S’il est un moment bien oublié de l’histoire de la guerre de Libération nationale, c’est assurément l’action menée par la cellule FLN d’Es-Sénia (Oran) contre un avion d’Air France qui effectuait la liaison entre Oran et Paris.
J’exprime ici toute ma reconnaissance à Mohamed Fréha qui, il y a quelques années déjà, avait attiré mon attention sur cet événement, alors hors champ historique, personne n’en avait fait mention. En effet, ni le récit national, ni les historiens, ni les journalistes n’ont évoqué «l’explosion en plein vol d’un avion commercial d’Air France !». Mohamed FREHA est bien le seul. Dans son ouvrage J’ai fait un choix, (Editions Dar el Gharb 2019, tome 2) il lui consacre sept pages. Ses principales sources étaient la mémoire des acteurs encore en vie, celle des parents des chouhada et la presse d’Oran de l’époque, (L’Echo d’Oran en particulier). Les archives du BEA (Bureau d’enquêtes et d’analyses pour la sécurité de l’aviation civile), Fonds : Enquête sur les accidents et incidents aériens de 1931 à 1967 et plus précisément le dossier Accidents matériels de 1957 intitulé à proximité de Clermont-Ferrand (Puy-de-Dôme), Armagnac (F-BAVH) 19 décembre 1957, conservées aux Archives nationales de France, ne sont pas encore consultables. Qu’en est-il des archives de la Gendarmerie française ? Qu’en est-il de celles de la Justice civile et militaire là-bas dont celles des Tribunaux permanents des forces armées (TFPA). Et ici ? Et chez nous ? Il reste à retrouver et travailler les minutes du procès.
C’est ainsi que le jeudi 19 décembre 1957, à 14 heures, affrété par Air France, un quadrimoteur « Armagnac SE » numéro 2010, immatriculé F-BAVH appartenant à la Société auxiliaire de gérance et transports aériens (SAGETA), avait quitté l’aéroport d’Oran-Es-Sénia pour Paris qu’il devait atteindre vers 20 heures. A 18 heures 15, il fut brusquement détourné vers Lyon alors qu’il survolait Clermont-Ferrand. Une déflagration venait de se produire à l’arrière de l’avion au niveau du compartiment toilettes. Selon le témoignage d’un passager, la vue des stewards et hôtesses de l’air, qui couraient dans l’allée centrale vers la queue de l’appareil avec des extincteurs à la main, inspira un moment d’inquiétude. Le vol se poursuivit normalement malgré une coupure d’électricité et la baisse soudaine de la température dans la cabine.
Un petit travail de recherches nous apprend que l’aéronef, l’Armagnac SE, avait une excellente réputation de robustesse. Il était le plus grand avion de transport français jamais construit à ce jour et avait la réputation d’avoir «servi à de très nombreux vols entre Paris et Saïgon (actuellement Ho-Chi-Minh-Ville) lors de la guerre d’Indochine, principalement dans le rapatriement des blessés et des prisonniers». A-t-il été repéré et choisi pour cela ?
Il n’en demeure pas moins que le commandant de bord décida alors de se poser à l’aéroport de Lyon-Bron, rapporte le journaliste du Monde (édition datée du 21 décembre 1957). Toujours selon le commandant de bord : «La robustesse légendaire de l’Armagnac nous a sauvés, car d’autres appareils dont la queue est plus fine auraient certainement souffert davantage ». Une photographie montre bien cette brèche de deux mètres carrés.
Débarqués, les passagers comprennent qu’ils ne sont pas à Orly et l’un d’entre eux remarque une « grande bâche qui recouvre le flanc droit du fuselage ». Ils apprennent qu’ils sont à Lyon et qu’il y avait eu une explosion dans l’arrière de l’avion. Ils sont tous interrogés par les enquêteurs de la police de l’Air. L’hypothèse d’un accident technique est écartée et celle d’une action (un attentat, disent-ils) du FLN s’impose, ce qui provoque l’intervention des agents du SDECE. Et pour cause, c’est bien une bombe qui avait explosé.
Mais il y avait aussi le fait que cet avion transportait 96 passagers et membres d’équipage parmi lesquels 67 étaient des militaires de tous grades, venus en France pour les fêtes de Noël. L’enquête reprend à l’aéroport d’Es-Sénia qui se trouvait, à cette époque encore, au sein d’une base de l’armée de l’Air. Elle est confiée dans un premier temps à la gendarmerie d’Es-Sénia et s’oriente vers le personnel civil algérien, femmes de ménage comprises. Mais les soupçons se portent vers les bagagistes qui étaient dans leur grande majorité des Algériens. Elle aboutit à la découverte d’une cellule FLN à Es-Sénia à laquelle appartenaient, entre autres, des bagagistes.
Dans son récit construit sur la base des témoignages, Mohamed Fréha nous donne des noms et un narratif assez détaillé de l’action de ces militants. Le chef de l’Organisation urbaine FLN d’Oran avait transmis à un membre de la cellule dormante d’Es-Sénia, un ordre du chef de Région. Ils devront exécuter «une action armée spectaculaire.» Lors d’une réunion, le 15 décembre, la décision fut prise de «détruire un avion de ligne en plein vol». Mais il fallait «trouver une personne insoupçonnable de préférence avec un faciès européen». Ce fut un Européen, Frédéric Ségura, militant du Parti communiste, bagagiste à l’aéroport. Mohamed Fréha nous donne six noms des membres de la cellule auxquels il ajoute un septième, Frédéric Ségura. Madame Kheira Saad Hachemi, fille d’Amar Saad Hachemi el Mhadji, condamné à mort et exécuté pour cette affaire, nous donne treize noms dont celui de F. Ségura et présente un autre comme étant le chef du réseau. Ce dernier n’est pas cité par Mohamed Fréha.
Lorsque les militants du réseau avaient été arrêtés l’un après l’autre suite à des dénonciations obtenues après de lourdes tortures, Frédéric Ségura, qui avait placé la bombe, est torturé et achevé dans les locaux de la gendarmerie. Selon un policier algérien présent lors de l’interrogatoire, Ségura n’avait donné aucun nom. «Je suis responsable de mes actes !» avait-il déclaré à ses tortionnaires du SDECE. Son corps n’a jamais été retrouvé. Après l’indépendance, le statut de martyr lui fut certes reconnu, mais son sacrifice n’est inscrit nulle part dans l’espace public d’Es-Sénia. Rien non plus sur cette action. La mémoire est impitoyable quand elle est courte et qu’elle laisse la place à l’oubli. Quant au chef de la cellule, Lakhdar Ould Abdelkader, il aurait trouvé la mort au maquis.
Lors du procès, fin mai 1958, Amar Saad Hachemi el Mhadji, gardien de nuit à l’aéroport, fut condamné à mort et guillotiné le 26 juin 1958. Il avait introduit la bombe, crime impardonnable. Dehiba Ghanem, l’artificier, qui avait fabriqué la bombe artisanale, fut condamné à la prison à perpétuité. Les quatre autres impliqués, Kermane Ali, Bahi Kouider, Zerga Hadj et Salah Mokneche, furent condamnés à de lourdes peines de prison. Quant aux quatre autres, la justice a condamné trois à des peines légères et en a acquitté un. Non seulement ils étaient dans l’ignorance de ce qui leur était demandé (transporter la bombe ou la cacher dans leur local) mais de plus ils n’étaient pas membres de la cellule FLN. Des questions restent en suspens faute d’avoir accès aux archives : l’avion a-t-il été choisi à dessein, à savoir le fait qu’il transportait des militaires ? L’objectif était-il vraiment de donner la mort aux passagers ? Sur cette question, Mohamed Fréha rapporte que, réprimandé par sa hiérarchie, l’artificier répondit : « Non seulement que le dosage n’était pas conforme à la formule, mais également la poudre utilisée était corrompue par l’humidité».
Pourtant, Le correspondant du Monde à Lyon avait alors écrit : «Des dernières portes de la cabine jusqu’à la cloison étanche, le parquet était éventré. Il s’en fallait d’une dizaine de centimètres que les gouvernes n’eussent été touchées, ce qui eut entraîné la perte du quadrimoteur». Enfin et curieusement, le passager avait conclu son témoignage en établissant un lien avec un autre événement survenu une année plus tôt: «Réagissant à la piraterie de la «France coloniale» le 22 octobre 1956, lorsqu’un avion civil qui conduisait Ahmed Ben Bella du Maroc à la Tunisie, en compagnie de Mohamed Boudiaf, Hocine Aït Ahmed, Mohamed Khider et Mostefa Lacheraf est détourné par les forces armées françaises, le FLN voulait une réciprocité spectaculaire».
Spectaculaire ? C’est bien ce qu’avait demandé le chef FLN de la Région. L’action le fut et à un point tel qu’aujourd’hui rares sont ceux qui croient qu’elle a vraiment eu lieu. Il est triste de constater que cette opération qui a causé la mort de deux militants : Frédéric Ségura et Amar Saad Hachemi, n’est inscrite ni dans notre récit national ni dans la mémoire locale. Il nous faut visiter le musée créé par Mohamed Fréha au boulevard Emir Abdelkader à Oran pour y trouver des traces. Ces martyrs et leurs frères du réseau d’Es-Sénia méritent la reconnaissance de la Nation. Peut-être alors que leurs frères d’Es-Sénia et d’Oran leur rendront hommage à leur tour. Inch’a Allah !
par Fouad Soufi
Sous-directeur à la DG des Archives Nationales à la retraite - Ancien chercheur associé au CRASC Oran
De 1954 à 1962, plusieurs centaines de milliers de soldats français combattent en Algérie. Près de 23 000 y trouveront la mort, plus de 60 000 y seront blessés et davantage encore en reviendront marqués à vie. Retour sur la date du 18 octobre 1999 marquant la reconnaissance officielle de la guerre d’Algérie part l’État français.
" J'ai eu le plaisir de participer à ce film diffusé hier, lors de la cérémonie nationale d'hommage aux anciens combattants aux Invalides. 18 octobre 1999 - 18 octobre 2022. Bon visionnage ! "
Andrée et Jean Billard, peu après leur mariage en septembre 1957.Photo de la famille
Jean Billard, le mari d’Andrée dite "Deddie", a ouvert pour La Dépêche la correspondance entretenue avec elle pendant sa période militaire à la Guerre d’Algérie de décembre 1956 à octobre 1958.
Son père a été le premier à l’appeler Deddie. Andrée Billard, née Piot, est née le 25 octobre 1932. En février 1955 elle travaille aux PTT, elle y rencontre Jean Billard lors des Amitiés Postières à Bad Aussée en Autriche. Ils ont le béguin, et peu après dans la salle obscure d’un cinéma, …, leur idylle commence. Mais le 10 mai 1956, Jean est appelé au service militaire. Le 18 décembre il embarque pour l’Algérie, là-bas c’est la guerre. Jean a voulu partager un peu de cette période, non pas vue depuis l’Algérie, mais à partir des lettres envoyées par Deddie.
1 170 lettres échangées entre Deddie et Jean
Dès les premières lettres de Deddie surgissent le cafard, les larmes, l’attente des lettres de Jean. Celles-ci arrivent dans le désordre, des fois rien, des fois 3 ou 4 en même temps. L’inquiétude est permanente car les informations à la TSF sont en décalé par rapport aux nouvelles de Jean. Chrétiens tous deux, les doutes et la colère contre la guerre surgissent, "on ne fait pas un homme pour qu’il se batte". En avril et mai 1957, en réponse aux interrogations de Jean, elle lui donne raison de ne pas s’en prendre aux civils quand un des leurs est tué. En plus de Témoignage Chrétien et Le Monde qu’elle poste régulièrement, elle fait part des divergences d’opinions sur la guerre dans son entourage au travail ou avec les copains.
Un mariage préparé par correspondance
Deddie et Jean décident de se marier car une permission se dessine pour trois semaines en septembre. Deddie doit tout planifier et choisir, elle assure le lien entre les deux familles. Elle s’en veut de ne pas être avec Jean. De plus elle doit gérer un petit budget mais essaie de ne pas trop se plaindre vis-à-vis de ce qu’il endure. Ses rêves sont agités : départ en opération militaire, permission annulée, robe de mariée jamais prête. La permission arrive, ils se marient le 21 septembre 1957, mais dès le 7 octobre, Jean repart.
Encore une année de séparation avant le retour de Jean
La guerre se durcit et la vie à Paris est dangereuse. Deddie est anxieuse, le 27 octobre "où es-tu maintenant ?", le 17 février 1958 "je suis polarisée sur ton retour". Au travail il est interdit de parler des évènements. Ils sont syndiqués et les questions politiques, le référendum à venir, s’invitent dans leur correspondance. Grèves, fusillades, attentats terroristes, incendies émaillent son quotidien. "Je vis comme une automate", "maintenant je ne crois plus à ton retour". Et si Deddie en a "marre jusqu’au fond de moi", sa foi et l’amour restent les plus forts. Vers août un retour est envisagé pour le 15 octobre. Cette fois c’est la bonne, Jean rentre. Le 7 octobre leur vie de couple commence vraiment, elle durera 65 ans.
Décédée il y a un peu plus d’un an, Deddie aurait eu 90 ans ce 25 octobre. Un témoignage rare et intime que Jean nous livre comme un hommage à sa femme et celles qui ont tant attendu le retour du bien aimé.
Dans son nouvel essai, l’écrivain et poète Jean-Luc Yacine, veut remettre l’église au milieu du village pour évoquer le point de vue des colonisés et des autres, dont le philosophe Jean-Paul Sartre.
Jean-Luc Yacine, écrivain, essayiste.
« Jean Paul Sartre, un homme engagé pour l’indépendance de l’Algérie et contre la torture ». Voilà pour le titre de cet essai publié aux éditions Rahma. Mais pourquoi Jean-Luc Yacine a-t-il tenu à remettre les pendules à l’heure sur un sujet si lointain ?
« Jean Paul Sartre, un homme engagé pour l’indépendance de l’Algérie et contre la torture ». Voilà pour le titre de cet essai publié aux éditions Rahma. Mais pourquoi Jean-Luc Yacine a-t-il tenu à remettre les pendules à l’heure sur un sujet si lointain ?
Un polémiste qui se fend de politique et se plaît à dire que la colonisation française aura été « une bénédiction », l’a forcément fait réagir. L’histoire n’est pas si vieille, et ravive bien des douleurs : celles des colonisés algériens, spoliés de leurs terres, mal assimilés, « pacifiés » par les militaires, comme celles des appelés du contingent, noyés malgré eux dans le maquis d’où naîtra l’idée d’une Algérie indépendante. Il faut relire Jean-Paul Sartre qui ne se sera pas trompé d’histoire en dénonçant la torture. L’histoire est cruelle et Jean-Luc Yacine, sensible à « tout ce qui peut affaiblir l’humanité », offre une piqûre de rappel sur un sujet souvent survolé voire éludé chez nous. Les harkis, les pieds-noirs mélancoliques, les anciens de l’OAS, voilà des milieux où l’Algérie suscite encore bien des clivages.
« Jean-Paul Sartre, je l’ai rencontré boulevard Saint-Michel avec mon père. J’avais onze ans. Adolescent, à Verderone chez la poètesse Anne-Marie Casalis, j’ai été invité à une soirée. J’étais un jeune poète. Il y avait Piccoli, Juliette Gréco, Sartre et Simone de Beauvoir. Leur gentillesse m’a touché », dit Yacine. « J’ai lu tout Sartre, forcément ». « Aujourd’hui les Algériens évoquent la "Vraie France", celle que leurs parents ont connue ici, pas celle que leurs pères ont connue chez eux. Pourquoi ne pas être capable d’avoir une histoire commune ? » C’est l’objet de cet essai, avec lequel Yacine nous livre une synthèse de cette vérité.
« Jean-Paul Sartre, un homme engagé pour l’indépendance de l’Algérie et contre la torture » Éd. Rahma 12,90 €, 86 pages.
Notre histoire ne manque pas de dates glorieuses, de pages épiques écrites dans le sang, pour la reconquête de son indépendance nationale et l’édification d’un Etat démocratique moderne. Mais la mémoire vive de notre guerre de libération ne saurait être réduite à une simple succession de batailles, aussi glorieuses fussent-elles.
Les objectifs étaient de doter le mouvement insurrectionnel d’une direction politique en phase avec le développement de la guerre anticoloniale afin d’établir et de mettre en place les institutions quasi importantes, tels que le Conseil National de la Révolution Algérienne (CNRA), et le Comité de Coordination et d’Exécution (CCE).
Sur le terrain militaire, la guérilla s’étend inexorablement tandis que les unités de l’armée de libération nationale infligent à l’armée coloniale françaises ses premières défaites. L’histoire retiendra une période de flottement entre 1954 et 1956, il n’y avait aucune direction politique. A la veille de ce congrès qui se déroulera le 20 août 1956, deux hommes formidables et géniaux que la Révolution va découvrir sont Abane et Ben Mhidi. Le premier réintégrera la lutte en février 1955 après avoir purgé cinq années de détention dans les prisons françaises de 1950 à 1955. Les antagonistes venant de tous bords n’ont malheureusement retenu que les deux principes posés dans cette plate-forme : la primauté du politique sur le militaire, et la primauté de l’intérieur sur l’extérieur. En définitif, le congrès de la Soummam fut l’acte fondateur de la République algérienne post-coloniale.
Qui est Abane Ramdane ?
Abane naquit le 15 juin 1920 à Azouza en Kabylie. Après des études primaires dans sa région natale, il entra au lycée de Blida où il fit la connaissance de Benyoucef Benkhedda et Saâd dahlab. Il se distinguera en qualité de major de promotion et décrochera en 1943 le baccalauréat mathématiques mention ‘très bien’ au sein de cet établissement, puis accomplira son service militaire. A l’issue de sa démobilisation, il se fera recruter comme secrétaire adjoint à la mairie de Châteaudun-du-Rhumel (Chelghoum El-Aïd), non loin de Constantine. En 1946, il adhéra au PPA dont il deviendra vite un élément actif dans la région de Sétif. Lors du démantèlement de l’OS en 1950, il fut arrêté avec 28 autres prévenus au motif d’avoir ordonné à des militants de Tazmalt d’organiser et d’instruire des groupes de combat. Abane fut condamné le 15 février 1951 à 5 ans de prison dans le nord de la France en Alsace où il passera tout son temps à la lecture. Il sera libéré en février 1955 et placé en résidence surveillée dans son village natale sur le Djurdjura.
L’installation de l’état de guerre
On verra en effet, comment sera mis en place du 20 au 27 août 1956, dans le maquis de Kabylie, un commandement suprême de la lutte de libération avec pour mission de mener une action unificatrice.
Dès son entrée en scène mars 1955, Abane se préoccupa au plus haut point de la constitution effective du FLN en tant que mouvement politique capable de prendre efficacement le relai des partis de l’époque prérévolutionnaire et de les supplanter. Pour lui, l’ALN s’étant constituée sur le terrain dès le 1er novembre 1954, à l’initiative du ‘comité des six’, avait poursuivi son développement progressif sous la houlette des chefs de zone.
Dès le 1er avril1955, Abane commença à s’exprimer au nom du FLN/ALN en lançant son appel dans lequel il invitait tous les Algériens à adhérer massivement au Front.
Contrairement à Ben Bella et ses compagnons qui voulaient que le FLN reste dirigé uniquement sous la houlette des artisans du 1er Novembre. Ils reprochèrent à Abane d’avoir intégré les centralistes, les Udmistes, les Ulèmas et les communistes. Abane voyait et croyait clairement que la guerre de libération était l’œuvre de tous les Algériens, même les Français d’Algérie.
Les préparatifs du congrès et la correspondance entre Alger et le Caire
Abane entreprit de faire avec un grand esprit d’initiative, à partir du 1er avril 1955 par un travail préparatoire dont les idées directrices nous sont restituées à travers deux tracts (avril et juin 1955) ainsi que neuf correspondances adressées à la délégation extérieure entre le 20 septembre 1955 et le 14 mai 1956. Six mois après son installation à Alger, en septembre 1955, il entra en contact épistolaire avec la délégation du Caire. En effet, dans une lettre datée du 20 septembre de la même année, il écrit : « Il serait souhaitable qu’à l’avenir s’établissent entre nous une correspondance suivie.
Dorénavant, vous adresserez votre courrier à l’adresse suivante : Fredy Mezidi, 8, rue d’Argent, Bruxelles. Cette personne nous fera parvenir votre correspondance. Par le ton de cette première lettre, Abane s’imposait en qualité de chef à l’intérieur en inscrivant sa démarche dans une logique de commandement en écrivant : « Nous ne comprenons pas votre silence. Je peux vous affirmez une chose, tout le monde, en l’occurrence, les chefs des groupes armés sont tous mécontents ». Ils ne cessent de nous répéter : « si ces gens-là de la délégation du Caire sont incapables d’être utiles à la cause, qu’ils rentrent au moins mourir avec nous. Depuis dix mois, vous n’avez pas été fichus d’envoyer un seul lot d’armes et de munitions ».
Le 6 janvier 1956, Abane adresse une autre lettre au Caire disant que nous sommes en train d’élaborer une plate-forme politique. La commission est composée de Med Lebjaoui, Amar Ouzegane, A. Temam et A. Chentouf qui travaillent sous notre direction.
Nous vous informons que nous sommes déjà en liaison avec les responsables du Constantinois car nous projetons de tenir quelque part en Algérie une réunion très importante des chefs militaires des Aurès, du Constantinois, de Kabylie, de l’Algérois et de l’Oranie. Par conséquent, vous devez vous préparer à rentrer afin d’assister à ce congrès. Il rappellera que le FLN était devenu un parti intégrant non seulement tous les Algériens mais surtout tous les partis politiques.
Le FLN, n’est ni le PPA, ni le MTLD et encore moins le CRUA ». Entre temps, le 6 mai 1956, Ben M’hidi est de retour d’Egypte pour ne pas dire qu’il avait claqué la porte du Caire. Il décide de rejoindre Abane à Alger, dont le duo politique allait faire de la capitale de la colonie un puissant centre de rayonnement de l’action du FLN. Ben M’hidi, l’un des six chefs du 1er novembre, s’était tout de suite entendu avec Abane. Ils se complétaient à tel point qu’ils devinrent un duo formidable qui allait impulser un élan extraordinaire au déroulement des évènements majeurs de la guerre de libération.
Ben Bella écrira: « Nous trouvons dangereux de venir en Algérie et de traverser la moitié du territoire pour assister à ce congrès ».Le 11 juin 1956, le CCE adresse sa réponse à Ben Bella en stipulant clairement ses impressions: « non seulement vous aviez été incapables d’envoyer des armes et des munitions et d’ailleurs à cause de vous, beaucoup de régions ont arrêté de combattre par manque d’arsenal mais en plus vous trouvez que c’est dangereux de rentrer en Algérie.
Il poursuit « au fait, pourquoi vous êtes allés vous réfugier si loin que ca, au Caire ? » « Je pense que si vous étiez allés juste là à côté, à Tunis, vous auriez été à l’abri… » Silence radio de la part du Caire. .Le CCE ne manquera pas de les traiter de ‘Révolutionnaires de Palaces’. Par contre, le colonel Sadek, les surnommera ‘les Mulets du Caire’.Abane portera une légère modification en souriant, « voyons mon colonel, j’écrirai plutôt ‘Les Zèbres du Caire’, c’est plus raffiné… ».
Certes, Ben M’hidi ne manquera pas d’informer Abane qu’il était rentré plusieurs fois en conflit avec Ben Bella au Caire qui croyait être le grand Zaïm de la Révolution, mais en plus, il était devenu la marionnette du président égyptien Gamal Abdennasser et de fethy Dib responsable des Moukhabaret (Services égyptiens). Cela pouvait supposer croire que tout le courrier envoyé au Caire par l’intérieur, était d’office remis aux Egyptiens qui avaient noué de très bonnes relations avec la France depuis que celle-ci avait fait une proposition alléchante en matière d’approvisionnement en armement.
Effectivement, la France avait projeté de fournir à l’Egypte un arsenal militaire en cas de conflit avec Israël où la menace devenait imminente. Par voie de conséquence, Abane avait réalisé l’importance de ne pas divulguer trop d’informations inhérentes à la tenue du congrès, ni la date, ni le lieu ne devaient être mentionnés dans la correspondance avec la délégation extérieure. C’est justement à partir de là que les trois hommes de l’intérieur (le colonel Zighout, Abane et Ben M’hidi) prirent la décision de faire diversion en lançant de fausses informations compte tenu de l’importance de cette réunion qui allait inéluctablement réunir les principaux responsables.
Il faut rappeler toutefois que les trois hommes n’étaient pas à ce point naïf. Ils savaient pertinemment que l’Etat major de l’Armée française jubilait à l’idée de connaître la date et le lieu où devait se tenir ce fameux congrès afin de réaliser un joli coup de filet. En fait, Abane et Ben M’hidi avaient sollicité le colonel Sadek de son vrai nom Slimane Dehilès de sa grande expérience militaire durant la Seconde Guerre mondiale, de réfléchir comment orchestrer une diversion.
A l’issue de cette correspondance, le 11 juin 1956, Abane va définitivement rompre les relations avec le Caire et 10 jours plus tard, le 22 juin, il quittera Alger en compagnie de Ben Mhidi pour se rendre au PC du colonel Sadek dans la grande forêt de Zbarbar. Effectivement, les conceptions et les visions affichées de part et d’autre sur les questions de fond tels que la primauté du politique sur le militaire, la primauté de l’intérieur sur l’extérieur sans oublier l’omission des termes arabité et islamité dans les statuts de ce dit congrès, rendaient tout compromis difficile à réaliser.
Finalement, la crise de confiance entre Alger (Abane, Ben Mhidi) et le Caire (Ben Bella et les autres) était arrivée à son paroxysme. A cet égard, il semble que Abane et les responsables militaires de l’intérieur aient soupçonné l’Egypte de Gamel Abdenasser de vouloir placer, par le biais de Ben Bella, la Révolution algérienne sous tutelle égyptienne. Par conséquent, il n’hésitera pas un instant à s’en prendre à Gamel Abdenasser en adressant un message haut et fort via un tract : « la Révolution algérienne ne sera inféodée ni au Caire, ni à Moscou et encore moins à Washington ».
Une année après, Abane ne manquera pas de confier à Ferhat Abbas au Caire en 1957 concernant cette délégation en Egypte mais surtout les militaires de l’extérieur qui voulaient s’accaparer du pouvoir : « Ce sont tous des futurs dictateurs à l’image de tous les dirigeants du monde arabe. Ils s’imaginent avoir droit de vie ou de mort sur les populations qu’ils gouvernent.
Ils constitueront un danger quant à l’avenir de l’Algérie. Ils mèneront une politique personnelle contraire à l’unité nationale de la future nation algérienne. L’autorité qu’ils exercent ou qu’ils exerceront les rendent arrogants et méprisants envers leurs citoyens. De ce fait, par leur attitude, ils sont la négation de la liberté d’expression et de la démocratie que nous désirons instaurer dans cette future Algérie indépendante ».
Il poursuit : « L’Algérie n’est pas cet Orient arabe où pratiquement tous les régimes exercent un pouvoir dictatorial sans partage. Nous sauverons nos libertés contre vents et marées, même si nous devons y laisser notre peau. Il faut impérativement leur barrer le chemin au Pouvoir ». Telles étaient les consignes de Abane avant qu’il ne soit assassiné le 27 décembre 1957 au Maroc par le clan de l’extérieur.
Le départ de l’escorte pour la tenue du congrès
Le Colonel Sadek composa l’escorte d’une centaine d’hommes armés et quatre fusils mitrailleurs de protection. A l’aube du 13 juillet 1956, l’escorte démarra du PC de la wilaya 4 (l’Algérois) dans les monts forestiers de Zbarbar. Il prévoyait trois semaines de voyage pour gagner la région des Bibans à Tazmalt.
Des journées entières pour faire à pied les trois cent kilomètres à vol d’oiseau qui séparaient le PC de la wilaya 4 au point de rendez-vous avec les deux caravanes kabyle et constantinoise. Le ciel d’Algérie était sillonné par des avions de reconnaissance de type Piper C-109 de l’Armée de l’air française afin de repérer les moindres mouvements suspects qui pourraient dévoiler aux renseignements français le lieu de la tenue de ce congrès.
Le 13 juillet, près de Zbarbar, la caravane d’Alger qui comprenait le colonel Sadek, Abane, Ben M’Hidi, le colonel Ouamrane et Si Chérif le commandant Ali Mellah avec une escorte d’une centaine d’hommes armés jusqu’aux dents s’était fait accrocher par une garnison française.
Pour la première fois de leur vie, les deux chefs, Abane et Ben M’hidi allaient faire leur baptême de feu en assistant à une embuscade tenue par l’armée coloniale. Ils furent impressionnés par les échanges de tirs. Il n’y avait pas eu de casse. Le colonel Sadek se souviendra avoir dit en roulant les ‘R’ avec son accent kabyle : « On les a terrassés ces soldats de la garnison française avec un feu bien nourrit, a tel point qu’ils ont détalé comme des lièvres. Le calme revenu, il dira à Abane et Ben M’hidi : « à l’avenir, il serait préférable de vous mettre à l’abri si un autre accrochage devait survenir éventuellement ». Je suis responsable de votre acheminement sur le site du congrès ajoutera-t-il : « Il faut arriver entiers à la Soummam ! ».
Le 17 juillet, près de Bouïra, un nouvel accrochage. Le colonel Sadek dira : « Nous progressions normalement en file indienne, j’étais à l’arrière de celle-ci quand j’aperçus une drôle de pierre rectangulaire qui n’était qu’un transmetteur que j’avais connu pendant la Seconde guerre mondiale en tant que tirailleur algérien ayant débarqué à Monte Casino. Je demande aux soldats d’interpeler le colonel Ouamrane qui se trouvait en tête de file. Aussitôt arrivé, je lui montre la fameuse brique en lui disant c’est un poste émetteur appartenant sûrement à un poste militaire français qui ne devrait pas être très loin d’ici. Le colonel Ouamrane ne prenant pas très au sérieux cet engin qui jonchait le sol, ordonne à la file de poursuivre la marche.
Le colonel Sadek lui dira : « Ah bon, tu ne veux pas me croire ! », Il donnera un coup de pied à celle-ci en avertissant ses hommes de se préparer au combat. Quelques centaines de mètres parcourus, ils entendront la voix d’un soldat français avec l’accent marseillais ‘ Halte-là ‘…Aussitôt le colonel ordonne à ses soldats : « 90 ° sur la droite. Feu à volonté et tirs à feu croisé », Encore une fois dira-t-il : «On leur a donné une tannée ». Le colonel Ouamrane recevra une balle dans le mollet.
Le lendemain matin à l’aube, le convoi reprit sa progression après avoir partagé un café bien chaud avec de la galette. Deux jours plus tard, au douar Beni-Mélikèche, dans la région de Tazmalt, la caravane algéroise fit sa jonction avec celle des Kabyles : Krim Belkacem, le colonel Amirouche et Mohammedi Saïd.
Dans la nuit du 22 juillet, les deux caravanes comptaient maintenant deux cents hommes. Lors du passage de la ligne de chemin de fer Bouïra-Bougie, les chefs F.L.N. tombèrent sur une autre embuscade de routine tendue par des rappelés. Le mulet qui transportait quelques documents inhérents au congrès de la région s’était détaché du convoi et de panique s’était rendu à une caserne coloniale à Tazmalt, apportant à domicile aux services de renseignements français l’annonce d’une conférence dès plus importantes, la date fixée au 30 juillet (la deuxième fausse information), toute la documentation nécessaire à l’établissement d’une plate-forme politico-militaire de la plus haute importance, seul le lieu de la rencontre manquait.
Mon père s’en est souvenu de son vivant bien après l’indépendance, que les documents authentiques et confidentiels qui contenaient la plate-forme étaient au nombre de 30 pages réparties à parts égales dans les deux poches intérieures de chacun des deux hommes, Abane et Ben M’hidi. Il affirmera qu’il était le seul à le savoir, car ces deux derniers lui faisaient confiance, dès lors qu’il était devenu leur conseiller militaire, mais surtout le fidèle ami de Abane.
Le 2 août 1956, les Constantinois faisaient leur jonction avec les Algérois et les Kabyles. C’était vraisemblablement pour eux, le plus beau jour depuis le déclenchement de la Révolution du 1er Novembre. Ils s’étaient tous enfin rencontrés…
Les travaux commencèrent le 20 août 1956 et prirent fin le 5 septembre la plate-forme de la Soummam était fin prête et adoptée à l’unanimité et son contenu sera publié dans le journal El-Moudjahid le 1er novembre de la même année.
Les arguments avancés par les opposants de l’extérieur aux décisions du congrès de la Soummam
1-L’argument de la laïcité
La délégation du Caire, Ben Bella et ses pairs avaient reproché aux congressistes de ne pas avoir porté dans les textes de la plateforme les mentions arabité et islamité. La réponse de Abane fut la suivante : « La guerre que nous menons contre le colonialisme, n’est pas une guerre de religion mais plutôt une guerre de libération. Nous n’avons pas à mettre en avant le culte et encore moins l’identité raciale mais plutôt un projet de société démocratique et laïque qui drainera toutes les élites et les forces vives de la future nation. Ce sont les fondements propres d’un Etat démocratique.
2-L’argument à la primauté du politique sur le militaire et l’intérieur sur l’extérieur
L’autre argument mis en exergue par les adversaires des résolutions de la Soummam relatif à la question de la primauté du politique sur le militaire et de l’intérieur sur l’extérieur posée comme principe devant régir les rapports du futur gouvernement. La réponse apportée par l’intérieur fut la suivante : «Dans un régime démocratique et laïque comme il est constaté dans les sociétés modernes, c’est le pouvoir politique qui commande l’institution militaire et non l’inverse qui ne serait alors qu’une dictature militaire.
Le retour du boomerang
Comment ne pas saluer aujourd’hui en ce soixante sixième anniversaire du 20 août 1956 la mémoire de ce formidable intellectuel militant que fut Abane Ramdane avec cet autre génial militant Larbi Ben M’hidi présent sur tous les plans, qui avaient réussi à faire du FLN un puissant centre de rayonnement politique et militaire tant à l’intérieur qu’à l’extérieur. Notre guerre de libération nationale a été menée par des femmes et des hommes que l’élan libérateur portait le plus souvent à un haut niveau d’élévation morale.
Il aura fallu attendre la révolution du 22 février 2019, pour que le peuple algérien, allant à contre-courant d’élites aliénées ou clientélisées par le pouvoir depuis l’indépendance, se réapproprie le message solennel de la Soummam à travers des slogans qui ne souffrent d’aucune ambiguïté quant à la nature des contraintes qui bloquent la perspective démocratique en Algérie et les solutions que celle-ci appelle.
Les mots d’ordre les plus fréquents, les plus pérennes et surtout les plus répandus dans la rue à travers tout le territoire nationale, sont des concentrés de la plate-forme de la Soummam.
La foule ne cessera de scander haut et fort : Un Etat civil et non militaire, la République algérienne n’est pas une caserne, pour une Algérie démocratique et sociale. Tels étaient les slogans qui rythmaient les marches rassemblant les millions de citoyens qui s’étaient désormais accaparés de la rue chaque vendredi pendant plus d’une année.
Le Hirak, une révolution inédite dans le tiers-monde qui a réussi à mobiliser une année durant les citoyens dans une détermination et une solidarité sans faille et qui d’ailleurs impressionna non seulement tout le peuple algérien mais surtout la scène politique internationale. C’était un miracle dans un pays construit dans l’opacité et la violence depuis l’émergence du pole militaro-populiste qui s’était imposé au Caire en 1957 par la force et qui nous a menés à la situation politique actuelle.
L’insurrection citoyenne avait dévoilé des ressources insoupçonnées. Manifestations pacifiques, présence massive de jeunes; des femmes et des hommes revendiquant une Algérie libre et démocratique en portant le portrait de Abane et de Ben M’hidi.
Il est clair que le régime algérien a eu chaud, ce même régime qui ambitionne de noyer le récit du mouvement national dans l’arabo-islamo conservatisme issu du courant de Djemyat El-Oulémas, cette nouvelle mouvance Badissiya-novembaria fraîchement parachutée je ne sais d’où depuis la destitution du gouvernement du président Bouteflika, n’avait pas hésité d’actionner un de ses activistes baâthistes véreux à M’sila pour jeter l’opprobre sur le congrès de la Soummam dont les valeurs et les principes fondamentaux furent l’apanage et l’ossature de l’insurrection du mouvement citoyen du 22 février 2019.
Aussi paradoxalement que cela puisse paraître, l’histoire du mouvement nationaliste aura retenu que le cheikh Abdelhamid Ben Badis et ses Oulémas avaient été sceptiques quant à l’émergence d’un mouvement populaire insurrectionnel car à l’époque, ils affirmaient clairement que le peuple algérien était inculte et ignorant pour se libérer du colonialisme. L’ironie du sort est que ce même Abane qui les a sauvés en les encourageant en 1955 à adhérer au Front de libération, fait l’objet d’attaques véhémentes de la part de leurs militants qui continuent de le traîner dans la boue.
En d’autres termes, Il leur avait épargné une condamnation à l’unanimité dans la postérité pour ne pas avoir voulu se joindre à la lutte. On peut clairement conclure que soixante six ans après, la vision politique prônée par le congrès du 20 août 1956 est toujours d’actualité.
Le court-métrage "Les Larmes de la Seine" dissèque la répression policière sanglante de la manifestation d'Algériens en octobre 1961, qui a fait des dizaines, voire des centaines de morts.
Le film d'animation français "Les Larmes de la Seine" qui raconte l'histoire du massacre de manifestants algériens commis par la police à Paris, sous l'autorité du préfet Maurice Papon, le 17 octobre 1961, a été récompensé jeudi lors de la cérémonie des Oscars étudiants à Los Angeles.
Une "tragédie (...) longtemps tue, déniée ou occultée", avait estimé l'an dernier le président Emmanuel Macron, en reconnaissant des "crimes (...) inexcusables pour la République".
"Un événement trop méconnu en France"
Le film a raflé une médaille de bronze lors de la cérémonie. "Nous avons voulu faire ce film pour mettre la lumière sur un événement bien trop méconnu en France, alors qu'il fait partie de notre histoire", ont expliqué les réalisateurs, Yanis Belaid, Eliott Benard et Nicolas Mayeur, trois étudiants de l'école Pôle 3D de Roubaix. "Nous serions heureux que cela donne envie aux gens d'en découvrir davantage, et de montrer notre façon de voir l'avenir sans oublier ce qui s'est passé", ont-ils ajouté en recevant leur prix.
Le 17 octobre 1961, quelque 30 000 Algériens avaient manifesté pacifiquement à Paris contre le couvre-feu qui leur était imposé, à l'appel du Front de libération nationale (FLN) qui réclamait l'indépendance de l'Algérie.
À l'occasion du 60e anniversaire du massacre l'an dernier, Emmanuel Macron a reconnu pour la première fois que "près de 12.000 Algériens furent arrêtés et transférés dans des centres de tri. Outre de nombreux blessés, plusieurs dizaines furent tués, leurs corps jetés dans la Seine". Le bilan officiel ne dénombrait jusqu'à présent que trois victimes. Leur nombre est estimé par les historiens à au moins plusieurs dizaines, voire plusieurs centaines.
Des anciens lauréats prestigieux
Les Oscars étudiants sont très suivis à Hollywood. Parmi les anciens lauréats figurent Spike Lee, Pete Docter (créateur de Monstres & Cie et Là-haut), Robert Zemeckis (réalisateur de Retour vers le futur), et Cary Fukunaga (réalisateur de Mourir peut attendre).
Les médailles d'or ont été décernées jeudi à des films traitant de sujets aussi variés que les voyages dans l'espace (Almost Home), les rêves lucides (Against Reality) et l'enlèvement d'un enfant (Found). Sur une note plus légère, An Ostrich Told Me the World Is Fake and I Think I Believe It a remporté le premier prix de l'animation.
Le souvenir du massacre des Algériens de 1961 à Paris, primé aux Oscars étudiants
«Nous avons voulu faire ce film pour mettre la lumière sur un événement bien trop méconnu en France, alors qu'il fait partie de notre histoire», ont expliqué les réalisateurs, Yanis Belaid, Eliott Benard et Nicolas Mayeur, trois étudiants de l'école Pôle 3D de Roubaix. Unifrance
Le court-métrage français dissèque la répression policière de la manifestation d'Algériens du 17 octobre 1961, qui a fait au moins une centaine de morts, sous l'autorité du préfet Maurice Papon.
Le film a raflé une médaille de bronze lors de la cérémonie. «Nous avons voulu faire ce film pour mettre la lumière sur un événement bien trop méconnu en France, alors qu'il fait partie de notre histoire», ont expliqué les réalisateurs, Yanis Belaid, Eliott Benard et Nicolas Mayeur, trois étudiants de l'école Pôle 3D de Roubaix. «Nous serions heureux que cela donne envie aux gens d'en découvrir davantage, et de montrer notre façon de voir l'avenir sans oublier ce qui s'est passé», ont-ils ajouté en recevant leur prix.
Le 17 octobre 1961, quelque 30.000 Algériens avaient manifesté pacifiquement à Paris contre le couvre-feu qui leur était imposé, à l'appel du Front de libération nationale (FLN) qui réclamait l'indépendance de l'Algérie. À l'occasion du 60e anniversaire du massacre l'an dernier, Emmanuel Macron a reconnu pour la première fois que «près de 12.000 Algériens furent arrêtés et transférés dans des centres de tri. Outre de nombreux blessés, plusieurs dizaines furent tués, leurs corps jetés dans la Seine». Le bilan officiel ne dénombrait jusqu'à présent que trois victimes. Leur nombre est estimé par les historiens à au moins plusieurs dizaines, voire plusieurs centaines.
Les Oscars étudiants sont très suivis à Hollywood. Parmi les anciens lauréats figurent Spike Lee, Pete Docter (créateur de Monstres & Cie et Là-haut), Robert Zemeckis (réalisateur de Retour vers le futur), et Cary Fukunaga (réalisateur de Mourir peut attendre). Les médailles d'or ont été décernées jeudi à des films traitant de sujets aussi variés que les voyages dans l'espace (Almost Home), les rêves lucides (Against Reality) et l'enlèvement d'un enfant (Found). Sur une note plus légère, An Ostrich Told Me the World Is Fake and I Think I Believe It a remporté le premier prix de l'animation. La cérémonie des Oscars aura lieu le 12 mars.
Devant le juge d'instruction Zollinger, M. Lespinoy, alias " colonel Foyer ", qui se présente comme un ancien chef du service de renseignements du " réseau Lemarchand " à Alger, a fait une déposition sur les activités des " barbouzes " dans la lutte contre l'O.A.S. (voir le Monde du 29 janvier 1966). L'hebdomadaire l'Express, dont le directeur, M. Jean-Jacques Servan-Schreiber, avait accompagné M. Lespinoy jusqu'au cabinet de M. Zollinger, a publié lundi un long récit du " colonel Foyer ". Celui-ci, qui serait un ancien fonctionnaire algérois du service de la jeunesse, indique dans quelles circonstances il entra dans l'organisation anti-O.A.S. ; il assure que celle-ci, formée en bonne partie de personnages " en marge ", avait été rapidement " grillée " et que ses membres s'étaient livrés à des exactions. La liquidation du réseau aurait été alors décidée.
Le 29 janvier 1962 une explosion détruisit en effet la villa Andréa, à El-Biar, où l'organisation avait son siège ; la déflagration, déclenchée par l'ouverture d'une caisse de fortes dimensions, provoqua la mort d'une vingtaine d'agents spéciaux. Le " colonel Foyer " déclare qu'il échappa à l'attentat car il n'était pas dans la villa lors de l'explosion.
Son récit correspond par bien des points à celui qu'avait publié l'hebdomadaire Minute daté du 11 septembre 1964 sous la signature d' " Un agent secret du régime " : Une barbouze parle. Seule, on le verra, la conclusion est différente.
Le terrorisme de l'O.A.S.
Il importe, pour bien comprendre l'affaire, de la replacer dans son cadre. Dans les derniers mois de 1961, l'action de l'Organisation armée secrète, dont Salan assume le commandement, prend une ampleur croissante. Quotidiennement, des attentats ensanglantent Alger, sans qu'on sache toujours s'ils sont d'origine F.L.N. ou O.A.S. Les " commandos delta " de Degueldre multiplient les plastiquages et les assassinats.
La police locale et une partie de l'administration ont plus ou moins ouvertement pris parti pour les activistes. Les prisonniers s'évadent à peine arrêtés et les autorités ne savent plus à qui se fier.
Les polices et les services spéciaux métropolitains ne sont pas apparemment d'un grand secours. Une brigade anti-O.A.S. envoyée de Paris sous les ordres du commissaire Grassien a été repérée aussitôt par l'O.A.S. L'adjoint du commissaire Grassien, le commissaire Joubert, a été abattu sous les yeux de ce dernier dans un café d'El-Bia..
Quant au S.D.E.C.E., qui, rappelons-le, n'est pas une police, mais un service de renseignement et d'action, il est uniquement orienté vers la lutte contre le F.L.N. et ne se soucie nullement de se battre sur deux fronts. Les sympathies de beaucoup de ses agents et de certains de ses chefs sont d'ailleurs peu équivoques : en haut lieu on le considère - et c'est le moins qu'on puisse dire - comme peu sûr. Jacques Achard, ancien administrateur en Indochine puis sous-préfet, devenu un des chefs de l'O.A.S. algéroise, passe notamment pour y avoir conservé de nombreuses et précieuses amitiés.
En outre, s'il entend - ouvertement - ne pas se mêler d'une " affaire intérieure ", le S.D.E.C.E. ne cache pas son antipathie pour les autres services secrets, officiels ou non.
La " loi du talion "
C'est alors que s'installe à Alger en octobre 1961, sur l'initiative de Me et Mme Lemarchand, d'anciens, membres du service d'ordre du R.P.F. et d'éléments locaux du Mouvement pour la Communauté (M.P.C.), une organisation à laquelle les plus hautes instances dénieront toujours le titre de " police parallèle ", bien qu'elle dispose de discrets appuis officieux et de crédits considérables. Ses membres sont recrutés en grande partie en métropole. Certains sont des Asiatiques. On suppose alors qu'un des chefs du réseau est le fameux colonel Leroy, officier eurasien de l'armée française, qui, dans la région de Bentré, en Indochine, s'était taillé un véritable fief au cours du conflit d'Extrême-Orient.
Il apparaît aujourd'hui que le colonel Leroy, qui n'a rien de commun avec M. Le Roy-Finville, n'était pour rien dans l'affaire, et que les Asiatiques - moins nombreux qu'on ne l'a dit - étaient des hommes de main, spécialistes des sports de combat, recrutés à Paris par un des chefs du groupe, le judoka Jim Alcheick. Me Lemarchand lui-même ne paraît pas avoir participé directement aux activités du groupe qu'il contrôlait de métropole. Il venait seulement de temps à autre à Alger.
Ceux que les Algérois baptisent " les barbouzes " appliquent une tactique identique à celle de l'O.A.S. C'est la " loi du talion " : plastiquages et même enlèvements. La " contre-terreur " qu'ils font alors régner, les excès aussi qu'ils commettent - arrestations, détentions sans mandat et, des témoignages le laissent supposer, tortures - font que leur nombre et leur rôle réels se trouvent démesurément gonflés aux yeux des Européens d'Alger, qui les entourent d'une haine farouche. Elle se manifestera notamment le jour où la foule regardera brûler en pleine rue une voiture d'où des " barbouzes " blessées par l'O.A.S. ne purent sortir.
Dans la nuit du 31 décembre 1961 au 1er janvier 1962, une villa où logent des " barbouzes " est attaquée à coups de lance-roquettes et d'armes automatiques.
Puis c'est l'attentat du 29 janvier. Une caisse envoyée de Paris et longuement attendue - elle contenait une machine à reproduire des documents - sert de " cheval de Troie ". Une énorme charge de plastic fait explosion avec les résultats que l'on sait.
La fin du réseau
Me Lemarchand accourt à Alger. Il est, assurent certains de ceux qui l'ont alors vu, effondré et hagard. Sa femme se chargera de faire inhumer certaines des victimes dans le cimetière de Santeny, près de Boissy-Saint-Léger, en Seine-et-Oise.
Le réseau ne survivra guère à l'affaire d'El-Biar. Ses membres retrouveront ou rechercheront des occupations " civiles " plus ou moins légales. A Alger, l'opinion locale porte évidemment au compte de l'O.A.S. la destruction du " repaire des barbouzes ".
Il est permis de se demander si celles-ci n'ont pas été plus ou moins consciemment utilisées par la police " officielle " pour leurrer l'organisation subversive. Alors que l'O.A.S. pensait atteindre au succès final - c'est le 5 janvier 1962 que Salan proclamera la " mobilisation générale des Fiançais d'Algérie entre dix-huit et quarante-cinq ans ", le 29 janvier que le colonel Château-Jobert échappé de métropole annonce à la " radio pirate " son arrivée en Algérie, - une nouvelle force de l'ordre, la " Mission C ", formée d'équipes d'inspecteurs basées en métropole et qui n'agissent que par de rapides coups de main aller et retour, sur renseignements, est discrètement mise en place par M. Michel Hacq.
On lui attribuera notamment quelques mois plus tard l'arrestation des principaux chefs de l'O.A.S. en Algérie : les généraux Salan et Jouhaud.
Reste à savoir qui piégea la caisse, qui fit sauter la villa Andréa. Les versions varient. Le " colonel Foyer " laisse entendre qu'il s'agissait là d'un mode brutal de liquidation par ses propres responsables d'une organisation qui échappait à leur contrôle et devenait plus dangereuse qu'utile. L'O.A.S. serait donc hors de cause. Le mystérieux auteur de l'article de Minute parle pour sa part " d'une autre police clandestine, d'autres terroristes de la légalité ". Cette version de l'affaire plus vraisemblable mais qui laisserait supposer de terribles rivalités, une complicité quasi directe avec l'O.A.S., a également couru à l'époque, dans certains milieux d'Alger.
Et là c’est pas un coup d’Audiard, une réplique de Blier, la manœuvre d’un Ventura ou la griffe du Lautner. Non, c’est bel et bien l’arnaque du siècle, enfin, du mien, celui qui me fit naître avec les barbouzes. J’avais quatre ans et Debré tournait la super-production de De Gaulle en ayant engagé des acteurs de l’ombre de sa Résistance, Le Tac, Ponchardier, Lemarchand, Hacq,,, pour foutre la pâtée aux subversifs de l’OAS. Il ne restait plus à Melnik qu’à trouver un metteur-en-scène pour s’engager, un bleu, un idéaliste, bref, un héros anonyme mais assez habile pour faire passer la pilule aux gaullistes puritains.
Lucien Bitterlin se trouva là, comme lieutenant de louveterie, à moins qu’on ne l’y ait un peu poussé car on ne saura jamais qui du hasard pond le destin de l’œuf de poule.
Volailles non labellisées, poulagas discrets, les barbes étaient nées de la conjonction de coordination qui devait répondre au « Mais où est donc Ornicar ?» de la voie de l’autodétermination algérienne.
Tout pétait, les nuits bleues n’illuminaient aucune conscience mais les feux d’artifice continuaient de faire croire que de toutes ces étincelles arriverait la lumière. Quelle connerie la guerre, « ma parole »… pour la Barbara de Prévert comme pour la Fatima de la casbah. Ornicar était dans le pétrin!
La Garenne-Colombes, Vendredi 17 Février 2017
Lucien Bitterlin, président de l’Association de Solidarité franco-arabe (ASFA)
Il est là dans un beau paletot de bois, matelassé, capitonné des plus grandes attentions de la poignée de proches qui tient encore debout, les hallebardiers du dernier cercle, les centurions d’une légion d’absents. Lucien Bitterlin est mort et je suis là, comme pour mon père, à ceindre le catafalque de mon attention, histoire d’en pouvoir saisir encore et encore les derniers secrets.
Scène de film « Les Barbouzes » de Georges Lautner
Il y a là ses filles, son gendre, ses petits-enfants et, croisant le vaisseau de chêne, l’encens du Grand-Orient, les huiles d’une politique pro-arabe et les bénédictions feutrées de vieux compagnons ébaubis de chagrin. Dix tout au plus, moi qui m’attendais à une marée, oubliant que la méditerranée est bien avare de mascaret.
Bon, les valeureux sont là, Jean-Pierre-G Foucault en capitaine de cérémonie, n’oubliant rien de son compagnonnage et mandaté par le grand Maître ; Maurice Buttin et ses plaidoiries pour que résonne France-Palestine ; les frères Terrenoire honorant la fidèle complicité entre leur Ministre de père Louis et Lucien Bitterlin ; Jean-Pierre Gonon l’avocat libéral à l’accent de Bab-el-Oued pour France-Algérie ; les proches palestiniens de la famille Hamchari en reconnaissance d’une si belle aventure littéraire ; le journaliste Gilles Munier de France-Irak ; le savant père arabophone Régis Morelon ; François Teiro et son Cœur-Monde au service des orphelins ; Marie-Josée de Saint-Robert pour représenter son mari, vieux complice de Lucien pour les prix Palestine…et quelques autres dont la discrétion m’aura sapé la curiosité de savoir.
Je me retrouve vite seul.
Dans cette chambre dont j’ai déjà oublié le numéro.
Casaque noire.
Après tout, le seul bon numéro c’est celui qu’on laisse gagner.
Il n’y a pas de hasard.
Funérarium des Batignolles, c’est un nom de foire,
mais heureusement que c’est au premier
du Boulevard Leclerc de Clichy, ça fait plus chic !
Ce n’est pas une chapelle mais une chambre dans l’alignement d’autres chambres, les unes occupées, d’autres libres et faut pas s’tromper, y’a du monde dans les couloirs et ça grouille de chagrins. Cette pièce a son chiffre de bronze doré comme à l’hôtel, c’est rassurant pour les âmes perdues. Elle est dite funéraire, c’est Guillaume Roussel, le maître du lien et d’autres rites plus discrets qui me l’a dit. Quelques sièges en désordre, sorte de chaises mais à part la bière, pas de bois ici, que du nickel-chrome, j’ai l’impression d’entendre « au suivant ». Enfin, faut s’adapter, et un mufti séculier me montre les vis posées en triangle évoquant l’équerre et le compas qui donneraient le nord à la fermeture du ban.
Là, je sais que je dois accomplir un devoir, celui que Lucien Bitterlin souhaitait pour être conforme à son engagement maçonnique. Il me faut le revêtir de son sautoir de vénérable et de ses gants blancs, vestiges de la pompe de la loge d’Edmond Rostand. Il manque son tablier qui a disparu dans la débâcle de presque dix années de combats contre Alzheimer, vieillesse et Parkinson. Commando delta de trois saloperies qui fit basculer Lucien six jours plus tôt, à Saint-Raphaël près de sa fille Catherine.
Pas le moment de philosopher sur l’injustice des sorts, ni de s’attendrir sur la vie, mais c’est dur de ganter la raideur. Mes doigts se crispent sur ses mains fines et, agrippé à la nécessité de ce décorum, j’éprouve là une certaine fierté. Je sais, c’est puéril, mais tout se passe comme si ma présence face à Lucien, me rendait de l’absence de papa.
Quelques livres de Lucien Bitterlin
Au coin de la veste, sa légion d’honneur « modèle réduction » que je prends soin d’accrocher avec l’idée qu’il l’emportera au paradis et qu’il pourra foutre à la gueule, de Saint-Pierre ou des sbires de ses croyances, qu’il fallut, à la République et aux gaullistes, l’amnésie de cinquante ans de silence pour recevoir les insignes de son courage. Dans ma tête défilent les mots de papa après cette aventure barbouzarde, « tous des planqués ces politicards, sauf Lucien !». C’était un peu court, mais la concision, sous la plume des condamnés (par l’OAS), avait valeur de vertu car, comme disait l’autre, encore Audiard, « la retraite faut la prendre jeune… faut surtout la prendre vivant. C’est pas dans les moyens de tout le monde »…
Il est beau, plastronné, médaillé, ganté, le visage fin de ses vingt ans. Sans doute déjà en train de se bidonner en voyant nos gueules d’enterrement. Faut quand même bien que nous aussi, les vivants approchions la fin par un début de crispations… ben oui, la mort, c’est sérieux.
C’est parti, feu vert pour la fermeture, on me regarde, mes gorilles me tendent le tournevis, empoignent le couvercle, le calent contre le ventre du cénotaphe et nous voilà mécaniquement investis pour clore le sujet dans sa majesté l’éternité.
Voilà.
Il reste la douane à passer, sorte de messe républicaine dans une chambre cérémonielle où chacun doit réciter les sourates d’une douleur de l’absence. Un pupitre, Lucien raide dans sa boite, au garde-à-vous pour écouter tomber les gouttes de notre reconnaissance et toutes ces gerbes, fleurs et couronnes pour étouffer de couleurs les envies de broyer du noir. Alors on écoute les mots, les voix et les chants qui perlent, qui sonnent le clairon du rassemblement des souvenirs de toute une vie. Courbevoie, La Garenne, sa famille, l’Algérie, ses engagements, la politique, De Gaulle, ses combats, les pays arabes, le journalisme et l’ab el baroud entre la flamme de son idéal et l’odeur du soufre d’une mèche de barouf.
Quelle vie !
Pour ses filles et ses petits-enfants, c’est le papa, pour d’autres c’est la cause palestinienne, le journalisme, la franc-maçonnerie, le militantisme ou encore son impossible pèlerinage pour la paix. Pour moi c’est le centurion des barbouzes. Que voulez-vous, éclectisme oblige, à chacun sa vision du commandeur qui se tire de là sous les hommages d’une poignée trop mince de témoins. Et là ça me fait braire, si peu de monde aujourd’hui, lui qui croisa, soutint, aida, hébergea tant de pèlerins de la paix en pays d’orient, de politiques, de ministres et de chefs d’État.
Allez, faut partir.
Au cimetière le caveau est ouvert, des berlines noires nous attendent.
« C’est le sort des familles désunies de se rencontrer uniquement aux enterrements » me glisse encore Audiard, mince, c’est une manie que j’ai de voir et comprendre en « barbouze », car « on n’emmène pas de saucisses quand on va à Francfort » mais je dois dire que là, sur le bitume des allées, les sycophantes se faufilent comme des glaçons dans l’anisette. Faut donc essayer de comprendre la langue des signes pour pas s’tromper. Il y a de l’incognito, des Personae non gratae, de l’agent-secret et du cousinage entre patrons du pour et du contre-espionnage…
Le serpentaire de ce balai noir semble articuler son mouvement autour ou plutôt derrière Madame l’ambassadrice Syrienne Lamia Chakkour. Quelques confidences honorifiques vite épinglées entre deux poignées de pétales de roses, l’hommage est rendu et son excellence se retire. Une cour de mandarins, sortie tout droit du synopsis d’un Lautner, serre des mains, courbe la tête, présente des condoléances attristées et murmure des silences de compassion. Il y a là la Tunisie, c’est sûr, sans doute l’Algérie, peut-être le Liban musulman et chrétien, nous n’en saurons rien de plus car telle est l’astuce, être là sans tbal ni zokra et encore moins d’objectifs ou de caméras.
Un comble pour un ancien journaliste de l’ORTF ?
Non, du tout, c’est juste beau la discrétion quand on veut rassembler des frères…ennemis !
Les maçons s’affairent déjà.
Le monument-caveau referme sa gueule d’enterrement.
Les fleurs couvrent la peine.
Le soleil tombe, le froid saisit et les idées remontent.
Bon Dieu de Nom de Dieu.
Je suis en pétard.
Bitterlin, où sont tes paperasses, tes centaines de dossiers, tes milliers de lettres, tes carnets d’adresses et tes billets secrets ? C’est vilain de jurer mais là ça m’emmerde de le savoir muet avec pour seule ordonnance une parcelle du cimetière de La Garenne-Colombes.
Soixante ans de correspondances, soixante ans de secrets, soixante ans d’archives, faut pas me prendre pour un con, ça disparaît pas comme ça. On n’écrit pas tant d’articles, tant de livres et on ne dirige pas une revue et une association voulue et décidée par De Gaulle sans laisser des tonnes de documents, des brouettes de dossiers et des quintaux d’indices.
Lucien avait tout déménagé en silence, planqué dans le coffre de sa petite bagnole et déposé carton après carton tout ce qui se trouvait rue Augereau, siège de l’Association de Solidarité franco-Arabe, dans les pavillons de famille de Courbevoie, rue Estienne d’Orves. Un an de va-et-vient dans un secret qu’il aimait tant cultiver. Des dizaines et des dizaines de caisses, de cartons et de boîte déposées comme des briques de Lego d’un plastic encore instable.
Lucien avait tout déménagé en silence, planqué dans le coffre de sa petite bagnole et déposé carton après carton tout ce qui se trouvait rue Augereau, siège de l’Association de Solidarité franco-Arabe, dans les pavillons de famille de Courbevoie, rue Estienne d’Orves. Un an de va-et-vient dans un secret qu’il aimait tant cultiver. Des dizaines et des dizaines de caisses, de cartons et de boîte déposées comme des briques de Lego d’un plastic encore instable.
C’est simple, la petite maison était pleine, de la cave à l’étage en passant par le garage, comme si le pavillon des années vingt de ses parents pouvait se transformer en tabernacle recueillant le calice d’hosties consacrées aux affaires les plus sibyllines. Pensez-donc, tout avait commencé par les barbouzes, les vraies, pas celles de la Gaumont, puis France-Algérie, France-Pays-Arabes, la Palestine, l’O.L.P, le FPLP, El Fatah, les affaires d’otages, le Liban, la Syrie, bref tous les pays d’Orient, leurs dirigeants, Présidents, Résistants ou terroristes, anonymes ou reconnus, sanguinaires ou pacifistes approchés par Lucien Bitterlin. Brochette de Fort-de-L’eau sauce piquante explosive aux viandes et abats entrelardés de Saddam, de Haffez, de Yasser, de Illich, de Houari ou de Mouammar, j’te jure qu’avec ça, y’a pas besoin d’Harissa, même confite par Habib pour sentir le felfel t’exploser la guerba !
Avant même qu’il ne décède, en 2016, j’ai retrouvé ce pavillon, celui qui fut notre première planque pour mon père et ma famille en mai 1962, après Barberousse pour Papa et notre refuge F.L.N d’Alger pour ma mère et nous trois, les gosses de guerre. Des armoires débordaient de livres, des milliers, toute la bibliothèque de France Pays-Arabes, des tables recouvertes de revues et de panneaux d’expositions diverses. Dans le coin d’une des chambres transformées en dépôt, des dizaines de drapeaux froissés et poussiéreux de toutes les nations arabes. Reliques des ornements des vitrines de la rue Augereau en l’honneur de visites de chefs d’État ou d’anniversaires de révolutions et d’indépendances. Imaginez entrer dans le mystère d’une tombe égyptienne comme celle de l’ami Toutankhamon en espérant renifler les parfums invisibles d’une belle Néfertiti.
Ben j’en étais là, à contempler le trop plein de vide et humer l’entourloupe car je cherchais… les archives, ces sacrées archives, des boîtes, des cartons, des cageots, des classeurs même éventrés mais avec des chemises aux cols amidonnés de secrets.
Il y avait encore le garage, atelier satané dont ma sœur, mon frère et moi, avions examiné nerveusement les contours intérieurs, autrefois, privés provisoirement de liberté par la moudjahida Zohra pour lui avoir taxé les groseilles de son jardin. Histoires de gosses pendant que papa réglait ses histoires de barbouzes avec le Général Billotte et consorts de la S.M… chacun sa guerre et ses fruits glorieux… c’était en mai 1962 !
J’ai de suite reconnu cette porte, le trou de la serrure et la clef de ce champ de manœuvre. Rien n’avait changé en cinquante-cinq ans, sauf qu’à l’intérieur, l’invraisemblable chaos laissé par les pilleurs de tombe me mit le moral dans l’accélérateur de particules de colère. Ah les cons, les salauds, une centaine de boîtes à archives gisait là comme orpheline de son destin.
Merde !
Mektoub ?
J’en ai marre de ce qui est écrit, de la fatalité,
de la mauvaise fortune.
Alors vous savez, l’explication des archives moisies qu’il a fallu détruire, première piste sur laquelle on voulait me faire glisser comme un bourricot, alors qu’aucune de ces boites ne possédait la moindre petite tache de Pénicillium, d’Aspergillus, de Cladosporium ou Myxotrichum me mit le cervelet en surchauffe. Ma fausse naïveté m’engagea à faire croire que je croyais… ça c’est mon côté « hmar » kabyle. Faut toujours faire semblant d’être con, on en apprend beaucoup plus sur ce qui sous-tend les valeurs apparentes de l’ânier que sur le contenu du bât. Après, il suffit de déduire, soustraire et conjuguer pour tout savoir…
Ainsi, à force de jouer au candide j’eus d’autres pistes livrées à mon ingénuité pour rassasier ma curiosité sans doute considérée comme infantile… ben oui, vous savez, un ethnologue qui se prend pour un historien, c’est pas sérieux, alors on le ballade au pays des merveilles enfumées.
Ben voilà, c’est ce que tout le monde fait depuis deux ans.
On m’enfume.
D’abord les micromycètes et la crémation.
Ensuite les soupçons sur le MOSSAD.
Forcément, l’antisémitisme n’est jamais loin de l’antisionisme… donc l’histoire d’un mec qui trempe ses pompes en Palestine, ça peut intéresser les archivistes de Tel Aviv pour comprendre les chansons de Carlos et les complaintes d’Abou-Nidal…
Enfin, comme pour éloigner les soupçons de l’autre côté de la méditerranée, un mystérieux ambassadeur d’Afrique du Nord aurait non moins mystérieusement essayé de savoir où étaient les archives de Bitterlin… sans donner de suite apparente.
N’empêche qu’elles ont disparu.
Malgré les infernales sirènes alarmantes d’un système sécuritaire au tip-top de ses performances.
Je le sais, j’en ai pris plein la gueule et mes oreilles en sonnent encore l’hallali.
Ce dont je suis sûr.
C’est qu’on me prend pour une abeille et qu’on veut m’endormir par l’enfumoir d’un nuage de désorientation d’indices. Soufflez, fumez les gros bourdons, j’en viens même à me demander pourquoi, lors de la cessation d’activités de l’Association France-Pays-Arabes en 2008, le liquidateur n’ait pas pris soin de faire transférer ces archives, conformément au devoir de la République et au nom de l’utilité historique publique, tous ces documents en lieu sûr, B.N.F, Archives Nationales… mystère et boules de gomme arabique…A moins que d’autres services d’archives plus discrètes ne soient intervenus en douce pour les mettre au secret dans les culs de basse-fosses de Vincennes (DGSE) ou de Levallois-Perret (DGSI)…
Que voulez-vous !
Tout le monde ferme sa gueule !
Je n’oublie pas que le danger vient souvent de l’intérieur avec ou sans jeux de maux.
Alors aujourd’hui j’ai décidé de l ‘ouvrir.
Ma gueule, mon clapet, ma tronche.
Je n’ai pas la mémoire courte.
Le 29 Janvier 1962 dix-neuf des hommes de Bitterlin, les dites « barbouzes » se faisaient exploser le portrait dans un attentat à Alger. Papa y échappa, il était en tôle, Bitterlin et Goulay interdits de quitter Paris, Lemarchand et Ponchardier à l’abri et Despinoy en retard au rendez-vous pour ouvrir la caisse… d’explosifs estampillés contre-barbouzes. Plus de cinquante ans que l’OAS s’enorgueillit de cette tuerie alors que chacun sait combien le SDECE savait organiser et trier avec soin l’ivraie du bon grain. Les services « s’arrangèrent » pour séparer ainsi le barbouze barbu invendable du gaulliste barbouze exploitable. En 1962 les premiers moururent, les seconds survécurent mais en mettant en veilleuse leur 9-43, 6-35 et colt 45. Frey, Marcellin, Pompidou et d’autres ministres de De gaulle purent très tranquillement exposer aux journalistes qu’il n’existait pas de police parallèle en France et encore moins de barbes. En 1965 l’affaire Ben-Barka fit reparler, un peu, des barbouzes mais sans plus. Les initiatives mémorielles individuelles furent auto-lessivées et en 1968 le gaullisme prit du plomb dans l’aile droite. Le patron ne s’en remit pas, mais ça, tout le monde connaît la suite pompidoulienne, giscardienne, mitterrandienne, chiraquienne sans compter les gardiennages républicains qui suivirent…et dans tous les cas de figure on nous balance le « devoir de mémoire ».
Faut savoir ce qu’on veut quand tout est fait
pour l’émasculer cette mémoire.
Alors répondez à ma question :
Qui a planqué les archives de Lucien Bitterlin ?
Et pourquoi ?
Barbouzes d’aujourd’hui !
Nos archives nom de Dieu !
Car « bordel de merde », la république, c’est nous.
Nous les historiens qui cherchons l’Histoire
et nous les enfants qui recherchons la vérité.
Rendez-nous ces cinquante années d’archives arc-en-ciel.
Ce serait bien pour commémorer plus dignement l’anniversaire du décès de Lucien Bitterlin.
C’était il y a un an, le dimanche 11 février 2017.
*Christian Hongrois est ethnologue, fils de Marcel Hongrois (MPC-OCC-Mission C), compagnon de lutte
anti-OAS de Lucien Bitterlin.
Pu
Ancien producteur d'émission de radio à France V à Alger, Lucien Bitterlin, Il avait été autrefois le secrétaire général du MPC (Mouvement pour la Communauté) créé le 9 juillet 1959 par le mouvement gaulliste pour servir de couverture aux opérationsdes « barbouzes » visant à lutter contre mes membres de l'OAS à la fin de la guerre d'Algérie. Dans "Histoire des barbouzes" (Éditions du Palais Royal, 1972) : L'auteur raconte l'actions des équipes et cite ceux sont morts dans les opérations sans évoquer la suite de la carrière de ceux deviendront agents électoraux ou gardes du corps, ou encore feront du renseignement pour les services secrets. ils s’installèrent dans une villa du quartier d’El Biar à Alger .Une caisse qui devait contenir une machine pour imprimer les tracts fut piégée dans les locaux des douanes. Son explosion dans la villa tua 19 barbouzes. Les blessés furent soignés à l’hôpital, mais le convoi qui les ramenait à la villa fut attaqué, et les deux voitures incendiées. Les témoins dansèrent la farandole autour des voitures pendant que les passagers mourraient. Le gouvernement décida de rapatrier les survivants en France. Ils eurent 87 tués sur 200.
La Barbouze Lucien Bitterlin à l'enterrement du commissaire de police Gavoury le 2 juin 1961 à l'école de police d'Hussein Dey
Une action secrète menée contre l'OAS serait en cours... C'est ce que comprend le journaliste Lucien Bodard, alors qu'il se trouve dans l'avion qui le conduit à Alger avec de hauts responsables de la police. Telle est l'origine de l'article qu'il publie dans France-Soir le 2 décembre 1961, intitulé Les barbouzes arrivent .
Tout commence, en fait, à la fin de l'été 1961 par une réunion de Louis Joxe, négociateur d'Evian, Jacques Dauer, fondateur du Mouvement pour la coopération (mouvement gaulliste qui exerçait son activité en Algérie), et Raymond Schmittlein, président du groupe gaulliste à l'Assemblée. La nécessité de contrer l'OAS à Alger s'impose aux trois hommes. Ils dépêchent donc dans la capitale Lucien Bitterlin, membre du mouvement de Dauer, qui avait déjà milité outre-Méditerranée pour une « troisième force » soutenant la politique du général de Gaulle.
Or, six mois après le putsch, toutes les entreprises de troisième force sont abandonnées par le gouvernement. Bitterlin et ses hommes ciblent leur action contre l'OAS. Et uniquement contre elle. Aussi, ceux que l'on appellera les barbouzes délaissent-ils vite affiches et pots de colle pour l'action directe contre les partisans de l'Algérie française, désignés dans la presse de l'époque comme des « activistes ». L'adjoint de Bitterlin, Goulay, le met en contact avec Ponchardier et l'avocat Lemarchand, deux vieux routiers de la guerre de l'ombre, qui fournissent des hommes. L'argent est versé par le délégué général en Algérie, Jean Morin. Les explosifs et les armes par la sécurité militaire. Des cafés, des restaurants d'Alger, tenus pour des repaires de l'OAS, sont plastiqués, des militants de l'OAS ou des suspects sont enlevés. Premières initiatives en un domaine où elles feront florès à partir du 17 avril 1962, sous la responsabilité cette fois des commandos du FLN (ils enlevèrent 3 018 personnes).
Le colonel André, de la sécurité militaire, demande aux barbouzes de collecter des renseignements sur l'OAS. Mais les membres de cette dernière ne tardent pas à réagir. Une villa des barbouzes, située sur les hauteurs d'Alger, est plastiquée le 29 janvier 1962 à l'initiative du lieutenant Degueldre. La succession d'opérations menées par l'OAS finit par affaiblir considérablement les barbouzes de Bitterlin.
Pour autant, l'opération n'est pas terminée. Le 12 février suivant, Ponchardier et son adjoint Robert Morel prennent le relais et lancent un groupe de contre-terreur, le Talion, qui enlève notamment un responsable de l'OAS, un dénommé Petitjean, beau-frère du général Méry, celui-là même qui deviendra responsable du cabinet militaire de Valéry Giscard d'Estaing. Petitjean est torturé et retrouvé près d'Orléasnville, découpé en morceaux.
Beaucoup de questions se posent à propos de l'activité des barbouzes, dont l'efficacité comme les méthodes furent des plus discutables. A quoi ont servi ces hommes, peu nombreux, mal armés et dont les chances, face aux commandos de l'OAS, étaient bien minces ?
Certains affirment que les barbouzes ont servi à leurrer l'OAS en l'entraînant vers des cibles secondaires tandis que se mettait en place, discrètement, la Mission C, dirigée par Michel Hacq, directeur de la police judiciaire. Celui-ci était à la tête de deux cents policiers triés sur le volet, fonctionnaires du gouvernement, lesquels, aidés par les gendarmes du capitaine Lacoste, allaient porter de durs coups à l'organisation clandestine. Cette théorie du leurre a été soutenue par le journaliste et historien Yves Courrière. De nombreux chefs de l'OAS, comme le docteur Perez, l'estiment valable. Toutefois, pour Jean Morin, alors délégué général en Algérie, comme pour Vitalis Cros, alors préfet de police d'Alger, une conclusion s'impose : ce rôle de leurre, les barbouzes ne l'ont joué que par hasard. IN Barbouzes-FLN, une alliance inavouée http://www.historia.presse.fr/data/thematique//76/07605201.html Par Jean Monneret
Crânes de résistants algériens au musée d’Histoire naturelle à Paris
Seuls six crânes remis par les autorités françaises à l’Algérie sont ceux d’authentiques résistants algériens. Les autres ? D’origine incertaine, selon le New York Times qui révèle l’information.
Voilà une affaire qui risque de jeter une ombre sur les relations algéro-françaises. Ces crânes étaient conservés par la France dans le musée d’Histoire naturelle à Paris. D’autres crânes sont toujours en France.
« Six srulement des crânes restitués étaient ceux de résistants », affirme le New York Times, dans son édition du 17 octobre, qui a pu prendre connaissance de l’accord confidentiel signé par les deux gouvernements le 26 juin 2020. Celui-ci comportait une annexe détaillant l’identité des restes humains. Or parmi eux figuraient « des voleurs emprisonnés et trois fantassins algériens qui ont en fait servi dans l’armée française», précise le quotidien. C’est direvla sensibilité de l’information. Des traitres inhumés en grand pompe par les autorités algériennes! Comment est-ce possible ?
Seulement 37 des 45 restes humains algériens datant du XIXe siècle ont été étudiés, selon le Muséum car 3 se sont révélés manquants et 5 dénués de toute information, rapporte La Croix. Onze n’ayant pas pu être assez documentés, 26 étaient de facto restituables. 24 l’ont été, et 2 restent en attente de restitution.
Inhumatiin des 24 crânes reçus par l’Algérie.
Le 5 juillet 2020, au cimetière d’El-Alia à Alger, à l’occasion de 58e anniversaire de l’indépendance, tout un aréopage des personnalités et autres ronds de cuire du système accueillaient les crânes de ces résistants qui « reviennent en grands seigneurs à leur terre », comme le souligne alors le ministre des moudjahidines Tayeb Zitouni. L’événement est solennel.
Officiellement, la France a restitué à l’Algérie 24 crânes de chouhada (tués pendant la conquête coloniale. Parmi eux il y avait, selon les autorités françaises des crânes de cheikh Bouziane ou Chérif Boubaghla, qui menèrent la révolte contre le colonisateur avant d’être tués et décapités. Leurs crânes ont été conservés comme des trophées dans les collections du Musée de l’homme à Paris.
Jusqu’aux révélations du New York Times tout allait bien. Cependant depuis le 17 octobre, les informations de ce quotidien américain jette des doutes sur l’authenticité de toute cette opération qui se voulait un premier acte de bonne volonté de Paris d’ouvrir une nouvelle page dans l’histoire de la colonisation. Manifestement, elle commence mal. Les autorités algériennes gardent mystérieusement pour l’heure le silence sur l’affaire. Aucune réaction officielle n’est enregistrée. Et à Paris, on semble tendre le dos avant la tempête. Car, il faut rappeler que l’affaire est grave.
« Ce travail a été mené en totale opacité », s’indigne la sénatrice centriste Catherine Morin-Desailly, à La Croix. Cela fait plus de dix ans que l’on n’avance pas sur ce sujet, estime la sénatrice. On aurait dû rendre ces crânes de longue date à l’Algérie, mais ce geste aurait dû être établi juridiquement, historiquement et scientifiquement.»
« Dans notre village, ceux qui sont partis vivre en France sont plus nombreux que ceux qui sont restés », dit d’emblée Ramtane Benzema, 68 ans. Ce village, c’est Tighzert Ath Jlil – littéralement « le ravin des Ath Jlil » –, une jolie petite bourgade nichée au fond d’une étroite vallée. Le village fait partie de la commune d’Ath Jelil, de son nom berbère, ou Beni Djelil, comme on l’appelle officiellement. Située dans une zone montagneuse enclavée dans l’arrière-pays du département de Béjaia, en basse Kabylie, cette commune rurale compte une quinzaine de villages éparpillés au milieu des oliveraies, des figueraies et des forêts.
Il fait excessivement chaud pour une journée d’automne en ce mardi 18 octobre 2022. Autour d’un café et d’une limonade, Ramtane Benzema accepte volontiers de raconter sa famille et son village, lui qui savoure aujourd’hui une retraite amplement méritée. Peintre, chauffeur, maçon, paysan, ouvrier sur divers chantiers, l’homme a exercé une foule de petits métiers qui lui ont permis de faire vivre décemment sa famille. La veille au soir, bien entendu, tous les hommes attablés dans l’unique café du village ont suivi avec grand intérêt la cérémonie de remise du Ballon d’or à l’enfant du pays, Karim Benzema. Ici, la moitié des habitants s’appellent Zema, Benzema ou Benzemma. La famille du champion vit à Tighzert Ath Jlil depuis sa fondation, il y a près de trois siècles.
Karim, la star mondiale, on ne le connaît ici que par ses exploits sur les terrains de foot. Mais on n’est pas avare d’anecdotes sur Hafid, le papa du footballeur, et surtout sur Leghel, son grand-père. « Mon cousin Leghel, le grand-père de Karim, connu aussi sous le prénom de Mohand, est parti en France fin 1962. En 1963, il est revenu prendre sa femme et ses enfants pour s’installer là-bas mais il revenait chaque année au village », raconte Ramtane. Les liens avec le pays d’origine ont changé au fil du temps et des générations. Si Leghel rentrait régulièrement au pays, son fils Hafid, le papa de Karim, qui a épousé une Oranaise, le faisait beaucoup moins. Et personne ne se souvient avoir vu Karim mettre les pieds à Tighzert. « Peut-être qu’il viendra un jour en pèlerinage au pays de ses ancêtres, quand ses responsabilités professionnelles lui laisseront un peu plus de temps. En tout cas, il est le bienvenu ici, chez lui », dit l’un des villageois.
Une terre d’exil
Ramtane se rappelle que c’est à partir de 1958, en pleine guerre d’Algérie, que les premiers hommes, des mineurs pour la plupart, ont commencé à emmener leurs familles pour s’installer en France. Avant, la grande source du village, aujourd’hui presque tarie, permettait aux hommes d’entretenir de beaux et luxuriants jardins qui les faisaient vivre. Après l’indépendance, la population a grandi et la terre n’a plus suffi à nourrir tout son monde. Les hommes jeunes et valides ont dû prendre leurs baluchons et s’exiler sous des cieux plus cléments.
En Kabylie, pays de montagnes hérissées de villages, la terre nourrit chichement hommes et bêtes. On y cultive l’olivier et le figuier, on entretient un petit jardin potager et on élève quelques têtes de bétail. Quand la famille s’agrandit, l’aîné doit s’inventer un avenir ailleurs, en France ou dans une grande ville du pays, comme Alger, Oran ou Constantine. Quand un Kabyle s’installe en France, il commence par faire venir femme, enfants, frères et cousins. En faisant jouer les liens de solidarité, bientôt une communauté se crée. L’été à Tighzert, ils sont encore très nombreux à revenir de Lyon, Paris, Marseille ou d’ailleurs. Certains ont construit ici de belles demeures, d’opulentes villas que le visiteur aperçoit au bord de la route.
Fidèle à chaque grand rendez-vous footballistique, Tighzert chavire à chaque but inscrit, chaque titre, coupe ou championnat remporté par le capitaine du Real Madrid et buteur de l’équipe de France. Et des titres, Karim en a gagné beaucoup avant cette soirée du lundi 17 octobre 2022 qui l’a vu, lui, le petit cousin de la famille, soulever le fameux ballon d’or. Les Tighzertois étaient doublement heureux. À la fierté légitime de voir un Benzema soulever ce prestigieux trophée, s’ajoutait le bonheur de voir l’autre icône du football, Zinedine Zidane, le lui remettre et le serrer contre son cœur comme un frère.
Zidane, l’autre enfant du pays
Ici, on considère Zinedine comme un autre authentique enfant du pays. Aguemoune, son village d’origine, c’est juste de l’autre côté de la montagne, à une vingtaine de kilomètres à vol d’oiseau. En fait, à travers la trajectoire de ces deux footballeurs qui brillent au firmament du football mondial, ce sont deux destins d’émigrés kabyles qui se croisent. Deux histoires qui ont commencé à s’écrire sur les chemins escarpés de la Kabylie, alors même que l’Algérie et la France étaient comme un couple en instance de divorce qui se déchire après un mariage forcé.
Comme Leghel Benzema, Smail Zidane, un paysan kabyle qui gardait les chèvres de l’autre côté de la montagne, est parti en France en 1953. Installé à Marseille, il y a travaillé toute sa vie comme ouvrier et fondé une famille avec Malika, la femme de sa vie. Zizou, le plus jeune de ses cinq enfants, est devenu, bien avant Karim, une star planétaire. Leghel et Smail, les deux paysans kabyles devenus ouvriers en France, ne se sont jamais rencontrés. Mais leurs fils et petit-fils ont prolongé ces chemins amorcés dans des petits villages de Kabylie. Comme Smail Zidane, Leghel revenait régulièrement au pays, pratiquement deux fois par an. Décédé le 25 janvier 2021, il a fait son dernier voyage à bord du jet privé de son petit-fils pour être inhumé au cimetière familial, sur la terre qui l’a vu naître.
Nassim Benzema se propose de nous faire visiter Tighzert, petit village propret, à l’heure où les enfants sortent de l’école primaire. Dernièrement, les villageois, y compris les émigrés installés en France, ont cotisé pour rénover le petit dispensaire de santé de Tighzert. Nassim est maçon itinérant. « Je vais partout où il y a du travail pour moi », dit-il, et son rêve est que le village construise un jour un stade de football pour tous les enfants qui rêvent de suivre les traces de Karim. « Nous avons l’assiette de terrain qu’il faut pour ça mais pas l’argent nécessaire », déplore-t-il.
Ce que les jeunes qui nous accompagnent lors de la visite ne nous disent pas, c’est qu’ils espèrent qu’un jour Karim viendra visiter le petit village où sont enterrés ses ancêtres. Ce sera un grand honneur pour tous ces villageois qui portent pour la plupart le même nom que lui. En fait, Karim l’avait même solennellement promis dans une émission de la chaîne Canal+, fin 2018 : « Je n’ai pas encore eu la chance d’y aller pour des questions de timing, mais dans pas longtemps je vais y aller et ce sera une belle surprise pour le peuple car je sais que là-bas je suis aimé… », a-t-il promis.
En fait, les jeunes de Tighzert espèrent qu’il suivra un jour l’exemple de son « grand frère » et idole, Zinedine Zidane, venu en pèlerinage à Aguemoune. Zizou a aussi créé une fondation portant son nom pour soutenir des projets caritatifs en Kabylie et dans toute l’Algérie.
Dernière halte dans l’abribus qui jouxte la place principale du village. Là, le portrait de Karim, qui a été peint il y a quelques années, est presque effacé. Il se devine à peine.
L’ancienne journaliste du Monde estime que les viols de l’armée coloniale constituent une réalité trop gênante encore aujourd’hui pour les responsables politiques et militaires français.
Louisette Ighilahriz, ex-militante pour l’indépendance de l’Algérie, qui affirme avoir été violée par un officier de l’armée française à Alger en 1957, arrive à la salle d’audience, le 8 septembre 2005 au palais de justice de Paris, au premier jour du procès en appel du général Maurice Schmitt, ancien chef d’état-major des armées qui avait mis en cause son témoignage (AFP/Joël Robine)
Le journal Le Monde et La Revue dessinée, un trimestriel d’actualité en bande dessinée, se sont associés pour produire une BD et un court métrage d’animation retraçant le témoignage de Louisette Ighilahriz, combattante de la guerre d’indépendance de l’Algérie (1954-1962), torturée et violée par des militaires français, après sa capture dans une embuscade en 1957, alors qu’elle avait 20 ans.
La BD, intitulée Un trop long silence, est parue dans l’édition d’automne (numéro 37) de La Revue dessinée alors que le film, appelé tout simplement, Louisette, est disponible sur le site du Monde depuis le 7 octobre.
Les dessins sont réalisés par Aurel, de son vrai nom Aurélien Froment, un dessinateur de presse qui a reçu en 2020 le Prix du cinéma européen pour le meilleur film d’animation avec Josep, alors que les textes sont écrits par Florence Beaugé, ancienne journaliste du Monde qui a levé le voile sur les viols pendant la guerre d’indépendance de l’Algérie en obtenant le témoignage exclusif de Louisette Ighilahriz en 2000.
La rencontre entre les deux femmes avait donné lieu à une quinzaine d’heures d’entretiens résumés dans un article bouleversant qui commençait ainsi : « J’étais nue, toujours nue. Ils pouvaient venir, une, deux, trois fois par jour. Dès que j’entendais le bruit de leurs bottes dans le couloir, je me mettais à trembler. Ensuite, le temps devenait interminable. Les minutes me paraissaient des heures et les heures, des jours. Le plus dur, c’est de tenir les premiers jours, de s’habituer à la douleur. Après, on se détache mentalement, un peu comme si le corps se mettait à flotter. »
VIDÉO : La France reconnaît avoir torturé et assassiné Ali Boumendjel
L’actrice Françoise Fabian, qui interprète Louisette Ighilahriz dans le film, rend compte de sa souffrance innommable.
L’ancienne combattante est restée hantée par les visages de ses tortionnaires, ses violeurs, notamment Jean Graziani, un capitaine de la dixième division de parachutistes qui prenait ses ordres du général Jacques Massu et du général Marcel Bigeard (qui dirigeait le troisième régiment des parachutistes coloniaux).
C’est à travers Massu qu’elle apprendra, après l’article de Florence Beaugé, la mort du commandant Francis Richaud, un médecin militaire qui lui avait sauvé la vie en la transférant à l’hôpital et qu’elle rêvait de retrouver pour le remercier.
Dans une déclaration au Monde, Massu avait reconnu l’utilisation de la torture et l’avait regrettée en affirmant que l’armée « aurait pu s’en passer ».
De son côté, Bigeard, qui avait menacé le journal de poursuites, avait qualifié les révélations de Louisette Ighilahriz de « tissu de mensonges ».
Or d’autres témoignages recueillis par Florence Beaugé ont montré que le viol, considéré d’après elle comme « un dommage collatéral » de la torture, était en fait une pratique massive de l’armée française.
Le général Bigeard, ici décoré par le président René Coty le 14 juillet 1956, avait qualifié les révélations de Louisette Ighilahriz de « tissu de mensonges » (AFP)
Middle East Eye : Comment l’idée d’une BD et d’un film d’animation sur le viol de Louisette Ighilahriz et des Algériennes pendant la guerre d’indépendance de l’Algérie s’est-elle construite ?
Florence Beaugé : Tout au long de l’année dernière, le président Emmanuel Macron a accompli des gestes mémoriels sur la guerre pour l’indépendance de l’Algérie, sur la question des disparus notamment [des milliers d’Algériens emmenés par l’armée française n’ont jamais réapparu], mais il n’a rien dit sur les viols.
Pourtant, cette question est essentielle car les viols étaient une pratique très courante, qui concernait aussi bien les femmes que les hommes.
Le viol des hommes a commencé dès le début de la conquête de l’Algérie en 1830. C’était une méthode d’interrogatoire comme une autre dans les commissariats et les postes de gendarmerie.
Les hommes étaient sodomisés avec des bouteilles mais se taisaient sur ce qu’ils avaient subi.
Quant au viol des femmes, il est devenu systématique au début de la guerre d’indépendance en 1954. Il se pratiquait très souvent dans les mechtas (hameaux) et s’est intensifié pendant la bataille de l’Ouarsenis [Nord-Ouest] à partir de 1956 et la « bataille d’Alger » en 1957.
Que le président n’en parle pas m’a semblé injuste, c’est pour cela que j’ai alerté Le Monde, que j’avais quitté six ans auparavant, qui m’a demandé de réécrire sur le sujet. C’est ce que j’ai fait, dans une double page publiée en mars 2021. Ensuite, a germé l’idée de la bande dessinée pour remonter le fil du témoignage de Louisette Ighilahriz.
MEE : Vous regrettez que le viol ne soit évoqué, par exemple, qu’une seule fois dans le rapport de l’historien Benjamin Stora sur « les questions mémorielles portant sur la colonisation et la guerre d’Algérie ». Est-ce parce que cette pratique est encore très peu documentée ?
FB : Le viol est considéré comme un dommage collatéral de la torture alors qu’il s’agit d’une torture spécifique qui, à cause du silence qui l’entoure, transmet les traumatismes de génération en génération.
Le viol reste encore aujourd’hui un non-dit de la guerre d’Algérie. D’ailleurs, il constitue, avec la question des disparus, un des obstacles de la réconciliation des mémoires entre la France et l’Algérie.
Contrairement à ce que pensent les politiques français, les Algériens n’ont jamais réclamé d’excuses et, surtout, pas de repentance, un mot épouvantable avec une connotation religieuse que l’ancien président Nicolas Sarkozy a inventé. Ils demandent la reconnaissance de ce qui a été fait, dont les viols massifs.
MEE : Mais très souvent, les victimes elles-mêmes refusent de révéler les viols qu’elles ont subis…
FB : Tout à fait. L’avocate Gisèle Halimi, qui a défendu des combattantes algériennes, m’a révélé que neuf fois sur dix, les interrogatoires montraient des faits de viols. Mais les victimes refusaient toujours qu’ils soient utilisés pour les défendre devant la justice française.
Je l’ai constaté personnellement avec les survivantes que j’ai rencontrées à l’époque où je travaillais sur la région du Maghreb entre 2000 et 2011 pour Le Monde. J’ai toujours été frappée par le nombre de femmes qui m’avouaient, en off ou de manière indirecte, les viols qu’elles avaient subis, mais qui ne voulaient pas en parler publiquement.
Photo datée du 22 avril 1962 de la jeune combattante indépendantiste algérienne Djamila Boupacha en compagnie de son avocate Gisèle Halimi à sa sortie de la maison centrale de Rennes. Accusée d’avoir déposé une bombe à la Brasserie des facultés à Alger, elle avait été arrêtée en 1960 pendant la guerre d’Algérie et affirmait avoir été torturée après son arrestation (AFP)
Le reconnaître était honteux. C’est une infamie pour ces femmes qui ont subi la double peine, le viol et le silence.
En témoignant dans Le Monde en 2000, Louisette Ighilahriz a eu un courage exemplaire. C’était le cas aussi d’une autre militante de l’indépendance, Baya Laribi.
MEE : La reconnaissance du viol que ces femmes ont subi pouvait aussi écorner leur image d’héroïnes…
FB : Effectivement, c’était sociétal. Il n’était pas possible d’entacher l’image d’une héroïne et d’une femme. Le reconnaître, c’était aussi supporter le regard des autres. La plus jeune victime que j’ai rencontrée avait 9 ans au moment des faits. Encore aujourd’hui, elle ne se résout pas à le dire à ses proches et vit avec sa souffrance.
Louisette, par exemple, m’a dit avoir souffert du regard des autres, après le témoignage qu’elle a livré. Elle n’est plus vue comme celle qui a contribué largement à la révolution mais comme celle qui a été violée
Louisette, par exemple, m’a dit avoir souffert du regard des autres, après le témoignage qu’elle a livré. Elle n’est plus vue comme celle qui a contribué largement à la révolution mais comme celle qui a été violée.
MEE : Étiez-vous surprise par les réactions qu’ont suscitées vos révélations en 2000 sur le viol des militantes algériennes ?
FB : Entièrement, surtout par les réactions des anciens hauts gradés de l’armée française en Algérie. Le coup de fil du général Bigeard à la direction du Monde au lendemain de l’article a donné une dimension folle aux révélations sur les viols.
Il avait nié les faits et menacé de poursuivre le journal en justice. De son côté, le général Massu, sans valider les viols, a confirmé l’identité de Richaud, le médecin qui avait sauvé Louisette Ighilahriz de ses tortionnaires et qu’elle recherchait ardemment.
Ensuite, entre 2000 et 2005, toute une succession de témoignages que j’ai pu obtenir, notamment du côté des acteurs, a montré l’ampleur de la torture pendant la guerre d’indépendance de l’Algérie.
J’ai pu par exemple obtenir les aveux du général Aussaresses (ex-coordinateur des services de renseignement à Alger).
Le général Paul Aussaresses, ancien responsable des services de renseignement à Alger, photographié à son domicile parisien le 23 novembre 2000, a confirmé le recours à la torture et aux exécutions sommaires pendant la guerre d’Algérie (AFP/Joël Robine)
J’ai ensuite bravé les lois d’amnistie [votées en 1966 en France pour empêcher la poursuite des militaires qui se sont rendus coupables d’infractions au titre de l’insurrection algérienne] pendant la présidentielle de 2001 pour relater le passé peu glorieux de tortionnaire de l’ancien président du Front national [parti d’extrême-droite] Jean-Marie Le Pen [arrivé au second tour de l’élection], lorsqu’il était engagé volontaire en Algérie en 1957 dans le premier régiment étranger de parachutistes.
MEE : Aussaresses, qui admettait volontiers avoir pratiqué la torture en Algérie, ou Massu, qui avait regretté son usage, n’ont jamais évoqué les viols. Pourquoi ?
FB : Il y a une différence entre les tortures qu’on peut admettre du bout des lèvres ou de manière presque fanfaronne comme Aussaresses et le viol.
Aucun violeur ne se vantera de son acte. J’ai rencontré des anciens appelés et presque tous ont nié la pratique du viol. Certains ont admis avoir été des témoins impuissants et ont développé des mémoires traumatiques.
À l’âge de la retraite, certains sont devenus malades, avec des syndromes de stress post-traumatique, ou alcooliques. Mais autrement, les viols de l’armée française pendant la guerre d’indépendance de l’Algérie restent méconnus en France, quelques fois sous-estimés ou représentent une réalité trop gênante pour les militaires et les politiques.
MEE : Comment Louisette Ighilahriz a-t-elle réagi en découvrant la BD et le film d’animation ?
FB : Elle a pleuré d’émotion et de gratitude. Ce qui est extraordinaire dans l’attitude de Louisette est que son témoignage ne visait pas seulement à dénoncer les viols qu’elle a subis de la part des militaires français mais, également, à remercier l’un d’eux de l’avoir sauvée. Elle n’était pas animée par la haine.
Par
Samia Lokmane
Published date: Mercredi 19 octobre 2022 - 07:27 | Last update:4 hours 1 min ago
Le 18 octobre, un hommage aux anciens combattants de la guerre d’Algérie a été rendu par le président de la République lors d’une prise d’armes dans la cour des Invalides. Une ultime commémoration en cette année du 60e anniversaire.
Pas de discours mais un communiqué sur le site de l’Élysée. Ce 18 octobre, hommage a été rendu aux anciens combattants de la guerre d’Algérie, « engagés, appelés ou supplétifs » qui « ont vécu ce conflit en première ligne, dans leur chair et leur conscience ». Cette date marque l’anniversaire de la loi de 1999, qui reconnaît enfin une « guerre » longtemps laissée sans nom. Et pour laquelle, entre 1954 et 1962, la France envoya près d’un million et demi d’hommes et de femmes se battre pour elle.
Reconnaître toutes les mémoires
C’était l’une des préconisations du rapport sur la colonisation et la guerre d’Algérie remis par l’historien Benjamin Stora à Emmanuel Macron, en janvier 2021. « On ne pouvait pas terminer cette année du 60e anniversaire sans un geste particulier pour les appelés et à toutes ces familles qui attendaient leur retour », insiste l’historien présent aux Invalides. Pour lui, seule la commémoration des principaux groupes de mémoire – harkis, Français d’Algérie, indépendantistes, anciens combattants – peut permettre « des compromis mémoriels ».
De fait, Emmanuel Macron s’est attaché à rendre hommage, par des discours et des gestes symboliques, à tous ces porteurs de mémoire. Reconnaissant les « manquements » de la République française envers les harkis, comme la responsabilité de l’État dans l’assassinat des indépendantistes Maurice Audin et Ali Boumendjel. Ou encore dans la fusillade de la rue d’Isly à Alger, où tombèrent des partisans de l’Algérie française.
Cette cérémonie aux Invalides a été ainsi précédée d’un message présidentiel, la veille, dénonçant les « crimes inexcusables pour la République », à propos du massacre des manifestants algériens par la police à Paris, le 17 octobre 1961. Et le communiqué du 18 octobre veillait aussi à rappeler la condamnation de ceux, qui parmi les combattants, « se sont placés hors la République ». « Cette minorité a répandu la terreur, perpétré la torture, envers et contre toutes les valeurs d’une République fondée sur la déclaration des droits de l’homme et du citoyen. »
Concomitance ou marque d’un non-choix
Dans cette multiplication de gestes et de paroles de reconnaissance, certains saluent une « concomitance des mémoires », à l’instar de l’historienne Naïma Yahi, qui a fait partie de la commission Stora. « La célébration des mémoires combattantes n’empêche en rien celle du 17 octobre, souligne-t-elle, l’important est que ces deux mémoires soient considérées et reconnues avec la même force, qu’elles ne soient pas hiérarchisées et que se tisse ainsi la reconnaissance de la République. » Tout comme Benjamin Stora, elle défend aujourd’hui la panthéonisation de Gisèle Halimi, en hommage à « tous ceux qui ont porté les valeurs de la République en soutenant la lutte des indépendantistes contre un système colonial injuste ».
D’autres voient cependant dans cette pluralité de commémorations « la marque d’un non-choix », selon les mots de Sylvie Thénault, spécialiste de la guerre d’indépendance algérienne. « Cette politique mémorielle se veut équilibrée mais elle porte sur une situation historique fondée sur un déséquilibre majeur, où certains ont connu le viol, la torture. C’est la question de l’impunité que l’on ne questionne pas. Quant à la “réconciliation des mémoires”, elle ne s’impose pas. La mémoire des individus se respecte, c’est tout. »
Partisane de la mise en place d’une justice transitionnelle sur la guerre d’Algérie, l’historienne appelle surtout à « traiter les séquelles de ce passé dans la société française ». Un travail qui passe, selon elle, par l’enseignement de cette période aux générations qui ne l’ont pas connue, comme par la lutte contre le racisme et les discriminations. Une autre préconisation du rapport Stora vise à développer aussi les bourses de recherche entre les deux rives et à faire dialoguer des jeunes issus des différents groupes mémoriels. Pour, à défaut de les réconcilier, « décloisonner les mémoires de la guerre d’Algérie ».
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