvrage Chiens de guerre.
Un téoignage qui ne se veut ni un jugement ni une prise de position sur cette guerre où des milliers d’appelés ont été envoyés sans se rendre compte au départ de ce qui les attendait là-bas !
« Écrire ce que beaucoup n’ont pas pu écrire »
Dans son bureau d’écriture, Michel Lefèvre revient avec nostalgie sur la période 1958-1959. Il exprime aussi certains regrets. À 77 ans, cet ancien vétérinaire ressent le besoin de témoigner « pour ceux qui ne l’ont pas fait. »
Il espère « faire du bien à toute une génération » qui a connu cette période tragique de l’histoire de France. « J’ai voulu écrire ce que beaucoup n’ont pas pu écrire » pour que le quotidien des soldats français en Algérie soit mieux connu.
Appelé en 1958, il débarque à Alger
Appelé en 1958, Michel Lefèvre débarque à Alger où il va diriger un peloton cynophile. Il sera ensuite envoyé en Kabylie où il prend la charge d’un autre peloton et encadre des maîtres-chiens : avec 15 animaux, une dizaine d’éclaireurs et 5 pisteurs « battent le terrain et suivent l’ennemi à la trace ».
C’est sur ses souvenirs que Michel Lefèvre se base « pour donner de la valeur à ces appelés qui étaient en première ligne » face au danger.
300 lettres conservées
Michel Lefèvre rend aussi hommage à son épouse qui a gardé toute une correspondance entretenue à l’époque : pas moins de 300 lettres classées précieusement dans lesquelles il retrouve des souvenirs poignants, des détails « rangés », mais pas oubliés. Michel Lefèvre a réactivé sa mémoire et s’est replongé avec minutie dans l’époque.
Il va également retrouver deux anciens maîtres-chiens pour compléter ses recherches. Enfin, il aura l’opportunité de consulter les archives du Service historique du ministère de la Défense à Vincennes où on lui donnera accès à une mine de documents officiels.
« Il aura fallu 50 ans pour qu’on en reparle »
Son projet prend ainsi forme et va déboucher sur un travail d’écriture avec un fil conducteur : « relater les problèmes humains ». Car, si beaucoup sont passés par là, peu ont vraiment décrit.
« On n'a pas parlé aussitôt… Finalement, il aura fallu 50 ans pour qu'on en reparle, même entre nous. »
Michel Lefèvre fait allusion à un rassemblement d’anciens élèves de l’École Vétérinaire de Lyon auquel il assistait voilà deux ans.
Alors que « nous reparlions chacun de nos expériences, le thème de l’Algérie a brusquement resurgi. » Comme un besoin qui s’exprime soudain. Ce fut le point de départ du projet !
Amertume et regrets
Début 2011, l’ouvrage sort. Et l’auteur met en lumière son amertume : « On se demandait ce qu’on allait faire là-bas ! Et puis pour nous convaincre, on nous a appris une notion essentielle : l’adversaire ! »
Car il fallait justifier coûte que coûte les actions sur le terrain : « Une action psychologique sans âme s’en chargera… Les grands maîtres, anciens prisonniers du Vietminh, étaient à l’œuvre. À force, on finissait par comprendre la cause. »
Et de s’insurger : « On incitera les soldats à tirer pour tuer, par des raisonnements séduisants. Les spécialistes n’en manquent jamais : défendre la patrie et, de toute façon, sauver sa peau ! » Michel Lefèvre ne mâche pas ses mots, il s’exprime.
« On nous a tatoués de façon indélébile »
Il veut surtout que ses souvenirs réactivés servent, car « on nous a tatoués de façon indélébile ». Personne n’en est revenu indemne. « Quand on en est revenu… On en a beaucoup bavé ! Certains sont morts. Et des gens en sont souvent sortis comme déréglés. »
D’autant plus que la plupart y étaient allés à contrecœur, refusant ce déracinement imposé. Il pense aussi aux harkis : « ceux qui nous faisaient confiance et que la France a délaissés ! »
En somme, Michel Lefèvre se pose encore la question : « pourquoi cette guerre qui a tant duré ? Pourquoi avoir tant attendu pour en sortir ? »
Des éléments de réponse dans Chiens de Guerre, aux éditions d’Héligoland.
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Née à La Goulette en 1927, décédée en 2020, l’avocate et féministe française s’est engagée très tôt en faveur de l’indépendance de la Tunisie, puis de celle de l’Algérie. Retour sur ces années essentielles.
« Auriez-vous préféré rester Tunisienne au cas où vous en aviez eu le libre choix ? lui demande-t-on. –Probablement, répond Gisèle Halimi après quelques secondes de réflexion. Parce que j’étais très intégrée à la lutte de ce pays, encore qu’elle a été relativement courte. C’est plutôt dans la bataille d’Algérie que j’ai pris la plus grande part. Aujourd’hui, je me demande si, finalement, je ne suis pas plus Algérienne que Tunisienne, compte tenu que j’ai donné presque huit ans de ma vie à la cause de l’indépendance algérienne. »
Icône du féminisme français
Ainsi se définissait Gisèle Halimi, interpellée par une invitée au cours de l’émission télévisée Aujourd’hui Madame, en 1974. Ces propos sont rapportés par Ilana Navaro dans Gisèle Halimi, la fauteuse de troubles. La documentariste explique la raison qui l’a conduite à consacrer son premier livre à celle qui fut avocate, militante et députée sous le premier septennat du président français François Mitterrand : « Quand l’icône du féminisme français est décédée, en juillet 2020, j’ai été étonnée de voir à quel point on parlait peu de ses origines tunisiennes. »
Trois livres évoquant son « altérité oubliée » sont, depuis, sortis en l’espace de quelques mois : outre l’essai précité d’Ilana Navaro, La Révolte au cœur, un roman jeunesse, de Maïa Brami, et Gisèle Halimi, une jeunesse tunisienne, une bande dessinée signée Danièle Masse et Sylvain Dorange.
Zeïza Taïeb, enfant de La Goulette
La Tunisie, Zeïza Gisèle Élise Taïeb y est née en 1927, à La Goulette. Ses parents, honteux d’avoir une fille, cachent l’enfant à leur entourage. Son père, Édouard, est un Twensa [nom des Berbères judaïsés depuis l’Antiquité], et sa mère, Fritna, une Grana [minorité juive d’origine italienne]. Fière de son lignage et bouffie d’orgueil, cette dernière estime avoir fait une mésalliance.
Pendant son enfance, Zeïza vit entre une mère qui ne manifeste pas la moindre marque d’affection et un père admiré au point que ses deux filles se disputent l’honneur de lui enfiler ses chaussons quand il rentre du travail. De sa mère, elle dira : « Fritna est l’explication de toute ma démarche. J’ai voulu que les femmes ne lui ressemblent pas. »
Pour situer l’ambiance qui règne chez les Taïeb, Ilana Navaro cite, dans son livre, une anecdote racontée par Jean-Yves Halimi, l’un des fils de Gisèle : « Un jour, j’ai demandé à mon grand-père ce que signifiaient ces expressions en arabe, qui revenaient souvent. Il m’a expliqué, et c’était loin d’être des amabilités : “Je te souhaite d’avoir les yeux crevés par un croc de boucher et d’être pendue au plafond.” […] C’est une famille dans laquelle il y avait un très, très, très haut niveau sonore ».
Deux événements marquent la prime enfance de Gisèle. Elle a 6 ou 7 ans quand son frère cadet, André, placé sous sa surveillance, s’ébouillante en renversant une casserole qui était sur le feu. Il mourra au bout de quelques jours dans d’atroces souffrances et plus personne n’aura le droit de parler de lui. Des années plus tard, elle s’insurge de devoir se charger des tâches ménagères alors que son frère aîné, Marcelo, en est exempté. Elle entame une grève de la faim de trois jours jusqu’à obtenir gain de cause et remporte ainsi son premier combat pour l’égalité entre les hommes et les femmes.
Sa lutte pour l’égalité se prolonge sous une autre forme. À 11 ans, la jeune Gisèle est témoin d’une scène lors d’une manifestation pour l’indépendance, à Tunis. Les forces de l’ordre ouvrent le feu pour disperser la foule. Le surlendemain, l’une de ses camarades de classe, hilare, racontera comment des soldats français ont forcé un professeur arabe à enlever son pantalon. Nourrie par les livres, qu’elle dévore, et par l’idéal républicain français, qui prône la liberté, l’égalité et la fraternité, la jeune femme s’insurge contre le traitement réservé aux Arabes. Au grand dam de ses parents, elle prend parti pour l’indépendance tunisienne. Jacques, son oncle paternel, communiste, exerce une influence décisive sur elle, et un jour où, lycéenne, elle vend à la criée un journal proche du PC tunisien, son père la surprend et lui balance une gifle mémorable.
Rencontre avec le général Massu
Le rêve de la jeune fille de partir en France pour faire des études à la Sorbonne constitue la trame de La Révolte au cœur et de Gisèle Halimi, une jeunesse tunisienne. Les deux ouvrages se concluent sur le même épisode : à l’aéroport, Gisèle, 18 ans, s’apprête à s’envoler pour Paris, en 1945. Elle part à la recherche de Marcelo, déporté pendant la Seconde Guerre mondiale. Une version officielle, que contredit Ilana Navaro : en réalité, Gisèle a épousé un certain Raymond Zemmour, de dix ans son aîné, lorsqu’elle avait moins de 20 ans. Un mariage arrangé puis caché pour ne pas brouiller son message féministe.
Ses diplômes en poche et son divorce prononcé, l’avocate s’inscrit au barreau de Tunis et se marie avec un fonctionnaire, Paul Halimi. Très vite, elle défend des indépendantistes tunisiens. Après une émeute à Moknine, que des gendarmes répriment impitoyablement, en 1953, elle est la seule femme à défendre les accusés, dont certains sont passibles de la peine de mort. Pendant cinq ans, elle se consacre à ce combat et, après l’indépendance, en 1956, reprend naturellement le chemin des tribunaux dans le pays voisin, l’Algérie.
C’est sans nul doute cet épisode de sa vie qui vaut à Gisèle Halimi de ne pas (encore) être entrée au Panthéon. Elle vit entre Paris, où se trouve son bureau d’avocat, et Alger, où elle défend ses clients. Ses deux enfants, à Paris, bénéficient de la protection d’étudiants de l’Unef en cette période où, comme le dit Benjamin Stora, cité par Ilana Navaro, « tous ceux qui voulaient s’opposer à la présence française en Algérie sous la forme d’une possible indépendance étaient considérés comme des terroristes ou des ennemis ». Gisèle Halimi relate, effarée, un entretien surréaliste qu’elle aura avec le général Massu. Ce dernier justifie l’usage de la torture tout en lui montrant les marques que lui ont laissées les électrodes qu’il s’est fait poser sur le corps afin de tester sa propre résistance à la douleur. L’écart entre son idéal français et la réalité de la politique en Algérie ne fait que croître.
« La putain du FLN »
En 1955, dans l’exploitation minière d’El Halia, des nationalistes algériens tuent 123 Européens – des mineurs et leurs familles. Le massacre est suivi d’une répression aveugle et disproportionnée. Même cécité lors du procès, en 1958 : les accusés ont été inculpés sur la base d’aveux extorqués sous la torture et sans preuves tangibles. Gisèle Halimi reçoit des mini-cercueils chez elle, à Paris, qu’elle transforme en garages pour les voitures miniatures de ses enfants ! En mai 1958, elle assiste à une manifestation qui vire à l’émeute et manque se faire lyncher par la foule, qui la traite de « putain du FLN ». Quand le Comité de salut public prend le pouvoir, à Alger, elle est arrêtée avec son confrère, Pierre Braun, et n’est libérée que quelques semaines plus tard. Sa vie tenant constamment à un fil, elle croit en sa baraka.
Si une affaire judiciaire est particulièrement associée au nom de Gisèle Halimi, c’est bien celle de Djamila Boupacha. En 1960, cette jeune militante du FLN, âgée de 22 ans, est détenue à la prison de Barberousse parce qu’elle a voulu faire exploser une bombe. Voyant que l’endroit où elle devait la déposer était bondé, elle avait renoncé. Ce revirement n’a pas empêché qu’elle soit torturée et violée. Le viol, souvent utilisé l’armée française, est alors fréquemment tu par les victimes car il touche à un tabou : la perte de la virginité, vécue comme pire encore que la torture.
Avec Simone de Beauvoir
Parallèlement à son action judiciaire, Gisèle Halimi fait appel à son modèle, la philosophe et écrivaine Simone de Beauvoir, qui écrit immédiatement une tribune dans Le Monde. Plus tard, les deux femmes cosigneront un livre intitulé Djamila Boupacha, dont un dessin de Pablo Picasso ornera la couverture. Le Comité Djamila Boupacha compte d’autres personnalités comme Jean-Paul Sartre, Louis Aragon, Geneviève de Gaulle, Germaine Tillion… Le procès prend un tour politique, et Gisèle Halimi s’en sert de tribune pour accuser le gouvernement et l’armée d’utiliser la torture et le viol comme armes de guerre. Djamila Boupacha est finalement libérée en avril 1962. Par la suite, la moudjahidate (« combattante ») se mariera et aura des enfants.
Lorsqu’elle avait environ 12 ans, la future Gisèle Halimi, citée par Maïa Brami, écrivait : « De toute manière, je serai l’avocate contre l’injustice. Avocate avec un “e” ». Très en avance sur son temps pour l’accord en genre, la militante féministe s’est trompée sur l’accord en nombre : elle a été avocate contre les injustices, qu’elles soient coloniales, faites aux femmes, etc., comme elle le prouvera tout au long de sa vie.
Classe de Cours préparatoire 1ère année (1954-1955)
Il y a quelques années, après le décès de Gaston Revel, sa nièce a retrouvé des caisses pleines de photos et de documents dans le grenier de la maison. En 2001, elle a tout remis tous ces documents à Alexis Sempé, qu’elle connaissait. Après avoir tout dépouillé, Alexis a été stupéfait de la qualité des documents qu’il a d’abord utilisé dans le cadre d’un travail universitaire, avant de publier le livre « Un instituteur communiste en Algérie » en 2013.
Le cinéaste Pierre Mathiote, intéressé par la lecture de cet ouvrage, a contacté Alexis Sempé avec pour objectif de réaliser un film. Il fallait des moyens financiers, ils ont donc contacté divers organismes, organisé un financement participatif, et il leur a fallu 5 ans pour réaliser ce film qui est maintenant terminé. Mais ils rencontrent d’énormes difficultés pour le faire passer à la télé et dans les divers circuits. Ainsi ils ont donc décidé de le faire passer par Youtube. Ils ont aussi pour objectif de sortir 200 DVD qui seront disponibles dans un mois ou deux.
Pierre Mathiote, réalisateur, présente le film ainsi : « Après cinq ans de travail, nous avons enfin achevé le long-métrage documentaire « Gaston Revel, un instituteur en Algérie ». Il faut dire qu’il a fallu faire des choix parmi les milliers de documents d’archives retrouvés et autres photographies. Fait unique et exceptionnel en Algérie, Gaston Revel, qui fut un anticolonialiste de la première heure, fut le seul français à avoir été élu à Bougie (Constantinois) dans le second collège électoral réservé aux seuls « musulmans ». « Gaston Revel, un instituteur en Algérie », est un film qui éclaire de l’intérieur l’Algérie de 1936 à 1965, trente années décisives sous un regard totalement inédit. » Dans le film, exceptée la valise (qui remplace les caisses) tous les objets du décor appartenaient à Gaston Revel (appareils photos, coupures de presse, etc.).
Grâce à la découverte d’archives totalement inédites appartenant à Gaston Revel, le téléspectateur découvrira l’Algérie à la fin des années trente telle qu’elle se révèle à ce jeune instituteur français. Il comprendra le dépaysement et l’isolement de l’instituteur du bled dans les années difficiles de la Deuxième Guerre Mondiale. Il mesurera la vigueur et l’âpreté des combats politiques et syndicaux menés par un militant du parti communiste algérien de l’après-guerre et la violence des tensions qui accompagnent la marche à l’indépendance et à la construction du nouvel État algérien.
Fait unique et exceptionnel en Algérie, lors des élections municipales, Gaston Revel est élu à Bougie (Constantinois) dans le deuxième collège électoral réservé aux seuls musulmans. « Gaston Revel, un instituteur en Algérie » est un film qui éclaire de l’intérieur l’Algérie de 1936 à 1965, trente années décisives sous un regard totalement inédit.
Par micheldandelot1 dans Accueil le 5 Août 2023 à 10:35
Une répression policière meurtrière a interrompu en 1953 les défilés populaires du 14 juillet. Cette violence comme celles commises récemment par des policiers, de Nanterre à Marseille, s'explique par le fait de ne pas considérer nos concitoyens héritiers des anciennes colonies comme des citoyens à part entière. Par François Gèze, Gilles Manceron, Fabrice Riceputi et Alain Ruscio.
La volonté s’est exprimée lors du 14 juillet 2023 de reprendre, dès 2024, les défilés populaires pour la fête nationale en hommage à la Révolution française. Ces défilés ont joué un rôle important lors du Front populaire et ont repris à la Libération jusqu'à cette année 1953 où ils ont été interrompus, à la suite d'une répression policière qui a tué six Algériens et un responsable CGT de la Métallurgie qui cherchait à arrêter ce massacre. Les violences intervenues alors à l'encontre de ces Algériens du Mouvement pour le triomphe des libertés démocratiques (MTLD), comme celles commises récemment par des policiers contre le jeune Nahel à Nanterre et beaucoup d'autres, ou comme contre le jeune Hedi à Marseille, très gravement blessé à la tête par un tir de lanceur de balles de défense (LBD), ont une origine : l'idée répandue dans notre société, et particulièrement dans les forces de police, que nos concitoyens descendants ou enfants de descendants de personnes originaires des anciennes colonies ne doivent pas être vus ni traités comme des citoyens à part entière.
La persistance du racisme post-colonial
La cause profonde de ces violences est bien cette forme d'« apartheid mental » qui a accompagné l'histoire de l'empire colonial français, ce « racisme colonial » qui a été longtemps porté par les discours officiels des institutions républicaines et de l'école, y compris dans les départements français d'Algérie, et qui a perduré après les indépendances dans les mentalités et les pratiques institutionnelles. Un préjugé implicite mais omniprésent qui se traduit, par exemple, aujourd'hui dans cette insuffisance choquante d'indignation face au sort subi par certains de nos jeunes concitoyens. À preuve, un certain nombre de forces politiques ou syndicales, y compris de gauche, ne se sont pas jointes à l'appel important, « Notre pays est en deuil et en colère ».
Le massacre du 14 juillet 1953 qui a interrompu les défilés populaires pour la Fête nationale a été, en 2023, commémoré de manière spectaculaire pour son soixante-dixième anniversaire. Ce massacre a eu lieu parce que les libertés démocratiques n'étaient pas reconnues aux Algériens indépendantistes, dont leur pleine liberté d'expression incarnée par leur choix de leurs mots d'ordre et de leur drapeau.
Les silhouettes des sept tués par la policeinstallées le 13 juillet 2023 place de la Nation.
Ces faits de violences policières coloniales ou postcoloniales sont récurrents dans notre histoire. Le livre de Fausto Giudice, Arabicides. Une chronique française 1970-1991 (La Découverte, 1992), celui de Dominique Manotti, Marseille 73. Une histoire française, (Les Arènes, 2020), ont pointé des symptômes de la réémergence meurtrière du racisme colonial sous le septennat de Valéry Giscard d'Estaing. La Marche pour l'égalité de 1983, dont on va commémorer les quarante ans, était porteuse d'une exigence démocratique d'égalité, mais elle a été totalement incomprise par les institutions françaises de l'époque qui, tel le président Mitterrand, ont fait mine de la soutenir sans l'écouter ni comprendre ses demandes.
Il y a bien eu, dans les années 1960, face à l'échec de toutes les guerres coloniales et à la reconnaissance par le droit international du droit des peuples coloniaux à s'émanciper, un moment de trouble et de perplexité dans l'opinion française ; auquel à correspondu, par exemple, le faible score du candidat des nostalgiques de l'Algérie française aux élections présidentielles de 1965. Mais l'incapacité des institutions et des forces au pouvoir à se livrer à la déconstruction du discours de justification de la colonisation porté durant près d'un siècle par la IIIe et la IVe République ainsi que les carences de la gauche à cet égard ont ouvert un boulevard à la reconstruction de l'extrême droite, à la fondation du Front national dans les années 1970 à la forte audience électorale du Rassemblement national aujourd'hui. Cette extrême droite, tout en se faisant discrète après 1945 sur son antisémitisme qu'elle a « mis en veilleuse » sans jamais l'abandonner, a placé au cœur de sa manière nationaliste de « penser la France » le « racisme de la couleur » à l'encontre des descendants des anciens colonisés. Un thème qui a fait florès dans l'institution policière, induisant des discriminations et des violences récurrentes vis-à-vis de certains de nos concitoyens. D'où les drames récents qui ont conduit les vrais républicains à trouver légitime la colère populaire qui s'est exprimée dans tout le pays, à la différence de ceux qui n'ont que le mot de République à la bouche mais ne voient en elle qu'un argument pour faire « régner l'ordre » à tout prix, au mépris de la justice.
Toutes les vies comptent
Il a fallu attendre les années 2010 pour qu'on désigne par le terme de « féminicide » les nombreux assassinats de femmes et que ce mot s'impose dans la langue française. Combien de temps faudra-t-il pour que le terme d'« arabicide » s'y impose ou qu'un autre soit inventé pour désigner les crimes racistes qui ciblent certains de nos concitoyens perçus comme les descendants des indigènes coloniaux n'ayant pas tous les droits de citoyens.
Le fait est que, dans ce contexte où ni les institutions ni les forces politiques n'ont fait le travail qu'imposaient les droits de l'Homme et les véritables principes républicains, l'opinion publique a connu sur ces questions un mouvement de régression. S'il ne se produit pas un « sursaut des consciences », cela ne peut, lors des lois qui seront votées par la présente législature comme aux élections présidentielles de 2027, que bénéficier à l'extrême droite.
L'indignation insuffisante face aux atteintes aux droits pour tous
Combattre le racisme, s'opposer à l'arrivée au pouvoir de l'extrême droite et de la droite extrême implique d'aborder notre longue histoire esclavagiste et coloniale et son héritage. Nulle « haine de la France » là-dedans. La France n'a pas été seulement esclavagiste ni la République seulement coloniale. Le processus de séparation, par exemple, entre les pouvoirs religieux et les institutions universitaires ou municipales a commencé dès le XIVème siècle et a abouti cinq-cents ans plus tard à la loi de Séparation des Eglises et de l'Etat et à des institutions laïques dont nous avons tout lieu d'être fiers, même si certains veulent travestir la laïcité aujourd'hui en une logique d'exclusion d'une partie de notre nation.
L'islamophobie, dont certains ont cherché à discréditer le terme alors qu’il figure dans le vocabulaire depuis plus d’un siècle (1910), est une passion française qui s'enracine dans l'époque des Croisades et des conquêtes coloniales. Elle se manifeste en particulier par une forme d'obsession pour le foulard porté par des femmes. Avec l'idée qu'une telle coutume risquerait de remettre en cause les conquêtes des femmes dans la société française, comme si celle-ci n'avait pas sa propre histoire. Il faudrait donc interdire, par exemple, à des femmes voulant pratiquer le football de s'attacher les cheveux avec un foulard. Autant d'injonctions qui masquent des tendances dominatrices, machistes et xénophobes, déguisées en défense des femmes. Quant aux violences faites aux femmes, le tabou persiste sur les viols commis dans la colonisation et les guerres coloniales, tout comme sur le sort de nombre de femmes sans papiers d'origine africaine employées aujourd'hui à des tâches d'entretien au mépris des droits sociaux les plus élémentaires.
Des tirailleurs coloniaux aux travailleurs sans papiers d'aujourd'hui
Vous n'y pouvez rien. Contrairement à ceux qui veulent s'enfoncer dans un déni de l'histoire, certaines pages du passé restent présentes à l'esprit des descendants de ceux qui ont participé à certains des épisodes tragiques de ce passé comme l'appel à des tirailleurs africains dans les deux guerres mondiales. A la suite du film « Tirailleurs » de Mathieu Vadepied avec Omar Sy présenté en avant-première au Festival de Cannes 2022, la question du sort des tirailleurs coloniaux dans ces deux guerres mondiales a fait l'objet de divers éclairages d'historiens, notamment par Martin Mourre, Emmanuel Blanchard, Armelle Mabon, Danielle Domergue-Cloarec, Gilles Manceron et Alain Ruscio, qui rendent caduc le discours de l'armée et des institutions françaises, trop souvent pris pour « argent comptant » par d'autres avec de bonnes intentions, qui se borne à affirmer qu'ils étaient les « Frères d'armes » des poilus français.
Les travailleurs africains d'aujourd'hui dans l'uniforme des tirailleurs d'hier lors de la Marche des Solidarités du 14 juillet 2023.
Des pages tragiques de notre passé colonial font retour dans les mémoires de nombreux pays d'Afrique sub-saharienne ou d'ailleurs, souvent dans un désordre funeste. Pour y répondre, il faut que notre pays clarifie son point de vue sur son passé colonial et sur l'héritage que celui-ci a laissé dans notre société d'aujourd'hui. Il faut qu'il se rattache réellement à l'universalité des droits de l'Homme et rejette les interprétations frauduleuses de la République ou de la laïcité.
Pour que vive la République, la vraie, la République sociale de tous ses citoyens, et non une République confisquée par les possédants au prétexte du maintien de « l'ordre, l'ordre, l'ordre… »
Pour que vive la Nation, la vraie, faite de tous nos concitoyens qui partagent la vie économique et sociale du pays, et non une nation étriquée, amputée d'une partie de ses habitants, au prétexte de remédier à un prétendu « grand remplacement » par on ne sait quelle « remigration ».
La Nation a toujours été faite de diversités et le fait d'arborer le drapeau de son pays d'origine n'est pas contradictoire avec son appartenance à la nation française si celle-ci veut bien vous accueillir en son sein.
Pour réagir à ce qui domine aujourd'hui dans l'opinion française, à ce que le politologue Achile Mbembe qualifie d'« eurocentrisme tardif », qui produit ce phénomène d'indifférence ou d'indignation insuffisante face aux crimes policiers, symptôme du regain du racisme colonial à l'œuvre dans notre pays, qui menace pour tous la démocratie, il faudrait un sursaut, une prise de conscience dans notre société, à commencer par celle de toutes les forces de la gauche.
Vive la République, vive la Nation !
On rêve à la mobilisation de nos ancêtres en 1794 quand la proclamation de la République avait bouleversé l'ordre politique en Europe et qu'avait été proclamée « la République en danger ». Au « Vive la Nation ! » lancé par les volontaires de Valmy qui a sidéré les soldats des armées européennes monarchiques ou impériales. Ou à ce moment de 1898 qu'Anatole France a qualifié en 1902, aux obsèques d’Emile Zola, de « moment de la conscience humaine », où des citoyen(ne)s se sont dressés contre l'antisémitisme lors de l'affaire Dreyfus.
Battons-nous pour une conception inclusive de la République et de la Nation.
Che Guevara en Algérie, marche auprès du président algérien Ben Bella 1963
Le commandant Che Guevara ou Le Che, de son vrai nom Ernesto Rafael Guevara de la Serna, avait effectué plusieurs visites officielles en Algérie. Sa première visite date du 4 juillet 1963 dans la ville d'Alger. Il était ministre de l’Industrie à Cuba lors de sa deuxième visite dans la capitale de l'Algérie: visite qu'il avait effectuée dans le but de participer au séminaire économique de solidarité afro-asiatique, entre le 22 et 27 février 1965.
L’île de Cuba a vu la naissance du Mouvement du 26-Juillet, dirigé par Fidel Castro, puis son triomphe face au dictateur Ruben Fulgencio Batista, en janvier 1959. Ce mouvement victorieux s'est fixé alors un objectif plus large: poursuivre sa lutte sur le front anti-impérialiste. Le Che se livre à de nouvelles batailles, celles de passer d’une économie capitaliste agraire à une économie socialiste industrielle à Cuba. Il est reconnu comme leader pour son engagement contre la politique étrangère des Etats-Unis dans le monde.
Perçu comme un pays important pour les mouvements de libération nationale, l'Algerie, et notamment sa capitale, Alger, est la seule d'un pays africain à avoir acquis l’indépendance grâce à une grande lutte armée et diplomatique, en dépit d’une colonisation de peuplement. Ce qui ne fut pas le cas en Tunisie et au Maroc. La guerre de libération de l'Algérie est une référence majeure en Afrique. Elle a forgé la conscience nationale en Algérie. Elle a même porté le combat pour l’indépendance en métropole française.
En France, la guerre de libération de l'Algérie constitua aussi un des facteurs de crise de la IVe République. L'administration coloniale fut contrainte de négocier la paix et l’autodétermination algérienne, jusqu’à la signature des Accords d’Evian, le 18 mars 1962.
Che Guevara souhaitait une solidarité internationale
Le 24 février 1965 à Alger, Che Guevara prononce un discours mémorable, durant lequel il insiste sur la nécessité du soutien des Etats socialistes au développement de tous les pays du Tiers-Monde, comme on les appelait autrefois. En conclusion de son discours devant les participants au séminaire, Le Che salue ce combat: "Peu de scènes sont aussi symboliques qu’Alger, l’une des capitales de la libertéles plushéroïques, pour une telle déclaration. Que l’admirable peuple algérien, trempé comme peu de peuples l’ont été dans les souffrances de l’indépendance, sous la direction de son parti, nous inspire dans cette lutte sans quartiers contre l’impérialisme yankee".
En porte-parole latino-américain, il a réitéré la nécessité de la lutte commune contre les impérialismes. Il apporte son soutien à la proposition algérienne d’institutionnaliser les rapports entre les pays socialistes et ceux en voie de développement. Cette alliance doit notamment, selon Le Che, "veiller au caractère révolutionnaire de l’union, en y interdisant l’accès aux gouvernements et aux mouvements qui ne s’identifient pas aux peuples et en créant des mécanismes qui permettent de se séparer de quiconque s’écarte de la route juste, qu’il soit gouvernement ou mouvement populaire". La nature internationale est ainsi affirmée: "Il n’est pas de frontières dans cette lutte à mort ".
Par ailleurs, Le Che dénonçait la coexistence pacifique, celle prônée par l’Union soviétique, mais sans la nommer. Et il proclame: "Les pays socialistes ont le devoir moral de liquider leur complicité tacite avec les pays exploiteurs de l’Ouest" .
Ernesto CHE GUEVARA - Le discours d’Alger
Publication ci-dessous d’extraits du discours prononcé par le Che au cours du Séminaire économique de solidarité afroasiatique, les 22 et 27 février 1965 à Alger.
"Chers frères, Cuba participe à cette Conférence, d’abord pour faire entendre à elle seule la voix des peuples d’Amérique, mais aussi en sa qualité de pays sous-développé qui, en même temps, construit le socialisme.
Ce n’est pas un hasard s’il est permis à notre représentation d’émettre son opinion parmi les peuples d’Asie et d’Afrique. Une aspiration commune nous unit dans notre marche vers l’avenir: la défaite de l’impérialisme. Un passé commun de lutte contre le même ennemi nous a unis tout au long du chemin. (...)".
JeanJean-Marie Le Pen a-t-il commis, en 1957 à Alger, le crime de torture, aujourd’hui considéré en droit international comme un crime contre l’humanité ? La torture a été pratiquée si massivement par l’armée française durant la guerre coloniale en Algérie que la question serait presque anecdotique, s’il ne s’agissait de la personnalité qui est parvenue ensuite à faire du racisme hérité du colonialisme un ressort majeur de la vie politique française durant des décennies
Déjà posée à l’époque des faits, cette question a ressurgi périodiquement, des années 1980 aux années 2000, dans la presse et devant les tribunaux, dans un contexte de sortie progressive de l’amnésie qui frappait la société française depuis 1962 sur la nature de la guerre en Algérie. Alors que ce qu’on a appelé la « lepénisation des esprits » atteint aujourd’hui en France une sorte de paroxysme, elle vient à nouveau d’être posée de la pire des façons. Avec une désinvolture choquante, une émission à caractère historique de France Inter, de bonne qualité et très écoutée, a en effet récemment cru pouvoir y répondre par la négative.
Or, pour peu qu’on veuille bien replacer les activités du lieutenant Le Pen à Alger dans leur contexte historique, et aussi accorder à la parole de ses accusateurs algériens l’attention qu’elle mérite, le dossier de documents et de témoignages dont nous disposons ne laisse guère de doute à l’historien. Qu’on en juge.
Jean-Marie Le Pen lui-même a toujours fait l’apologie de la torture. Au nom du célèbre scénario dit de la bombe à retardement, popularisé par Massu et ses officiers en 1957 : la torture aurait été justifiée en Algérie par l’urgence de sauver des vies, menacées par des bombes prêtes à exploser. Une « fable perverse », maintes fois réfutée, dont aucun cas concret, on le sait, n’est jamais venu confirmer la véracité, mais qui semble s’être imposée dans l’imaginaire français relatif à la guerre coloniale en Algérie.
Jean-Marie Le Pen nie néanmoins depuis des décennies, par exemple encore en 2018 dans ses Mémoires, avoir lui-même torturé : les accusations portées de façon répétée depuis cette époque contre lui seraient, selon lui, une « machination politique ».
Telle ne fut pas toujours sa version des faits. Il admit jadis bien volontiers avoir, selon ses termes, « fait le métier » de tortionnaire, s’amusant même à l’Assemblée nationale, en juin 1957, qu’on puisse voir en lui « le mélange d’un officier SS et d’un agent de la Gestapo ». En novembre 1962, il déclarait au journal Combat : « Je n’ai rien à cacher. J’ai torturé parce qu’il fallait le faire. »
Une amnistie de tous les crimes et délits en relation avec les « événements d’Algérie » venait alors d’être décrétée, au lendemain des accords d’Évian, bientôt consolidée et élargie par quatre lois destinées à fabriquer l’oubli. Elle garantissait désormais à tous les auteurs d’exactions une impunité judiciaire complète, mais elle dissuadait aussi fortement toute évocation publique de ces crimes.
Ce n’est qu’en 1984 et 1985, quand le Front National (FN) remporta son premier succès, aux élections européennes, que les journalistes Louis-Marie Horeau dans Le Canard enchaîné puis Lionel Duroy dans Libération passèrent outre, estimant qu’informer les électeurs et électrices sur le passé de Le Pen était d’intérêt public.
Batailles devant les tribunaux
C’est alors que se produisit son grand revirement : il attaqua désormais en diffamation ceux qui osaient exhumer son passé. Avec de bonnes chances de succès puisque les faits eux-mêmes, à la fois amnistiés et prescrits, ne seraient pas jugés.
Rappelons que d’autres personnalités accusées comme lui d’agissements criminels durant la guerre d’indépendance algérienne firent de même, avec des fortunes diverses : l’ancien ministre Maurice Papon, quand Jean-Luc Einaudi rappela son rôle prépondérant dans le massacre de manifestants algériens à Paris le 17 octobre 1961, ou encore le général Maurice Schmitt, ancien chef d’état-major de François Mitterrand, accusé lui aussi d’avoir torturé à Alger dans une salle de classe de l’école Sarouy, à l’été 1957.
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Jean-Marie Le Pen gagna ses premiers procès, notamment en 1989 contre LeCanard
enchaîné et Libération. Durant quinze ans, les velléités de revenir sur le sujet furent donc à nouveau annihilées par la peur d’être condamné. Puis le chef du Front national finit par être débouté par les tribunaux, dans les années 1990 et 2000, lors de ses trois dernières tentatives de faire taire ses accusateurs.
Successivement, le premier ministre Michel Rocard, l’historien Pierre Vidal-Naquet et le journal Le Monde gagnèrent, ce dernier n’ayant pas craint, fort du sérieux du travail de sa journaliste, Florence Beaugé, d’accabler à nouveau Le Pen en 2002. La justice estima que la « bonne foi », le « sérieux » et la « crédibilité » de son enquête étaient suffisants et qu’elle n’était pas diffamatoire.
On pouvait légalement dire que Le Pen avait été un tortionnaire. Mais l’intéressé pouvait continuer à le nier.
Est-ce vrai ? C’est là la question qui importe et à laquelle les historiens peuvent répondre en examinant le dossier réuni depuis 1957 par diverses sources.
La collecte des témoignages
Certes, en dehors de Pierre Vidal-Naquet qui le fit très tôt, très peu d’entre eux ont précisément travaillé sur le cas particulier de Le Pen. Il n’est dans l’histoire de la guerre coloniale en Algérie qu’un protagoniste parmi bien d’autres et de peu d’importance.
Cependant, des travaux historiques ont considérablement enrichi la connaissance de la « bataille d’Alger », à laquelle participa Le Pen. Après ceux de Pierre Vidal-Naquet, la thèse de Raphaëlle Branche a solidement établi en 2000 le caractère massif de l’emploi de la torture et décrit avec précision ses modalités, notamment à Alger en 1957. Le projet historiographique Mille autres que je mène avec l’historienne Malika Rahal sur la disparition forcée, a, quant à lui, collecté depuis 2018 un grand nombre de témoignages d’Algérien·nes sur la terreur qui s’abattit sur elles et eux cette année-là[1].
Sur le cas Le Pen, ce sont des militant·es et des journalistes qui, des années 1980 aux années 2000, ont recueilli en Algérie des témoignages de victimes et de témoins oculaires d’exactions perpétrées par lui. Notre connaissance du contexte algérois de 1957 permet de juger de la crédibilité de ces récits. Ils sont de ces sources que les historien·nes du temps présent ont coutume de traiter pour restituer l’histoire de violences de masse niées par les États, alors que les archives de ces derniers sont le plus souvent, dans ce cas, celles de la dissimulation et du mensonge. En l’espèce, ces sources permettent, même si ce ne peut être que de façon fragmentaire, de faire l’histoire du séjour du lieutenant Le Pen à Alger.
Les trois mois de Le Pen à Alger
Le 28 décembre 1956, le 1er régiment étranger de parachutistes (REP) débarque à Zéralda, à quelques kilomètres à l’ouest d’Alger. Dans ses rangs, Jean-Marie Le Pen, 29 ans, député poujadiste du Ve arrondissement de Paris, depuis peu engagé volontaire, avec le grade de lieutenant. Avec son régiment, il vient de battre piteusement en retrait lors de l’expédition de Suez, où il dirigeait une brigade de fossoyeurs, après avoir évacué l’Indochine où il était arrivé après la bataille, c’est-à-dire après la défaite cuisante infligée à l’armée française à Diên Biên Phu par le Vietminh en mai 1954, et où il avait pour fonction d’établir une revue de presse à l’usage des militaires.
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Ce militant d’extrême droite est idéologiquement en phase avec les officiers des généraux Salan et Massu, tout au moins sur l’essentiel : comme eux, il est avide de prendre une revanche contre l’insurrection anticoloniale algérienne commencée depuis deux ans par le Front de libération nationale (FLN). Comme eux, il croit sincèrement que cette « rébellion » est l’œuvre d’un complot du communisme international contre l’« Occident ». Il adhère à la « doctrine de la guerre révolutionnaire » (ou « antisubversive »), enseignée depuis la défaite en Indochine aux cadres de l’armée française[2], dont on sait que la mise en œuvre en Algérie entraîna une pratique systémique de la torture.
Le 8 janvier 1957, Jean-Marie Le Pen est parmi les 8 000 parachutistes qui, selon ses termes, « entrent dans Alger » de façon spectaculaire pour y éradiquer à tout prix le nationalisme dans la population dite « musulmane ». La veille, le gouvernement du socialiste Guy Mollet a en effet donné au général Massu, commandant la 10e division parachutiste, les pleins pouvoirs pour y rétablir l’ordre colonial menacé par la montée en puissance du FLN. Commence alors la séquence historique que la propagande qualifiera bientôt de « bataille d’Alger ».
Sans doute quelque peu embarrassé d’avoir à intégrer dans ses rangs ce jeune politicien parisien, déjà connu pour son goût de la violence physique et de la provocation et dépourvu d’expérience militaire, le 1er REP ne lui a confié aucun commandement d’importance. C’est en ce sens qu’il peut à bon droit souligner dans ses Mémoires qu’il joua alors un « rôle mineur ». D’autant qu’il quitta l’Algérie au bout de trois mois, le 31 mars 1957, bien avant la fin de l’opération.
Quelles sont alors ses fonctions et quel est exactement son rôle ? Son dossier militaire personnel n’étant pas consultable sans son autorisation, on doit ici s’en remettre à ses dires, ce qui ne va pas, sur ce sujet comme sur d’autres, sans risques. Il affirme qu’il commandait une section d’une compagnie d’appui du 1er REP, sous les ordres du capitaine Louis Martin, soit sans doute une escouade de deux ou trois dizaines de parachutistes.
Mais à quoi ce lieutenant est-il occupé exactement durant ces trois mois ? Là-dessus, Le Pen lui-même n’est d’aucun secours. Alors qu’y abondent sur d’autres moments de sa vie les anecdotes et récits les plus détaillés, rien ne semble digne d’être retenu dans ses Mémoires de sa participation concrète à cette héroïque « victoire sur le terrorisme algérien ». Entre son arrivée à Alger et sa décoration des mains de Massu, à la veille de son départ, aucun récit d’opérations auxquelles il aurait participé. Pas de noms, de dates ni de lieux, seulement les généralités d’usage chez les anciens « paras ».
Disparitions forcées
Il livre cependant une indication : il exerçait dans sa compagnie la fonction bien particulière d’officier de renseignement (OR). Autrement dit, il ne fut pas le simple exécutant du « maintien de l’ordre », s’occupant par exemple « des contrôles d’identité », qu’il prétendit avoir été. Mais bel et bien, comme tous ceux qui assumaient cette fonction, un élément clé dans l’opération militaro-policière en cours.
Les officiers de renseignement, l’historienne Raphaëlle Branche l’a montré[3], sont en effet ses « fers de lance ». Ils sont chargés de la collecte du « renseignement » auprès des « suspects » et de leur « exploitation », c’est-à-dire des arrestations et des interrogatoires pouvant en découler. Et il est établi que la torture fut massivement commandée et pratiquée par eux.
Certes, dans l’organigramme militaire de l’opération, Le Pen n’est pas Paul Aussaresses, qui dirige alors un escadron de la mort en lien avec l’état-major de l’armée. Il n’a pas dans les exactions perpétrées en masse en 1957 le niveau de responsabilité d’un Jacques Massu ou d’un Marcel Bigeard. Comme nous allons le voir, il n’en est pas moins, durant trois mois, l’un de ces « seigneurs de la guerre aux terrifiants caprices » (Jean-Paul Sartre) qui règnent alors en maîtres absolus sur Alger.
Rappelons qu’en vertu de la loi dite des « pouvoirs spéciaux » votée en mars 1956, l’armée est autorisée le 7 janvier 1957 par le gouvernement à perquisitionner, arrêter, détenir et interroger tous ceux qu’elle estime « suspects » de liens avec la « rébellion », sans en référer à quiconque. Le mode opératoire mis en œuvre est la pratique massive de ce qu’on nomme aujourd’hui la disparition forcée.
Au cours de l’année 1957 à Alger, des dizaines de milliers de « suspects » sont enlevés, de préférence la nuit, puis interrogés – le plus souvent sous la torture – dans les dizaines de locaux de toutes natures où cantonnent les unités parachutistes. La plupart d’entre eux sont ensuite internés dans des camps, parfois jusqu’en 1962, sans jamais être jugés. Mais plusieurs milliers de ces « suspects » disparaissent définitivement, morts de la torture ou exécutés, leurs corps détruits ou dissimulés.
Dans ce système qui vise principalement à dissuader par la terreur les Algérien·nes de soutenir le FLN, l’officier de renseignement est un rouage essentiel. Il est en première ligne, au contact quotidien et direct de la population algérienne « suspecte ». S’agissant du lieutenant Le Pen, ce contact est d’une extrême violence, ce que documentent les témoignages recueillis.
[1] Voir Malika Rahal et Fabrice Riceputi, « La disparition forcée durant la guerre d’indépendance algérienne. Le projet Mille autres, ou les disparus de la “bataille d’Alger” (1957) », Annales Histoire Sciences Sociales, 2022/2, ainsi que le site 1000autres.org.
[2] Jérémy Rubenstein, Terreur et séduction. Une histoire de la doctrine de la « guerre révolutionnaire », La Découverte, 2022.
[3] Raphaëlle Branche, La Torture et l’armée pendant la guerre d’Algérie, 1954-1962, Paris, 2001, réédité en poche en 2016.
La nuit du 2 au 3 février 1957, à Alger, a-t-elle dépassé en violence toutes les autres ? Elle est en tout cas restée dans les mémoires et illustre ce que des victimes décrivent comme une pratique de la "torture à domicile" qu'aurait mise en œuvre Jean-Marie Le Pen. Cette nuit-là, une tragédie à huis clos se noue dans trois maisons de la casbah d'Alger, noyau de la résistance à l'armée française. Interrogés séparément, sans s'être concertés, plusieurs témoins font aujourd'hui un récit presque identique de ces événements. C'était le sixième jour de la "grève des huit jours", lancée par le FLN pour tester son influence à Alger.
Abdelkader Ammour, 64 ans, enseignant en économie et en sociologie à la retraite, raconte : "J'avais 19 ans, pas de responsabilités au sein du FLN, mais j'étais engagé à ses côtés, comme nous l'étions tous dans la casbah. La maison que ma famille partageait avec deux autres familles se situait au 5 impasse de la Grenade." "Le soir du 2 février, une vingtaine d'hommes conduits par Le Pen ont surgi", ajoute-t-il, assurant avoir reconnu, quelque temps plus tard, le lieutenant parachutiste sur des photos. Selon M. Ammour, c'est dans une pièce de son domicile que Le Pen l'aurait interrogé ainsi que trois autres suspects, l'un après l'autre. "Ils cherchaient des armes, dit-il, sans savoir encore que dans la maison, ce soir-là, il y avait des responsables de tout premier plan du FLN, en particulier Yacef Saadi [chef de la zone autonome d'Alger], réfugié dans une cache. Le Pen se faisait appeler "Marco". Il respirait la violence. Pour lui, il s'agissait beaucoup plus de nous mater que de nous arracher des renseignements."
Abdelkader Ammour raconte avoir été allongé par terre sur le dos, nu et les mains ligotées sous lui. Il poursuit : "Ensuite, ils ont branché les fils électriques directement sur la prise et les ont promenés partout sur mon corps. Je hurlais. Ils ont alors pris l'eau sale des toilettes, m'ont étalé une serpillière sur le visage et me l'ont fait avaler de force. Le Pen était assis sur moi, il tenait le chiffon pendant qu'un autre versait la flotte. Je l'entends encore qui criait : "Vas y, vas y, t'arrête pas !"" Au matin, Abdelkader Ammour et les trois hommes torturés avec lui sont libérés. Entre-temps, l'épouse de l'un d'eux a été violée à l'étage supérieur de la maison, affirme M. Ammour. "Ta femme est exquise !", auraient-ils lancé au mari avant de quitter les lieux.
A quelques pas de là, au 33, rue N'Fissa, la famille Merouane endure la même violence. Selon des témoins, M. Le Pen et ses hommes font, cette nuit-là, la navette d'un domicile à l'autre. Mustapha Merouane, 66 ans, peintre en bâtiment à la retraite, est l'un des rares survivants de cette famille de résistants - des "terroristes" pour l'armée française - qui ont disparu et dont les corps n'ont jamais été rendus à leurs familles. "Ils cherchaient des armes, se souvient-il. Il y avait là des pistolets et des mitraillettes, ainsi que deux ou trois paquets de chevrotines, mais pas les fusils de chasse, ce qui les a mis dans une rage folle."
Mustapha Merouane, alors âgé de 18 ans, est dans un premier temps torturé à l'eau. "Ils m'ont mis un chiffon sur le visage, et versé de l'eau dessus pendant qu'un autre était assis sur moi, raconte-t-il. Ma grand-mère s'est jetée sur eux en hurlant. Alors Le Pen a dit : "Emmenez-le !"" Puis le jeune homme est conduit dans une maison voisine, celle des Amara. "Un oncle des Amara, Hamar Boudjemaa, se trouvait là. Il a protesté. Pour le punir, ils l'ont roué de coups, lui cassant le bras notamment", poursuit M. Merouane, qui affirme avoir entendu M. Le Pen crier : "Maurice, prépare les fils !" Son récit se poursuit : "Ils m'ont déshabillé et installé sur un sommier métallique. Le Pen actionnait l'interrupteur. Il a ensuite demandé de l'eau qu'il m'a jetée sur le corps, avant de recommencer l'électricité. Je hurlais." Mustapha Merouane finit par affirmer qu'il y a des fusils de chasse dans sa maison, cachés derrière une armoire. Le Pen et son équipe retournent alors chez les Merouane, en vain.
Pour Mustapha Merouane, Le Pen aurait alors perdu son sang-froid. Il aurait dégainé son pistolet, lui aurait posé sur la tempe pour simuler son exécution, avant de s'en prendre à son père qu'il aurait, lui aussi, passé à la "question" pour savoir où se cachaient deux autres de ses fils, Ali et Boualem - qui seront arrêtés un peu plus tard et disparaîtront.
Quand se lève le matin du 3 février, arrivent plusieurs civils. a ordonné de nous embarquer, raconte M. Merouane. On nous a emmenés à Fort-l'Empereur [caserne située sur les hauteurs d'Alger]. J'ai été de nouveau torturé par Le Pen. Mon père aussi. Il y a eu très peu de survivants. On nous donnait du pain et des sardines, sauf pendant un moment où un adjudant a exigé que nous soyons correctement nourris."
Quelques semaines plus tard, son père et quatre autres prisonniers sont conduits hors de leur cellule. "On a entendu des coups de feu, dit-il. Pour moi, il ne fait pas de doute qu'ils venaient d'être exécutés sur place, et puis sans doute brûlés. Ça sentait souvent le brûlé." Lui sera transféré au bout de trente-six jours dans le camp de détention de Beni-Messous, puis celui de Paul-Cazelles, où, dit-il, "c'était l'enfer, même s'il n'y avait plus de séances de tortures".
Mohamed Amara avait 18 ans quand il a été arrêté au domicile familial du 3, rue Ben-Ali, dans la casbah, cette même nuit. L'un de ses frères, Ali, dit Alilou, joue un rôle important au sein du FLN mais, cette nuit-là, il est absent de la maison. Faute de le trouver, les paras embarquent le jeune Mohamed et un autre de ses frères, Saïd, 24 ans, puis se rendent à Fort-l'Empereur. Là, Saïd est torturé, mais pas Mohamed, qui se souvient qu'après cette séance, son frère était devenu "méconnaissable".
Quelques heures plus tard, Saïd Amara est ramené à son domicile de la casbah, où il retrouve Mustapha Merouane. "On a amené chez nous en pleine nuit l'un de nos voisins, Mustapha Merouane, que Le Pen a torturé chez nous, raconte Mohamed Amara. Un de mes oncles maternels, Hamar Boudjemaa, qui se trouvait là, s'est interposé, et a été passé à tabac..." Saïd est ensuite à nouveau transféré à Fort-l'Empereur. Là, il va subir d'autres séances de tortures avant de disparaître, "abattu alors qu'il cherchait à s'enfuir", selon la version officielle.
Mohamed Amara restera, lui, dix-neuf jours à Fort-l'Empereur. Ses compagnons de cellule auraient "tous été torturés par Le Pen", dit-il - à l'électricité, à l'eau et au chalumeau.
Florence Beaugé
Trois mois à Alger, début 1957
Jean-Marie Le Pen est resté trois mois en Algérie - de janvier à fin mars 1957. Alors plus jeune député de France, élu, en 1956, sous l'étiquette de l'Union de défense des commerçants et artisans (UDCA) de Pierre Poujade, il s'est engagé, à 28 ans, par solidarité avec le contingent dont il a voté l'envoi en Algérie sur proposition de Guy Mollet. Officiellement, le lieutenant Le Pen du 1er régiment étranger de parachutistes (REP), attaché à la division Massu, ne fait pas d'interrogatoires à Alger, mais du renseignement. "Je n'ai rien à cacher, j'ai torturé parce qu'il fallait le faire", dira M. Le Pen dans un entretien au journal Combat, en 1962.
Les victimes interrogées par Le Monde n'avaient jusqu'alors jamais parlé publiquement des tortures subies. Elles expliquent avoir décidé de le faire en découvrant le score de M. Le Pen lors du premier tour de l'élection présidentielle, le 21 avril. D'autres ont choisi de demeurer silencieux ou anonymes, disant seulement qu'évoquer les supplices subis serait pour eux un nouveau traumatisme.
Le Monde
Publié le 03 juin 2002 à 10h51, modifié le 03 juin 2002 à 10h51
«Je n’ai rien à cacher. J’ai torturé parce qu’il fallait le faire». Ce sont les mots de Jean-Marie Le Pen en 1962, dans le journal Combat.
Oui, Le Pen, fondateur du Front National et père de la double finaliste des dernières élections présidentielles est un tortionnaire. Il est coupable de crimes contre l’humanité au sens du droit international. De nombreux témoignages confirment que le parrain de l’extrême droite française a bien commis des actes de torture et de barbarie ignobles, jusqu’au meurtre, sur des personnes algériennes en 1957 lors de la Guerre d’Algérie.
Cette déclaration, prononcée au lendemain des accords d’Évian et au passage de lois amnistiant tous les crimes et délits en relation avec «les événements d’Algérie», cette déclaration est accablante. Les nombreux témoignages recueillis lors des dernières décennies le sont aussi. Personne ne peut le nier… et pourtant, 60 ans plus tard, dans la classe politique comme dans les médias du service public, on continue de nier la culpabilité du fondateur du FN. Pire, lorsque Le Pen, désormais nonagénaire, a fait un malaise au mois de mai dernier, tous les médias se sont précipités à son chevet, s’inquiétant de sa santé, interrogeant sa fille, comme s’il s’agissait d’une personnalité populaire et appréciée.
Une série d’articles de Médiapart revient ainsi sur le passé criminel du fondateur du Front National. Un passé qu’on tente, depuis des décennies, d’invisibiliser.
Concrètement, de nombreux témoignages de victimes et de témoins oculaires attestent des exactions commises précisément par Jean-Marie Le Pen. Celui-ci est resté 3 mois en Algérie en 1957, pendant lesquels sa mission est de se «rendre au domicile de “suspects”, accompagné d’une escouade de parachutistes» pour y procéder à “une arrestation” qui a tout d’un enlèvement». Les familles pouvaient ensuite rester sans nouvelle pendant des mois, des années, voire pour toujours. Les victimes, enlevées, subissaient ensuite «des interrogatoires». Les témoignages font part de violences insoutenables, des récits de torture sont difficilement supportables. Médiapart livre ainsi les récits recueillis en avril 2002 par la journaliste du Monde Florence Beaugé.
La nuit du 2 février 1957, Abdelkader Ammour, 19 ans est torturé, dénudé, «des électrodes sont placées sur ses seins et son sexe. Puis il doit ingérer de force de grandes quantités d’eau sale. C’est Le Pen, assis sur lui, qui commande la torture. Une voisine, Saliha Meziane, dont le mari fait partie des torturés dans cette maison, raconte à la journaliste que les hommes suppliciés hurlaient «comme des loups». Le viol d’une femme de la maison est rapporté.
Dans la même nuit, Mustapha est également torturé par Le Pen, alors appelé «lieutenant Marco» : «ingestion d’eau sale, puis torture au moyen d’un sommier métallique électrifié par ses soins. Enfin, pistolet sur la tempe, il subit un simulacre d’exécution». Il sera de nouveau torturé le lendemain ainsi que son père. «Après quelques semaines, ce dernier et quatre autres prisonniers, selon Mustapha Merouane, sont exécutés et leur corps sans doute «brûlé».
Au matin du 3 mars 1957, Mohamed Cherif Moulay, 12 ans, découvre un poignard oublié dans la maison familiale, à Alger. L’un des parachutistes français qui a enlevé et torturé son père, Ahmed, avant de l’exécuter, a fait tomber l’objet lors de sa venue. L’enfant cache la pièce à conviction, que les parachutistes ne retrouvent pas malgré plusieurs fouilles. Il s’agit d’un couteau des Jeunesses Hitlériennes. Sur le fourreau de ce poignard, le propriétaire a fait graver son nom. On peut lire : J. M. Le Pen, 1er REP.
Début février, Mohamed Abdellaoui, 27 ans, sera également «torturé à l’eau et à l’électricité par Le Pen», ainsi qu’Ahmed Korichi, le 10 février. Celui-ci témoignera dès 1985 devant la justice lors du procès intenté par le tortionnaire fasciste contre le Canard Enchaîné. Ou encore Boukhalfa Hadj, «torturé à l’électricité, à l’eau, on lui enfonce les yeux dans les orbites, ce qui le laissera quasi aveugle, et on lui casse les doigts».
Ali Rouchaï. Mohamed Louli.Lakhdari Khelifa. Rachid Bahriz. Ahmed Moulay. Abdenour Yahiaoui. Ahmed Bouali ben Ameur. Des noms que nous nous devons de ne pas oublier. Des noms parmi tant d’autres… Mais qui méritent que justice soit rendue. Rappelons que Le Pen a aussi servi dans une autre guerre coloniale sanglante, en Indochine, où il a probablement commis d’autres exactions.
Les témoignages de victimes algériennes, nombreux et cohérents, qui décrivent les actes de barbarie dont Le Pen est coupable, ne cessent pourtant d’être remis en cause, sans aucune justification concrète. Une suspicion permanente sur la véracité de ces récits, comme si l’on refusait d’accepter simplement les faits : Jean-Marie Le Pen a bien torturé des personnes algériennes et a bénéficié d’une impunité totale, jusqu’à arriver jusqu’au second tour des élections présidentielles en 2002. Tout en réussissant à implanter sa famille dans le paysage politique depuis des décennies. Famille qui, dans la droite ligne du patriarche, ne cesse de répandre des discours de haines racistes, sexistes et LGBTphobes, jusqu’à réussir à les normaliser dans l’espace public.
Ces tentatives de dissimulation s’inscrivent dans un contexte global d’oubli complice des faits gravissimes que les français ont commis en Algérie. «La parole algérienne reste pour certains illégitime par nature et a priori suspecte d’affabulation. Il en allait ainsi à l’époque coloniale, quand la justice française en Algérie enterrait systématiquement les plaintes algériennes ou que la presse les ignorait de peur de paraître alimenter la propagande ennemie». Ces mots résonnent particulièrement aujourd’hui. Dans un contexte où, de la même manière, les victimes de la police sont méprisées et ignorées par la justice, et d’autant plus lorsqu’elles sont racisées et issues des classes populaires. La justice a depuis toujours le rôle de défendre l’ordre établi et le pouvoir en place… ne nous faisons aucune illusion, il s’agit de perpétrer un système colonial jusque dans nos quartiers.
Il faut également rappeler que si les faits datent de 1957, il a fallu attendre 1980 pour que des investigations à l’initiative de journalistes militant-es soient lancées sur les actes criminels commis par Le Pen. C’est ainsi après les premiers succès du Front National aux élections européennes, dans les années 80, que quelques journalistes, notamment Louis-Marie Horeau du Canard Enchaîné et Lionel Duroy de Libération, sont allés fouiller le passé criminel de Jean-Marie Le Pen. Celui-ci a alors saisi les tribunaux en diffamation contre ceux qui tentaient de faire la lumière sur les actes criminels du tortionnaire. Procès qu’il gagne, puisque les faits étaient déjà amnistiés et prescrits.
La justice avait déjà tout mis en place pour garantir l’impunité des crimes coloniaux. C’est à partir de la fin des années 90-2000 que des magistrats font timidement volte-face dans les derniers procès en diffamation de Le Pen, reconnaissant «la bonne foi», «le sérieux» et «la crédibilité» de l’enquête de Florence Beaugé dans le Monde, jugeant ainsi que les propos accusant Le Pen d’être tortionnaire n’étaient pas diffamatoires. Autrement dit, la justice avouait pudiquement la véracité des actes criminels reprochés au champion du Front National. Sans pour autant engager la moindre poursuite.
Malgré le recueil précieux de ces témoignages accablants, ceux-ci continuent d’être niés, y compris sur des médias du service public.
Le silence règne sur les actes criminels de la France et de ses soldats en Algérie. Le Pen tortionnaire est la mauvaise conscience de la République française, coloniale et raciste. Les témoignages de victimes sont étouffés. Ce sont pourtant des victimes de crimes de masse, d’actes de tortures et de barbarie. Voilà ce dont la France et ses soldats sont coupables. Ne l’oublions pas : une partie de la classe politique s’inscrit dans cet héritage.
Contrairement à l'Indochine, le FLN avec en face 500000 soldats français pour 9 millions de musulmans ne cherchait pas une victoire militaire mais cherchait plus des coups d’éclat qui permettront une victoire politique et cette dernière a été totale. Sinon, Ait Ahmed est parti en Suisse et non en France. Pour la gestion post-indépendance, il faut dire aussi qu'il y avait un grave manque de ressources humaines. Apres 132 ans de colonisation, il n y avait que 2 architectes pour toute l’Algérie en 62. Le pays commençait presque tout de zero.
L'ALGERIE 2/3 - Houari Boumédiène
Errata : 1) Sécurité Militaire (et non pas DRS bien sûr), dirigée par K. Merbah. 2) "L'interdiction de l'alcool" est plutôt une interdiction théorique avec octroi de licences de vente d'alcool réservés aux anciens combattants et leurs veuves. Il y eut également des arrachages massifs de vignobles pour motifs économiques avec la sympathie des autorités religieuses.
L'ALGERIE 3/3 : La guerre civile
Que s'est-il passé sous la présidence de Chadli ? Comment s'est organisée la résistance du Front Islamique du Salut ? Quels ont été les événements les plus marquants de la guerre civile ? Comment Bouteflika a-t-il mis fin à la tension au sein de la société algérienne ? L'Etoffe d'un Chef vous explique tout sur les grands chefs d'Etat du XXe siècle.
Histoire de l'Algérie 1965 - 1971
L’histoire du jeune Etat Algérien, dans la décennie qui a suivi la guerre d’indépendance, est marquée par le coup d’Etat de 1965 qui provoqua le renversement de Ben Bella, et son remplacement par Boumediene. L’historienne Malika Rahal est questionnée, dans ce film du CHS réalisé par Jeanne Menjoulet, sur l’impact de ce coup d’Etat dans une période, « les années 1968 », marquée par l’effervescence étudiante, la contestation, et les luttes de libération, dans le monde entier. Si le renversement de Ben Bella ne donna pas lieu à une forte contestation en Algérie, cette opposition fut néanmoins importante dans le milieu étudiant algérien (sous l’influence de son syndicat l’UNEA), ainsi que dans les mouvances proches du parti communiste algérien et de la gauche du FLN. Malika Rahal montre de quelle façon Boumediene, après avoir est exercé une répression impitoyable sur les contestataires (emprisonnements, torture), est parvenu à rallier la jeunesse étudiante algérienne à son régime, en plusieurs étapes. A l’occasion notamment de ses prises de position lors de la guerre des 6 jours en 1967, de la mise en place d’un service national de la jeunesse, ou de l’organisation du festival Panafricain de 1969. Dans ce documentaire, des images d’archives et témoignages d’un ancien étudiant à Alger(Boussad Ouadi), d’une ancienne organisatrice du festival Panafricain (Elaine Klein Mokhtefi).et d’une ancienne militante des Black Panthers présente à Alger en 1969 (Kathleen-Neal-Cleaver).illustrent les paradoxes de cette contestation étudiante qui s’inscrit à la fois dans les mouvements de contestation des années 1968 et dans les années post-indépendance, marquées par le sentiment national et les mouvements de libération et d’affirmation des pays « non alignés », ayant récemment gagné leur indépendance. Comme le conclut l’historienne, « d’une certaine façon, 68, c’est l’enfant de 62 ». Cette connexion entre les indépendances africaines et les années 1968 ainsi que l’émergence des femmes ou le rôle des circulations sont par ailleurs soulignés par Pierre Guidi, Françoise Blum et Ophélie Rillon, qui ont codirigé l’ouvrage « Etudiants Africains en mouvements, contribution à une histoire des années 1968 » (dont le chapitre consacré à l’Algérie a été écrit par Malika Rahal). Quelques thématiques du livre collectif - qui étudie les années 1968 dans la diversité des pays africains - sont présentées en fin de documentaire.
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