«Je n’ai rien à cacher. J’ai torturé parce qu’il fallait le faire». Ce sont les mots de Jean-Marie Le Pen en 1962, dans le journal Combat.
Oui, Le Pen, fondateur du Front National et père de la double finaliste des dernières élections présidentielles est un tortionnaire. Il est coupable de crimes contre l’humanité au sens du droit international. De nombreux témoignages confirment que le parrain de l’extrême droite française a bien commis des actes de torture et de barbarie ignobles, jusqu’au meurtre, sur des personnes algériennes en 1957 lors de la Guerre d’Algérie.
Cette déclaration, prononcée au lendemain des accords d’Évian et au passage de lois amnistiant tous les crimes et délits en relation avec «les événements d’Algérie», cette déclaration est accablante. Les nombreux témoignages recueillis lors des dernières décennies le sont aussi. Personne ne peut le nier… et pourtant, 60 ans plus tard, dans la classe politique comme dans les médias du service public, on continue de nier la culpabilité du fondateur du FN. Pire, lorsque Le Pen, désormais nonagénaire, a fait un malaise au mois de mai dernier, tous les médias se sont précipités à son chevet, s’inquiétant de sa santé, interrogeant sa fille, comme s’il s’agissait d’une personnalité populaire et appréciée.
Une série d’articles de Médiapart revient ainsi sur le passé criminel du fondateur du Front National. Un passé qu’on tente, depuis des décennies, d’invisibiliser.
Concrètement, de nombreux témoignages de victimes et de témoins oculaires attestent des exactions commises précisément par Jean-Marie Le Pen. Celui-ci est resté 3 mois en Algérie en 1957, pendant lesquels sa mission est de se «rendre au domicile de “suspects”, accompagné d’une escouade de parachutistes» pour y procéder à “une arrestation” qui a tout d’un enlèvement». Les familles pouvaient ensuite rester sans nouvelle pendant des mois, des années, voire pour toujours. Les victimes, enlevées, subissaient ensuite «des interrogatoires». Les témoignages font part de violences insoutenables, des récits de torture sont difficilement supportables. Médiapart livre ainsi les récits recueillis en avril 2002 par la journaliste du Monde Florence Beaugé.
La nuit du 2 février 1957, Abdelkader Ammour, 19 ans est torturé, dénudé, «des électrodes sont placées sur ses seins et son sexe. Puis il doit ingérer de force de grandes quantités d’eau sale. C’est Le Pen, assis sur lui, qui commande la torture. Une voisine, Saliha Meziane, dont le mari fait partie des torturés dans cette maison, raconte à la journaliste que les hommes suppliciés hurlaient «comme des loups». Le viol d’une femme de la maison est rapporté.
Dans la même nuit, Mustapha est également torturé par Le Pen, alors appelé «lieutenant Marco» : «ingestion d’eau sale, puis torture au moyen d’un sommier métallique électrifié par ses soins. Enfin, pistolet sur la tempe, il subit un simulacre d’exécution». Il sera de nouveau torturé le lendemain ainsi que son père. «Après quelques semaines, ce dernier et quatre autres prisonniers, selon Mustapha Merouane, sont exécutés et leur corps sans doute «brûlé».
Au matin du 3 mars 1957, Mohamed Cherif Moulay, 12 ans, découvre un poignard oublié dans la maison familiale, à Alger. L’un des parachutistes français qui a enlevé et torturé son père, Ahmed, avant de l’exécuter, a fait tomber l’objet lors de sa venue. L’enfant cache la pièce à conviction, que les parachutistes ne retrouvent pas malgré plusieurs fouilles. Il s’agit d’un couteau des Jeunesses Hitlériennes. Sur le fourreau de ce poignard, le propriétaire a fait graver son nom. On peut lire : J. M. Le Pen, 1er REP.
Début février, Mohamed Abdellaoui, 27 ans, sera également «torturé à l’eau et à l’électricité par Le Pen», ainsi qu’Ahmed Korichi, le 10 février. Celui-ci témoignera dès 1985 devant la justice lors du procès intenté par le tortionnaire fasciste contre le Canard Enchaîné. Ou encore Boukhalfa Hadj, «torturé à l’électricité, à l’eau, on lui enfonce les yeux dans les orbites, ce qui le laissera quasi aveugle, et on lui casse les doigts».
Ali Rouchaï. Mohamed Louli.Lakhdari Khelifa. Rachid Bahriz. Ahmed Moulay. Abdenour Yahiaoui. Ahmed Bouali ben Ameur. Des noms que nous nous devons de ne pas oublier. Des noms parmi tant d’autres… Mais qui méritent que justice soit rendue. Rappelons que Le Pen a aussi servi dans une autre guerre coloniale sanglante, en Indochine, où il a probablement commis d’autres exactions.
Les témoignages de victimes algériennes, nombreux et cohérents, qui décrivent les actes de barbarie dont Le Pen est coupable, ne cessent pourtant d’être remis en cause, sans aucune justification concrète. Une suspicion permanente sur la véracité de ces récits, comme si l’on refusait d’accepter simplement les faits : Jean-Marie Le Pen a bien torturé des personnes algériennes et a bénéficié d’une impunité totale, jusqu’à arriver jusqu’au second tour des élections présidentielles en 2002. Tout en réussissant à implanter sa famille dans le paysage politique depuis des décennies. Famille qui, dans la droite ligne du patriarche, ne cesse de répandre des discours de haines racistes, sexistes et LGBTphobes, jusqu’à réussir à les normaliser dans l’espace public.
Ces tentatives de dissimulation s’inscrivent dans un contexte global d’oubli complice des faits gravissimes que les français ont commis en Algérie. «La parole algérienne reste pour certains illégitime par nature et a priori suspecte d’affabulation. Il en allait ainsi à l’époque coloniale, quand la justice française en Algérie enterrait systématiquement les plaintes algériennes ou que la presse les ignorait de peur de paraître alimenter la propagande ennemie». Ces mots résonnent particulièrement aujourd’hui. Dans un contexte où, de la même manière, les victimes de la police sont méprisées et ignorées par la justice, et d’autant plus lorsqu’elles sont racisées et issues des classes populaires. La justice a depuis toujours le rôle de défendre l’ordre établi et le pouvoir en place… ne nous faisons aucune illusion, il s’agit de perpétrer un système colonial jusque dans nos quartiers.
Il faut également rappeler que si les faits datent de 1957, il a fallu attendre 1980 pour que des investigations à l’initiative de journalistes militant-es soient lancées sur les actes criminels commis par Le Pen. C’est ainsi après les premiers succès du Front National aux élections européennes, dans les années 80, que quelques journalistes, notamment Louis-Marie Horeau du Canard Enchaîné et Lionel Duroy de Libération, sont allés fouiller le passé criminel de Jean-Marie Le Pen. Celui-ci a alors saisi les tribunaux en diffamation contre ceux qui tentaient de faire la lumière sur les actes criminels du tortionnaire. Procès qu’il gagne, puisque les faits étaient déjà amnistiés et prescrits.
La justice avait déjà tout mis en place pour garantir l’impunité des crimes coloniaux. C’est à partir de la fin des années 90-2000 que des magistrats font timidement volte-face dans les derniers procès en diffamation de Le Pen, reconnaissant «la bonne foi», «le sérieux» et «la crédibilité» de l’enquête de Florence Beaugé dans le Monde, jugeant ainsi que les propos accusant Le Pen d’être tortionnaire n’étaient pas diffamatoires. Autrement dit, la justice avouait pudiquement la véracité des actes criminels reprochés au champion du Front National. Sans pour autant engager la moindre poursuite.
Malgré le recueil précieux de ces témoignages accablants, ceux-ci continuent d’être niés, y compris sur des médias du service public.
Le silence règne sur les actes criminels de la France et de ses soldats en Algérie. Le Pen tortionnaire est la mauvaise conscience de la République française, coloniale et raciste. Les témoignages de victimes sont étouffés. Ce sont pourtant des victimes de crimes de masse, d’actes de tortures et de barbarie. Voilà ce dont la France et ses soldats sont coupables. Ne l’oublions pas : une partie de la classe politique s’inscrit dans cet héritage.
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