S’il est un moment bien oublié de l’histoire de la guerre de Libération nationale, c’est assurément l’action menée par la cellule FLN d’Es-Sénia (Oran) contre un avion d’Air France qui effectuait la liaison entre Oran et Paris.
J’exprime ici toute ma reconnaissance à Mohamed Fréha qui, il y a quelques années déjà, avait attiré mon attention sur cet événement, alors hors champ historique, personne n’en avait fait mention. En effet, ni le récit national, ni les historiens, ni les journalistes n’ont évoqué «l’explosion en plein vol d’un avion commercial d’Air France !». Mohamed FREHA est bien le seul. Dans son ouvrage J’ai fait un choix, (Editions Dar el Gharb 2019, tome 2) il lui consacre sept pages. Ses principales sources étaient la mémoire des acteurs encore en vie, celle des parents des chouhada et la presse d’Oran de l’époque, (L’Echo d’Oran en particulier). Les archives du BEA (Bureau d’enquêtes et d’analyses pour la sécurité de l’aviation civile), Fonds : Enquête sur les accidents et incidents aériens de 1931 à 1967 et plus précisément le dossier Accidents matériels de 1957 intitulé à proximité de Clermont-Ferrand (Puy-de-Dôme), Armagnac (F-BAVH) 19 décembre 1957, conservées aux Archives nationales de France, ne sont pas encore consultables. Qu’en est-il des archives de la Gendarmerie française ? Qu’en est-il de celles de la Justice civile et militaire là-bas dont celles des Tribunaux permanents des forces armées (TFPA). Et ici ? Et chez nous ? Il reste à retrouver et travailler les minutes du procès.
C’est ainsi que le jeudi 19 décembre 1957, à 14 heures, affrété par Air France, un quadrimoteur « Armagnac SE » numéro 2010, immatriculé F-BAVH appartenant à la Société auxiliaire de gérance et transports aériens (SAGETA), avait quitté l’aéroport d’Oran-Es-Sénia pour Paris qu’il devait atteindre vers 20 heures. A 18 heures 15, il fut brusquement détourné vers Lyon alors qu’il survolait Clermont-Ferrand. Une déflagration venait de se produire à l’arrière de l’avion au niveau du compartiment toilettes. Selon le témoignage d’un passager, la vue des stewards et hôtesses de l’air, qui couraient dans l’allée centrale vers la queue de l’appareil avec des extincteurs à la main, inspira un moment d’inquiétude. Le vol se poursuivit normalement malgré une coupure d’électricité et la baisse soudaine de la température dans la cabine.
Un petit travail de recherches nous apprend que l’aéronef, l’Armagnac SE, avait une excellente réputation de robustesse. Il était le plus grand avion de transport français jamais construit à ce jour et avait la réputation d’avoir «servi à de très nombreux vols entre Paris et Saïgon (actuellement Ho-Chi-Minh-Ville) lors de la guerre d’Indochine, principalement dans le rapatriement des blessés et des prisonniers». A-t-il été repéré et choisi pour cela ?
Il n’en demeure pas moins que le commandant de bord décida alors de se poser à l’aéroport de Lyon-Bron, rapporte le journaliste du Monde (édition datée du 21 décembre 1957). Toujours selon le commandant de bord : «La robustesse légendaire de l’Armagnac nous a sauvés, car d’autres appareils dont la queue est plus fine auraient certainement souffert davantage ». Une photographie montre bien cette brèche de deux mètres carrés.
Débarqués, les passagers comprennent qu’ils ne sont pas à Orly et l’un d’entre eux remarque une « grande bâche qui recouvre le flanc droit du fuselage ». Ils apprennent qu’ils sont à Lyon et qu’il y avait eu une explosion dans l’arrière de l’avion. Ils sont tous interrogés par les enquêteurs de la police de l’Air. L’hypothèse d’un accident technique est écartée et celle d’une action (un attentat, disent-ils) du FLN s’impose, ce qui provoque l’intervention des agents du SDECE. Et pour cause, c’est bien une bombe qui avait explosé.
Mais il y avait aussi le fait que cet avion transportait 96 passagers et membres d’équipage parmi lesquels 67 étaient des militaires de tous grades, venus en France pour les fêtes de Noël. L’enquête reprend à l’aéroport d’Es-Sénia qui se trouvait, à cette époque encore, au sein d’une base de l’armée de l’Air. Elle est confiée dans un premier temps à la gendarmerie d’Es-Sénia et s’oriente vers le personnel civil algérien, femmes de ménage comprises. Mais les soupçons se portent vers les bagagistes qui étaient dans leur grande majorité des Algériens. Elle aboutit à la découverte d’une cellule FLN à Es-Sénia à laquelle appartenaient, entre autres, des bagagistes.
Dans son récit construit sur la base des témoignages, Mohamed Fréha nous donne des noms et un narratif assez détaillé de l’action de ces militants. Le chef de l’Organisation urbaine FLN d’Oran avait transmis à un membre de la cellule dormante d’Es-Sénia, un ordre du chef de Région. Ils devront exécuter «une action armée spectaculaire.» Lors d’une réunion, le 15 décembre, la décision fut prise de «détruire un avion de ligne en plein vol». Mais il fallait «trouver une personne insoupçonnable de préférence avec un faciès européen». Ce fut un Européen, Frédéric Ségura, militant du Parti communiste, bagagiste à l’aéroport. Mohamed Fréha nous donne six noms des membres de la cellule auxquels il ajoute un septième, Frédéric Ségura. Madame Kheira Saad Hachemi, fille d’Amar Saad Hachemi el Mhadji, condamné à mort et exécuté pour cette affaire, nous donne treize noms dont celui de F. Ségura et présente un autre comme étant le chef du réseau. Ce dernier n’est pas cité par Mohamed Fréha.
Lorsque les militants du réseau avaient été arrêtés l’un après l’autre suite à des dénonciations obtenues après de lourdes tortures, Frédéric Ségura, qui avait placé la bombe, est torturé et achevé dans les locaux de la gendarmerie. Selon un policier algérien présent lors de l’interrogatoire, Ségura n’avait donné aucun nom. «Je suis responsable de mes actes !» avait-il déclaré à ses tortionnaires du SDECE. Son corps n’a jamais été retrouvé. Après l’indépendance, le statut de martyr lui fut certes reconnu, mais son sacrifice n’est inscrit nulle part dans l’espace public d’Es-Sénia. Rien non plus sur cette action. La mémoire est impitoyable quand elle est courte et qu’elle laisse la place à l’oubli. Quant au chef de la cellule, Lakhdar Ould Abdelkader, il aurait trouvé la mort au maquis.
Lors du procès, fin mai 1958, Amar Saad Hachemi el Mhadji, gardien de nuit à l’aéroport, fut condamné à mort et guillotiné le 26 juin 1958. Il avait introduit la bombe, crime impardonnable. Dehiba Ghanem, l’artificier, qui avait fabriqué la bombe artisanale, fut condamné à la prison à perpétuité. Les quatre autres impliqués, Kermane Ali, Bahi Kouider, Zerga Hadj et Salah Mokneche, furent condamnés à de lourdes peines de prison. Quant aux quatre autres, la justice a condamné trois à des peines légères et en a acquitté un. Non seulement ils étaient dans l’ignorance de ce qui leur était demandé (transporter la bombe ou la cacher dans leur local) mais de plus ils n’étaient pas membres de la cellule FLN. Des questions restent en suspens faute d’avoir accès aux archives : l’avion a-t-il été choisi à dessein, à savoir le fait qu’il transportait des militaires ? L’objectif était-il vraiment de donner la mort aux passagers ? Sur cette question, Mohamed Fréha rapporte que, réprimandé par sa hiérarchie, l’artificier répondit : « Non seulement que le dosage n’était pas conforme à la formule, mais également la poudre utilisée était corrompue par l’humidité».
Pourtant, Le correspondant du Monde à Lyon avait alors écrit : «Des dernières portes de la cabine jusqu’à la cloison étanche, le parquet était éventré. Il s’en fallait d’une dizaine de centimètres que les gouvernes n’eussent été touchées, ce qui eut entraîné la perte du quadrimoteur». Enfin et curieusement, le passager avait conclu son témoignage en établissant un lien avec un autre événement survenu une année plus tôt: «Réagissant à la piraterie de la «France coloniale» le 22 octobre 1956, lorsqu’un avion civil qui conduisait Ahmed Ben Bella du Maroc à la Tunisie, en compagnie de Mohamed Boudiaf, Hocine Aït Ahmed, Mohamed Khider et Mostefa Lacheraf est détourné par les forces armées françaises, le FLN voulait une réciprocité spectaculaire».
Spectaculaire ? C’est bien ce qu’avait demandé le chef FLN de la Région. L’action le fut et à un point tel qu’aujourd’hui rares sont ceux qui croient qu’elle a vraiment eu lieu. Il est triste de constater que cette opération qui a causé la mort de deux militants : Frédéric Ségura et Amar Saad Hachemi, n’est inscrite ni dans notre récit national ni dans la mémoire locale. Il nous faut visiter le musée créé par Mohamed Fréha au boulevard Emir Abdelkader à Oran pour y trouver des traces. Ces martyrs et leurs frères du réseau d’Es-Sénia méritent la reconnaissance de la Nation. Peut-être alors que leurs frères d’Es-Sénia et d’Oran leur rendront hommage à leur tour. Inch’a Allah !
par Fouad Soufi
Sous-directeur à la DG des Archives Nationales à la retraite - Ancien chercheur associé au CRASC Oran
Les historiens réclament l’ouverture des archives sur les « sections des grottes » de l’armée française pendant le conflit après l’enquête de la revue « XXI ».
Une colonne de l’armée française se prépare à entrer dans le maquis de la région de Tlemcen, en avril 1956. JACQUES GREVIN / AFP
Le dossier fait partie des secrets encore bien gardés de la guerre d’Algérie. De 1956 à 1961, l’armée française a utilisé à grande échelle des gaz toxiques contre des combattants nationalistes algériens dissimulés dans des grottes, un aspect du conflit sous-documenté en raison d’un accès verrouillé aux archives.
Dans une enquête publiée dans la revue trimestrielle XXI (tome 58 paru le 1er avril), la journaliste Claire Billet publie des témoignages inédits d’anciens militaires français racontant leur rôle dans les « sections des grottes » mobilisées contre les abris souterrains de l’Armée de libération nationale (ALN). Parmi les « armes spéciales » – euphémisme alors en vigueur – figurent des grenades, chandelles et roquettes chargées de gaz de combat, notamment le CN2D, contenant de la DM (diphénylaminechlorarsine). Produit chimique toxique, cette dernière provoque l’irritation des yeux, des poumons et des muqueuses, ainsi que des maux de tête, des nausées et des vomissements.
Ces gaz sont des incapacitants non létaux dont la finalité était de déloger les combattants algériens de leurs caches, mais ils peuvent devenir mortels en milieu clos, un cas de figure qui s’est révélé être courant après le dynamitage des entrées de grottes.
Evoquant une opération en 1959 à Tolga, à 150 kilomètres au sud-ouest de Batna (massif de l’Aurès), un ancien militaire, Jean Vidalenc, 85 ans, interrogé par Claire Billet dans son village du Cantal raconte ainsi avoir allumé un « pot de gaz » dans un réduit où il affrontait une unité de l’ALN. Le lendemain, « dix cadavres » ont été découverts. « On a gazé les Algériens », précise-t-il. La méthode évoque les « enfumades » de 1844-1845 pratiquées par le corps expéditionnaire français durant la conquête de l’Algérie contre les résistants fidèles à l’émir Abdelkader.
« L’un des derniers grands tabous »
L’épilogue meurtrier de l’opération ponctuelle mentionnée par Jean Vidalenc laisse entrevoir le bilan global de cette « guerre des grottes » qui demeure toutefois inconnu en raison de l’inaccessibilité des archives militaires françaises sur cet aspect du conflit. L’échelle de ces offensives se devine aussi au témoignage d’un autre militaire (présenté sous son seul prénom d’« Yves »), 86 ans, qui avoue avoir participé à 95 opérations à titre personnel.
Leur létalité ne se limitait pas aux combats proprement dits. Elle se prolongeait bien après car le gaz était également injecté dans le but de rendre les grottes inutilisables sur la durée, le CN2D restant accroché aux parois et exposant donc tout futur visiteur. « On est des beaux dégueulasses !, déclare « Yves » à XXI. On aurait dû dévoiler tout ça avant. Parce que combien de civils ont dû retourner dans les grottes, hein ? Les gosses et tout ça ? »
« La “guerre des grottes” demeure un impensé de la guerre d’Algérie, l’un des derniers grands tabous », a observé l’historien Christophe Lafaye, spécialiste de l’emploi des armes chimiques dans les conflits de la décolonisation, lors d’une conférence de presse tenue le 7 avril au siège de la Ligue des droits de l’homme à Paris, en compagnie de Gilles Manceron, historien de la colonisation française, Claire Billet, signataire de l’article de XXI, et Pierre Mansat, président de l’association Josette-et-Maurice-Audin.
Cette « guerre des grottes » avait été conçue par l’état-major des armes spéciales du ministère des armées, afin d’achever de « neutraliser » les combattants d’une ALN qui « s’était enterrée » pour échapper au rouleau compresseur des offensives de l’armée française, a rappelé M. Lafaye.
Création d’une unité spéciale
Une unité avait été créée dès fin 1956 : la batterie des armes spéciales (BAS) du régiment d’artillerie antiaérienne (411e RAA). A partir de 1959, le général de Gaulle généralise ces « sections des grottes » et les unités de la BAS participent à la formation d’une multitude de sections à travers l’Algérie. « L’objectif était de réduire les grottes, de faire des prisonniers pour obtenir des renseignements et de neutraliser l’utilisation des grottes pour un temps », a-t-il ajouté.
Le recours à ces gaz de combat est interdit par le protocole de Genève dont la France est signataire depuis 1925. Le texte prohibe « l’emploi à la guerre de gaz asphyxiants, toxiques ou similaires et de moyens bactériologiques ». La France n’étant alors pas officiellement « en guerre », elle a estimé ne pas avoir à le respecter. Le secret n’en a pas moins été jalousement gardé.
Aussi, la publication de l’enquête de XXI a-t-elle relancé le débat sur l’accès aux archives, lequel demeure entravé sur des sujets aussi sensibles malgré les avancées impulsées par la publication en janvier 2020 du rapport de l’historien Benjamin Stora. « Alors que les derniers témoins disparaissent, il est temps d’écrire cette histoire, a lancé Christophe Lafaye. Il faut ouvrir les archives sur la guerre des grottes. »
La consultation des journaux de marche des « sections des grottes » permettrait notamment, selon l’historien, d’« établir une cartographie » et « retrouver les sites où les corps sont ensevelis », ce qui permettrait d’« avancer sur la question des portés disparus algériens de cette guerre ». Tout comme la lumière pourrait être faite sur certains des 650 militaires français également disparus durant la guerre, en particulier ceux qui ont péri après avoir été piégés dans les grottes ou, prisonniers de l’ALN, y ont été exécutés.
L’obstacle du secret-défense
Or, les vieux réflexes ont la vie dure. Selon XXI, un historien militaire de carrière – appelé dans l’article « le colonel » – qui avait eu l’autorisation de consulter les documents du Service historique de la défense (SHD) de Vincennes dans le cadre de sa thèse de doctorat, a ainsi été l’objet de tracasseries fin 2019. Il a reçu la visite d’agents de la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) qui ont perquisitionné son appartement et son lieu de travail et saisi son matériel informatique.
« Le colonel » travaillait notamment sur les « sections des grottes ». L’incident s’inscrivait dans une subite crispation administrative sur la recherche historique relative à des sujets couverts par le secret-défense en vertu d’une instruction générale interministérielle (IGI-1300) datant de 2011. Cette dernière imposait une déclassification « au feuillet », soit une procédure très laborieuse. Son application est devenue soudain draconienne, alors que la pratique avait été jusqu’alors plutôt laxiste.
Ainsi a démarré en 2020 la fronde des historiens et des archivistes contre ce durcissement de l’accès aux archives à rebours des promesses d’Emmanuel Macron alors engagé dans son entreprise de « réconciliation mémorielle » sur la guerre d’Algérie. Début juillet 2021, le Conseil d’Etat annulait l’essentiel de la controversée IGI-1300, une victoire saluée par la communauté des historiens. Et le 30 juillet, le Parlement adoptait une loi relative à la prévention d’actes de terrorisme et au renseignement (loi dite PATR) qui rendait la déclassification automatique.
Toutefois, le secret-défense continuera de verrouiller, pour une période allant jusqu’à 100 ans, quatre domaines : les sites sensibles (pénitentiaires, nucléaires, hydrauliques), les matériels de guerre, les techniques de renseignement et les moyens de dissuasion nucléaire, s’ils sont toujours opérationnels.
Des cartons mystérieusement disparus
Or, la permanence de ces exceptions entrave toujours potentiellement la recherche sur la « guerre des grottes » si l’on estime que le gaz relève d’un « matériel de guerre » toujours opérationnel. En outre, une autre disposition inscrite dans le code du patrimoine révisé en 2008 bride l’accès aux archives. Ces dernières sont en effet tenues pour incommunicables si elles devaient diffuser des informations « permettant de concevoir, fabriquer, utiliser ou localiser des armes nucléaires, biologiques et chimiques ».
Cette clause du code patrimoine a été précisément opposée à Christophe Lafaye par le SHD de Vincennes en septembre 2021 lorsqu’il a demandé à consulter des documents sur l’usage des « armes spéciales » pendant la guerre d’Algérie. Et lorsqu’il a obtenu un feu vert sur des documents, on lui a signifié que certains cartons avaient mystérieusement disparu des réserves.
« Je ne pense pas qu’il y ait un grand complot pour fermer ces archives, relativise-t-il. Mais il y a des résistances, il y a des peurs. » « Cette question interdite nourrit les fantasmes et les théories farfelues, ajoute-t-il. Il faut avoir le courage de regarder cette histoire en face, ne serait-ce que pour ne plus jamais reproduire les erreurs du passé et mieux comprendre ce qu’étaient réellement les guerres coloniales. »
Plaque commérative en hommage aux victimes de la répression de la manifestation du 14 juillet 1953
Les célébrations du 14 juillet, fête nationale française, mais aussi jour anniversaire de la prise de la Bastille, ont pu avoir des significations différentes au cours de l’histoire. Le 14 juillet 1953, une manifestation coorganisée par le PCF, la CGT, et le mouvement indépendantiste algérien MTLD va être noyée dans le sang par la police française.
14 juillet 1953 : une manifestation est organisée à Paris, appelée par la CGT, le PCF, mais aussi par les indépendantistes du Mouvement pour le Triomphe des Libertés Démocratiques (MTLD), qui représentent une forme de nationalisme de gauche et promeuvent une réforme agraire profonde et la nationalisation des secteurs clés de l’économie algérienne. Syndicalistes et communistes entendent y célébrer les valeurs égalitaires de la République, ainsi que le symbole révolutionnaire que représente l’anniversaire de la prise de la Bastille, acte fondateur de la Révolution Française. D’autres éléments expliquent la reprise des symboles nationaux par le PCF et la CGT : revalorisation de la notion de République, opposée au fascisme pendant la période du Front Populaire puis de la Résistance, affirmation de l’indépendance nationale française face à un impérialisme américain qui s’affirme très nettement dans un contexte de guerre froide avec l’URSS. Le MTLD entend lui aussi célébrer ces même valeurs, et les réinvestir au profit de son projet politique d’indépendance de la colonie algérienne.
On se situe dans des années où le rapport qu’entretient un mouvement communiste français très influent au sein de la CGT avec les velléités d’indépendance de certaines fractions du peuple algérien est complexe.
Le PCF, principal parti à porter des thématiques anti coloniales dans l’espace politique français depuis son opposition à l’invasion du Maroc et à la tenue des expositions coloniales au début du siècle, alors que la SFIO s’attache à apporter les « lumières » d’un socialisme à la française aux colonisés, percevait en 1936 l’Algérie comme une nation en formation. Pourtant, les soulèvements contre l’autorité coloniale de Sétif et de Guelma en 1945 seront vivement condamnées : le PCF appelle « provocateurs » les émeutiers, renvoi dos à dos les insurgés et les autorités, et certains de ses membres iront jusqu’à participer aux milices en charge de la répression à Guelma. Deux ans après, en 1947, les évolutions institutionnelles votées à l’assemblée seront condamnées comme trop conservatrices, alors qu’un contre projet est porté aux côtés des nationalistes algériens de l’Union Démocratique du Manifeste Algérien : une république démocratique et sociale algérienne, unie à la France sur le mode du fédéralisme au sein d’une Union Française.
Les événements qui suivront la manifestation du 14 juillet 1953, et qui marqueront les premières années de la guerre d’Algérie, viendront confirmer ces ambivalences. Les premières actions armées du FLN algérien seront condamnées par le PCF, qui appuie à cette occasion les revendications indépendantistes, tout en dénonçant les modes d’action mis en œuvre, là où une extrême-gauche libertaire nettement plus marginale opte pour un soutien critique et actif, et où la SFIO persiste dans sa ligne visant à maintenir l’Algérie française, avec une meilleure assimilation des autochtones. Un fort soutien sera apporté par le PCF au Parti Communiste Algérien, qui a rejoint la lutte armée des nationalistes.
Arrivé place de la Nation, après de brefs affrontements entre forces de l’ordre et manifestants et un discours en tribune de l’abbé Pierre et du dirigeant communiste Marcel Cachin, le défilé va pour se disperser. C’est à ce moment que, sans aucune sommation ni notable regain de tension, la police ouvre le feu. Abdelkader Draris, Mouhoub Illoul, Maurice Lurot, Amar Tadjadit, Larbi Daoui, Tahar Madgène, Abdallah Bacha : six ouvriers algériens indépendantistes et un militant cégétiste affilié au PCF seront tués, quand cinquante autres manifestants, d’après un bilan préfectoral controversé, principalement des algériens, seront blessés par balle, avec quinze policiers atteints par des armes de fortune dans les affrontements.
Dans la foulée sera organisée une marche funèbre au cours de laquelle des milliers de militants accompagnent les dépouilles des victimes jusqu’au cimetière du Père-Lachaise, après l’exposition de leurs corps à la Maison des Métallos de Paris pour un dernier hommage. Parti Communiste et Secours Populaire se chargeront de soutenir matériellement et moralement les familles des défunts dans les années suivantes.
Les autorités tentent de faire passer la manifestation pour une émeute déguisée, ce qu’Emmanuel Blanchard qualifie de « mensonge d’État ». Même si dans un premier temps aucune enquête n’est prévue sur les tirs policiers, un procès aboutit à un non-lieu le 22 octobre 1957, confirmé en appel le 23 janvier 1958.
Rencontre avec Antar Ghiri, 80 ans et Rachida Benghanem, 83 ans. Des cousins originaires de Sétif arrivés en France à la fin des années 1950. Le 5 juillet 1962, ils ont vécu la proclamation de l’indépendance de l’Algérie dans le Val de Marne, après des années de lutte et de résistance du peuple algérien. 60 ans plus tard, ils racontent avec émotion. Récit de vie.
Contrairement à certains, Antar a envie de parler de l’histoire de l’Algérie, son histoire à lui aussi, malgré les douleurs. C’est d’ailleurs plutôt celle du silence qui l’atteint le plus. « J’ai des petits enfants qui ne me questionnent pas sur cela et cela me fait mal. Je ne leur dis rien car c’est comme si je me vantais, ça ne me plait pas. » On comprend qu’Antar ne cherche pas de reconnaissance, mais exprime la nécessité de transmettre. « C’est nécessaire qu’on me pose des questions, comme vous le faites aujourd’hui. Il faut transmettre certaines choses. Cela fait 60 ans, il y a des acteurs de cette époque qui sont décédés. »
C’est nécessaire qu’on me pose des questions, comme vous faites aujourd’hui. Il faut transmettre certaines choses.
Antar est né le 1er janvier 1942 en Algérie à Sétif. Orphelin de père et fils unique, Antar vivait avec sa mère. Il passe son enfance dans sa ville natale et va à l’école française, principalement fréquentée par des nord-africains. Rachida, sa cousine, est née à Sétif le 10 octobre 1939 mais a grandi à Alger.
En ce jour de juin 2022, la rencontre se fait dans un pavillon à Vitry-sur-Seine, chez la tante de Rachida. Installés dans le salon, ils se rappellent tous les trois des souvenirs d’autrefois. Contents que cet entretien leur permette de se retrouver. En bons Algériens, ils se chamaillent un peu, se contredisent sur certaines anecdotes dans une ambiance très conviviale. Rachida fait plus jeune que son âge. Malgré un caractère bien trempé, elle est stressée avant l’interview. Aux premières questions concernant la guerre, elle nous répond « demandez à Antar, il connait bien lui ». Antar est de taille moyenne, aux cheveux blancs. Derrière son masque, on aperçoit des yeux clairs qui disent souvent plus que les mots.
Antar et Rachida étaient ensemble. « On s’attendait à une issue favorable, on était optimistes mais tant que ce n’était pas fait on était sûrs de rien », se souvient Antar en parlant de la période entre les accords d’Evian qui marquent le cessez-le-feu (19 mars 1962) et le 5 juillet date officielle de l’indépendance de l’Algérie. « Le référendum du 1er juillet ayant déjà été acquis à la cause algérienne, c’était déjà un peu la fête », se remémore-t-il.
Nous avons fait une fête au foyer nord-africain d’Orly. Les femmes ont élaboré un couscous. Il y avait des festivités, des chants, de la danse au foyer.
Après 132 ans de colonisation et presque huit années de guerre, le jour d’indépendance tant attendu est enfin proclamé au début de l’été : « On était contents, on a eu la liberté !» raconte Rachida. « Nous avons fait une fête au foyer nord-africain d’Orly. Ils ont abattu un veau. Les femmes ont élaboré un couscous. Il y avait des festivités, des chants, de la danse au foyer. Mais pas dans la rue. On ne voulait pas de provocation quelconque », raconte Antar. Dans un climat emprunt d’oppression coloniale, les Algériens n’étaient pas en mesure de manifester leur joie ouvertement à l’annonce de l’indépendance, nous explique Antar. « Il y avait encore des restes de la guerre .»
Enfance en Algérie sous l’occupation française Ses premiers souvenirs de démonstration de force de l’occupant remontent à la grève des huit jours en 1957. Antar avait 15 ans. Dans un contexte de révolte populaire, tous les Algériens étaient appelés par le FLN à faire une grève générale, du 28 janvier au 4 février. La mobilisation avait pour but de porter à la connaissance du monde entier la cause algérienne et de montrer la mobilisation du peuple pour le FLN. Antar raconte le saccage par les forces de l’ordre des commerces détenus par les Algériens.
Encore écolier à cette époque, il avait également fait la grève comme tous les algériens. « Celui qui était commerçant devait fermer boutique, celui qui travaillait n’allait pas au travail. Il y a eu des rafles (organisées par l’armée française). Ils sont venus, ils ont embarqué surtout les personnes de sexe masculin pour faire des vérifications, ils nous ont gardé quelques jours et nous ont relâchés. »
A la suite de cet évènement, Antar quitte l’école pour aider sa mère financièrement. Il travaille avec un oncle au marché de Sétif. L’adolescent se débrouille en récupérant des os issus des restes des boucheries pour les chats. « Les clients me donnaient une piecette. »
Il se souvient également d’un attentat qui eut lieu sur le marché. A la suite de cette attaque « les militaires français ont encerclé un périmètre, ils nous ont tous emmenés dans cet endroit avec des barbelés. J’ai reçu un coup de crosse sur la tête. J’avais du sang qui coulait tout le long, personne ne se souciait de moi. Ils ont fait le contrôle d’usage et ils nous ont ensuite relâchés. J’avais à peine 17 ans, j’étais un gosse ! ».
Rachida, qui a grandi à Bab El Oued, qualifie son enfance de relativement correcte en comparaison aux conditions beaucoup plus pénibles de ses compatriotes algérois qui vivaient au sein de la Casbah. Son père sourd et muet, parlait la LSF apprise à l’école française et travaillait au Port d’Alger.
Une arrivée en France pour le travail Entre 1954 et 1962 le nombre de familles algériennes venant en Métropole augmente en raison du durcissement du conflit en Algérie et du manque de main d’œuvre en France notamment dans le secteur du BTP pour faire face aux besoins de reconstruction d’après guerre.
A son arrivée en Île-de-France en 1958, Rachida se marie. Son époux, M. Benghanem, arrivé en France à 13 ans, travaillait dans le chauffage en plus de la possession de l’hôtel qu’il met en gérance. Rachida et Antar le surnommait le «26 », numéro auquel était situé l’hôtel. Il servait aux militants du FLN pour les réunions et les transits d’argent entre autres.
Antar arrive à 17 ans, en 1959 avec sa mère à Lyon. Il y restera quelques mois et fera une formation pour apprendre le métier de carreleur. Rachida venait d’avoir son premier enfant mais elle avait aussi les 5 enfants du premier mariage de son mari dont elle devait s’occuper. La mère d’Antar quitte Lyon pour aider la jeune femme. Antar les rejoindra et y travaillera comme carreleur. Il habitera avec sa mère au « 26 ».
On avait un chien qui sentait de loin les policiers dès qu’ils arrivaient dans le quartier et il aboyait.
Rachida et son mari cachaient les réunions du FLN dans la cave de l’hôtel, surveillaient l’arrivée des policiers et déjouaient les rafles. Jamais les policiers ne parviennent à surprendre l’une de ces nombreuses réunions secrètes « On avait un chien qui sentait de loin les policiers dès qu’ils arrivaient dans le quartier et il aboyait. Les militants se dispersaient », raconte Rachida.
Quand ils faisaient des rafles chez elle, elle affirme ne pas avoir eu peur : « On n’avait pas de bousculades ou autres. Les policiers étaient corrects, ils cherchaient partout dans les chambres et ils partaient », contextualise Rachida.
Militer pour le FLN en France et en Algérie Le souvenir le plus douloureux que Rachida garde de la période de la guerre concerne sa famille restée en Algérie. « J’ai eu des nouvelles de mon frère, il avait pris le maquis. Il venait de Sétif à Alger. Il était militant. Je n’étais pas bien. Il a reçu des balles au pied et il a été emprisonné à Batna. » Comme il continuait à militer activement au sein de la prison avec d’autres prisonniers, il avait été placé à l’isolement. Nouvelle d’autant plus difficile pour Rachida qui n’avait pas de contact direct avec sa famille. Tout lui parvenait par les Algériens voyageant entre la France et l’Algérie. Son frère restera finalement emprisonné jusqu’à la fin de la guerre en 1962.
Pour Antar, capable de lire, écrire et s’exprimer parfaitement en français, chose rare à l’époque, son rôle au sein du FLN était évident et indispensable. « Comme j’avais un peu d’instruction, j’ai mis le pied à l’étrier », raconte Antar qui est devenu militant dès son arrivée à Choisy-le-Roi. « J’ai commencé comme responsable de cellule, j’avais deux personnes sous mes ordres. »
Mes missions consistaient à collecter les fonds, gérer la discipline. Il n’y avait jamais de scandales dans les cafés.
Il gravit ensuite les échelons et est devenu responsable de secteur pour une partie du Val de Marne, notamment les villes de Choisy le Roi, Vitry, Orly, Villeneuve- Saint- Georges. « Mes missions consistaient à collecter les fonds, gérer la discipline. Il n’y avait jamais de scandales dans les cafés. C’était géré minutieusement. Le comportement des compatriotes devait être exemplaire. »
La répression policière était constante et arbitraire sur les Algériens « Un soir j’étais avec un collègue on se baladait, il était environ 20 heures 30, le car de police se gare à côté de nous. Ils nous ont emmenés au commissariat et on a passé la nuit pas loin du Château de Vincennes. On a été relâchés le lendemain matin. Argenté ou pas vous êtes livré à vous-même » dit-il amèrement. Des conditions d’arrestation qui 60 ans après ne passent toujours pas.
Antar devait aussi transmettre les ordres venant de la hiérarchie aux algériens, comme pour les manifestations « pour le 17 octobre on avait reçu les ordres un jour et demi avant tellement c’était gardé secret ».
Le traumatisme du 17 octobre 1961 Le 17 octobre 1961, environ 30 000 algériens manifestent pacifiquement à l’appel du FLN pour protester contre le couvre-feu imposé aux « Français musulmans » dans la métropole. La répression policière du Préfet Papon fut sanglante. Des milliers d’algériens arrêtés, certains expulsés. On parle aujourd’hui de massacre, d’une centaine d’Algériens tués ou noyés dans la Seine.
Rachida se souvient d’une frayeur. « Le lendemain du 17 octobre 1961, les policiers sont venus et ont emmené mon mari jusqu’au dépôt de Saint-Michel pour l’expulser. Il y est resté pendant une semaine. Il s’est bien défendu, il parlait très bien le français. ». Rachida s’est rendu au point de détention, les jours qui ont suivi cette arrestation pour réclamer la libération de son mari. « Il a écrit une lettre et finalement ils l’ont relâché », raconte-t-elle.
J’avais 20 ans, je ne suis pas resté pour ne pas me faire attraper. Cela m’a marqué.
Antar lui était à la manifestation au point de rendez-vous « J’étais à Saint Michel ce soir là, tous ceux de Choisy devaient aller là-bas et j’ai vu une jeune femme avec un enfant dans un landau se faire matraquer par la Police. J’avais 20 ans, je ne suis pas resté pour ne pas me faire attraper. Cela m’a marqué ». L’homme s’est senti impuissant et fut contraint de fuir pour sauver sa vie. Antar et deux de ses compatriotes ont remonté la Seine à pied de Saint Michel jusqu’au Quai d’Orsay pour y prendre un train en direction de Choisy le Roi et qui passait par Saint Michel. « Le train arrive à Saint Michel, on s’est caché sous les banquettes, du mieux qu’on pouvait pour ne pas être repérés par les flics. Il y avait beaucoup d’endroits où étaient emmenés les compatriotes, la porte de Versailles, la préfecture de Paris. C’est là qu’il y a eu des morts. Et au Pont de Neuilly, Pont de Bezons aussi. »
Le premier souvenir de liberté, après l’indépendance Rachida retourne en Algérie tout de suite après l’indépendance, heureuse des retrouvailles en famille. Mais le sujet de cette période tragique est mis sous silence « On se voyait pendant les vacances mais on ne se racontait pas la guerre ».
Pour Antar, cette période constitue surtout l’arrêt des oppressions policières mais correspond aussi à des désillusions arrivées beaucoup plus vite que prévu. « Tout de suite après il y a eu les gens qui ont voulu contrarier l’indépendance » regrette Antar. Il fait référence aux conflits internes entre les militants du FLN. « Des gens de la tendance de Ben Bella et Boumediene sont venus me réclamer des armes et de l’argent que je n’avais pas. Je leur ai dit de me laisser tranquille et j’ai abandonné. » Il rentre au pays la même année.
« Il y a du bien, et il y a du mal, voilà on s’est tout dit » conclut Antar, qui soixante après l’indépendance préserve un souvenir ému de cette période qu’il espère pouvoir partager encore et encore à ses enfants et petits-enfants.
Elaine Mokhtefi a 94 ans. Elle est née à New-York dans une famille juive, et va se battre toute sa vie contre l'impérialisme en épousant la lutte algérienne. Pour les 60 ans de l'indépendance de l'Algérie, elle revient sur son histoire personnelle et forcément politique. Portrait
« Je me suis totalement engagée pour l’Algérie, j’ai donné mon cœur et mon temps. C’est probablement la plus importante partie de ma vie », raconte fièrement, Elaine Mokhtefi, du haut de ses 94 ans. Née à New-York en 1928 dans une famille juive de la classe ouvrière, cette militante anticoloniale a consacré une large partie de sa vie à lutter pour l’indépendance de l’Algérie. Sur son chemin d’engagement, elle croise Frantz Fanon, Fidel Castro, Ahmed Ben Bella, et Mokhtar Mokhtefi, militant de l’Armée de libération nationale algérienne, qui deviendra son mari.
Rencontre avec l’Algérie à Paris
Lorsqu’elle débarque à Paris en 1951, elle était impatiente de découvrir l’histoire de cette ville dont elle a toujours rêvé. À ce moment-là, la jeune américaine était encore loin d’envisager que c’est à Paris qu’elle fera la rencontre d’un autre pays… l’Algérie.
Un an plus tard, le 1er mai 1952, elle assiste au défilé de la Journée internationale des travailleurs à Paris, et croise le chemin des syndicalistes algériens. « J’ai vu des milliers de jeunes hommes, pauvrement vêtus qui continuaient de courir et d’arriver. Je savais qu’ils couraient pour quelque chose, mais pour quoi ? J’ai découvert en lisant les journaux du lendemain qu’il s’agissait d’ouvriers algériens qui étaient empêchés de faire partie du défilé annuel des travailleurs à Paris », se rappelle-t-elle.
C’était l’une des plus grandes expériences qu’on pouvait avoir vécu au XXème siècle. C’était
une guerre sans nom, une injustice telle qu’il fallait réagir et être solidaire.
Elaine Mokhtefi est devenue une militante de l’Algérie reconnue.
Elle s’investit très jeune pour défendre les autres, et devient rapidement attentive au sort des travailleurs algériens de la région parisienne. « J’avais été victime de l’antisémitisme quand j’étais jeune, je me sentais donc proche des victimes du racisme. Cette expérience de jeunesse a forgé ma personnalité, j’ai appris à me défendre et à défendre les autres », dit-elle, encore émue, des décennies plus tard.
À son arrivée à Paris, Elaine Mokhtefi croit en la devise du pays : Liberté, Égalité, Fraternité. Mais les événements dont elle sera témoin font mentir l’image qu’elle avait de la France se souvient-elle : « petit à petit, j’ai découvert que la France n’est pas forcément le pays de la liberté comme je le croyais. »
Militer pour l’indépendance de l’Algérie
Après avoir fait la rencontre de la cause algérienne, Elaine Mokhtefi ne ménage pas ses efforts pour servir la lutte pour l’indépendance du pays. « Je me suis ouverte aux idées progressistes, j’ai donné tout ce que j’avais. J’étais jeune, c’était devenu une cause pour moi. C’était devenu la cause, appuie-t-elle, c’était l’une des plus grandes expériences qu’on pouvait avoir vécu au XXème siècle. Une guerre sans nom, une injustice telle qu’il fallait réagir et être solidaire », décrit-elle d’une voix empreinte d’émotion.
La jeune militante participe à une conférence internationale sur la jeunesse à Accra, au Ghana, en août 1960. Elle y rencontre le penseur des luttes anticoloniales Frantz Fanon et se lie d’amitié avec lui. « Frantz Fanon était ambassadeur du Gouvernement provisoire de la République algérienne (GPRA) en Afrique, avec son bureau à Accra. C’est à cette occasion que je l’ai rencontré. Il m’a beaucoup marqué », se remémore-t-elle.
On faisait tout ce qu’on pouvait pour passer les résolutions dans les congrès internationaux, dans la presse américaine, auprès de l’ONU.
Elaine Mokhtefi repart à New York en septembre 1960, où elle rejoint le bureau local du Gouvernement provisoire de la République (GPRA) et du Front de libération nationale (FLN). A tout juste 32 ans, elle est la bonne personne, au bon endroit : elle est américaine, bilingue et militante anticoloniale. « On faisait tout ce qu’on pouvait pour passer les résolutions dans les congrès internationaux, dans la presse américaine, auprès de l’ONU. Plusieurs délégations algériennes dirigées par Krim Belkacem cherchaient à convaincre de la nécessité de condamner la France », témoigne-t-elle.
New-yorkaise de naissance, Elaine Mokhtefi était d’une grande aide pour accueillir les délégations algériennes auprès de l’ONU. « Des hommes allaient et venaient au bureau. Abdelkader Chanderli (représentant du FLN au Nations Unies) me demandait souvent de leur faire découvrir New York en les emmenant dans des restaurants et cafés très simples et au Central Park. J’accompagnais par exemple Mohamed Benyahia (futur ministre de l’information) pour acheter des disques de jazz, ce sont des souvenirs très agréables ».
Au lendemain de l’indépendance : Alger, la Mecque des révolutionnaires
Le 5 juillet 1962, l’Algérie proclame son indépendance, « un symbole de liberté, cela voulait dire que tout était possible ! C’était incroyable l’espoir que donnait l’Algérie pour les autres pays qui aspiraient à l’indépendance », se souvient la militante.
L’euphorie était générale et libératrice.
Dès le lendemain de l’indépendance, la capitale algérienne ouvre ses portes à tous les« Damnés de la terre ». Alger s’érige comme la « Mecque des révolutionnaires », pour reprendre la célèbre phrase du militant anticolonialiste Amilcar Cabral, en accueillant les militants en lutte contre l’oppression coloniale, impérialiste ou raciale. Les représentants des mouvements révolutionnaires affluent à Alger : de Nelson Mandela à Che Guevara, de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) au Vietcong, en passant par le Front de libération du Québec (FLQ) aux Black Panthers, qui y établissent la section internationale du Black Panther Party. Toutes les luttes convergent vers Alger.
Tous les chemins de la révolution mènent à Alger à cette époque.
Ses premiers pas à Alger
Pourtant, elle profite de cette joie à distance, et n’a toujours pas vu de ses yeux le pays pour lequel elle se bat : « On était chargés d’émotions, se souvient-elle, on a travaillé énormément et notre engagement a fini par payer. J’étais heureuse mais en attente de venir dans ce pays pour lequel j’ai travaillé, un pays que je ne connaissais pas, j’avais hâte de le découvrir ».
Elle quitte New-York avec l’intention de se rendre à Alger mais les choses ne se passent pas comme prévu : « je voulais venir tout de suite en Algérie mais la situation était dangereuse, alors j’ai attendu ». Elaine Mokhtefi fait référence aux attentats sanglants perpétrés par l’Organisation Armée Secrète (OAS) après la signature des Accords d’Évian le 19 mars 1962, instaurant un climat de terreur en Algérie.
J’étais très déçue par l’accaparement du pouvoir par les militaires. On avait tellement d’espoir, on croyait en la justice, on croyait que le pays allait être géré par le peuple.
C’est à la fin du mois d’octobre 1962, qu’elle débarque en Algérie, la veille du 1er novembre. Date qui commémore le début de la guerre d’Algérie : le 1er novembre 1954. Elle dépeint des festivités « grandioses » dans la capitale : « Ici et là, je voyais des Algériens que j’avais connus à New York et des progressistes français que j’avais rencontrés auparavant. L’euphorie était générale et libératrice ».
Une joie de courte durée
Grâce aux différents postes qu’elle a occupés au sein de l’administration algérienne, Elaine Mokhtefi livre un témoignage aussi personnel que politique des luttes internes au lendemain de l’indépendance. « J’ai vécu le coup d’Etat, puis le durcissement et la prise en main du pays par la sécurité militaire. J’étais très déçue par l’accaparement du pouvoir par les militaires. On avait tellement d’espoir, on croyait en la justice, on croyait que le pays allait être géré par le peuple », dit-elle d’une voix étranglée, à propos du putsch militaire orchestré par le colonel Houari Boumediene, le 19 juin 1965, qui renverse le président Ahmed Ben Bella.
En 1974, l’ancienne journaliste rejoint la liste des cibles du régime militaro-autoritaire. En s’appuyant sur la redoutable sécurité militaire, Houari Boumediene élimine peu à peu toute forme d’opposition. Après 12 ans passés en Algérie, elle est expulsée en raison de son refus de collaborer avec la sécurité militaire. Elle n’a pas voulu communiquer des informations sur une amie, Zohra Sellami, épouse de l’ancien président déchu Ahmed Ben Bella. « J’ai été expulsée d’Algérie en 1974 parce que j’ai refusé d’informer la sécurité militaire sur les activités de mon amie Zohra Sellami, l’épouse de Ahmed Ben Bella. J’ai été très ébranlée par cette tournure des événements. C’était caractéristique de la force de l’appareil sécuritaire, souterrain et omnipotent de l’époque ». La tristesse s’entend au son de sa voix à l’évocation de cet épisode.
Elaine Mokhtefi, lors d’une exposition de ses toiles. En vitrine portrait de son mari Mokhtar Mokhtefi.
Militante un jour, militante toujours
Après un interminable exil de 44 ans, Elaine Mokhtefi retourne en Algérie en 2018, quelques mois avant un nouveau soulèvement populaire en Algérie : le Hirak. Considérée par les manifestants comme une « deuxième révolution », cette résistance délivrera le peuple du régime militaire après celle qui a libéré le territoire du joug colonial le 5 juillet 1962.
À 91 ans, Elaine Mokhtefi participe à plusieurs reprises au Hirak. Elle retrouve dans ce mouvement populaire la flamme de sa jeunesse militante : « j’étais présente le 1er novembre 2020 à Alger, c’était extraordinaire et excitant. Il y avait énormément de manifestants qui réclamaient plus de justice et la nécessité de prendre leur destin en main. On croyait que c’était le début d’une deuxième révolution », confie-t-elle fièrement.
Elle conclut notre discussion avec un message d’encouragement à la jeunesse algérienne : « je suis consciente que tout n’est pas simple mais il faut s’armer de courage et de détermination, croire à la possibilité de changer les choses et surtout toujours garder espoir ».
Histoire parallèle la France en Algérie 1830 - 1962 de Alphonse Juin, Amar Naroun
Ce livre est l’histoire de l’Algérie racontée par deux historiens différents : l’un est le célèbre Maréchal Juin qui était Français, né en Algérie, et élu à l’Académie française en 1952 ; l’autre est l’historien kabyle Amar Naroun, un ancien député de Constantine. Ces deux auteurs se sont mis d’accord sur les thèmes de neuf chapitres qu’ils ont écrits sans se consulter. Les premiers chapitres font le résumé des conquêtes du Maghreb depuis la préhistoire jusqu’à la conquête de l’Algérie par la France en 1830. Suivent alors les différents épisodes de la présence française en Algérie, qui sont, en fait, le principal objet du livre.
La confrontation des points de vue est toujours intéressante et, fatalement, les jugements divergent, surtout sur les personnages. Par exemple, à propos du fameux Abd El-Kader, Juin parle « d’un petit marabout orgueilleux qui, dans un nouveau mouvement panislamique, ambitionnait de réunir sous son autorité toutes les richesses du Maghreb que ses ancêtres avaient exploitées durant des siècles sous l’étendard de la Guerre Sainte ». L’historien Naroun, lui, nous parle « d’un des plus purs héros de l’histoire humaine », d’un « Combattant de la Foi », pacificateur des tributs berbères et protecteur des populations rurales. Il nous dit que cet apôtre de la paix avait, dans un élan de piété, questionné le ciel et le ciel lui avait offert la monarchie de droit divin pour régner sur les peuples musulmans.
Ces divergences de jugement n’empêchent nullement les deux auteurs d’être de bonne foi et l’histoire de la France en Algérie est très bien racontée ; surtout par l’historien kabyle ; son étude fait deux cents pages et celle du Français en fait cent. Chacun de son côté a cherché les raisons de l’échec de l’œuvre coloniale française et tous deux semblent la regretter. D’une manière générale, le Maréchal Juin à tendance à attribuer les échecs successifs à l’incurie des politiciens français. L’historien kabyle, lui, va plus loin dans la réflexion : il attribue l’échec de la colonie à l’impossibilité d’une fusion des deux civilisations, la chrétienne et l’islam. Au VIIème siècle, nous dit-il, les conquérants arabes ont vaincu les Berbères – qui étaient chrétiens. A partir du XIème siècle et jusqu’au XIXème, ils leur ont imposé leur langue, leur culture et leur religion. Et il nous rappelle qu’une prescription du culte islamique impose aux musulmans le devoir de propager l’islam « par la Guerre Sainte, s’il le faut ». Enfin il constate avec regret que « après 132 ans de colonisation française, les deux collectivités du pays sont sans âme commune : un bloc est européen et un bloc est musulman ».
En conclusion, le Français parle du « cadeau empoisonné » que fut la conquête de l’Algérie et le Kabyle nous parle d’un rêve impossible : « à partir des années cinquante, nous dit-il, les jeunes générations n’ont eu le choix qu’entre la résignation et la révolte ». Un rêve impossible ! Je pense à cette réplique du Général De Gaulle en 1958 à ceux qui prônait l’Algérie française : « les Arabes ne seront jamais des Français ». Une réflexion prémonitoire s’il en est !
Depuis soixante ans, la France et l’Algérie ont, en principe, séparé leurs destins, tout au moins en ce qui concerne le régime politique qui gérait la colonie et qui avait nécessairement des retombées dans l’hexagone. Chaque pays honore sa temporalité à sa façon. Si l’on parle plus volontiers, en France, de la date des Accords d’Évian, en Algérie, on évoque la date de l’indépendance. Fin février, ARTE proposait le documentaire de Raphaëlle Branche et Rafael Lewandowski, En guerre(s) pour l’Algérie, qui s’appuie, comme l’ouvrage paru le même mois, sur les témoignages de « quinze femmes et hommes (qui) ont accepté de confier leurs souvenirs de jeunesse. Leurs témoignages sont essentiels pou écrire une histoire qui ne soit pas seulement celle des décisions et des grands événements politiques et militaires ».
À la même date sensiblement, on a pu trouver dans les points de presse ou en librairie le N°15-16 de la revue Enjeux de société : Mémoires en jeu. Quelle(s) mémoire(s) pour la guerre d’indépendance algérienne 60 ans après, numéro consistant de 234 p. ; également, Le Point, un hors série, La France et l’Algérie – Deux siècles d’histoire, de 98 p. rejoignant par son option sur la longueur historique le point de vue de Benjamin Stora qui insiste toujours sur la prise en compte des années de colonisation depuis 1830 pour comprendre la guerre d’indépendance. Le documentaire de Georges-Marc Benamou avec Benjamin Stora a été programmé sur France 2 les 14 et 15 mars 2022, « C’était la guerre d’Algérie ».
Il nous a semblé intéressant, en écho à ces plongées, et il y en aura d’autres, de signaler l’importance de la littérature algérienne et des mémoires qu’elle écrit, à partir d’un ouvrage édité en Algérie. Il en parcourt les œuvres de 1962 à 2010, en ménageant, en conclusion, une ouverture sur les romans qui s’écrivent ces toutes dernières années, tant en Algérie qu’en France… car l’histoire n’est pas finie ! Mounira Chatti, Professeure des littératures francophones à l’université Bordeaux Montaigne, a interrogé Christiane Chaulet Achour sur son travail de critique littéraire et sur l’apport de cette littérature à la connaissance de l’Histoire.
Mounira Chatti – Le titre de votre livre, Échos littéraires d’une guerre, met en relief une problématique qui vous est chère, celle de l’entrecroisement entre la fiction et l’Histoire. Vous affirmez par ailleurs que « le texte littéraire offre une gamme de positionnements dans l’Histoire » et que « l’écrivain fait émerger du réel et de l’historique un monde transformé par l’élaboration esthétique ». L’approche critique d’un texte francophone, plus précisément algérien, doit-elle obligatoirement s’articuler autour de la relation entre « fait et fiction » et doit-elle faire émerger la manière dont l’écrivain « pétrit » le matériau historique ?
Christiane Chaulet Achour – Cette approche critique prenant en charge la dimension historique du texte littéraire n’est pas obligatoire mais c’est plutôt celle que je privilégie. Pour la littérature algérienne mais aussi pour n’importe quelle littérature… Il me semble qu’un texte de création, même s’il apparaît déconnecté de son temps, est nécessairement relié à lui et l’étude de sa dimension historique s’avère alors éclairante. De plus, en ce qui concerne cet ouvrage, mon sujet central, circonscrivant le rapport à la guerre de libération nationale, à la résistance au colonialisme français, ne pouvait éviter l’Histoire, bien évidemment. Ce qui m’intéressait avant tout, c’était de montrer combien les histoires que racontent les écrivains, les fictions qu’ils élaborent, sont révélatrices de la complexité des séquences temporelles vécues par les collectivités et les individus. Là où l’historien a une argumentation reposant sur des faits et des preuves – ce qui ne l’empêche pas d’interpréter sous couvert d’une rhétorique de l’objectivité –, l’écrivain interroge, questionne, met en danger le réel et privilégie l’individuel plutôt que le collectif et donc les variations de points de vue.
Dans l’introduction, vous présentez ce livre comme la résultante de « quarante années de lecture et d’appréciation d’œuvres algériennes et de problématiques induites par une guerre de résistance au colonialisme dans une colonie de peuplement » et vous vous démarquez de la tentation qui consiste à croire que « cette période est désormais dépassée et qu’il faut se préoccuper du présent immédiat » : « Nous sommes persuadée, pour notre part, que le présent se construit en grande partie à partir du passé et qu’oublier le passé est une façon d’en enkyster les effets négatifs et d’occulter ce qu’il a représenté de positif et de dynamique » (p. 5). Quel lien envisagez-vous entre l’exigence de transmettre l’Histoire et la création littéraire ? Quelle est la fonction de la littérature dans cette dialectique passé/présent ? La littérature est-elle donc un pilier dans la construction nationale algérienne ?
Oui effectivement, je pense que la durée dans la réflexion sur ces œuvres littéraires est fondamentale. Non pas qu’on ne puisse pas avoir une interprétation pertinente sur un roman ou une pièce de théâtre que l’on vient de lire ; mais lorsqu’il s’agit de comprendre des constantes, des convergences et des divergences, on ne peut s’appuyer sur une seule œuvre mais en embrasser le plus possible. Les écrivains aiment bien être appréciés dans leur singularité. C’est juste, effectivement ! Mais qu’ils le veuillent ou non, ils appartiennent à des moments historiques qu’il faut cerner, à des générations, à une manière de dire et de vivre que leurs textes révèlent.
La résistance au colonialisme et la participation – ou non –- à la guerre est très proche de nous, certains de ses acteurs sont encore vivants, ce qui s’est passé dans cet hier si présent reste souvent enkysté dans le silence des familles et des groupes. Le discours officiel a eu tendance à figer en stéréotypes des données « légitimes » : oui, alors, la littérature, les textes les plus forts, sont là pour rappeler des réalités diversifiées et contradictoires. Les lire permet de comprendre les potentialités d’un pays, ses dérives aussi.
Un lecteur qui n’avait pas regardé de qui était l’illustration de la couverture, m’a demandé si c’était une représentation d’un des vendredis depuis le 22 février 2019 dans le mouvement du Hirak. Et Arezki Metref donne des arguments à ma recherche et une réponse à votre question, dans une de ses dernières chroniques, « Le drapeau de novembre » (Rubrique Ici mieux que là-bas, Le Soir d’Algérie, 26 mai 2019). Il fait état des questions posées à quelques militants dans le cadre d’une enquête pour Le Monde diplomatique sur l’état de la gauche algérienne, durant l’été 2018 : « Le but était (…) de s’interroger sur l’existence d’une transmission de l’expérience et des valeurs de la gauche aux jeunes générations post-décennie noire ». Il se dit surpris de certaines propositions, pour lui alors, « anachroniques ». Mais « relues à la lumière du mouvement du 22 février, ces propositions qui nous paraissaient surprenantes s’avèrent aujourd’hui des plus justes ». [Ces propositions de militants de gauche préconisaient de s’appuyer sur les valeurs de novembre pour reconstruire la nation]. « Le mouvement qui a démarré le 22 février leur a donné complètement raison puisqu’il a puisé dans la nécessité de réhabiliter les symboles et les valeurs de Novembre, à commencer par le drapeau pour le symbole, et pour les valeurs, par la détermination patriotique à reconquérir la possibilité d’agir sur son destin, la réaffirmation de sa dignité et même d’une certaine manière le recouvrement d’une indépendance confisquée. […] La leçon du mouvement du 22 février est là, dans ce besoin de réappropriation de Novembre spolié, dénaturé, perverti. Le sens ne trompe pas : le fait que Djamila Bouhired soit adoptée comme une icône, les retrouvailles avec Abane Ramdane, Larbi Ben M’hidi, Didouche Mourad, et les vrais héros qu’on a essayés de gommer, sont autant de traceurs qui montrent cette volonté de retourner à la source, souillée, et de la nettoyer ». Je pense que cet article répond bien à la question, pour l’Algérie actuelle, de l’intrication passé/présent. Modestement, mon travail y contribue.
Échos littéraires d’une guerre. Œuvres algériennes et guerre de libération nationale est un livre généreux, c’est-à-dire un livre qui balise un domaine de recherche et offre une bibliographie quasiment exhaustive, commentée et chiffrée. Cet ouvrage s’adresse-t-il prioritairement aux chercheurs et a-t-il pour vocation de les inciter à se saisir de cet immense corpus pour y explorer la question de la fiction et de l’Histoire ?
L’ouvrage a un double objectif. Bien sûr, j’ai été très attentive à recenser le plus de textes possibles, à donner des références précises, à explorer des pistes de travail et à en indiquer certaines pour que d’autres reprennent les recherches : donc, il s’adresse aux chercheurs car la recherche, c’est avant tout un exercice de relais et non une virtuosité personnelle. Mais je crois aussi – en tout cas, c’est ce que j’avais à l’esprit – avoir fait un effort de clarté dans mes formulations pour que le lecteur, intéressé par l’Histoire de l’Algérie, y trouve matière à une connaissance plus approfondie et dérangeante. L’approximation est néfaste, quel que soit le lecteur. Et je ne pense pas seulement au lecteur algérien : car le travail de nos écrivains est mal connu en dehors de quelques vedettes mises à l’honneur à la faveur de telle ou telle occasion. Je voulais aussi (dé)montrer combien les écrivains algériens, malgré les impasses de leur statut alors, ont été au rendez-vous de l’Histoire.
La division de votre livre en cinq chapitres n’obéit pas à un découpage chronologique. Vous faites le choix d’une autre structure construite autour de 1962, « date symbolique et historique » ou « année à deux visages » (p. 11), ce qui donne lieu à une première recension de ce qu’ont publié des Algériens cette année-là. Quels sont les enseignements de cet état des lieux ? La date de 1962 marque-t-elle la véritable naissance d’un champ littéraire national ?
Nécessairement ! Il fallait l’indépendance pour que puisse se construire un champ littéraire national qui ne pouvait exister sans la nation : il suffit de relire à l’appui de cette affirmation le chapitre IV des Damnés de la terre de Fanon, « Sur la culture nationale ». Le recul d’une cinquantaine d’années me permettait de bien mesurer ce qui pouvait se jouer effectivement au seuil de la libération : combien d’écrivains, ce qu’ils faisaient, où ils étaient, etc. C’est une sorte de bilan avant le grand saut de la construction. Si l’on prend la peine de le lire, c’est aussi un bilan qui montre les failles et les promesses, qui fait entrevoir la difficulté que l’Algérie enfin indépendante doit affronter dans le domaine de la littérature et de la culture. Et encore, je ne me suis intéressée qu’au volet francophone !
Vous dites à la fin du chapitre I : « Étudier ces années de débats, de célébrations et d’ostracismes, c’est entrer dans l’après 1962 » (p. 34). L’Algérie contemporaine a-t-elle enfin liquidé les déchirements et les blessures de ce lourd passé ?
Certainement pas. Mais justement la lecture des écrivains nous aide à regarder en face ce passé. Une aussi longue période de colonisation et une guerre aussi éprouvante ne peuvent se régler en deux temps trois mouvements ! La seule manière d’alléger la lourdeur du passé est de l’affronter dans différents domaines. Et il était normal que le pays, nouvellement advenu dans son indépendance, s’interroge – et souvent de façon musclée ! – sur les « devoirs » du créateur, la langue d’expression etc. Les choses ont avancé mais c’est loin d’être réglé. J’espère avoir montré combien la littérature a à nous dire pour comprendre les débats d’aujourd’hui.
La force de votre ouvrage provient non seulement de la démarche herméneutique qui consiste à penser (et à embrasser) systématiquement un ensemble de phénomènes en confrontant des périodes historiques et littéraires différentes, mais aussi de votre impressionnant effort de recenser et d’analyser les divers genres (témoignage, essai, roman, théâtre, poésie, nouvelle). Quelles sont les formes littéraires de prédilection ? Quels sont les choix esthétiques les plus pertinents pour expliciter le rapport entre littérature et guerre de libération ?
Si l’on prend strictement la période de la guerre, je pense avoir montré que les genres littéraires les plus empruntés sont soit les genres de réflexion comme l’essai, soit les genres courts et émotionnellement forts comme la poésie ou la nouvelle. Mais elle avait été précédée par la génération de ceux qu’on reconnaît aujourd’hui comme les classiques de la littérature algérienne, Mouloud Feraoun, Mouloud Mammeri, Mohammed Dib, Kateb Yacine et quelques autres qui avaient déjà fait entendre les souffrances d’un pays : il suffit de penser à L’Incendie de Dib ou à Nedjma de Kateb.
Il est certain que le souffle poétique soutient les résistants et que les analyses dans différents revues et hebdomadaires aident à y voir plus clair. Mais finalement ce n’est peut-être pas le genre littéraire emprunté qui est le plus important mais la manière de traiter les réalités dans différents registres selon la marque de l’écrivain. Ce qu’on a nommé « la poésie algérienne de combat », bien connue grâce à deux anthologies – éditées en 1963 et 1967, Espoir et parole, et, Diwan algérien –, en est un exemple éloquent.
Dans le chapitre II, vous étudiez les « écritures algériennes de la guerre en langue française » en proposant un état des lieux précis et exhaustif (190 recensées !) des trois périodes : celle de la guerre (1954-1962), puis celle d’après l’indépendance (1962-1992) et, enfin, celle de 1992 à 2010. Quelles sont les caractéristiques de l’écriture et de la représentation de la guerre, des cycles de violence et d’horreur ?
C’est en établissant ce recensement que j’ai eu la conviction qu’il fallait traiter différemment les textes qui s’écrivent dans le brûlant de la lutte de ceux qui s’écrivent après. Et comme j’avais le recul de cinquante ans de production, la coupure en 1992 – après donc octobre 1988 et l’ouverture démocratique éphémère qui a suivi – était une date significative. L’Algérie était à un tournant et il est normal qu’on ne traite plus de la même manière cet événement fondateur. Les trente ans qui marquent le début d’une existence nationale engrangent nombre de récits et autres textes qui reviennent sur la guerre ; les mémoires sont encore là, meurtries. Après 1992, c’est bien un troisième regard.
Le chapitre III occupe le centre du livre avec ce titre : « La Torture, chambre noire de la guerre ». Comment dire/écrire la torture ? Comment inscrire dans le texte les blessures innommables qui avaient été inscrites sur les corps algériens ? Comment construire la mémoire de ces traces indélébiles ?
C’est une question qui m’a habitée longuement et douloureusement. Il est difficile de traiter de ces textes-là. Nous vivons avec des personnes qui ont subi la torture et refusent d’en parler. Mais il n’était pas possible de les contourner ni d’esquiver ce débat à propos de cette pratique où l’inhumanité de l’Homme donne toute sa mesure car il a été un point de bascule en France : il y a eu un autre regard des Français sur le conflit lorsqu’on n’a plus pu nier que la torture était pratiquée quotidiennement. Tout ce qu’on a pu lire et relire autour de Maurice Audin par exemple ces derniers mois rappelle bien l’horreur découverte et l’inadmissible. Mais il fallait montrer aussi, du côté algérien, les témoignages de ce que les êtres ont subi : l’inscription dans les textes… eh bien ! il faut lire les textes car chacun a sa manière de nous imposer d’affronter l’innommable… J’ai été surprise aussi, à travers mes lectures des historiens – qu’ils soient Français ou Algériens –, du peu de cas qu’ils faisaient des écrits de Fanon, le dernier chapitre des Damnés, sur les troubles mentaux engendrés par cette guerre et les projections pour l’avenir après l’indépendance si ne sont pas prises en charge les atteintes profondes et parfois irrémédiables de la torture sur les individus.
Vous privilégiez la dialectique comme méthode de compréhension des phénomènes historiques et littéraires. Aussi, le chapitre IV intitulé : « D’une guerre à l’autre en Algérie 1954/1992 » met-il en relief l’effet de miroir entre les deux guerres. Vous citez Frantz Fanon, un auteur qui vous accompagne depuis le début de votre carrière et auquel vous avez consacré de nombreux textes. Vous proposez alors de lire certaines fictions à la lumière des textes de F. Fanon où il est question de « cet enkystement de la violence », de la torture et de « “réparation” ». Pouvez-vous nous expliquer ces notions et leur déploiement dans les œuvres littéraires ?
Ma réponse ne peut que suivre ma réponse précédente. Prendre quelques exemples de fictions d’après 1992 et confronter le dit de la guerre des années 1990 avec le dit de la guerre de libération montre bien la justesse des analyses du psychiatre, même si aucun des écrivains choisis ne s’appuie sur ses écrits. Quand le rapport à la violence n’est pas affronté et déconstruit, il a une grande propension à la répétition, avec d’autres arguments mais toujours avec le même objectif d’imposer à l’autre un « nouvel » ordre inadmissible. La comparaison entre les deux époques est éclairante mais j’insiste sur le fait que s’il y a des convergences, il y a aussi de profondes différences et qu’on ne peut simplement confondre les deux conflits. Prise dans sa dominante, la guerre de libération nationale/guerre d’Algérie n’a pas été une guerre civile interne à un pays, comme veut l’accréditer, par exemple, Alexis Jenni dans L’Art, français de la guerre, mais une guerre contre un colonisateur. La guerre des années 1990 est elle bien une guerre civile interne. Je voudrais ajouter que j’ai continué à creuser ce sillon si difficile dans un livre élaboré avec mon amie psychanalyste à Alger, Faïka Medjahed, Viols et filiations – Incursions psychanalytiques et littéraires en Algérie, édité en 2020 aux éditions Koukou. L’analyse de textes littéraires et celle des paroles des analysants montrent la prégnance de la guerre aujourd’hui, « les ratées, les dysfonctionnements et les entraves dans le collectif et les parcours individuels » qu’elle a provoqués.
Dans le chapitre V, « Écrits d’Algériennes et guerre d’indépendance. Témoignages et créations », vous proposez « un dossier regroupant des documents à (re)lire de ce que furent les voix/voies féminines algériennes, entre 1954 et 1962 et comment elles ont dû négocier leur place dans la nation émergente, avec stagnations, avancées et régressions comme d’autres groupes de la société algérienne ». Votre approche de l’entrée dans la violence repose sur « la conviction de la nécessité de cette lutte pour l’indépendance puisque le colonialisme refusait de baisser les armes » (p. 97). Pourquoi un tel focus sur l’expérience et la parole des femmes ? Dans l’Algérie contemporaine, ces dernières jouissent-elles d’une place et d’un statut satisfaisants ?
Je ne crois pas avoir privilégié les femmes pour exprimer cette « conviction de la nécessité de la lutte ». Mais il est certain que, dans leur cas, ce n’était pas gagné d’avance étant donné la pesanteur des sociétés : la société coloniale persuadée que « faire tomber le voile » était la victoire assurée des valeurs occidentales et la société autochtone se cabrant dans des positions identitaires de repli, par réflexe de protection contre l’agression culturelle réelle qu’elle subissait. Et les femmes sont alors aux premières loges des enjeux. Lorsque j’ai cité précédemment la chronique d’Arezki Metref, on y voit apparaître le nom de Djamila Bouhired : qu’elle (re)devienne une icône aujourd’hui est un grand espoir d’une vraie prise en considération du rôle des femmes dans une libération socio-politique. Sur la question des femmes, la réalité algérienne est très contradictoire entre textes juridiques conservateurs et souvent régressifs et pratiques d’ouverture et de fermeture. Ici aussi l’expérience de la guerre des femmes est une sacrée dynamique pour les luttes d’aujourd’hui.
En conclusion de votre livre, vous proposez des pistes d’analyse qui font jaillir l’entrecroisement d’œuvres algériennes et françaises et la nécessité d’une lecture conjointe : « En mettant en parallèle ces corpus contrastés, on peut entrer dans la parole de l’autre, de part et d’autre, pour mieux réaliser, à l’échelle humaine, la complexité de la guerre et les traces vivaces qui ressurgissent dans des circonstances attendues ou insolites. Demeurent aujourd’hui encore des mémoires, irréconciliables peut-être pour les générations qui ont vécu la guerre, mais à maîtriser pour tous ceux qui en “héritent” et souhaitent que l’Histoire soit éclairante pour avancer. Adopter cette démarche, c’est engager une plongée dans les récits post-coloniaux, écrits par des “héritiers” du conflit des aînés. Dans les deux pays, ces œuvres invitent à réfléchir aux retombées qui concernent tous les “groupes” en présence et aux fractures identitaires et sociétales provoquées par les traumatismes vécus » (p. 125). À l’idée d’un temps successif, Jorge Luis Borges préfère la mémoire comme un « tas de miroirs cassés ». Des deux rives de la Méditerranée, que fait la littérature de ce « tas de miroirs cassés » ?
Oui, c’est une recherche encore en cours puisque les textes mêmes s’éditent chaque année. Et sur « la guerre d’Algérie », dans le domaine de la littérature, la littérature française a du retard par rapport à la littérature algérienne. Aujourd’hui s’écrivent, de part et d’autre de la Méditerranée, des témoignages et surtout des fictions impensables il y a seulement vingt ans. C’est pour cela que je préfère la notion de successivité, car cette parole littéraire est bien prise dans une continuité historique – il y a des vécus qu’on ne peut dire et écrire que maintenant… quand les canons se sont tus ! –, à la notion de « miroirs cassés » qui fait un constat immobile des dégâts et gomme les aspérités de l’Histoire et les effets de la distance temporelle. Je collabore régulièrement à Diacritik et, à la faveur de ce magnifique roman de Laurent Gaudé, Écoutez nos défaites, j’ai fait une première incursion dans ces corpus parallèles en janvier 2017. L’article est facilement lisible sur le site.
Ce neuvième roman de Laurent Gaudé interroge la guerre, qu’elle soit déclarée ou feutrée, dans le présent d’une Méditerranée bouleversée, submergée par ses identités particulières. Pour en mesurer les dimensions, il creuse l’interrogation dans une profondeur historique qui lui permet de sonder la « défaite » au sein même d’une victoire. Cette notion de « défaite » est particulièrement intéressante car porteuse de significations pour les guerres d’aujourd’hui dans la mouvance de la décolonisation et des fictions postcoloniales, algériennes et françaises. Ce désir d’une recherche en complémentarité m’est venu à la lecture des récits de Michel Serfati, Finir la guerre et de Joseph Andras De nos frères blessés.
Christiane Chaulet Achour, Échos littéraires d’une guerre. Œuvres algériennes et guerre de libération nationale, Boudouaou-Boumerdès-Alger, Dar Khettab, 2019, 151 p.
Pour terminer cette approche, nous concluons en présentant l’illustration de couverture qui a été reprise aussi dans l’ouvrage collectif édité chez Karthala, élaboré avec Pierre-Louis Fort, La France et l’Algérie en 1962, l’exemple de Jean Degueurce étant emblématique. Il est né le 13 décembre 1912 à Alger. Très tôt passionné par l’art, il suit les cours de l’École des Beaux-arts d’Alger et participe à une première exposition collective en 1931 au 14e Salon, « Nos essais », à Alger : Victor Barrucand lui consacre quelques lignes dans L’Algérie et les peintres orientalistes (1934). Jean Degueurce fréquente des peintres atypiques comme Sauveur Galliéro (1914-1963), Louis Benisti (1903-1995) et Jean de Maisonseul (1912-1999).
Il épouse en 1935 Antoinette Léonardon (1915-1998), pharmacienne travaillant à Alger après l’indépendance jusqu’à sa retraite. Membre du PCA et du Théâtre du travail animé par Albert Camus, il est en désaccord avec la programmation culturelle de ce dernier. Anti-fasciste, il participe en tant que volontaire au débarquement en Provence en août 1944 et est blessé au bras. Après la guerre, il reprend son art tout en exerçant le métier de représentant de commerce. Il a fait partie du Cercle « Lélian », fondé en juin 1946 par Jean Sénac. Il est expulsé par les autorités françaises en 1956 et vit en France jusqu’en 1961. A cette date, il rentre en Algérie et participe à l’exposition collective à Orléansville pour l’inauguration du Centre Culturel Albert Camus. Il doit de nouveau quitter l’Algérie au début 1962 pour échapper à l’OAS. Il est de retour dès juillet 1962 pour les fêtes de l’indépendance qui lui inspirent deux toiles de liesse. Il participe au 1er Salon de l’indépendance (13 au 21 juillet 1962) avec trois tableaux. Dès septembre 1962, il opte pour la nationalité algérienne dans le cadre des accords d’Évian, vivant dans la villa de son père au boulevard du Telemly à Alger. Il décède d’un accident de la route à Relizane le 19 novembre 1962.
La Révolution algérienne a, grandement, inspiré le défunt leader sud-africain, Nelson Mandela dans son combat pour la liberté, ont affirmé mercredi à Alger les participants au "Forum de la mémoire" sur "Nelson Mandela et la Guerre de libération nationale".
Organisé par l'Association "Mechaal Echahid" et le quotidien El-Moudjahid dans le cadre des festivités du 60e anniversaire du recouvrement de la souveraineté nationale et à l'occasion de la Journée internationale "Nelson Mandela", célébrée le 18 juillet de chaque année, le Forum a été animé par le moudjahid et diplomate Noureddine Djoudi, ancien ambassadeur en Afrique du Sud ayant côtoyé le leader sud-africain durant la guerre de libération.
Ont assisté au Forum, des diplomates algériens et africains en tête desquels le chargé d'affaires de l'ambassade de la république d'Afrique du Sud à Alger, Sello Patrick Rankhumise, outre des moudjahidine et des représentants des ministères des Affaires étrangères, des Moudjahidine et de la Défense nationale.
Les conférenciers ont unanimement affirmé que le défunt leader, Connu également sous le nom de "Madiba" (1918-2013) s'est inspiré de la Révolution algérienne dans son combat pour la liberté, mettant en exergue le rôle de l'Algérie en termes de soutien aux mouvements de libérations et sa prise de position en faveur des peuples opprimés, notamment les causes sahraouie et palestinienne.
Intervenant à l'occasion, l'ancien ambassadeur et moudjahid, Noureddine Djoudi a raconté l'appui apporté par la Révolution algérienne au leader africain qui "a reçu une instruction militaire en Algérie", retraçant, par la même, les étapes phares de son séjour en Algérie.
Après avoir achevé sa formation militaire, feu Mandela a repris la lutte anti-apartheid avant qu'il ne soit arrêté en 1964 et condamné à la perpétuité, raconte M. Djoudi.
Et d'ajouter que "Mandela a été impressionné par la Révolution algérienne et était venu en Algérie pour s'en imprégner", eu égard aux similarités entre les deux pays, telles que la discrimination raciale dont souffraient les Sud-africains et les Algériens".
Pour Mandela, l'Algérie était une source d'inspiration tant sur le plan militaire que diplomatique. Il s'en était imprégné dans sa lutte anti-apartheid.
Par ailleurs, le diplomate algérien a évoqué la question sahraouie, dernière colonie en Afrique, déplorant le fait que le peuple sahraoui demeure toujours sous l'occupation d'un pays africain.
"Quelles que soient les circonstances, la liberté et l'indépendance seront le sort des Sahraouis", et l'Algérie ne cessera jamais de soutenir le peuple sahraoui dans son combat pour exercer son droit à l'autodétermination, a-t-il poursuivi, rappelant que le soutien aux mouvements de libération était un des principes constants de la guerre et de la diplomatie algériennes.
Le génie de la révolution algérienne mis en avant à travers Nelson Mandela
Dans un autre contexte, l'histoire Lahcène Zeghidi a indiqué, dans une déclaration à l'APS, qu'à travers le défunt Nelson Mandela, "l'universalité et le génie de la révolution algérienne ont été mis en valeur, en ce sens que la Guerre de libération constituait une source d'inspiration".
Et de rappeler la déclaration de Nelson Mandela qui disait que "C'est l'Algérie qui a fait de moi un homme".
De son côté, le militant des droits de l'homme, Mahrez Lamari a affirmé que "la Révolution algérienne n'a pas, seulement, libéré notre pays, elle a eu une dimension africaine, en ce sens qu'elle avait tissé des liens distingués avec les mouvements de libération de par le monde", citant le rôle de la guerre d'Algérie dans le parcours militant du dirigeant africain Nelson Mandela.
Il a également mis en avant "la dimension de solidarité de l'Algérie vis-à-vis des causes justes à l'instar de la Palestine et du Sahara occidental", rappelant "la position immuable de l'Algérie envers les mouvements de libération, en fidélité au Message du 1er novembre", et assurant que "le combat pour l'indépendance de l'Afrique ne saurait se réaliser sans la décolonisation du Sahara occidental".
Amina Lahmar n'a jamais parlé avec son grand-père de l'indépendance algérienne du 5 juillet 1962. Encore moins de la guerre. Pourtant Ahmed Lahmar a eu un rôle dans la résistance pour la libération. L'homme octogénaire a accepté pour la première fois de se confier à sa petite-fille en détail. Témoignage.
« Je ne viendrai jamais en France, à part pour rencontrer mes tortionnaires et leur demander des comptes. » Peu bavard, et réservé, mon grand-père, Ahmed Lahmar dit El Bachir accepte de se confier à moi. C’est un homme dont l’histoire reste entourée de mystères. L’entretien se déroule sur Messenger, au gré du réseau. Pas de Wi-Fi chez lui en Algérie. Il vit aujourd’hui modestement avec sa famille dans son village kabyle qu’il n’a jamais quitté. A 87 ans, il est l’un de ces chibanis qui trouvent toujours une occupation. Bien que peu démonstratif, l’effort est le langage principal de son amour pour les autres.
Ahmed Lahmar dit El Bachir, 87 ans.
J’apprends qu’il naît en 1935 dans une famille très pauvre du village montagneux du Hammam Guergour en petite Kabylie dans l’Est Algérien. Un village traversé par la rivière de l’Oued Bou Selam, située à l’Est de la Vallée de la Soummam, dans l’actuelle wilaya de Sétif. Enfant, il quitte l’école après deux ou trois ans d’apprentissage suite au décès de son père et devient le chef de famille. Dès son jeune âge, il s’occupe de sa mère et de ses trois sœurs en travaillant en tant que maçon pour subvenir à leurs besoins.
El Bachir s’engage à 17 ans au P.P.A, Parti du Peuple Algérien, « comme tout le monde à l’époque ». Quand la guerre avec la France éclate, il entre au FLN, Front de Libération Nationale, à 21 ans. Prêt à donner sa vie sur le front, les responsables FLN lui refusent le combat physique en raison de sa charge familiale. El Bachir intègre les moussabilin (auxiliaires) et s’occupe de la protection des moudjahidin (combattants), des renseignements, mais aussi du ravitaillement, de récolte d’argent ainsi que d’autres missions annexes. « Chaque nuit un groupe assurait la protection des moudjahidin, la transmission et donnait l’alerte si besoin. On se plaçait le plus loin possible. » Mais surtout, c’est dans sa maison faite de presque rien, construite tout en haut d’une montagne que transitent les moudjahidin qui rejoignent le maquis. Ils se réunissent, se nourrissent, et partent au combat.
« Grâce aux moudjahidin, les jours précédents, on a eu l’information que l’indépendance allait arriver », indique El Bachir. Cependant, malgré la liesse populaire, l’Algérien témoigne de la crainte quant à la réaction des Pieds-noirs.
« Le jour J, nous n’avions pas les moyens d’organiser de repas de célébration, mais nous sommes partis du Hammam Guergour (Wilaya de Setif) pour rejoindre Bougâa, (anciennement Lafayette) où se tenait un plus grand rassemblement. Chacun s’est déplacé selon sa situation. Certains partaient sur leur âne, il y avait quelques camions et puis d’autres, comme moi, ont marché 7 kilomètres à pied. Il y avait beaucoup d’hommes et quelques familles. On s’est réunis sur des places, et des lieux que les colons avaient l’habitude de fréquenter. En face des occupants, on criait « Tahia Al Djazaïr », se souvient-il.
Sous la colonisation, nous n’avions pas le droit à la parole, seulement le droit d’obéir.
Né dans la misère, El Bachir n’a eu d’autre choix que de s’activer pour survivre et faire vivre sa famille. « Nous mangions ce que nous plantions, et nous avions une vache qui nous donnait du lait. Il n’y avait ni travail, ni usine, ni quoi que ce soit. Je n’ai jamais travaillé volontairement pour l’occupant. Je sais que d’autres Algériens ont travaillé chez des colons et sans jamais être rémunérés, ou alors par un simple morceau de pain après un dur labeur. » Depuis son plus jeune âge, l’homme rêve d’un monde plus juste. « Sous la colonisation, nous n’avions pas le droit à la parole, seulement le droit d’obéir. Je me suis engagé pour combattre les injustices. J’ai lutté pour la liberté du peuple, de la religion et du pays. »
En plus du dénuement, du manque d’infrastructure et de la faim, les villageois vivent sous la pression permanente, le harcèlement, le pillage des biens et du patrimoine archéologique. Ils se confrontent à différentes formes de violences. « Une fois, pour le Ramadan, j’ai pu acheter un kilo de viande (ndlr: chose rare à l’époque pour nombre de villageois), les militaires français l’ont empoisonné avec du guez (liquide de la lampe à pétrole). »
La carte de Moudjahid (guerrier de la résistance) d’Ahmed Lahmar.
Dans son récit, la mort est omniprésente. Un jour l’aviation coloniale atterrit si près de sa maison que la force des ailes de l’hélicoptère disperse le toit de fortune du foyer. Sous les décombres de la maison, son fils Hadj, âgé d’un an et demi, a perdu la vie. Il cite également son cousin Mahmoud Lahmar, révolutionnaire dénoncé et tué. « Je suis arrivé le premier devant son corps. Les militaires français m’ont dit: tu as deux heures pour l’enterrer sinon quand on revient on t’enterre avec lui. » La disparition des corps et des preuves était une habitude assez répandue de l’armée coloniale.
Quand on lui pose la question de la vie quotidienne, El Bachir répond simplement « nous n’avions pas le droit de vivre ». « Comment célébrer les événements politiques heureux dans un tel cadre de vie ? Soit les mariages étaient organisés en secret, tout comme les rituels mortuaires, soit il fallait une autorisation pour se marier ou se réunir pour le mort. Même pour aller moudre le grain au moulin, il fallait un laissez-passer. Cela leur permettait de contrôler et de compter en même temps », ajoute El Bachir.
Nous étions 85 dans la même cellule. On était si serrés que j’ai dormi en position assise sur les toilettes pendant un mois.
Comme beaucoup d’Algériens, Ahmed Lahmar, utilise un surnom, une pratique très courante. El Bachir signifie le porteur de bonne nouvelle ou le messager en arabe. Drôle de coïncidence pour un moussabil. Quelqu’un le dénonce en rapportant aux militaires français qu’un certain « Bachir », se trouve dans ce village. Le douar est encerclé deux fois par l’armée pour retrouver le fameux Bachir, jusqu’à ce que les militaires du 4ème régiment des dragons découvrent son véritable prénom.
Des images d’archives de la région retrouvées par la famille Lahmar.
« En 1957, je me souviens qu’ils ont débarqué dans la maison pour faire une descente de plus. Mais cette fois, ils ont encerclé notre domicile. On était sous surveillance intensive durant deux mois. Des fois, ils entraient à l’intérieur brutalement en mettant tout sans dessus dessous. La tension était telle qu’un jour ils ont enfermé la famille dans une pièce. Ma mère a dû calmer le veau, car s’il faisait du bruit, ou s’ il y avait une moindre perturbation, cela pouvait être considéré comme une alerte qui se finirait en bain de sang. »
Puis, une journée de 1958, tandis qu’il maçonnait, des soldats français l’embarquent avec d’autres personnes. Sans aucune justification. « Lors de l’interrogatoire, ils m’ont battu. » Puis il y a eu la torture, il cite « l’eau », « la chaise », et « l’electricité ». Sujet délicat, il ne s’attarde pas sur les détails durant notre discussion. El Bachir garde le silence durant la torture, et c’est en sortant de la pièce qu’il comprend qu’il a été trahi une nouvelle fois.
A la suite de l’interrogatoire, il est placé dans une cellule du camp de triage et de transit du PC La Fayette à Bougâa. Dans ce camp, les prisonniers sont renvoyés ailleurs ou restent enfermés pour une durée indéterminée. « On était si serrés que j’ai dormi en position assise sur les toilettes pendant un mois jusqu’à ce qu’une place se libère dans une autre cellule ». Dans cet entassement de corps, les conditions sont très difficiles, d’autant plus qu’il leur est interdit d’utiliser les toilettes. Les responsables trient les prisonniers en les envoyant ailleurs, ou en exploitant leur compétence par le travail forcé.
Seule ma mère s’occupait des enfants. Il était rare qu’elle reçoive de l’aide car tout le monde était dans la même situation.
Au moment de son incarcération, c’est le colonel De Sevelinge qui dirige les 4ème régiment de dragons. Il est connu dans la région pour sa responsabilité des évènements tragiques de mars 1958 à Bougâa. Une semaine de raid, de massacre et de viol sur la population indigène. De nombreux tortionnaires se sont succédés dans cette région. El Bachir ne connaît que des surnoms : un certain colonel Bousibsib, en référence à une sorte de cigare qu’il fumait très souvent et le capitaine Ak’hal (noir), en raison de sa peau foncée, qui maîtrisait un peu le dialecte algérien.
Toute la journée, de nombreux prisonniers algériens se voient exploités par les forces coloniales.
Dans le camp, les détenus sont voués au travail forcé selon leurs compétences. Ainsi El Bachir construit des « chalets » du matin au soir. Il est régulièrement violenté. « Le plus clément des Français me lançait des bouteilles d’alcool pendant ma pause pour me blesser, mais j’étais vif en ce temps-là, il ne m’a jamais touché. » La nuit il dort avec d’autres prisonniers dans une sorte de baraquement précaire avec une tôle en zinc, un enfer durant l’été et une véritable épreuve lors des hivers rigoureux algériens. La main-d’œuvre exploitée sans limite coûte peu cher à l’administration. « Les militaires cuisinaient et faisaient cuire des pommes de terre. On buvait cette eau aussi blanche que le lait avec un peu de sel, et on mangeait un quart d’un pain chacun. »
Aucune permission de sortie n’est possible. Aucune date de sortie n’est donnée. Sa famille lui envoie du tabac à chiquer quelques fois. « Seule ma mère s’occupait des enfants. Il était rare qu’elle reçoive de l’aide car tout le monde était dans la même situation. » Personne ne saura comment elle et ses filles auront réellement vécu en son absence.
Relâché comme il a été emprisonné : sans raisons
En 1959, et après 18 mois d’incarcération il est relâché sans explication. Il réintègre son groupe révolutionnaire. Le FLN distribue également aux familles des denrées alimentaires. Une partie des rations est cuisinée par les habitants à destination des combattants. Son épouse Aïchouche, décédée, et d’autres femmes de son village et d’Algérie ont elles aussi participé à la lutte indépendantiste aussi de cette manière.
Durant le cessez-le-feu de 1962, les agents et responsables du FLN visitent la population. El Bachir a la mission d’accompagner le célèbre commandant Si H’mimi depuis Ouled Ayad jusqu’au Hammam Guergour. L’armée coloniale a eu vent de son arrivée. El Bachir qui monte la garde devant la porte témoigne : « malgré le cessez-le-feu les militaires français, armés, ont cerné la maison où se trouvait Si H’mimi, puis le village et les moudjahidin, armés, les ont encerclés. On s’est retrouvé dans cette tension pendant trois heures. Puis les Français sont partis en disant soit-disant qu’ils étaient simplement venus voir. » Puis peu de temps après, le cinq juillet arrive, et enfin la paix pour quelques temps.
« Le jour de l’indépendance, on a fêté ça. Il y avait de la joie. » C’est la seule fois que le mot joie fera surface durant cette discussion inédite avec mon grand-père Ahmed Lahmar. Soixante ans après la fin de la guerre d’Algérie, El Bachir a enfin pu mettre des mots sur les images qu’il avait en tête, et moi une raison sur les silence
Durant la guerre d'Algérie, il n'y a pas que les militants communistes qui ont soutenu la cause algérienne pour son indépendance. Les chrétiens ont aussi contribué à protéger la cause algérienne. C'est dans ce sens qu'un documentaire les veilleurs de l'Évangile met en lumière le combat méconnu des chrétiens pour l'Indépendance algérienne. Ces anciens militants ont témoigné sur France 2, dimanche 3 juillet 2022.
Dans l'histoire douloureuse et complexe de la guerre d'Algérie, on a en tête le rapport de force entre l'armée française et les militants et combattants algériens du Front de Libération nationale (FLN).
Diffusé dimanche 3 juillet à 10 heures, sur France 2, le documentaire les veilleurs de l'Évangile a choisi de mettre en lumière des chrétiens, protestants ou catholiques, qui ont milité pour l'indépendance de l'Algérie à la fin des années 1950. Surveillés, parfois arrêtés et torturés par les militaires français ou assassinés dans des attaques militaires, ils sont pourtant souvent restés les oubliés de cette page d'Histoire.
Le réalisateur de documentaires Richard Berthollet réhabilite ces militants chrétiens et les fait témoigner aujourd'hui, dans une coproduction oecuménique des émissions Le Jour du seigneur et Présence protestante. Évoquant leurs souvenirs avec émotion, ces témoins de la guerre racontent notamment leur rôle dans les centres sociaux catholiques, au coeur des bidonvilles et des campagnes de l'Algérie colonisée. C'est au contact de ces populations plongées dans la misère que les travailleurs sociaux catholiques, et notamment les prêtres ouvriers de la Mission de France, se sensibilisent à la question de l'Indépendance algérienne et commencent à militer. Certains cachent des membres du FLN (comme le diplomate Salih Benkobbi qui témoigne dans le documentaire), quand d'autres documentent et dénoncent la torture des enfants algériens par des militaires français.
Parmi les témoins révoltés par cette violence, le prêtre jésuite Stanislas Hutin a bien du mal à faire entendre sa voix dans les aumôneries, où on peine à le croire. Il doit lutter contre l'incompréhension d'une partie de la communauté catholique, qui a même surnommé «Mohamed Ben Duval» un autre prélat, le cardinal et archevêque d'Alger Léon-Étienne Duval, à cause de ses prises de position en faveur des indépendantistes. Les institutions ecclésiales prennent leurs distances avec ces chrétiens rebelles. Le pasteur Étienne Mathiot est ainsi désavoué par une partie de l'Église luthérienne après sa condamnation en justice pour avoir aidé des combattants du FLN.
Car les chrétiens français sont censés maintenir une forme d'autorité religieuse en Algérie, et les églises, surmontées de drapeaux français, sont perçues comme les symboles d'un pays acquis aux Occidentaux. En dévoilant toutes les divisions de la communauté chrétienne, le documentaire de Richard Berthollet s'efforce de montrer un regard objectif et très complet sur la place de la religion dans le conflit.
Mardi 5 juillet 2022, cela fera 60 ans que l’Algérie a acquis son indépendance. Pour les Français qui vivaient en Algérie, le retour fut parfois douloureux et l’accueil compliqué.
Mardi 5 juillet, l’Algérie commémorera ses 60 ans d’indépendance. Si la joie avait envahi les Algériens dans les rues, la journée ne fut pas gaie pour tout le monde. En effet, de nombreux pieds-noirs ont dû quitter le pays. Arrivés à Marseille (Bouches-du-Rhône) pour la plupart, ils gardent de cette journée un souvenir douloureux, pour certains à cause de l’accueil reçu. "lls nous aimaient pas", témoigne une femme. "Le pied-noir est un colon, il est riche. Autant de stéréotypes qui font que l’accueil en France ne s’est pas bien passé", explique l’historien Jean-Jacques Jordi.
Des autorités dépassées
La cité phocéenne n’était par ailleurs pas prête à parer à une telle population dans l’urgence. Le maire de l’époque, Gaston Deferre, avait même eu cette phrase cinglante : "qu’ils aillent se réadapter ailleurs". La situation urgente obligea la ville à trouver des habitations rapidement pour loger les pieds-noirs. L’adaptation fut difficile pour les Français rapatriés d’Algérie. "Ils étaient étonnés de nous entendre parler français (…). J’ai bien compris qu’ils ne savaient rien de nous", confie Marie-Laure Garcia, l’une d'entre eux.
https://www.francetvinfo.fr/monde/afrique/algerie/independance-de-lalgerie-le-difficile-retour-en-france-des-pieds-noirs_5237743.htmlljr la viséo sur le site :
J.Wittenberg, M.Anglade,A.Zouioueche, B.Géron, N.Leydier, N.Alozian, A.Boulet - France 2
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