S’il est un moment bien oublié de l’histoire de la guerre de Libération nationale, c’est assurément l’action menée par la cellule FLN d’Es-Sénia (Oran) contre un avion d’Air France qui effectuait la liaison entre Oran et Paris.
J’exprime ici toute ma reconnaissance à Mohamed Fréha qui, il y a quelques années déjà, avait attiré mon attention sur cet événement, alors hors champ historique, personne n’en avait fait mention. En effet, ni le récit national, ni les historiens, ni les journalistes n’ont évoqué «l’explosion en plein vol d’un avion commercial d’Air France !». Mohamed FREHA est bien le seul. Dans son ouvrage J’ai fait un choix, (Editions Dar el Gharb 2019, tome 2) il lui consacre sept pages. Ses principales sources étaient la mémoire des acteurs encore en vie, celle des parents des chouhada et la presse d’Oran de l’époque, (L’Echo d’Oran en particulier). Les archives du BEA (Bureau d’enquêtes et d’analyses pour la sécurité de l’aviation civile), Fonds : Enquête sur les accidents et incidents aériens de 1931 à 1967 et plus précisément le dossier Accidents matériels de 1957 intitulé à proximité de Clermont-Ferrand (Puy-de-Dôme), Armagnac (F-BAVH) 19 décembre 1957, conservées aux Archives nationales de France, ne sont pas encore consultables. Qu’en est-il des archives de la Gendarmerie française ? Qu’en est-il de celles de la Justice civile et militaire là-bas dont celles des Tribunaux permanents des forces armées (TFPA). Et ici ? Et chez nous ? Il reste à retrouver et travailler les minutes du procès.
C’est ainsi que le jeudi 19 décembre 1957, à 14 heures, affrété par Air France, un quadrimoteur « Armagnac SE » numéro 2010, immatriculé F-BAVH appartenant à la Société auxiliaire de gérance et transports aériens (SAGETA), avait quitté l’aéroport d’Oran-Es-Sénia pour Paris qu’il devait atteindre vers 20 heures. A 18 heures 15, il fut brusquement détourné vers Lyon alors qu’il survolait Clermont-Ferrand. Une déflagration venait de se produire à l’arrière de l’avion au niveau du compartiment toilettes. Selon le témoignage d’un passager, la vue des stewards et hôtesses de l’air, qui couraient dans l’allée centrale vers la queue de l’appareil avec des extincteurs à la main, inspira un moment d’inquiétude. Le vol se poursuivit normalement malgré une coupure d’électricité et la baisse soudaine de la température dans la cabine.
Un petit travail de recherches nous apprend que l’aéronef, l’Armagnac SE, avait une excellente réputation de robustesse. Il était le plus grand avion de transport français jamais construit à ce jour et avait la réputation d’avoir «servi à de très nombreux vols entre Paris et Saïgon (actuellement Ho-Chi-Minh-Ville) lors de la guerre d’Indochine, principalement dans le rapatriement des blessés et des prisonniers». A-t-il été repéré et choisi pour cela ?
Il n’en demeure pas moins que le commandant de bord décida alors de se poser à l’aéroport de Lyon-Bron, rapporte le journaliste du Monde (édition datée du 21 décembre 1957). Toujours selon le commandant de bord : «La robustesse légendaire de l’Armagnac nous a sauvés, car d’autres appareils dont la queue est plus fine auraient certainement souffert davantage ». Une photographie montre bien cette brèche de deux mètres carrés.
Débarqués, les passagers comprennent qu’ils ne sont pas à Orly et l’un d’entre eux remarque une « grande bâche qui recouvre le flanc droit du fuselage ». Ils apprennent qu’ils sont à Lyon et qu’il y avait eu une explosion dans l’arrière de l’avion. Ils sont tous interrogés par les enquêteurs de la police de l’Air. L’hypothèse d’un accident technique est écartée et celle d’une action (un attentat, disent-ils) du FLN s’impose, ce qui provoque l’intervention des agents du SDECE. Et pour cause, c’est bien une bombe qui avait explosé.
Mais il y avait aussi le fait que cet avion transportait 96 passagers et membres d’équipage parmi lesquels 67 étaient des militaires de tous grades, venus en France pour les fêtes de Noël. L’enquête reprend à l’aéroport d’Es-Sénia qui se trouvait, à cette époque encore, au sein d’une base de l’armée de l’Air. Elle est confiée dans un premier temps à la gendarmerie d’Es-Sénia et s’oriente vers le personnel civil algérien, femmes de ménage comprises. Mais les soupçons se portent vers les bagagistes qui étaient dans leur grande majorité des Algériens. Elle aboutit à la découverte d’une cellule FLN à Es-Sénia à laquelle appartenaient, entre autres, des bagagistes.
Dans son récit construit sur la base des témoignages, Mohamed Fréha nous donne des noms et un narratif assez détaillé de l’action de ces militants. Le chef de l’Organisation urbaine FLN d’Oran avait transmis à un membre de la cellule dormante d’Es-Sénia, un ordre du chef de Région. Ils devront exécuter «une action armée spectaculaire.» Lors d’une réunion, le 15 décembre, la décision fut prise de «détruire un avion de ligne en plein vol». Mais il fallait «trouver une personne insoupçonnable de préférence avec un faciès européen». Ce fut un Européen, Frédéric Ségura, militant du Parti communiste, bagagiste à l’aéroport. Mohamed Fréha nous donne six noms des membres de la cellule auxquels il ajoute un septième, Frédéric Ségura. Madame Kheira Saad Hachemi, fille d’Amar Saad Hachemi el Mhadji, condamné à mort et exécuté pour cette affaire, nous donne treize noms dont celui de F. Ségura et présente un autre comme étant le chef du réseau. Ce dernier n’est pas cité par Mohamed Fréha.
Lorsque les militants du réseau avaient été arrêtés l’un après l’autre suite à des dénonciations obtenues après de lourdes tortures, Frédéric Ségura, qui avait placé la bombe, est torturé et achevé dans les locaux de la gendarmerie. Selon un policier algérien présent lors de l’interrogatoire, Ségura n’avait donné aucun nom. «Je suis responsable de mes actes !» avait-il déclaré à ses tortionnaires du SDECE. Son corps n’a jamais été retrouvé. Après l’indépendance, le statut de martyr lui fut certes reconnu, mais son sacrifice n’est inscrit nulle part dans l’espace public d’Es-Sénia. Rien non plus sur cette action. La mémoire est impitoyable quand elle est courte et qu’elle laisse la place à l’oubli. Quant au chef de la cellule, Lakhdar Ould Abdelkader, il aurait trouvé la mort au maquis.
Lors du procès, fin mai 1958, Amar Saad Hachemi el Mhadji, gardien de nuit à l’aéroport, fut condamné à mort et guillotiné le 26 juin 1958. Il avait introduit la bombe, crime impardonnable. Dehiba Ghanem, l’artificier, qui avait fabriqué la bombe artisanale, fut condamné à la prison à perpétuité. Les quatre autres impliqués, Kermane Ali, Bahi Kouider, Zerga Hadj et Salah Mokneche, furent condamnés à de lourdes peines de prison. Quant aux quatre autres, la justice a condamné trois à des peines légères et en a acquitté un. Non seulement ils étaient dans l’ignorance de ce qui leur était demandé (transporter la bombe ou la cacher dans leur local) mais de plus ils n’étaient pas membres de la cellule FLN. Des questions restent en suspens faute d’avoir accès aux archives : l’avion a-t-il été choisi à dessein, à savoir le fait qu’il transportait des militaires ? L’objectif était-il vraiment de donner la mort aux passagers ? Sur cette question, Mohamed Fréha rapporte que, réprimandé par sa hiérarchie, l’artificier répondit : « Non seulement que le dosage n’était pas conforme à la formule, mais également la poudre utilisée était corrompue par l’humidité».
Pourtant, Le correspondant du Monde à Lyon avait alors écrit : «Des dernières portes de la cabine jusqu’à la cloison étanche, le parquet était éventré. Il s’en fallait d’une dizaine de centimètres que les gouvernes n’eussent été touchées, ce qui eut entraîné la perte du quadrimoteur». Enfin et curieusement, le passager avait conclu son témoignage en établissant un lien avec un autre événement survenu une année plus tôt: «Réagissant à la piraterie de la «France coloniale» le 22 octobre 1956, lorsqu’un avion civil qui conduisait Ahmed Ben Bella du Maroc à la Tunisie, en compagnie de Mohamed Boudiaf, Hocine Aït Ahmed, Mohamed Khider et Mostefa Lacheraf est détourné par les forces armées françaises, le FLN voulait une réciprocité spectaculaire».
Spectaculaire ? C’est bien ce qu’avait demandé le chef FLN de la Région. L’action le fut et à un point tel qu’aujourd’hui rares sont ceux qui croient qu’elle a vraiment eu lieu. Il est triste de constater que cette opération qui a causé la mort de deux militants : Frédéric Ségura et Amar Saad Hachemi, n’est inscrite ni dans notre récit national ni dans la mémoire locale. Il nous faut visiter le musée créé par Mohamed Fréha au boulevard Emir Abdelkader à Oran pour y trouver des traces. Ces martyrs et leurs frères du réseau d’Es-Sénia méritent la reconnaissance de la Nation. Peut-être alors que leurs frères d’Es-Sénia et d’Oran leur rendront hommage à leur tour. Inch’a Allah !
par Fouad Soufi
Sous-directeur à la DG des Archives Nationales à la retraite - Ancien chercheur associé au CRASC Oran
Notre collaborateur Renaud de Rochebrune, dont les lecteurs de Jeune Afrique et de La Revue connaissent bien la signature, est brutalement décédé le 22 septembre à l’âge de 75 ans. Depuis les années 1970 et en parallèle de ses carrières d’auteur et d’éditeur, il n’avait jamais cessé de collaborer avec les publications du groupe.
« Et vous Renaud, qu’en pensez-vous ? » C’était une sorte de rituel, à Jeune Afrique comme à La Revue. Lorsqu’un grand sujet était débattu en conférence de rédaction, quand les avis s’opposaient, que les interprétations divergeaient, Béchir Ben Yahmed (décédé en 2021) aimait, souvent, se tourner vers Renaud de Rochebrune. Entré à Jeune Afrique dans les années 1970 après avoir commencé sa carrière au quotidien Le Monde, Renaud avait d’abord dirigé Economia, l’un des titres du groupe, avant d’occuper de multiples fonctions à JA, puis à La Revue. Silhouette longiligne enveloppée d’une veste délavée de couleur moutarde, l’intéressé se lançait, de sa voix éraillée à nulle autre pareille.
Lorsque BBY lui donnait la parole, il le faisait avec malice, presque avec amusement, tant tous les deux se connaissaient par cœur. Car Renaud, tous ceux qui l’ont côtoyé le savent, avait un avis sur (presque) tout. Et savait présenter et défendre cet avis avec talent, éloquence et, souvent, avec un peu d’entêtement. Qu’il s’agisse de parler de cinéma, du durcissement du régime chinois, des fluctuations du cours du pétrole, du bilan des socialistes au pouvoir en France, de littérature ou de la guerre d’Algérie, sa grande passion et la grande affaire de sa vie, Renaud avait toujours quelque chose à dire, et cela pouvait durer un certain temps. Et provoquer de virulents débats, dont BBY se régalait.
Éditeur, auteur, journaliste
Économiste de formation – il avait étudié à HEC, comme le fondateur de Jeune Afrique, ce qui contribuait à renforcer le lien particulier qui les unissait –, Renaud a eu mille vies. Journaliste bien sûr, mais aussi éditeur – chez Denoël, principalement –, auteur, historien, critique de cinéma… Cycliste, également, car le vélo était une passion qu’il a assouvie jusqu’au bout. Il racontait volontiers ses ascensions du célèbre Mont Ventoux, dans le sud de la France, et restait capable, à 70 ans passés, de s’embarquer pour l’Afrique du Sud avec un ami afin de participer à une course amateur organisée au Cap.
IL ÉTAIT TRÈS ÉRUDIT, TRÈS HISTORIEN, IL CONNAISSAIT DES MILLIARDS DE CHOSES
Auteur et éditeur, il avait collaboré à plusieurs biographies de personnages historiques tels que Mao ou Messali Hadj, et avait connu un certain succès au début des années 1990 avec son livre Les patrons sous l’occupation, coécrit avec son ami Jean-Claude Hazera.
Plus récemment, il avait publié avec Benjamin Stora une monumentale Guerre d’Algérie vue par les Algériens, dont les deux tomes sont parus en 2016 et en 2019. « Nous nous sommes rencontrés dans les années 1990, il était venu m’interviewer sur la guerre civile qui déchirait l’Algérie à ce moment-là et nous sommes très vite devenus amis. Il est venu me voir au Maroc et c’est là, je m’en souviens très bien, qu’il m’a proposé cette idée : écrire une histoire de la guerre d’Algérie, mais vue par les Algériens. J’ai dit oui, mais je ne pensais pas que cela nous prendrait vingt ans et que ce serait un travail aussi énorme », témoigne l’historien.
« Il travaillait tout le temps »
Les deux amis ne se sont plus quittés – Renaud était fidèle – et ont multiplié les travaux en commun, partant ensemble à Ramallah interviewer les dirigeants palestiniens, écrivant à quatre mains des articles sur le cinéma, l’une de leurs autres passions communes. « Il était très érudit, très historien, il connaissait des milliards de choses, se souvient encore Benjamin Stora. Il était toujours débordé, il travaillait tout le temps, jour et nuit. Renaud et moi, ce sont vraiment vingt ans de compagnonnage intellectuel. »
À 75 ANS, RENAUD RESTAIT SUR TOUS LES FRONTS
Avec Jeune Afrique aussi le compagnonnage fut long – près de cinquante ans – et fécond. Tour à tour journaliste, rédacteur en chef, conseiller, membre du comité éditorial, Renaud a été de toutes les aventures, suivant Béchir Ben Yahmed à La Revue tout en continuant de livrer des articles à JA.
« Nous nous étions rencontrés au milieu des années 1970, puis nous nous sommes retrouvés à La Revue, confirme son ami l’économiste et éditeur Marc Guillaume. Nous étions encore ensemble il y a une quinzaine de jours, je suis allé voir sa maison dans la Creuse, il est venu dans la mienne dans l’Aveyron. Nous avons parlé de vélo, nous voulions faire des ascensions ensemble, je l’avais associé à la revue d’écologie que je m’apprête à lancer, on avait mille projets… Je suis effondré. »
À 75 ans – qu’il a fêtés le 22 mars – Renaud restait sur tous les fronts. Son dernier article, nous l’avons publié mercredi dernier, il portait sur Ordalies, le tribunal de l’invisible, film subtil d’Hadrien La Vapeur et Corto Vaclav sur les pratiques magiques au Congo. Son prochain texte aurait dû traiter du film The Woman King, sur les Amazones du Bénin. Lors de ses conversations sur le sujet avec le responsable des pages culture, il avait confié ne pas aimer le film, trop hollywoodien pour ses goûts d’esthète, mais il voulait tout de même en montrer les aspects les plus positifs. Déjà, il se préparait à aller voir Black Panther II, sans grand enthousiasme mais avec un sens consommé du devoir.
Indomptable
Plus à l’aise avec les films d’art et d’essai qu’avec les blockbusters grand public, il fuyait les mondanités du monde du cinéma, mais adorait tout de même suivre les grands raouts de la profession comme le Fespaco, à Ouagadougou, le Festival d’El Gouna en Égypte ou le festival de Cannes dans le sud de la France, qu’il ne manquait jamais. Il était d’ailleurs devenu l’un des meilleurs spécialistes du cinéma africain, dont il avait interviewé la plupart des grands réalisateurs.
Renaud de Rochebrune, c’était un de ces personnages n’entrant dans aucune case dont Béchir Ben Yahmed aimait à s’entourer. C’était aussi, à sa façon, un indomptable : dépourvu de tout goût pour la consommation, se contentant d’une vie intellectuelle intense, il menait sa barque en toute liberté. Sans Dieu ni maître. Salut, Renaud. Et merci.
Toute l’équipe de Jeune Afrique s’associe à la douleur de tes proches et de ta compagne, Françoise.
Slimane Zeghidour, journaliste à TV5MONDE, a grandi dans un camp de déplacés durant la guerre d'indépendance.
Slimane Zeghidour, journaliste et éditorialiste à TV5MONDE, est né dans un village de montagne en Kabylie, où rien n'avait bougé depuis des siècles : ni la langue, ni les légendes, ni la mortalité infantile, ni l'habitude de vivre en communion avec la nature. Le gouvernement français durant la guerre d'Algérie décide de regrouper les villageois dans des camps pour les soustraire aux indépendantistes du FLN. À l'âge de 4 ans, Slimane Zeghidour est arraché à son village ancestral. Ce moment là est aussi pour lui la découverte de l'école, de l'hôpital, de la captivité et des "vrais Français". Témoignage.
TV5MONDE : Racontez-nous le cadre de votre enfance ? Comment vivez votre famille en Kabylie ?
Slimane Zeghidour : Je suis né le 20 septembre 1953 dans un hameau de Kabylie, un hameau complètement enclavé dans le Djébel. C'est à dire à l'écart de tout réseau routier administratif, routier ou postal. C'était un hameau où on ne voyait jamais d'Européen comme on disait à l'époque. Les seuls personnes du hameau qui avaient des contacts avec les Français, appelons les comme ça, étaient les aînés. C'était le cas de mon grand-père paternel. Il travaillait comme métayer chez des agriculteurs européens d'origine suisse à Sétif.
Sans la guerre, je ne serais pas là aujourd'hui pour témoigner. Je n'aurais pas connu l'école. Je n'aurais pas été soigné de la tuberculose. Deux frères et une soeur ont succombé à cette maladie.Slimane Zeghidour, journaliste et éditorialiste TV5MONDE
Dans la mémoire du village, le rapport avec les Français était lié à la guerre. Des ancêtres étaient partis combattre au côté des Français lors de la guerre de Crimée (1853-1856) ou de la Première guerre mondiale (1914-1918).
Sans la guerre, je ne serais pas là aujourd'hui pour vous parler et témoigner. Je n'aurais pas connu l'école. Je n'aurais pas été soigné de la tuberculose. Deux frères et une soeur ont succombé à cette maladie. Je n'aurais jamais vu de Français.
Les "camps de regroupement" et la guerre d'Algérie. À partir de 1957, les militaires français décident de lutter contre la guérilla menée par le FLN en reprenant le contrôle de la population et en privant le FLN des moyens logistiques (abri, nourriture) qu'il obtient de gré ou de force auprès de la population. Pour cela, des zones interdites sont créées, où tout être vivant, homme ou animal, est abattu sans sommation. La population qui y vit est chassée de ses habitations et regroupée dans des villages de tentes. Plus d'un 1/3 de la population rurale algérienne sera regroupée dans ces camps, soit un peu plus de deux millions d'habitants selon l'historien Benjamin Stora. L'Algérie coloniale compte 10 millions d'habitants en 1954.
TV5MONDE : Comment était la vie quotidienne dans le village ?
La vie dans le village était assez morne, rythmée par les saisons. Nous nous éclairions avec la lampe à pétrole. Nous vivions dans des zones pentues à flanc de colline. Nous vivions d'une agriculture de subsistance. Nous cultivions de l'orge. Les fruits se résumaient aux figues de nos arbres. Comme légume on cultivait des fèves. Nous ne connaissions pas les pommes, les poires, les oranges et encore moins les bananes.
Le camp de regroupement d'Erraguene où se trouvaient Slimane Zeghidour et sa famille de 1957 à 1961.
Collection particulière Slimane Zeghidour.
TV5MONDE : Comment votre famille a appris le début de la guerre d'indépendance (1954-1962) ?
Dans notre village nous n'avions aucun écho du déclenchement de la guerre. Nous n'avions pas de poste de radio et nous n'avions pas de journaux. Mais c'est la guerre qui est venue à nous. Lorsque les soldats français sont revenus de l'Indochine, ils ont mis en place des théories contre-révolutionaires. Ces théories s'inspiraient de cette maxime de Mao Zedong (révolutionnaire et dirigeant de la Chine communiste entre 1949 et 1976, ndlr) selon laquelle les révolutionnaires évoluent au sein de la population comme des poissons dans l'eau. C'est ce qu'avait fait le vietcong (mouvement communiste indépendantiste vietnamien, ndlr), lors de la guerre d'Indochine (1946-1954). Et donc la théorie contre-révolutionnaire consistait à retirer l'eau du poisson pour qu'il meure. Et l'eau du poisson c'était nous les villageois des villages enclavés où l'armée ne pouvait pas se rendre.
Le seul souvenir, à 4 ans, que j'ai de notre déménagement (en 1957), en catastrophe, de notre village est une image un peu sépia, lointaine. Je vois au loin des mulets chargés d'ustensiles de cuisine, de jarres en argiles, de nattes. Slimane Zeghidour, journaliste et éditorialiste TV5MONDE
L'état major français décide de transférer tous les habitants des villages enclavés dans des camps dit de regroupement pour pouvoir les soustraire à l'influence de l'ALN, l'armée de libération nationale, bras armée du FLN. Mais ce n'était pas le seul objectif. Il fallait leur faire découvrir les bienfaits de la France, l'amour de la France et les convaincre qu'il est plus intéressant pour eux de se ranger du côté de la France que du côté du FLN.
TV5MONDE : Comment s'est passée l'arrivée des soldats ? Comment avez vous dû quitter le village ?
Le seul souvenir, à 4 ans, que j'ai de notre déménagement subi (en 1957), en catastrophe, de notre village est une image un peu sépia, lointaine. Je vois au loin des mulets chargés d'ustensiles de cuisine, de jarres en argiles, de nattes. C'est tout ce dont je me souviens. Je ne me souviens pas du trajet long de 7 km. Je ne me souviens pas de l'arrivée dans le camp, du premier jour dans le camp.
TV5MONDE : Comment était réglée la vie à l'intérieur du camp de regroupement ?
Nous avions construit une paillote comme les 6500 personnes qui étaient présentes dans le camp. Mon père a pu ensuite construire une barraque en bois avec de la tolle ondulée. C'était un palace absolu comparé aux abris du reste du camp. Et je me souviens par contre ce qu'était enfant le sentiment de courrir sur un espace plat. La cuvette était plate. C'était un sentiment bizarre. Nous venions de villages extrêmement pentus. Je me souviens du froid aussi d'un froid terrible dans cette cuvette. Le camp était entouré de barbelés électrifiés. Je me souviens avoir vu une chèvre completement explosée le long du barbelé. Je revois les étincelles.
Les conditions d'hygiène étaient effroyables. Plus de 10 % des personnes dans le camp sont mortes, essentiellement des enfants.Slimane Zeghidour, journaliste et éditorialiste TV5MONDE
Nous étions 6500 dans le camp, dans une cuvette très humide, arrosée par les rivières. Et c'est là que nous enfants avons découvert l'école, une structure installée par l'armée. Les instituteurs étaient des "bidasses", des soldats. Les infirmiers étaient des soldats. Les médecins étaient des médecins militaires.
Les conditions d'hygiene étaient effroyables. Plus de 10 % des personnes dans le camp sont mortes, essentiellement des enfants. J'ai failli moi-même être emporté par une angine pulmonaire. J'en ai encore des séquelles dans mes poumons aujourd'hui. J'ai encore des traces de calcification.
C'est comme cela qu'il y a eu dans mon expérience personnelle une forme d'ambiguïté vis à vis de cette armée française. On voyait les bombardements de l'armée dans le Djebel environnant. Mais en même temps ce sont des gens en uniforme qui m'ont soignée de la tuberculose et ce sont des gens en uniforme qui m'ont appris à lire et à écrire.
Des enfants du camp d'Erraguene à l'école. Slimane Zeghidour se trouve à gauche de la photo.
Collection particulière Slimane Zeghidour.
C'est cela cette dette étrange et cette expérience étrangère que j'ai avec l'armée française et avec cette guerre. Je suis conscient des effets désastreux de la guerre. Et en même temps si il n'y avait pas eu la guerre, dans mon cas, je ne serais pas là pour vous parler.
TV5MONDE : C'est la première fois que vous rencontriez des Français ?
C'était, sous la quatrième République, notre premier contact avec les Européens. En Alégrie, la population était divisée entre ceux que l'on nommait les Européens et ce que l'on nommait les musulmans. Et ce premier contact n'était pas avec les Français d'Algérie mais avec des soldats venant de la Savoie, de la Corse, ou du Vaucluse en Provence. Après 125 ans de colonisation, c'était la première fois que l'Algérie profonde rencontrait la France profonde. Des fils de paysans du Limousin rencontraient des paysans du Djebel.
Nous découvrions des Français qui étaient des infirmiers, des instituteurs ou des médecins.Slimane Zeghidour, journaliste et éditorialiste TV5MONDE
C'était un moment capital. La surprise a été totale pour les deux. Ces Français de France avaient été instruits avec des livres qui disaient que la France, la République aimait ces enfants. Et là ils découvrent une situation sociale qui ne s'apparentait pas à celle du Moyen-Âge mais bien à celle du Néolithique.
Et nous découvrions des Français qui étaient des infirmiers, des instituteurs ou des médecins. Les méchants pour nous c'etaient les légionnaires avec des Allemands, des Hongrois et les harkis qui n'étaient pas de la région mais qui venaient d'autres régions d'Algérie. Et les Français avec qui nous avions affaire c'étaient surtout des gens qui faisaient de l'assistance sociale et qui parlaient arabe ou kabile. C'étaient des gens qui faisaient partis de la SAS, la Section administrative spécialisée, organisme chargé d'aider les populations algériennes.
Un soldat français dans le camp d'Erraguene avec des habitants du camp.
Collection particulière Slimane Zeghidour.
Le camp était tout sauf un camp d'extermination. Tout en réprimant, tout en faisant la guerre en faisant disparaître des gens, l'armée française avait un rôle d'assistance sociale, d'aide aux populations. L'armée française avait une main qui torturait et une autre qui soignait.
J'ai grandi donc avec le préjugé favorable que les Français étaient des gens bien. Mon père disait souvent : "Lui c'est un bon Français, comme si Français était un préjugé positif." J'apprendrai beaucoup plus tard que le barrage qui était en construction en amont du camp était protégé par un régiment de forces spéciales. Mais nous n'avions pas affaire à eux.
Des enfants en tenue kabyle traditionnelle dans le camp.
Collection particulière Slimane Zeghidour.
Des familles d'ingénieurs vivaient non loin du chantier. Et le chantier était approvisionné par avion. Enfant, j'ai vu des avions avant de voir des automobiles ou des vélos.
Le chantier du barrage d'Erraguene a donné du travail à tous les hommes. Et donc les paysans qui vivaient au rythme des caprices de la nature, des saisons, des bonnes ou des mauvaises récoltes avaient soudain un revenu mensuel stable.
Comment dire cela ? C'est un coup de pied formidable dans le derrière ! C'était une entrée violente dans la modernité et l'économie de marché. C'était un choc avec aussi une élévation du niveau de vie.
J'ai été le premier à annoncer le cessez-le feu dans un groupe de paillotes du camp. C'est la première et la seule fois que j'ai vu mon père dans un tel état d'allégresse.Slimane Zeghidour, journaliste et éditorialiste TV5MONDE
Mes parents étaient complètement illettrés. Mon père avait appris à écrire son nom et il avait ensuite passer son permis. L'armée a ouvert un marché et un abbatoir. Mon père et mon oncle ont ouvert une petite boutique. Après, ils ont acheté un camion. Et donc nous avons découvert des choses aussi banales que des navets, des oranges, des bananes, des aubergines. Nous n'avions jamais vu cela.
À l'école on a eu une maîtresse civile apres les soldats instituteurs. C'était la première Française que je voyais. Elle a dit à mon père : "Slimane c'est une bonne tête". C'était quelque chose d'extremement valorisant. Et donc je suis rentré dans la vie avec le plein de confiance en moi.
TV5MONDE : Comment se déroule pour votre famille et pour vous la fin du conflit ? Comment avez-vous appris le cessez-le-feu du 19 mars 1962 ?
Le barrage d'Erraguene dans lequel j'ai grandi a été inauguré en 1961. J'ai vu les eaux monter. On nous a déplacé dans un autre camp que l'on appelait "La Carrière". En 1961 les négociations étaient déja engagées avec le FLN. Le premier camp était ceinturé de barbelés. Ce n'était pas le cas dans le deuxième camp. Dans le premier camp nous n'avions pas de contact avec les maquisards, les indépendantistes du FLN. Dans le deuxième camp, la nuit tombée, les responsables du FLN venaient dans le camp. Ma mère leur faisait des frites et leur donner du pain et ils repartaient. La caserne française se trouvait loin au sommet d'une colline, à un kilomètre. Et un matin je suis sorti. Je n'avais pas école ce jour-là.
Avec l'expérience de mon enfance je n'ai jamais perçu les conflits de façon manichéenne. La guerre c'est le pire de l'homme mais c'est aussi le meilleur de l'homme même si c'est de manière très minoritaire.Slimane Zeghidour, journaliste et éditorialiste TV5MONDE
C'était le 19 mars 1962. J'ai vu un avion qui lachait depuis le ciel des tracts. J'ai lu le tract "Kessez le feu" et non "cessez-le feu "! Mais tout le monde a compris. J'ai été le premier à annoncer le cessez-le feu dans un groupes de paillotes du camp. C'est la première et la seule fois que j'ai vu mon père dans un tel état d'allegresse. Et ensuite nous sommes allés défiler.
TV5MONDE : Vous avez retranscrit dans un livre intitulé "Sors la route t'attend", votre expérience dans ce camp de déplacés. Que signifie ce titre ?
Dans le premier camp l'école était à un kilomètre et demi. Dans le deuxième camp, elle se trouvait à sept kilomètres. Il fallait traverser une fôret. J'avais parfois la flemme de partir. J'imaginais cette route comme un serpent, un être vivant. Je percevais la route comme un être vivant.Il fallait partir tôt le matin à pied. Et donc ma mère me disait les matins d'école : "Sors la route t'attend". J'ai écrit ce livre aussi en hommage à ma mère qui ne savait pas liren encore moins écrire. Elle est morte dix jours avant la publication de l'ouvrage.
Des enfants du camp jouent à l'entrée du camp d'Erraguene tenue par l'armée française.
Collection particulière Slimane Zeghidour.
TV5MONDE : Vous êtes devenu journaliste, grand reporter. Vous avez couvert des conflits. Votre expérience de la guerre durant votre enfance a-t-elle eu un rôle dans le choix de votre métier ?
J'ai été effectivement grand reporter au Moyen-Orient, en Amérique latine, en Russie. J'ai passé ma vie à couvrir des conflits. J'ai vu des camps de réfugiés en Irak, en Palestine. J'ai grandi dans la guerre mais je n'ai jamais fait le lien entre ce que j'ai vécu et mon métier. Cela montre l'extraordinaire capacité du psychisme humain à mettre en place des barrières hermétiques. Pourtant le camp c'était visible. Pourtant j'ai connu l'exode. Avec l'expérience de mon enfance je n'ai jamais perçu les conflits de façon manichéenne. La guerre c'est le pire de l'homme mais c'est aussi le meilleur de l'homme même si c'est de manière très minoritaire.
Slimane Zeghidour a retrancrit son expérience dans l'ovrage "Sors, la route t'attend".
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TV5MONDE : Le président français Emmanuel Macron essaie d'opérer un rapprochement mémoriel avec l'Algérie. Comment percevez-vous cette tentative de réconciliation des mémoires ?
Pour moi la mémoire c'est quelques chose de très personnelle. Je crois plus en l'histoire. Il y a les faits tels qui se sont déroulés et il y a la façon dont les gens les vivent ou les ont vécu. Ce sont deux choses totalement différentes pour moi. Toutes les mémoires font partie du conflit même si ce sont des mémoires amplifiées et exagérées. Pour cautériser les plaies la question des faits de l'histoire est primordiale. Mais en même temps, le poids des mémoires fait partie du conflit. Reconcilier les mémoires ? Je ne sais pas vraiment ce que cela veut dire. Le grand poète palestinien Mahmoud Darwich a trouvé une très belle formule. Il a dit : "Je voudrais que l'on discute avec eux, les voisins israéliens non pas argument contre argument qui consiste à dire que l'un détruit des maisons et que l'autre pose des bombes sinon c'est sans fin. Je veux discuter vécu contre vécu. Faire comprendre à l'autre ce que l'autre a enduré et c'est de là que peut naître la réconciliation".
Guy Pervillé, Histoire de la mémoire de la guerre d’Algérie, Préface de Serge Barcellini, Ed Soteca, 2022
La guerre d’Algérie, contrairement à ce que l’on dit trop souvent, tient une place non négligeable dans les programmes d’histoire de l’enseignement secondaire français depuis les années 1980, et sa mémoire a fait l’objet d’un enseignement méthodologique particulier pour la préparation de l’oral du baccalauréat, concurremment avec celle de la Seconde Guerre Mondiale. Pourtant, ces deux histoires et ces deux mémoires sont loin d’être identiques. Les élèves et les enseignants en sont d’ailleurs bien conscients, et se sentent souvent moins à l’aise avec la plus récente qu’avec la plus ancienne des deux.
D’autre part, le statut reconnu par l’Etat à la mémoire de cette guerre n’est pas du tout le même en France et en Algérie. Il faut comprendre les raisons de cette différence et ses conséquences, d’autant plus importantes que l’Etat algérien s’est efforcé depuis plus d’un quart de siècle d’effacer cette différence en essayant d’obtenir que la mémoire française s’aligne sur la mémoire algérienne, sans succès jusqu’à présent.
L’auteur a donc voulu faire œuvre d’histoire contemporaine et immédiate, en allant jusqu’aux événements les plus récents.
Guy Pervillé, professeur émérite d’histoire contemporaine, a consacré de nombreux livres et articles à la guerre d’Algérie.
L’ouvrage de Guy Pervillé rentre dans la collection « Histoire de Mémoire », dirigée par Serge Barcellini.
Parmi les autres ouvrages publiés dans cette collection :
Rémi Dalisson, Histoire de la mémoire de la guerre de 14-18, 2015
Olivier Lalieu, Histoire de la mémoire de la Shoah, 2015
Emile Kern, Histoire de la mémoire du Premier Empire, 2016
Sophie Hasquenoph, Le devoir de mémoire, Histoire des politiques mémorielles, 2017
Véronique Gazeau-Goddet, Tramor Quemeneur, Mourir à Sakiet, Enquête sur un appelé dans la guerre d’Algérie, puf, 2022
Cet ouvrage vient rompre le long silence tombé sur la mort de l’aspirant Bernard Goddet, l’un de quinze tués du 3/23e Régiment d’infanterie dans l’embuscade de Sakiet du 11 janvier 1958, à la frontière algéro-tunisienne. L’enquête s’est cristallisée autour du jeune homme qui a laissé des écrits et une abondante correspondance, croisés avec des sources archivistiques et des entretiens avec des appelés du 23e Régiment. Sorti d’HEC, chrétien, le jeune homme s’interroge sur différentes solutions pour mettre fin à la guerre. L’opération dans laquelle Bernard Goddet et ses camarades trouvent la mort est enfin mise au jour grâce aux archives militaires. Cette opération était-elle bien préparée ? L’événement soulève aussi la question des frontières. Ainsi, à la suite de l’embuscade, la France bombarde le village de Sakiet Sidi Youssef et déclenche ainsi une grave crise, tant internationale que nationale, qui se solde par la chute de la IVe République, avec le putsch d’Alger du 13 mai 1958.
Ce deuxième numéro de la nouvelle formule de L’Histoire-Collection, réunit les spécialistes de l’Algérie.
Le trimestriel du magazine L’Histoire fait peau neuve et devient un mook de 132 pages. Portfolios, cartes, BD, infographies, entretiens, complètent les articles pour éclairer le passé et en comprendre les enjeux.
Le temps long de l’Algérie a été privilégié : les violences de la conquête et du régime colonial français les huit ans d’une guerre qui déchira tous les camps, mais aussi les drames qui ont suivi l’indépendance de 1962.
Historia, Numéro spécial, Guerre d’Algérie, Le choc des mémoires, mars 2022
Historia revient dans ce dossier sur les points de tensions mémoriels entre la France et l’Algérie et publie, pour la première fois dans l’histoire des relations franco-algériennes un sondage, réalisé des deux côtés de la Méditerranée, qui ouvre de nouvelles perspectives pour un avenir apaisé.
Raphaëlle Branche (Dir) En guerre(s) pour l’Algérie, Témoignages, Tallandier, 2022
La guerre s’est achevée il y a soixante ans en Algérie. Elle a marqué durablement les sociétés française et algérienne et touché directement des millions de personnes. Comment ces Français et ces Algériens ordinaires l’ont-ils vécue ? Quinze femmes et hommes ont accepté de confier leurs souvenirs de jeunesse. Leurs témoignages sont essentiels pour écrire une histoire qui ne soit pas seulement celle des décisions et des grands événements politiques et militaires. Ils éclairent ce que furent des vies simples prises dans la tourmente de la guerre.
Ils étaient appelés du contingent, militaires de carrière, harkis ou militants indépendantistes (du FLN et du MNA) en métropole et en Algérie, mais aussi membre de l’OAS, simples civils algériens ou français. Conscients de l’urgence de témoigner, ils racontent la guerre vue d’un appartement d’Alger, d’une usine parisienne, du maquis, d’une caserne. Quelles peurs les habitaient ? Quels dangers ont-ils affrontés ? Quelles étaient aussi les raisons de leur engagement ? Quels étaient leurs espoirs ? Ils répondent à ces questions avec le souci constant de dire au plus vrai, de raconter au plus juste. Les témoignages ne se situent pas d’un côté ou de l’autre de la Méditerranée. Ils ne sont pas au service d’une groupe de mémoire particulier. Au contraire, ils permettent d’explorer les multiples facettes de ce conflit complexe où guerre de libération et luttes fratricides se sont mêlées, où destruction et ravages se sont accompagnés d’aspiration au renouveau.
Raoul Girardet, L’idée coloniale en France de 1871 à 1962, Bartillat, 2022
Comment s’est développé en France, aux lendemains de la guerre de 1870, une volonté cohérente d’expansion coloniale ? Comment cette volonté s’est-elle affirmée, quels échos a-t-elle rencontrés dans les esprits et dans les cœurs ? Autour de quels thèmes la vision impériale française s’est-elle progressivement définie ? À quelles résistances s’est-elle heurtée et comment celles-ci se sont manifestées ? De l’époque où se consommait le partage du monde jusqu’aux derniers sursauts de la décolonisation, quelle place le fait et le débat colonial ont-ils en définitive occupé dans la conscience nationale française ? C’est à ces questions encore jamais abordées qu’a tenté de répondre Raoul Girardet.
Étude d’histoire collective des mentalités, des sentiments et des croyances, menée avec toute la rigueur méthodologique du spécialiste, ce livre est aussi l’histoire d’une idée, une idée que l’on voit naître, croître, combattre, s’imposer, puis décliner et succomber…
La renaissance de ce livre équilibré et original permettra justement d’offrir un regard pertinent sur le fait colonial qui fait tant débat aujourd’hui.
Simon Murray, Légionnaire, un Anglais dans la guerre d’Algérie, Perrin 2022
Le 22 février 1960, à l’âge de dix-neuf ans, Simon Murray pousse les portes du fort de Vincennes pour s’engager dans la Légion étrangère. L’Aventure commence : l’embarquement à Marseille, l’arrivée en Algérie, à Sidi bel-Abbès, les longs mois d’instruction, l’affectation au 2e régiment étranger de parachutistes, la guerre et la traque des fellaghas de la frontière marocaine à la frontière tunisienne, les Aurès, le putsch avorté de 1961, les accords d’Evian, la lente et difficile adaptation au temps de paix… Durant ses cinq années de service, Murray consigne dans ses carnets de bord son expérience quotidienne de la rude vie de légionnaire, l’entraînement, les marches sans fin et les échauffourées avec les fellaghas dans les montagnes de l’Atlas. La force du récit tient à la personnalité atypique de son auteur. Issu d’un milieu bourgeois, formé dans une vénérable école britannique, il s’enorgueillit de servir dans une unité légendaire. Telle est la vertu première de ce journal de guerre unique en son genre : il dit la vérité, toute la vérité et permet de comprendre l’organisation et les motivations de cette troupe à nulle autre pareille.
Un témoignage essentiel sur la guerre d’Algérie comme sur le quotidien des « hommes sans nom » qui composent la Légion étrangère.
Alice Kaplan, Maison Atlas, Le Bruit du Monde, 2022
Au début des années 1990, Emily quitte le Minnesota pour s’installer à Bordeaux. Sur les bancs de l’université, elle rencontre Daniel Atlas, un juif algérien dont elle tombe amoureuse. Il n’est encore qu’un jeune dandy lorsque la guerre civile déchire son pays, l’obligeant à quitter Emily et la France. De retour à El Biar, le quartier de son enfance, Daniel retrouve ses parents isolés et menacés. Cette illustre famille de commerçants, qui a connu l’Algérie colonisée puis indépendante, a choisi de rester sur cette terre envers et contre tout. Bien des années plus tard, Becca, une jeune Américaine fera elle aussi le voyage jusqu’à Alger pour mieux comprendre leur lignée.
Béatrice Commengé, Alger, rue des Bananiers, Verdier, 2022
« Le hasard m’avait fait naître sur un morceau de territoire dont l’histoire pouvait s’inscrire entre deux dates : 1830-1962. Tel un corps, l’Algérie française était née, avait vécu, était morte. Le hasard m’avait fait naître sur les hauteurs de la Ville Blanche, dans une rue au joli nom : rue des Bananiers. Dans la douceur de sa lumière, j’avais appris les jeux et les rires, j’avais appris les différences, j’avais aimé l’école au Soleil et le cinéma en matinée, j’avais découvert l’amitié et cultivé le goût du bonheur. »
En remontant le cours d’une histoire familiale sur quatre générations, Béatrice Commengé entremêle subtilement la mémoire d’une enfance et l’histoire de l’Algérie française. Au plus près de l’esprit des lieux, elle parvient à donner un relief singulier au récit de cet épisode toujours si présent de notre passé.
Henri-Christian Giraud, Algérie : Le piège gaulliste, Perrin, 2022
« Je ne me sens bien que dans la tragédie » Charles de Gaulle. Au terme de sa longue traversée du désert, Charles de Gaulle s’empare de la cause de l’Algérie française pour prendre le pouvoir en 1958. Loin des hésitations et des tâtonnements que certains historiens prêtent au Général à cette époque, Henri-Christian Giraud dresse le portrait d’un homme déterminé, guidé par une idée qu’il suivra tout au long de l’affaire algérienne : l’indépendance ne fut jamais pour lui une concession accordée à contrecœur, pas plus qu’une noble initiative anticolonialiste placée sous le signe du temps.
Elle fut un moyen, un prétexte pour la France de s’extraire d’une colonie dont elle n’avait plus rien à espérer. Convaincu de servir l’intérêt supérieur de son pays, de Gaulle doit faire face à de nombreux obstacles : l’armée, l’opinion publique, le gouvernement, le peuple français, la presse, les agitateurs, les Européens d’Algérie… Autant d’intransigeants que ce « prince de l’ambiguïté » entend surmonter à sa façon. Faisant miroiter l’association aux uns, la sécession aux autres, louvoyant entre représentants de l’URSS, du FLN, du GPRA et de son propre camp, de Gaulle orchestre d’une main de maître, et par une série de coups montés, le piège dans lequel tous les acteurs du conflit vont être amenés à glisser, jusqu’à la tragédie finale. Un document capital, fondé sur des archives inédites, notamment soviétiques, et des observations presque quotidiennes de nombreux témoins clés des événements.
Maxime Tandonnet, Georges Bidault, de la Résistance à l’Algérie française, Perrin, 2022
Fondée sur d’abondantes archives personnelles récemment ouvertes et de nouveaux témoignages, cette biographie de Georges Bidault (1899-1983) brosse le portrait romanesque d’un professeur d’histoire issu de la France profonde, militant chrétien dans l’entre-deux-guerres, engagé dans la lutte clandestine au sein du mouvement Combat dès 1941 et devenu, en 1942, le plus proche compagnon de Jean Moulin avant de lui succéder à la tête du Conseil national de la Résistance. Ministre des Affaires étrangères du général de Gaulle à la Libération, il prit personnellement une part déterminante à la reconquête du « rang » international de la France en 1945, malgré des relations tendues avec l’homme du 18 Juin. Créateur d’un parti politique, l’inclassable Mouvement républicain populaire (MRP), Bidault fut l’un des principaux dirigeants de la IVe République, plusieurs fois reconduit au Quai d’Orsay en pleine guerre froide, visionnaire de la réconciliation européenne et bête noire de Staline, mais aussi président du Conseil à l’origine de grandes réformes sociales dont la création du SMIG.
Pourtant, son style exagérément bohème, mâtiné d’un sens aigu de la dérision et de la provocation, le condamna à l’incompréhension puis à la solitude. Au début des années 1960, son engagement en faveur de l’Algérie française acheva de le diaboliser et d’en faire un authentique paria contraint à l’exil avec son épouse Suzanne Borel, ancienne résistante et première femme diplomate française. Grand-croix de la Légion d’honneur, compagnon de la Libération, passé en quelques années de la lumière du héros à la nuit du pestiféré, hanté par le déclin de la France et de l’Europe mais pourfendeur de la résignation, Bidault sort aujourd’hui de l’oubli grâce à la plume savante et passionnée de Maxime Tandonnet.
Pierre Pellissier, Les derniers feux de la guerre d’Algérie, Perrin, 2022
Le couchant de l’Algérie française. Cet ouvrage brasse les derniers mois de « l’Empire » et apporte une réponse à de nombreuses questions demeurées en suspens. Oui, avant même les accords d’Evian, des contacts entre l’Etat français et le FLN ont eu lieu contre l’OAS et les populations réfractaires à l’indépendance. Oui encore, il y a eu un engagement commun contre le maquis de l’Ouarsenis. Un ordre a été effectivement donné pour ouvrir le feu contre des civils, rue d’Isly à Alger, le 26 mars 1962. Un général français a bien refusé de voir les massacres d’Oran et de venir en aide aux victimes. Le livre s’attarde également sur le refus de la métropole d’accueillir les harkis et autres supplétifs au service de la France, sur son indifférence, également, devant l’exode des pieds-noirs. Cet ouvrage, nourri de sources inédites, fait la lumière sur la fin crépusculaire de l’Algérie française.
Saad Khiari, Le soleil n’était pas obligé, orientseditions, 2021
Dans « l’Etranger », le célèbre roman d’Albert Camus, Meursault est condamné à mort et exécuté pour avoir assassiné l’ « Arabe », laissant seule sa compagne Marie Cardona. Des dizaines d’années plus tard, celle-ci vit seule dans le sud de la France et apprend par le roman de Kamel Daoud « Meursault, contre-enquête » que l’auteur n’est autre que le propre frère de l’ « Arabe ». Meursault, l’unique homme de sa vie a donc été guillotiné pour avoir tué le frère unique de l’auteur. Convaincue que le malheur partagé crée la proximité, elle se sent dès lors proche de Kamel Daoud et cherche à le rencontrer. Elle décide de partir en Algérie pour des raisons que l’auteur nous dévoile dans ce roman au cours de ce voyage éprouvant et difficile mais riche en découvertes surprenantes.
Daniel Saint-Hamont, Lionel d’Arabie, Orients Editions, 2021
Daniel Saint-Hamont est un scénariste connu pour avoir décrit au cinéma ou dans ses romans les affres et les souffrances des Pieds-noirs d’Algérie, aussi bien dans leur exode que lors de la leur arrivée en France. Le Coup de Sirocco, Le Grand Pardon, Le Grand Carnaval, l’Union Sacrée, ne sont que quelques-uns des films qu’il a signés ou cosignés, el plus souvent avec le réalisateur Alexandre Arcady.
On ne sait toutefois pas que le père de l’auteur était en fait algérien et musulman, marié à une Pied- noire chrétienne, dont la sœur avait elle-même épousé un Juif. Deux événements très rares dans l’Algérie d’alors.
Lionel d’Arabie revient sur cette histoire familiale enfouie où cultures et religions, Bible, Coran et Evangiles mélangés se bousculent dans un tourbillon étonnant qui fait tour à tour sourire et pleurer.
Alexandre Lalanne Berdouticq, Souvenirs du colonel de la Chapelle, Dans les tempêtes de l’Histoire, de la drôle de guerre au putsch d’Alger, Ed Pierre de Taillac, 2022
En avril 1961, le colonel de la Chapelle commande le célèbre 1er régiment étranger de cavalerie. Considérant « qu’il y a des choses qui ne se font pas », il fait le choix d’engager son unité dans le putsch d’Alger. Cet officier courageux a commencé sa carrière à l’âge de 20 ans comme simple soldat. Pendant les vingt-sept ans où il servira la France les armes à la main, Gilbert de la Chapelle sera impliqué dans toutes les guerres où sera engagé notre pays : la campagne de France (1940), la guerre fratricide en Syrie (1941), la dure campagne de Tunisie (1943) et la libération de la France (1944-45)
Il part en Indochine en 1951 et s’illustre à la tête d’un groupement amphibie pendant deux ans puis sert un an à l’état-major du commandant en chef, entre autres lors de la bataille de Diên Biên Phu. Après un premier séjour en Algérie, il se voit confier le commandement du 1er REC en 1960. Ces souvenirs offrent un éclairage original sur les tempêtes de l’Histoire qu’a traversées l’armée française au XXe siècle, vécues par un acteur étranger aux passions. Son témoignage, inédit, a été recueilli par le général Lalanne Berdouticq en 1995 sur des cassettes audio. Il se révèle exceptionnel et apporte à l’Histoire bien des précisions sur des événements parfois peu connus.
Dominique Lormier, Histoires secrètes de la guerre d’Algérie, Alisio Histoire, 2022
Soixante ans après les accords d’Évian, la guerre d’Algérie (1954-1962) demeure un événement majeur et douloureux de notre histoire contemporaine. De nombreuses zones d’ombre restent à ce jour non élucidées : faits d’armes, arrestations, missions secrètes, guérillas…
Dans cet ouvrage, Dominique Lormier revient sur les moments déterminants du conflit jusqu’à la déclaration d’indépendance et donne voix aux récits de 23 acteurs de la guerre d’Algérie : politiques, anciens combattants, officiers et simples soldats, Pieds-noirs et nationalistes algériens, partisans et adversaires de l’Algérie française. Ils racontent à l’historien leur guerre, ce qu’ils ont vu, ce qu’ils ont vécu. Et leur parole, bien des décennies après, brûle encore.
Jean-Claude Degras, De la monarchie à la France libre, Destins d’officiers et de soldats français de la Caraïbe, 2022
Il y a quatre siècles, le hasard et la géographie ont placé les Antilles au cœur du monde. De la monarchie à la République, des soldats et des officiers nés sur ces terres françaises ont par éducation, désir de s’émanciper ou esprit d’aventure, choisi le métier des armes. Dans le chaos de l’histoire, leurs motivations disparates en ont fait des héros et rarement des proscrits avec pour seule devise la France ou l’honneur de servir leur conscience. Ce dictionnaire qui décrit leur parcours rappelle l’apport des îles des Caraïbes à l’histoire de France avec pour seul passeport pour l’existence : la vie ou la mort.
Jean-Claude Degras est délégué général du Souvenir Français pour le département de la Guadeloupe.
Jean-Yves Séradin, La maison d’à côté ou les trois filles du Professeur Lot, à l’ombre des Mots, 2022
En 1939, le grand historien Ferdinand Lot achète la villa Breiz-Izel à Trégastel sur la Côte de Granit rose. Le prix Osiris obtenu pour l’ensemble de son œuvre lui permet cette acquisition. Il a 73 ans. Avec son épouse Myrrha d’origine russe, médiéviste et théologienne, il projette d’y retrouver ses filles lors des longues vacances d’été : Irène et son mari Boris Vildé, linguiste et ethnologue né à Saint-Pétersbourg comme sa belle-mère, Marianne et son mari Jean-Berthold Mahn, historien et Eveline, la cadette. La défaite de juin 1940 ne le permettra pas. La famille Lot ne peut tolérer que les principes de la République française soient piétinés par les envahisseurs nazis et les Français qui les soutiennent. Dès la fin de l’été 1940, Boris prend la direction de ce qui va devenir le Réseau du Musée de l’Homme. Eveline y participe, tapant des articles pour le journal publié par Boris et ses amis : Résistance. Jean-Berthold, après un séjour en Espagne, rejoindra les armées de la France Libre. Le 23 février 1942, Boris est fusillé avec six camarades au Mont Valérien. Le 23 avril 1944, Jean-Berthold est tué dans une embuscade lors de la conquête alliée de l’Italie. Amoureuse d’Anatole Levitsky, ethnologue d’origine russe lui aussi, adjoint de Boris, fusillé ce 23 février 1942, Eveline sera doublement frappée. Les trois sœurs sublimeront leurs souffrances dans un intense travail intellectuel : Irène, bibliothécaire et linguiste, Marianne, historienne, et Eveline, ethnologue. Chaque été, les trois filles du Professeur Lot venaient se ressourcer à Trégastel. L’auteur les a connues dès le milieu des années 1950. Sa maison familiale est voisine de Breiz-Izel. Dans ce livre, ses souvenirs de vacances ouvrent les portes de leurs histoires et de leurs œuvres.
Jean-Claude Auriol, Les insoumises de 1914-1918, La résistance des femmes oubliée, 2022
« Ce que personne ne sait et qui ne laisse pas de trace, n’existe pas… « . Cette phrase de l’écrivain Italo Sveso décrit bien la résistance durant la Première Guerre mondiale et notamment celle des femmes. Qu’elles soient françaises ou belges, elles se sont révoltées face aux exactions des troupes allemandes. Dans cet ouvrage l’auteur a voulu honorer et rendre publiques, les épreuves de celles qui n’ont pas eu le beau rôle dans cette tragédie que fut la Grande Guerre, et parmi cette foule anonyme, il a choisi celles qui ont résisté dans un mouvement jusque-là inconnu.
Ce livre répare un oubli. Il interroge sur les conditions de vie et de lutte des résistantes, espionnes disait-on à l’époque. Il met en lumière les parcours exceptionnels des femmes ayant œuvré dans la vie politique et économique du pays.
Au moyen d’une sélection de témoignages, ce document propose d’explorer diverses facettes de la guerre clandestine dans les régions occupées. Ainsi le lecteur pourra connaître les différentes formes de cette guerre secrète : l’espionnage ferroviaire, la transmission de courriers, l’édition et la distribution d’une presse clandestine ou encore l’histoire de la « ligne », barrière électrifiée le long de la frontière belgo-hollandaise. Sans oublier les difficultés quotidiennes, la peur, les différentes craintes et soucis engendrés par la féroce répression de la « Polizei » allemande.
Grande absente de l’historiographie de la Grande Guerre, la résistante féminine retrouve la place qui correspond à la vaillance, mais aussi à la souffrance, engendrées par la lutte contre l’occupant. Il est vrai que le terme de résistance n’a pas la même valeur sémantique de celle du second conflit mondial, car elle ne fut pas armée. Mais cette lutte de l’ombre a généré des héroïnes obscures, humbles, voire marginales. Toutes ces résistantes resteront hostiles à l’occupant, insensibles aux punitions et sourdes aux invitations à trahir.
Nicolas Balique, Tu verras du pays mon fils, Paroles d’appelés en Algérie, 2022
Un film écrit et réalisé par Nicolas Balique, président du comité du Souvenir Français de Martigues dans les Bouches-du-Rhône. Il a retrouvé et interviewé des anciens appelés de la guerre d’Algérie qui racontent leurs souvenirs de la guerre, et le retour en France et à leur vie après les accords d’Evian.
Avant-première au cinéma La Cascade le jeudi 17 mars 2022 à Martigues.
France télévision, C’était la guerre d’Algérie, série en 6 épisodes, 2022
Juillet 1962, l’Algérie est indépendante. Ils sont des millions à travers tout le pays à fêter la naissance d’une nation et la fin de 130 années de présence française. Un million d’autres, Européens, appelés les « Pieds-noirs », nés en Algérie, enracinés depuis des générations quittent le pays dans un dramatique exode. « La guerre d’Algérie, c’est la guerre qui n’aurait jamais dû avoir lieu », a dit Ferhat Abbas, le premier président du gouvernement provisoire de la République algérienne. Et pourtant cette guerre qui longtemps n’aura pas de nom va durer huit longues années. De 1954 à 1962, la guerre d’Algérie, ce sont un million et demi de jeunes appelés français, contre des milliers de maquisards, côté algérien, 30 000 morts militaires français, des centaines de milliers d’Algériens tués, des milliers d’Européens disparus au moment de l’indépendance… On devrait dire « les » guerres d’Algérie. Une guerre entre nationalistes algériens et l’armée française bien sûr, mais aussi une guerre entre Algériens ; celle qui opposa cruellement deux mouvements indépendantistes rivaux. Et l’autre qui opposa les harkis, ces musulmans pro-français, au Front de libération nationale algérien (FLN) et qui fit, à l’indépendance, des dizaines de milliers de morts, côté harkis. Et enfin la guerre franco-française qui commence à Alger en juin 1958 par un grand malentendu. Une guerre qui divisa la France, la terrorisa durant des années et faillit la faire basculer dans le chaos. C’est tout cela la guerre d’Algérie. L’histoire de deux peuples déchirés un temps, mais liés à jamais par ce passé commun.
A partir d’archives rares, restaurées et colorisées, C’était la guerre d’Algérie, est un film sans tabou et à hauteur d’hommes. Tous les tabous de cette « guerre sans nom » sont abordés : les tabous de la colonisation française et de ses promesses non tenues ; mais aussi les tabous d’une histoire algérienne méconnue, avec ses vainqueurs et ses victimes…
Arte, En guerre(s) pour l’Algérie, série en 6 épisodes, 2022
Soixante ans après les accords d’Evian, cette série documentaire retrace l’un des plus traumatisants conflits coloniaux du XXe siècle. En archives et à travers l’expérience intime de celles et ceux qui l’ont vécu en France et en Algérie, un récit aussi éclairant que touchant.
Brahim, chauffeur de car, assiste dans les Aurès, le 1er novembre 1954, à l’assassinat de deux passagers. Cet attentat, signé par le FLN, compte parmi les dizaines qui éclatent ce jour-là sur tout le territoire algérien. Il marque le début de la guerre de libération. Installée depuis 1830 en Algérie, la France coloniale est restée sourde aux alertes. Après le « Manifeste du peuple algérien » de Ferhat Abbas publié en 1943, et malgré les massacres des environs de Sétif et Guelma en 1945, cette dernière ignore encore qu’elle est condamnée, se berçant de l’illusion que la « Méditerranée traverse la France comme la Seine, Paris ». Entre richesse de la plaine de la Mitidja et misère de l’immense majorité de la population, entre discriminations et insouciance, l’histoire de chacun ne paraît pas raconter le même pays.
Ils sont civils algériens, Français d’Algérie, appelés du contingent, engagés et militaires de carrière français, militants indépendantistes du FLN et du MNA, combattants de l’ALN, intellectuels et étudiants, réfractaires, employés de l’administration française en Algérie, membres de l’OAS, supplétifs de l’armée française, porteurs de valises… Soixante ans après, toutes et tous, certains pour la première fois, racontent avec une émotion intacte, la guerre telle qu’ils l’ont vécue, à hauteur de jeunes adultes ou d’enfants : les douleurs subies, les actes de violence commis, les illusions brisées, les regrets et les espoirs aussi.
France télévision, Les appelés de la guerre d’Algérie, Un si long silence, 2022
Un film documentaire qui donne la parole à des appelés partis en Algérie à 20 ans. Ils racontent leur expérience de la guerre d’Algérie, mais surtout le retour en France après la fin du conflit, le retour à la vie qu’ils avaient laissée, et l’incompréhension des proches pour qui la guerre d’Algérie était déjà un lointain souvenir.
Alexis Rousseau, Verdun la première Ligne, en ligne sur YouTube
Court-métrage réalisé par Alexis Rousseau sur un jeune soldat engagé sur la première ligne française à Verdun.
Pour visionner le court-métrage :
La mémoire à travers les spectacles
Les renards volants, L’homme de boue, 2022
L’homme de boue est un seul-en-scène bouillonnant de dynamisme et de fureur de vivre. Le comédien entraîne le public dans un voyage émotionnel à travers 4 ans d’une guerre indicible, celle de 14-18. Rendu vivant par sa parole, le texte apparaît alors troublant de modernité et de poésie. L’acteur virevolte entre les objets parsèment le plateaux seuls compagnons d’armes qui le soutiennent dans les méandres de cette histoire. Complétés par de la vidéo et une bande sonore qui mélange styles et époques, l’Homme de Boue est une pièce hors du temps qui nous rappelle que, finalement, cela aurait pu être écrit aujourd’hui.
Musée Clémenceau, Des femmes et Clémenceau, la liberté pour horizon, du 8 mars 2022 au 30 juillet 2022
Le musée Clémenceau présente Des Femmes et Clémenceau, la liberté pour horizon, une exposition s’intéressant aux positions de Clémenceau sur les droits des femmes à travers plusieurs portraits féminins parmi ses relations : Louise Michel, Marguerite Durand, Sévérine, Rose Caron et d’autres. Réputé misogyne, Georges Clémenceau, à partir de 1894, une fois divorcé, tout en continuant à mener sa vie d’homme libre, œuvre pour la reconnaissance de certains droits aux femmes. Loin de devenir féministe. Il Refuse le puritanisme et se batte contre les humiliations et l’injustice, il combat « l’ordre moral bourgeois » et revendique des droits économiques et sociaux pour les femmes.
Les expositions conseillées par François Rousseau, journaliste du Patrimoine
Musée de l’Ordre de la Libération, Entre ombre et lumière, Portraits de Compagnons de la Libération
Photos François Rousseau
C’est la disparition d’Hubert Germain, dernier Compagnon de la Libération, qui a conduit Christian Guémy, alias C215 à réaliser des portraits pour garder leur mémoire. Il n’en est pas à son coup d’essai dans ses représentations de personnages de la Seconde Guerre mondiale. On se souvient par exemple de sa sculpture de haut-relief de Joséphine Baker boulevard de l’Hôpital à Paris.
Christian Guémy exprime son émotion d’exposer à côté de la tenue de Jean Moulin, portée sur une des photos les plus importantes du 20e siècle. «On est au-delà d’un projet strictement artistique, on est dans le champ des valeurs. C’est la diversité des Compagnons qui est passionnante. Ils ont fait plus que ce que le destin aurait pu leur proposer.»
Le choix des 30 Compagnons représentés ne pouvait pas ignorer quelques grands noms qui sont autant de repères pour le grand public. Dans un souci d’équilibre, il exprime tout l’éventail politique de l’époque, d’Estienne d’Orves à Jean-Pierre Vernant.
C215travaille avec des pochoirs fabriqués par ses soins et des bombes aérosols. Il joue sur les contrastes entre ombre et lumière. Les documents originaux servant de supports aux pochoirs, journaux, objets militaires, ont été glanés par l’artiste. Le portrait de Romain Gary est peint sur une veste d’aviateur, tandis qu’une valise sert de support à celui de Marie Hackin. On verra Félix Éboué sur une carte d’Afrique et Leclerc dominant une carte d’Europe.
Comme exemple pour la jeunesse, C215 a choisi Henri Fertet, lycéen, dont la lettre à ses parents avant d’être fusillé montre sa maturité et sa force et bien sûr Daniel Cordier, entré en résistance à 20 ans et dont le portrait fait la couverture du catalogue.
Pour toucher tous les publics et en particulier ceux qui ne franchissent pas le seuil des Invalides, C215 a peint sur du mobilier urbain de l’arrondissement ces mêmes portraits de Compagnons.
Avec chaque portrait, le catalogue de l’exposition montre aussi le plan de l’exposition hors les murs.
François Rousseau
Jusqu’au 8 mai 2022
Musée de l’Ordre de la Libération Hôtel national des Invalides
Ouvert tous les jours de 10h à 18h (nocturne le mardi jusqu’à 20h)
Plein tarif: 14€, réduit: 11€ (avec l’entrée au musée de l’Armée)
Publication: C215 Entre ombre et lumière Portraits de compagnons de la Libération, 120 pages, illustrations couleur, broché avec rabats, Critères Éditions, prix 13,5€
Avec les clichés de 8 femmes photographes de guerre qui couvrent le sort des réfugiés, des victimes civiles et des femmes au combat, l’exposition met en évidence l’implication des femmes dans tous les conflits. Peut-être plus que les hommes, elles prennent des images sans cacher l’horreur des événements.
Sylvie Zaidman, conservatrice du musée de la Libération de Paris, explique: «Nous sommes un musée d’histoire dont le rôle est de faire de la pédagogie. L’exposition, qui couvre plusieurs conflits différents dans le temps et les lieux, permet l’explication du présent par l’histoire.»
Les photos proposées aux organes de presse alertent l’opinion publique dans la limite de ce qu’elle est prête à accepter. On remarquera certaines mises en scène pour adapter la photo aux besoins de la presse.
Prenons l’exemple de Gerda Taro, née dans une famille juive de Galicie avant de s’installer en Allemagne. Elle échappe au nazisme et part pour Paris en 1933. Initiée à la photographie par Robert Capa, elle couvre avec lui la guerre civile en Espagne où elle succombe en juillet 1937. Elle tombe rapidement dans l’oubli, d’autant plus qu’une grande partie de ses images est attribuée à Capa. Ce n’est qu’au début du 21e siècle qu’est redécouvert son travail de photographe de guerre.
Sa photo du bataillon Tchapaiev sur le front de Cordoue porte un regard sur l’armée du peuple. La vision de Gerda Taro paraît la plus proche de nous, en référence au conflit actuel qui secoue de nouveau l’Europe. On verra le fac-similé de la Une de Ce soir du 28 juillet 1937: Notre reporter photographe Mlle Taro a été tuée près de Brunete.
La Guerre d'Algérie fut un réel bouleversement pour la France impérialiste. Et pour y faire face, il fallait des soldats, des tanks, des fusils, mais aussi et surtout des prisons. Celles de Paris étant pleines à craquer, ce sont celles de la Normandie qui étaient venues à la rescousse. C'est là l'une des conclusions d'un travail qui a pris plus de 2 ans à un étudiant français.
Originaire de l'agglomération de Rouen, Arthur Lamboy-Martin a, en effet, livré un mémoire de Master sur les prisons normandes pendant la Guerre d'Algérie. Les vérités qui y sont contenues sont d'une valeur historique certaine. « Au sortir de la Seconde Guerre mondiale, la Normandie compte une vingtaine d'établissements pénitentiaires. Entre 1953 et 1955, 10 d'entre eux seront fermés définitivement pour cause d'insalubrité. Les autres de 1954 à 1964 seront occupés dans un premier temps par des détenus, militants du FLN et du Mouvement national algérien, puis par les condamnés politiques de l'OAS, Organisation de l'Armée secrète », confie Lamboy-Martin à Actu.fr[1].
thur Lamboy-Martin, avec son mémoire « Les prisons normandes pendant la guerre d'Algérie ». Photographie d'André Morelle
Passionné d'histoire, l'étudiant résume son travail comme suit : « De novembre 1954 à juillet 1962, la France est bouleversée par la Guerre d'Algérie. Durant ce conflit, à travers les territoires d'Algérie et de métropole, des dizaines de milliers d'individus sont emprisonnés dans divers lieux : des commissariats, des camps, des hôpitaux, des prisons… L'état d'urgence en avril 1955 et les pouvoirs spéciaux votés en mars 1956 permettent à la France de se doter d'un arsenal judiciaire puissant et de condamner aisément des militants politiques ».
Lamboy-Martin ajoute que « nombre [de ces prisonniers] furent incarcérés à Rouen Bonne nouvelle, capacité de 500 places, Le Havre et Maison centrale de Caen, 400 places. Neuf prisons au total en Normandie. Les prisons normandes renvoient à tous types d'établissements dans lesquels des individus auraient pu être détenus ; des prisons classiques comme des maisons d'arrêt, des centrales, des centres de triage et d'observation, mais aussi des camps, des hôpitaux et des écoles. La Guerre d'Algérie engendre une profusion d'incarcérations en Normandie, car les prisons parisiennes sont rapidement encombrées ». « Dès les Accords d'Évian, les militants algériens sont libérés. En revanche, une part considérable des détenus OAS demeure en prison après 1962, ainsi que certains objecteurs de conscience. Ils seront libérés en décembre 1964 puis en 1965 et 1966, les derniers en 1968 », précise Lamboy-Martin.
Réparer les liens abîmés par cette relation pathologique qu’est la domination raciale, telle a été l’une des préoccupations majeures de Fanon au cours de son existence.
Engagé très jeune dans les Forces françaises libres durant la Seconde Guerre mondiale, brillant psychiatre, essayiste passionné, militant de premier plan de la révolution africaine, Frantz Fanon est une figure majeure de l’anticolonialisme. Ses réflexions sur la souffrance psychique subie par les colonisés, la violence libératrice ou encore les dangers qui guettent les nouvelles nations indépendantes en font l’un des pionniers des études postcoloniales.
Né à Fort-de-France en Martinique le 20 juillet 1925, il mourra emporté par une leucémie à seulement 36 ans dans un hôpital près de Washington (États-Unis), le 6 décembre 1961. Selon ses vœux, il fut enterré en terre algérienne, à quelques mois seulement d’une indépendance pour laquelle il avait tant œuvré.
Karima Lazali : « La colonialité en Algérie s’est construite sur un projet d’effacement »
Au cours de son enterrement, le 12 décembre 1961, Krim Belkacem, alors vice-président du Gouvernement provisoire de la république algérienne (GPRA), eut ces mots :
« Tes lourdes obligations de médecin consciencieux n’ont pas ralenti ton action militante en faveur de tes frères opprimés. Bien plus, c’est ton activité professionnelle même qui t’a permis de mieux connaître la réalité de l’oppression coloniale et de prendre conscience d’une façon aiguë du sens de ton engagement en vue de lutter contre cette oppression. »
L’attention quasi exclusive portée à l’œuvre politique de Fanon a masqué son investissement quotidien dans la pratique psychiatrique. L’historien Jean Khalfa a raison de souligner que Fanon se considérait avant tout comme psychiatre et interrompit rarement sa pratique, que ce soit en France, en Algérie ou en Tunisie.
Ses écrits sur la psychiatrie furent tout aussi nombreux et riches que ses textes politiques. Dans son étude sur le trauma colonial, Karima Lazali relève avec surprise que les rares travaux cliniques en Algérie et en France sur les atteintes psychocorporelles et les effets psychiques de la colonisation demeurent ceux de Frantz Fanon.
À rebours de l’ethnopsychiatrie coloniale
La recherche scientifique de Fanon démarre par sa thèse de médecine, soutenue à Lyon en 1951 : « Altérations mentales, modifications caractérielles, troubles psychiques et déficit intellectuel dans l’hérédo-dégénération spino-cérébelleuse. À propos d’un cas de maladie de Friedreich avec délire de possession ».
Cette thèse porte principalement sur la spécificité de la psychiatrie et de la neurologie et marque l’intérêt – aussi bien politique que scientifique – de Fanon pour les processus plutôt que pour les entités. Elle lui permet de rejeter vigoureusement l’approche de l’« école d’Alger » qui, sous un vernis scientifique, naturalisa durant un demi-siècle (des années 1910 aux indépendances) la maladie mentale sur une base raciale.
Fanon rejet[a] vigoureusement l’approche de l’« école d’Alger » qui, sous un vernis scientifique, naturalisa durant un demi-siècle (des années 1910 aux indépendances) la maladie mentale sur une base raciale
Le chef de file de cette ethnopsychiatrie coloniale, Antoine Porot, était à l’origine de la construction de l’hôpital de Joinville-Blida en Algérie, qu’il dirigea à son lancement officiel en 1938. Militaire de formation, il était pour une stricte séparation entre patients indigènes et ceux en provenance d’Europe.
À son arrivée en poste, Fanon eut ainsi sous sa responsabilité un pavillon d’« Européennes » et un autre de « musulmans ». Dans ses « Notes de psychiatrie musulmane » publiées en 1918 dans les Annales médico-psychologiques, Porot exposa ses conceptions sur la « mentalité primitive musulmane », caractérisée selon lui par la passivité, une crédulité et un entêtement enfantins, le puérilisme mental, l’absence d’appétit scientifique, la soumission aux instincts, etc.
Porot affirmait dans le même texte que fixer, même à grands traits, la psychologie de l’indigène musulman est malaisé, tant il y a de mobilité et de contradiction dans cette mentalité développée dans un plan si différent du nôtre et que régissent à la fois les instincts les plus rudimentaires et une sorte de métaphysique religieuse et fataliste.
Soigner l’institution et ses patients
Bien avant son arrivée en Algérie, Fanon avait fermement rejeté le regard colonial de l’École psychiatrique d’Alger. Dans son étude du « syndrome nord-africain » parue dans la revue Esprit en février 1952, Fanon dénonça l’attitude « à prioriste » du personnel médical :
Samia Henni : « Ce qui s’est passé est un crime contre l’humanité »
« Le Nord-Africain n’arrive pas avec un fonds commun à sa race, mais sur un fonds bâti par l’Européen. Autrement dit, le Nord-Africain, spontanément, du fait de son apparition, entre dans un cadre préexistant. »
Fustigeant la pensée raciale à l’œuvre en matière médicale, Fanon affirmait ainsi que « le Nord-Africain qui se présente à une consultation supporte le poids mort de tous ses compatriotes » et conclut son étude par une adresse à l’endroit du personnel médical :
« Si tu n’exiges pas l’homme, si tu ne sacrifies pas l’homme qui est en toi pour que l’homme qui est sur cette terre soit plus qu’un corps, plus qu’un Mohammed, par quel tour de passe-passe faudra-t-il que j’acquière la certitude que, toi aussi, tu es digne de mon amour ? »
Dans la capitale algérienne de la folie
Reçu au médicat des hôpitaux psychiatriques, Fanon postula parmi les postes vacants (un peu par élimination) à celui de médecin-chef de l’hôpital de Blida, en Algérie. S’il était réticent à revenir sur son île natale, l’idée d’exercer ailleurs qu’en métropole lui plaisait bien.
Dès sa prise de poste à Blida, Fanon se démarqua par sa pratique novatrice, introduisant un certain nombre de réformes, inspirées de la sociothérapie, dans un univers asilaire colonial ségrégué racialement.
De l’aveu même de Fanon (et de son jeune collègue Jacques Azoulay), le bilan de ces changements fut mitigé. Les patientes européennes adhérèrent pleinement à la thérapie occupationnelle, au journal, ciné-club et à toutes les activités mises en place. Leur taux de départs commença même à augmenter.
Auprès de ses patients, Fanon put analyser au plus près les effets psychiques de la domination coloniale, du racisme, de la guerre
L’organisation de réunions entre personnel et patients, l’un des principaux outils de la sociothérapie, de même que toutes les activités prévues au titre de la thérapie occupationnelle, échouèrent cependant avec les patients algériens.
Les raisons de cet échec sont évidentes : Fanon et l’ensemble du personnel sous sa supervision essayèrent d’introduire des pratiques culturelles étrangères aux patients algériens.
« À la faveur de quel trouble du jugement avions-nous cru possible une sociothérapie d’inspiration occidentale dans un service d’aliénés musulmans ? », se demandent Fanon et Azoulay dans un texte publié en octobre 1954 dans le journal de l’hôpital psychiatrique de Blida
Les institutions mises en place par la suite (café arabe, fêtes traditionnelles, invitation de conteurs itinérants, etc.) connurent plus de succès. « Une sociothérapie ne pouvait être possible que dans la mesure où l’on tenait compte de la morphologie sociale et des formes de sociabilité », notent encore Fanon et Azoulay.
Ces expériences cliniques jetaient les bases de l’ethnopsychiatrie critique, à rebours de l’ethnopsychiatrie coloniale, laquelle faisait de la « personnalité algérienne », et plus largement de la « personnalité indigène », un objet inconnaissable.
Soigner les corps et les âmes
Ces quelques exemples de pratiques et d’interventions théoriques, qui ne sauraient rendre compte de la richesse et de la densité des activités professionnelles de Fanon, suffisent à caractériser son approche singulière.
Fanon était un chef de service attentif, proche de ses patients et de son personnel. Une proximité qui révélait une grande sensibilité à l’événement et à la violence subie, et un souci constant d’adapter sa pratique et ses réflexions à l’évolution de la situation.
Restitution des biens culturels : je n’ai qu’une histoire et ce n’est pas la mienne
Auprès de ses patients, Fanon put analyser au plus près les effets psychiques de la domination coloniale, du racisme, de la guerre. Après tout, « l’occupation coloniale n’est pas seulement celle du sol, n’est pas seulement celle du corps, mais est aussi, peut-être surtout, une occupation de l’âme », note à juste titre Seloua Luste-Boulbina.
Cette attention première fournit à Fanon une large base empirique lui permettant de multiplier les exemples dans ses essais politiques, afin, selon ses mots, de « ne pas perdre de vue le réel ». La compréhension du racisme est chez Fanon indissociable de sa pratique médicale.
« C’est parce qu’il s’intéresse à la pathologie mentale qu’il s’intéresse au racisme et à la colonie. Ils en relèvent », note encore Seloua Luste Boulbina, qui a raison de considérer Fanon comme un guérisseur qui n’a eu de cesse de pratiquer une médecine réparatrice.
Celui que l’on présente parfois comme un chantre de la violence débridée, un penseur manichéen qui se serait borné à décrire un monde en noir et blanc a en réalité toujours été préoccupé par la question du soin.
Le racisme comme pathologie
« Le colonialisme français s’est installé au centre même de l’individu et y a entrepris un travail soutenu de ratissage, d’expulsion de soi-même, de mutilation rationnellement poursuivie », écrit ainsi Fanon dans L’An V de la révolution algérienne.
« Le colonialisme français s’est installé au centre même de l’individu et y a entrepris un travail soutenu de ratissage, d’expulsion de soi-même, de mutilation rationnellement poursuivie »
- Frantz Fanon, L’An V de la révolution algérienne
L’expertise de Fanon portait sur les malades, mais aussi sur la pathologie qui les affecte, la domination de l’homme par l’homme, le racisme, dont il nous a appris à comprendre et anticiper les variations.
Car le racisme ne peut jamais s’enkyster, se scléroser. Il lui faut, prévient Fanon, se renouveler, se nuancer, changer de physionomie, en un mot, subir le sort de l’ensemble culturel qui l’informe.
C’est bien cette double approche, cette double attention, à la fois micropolitique (sur la vie psychique de la domination raciale) et macropolitique (sur le racisme lui-même), qui fait toute l’originalité de l’écriture fanonienne.
Réparer les liens abîmés par cette relation pathologique qu’est la domination raciale, telle a été l’une des préoccupations majeures de Fanon au cours de son existence, et l’une des leçons magistrales léguées à des générations entières qui n’ont pas fini de lire, relire et s’approprier son œuvre.
Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.
Avocat, Rafik Chekkat a exercé dans des cabinets d’affaires internationaux et intervient désormais en matière de discriminations et libertés publiques. Concepteur et animateur du projet Islamophobia, il codirige la rédaction de la revue Conditions. Rafik Chekkat est diplômé en droit (Université Paris 1) et en philosophie politique (Université de Paris). Vous pouvez le suivre sur Twitter : @r_chekkat
« Le colonialisme français s’est installé au centre même de l’individu et y a entrepris un travail soutenu de ratissage, d’expulsion de soi-même, de mutilation rationnellement poursuivie »
- Frantz Fanon, L’An V de la révolution algérienne
L’expertise de Fanon portait sur les malades, mais aussi sur la pathologie qui les affecte, la domination de l’homme par l’homme, le racisme, dont il nous a appris à comprendre et anticiper les variations.
Car le racisme ne peut jamais s’enkyster, se scléroser. Il lui faut, prévient Fanon, se renouveler, se nuancer, changer de physionomie, en un mot, subir le sort de l’ensemble culturel qui l’informe.
C’est bien cette double approche, cette double attention, à la fois micropolitique (sur la vie psychique de la domination raciale) et macropolitique (sur le racisme lui-même), qui fait toute l’originalité de l’écriture fanonienne.
Réparer les liens abîmés par cette relation pathologique qu’est la domination raciale, telle a été l’une des préoccupations majeures de Fanon au cours de son existence, et l’une des leçons magistrales léguées à des générations entières qui n’ont pas fini de lire, relire et s’approprier son œuvre.
Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.
Avocat, Rafik Chekkat a exercé dans des cabinets d’affaires internationaux et intervient désormais en matière de discriminations et libertés publiques. Concepteur et animateur du projet Islamophobia, il codirige la rédaction de la revue Conditions. Rafik Chekkat est diplômé en droit (Université Paris 1) et en philosophie politique (Université de Paris). Vous pouvez le suivre sur Twitter : @r_chekkat
Un fantasme colonial ·Il y a plus d’un demi-siècle, le « voile » a été au cœur du mai algérois qui a entraîné la chute de la IVe République et l’arrivée au pouvoir de Charles de Gaulle. Pour l’armée française alors toute-puissante de l’autre côté de la Méditerranée, le dévoilement était une stratégie destinée à gagner à la France le cœur de deux millions d’Algériennes écrasées par un patriarcat dépassé. La tentative a échoué, mais elle a eu des conséquences qui se font sentir jusqu’à aujourd’hui.
Il y a un peu plus de 58 ans, un groupe d’Algériennes de confession musulmane se débarrassaient de leurs voiles sur le Forum en plein cœur d’Alger, cernées par les photographes et discrètement protégées par des soldats français en armes. La séance se renouvela à de nombreuses reprises dans les semaines puis les mois suivants, avec de moins en moins de photos et de plus en plus de militaires. L’événement a un passé : la lutte inaboutie pour l’émancipation des musulmanes avant le déclenchement de la guerre d’Algérie le 1er novembre 1954, dans ce qui était jusque-là trois départements français. Et une suite : les conséquences jusqu’à aujourd’hui pour des millions d’Algériennes d’une manipulation coloniale qui a mal tourné. Un historien britannique, Neil MacMaster, qui a longtemps enseigné à l’université d’East Anglia (Grande-Bretagne), en a raconté le déroulement dans un livre fascinant, Burning the Veil.
Au départ, en 1871, avec l’avènement de la IIIe République et l’organisation en trois départements de la colonie une fois débarrassée des militaires, tous ses habitants sont français et donc, en théorie, aptes à élire leurs représentants à la chambre des députés. La minorité européenne s’y refuse furieusement : les musulmans pourront voter quand ils auront abandonné leur statut personnel, un ensemble de règles qui régentent le mariage, l’héritage et tout le droit de la famille et s’inspire du droit islamique (charia). Pour résumer et populariser leur opposition intransigeante, les colons brandissent le voile, le haïk, blanc, qui cache le visage des femmes (sauf les yeux) et a longtemps symbolisé dans l’Europe chrétienne l’altérité : « Vous voterez quand vos femmes seront dévoilées… » Paris se soumet à ce diktat et prive les musulmans du droit de vote « à part entière », sauf pour une poignée de ceux qu’on qualifiait de m’tourni (« les retournés »)1 qui renoncent à leur statut et sont mis au ban de la communauté. Après l’adoption de la loi de 1947 « portant statut organique de l’Algérie », les femmes ont sur le papier le droit de vote, mais sont interdites de l’exercer en raison de leur statut juridique. Près de deux millions de suffrages sont en jeu.
BASTION DE L’IDENTITÉ ALGÉRIENNE
Après la seconde guerre mondiale, de 1945 à 1954, l’Algérie connaît une vive lutte politique sur la question féminine. Chaque grand parti a son association de femmes et défend des positions très éloignées. Les membres du Parti communiste algérien (PCA) regroupés dans l’Union des Femmes algériennes (UFA) emmenée par Alice Sportisse se radicalisent et organisent plusieurs milliers de femmes, notamment en Oranie, qui réclament le droit de vote et des mesures sociales. Les nationalistes du Parti du peuple algérien (PPA) qui soutiennent l’Union des femmes musulmanes d’Algérie (UFMMA) sont nettement moins audacieux : de fait, leur leader Messali Hadj a, dans les années 1930, « sous-traité » la question féminine aux oulémas du cheikh Abdelhamid Ben Badis qui rejette la bigoterie populaire et prône le retour aux textes sacrés. Les oulémas algériens condamnent les idées des féministes progressistes de Turquie, d’Égypte, d’Iran, de Tunisie et adoptent les vues d’un conservateur égyptien, Rachid Rida, qui réaffirme le patriarcat musulman, la polygamie, la répudiation de l’épouse par le mari. Ben Badis, et derrière lui le PPA puis le Front de libération nationale (FLN), redoutent que derrière l’abandon du voile et de la ségrégation des femmes ne s’introduise une occidentalisation rampante qui détruirait immanquablement le bastion de l’identité religieuse et nationale qu’est la femme algérienne recluse derrière son voile et enfermée dans sa maison.
L’Union démocratique du manifeste algérien (UDMA) de Ferhat Abbas s’inspire d’autres modèles égyptiens qui font de l’émancipation féminine la clé de la victoire dans la bataille contre les colonialistes. Dans son journal La République, les lectrices ne sont pas les dernières à incriminer leurs parents et l’opinion musulmane qui les exposent à une oppression comparable à celle du colonialisme lui-même. En 1953-1954, ce journal lance une vigoureuse campagne contre « le double impérialisme » : la France et l’islam, mis sur le même pied. Son message aura un impact non négligeable sur les couches urbaines des villes, en particulier les jeunes femmes passées par l’école française et qui travaillent, une goutte d’eau par rapport aux masses rurales qui respectent la tradition.
UN AXE DE BATAILLE POUR L’ÉTAT-MAJOR DE L’ARMÉE COLONIALE
Le 1er novembre 1954 et la guerre vont mettre un terme à cet interlude idéologique. Le FLN ne saurait mener le combat sur deux fronts ; il est entendu à demi-mot que le sort des Algériennes sera réglé à l’indépendance, et qu’en attendant les hommes mènent le jeu. Des Algériennes, notamment des lycéennes et des étudiantes, participent en effet à la Bataille d’Alger avant de gagner les maquis, souvent comme infirmières. Fin 1957, la direction du FLN ordonne leur départ pour les pays voisins où il ne sera guère fait appel à leurs services, au contraire de l’image, véhiculée par la propagande du FLN et ses avocats, de résistantes héroïques se battant contre les armées coloniales.
Les services français ne sont pas longs à exploiter la faille. Dès 1955, le gouverneur général Jacques Soustelle dissout l’UFA et l’UFMMA, s’entoure d’ethnologues qui en font un des fronts de la guerre révolutionnaire, soutenus qu’ils sont par les jeunes capitaines rentrés vaincus de la guerre d’Indochine, mais persuadés d’avoir percé les clés de la contre-guérilla. L’émancipation des femmes musulmanes, rurales à plus de 80 %, devient un axe de bataille du 5e Bureau de l’état-major de l’armée qui multiplie les initiatives sur le terrain : les infirmières des équipes médico-sociales itinérantes (EMSI) soignent les bébés, distribuent vivres et propagande à leurs mères, montrent des films, secondent les sections administratives spécialisées (SAS) qui encadrent et surveillent le pays.
Au plan international, la Tunisie et le Maroc réforment la condition féminine au lendemain même de leur indépendance (1956). L’Algérie française se retrouve distancée sur un terrain ultrasensible, notamment aux Nations unies à New York, et Robert Lacoste, ministre résident à Alger, fait mettre à l’étude un projet de réforme du statut personnel. Il n’ira pas loin. Le très conservateur gouvernement général de l’Algérie, l’exécutif local, redoutant qu’une révolte religieuse vienne s’ajouter à la guerre contre le FLN, fait capoter l’affaire.
AUTODAFÉ ET CASSE-TÊTE JURIDIQUE
Elle sera relancée par les évènements du 13 mai 1958 qui font chuter la 4e République au bout de trois semaines et donnent le pouvoir à Paris au général de Gaulle et en Algérie aux militaires emmenés par les généraux Raoul Salan, commandant en chef, et le patron des « paras » très populaires parmi les Européens, Jacques Massu. Ce sont eux et leurs épouses qui patronnent et organisent le dévoilement. Le 17 mai, au soir, douze adolescentes musulmanes cornaquées, dit-on, par Madame Salan en personne, arrachent leurs voiles et les brûlent derrière les grilles du Gouvernement général protégées par des harkis. L’autodafé a été monté en catastrophe la veille au soir par une poignée d’officiers du 5e Bureau agacés par les affiches par trop masculines exaltant la fraternité entre les deux communautés. Le lendemain, dimanche 18 mai, une foule de musulmanes venues principalement des bidonvilles de l’Algérois envahit le centre-ville sous les applaudissements des pieds-noirs qui les encouragent à se dévoiler. Le capitaine de Germiny, chef de la section administrative urbaine (SAU) de la cité Mahiéddine, un bidonville de près de dix mille habitants, a depuis mars 1957 préparé le terrain en multipliant les actions en direction des femmes avec des clubs qui leur sont réservés et des séances de cinéma.
Salan, nommé début juin « dépositaire des pouvoirs civils et militaires de la République en Algérie », s’appuie sur le mouvement de la « résurrection nationale » pour vanter son succès auprès de de Gaulle, tandis que le 5e Bureau ordonne dès le 20 mai aux commandants militaires d’Alger, d’Oran et de Constantine d’« encourager la participation de femmes dévoilées » aux manifestations « spontanées » qui doivent y être organisées à l’image de ce qui s’est passé à Alger les 17 et 18 mai. Camions militaires et usage de la force sont de plus en plus ouvertement pratiqués au fur et à mesure qu’on s’éloigne du Forum et des centaines de journalistes étrangers qui couvrent l’événement.
Paris se retrouve alors devant un casse-tête juridique : les Algériennes sont désormais des « Françaises à part entière ». Salan commence d’ailleurs à les faire inscrire sur les listes électorales, toutefois le « statut personnel » brandi jusqu’alors par la minorité européenne comme un obstacle infranchissable au suffrage universel n’a pas changé. L’Élysée reprend alors les projets de l’ère Lacoste et aboutit à l’ordonnance de septembre 1959 sur le mariage et la famille qui s’inspire largement de ce que Habib Bourguiba a fait adopter en 1956 en Tunisie moins de six mois après l’indépendance. Cependant entre-temps, le climat a changé : Salan a perdu son poste, Massu a été envoyé en Allemagne et le 5e Bureau a été dissous en janvier 1960. L’ordonnance de 1959 ne sera pas appliquée par la justice française avant l’indépendance.
AU NOM DU NATIONALISME
Le FLN s’oppose à l’ordonnance au nom du nationalisme et de la religion, il joue sur les inquiétudes masculines en répandant des rumeurs sur, par exemple, l’abolition des cadis — les juges musulmans — et plus généralement sur toute initiative française qui heurte les convictions populaires de l’islam et des institutions traditionnelles2. La doctrine nationaliste se fige : la femme algérienne et son intérieur sont présentés comme l’ultime rempart de l’identité algérienne, le noyau dur de son authenticité que l’armée française a cherché à percer avec ses manœuvres en direction des masses féminines.
Jusqu’à aujourd’hui, le discours n’a pas changé et le thème de l’émancipation féminine a presque disparu du champ politique algérien.
Après la bataille de Phy Lu, 2 juillet 1954. Fernand Jentile/Intercontinentale/AFP
Emmanuel Macron vient d’effectuer une visite officielle à Alger afin de mettre en œuvre une « réconciliation mémorielle » entre les sociétés française et algérienne sur la guerre qui les a déchirées entre 1954 et 1962.
Ces démarches étaient, certes, motivées par un besoin d’affronter le passé, par les tensions récentes entre la France et l’Algérie, par des problèmes irrésolus d’intégration dans l’Hexagone, et sans doute des préoccupations politiques lors de la campagne électorale du président sortant en 2022. Il est néanmoins frappant de constater à quel point l’Algérie occupe une place beaucoup plus importante que celle de l’Indochine dans la mémoire française. Et cela, malgré le fait que la guerre d’Indochine, qui a opposé la France au Vietnam d’Hô Chi Minh entre 1945 et 1954, fut la guerre de décolonisation la plus violente du XXᵉ siècle.
Comment expliquer cet oubli relatif du Vietnam à une époque où la France semble plus prête qu’auparavant à regarder son passé colonial en face ?
La « rive algérienne » de la mémoire française
La prédominance algérienne s’explique par divers facteurs. Le premier, démographique, fait ressortir le maigre poids de la population des « Français d’Indochine » – 35 000 personnes en 1945 – comparé au million de « Français d’Algérie » qui se comptaient de façon assez stable entre 1945 et 1962. Après la guerre d’Algérie, la majorité d’entre eux s’installèrent en France. Le poids politique et l’influence mémorielle des Français d’Indochine resteront toujours plus modestes par rapport à ceux des Français d’Algérie installés en France après 1962.
Le deuxième facteur tient à l’origine des combattants eux-mêmes. Pour garder l’Algérie française, Paris ne vit d’autre choix que d’imposer la conscription aux jeunes Français de métropole. Un million et demi de soldats français furent ainsi envoyés en Algérie. La guerre terminée, des porte-paroles, des associations, des maisons d’édition, d’anciens colons aussi, échangeront souvenirs, traumas, commémorations.
En Indochine, la situation était très différente : le gouvernement français avait fait appel au Corps expéditionnaire, à la Légion étrangère, mais surtout aux soldats de son Empire. La majorité des « anciens d’Indo » étaient en fait originaires de l’Indochine, du Maghreb et l’Afrique subsaharienne. La guerre terminée, ils ont ramené leur mémoire avec eux. L’homme qui a bâti la dalle commémorative à Diên Biên Phu en 1992, pour honorer les soldats tombés pour la France dans cette bataille historique de 1954, était un Allemand, un ancien de la Légion.
Mémorial en l’honneur des soldats français morts lors de la bataille de Diên Biên Phu au Vietnam.Wikimedia, CC BY-SA
Troisième facteur : si des dizaines de milliers de harkis algériens, qui s’étaient battus comme supplétifs aux côtés des Français, s’installèrent en France après 1962 avec leur famille, les soldats vietnamiens ayant combattu les troupes d’Hô Chi Minh auprès des Français d’abord, puis des Américains jusqu’à la chute de Saigon en 1975, refirent principalement leur vie en Amérique du Nord. La diaspora vietnamienne en France ne peut pas être comparée à la diaspora vietnamienne aux États-Unis, ni à celle des Algériens en France. Le poids politique et mémoriel de cette communauté vietnamienne de France est en conséquence beaucoup plus faible. En 2019, l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee) comptait 846 400 immigrés algériens résidant sur le territoire français. La même année, l’Institut national d’études démographiques (INED) estimait à 1 207 000 le nombre d’enfants d’immigrés algériens résidant en France, soit 2,1 millions de personnes sur deux générations.
Que le président Macron se soit récemment adressé aux « petits-enfants de la guerre d’Algérie » sans penser à évoquer leurs homologues vietnamiens est révélateur à cet égard.
Soulignons aussi que la guerre d’Algérie ne s’est jamais internationalisée comme ce fut le cas en Indochine. Cela a permis aux hommes politiques et anciens combattants français de présenter la guerre d’Indochine comme une lutte anticommuniste dans le cadre d’une coalition occidentale, non comme une guerre coloniale qu’elle fut assurément. La sortie de la France de la guerre d’Indochine apparut ainsi moins comme une défaite coloniale qu’un simple passage de flambeau anticommuniste aux Américains dans un lointain pays en Asie. Certes, la guerre d’Algérie eut un volet international, mais elle fut surtout une affaire coloniale. L’Indochine restera un enjeu géopolitique majeur dans les relations internationales jusque dans les années 1990.
Enfin, les intellectuels français critiques de la guerre d’Indochine à l’époque se comptent sur les doigts d’une main. En revanche, la liste de ceux qui se sont opposés au conflit algérien est longue : Jean-Paul Sartre, Albert Camus, Jacques Derrida, Franz Fanon et Pierre Bourdieu pour ne citer qu’eux. Même le cinéma français écarte les Vietnamiens. On voit les centurions français de la guerre d’Indochine dans les films de Pierre Schoendoerffer comme La 317ᵉ Section ou Le Crabe-tambour. On suit les soldats français dans les camps communistes après Diên Biên Phu. Mais on cherche en vain un film critique portant sur la toile de fond coloniale de la guerre d’Indochine qui serait comparable à la Bataille d’Alger de Gillo Pontecorvo.
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Et la « rive vietnamienne » ?
Les Vietnamiens auraient pu demander des comptes à Paris à la fin de la guerre en 1954. Mais ce n’était pas si facile. La guerre américaine éclipsa vite celle d’Indochine dans les années 1960. Puis survint la troisième guerre d’Indochine, qui opposa les communistes cambodgiens, vietnamiens et chinois en 1979. Les atrocités se cumulaient, s’écrasaient les unes sur les autres. Se préoccuper de l’Histoire, de la mémoire, quand le pays est encore en guerre ou tout est à reconstruire peut sembler difficile à entreprendre.
De nos jours, le gouvernement communiste du Vietnam ne tient pas particulièrement à se souvenir de ces pans conflictuels. Il répète à l’infini une histoire nationaliste héroïque, où la célèbre victoire sur l’armée française à Diên Biên Phu est un chaînon glorieux, primordial en termes mémoriels. Mais pour Hanoi, il est hors de question de réclamer la repentance de la France pour la guerre d’Indochine. Les massacres commis par l’armée française à la fin des années 1940 se commémorent au niveau local jusqu’à nos jours, mais le gouvernement actuel ne laisserait jamais ces « My Lai français » mettre en danger ses relations avec la France.
Sans doute aussi, Hanoi, accolé à une Chine déterminée à jouer un rôle prédominant dans l’Indopacifique, ne souhaite pas mettre en cause ses relations discrètes, mais très importantes, avec les Américains et les Français. Au Moyen-Orient, aucun voisin de l’Algérie n’est une puissance un tant soit peu comparable à la Chine. Les dirigeants algériens ont donc les mains plus libres pour mobiliser différemment la mémoire vis-à-vis de la France.
Le contraste est patent entre la pensée mémorielle à Hanoi et à Alger, quand on songe à la volonté des dirigeants algériens depuis Abdelaziz Bouteflika, le président algérien entre 1999 et 2019, et son successeur, Abdelmadjid Tebboune, de faire le procès de la colonisation à la France. En 2021, le ministre algérien de la Communication a demandé « la reconnaissance officielle, définitive et globale, par la France, de ses crimes […] la repentance et des indemnisations équitables ». Emmanuel Macron, dans sa réplique, a suscité la colère de la classe dirigeante à Alger en déclarant que l’Algérie s’est construite « sur une rente mémorielle » et « une haine de la France ». En signe de protestation, le président algérien rappela son ambassadeur de Paris. Aucun dirigeant communiste à Hanoi n’aurait jamais entamé un tel échange avec le gouvernement français.
France-Vietnam : la réconciliation s’est-elle vraiment déjà faite ?
Au Vietnam comme en France, les dirigeants préfèrent regarder vers l’avenir. Ce fut déjà évident au début de la normalisation des relations franco-vietnamiennes à la fin de la guerre froide. Lorsque le président François Mitterrand effectua une visite officielle au Vietnam en 1993 pour ouvrir un nouveau chapitre diplomatique, il mit surtout l’accent sur l’avenir.
Initiant une sorte de rituel qui continue jusqu’à nos jours, Mitterrand se rendit cependant sur le site de Diên Biên Phu pour saluer l’héroïsme des combattants français tombés dans cette bataille épique, pour « ressentir tout ce qu’un Français peut éprouver devant le sacrifice de nos soldats, sans oublier les autres ». Dans ce voyage, Mitterrand était notamment accompagné de Pierre Schoendoerffer. Ce dernier venait de sortir son dernier film, Dien Bien Phu, qui louait justement l’esprit de « sacrifice » des soldats français lors de cette perte « tragique » et pourtant « héroïque » que fut la bataille de Diên Biên Phu.
François Mitterrand et le général Maurice Schmitt, chef d’état-major des armées françaises, le 10 février 1993, au sommet de la colline « Dominique », où de violents combats ont eu lieu entre les troupes françaises et vietnamiennes en 1954.Gérard Fouet/AFP
Emmanuel Macron ne s’est jamais rendu au Vietnam, mais il y a envoyé son premier ministre Édouard Philippe, en visite officielle en 2018. Celui-ci déposa solennellement une gerbe devant le monument aux morts français à Diên Biên Phu. Il évoqua la guerre franco-vietnamienne rapidement avant de se tourner vers l’avenir :
« Nos deux pays, parce qu’ils sont réconciliés avec leur passé regardent avec plus de force encore leur avenir partagé. »
Son homologue vietnamien fit une déclaration allant dans le même sens. En effet, à la différence du gouvernement algérien, les dirigeants vietnamiens veulent éviter de souligner le passé colonial afin de mettre l’accent sur un nouveau « partenariat stratégique » en Asie. Pour Paris et Hanoi, la réconciliation est déjà acquise. Il faut tourner la page.
Toutefois, les cicatrices de la guerre sont encore présentes dans le tissu social vietnamien. Selon Bernard Fall, un million de Vietnamiens sont morts lors du conflit indochinois (contre 21 000 décès français). La plupart étaient des civils. Mais peu de journalistes, écrivains ou chercheurs ont enquêté sur les blessures de la guerre d’Indochine vécues par les Vietnamiens. Et pourtant, de nombreux monuments commémorent les pertes civiles causées par la guerre. Il suffit de regarder au-delà de Diên Biên Phu.
Plusieurs Vietnamiens nous ont aussi laissés leurs témoignages. Il faut les lire. Car briser un mur de silence est une chose, mais un manque d’écoute pérennise l’oubli.
Personne n’ignore qui sont les « pieds-noirs », ces Français installés en Afrique du Nord jusqu’aux indépendances. En revanche, peu d’Algériens ou de Français savent qui sont les « pieds-rouges ». Il s’agit des militants de gauche ou d’extrême gauche, français, s’étant rendus en Algérie au lendemain de son indépendance afin d’œuvrer pour sa reconstruction et son développement, en dehors du cadre de la coopération.
Alors que les « pieds-noirs » rentraient en France dans la précipitation, les « pieds-rouges » arrivaient sur la terre algérienne pour participer à la Révolution, au rêve algérien. Un ensemble assez hétéroclite de personnes. Des militants humanitaires, des professionnels de la santé, d’anciens « porteurs de valises », des enseignants et même des étudiants, ayant tout quitté pour rejoindre le peuple algérien. La plupart des Algériens les accueillirent à bras ouverts au début. Mais, suite à trois ans de période de grâce, beaucoup sont rentrés en France à cause du coup d’Etat du 19 juin 1965 du colonel Houari Boumediene. La répression du mouvement kabyle et le code de la nationalité qui liait la religion à la citoyenneté, ont dissuadé beaucoup de « pieds-rouges » de rester. De surcroît, « les socialistes en peau de lapin », comme les appelle Boumediene, ne sont clairement plus les bienvenus.
Après l’indépendance, des Français partent bâtir l’Algérie socialiste. Catherine Simon raconte l’engagement de ces « pieds-rouges », qui vira au cauchemar.
L’atmosphère est électrique en Algérie en ce mois de juillet 1962. La France a officiellement reconnu l’indépendance du territoire qui sombre dans l’anarchie. Entre les fusillades de l’armée française, les règlements de compte des groupes algériens rivaux, les enlèvements et exécutions d’Européens, les attentats et sabotages de l’OAS, les pieds-noirs embarquent pour une métropole qui ne goûte pas le pataouète. Leurs meubles ont envahi les trottoirs, vestiges de cent trente-deux ans de colonisation : l’exode débute par une immense braderie. A la fin de l’été, 700 000 Européens seront partis (4 sur 5). Au même moment, quelques milliers de Français – on ignore leur chiffre exact – traversent la Méditerranée en sens inverse. Médecins, chirurgiens, infirmiers, instituteurs, ingénieurs, artistes, ils viennent occuper les postes vacants. Ils font don de leur personne pour participer à l’édification du socialisme dans la nouvelle Algérie. Anticolonialistes, porteurs de valises du FLN, insoumis, déserteurs, ils savourent leur victoire. Ils ont le sentiment de vivre le grand soir, entre révolution cubaine, guerre d’Espagne et résistance. Ils sont chrétiens de gauche, trotskistes, anciens communistes. Des journalistes pieds-noirs, entre mépris et dérision, baptisent « pieds-rouges » « cette ahurissante sous-espèce d’oiseaux migrateurs », raconte Catherine Simon dans une enquête remarquable sur cet épisode méconnu de l’histoire franco-algérienne.
La force du récit de la journaliste du Monde repose sur les témoignages. L’entreprise relève de l’exploit. Jusqu’ici, les pieds-rouges s’étaient tus. Y compris ceux qui, entre-temps, avaient acquis une notoriété : l’ancien patron de TF 1 Hervé Bourges – qui refuse l’appellation – le géopoliticien Gérard Chaliand, l’écrivain Ania Francos, l’avocat Tiennot Grumbach, le photographe Elie Kagan, les cinéastes Marceline Loridan et René Vautier, le parolier Pierre Grosz… Il est difficile de parler d’un échec, encore moins d’un cauchemar. La réalité fut à mille lieues de l' »illusion lyrique » des premiers jours. Les pieds-rouges découvrent le poids de l’islam, le machisme, le mépris à l’égard des « gaouris » (nom donné aux chrétiens par les Arabes), l’absence de démocratie, les règlements de compte violents, la corruption… Le désenchantement est à son comble lors du coup d’Etat du colonel Boumediene et du renversement de Ben Bella, le 19 juin 1965. Des pieds-rouges entrent dans la clandestinité, d’autres sont arrêtés et torturés dans les ex-centres de détention de l’armée française ! Et pourtant, les victimes ne parlent pas. Leur culpabilité – françaises, elles doivent assumer les fautes du colonialisme – est trop forte. A leur tour elles sont contraintes au départ, sans ménagement. Elles laisseront leurs chimères sur le port d’Alger. Quelques rares entêtés resteront. Jean-Marie Boëglin, qui a abandonné Lyon, le TNP et Roger Planchon au début des années 1960 pour créer le Théâtre national algérien, rentre en France en 1981. Il se définit comme un « idiot utile ». Lénine utilisait la formule pour désigner les Européens apologistes du régime soviétique jusqu’à l’aveuglement. Une majorité des pieds-rouges – remplacés entre-temps par le coopérant, figure centrale des relations franco-algériennes – ont recouvré leurs esprits. Leur gueule de bois idéologique s’est dissipée. Mais à quel prix ?
Entretien avec Catherine Simon, journaliste
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Décédé le 23 novembre 2020, à l’âge de 92 ans, il a cofondé le Théâtre national algérien après avoir été « porteur de valises » pour les militants du FLN pendant la guerre d’Algérie.
Voici donc l’histoire d’un pied rouge
celle de Jean-Marie Boëglin
« Nous aussi, nous sommes les cocus de l’histoire. Pas de manière aussi dramatique que les pieds-noirs ou les harkis mais quand même un peu », a déclaré Jean-Marie Boëglin. Cet ancien « pied-rouge » de 85 ans (en 2012) n’aura pas connu d’hommages ni d’insultes pour ce 50e anniversaire de l’indépendance algérienne. Il est juste tombé dans les oubliettes de l’histoire.
Jeunes français militants, engagés à gauche, ils ont rejoint l’Algérie à partir de 1962 pour aider le nouveau pays à se construire. Avant de plier bagage quelques années plus tard, désenchantés. On les appelle les pieds-rouges.
En ce cinquantième anniversaire de l’indépendance de l’Algérie, la presse dégouline de témoignages de pieds-noirs, « cocus » de l’histoire. Mais il en est d’autres, bien plus discrets, qui ont longtemps répugné à parler. Jusqu’à ce qu’un jour… « J’ai été une sorte d’idiot utile. Mais si c’était à refaire, je recommencerais. Avec cette distance de savoir que l’homme est mal fait et que, quand on vous parle de collectif, il y a toujours un malin pour ramasser la mise, derrière… Mais oui, je recommencerais ! » L’œil bleu pétille sous la casquette. À 85 ans, Jean-Marie Boëglin doit s’aider d’une canne pour marcher, mais ne cherche pas ses mots. Il a fallu le prier un peu pour le convaincre de convoquer les fantômes de ses années pieds-rouges. Il râle qu’il va mal dormir après, raconte que la dernière fois qu’il a ouvert un carton de souvenirs, il a tout balancé dansl’Isère, juste en bas de chez lui, puis se lance. « Ce n’est même pas par idéologie ou par militantisme que je me suis engagé auprès du FLN, je suis plus instinctuel [sic]. Pour vous situer, à 15 ans, je me suis fait virer des Jeunesses communistes parce que trop libertaire et, à 17, de la Fédération anarchiste parce que trop marxiste ! Mais ma vie, c’était le théâtre. En 1957, je traînais à Lyon avec Roger Planchon. J’ai rencontré un jeune qui s’appelait Kader, passionné de théâtre lui aussi. Peu de temps après, il a disparu et ses amis m’ont appris qu’il était mort sous la torture dans un commissariat. Choqué, j’ai proposé un coup de main, puis l’épaule y est passée, puis tout le reste. »
De son père, ancien chef de réseau Francs-tireurs partisans (FTP) durant la seconde guerre mondiale, Jean-Marie Boëglin a appris les techniques de la clandestinité. En 1961, il est condamné à dix ans de prison par contumace, et passe au Maroc. À l’été 1962, il entre en Algérie avec l’Armée de libération nationale (ALN) et gagne Alger. « Toutes les nuits, on entendait des coups de feu. Très vite, je me suis aperçu qu’il y avait une lutte pour le pouvoir mais bon, je me disais, c’est normal, c’est les séquelles du colonialisme. Quand je posais des questions, on me répondait toujours : “Ce n’est pas le moment.” Ça m’a refroidi, mais en même temps, on avait des moyens et puis, on se sentait un petit peu bolchevik quand même ! »
Le théâtre, à nouveau, dirige sa vie. Avec Mohamed Boudia, qu’il a connu en France, et Mourad Bourboune, il fait partie de la commission culturelle du Front de libération nationale (FLN), qui crée le Théâtre national d’Alger en lieu et place de l’Opéra, et nationalise les salles d’Oran, Constantine et Annaba. La révolution est en marche, les pablistes ont l’oreille de Ben Bella, l’autogestion est le mot d’ordre sur toutes les lèvres. Boëglin devient l’un des enseignants les plus en vue du tout nouveau Institut national des arts dramatiques. Années heureuses où il a le sentiment de participer à la construction d’un monde et d’un homme nouveau. Jusqu’au coup d’état du général Boumediene, le 19 juin 1965. L’armée prend le pouvoir, l’islam est proclamé religion d’état, l’arabisation décrétée. « Les socialistes en peau de lapin », comme les appelle Boumediene, ne sont plus les bienvenus.
« Le vrai visage d’un tas de gens s’est révélé à ce moment là. Et il n’était pas beau. Beaucoup de pieds-rouges sont partis, d’eux-mêmes ou chassés. Malgré tout, j’y croyais, je croyais très fort au théâtre, je ne voulais pas laisser tomber l’école de comédiens. Malgré l’exil de Boudia et de Bourboune, je me disais que tout n’était pas terminé. Et puis, en tant que petit blanc, je culpabilisais comme un fou. Alors, je ne suis pas parti. » Il est arrêté, brutalisé, puis relâché et retrouve son poste. En 1966, les actions commises contre la sûreté de l’État durant la guerre d’Algérie sont amnistiées en France. Vexé d’être mis dans le même sac que les militants de l’Organisation armée secrète (OAS), Boëglin refuse de rentrer. Fin 1968, il est viré de sa chère école de théâtre et trouve à se recaser dans la communication. « J’avais la vanité de me dire : si je gêne, c’est que je sers à quelque chose. Et puis, avec le recul, je me dis que quelques graines ont germé. »
En 1979, des rumeurs l’accusent de sionisme et il comprend qu’il doit partir. Ce qu’il fera définitivement en 1981. De retour en France, à la Maison de la culture de Grenoble, il n’aura de cesse de mettre en scène des auteurs algériens.
Le soir est tombé dans l’appartement au bord de l’Isère. Jean-Marie Böeglin tire sur sa pipe, en silence, puis lâche : « Nous aussi, nous sommes les cocus de l’histoire. Pas de manière aussi dramatique que les pieds-noirs ou les harkis mais quand même un peu… » Cette fois, l’œil bleu se voile. Pas longtemps. D’un revers de main, Jean-Marie Boëglin chasse les fantômes et assène : « Je survis parce que je suis en colère. Et cette colère me donne de l’énergie. Tout est en train de craquer et j’espère que je ne crèverais pas avant d’avoir vu l’effondrement du système capitaliste. »
Anne-Sophie Stefanini : "Les pieds-rouges ont pris part à l'indépendance de l'Algérie"
À Paris, Catherine s’est battue avec ses amis communistes pour l’indépendance algérienne. En septembre 1962, elle se rend à Alger. Elle veut enseigner, aider le gouvernement de Ben Bella à bâtir un pays libre. Elle est grisée par l’inconnu, cette vie loin des siens : elle explore la ville chaque jour, sûre qu’ici tout est possible. C’est le temps des promesses : Alger devient sa ville, celle de sa jeunesse, de toutes ses initiations. En 1965, Catherine est arrêtée par la Sécurité militaire : le coup d’État de Boumediene chasse du pouvoir Ben Bella. Catherine et ses amis sont interrogés. En prison, face à celui qui l’accuse, elle se souvient de ses élans politiques et amoureux, de ce qu’elle a choisi et de ce qu’elle n’a pas voulu voir. Qui étaient vraiment ces «pieds-rouges» dont Catherine faisait partie ? Quelle femme est-elle devenue ?
Invitée de #MOE, l'écrivaine, Anne-Sophie Stefanini, revient sur son dernier roman, "Nos années rouges", paru aux éditions Gallimard. Elle évoque le parcours de Catherine qui faisait partie des pieds-rouges, ces Français qui ont voulu faire de l'Algérie un pays idéal.
Parce qu'ils n'avaient pas le choix, ils sont partis en Algérie entre 1954 et 1962 pour "faire leur service militaire". Ils étaient les "appelés du contingent". Ils partaient pour "pacifier". Ils ont fait la guerre. En ce soixantième anniversaire de la paix et de l'indépendance de l'Algérie, une poignée de ces hommes témoignent de ce qu'ils ont vu, de ce qu'ils ont vécu : une guerre où l'on mourait, une guerre où les civils ont payé le prix fort, une guerre où ils ont vu la torture. Une guerre qui les a marqués à jamais. Ils se sont tus pendant plus d'un demi-siècle. Ils disent leur vérité avant qu'il ne soit trop tard et qu'elle s'éteigne avec eux. Ce film, ils l'ont attendu toute leur vie.
Un acteur algérien raconte comment la défunte Farida Saboundji usait de sa longue chevelure pour servir la révolution, en Algérie. Restez branchés ! Dzair Daily rapporte pour vous tous les détails à ce propos dans l’édition de ce dimanche 18 septembre 2022.
Suite au décès de la comédienne algérienne Farida Saboundji, ce samedi, un acteur a tenu à rappeler comment la regrettée a utilisé sa longue chevelure au profit de la révolution, en Algérie. On parle ici du comédien algérien, Abdelhamid Rabia. Ses déclarations ont été rapportées par le quotidien généraliste arabophone Ennahar.
Si vous voulez en savoir plus, nous vous invitons à lire l’intégralité de cet article. La star de la télévision algérienne, Farida Saboundji, est décédée, ce samedi, à l’âge de 92 ans. Et cela, après une longue lutte contre une maladie.
Pour lui rendre hommage, Rabia est revenu sur sa carrière artistique riche en succès et notamment son dévouement au patriotisme lors de la guerre de libération nationale. Il a confié à cet effet que l’actrice a participé à la révolution algérienne.
Cela, dit-il, en ayant utilisé ses longs cheveux pour cacher des balles et les livrer aux moudjahidines. Abdelhamid Rabia a en outre souligné que Farida Saboundji était une amie et une voisine d’un fabricant traditionnel de bombes.
Selon lui, elle a été condamnée par le colonisateur français à la prison de Serkadji, anciennement prison de Barberousse. Il convient de noter que Farida avait reçu, en 2017, la Médaille de l’ordre du mérite national au rang de « Djadir ».
Décès de Farida Saboundji : pluie d’hommages de célébrités de divers horizons
En effet, l’actrice algérienne, Nawal Zaatar, a tenu à présenter ses sincères condoléances à la famille et aux proches de la défunte. Elle a déclaré dans les colonnes de la susdite source médiatique que Saboundji était une artiste sans égal. « J’ai eu l’honneur de participer à un film à ses côtés », a ajouté la même intervenante.
En outre, Bahia Rachedi s’est, elle aussi, exprimée, peu après l’annonce de la disparition de sa collègue. Effectivement, elle a affirmé que la mort de Farida Saboundji est une grande douleur, une tristesse et une perte pour l’univers artistique algérien.
Son nom, a-t-elle confié, restera à jamais gravé dans la mémoire collective. Bahia Rachedi a, par ailleurs, souligné que la défunte n’évoquait qu’à demi-mot sa maladie. Selon elle, Farida Saboundji préférait y faire face en silence.
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