ommes nous en train d’assister au retour du spectre islamiste dans les pays du Maghreb? La question se pose, à voir la simultanéité avec laquelle deux pays comme la Tunisie et l’Algérie ont réactivé ces peurs et nourri ces angoisses. L’islamisme radical et violent semble avoir bon dos pour justifier les impasses et anticiper les mis au pas.
En Tunisie d’abord. Après avoir longtemps cohabité avec le mouvement Annahda et son chef iconique Rached Ghanouchi, Kais Saied a pris brusquement la décision de le mettre en prison sous prétexte que ses déclarations et sa présence menacent de provoquer une guerre civile en Tunisie.
Il est vrai que depuis que le président tunisien avait entamé son tournant autoritaire en se tissant une constitution sur mesure, il présentait le mouvement islamiste et son approche idéologique comme une menace sérieuse pour la paix en Tunisie.
Kais Saied était alors pris dans une contradiction politique paralysante. Comment s’attaquer à un homme politique, Rached Ghanouchi, connu pour être un des grands protégés, pour ne pas dire un agent d’influence, du sérail militaire algérien depuis les années Bouteflika quand on est devenu soi même aussi redevable et aussi dépendant de cette même institution militaire algérienne ? Les deux hommes s’étaient déjà livrés à une compétition de courtisanerie à l’égard d’Alger comme le résument deux faits majeurs distinctifs de leurs personnalités et choix politiques.
En pleine crise algérienne avec le Maroc, Ghanouchi avait formulé la scandaleuse proposition de former une union du Maghreb sans le Maroc, ce qui est apparu à l’époque comme une douce musique aux oreilles des galonnés algériens. Tandis que que Kais Saied avait, au pic de la tension entre Rabat et Alger, reçu comme un véritable chef d’Etat, le président de la fantomatique RASD, Brahim Ghali, alias Benbatouche..
Ceci avait signé à l’époque la sortie officielle de la Tunisie de sa légendaire neutralité à l’égard de cette discorde régionale. Depuis, la Tunisie est régulièrement présentée par les médias algériens comme une simple province algérienne sans aucune souveraineté que celle d’appliquer l’agenda algérien dans la région.
L’autre pays où l’islamisme radical est ré-alimenté est justement le voisin algérien. Sans crier gare et sans aucune préparation politique et médiatique, le chef d’Etat major de l’armée algérienne, Said Chengriha, le véritable détenteur du pouvoir en Algérie, avait prononcé un discours avec énormément de références à la décennie noire où faux islamistes et faux militaires se sont livrés une guerre sanglante et dont les traumatismes résonnent encore dans le cœur des Algériens.
Le patron de l’armée algérienne envoie des alertes aux Algériens sur le possible retour des radicaux islamistes qui menaceraient, selon lui, de provoquer chaos et déstabilisation et de s’emparer du pouvoir. Le rôle de l’armée est encore une fois de défendre l’Etat et les institutions, une cause au nom de laquelle les pouvoirs d’exception sont maintenus et les horizons et autres ambitions démocratiques tués dans l’oeuf.
Said Chengriha avait ressorti un argumentaire sécuritaire et une tonalité idéologie qui rappellent les années 90 d’une Algérie meurtrie par un terrorisme dont on n’a toujours pas établi les véritables responsabilités ni éclairé les vrais ressorts.
Le retour du chaos sanglant islamiste en Algérie, le spectre de la guerre civile en Tunisie, deux menaces évoquées simultanément à Alger et à Tunis, dans une forme d’homogénéité politique. Derrière ces choix, il y a une stratégie politique évidente et commune.
Pour le régime algérien à qui il est demandé instamment de remettre le pouvoir aux civils, soit à travers une contestation interne sourde et permanente ou des pressions internationales de plus en plus visibles, le recours à la menace islamiste n’est qu’une forme de justification pour maintenir le pouvoir au sein de l’institution militaire et ne jamais le rendre aux civiles. Comme si la question proposée aux Algériens et à la communauté internationale est: Comment l’armée peut-elle abandonner le pourvoir alors que d’obscures forces islamistes menacent de plonger le pays dans le chaos et le sang ?
Pour la Tunisie de Kais Saied, il s’agit de justifier son coup de force anti démocratique, lui donner un habillage et des motivations politiques, une démarche toujours refusée et par les Tunisiens et par la communauté internationale, comme semble le montrer le difficile dialogue entre l’Etat tunisien et les institutions financières internationales qui refusent de valider sa politique.
Dans le tome III de ses Mémoires, l’ancien opposant et député social-démocrate Saïd Sadinous replonge dans une période charnière de l’histoire contemporaine de l’Algérie.
Ancien président du Rassemblement pour la culture et la démocratie (RCD), Saïd Sadi a réussi sa conversion de la politique à l’écriture. Depuis qu’il s’est mis en retrait des activités de son parti, en 2012, l’ancien député s’est attelé à la rédaction de ses Mémoires, dont le troisième tome – La haine comme rivale, 1987-1997 – est sorti en février aux éditions Altaya.
Acteur majeur de la vie cultuelle et politique algérienne à partir des années 1970, Saïd Sadi, aujourd’hui âgé de 75 ans, aborde dans ce troisième volet les deux décennies qui ont vu le pays basculer de l’ère du parti unique FLN à celle du pluralisme politique (à partir de 1988), puis plonger dans cette décennie noire qui a fait des dizaines de milliers de morts. Une histoire qu’il retrace en quelques épisodes-clés.
« Le Cardinal » Belkheir annonce le pluralisme politique
Octobre 1988. De violentes émeutes embrasent plusieurs villes d’Algérie, obligeant le président Chadli à faire appel à l’armée pour mater la révolte. Bilan officiel : 169 morts, mais officieusement, on évoque plutôt le nombre de 500. Au pouvoir depuis 1962, le parti unique, incarné par le président Chadli Bendjedid, est ébranlé par ces manifestations menées majoritairement par des jeunes.
Une partie du pouvoir est convaincue de la nécessité de mener des réformes politiques pour instaurer le pluralisme politique et médiatique. Une autre partie juge qu’il n’y a point de salut en dehors du FLN. Quelques jours après la fin des émeutes, Chadli charge le général Larbi Belkheir, secrétaire général de la présidence, que l’on surnomme « le Cardinal » ou le faiseur de rois de mener des consultations avec des acteurs politiques et des membres de la société civile.
Comptant parmi les principaux animateurs du Printemps berbère de 1980, fondateur en 1985 de la Ligue algérienne pour la défense des droits de l’homme (LADDH), ce qui lui a valu, avec ses camarades, de passer dix-huit mois en prison (décembre 1985-avril 1987), Saïd Sadi est invité à une rencontre avec Larbi Belkheir dans une villa d’Alger pour un entretien qui va durer une demi-heure.
Sadi évoque la faillite du système du parti unique et la nécessité d’instaurer la démocratie. Le général Belkheir écoute sans dire un mot. À la fin de l’entretien, il confie à son interlocuteur que Chadli Bendjedid a décidé d’organiser un référendum pour doter le pays d’une nouvelle Constitution qui consacrerait le pluralisme politique.
Cette audience entre Belkheir et Sadi déplait fortement à Hocine Aït Ahmed, leader du Front des forces socialistes (FFS), qu’il a fondé en 1963 et dont Saïd Sadi est l’un des principaux animateurs. Aït Ahmed accuse alors Sadi et ses camarades d’être des agents des services secrets algériens et ira jusqu’à insinuer qu’ils n’étaient pas en prison mais hébergés par Belkheir dans des hôtels. Hocine Aït Ahmed maintiendra longtemps que le RCD, fondé en février 1989, a été créé dans les laboratoires du général Belkheir.
Confessions du maître espion Kasdi Merbah
Dans les années 1960 et 1970, Kasdi Merbah était le patron de la redoutable Sécurité militaire (SM), la police politique du régime, au point qu’il était considéré comme l’homme le mieux informé du pays et celui qui détenait tous les dossiers secrets.
À la mort de Boumédiène, il fait partie de la poignée de colonels qui imposent Chadli Bendjedid à la tête de l’État. Dans les années 1980, son étoile pâlit, sans pour autant qu’il perde de son influence. Au lendemain de la révolte d’octobre 1988, Chadli lui confie les clés du gouvernement, mais il sera congédié moins d’une année plus tard.
Avec l’avènement du pluralisme, il entre dans l’opposition pour fonder le Mouvement algérien pour la justice et le développement (MAJD). En juillet 1990, Kasdi Merbah sollicite une entrevue avec Saïd Sadi au cours de laquelle il se confesse. Il raconte notamment qu’il a été limogé de son poste de chef du gouvernement à cause du poids du régionalisme et qu’on lui reproche d’être un Kabyle.
Le maître espion assure que lors des manifestations du printemps 1980 en Kabylie, certains dirigeants civils et militaires voulaient envoyer l’armée mater la révolte. Merbah confie qu’à la mort de Boumédiène, en 1978, les militaires ont écarté Bouteflika au profit du colonel Chadli Bendjedid « le temps de remettre un peu d’ordre dans les affaires de l’État ».
Le deal est alors que Chadli effectuera un seul mandat avant de s’effacer. Sauf qu’il n’a pas respecté ce contrat avec les militaires et s’est accroché au pouvoir. Et lorsque, en octobre 1988, Chadli fait appel à Merbah pour diriger l’exécutif, il s’agit encore d’un deal : Kasdi Merbah aurait la mission de restaurer l’ordre, redresser la situation, puis prendrait la place de Chadli.
Mais Mouloud Hamrouche, le secrétaire général de la présidence, manœuvre en coulisses et fait capoter le plan de Merbah avec l’aide d’une poignée de généraux. C’est Hamrouche qui sera désigné le 5 septembre 1989. Quant à Kasdi Merbah, il sera assassiné le 23 août 1993 par un groupe terroriste, avec son fils, son frère, son chauffeur et son garde du corps, emportant tous ses secrets dans la tombe.
Hassan II à Alger
Juillet 1990. Le troisième sommet de l’Union du Maghreb arabe (UMA) se tient à Alger. Le roi Hassan II s’y rend à bord de son bateau, Le Marrakech, qui devient une attraction pour les Algérois. En marge du sommet, le roi du Maroc émet le souhait de rencontrer certains dirigeants de partis politiques algériens. Abassi Madani, du FIS, Abdelhamid Mehri, du FLN, Hocine Aït Ahmed, du FFS, et Saïd Sadi sont ainsi reçus avec tout le faste royal.
Comme à l’accoutumée, Hassan II se fait attendre pendant une heure et demi avant de s’entretenir individuellement avec ses convives algériens. Entouré de son cabinet, il discute avec le leader du RCD. « Comment va la démocratie ? », demande-t-il. Le monarque marocain veut tout connaitre de l’expérience démocratique et du pluralisme naissant chez son voisin de l’Est.
Sadi explique que son parti souhaite mettre en place des opérations de jumelage entre des communes de Kabylie et du Maroc. Hassan II lui demande alors de voir avoir son ministre de l’Intérieur, Driss Basri. Le projet n’aboutira jamais.
Mais Hassan II s’est toujours tenu informé au plus près de la vie politique en Algérie. En 1992, au lendemain de la rupture du processus électoral à la suite de la victoire du Front islamique du salut (FIS) aux législatives, on prête au souverain marocain cette déclaration qui n’a pas été du goût de ses voisins : « Dommage que les autorités aient interdit le FIS en 1992. C’était un laboratoire pour tester l’efficacité de l’islamisme. »
Quand Boudiaf tire à boulets rouges sur Ben Bella et Aït Ahmed
Trois mois après son retour en Algérie, en janvier 1992, pour prendre la direction du Haut Comité d’État (HCE), l’instance collégiale portée au pouvoir après la démission du président Chadli Bendjedid, Mohamed Boudiaf prend ses marques au Palais d’El Mouradia.
L’ancien historique du FLN multiplie les consultations avec les personnalités politiques pour s’informer et exposer ses projets pour le pays. En mars, il reçoit Saïd Sadi pendant trois heures. « Tout est à refaire », lui dit Boudiaf, en admettant que le peuple « n’a plus confiance dans les dirigeants, d’où le succès des islamistes ». Les problèmes sont partout, ajoute le président. D’autant que le pays glisse dangereusement dans une spirale de violence terroriste.
Boudiaf explique à son interlocuteur qu’il veut mettre en place les conditions qui permettent la création d’un État de droit. Cela passe nécessairement par la tenue d’une présidentielle à la fin de 1993 pour donner une légitimité populaire au chef de l’État. Boudiaf, qui veut se porter candidat à l’élection, qui sera « totalement régulière », est donc à la recherche de soutiens. Le constat qu’il fait de la situation de l’Algérie, qu’il redécouvre après des années d’exil au Maroc, est sans appel.
L’école ? Sinistrée. La situation économique ? Calamiteuse. L’élite dirigeante ? Elle a failli, elle est usée et corrompue. La diplomatie ? À rebâtir de fond en comble. « Il faut regarder vers le Nord, décrète-t-il. Les histoires du monde arabe, ça suffit. Mis à part l’Égypte, qui a une profondeur historique qu’elle n’assume pas toujours, et le Koweït, qui tente de faire quelques efforts sur la question de la femme, le reste c’est du vent. »
Boudiaf parle sans filtres, sans tabous, cash. Il livre ensuite ses impressions sur Ahmed Ben Bella et Hocine Aït Ahmed, deux autres chefs historiques qu’il a longuement côtoyés en prison à l’époque de la guerre d’indépendance. Ben Bella ? « Tu peux faire quelques pas avec lui. Mais si vous croisez quelqu’un, il ne faut pas le chercher à tes côtés. Il est déjà avec celui que vous avez rencontré. » Aït Ahmed ? « C’est un drame. C’est un adolescent qui a décidé de s’aimer. »
À la fin de l’entretien, Saïd Sadi souhaite connaître les rapports de Boudiaf avec l’institution militaire et évoque la question du Sahara occidental. À peine sorti du bureau présidentiel, Sadi est reçu par le ministre de la Défense, Khaled Nezzar, à qui il fait un compte rendu de ses échanges avec Boudiaf.
Si Nezzar est globalement d’accord sur le fait qu’il faille aller vite et briser tous les tabous, il n’en préconise pas moins prudence et sagesse. « Il [Nezzar] ne voulait pas que l’on brusque un pays déjà perturbé », écrit Saïd Sadi dans ses Mémoires.
La divulgation de cette audience entre Boudiaf et le président du RCD a donné lieu à une rumeur selon laquelle ce dernier se serait vu proposer la tête du gouvernement. Il n’en a jamais été question. Mohamed Boudiaf n’aura pas non plus eu le temps d’aller à cette présidentielle de 1993 et au bout de ses projets. Il est assassiné le 29 juin 1992 par Lembarek Boumaarafi, un sous-lieutenant du Groupe d’intervention spécial (GIS), qui était chargé de le protéger.
Zéroual élu président par deux généraux
Novembre 1995. La course à la magistrature suprême met aux prises Liamine Zéroual, Saïd Sadi, Mahfoudh Nahnah et Noureddine Boukrouh. Pendant des semaines, les quatre candidats sillonnent le pays pour mener une campagne électorale dans un climat de terreur et de barbarie imposé par les Groupes islamiques armés (GIA).
Jeudi 16 novembre, ils sont des millions à braver les menaces des GIA, qui promettent la mort à ceux qui se rendraient aux urnes. Le soir du dépouillement, le neveu d’un cadre du RCD, dont le beau-père n’est autre que Khaled Nezzar, informe Saïd Sadi qu’il a surpris une conversation entre Nezzar et le général Toufik, le patron des services secrets. « Les résultats n’étaient pas ceux qu’ils attendaient, écrit Sadi. Les deux officiers généraux étaient en train de répartir les scores. »
Liamine Zéroual sera ainsi élu avec 61,34 % des voix. Près de trois ans plus tard, il démissionnera par anticipation. Il prendra sa retraite en avril 1999 pour s’installer à Batna, dans l’est du pays, où il vit encore aujourd’hui.
À l’affiche de Nos Frangins, le dernier film de Rachid Bouchareb, la comédienne franco-algérienne Lyna Khoudri sera aussi au casting du très attendu Les Trois Mousquetaires en 2023. Rencontre avec une star montante du cinéma français.
Lyna Khoudri au 75e festival de Cannes, le 24 mai 2022, lors de la présentation de Nos Frangins (AFP/Patricia de Melo Moreira)
Elle s’est distinguée en 2017 par le rôle de Feriel dans le long métrage Les Bienheureux de Sofia Djama et a décroché pour cette interprétation le prix de la meilleure actrice, dans la section Orizzonti, à la Mostra de Venise, en Italie.
En 2019, elle est une nouvelle fois remarquée dans le rôle de Nedjma, une étudiante, dans le long métrage Papicha de la réalisatrice franco-algérienne Mounia Meddour.
Pour cette interprétation, elle a décroché le César du meilleur espoir féminin en 2020, succédant ainsi à une autre Franco-Algérienne, Kenza Fortas, primée pour son rôle de Shéhérazade dans le film éponyme français de Jean-Bernard Marlin, sorti en 2018.
Lyna Khoudri partage la vedette avec Reda Kateb et Samir Guesmi dans le nouveau long métrage de Rachid Bouchareb, Nos Frangins, sorti en France et en Algérie début décembre 2022.
Le film a été projeté en avant-première algérienne au 11e Festival international du cinéma d’Alger (FICA), dédié au film engagé.
Nos Frangins porte pour la première fois au grand écran l’affaire Malik Oussekine, étudiant franco-algérien battu à mort par trois policiers français, dans la nuit du 5 au 6 décembre 1986, à Paris.
À l’époque, les étudiants manifestaient contre le projet du ministre Alain Devaquet sur la réforme des universités françaises, qui prévoyait notamment de sélectionner les étudiants à l’entrée des universités. Le film de Rachid Bouchareb met aussi en lumière une affaire, encore peu connue en France, celle de la mort, la même nuit que Malik Oussekine, d’Abdel Benyahia, jeune Franco-Algérien tué par un policier ivre qui n’était pas en service.
Rachid Bouchareb : « Le racisme s’est banalisé alors que l’immigration est devenue un fonds de commerce »
Fille du journaliste de télévision algérienne Rabah Khoudri, qui s’est installé avec sa famille à Paris au début des années 1990, Lyna Khoudri est diplômée en arts du spectacle après l’obtention d’un bac théâtre.
La comédienne est apparue pour la première fois au petit écran, en 2014, dans l’un des épisodes de la saison 8 de la série Joséphine, ange gardien, réalisée par Philippe Proteau. Elle a joué ensuite dans plusieurs courts métrages, dont Rageuses de Kahina Asnoun et Avaler des couleuvres de Jan Sitta.
Après une quinzaine de longs métrages, elle sera en avril 2023 à l’affiche du dernier film de Martin Bourboulon, Les Trois Mousquetaires, d’après l’œuvre d’Alexandre Dumas, dans lequel elle incarne Constance Bonacieux.
Middle East Eye : Dans Nos Frangins, vous interprétez le rôle de Sarah Oussekine, sœur de Malik Oussekine. Comment avez-vous abordé ce rôle ?
Lyna Khoudri : Il fallait d’abord se documenter pour camper ce personnage. Rachid Bouchareb a partagé avec nous tout le travail de recherche qu’il avait fait en amont avant la réalisation du film.
Cela m’a permis de plonger complètement dans cette histoire que je ne connaissais pas auparavant. Le cinéaste a rencontré Sarah Oussekine et m’a raconté les échanges qu’ils ont eus.
À partir de cela, il fallait trouver le bon angle pour être juste. Il est tout de même délicat de raconter l’histoire d’une famille qui existe réellement.
MEE : Pensez-vous que les affaires Malik Oussekine et Abdel Benyahia aient été effacées des mémoires en France ? L’affaire Abdel Benyahia est toujours inconnue…
LK : Étant née en 1992, je ne connaissais pas l’affaire Malik Oussekine. Ce n’est pas ma génération. Abdel et Malik sont morts la même nuit. Je sais qu’à l’époque, l’affaire fut très médiatisée et il y a un vrai problème sur le traitement médiatique de l’affaire Abdel Benyahia, une affaire complètement étouffée.
Il y a d’autres histoires similaires qui n’ont jamais été mises au-devant de la scène et dont on n’entendra jamais parler. C’est pour cette raison que Rachid Bouchareb a décidé de porter à l’écran l’affaire Abdel Benyahia en mettant en miroir les deux histoires.
Ces deux affaires sont liées à des violences policières. Une question largement débattue ces deux dernières années en France avec le traitement réservé aux manifestations des Gilets jaunes. C’est donc un film lié à une actualité.
Plusieurs milliers de personnes manifestent silencieusement à Paris, le 6 décembre 1986, de la place de la Sorbonne à l’hôpital Cochin où repose le corps de Malik Oussekine, le jeune étudiant décédé le matin même après avoir été violemment frappé par des policiers en marge d’une manifestation étudiante contre le projet de réforme universitaire du ministre Alain Devaquet (AFP/Michel Gange)
C’est pour cette raison que j’ai trouvé important de participer à ce projet. Rachid Bouchareb nous a raconté comment il avait vécu les manifestations de décembre 1986. Je me suis souvenue de ce que j’ai vécu en 2005 lorsque j’étais collégienne dans la banlieue parisienne.
À l’époque, il y avait eu de grosses émeutes après la mort de deux garçons, Zyed Benna et Bouna Traoré [morts électrocutés le 27 octobre 2005 à Clichy-sous-Bois, après avoir été poursuivis par des policiers].
C’est avec cela que j’ai grandi. Aujourd’hui, il y a Black Lives Matter, l’affaire Adama Traoré [décédé à la gendarmerie après son interpellation alors qu’il tentait de fuir un contrôle de police concernant son frère], l’affaire Théo [blessé lors d’une violente interpellation]. Des affaires médiatisées. Cela m’a fait prendre conscience de la nécessité d’en parler aujourd’hui.
MEE : Selon Rachid Bouchareb, rien n’a changé, entre 1986 et 2022, pour les migrants d’origine étrangère vivant en France. Partagez-vous cet avis ? Avez-vous le sentiment d’être toujours étrangère en France ?
LK : Rachid Bouchareb m’a parlé de la difficulté qu’il avait à monter en 2006 le filmIndigènes avec un casting constitué essentiellement de comédiens arabes.
J’essaie de passer au-dessus de cela, de ne pas me soucier du regard des autres. Cela dit, à plusieurs reprises, je ne me suis pas sentie à l’aise dans ma vie, dans des endroits qui n’étaient socialement pas accessibles pour moi. Des endroits très parisiens, un peu bourgeois, où vous n’avez pas les bons codes, où vous n’êtes pas habillé comme il le faut et où on vous regarde de haut.
J’ai connu le contrôle au faciès avec les gens avec qui j’ai grandi. À la sortie d’un train, j’ai subi ce genre de contrôle. Il s’agit de choses qui existent, qui arrivent, qu’on ne peut pas nier.
J’ai connu le contrôle au faciès avec les gens avec qui j’ai grandi. À la sortie d’un train, j’ai subi ce genre de contrôle. Il s’agit de choses qui existent, qui arrivent, qu’on ne peut pas nier
MEE : Les choses ont-elles changé ?
LK : Oui. Pour le métier que je fais, du moins, il y a davantage d’accès parce qu’il y a plus de rôles et plus d’histoires.
En tant que migrants, nous nous sommes appropriés les choses, battus pour faire nos films, avoir nos boîtes de production, écrire nos histoires. Donc, il faut continuer dans ce sens-là.
MEE : En France, des politiques de droite et d’extrême droite critiquent en permanence l’arrivée de migrants en France, certains parlent de « grand remplacement ». Comment réagissez-vous à ce genre de déclarations qui provoquent la peur ?
LK : Ce genre de déclarations n’est pas représentatif de la France. C’est minoritaire. Mais j’ai grandi avec des Le Pen pas très loin ! J’ai l’impression que les choses stagnent. À certains endroits, c’est pire, c’est mieux dans d’autres. Je ne m’y connais pas assez en politique pour m’avancer plus. Je suis différente de mon père à ce niveau-là.
MEE : Justement, être fille d’un journaliste de télévision, qui a donc un rapport avec l’image, vous a-t-il aidée dans votre carrière professionnelle ?
LK : Oui. Cela m’a surtout donné l’amour de l’image. J’ai mis du temps à le comprendre. En faisant le métier de comédienne, je pensais m’éloigner de mon père, mais en fait, ce n’était pas le cas.
Mon père m’a appris à aimer l’image, à regarder un écran, à analyser un plan, à manipuler une caméra, à faire la différence entre les techniques...
J’ai appris très tôt. Petite, je regardais des films avec mon père. Il m’expliquait à chaque fois les plans, la mise en place des caméras, le travelling, les plans-séquences... En grandissant, j’avais tous ces termes techniques en tête.
En fait, je ne me suis même pas rendu compte que c’était un plus. Et, en débutant dans le cinéma, j’avais l’impression de tout savoir, de comprendre tous les codes. Il y avait des mots qui me paraissaient familiers. Parfois, dans les tournages, j’expliquais à mes collègues qui débutaient les techniques, les plans. J’avais donc un petit avantage grâce à mon père.
Cela dit, mon père ne m’a pas pistonnée. J’ai tout fait en France, lui a tout fait en Algérie. Mon père ne connaît ni Rachid Bouchareb ni Mounia Meddour mais il m’a donné l’amour du cinéma. Et l’amour de l’Algérie aussi. Mais j’ai fait ce que je voulais : je n’ai pas étudié les sciences politiques à l’université comme lui. J’ai fait autre chose en apprenant de lui.
MEE : Qu’est-ce qui vous a amenée au cinéma ?
LK : Au début, j’ai fait du théâtre au lycée pour m’amuser avec mes amis. Après le bac, je n’ai pas continué et j’ai senti comme un manque.
Un jour, j’ai rencontré la réalisatrice Nora Hamdi, qui est d’origine algérienne et qui a réalisé en Algérie le film La Maquisarde, en 2020. Elle m’a demandé si j’étais intéressée par une carrière d’actrice. Je lui ai répondu que j’aimais bien le cinéma sans penser à être actrice.
Je voulais rester dans la culture sans savoir quoi faire, peut-être travailler dans les musées, faire l’école du Louvre, faire du cinéma... je n’avais pas tranché.
Le César a donné plus de visibilité au travail que je fais au cinéma. Il m’a ouvert des portes et m’a permis de faire des rencontres
Donc, je me suis inscrite au cinéma à la fac et me suis rendu compte que je n’aimais pas ça ! Après, j’ai fait des études de théâtre, et là, j’ai senti que j’étais bien à ma place, j’ai pris beaucoup de plaisir. Je me suis dit, quitte à prendre du plaisir, autant en faire son métier.
J’écris beaucoup sur les personnages que je joue. Le César a donné plus de visibilité au travail que je fais au cinéma. Il m’a ouvert des portes et m’a permis de faire des rencontres. Cela dit, il n’y a pas un avant ou un après le César. Je suis restée la même et je continue de faire mon travail normalement.
MEE : Voulez-vous reprendre le théâtre ?
LK : Oui, j’ai envie de continuer à faire du théâtre. Cela fait bien partie du métier de comédien. Ce qui se passe au cinéma est différent de ce qui se passe sur scène. J’ai beaucoup appris au théâtre. J’ai l’impression que quand on fait du théâtre, on peut tout faire après.
Il y a l’obligation d’être là et de créer sur l’instant, quoi qu’il arrive, même si vous oubliez votre texte ou si vous êtes fatigué ou malade. Il faut inventer au moment présent. Pour moi, le théâtre est la meilleure école pour le comédien. Au théâtre, on a plus de temps pour préparer le rôle. Les répétitions peuvent durer six mois. Ce temps n’existe pas au cinéma. Cela fait cinq ans que je tourne dans des films et en 2023, je vais revenir au théâtre.
MEE : C’est la deuxième fois que vous jouez avec Reda Kateb au cinéma. Comment se fait le travail avec lui sur le plateau de tournage. Dans Nos Frangins, vous partagez des rôles principaux ?
LK : C’est très simple entre nous. Reda est bienveillant. Il y a beaucoup d’entraide et de partage. On est très à l’écoute l’un de l’autre. Reda Kateb est mon grand frère. On se comprend. Nous avons les mêmes codes. Nous avons la même origine, la même culture et la même éducation.
Avec Rachid Bouchareb, le tournage se fait dans une ambiance de famille. Je trouve que les fins de tournage sont toujours tristes. On passe deux à trois mois ensemble avec la même équipe, et puis on se retrouve seule dans sa chambre un soir.
Après, il faut bien reprendre sa vie, sortir, faire des courses, mais j’ai l’impression que les personnages ou les éclats de personnages restent, continuent d’exister en nous...
MEE : Vous n’avez pas connu l’Algérie des années 1990 contrairement à votre père Rabah Khoudri. Des journalistes et des techniciens de la télévision algérienne, ex-RTA, avaient été ciblés par les islamistes radicaux armés. Tourner Papicha avec la réalisatrice Mounia Meddour, un film qui aborde aussi la question de l’extrémisme, était peut-être pour vous une manière de plonger dans les années 1990…
LK : Ma chance est que mes parents ne m’ont rien caché, m’ont toujours tout raconté.
J’ai vu le film Le Repenti de Merzak Allouache, c’est tout. Je n’ai pas beaucoup de matière par rapport à cette période. Parler de l’Algérie des années 1990 est toujours douloureux, cela ravive à chaque fois de mauvais souvenirs.
Mes parents m’ont parlé de leur installation en France. C’était un déchirement pour eux. J’ai toujours su d’où on venait, pourquoi on était là et comment on était arrivés.
Le 22 mars, les Algériens aussi se souviennent de leurs morts
Quand j’ai tourné dans Papicha, en mai 2018 à Alger, je savais que je rendais hommage à mes parents. Se replonger dans les années 1990 était émouvant. Tous les membres de l’équipe de tournage étaient concernés par les années 1990, avaient un rapport de près ou de loin avec cette guerre.
Nous avons tous un membre de la famille, un voisin ou un ami victime des violences. Tout le monde dans la rue en Algérie a une histoire avec la décennie noire, moi, je préfère parler de « guerre civile ».
MEE : Pourquoi ?
LK : Parce qu’il faut mettre des mots clairs sur ce qui s’est passé en Algérie durant cette période.
Lors du tournage de Papicha, il y avait une certaine énergie puisque tout le monde était concerné. Tout le monde avait son mot à dire. J’ai appris lors de ce tournage qu’à l’époque, en Algérie, les gens ne disaient pas « au revoir » mais « smah binatna » (je te pardonne ; sous-entendu, si jamais on ne se revoit plus parce que l’un de nous est tué, on fait table rase du passé).
Personne n’a encore compris pourquoi Papicha n’a pas été projeté en Algérie. Cela a attiré l’attention et finalement, tout le monde l’a vu d’une manière ou d’une autre. Donc, c’est raté. On nous a bien rendu service en bloquant sa projection en salles
Ces détails étaient importants pour la consistance et la véracité du film. Donc oui, c’était une forme de plongeon collectif dans cette période. Nous avons tourné à Tipaza [sur le littoral septentrional] dans des bâtiments complètement désaffectés alors qu’ils étaient, avant la guerre, destinés aux activités touristiques. Revenir dans ces murs, tourner dans la Casbah d’Alger, se réimprégner de tout cela, c’était fort émouvant.
MEE : Les films Papicha et Houria évoquent aussi la question de la femme. Le cinéma est-il le meilleur moyen d’aborder la thématique de la femme, de ses droits et de son émancipation ?
LK : C’est un bon moyen, comme le sont aussi la littérature et la musique. L’art reste un bon moyen pour s’emparer de problématiques sociétales et humaines. Il est important que le cinéma soit féminin.
MEE : Le film Papicha n’a toujours pas été projeté en Algérie, presque trois ans après sa sortie. Une réaction ?
LK : Personne n’a encore compris pourquoi Papicha n’a pas été projeté en Algérie. Cela a attiré l’attention et finalement, tout le monde l’a vu d’une manière ou d’une autre. Donc, c’est raté. On nous a bien rendu service en bloquant sa projection en salles
M. le président Macron vous avez dit vouloir reconnaître toutes les mémoires de la guerre d'Algérie... Quand allez-vous enfin reconnaître la mémoire des victimes de l'OAS au nombre de 2700 ? Bien sûr vous avez officiellement reconnu l'assassinat, par l'OAS, le 15 mars 1962, des six inspecteurs des Centres Sociaux Educatifs d'Alger créés par Germaine Tillion. Vous avez rendu hommage aux victimes du 17 octobre 1961, ainsi que les 9 victimes du Métro Charonne, mais vous avez menti en prétendant que c'est seulement Papon le responsable, alors qu'en réalité c'est l'Etat. Vous avez rendu hommage aux victimes du 26 mars 1962 en occultant la très grande responsabilité de l'OAS qui a tiré sur l'armée, avant que celle-ci ne soit contrainte de réagir, il y a des documents officiels le prouvant...
Une "mémoire discrète"
60 ans plus tard
Evian (France) - La ville d'Evian garde peu de traces des Accords du 18 mars 1962 ouvrant la voie à l'indépendance de l'Algérie, largement occultés dans les mémoires locales par l'assassinat du maire, tué dans un attentat avant même l'ouverture des négociations.
31 mars 1961, "flash" de l'AFP : "M. Camille Blanc, maire d'Evian, est mort des suites de ses blessures". Deux "puissantes charges de plastic" ont éclaté "à 02H35", "à 15 secondes d'intervalle", dans l'impasse séparant "la mairie de l'hôtel Beau Rivage, propriété et résidence de M. Blanc".
Socialiste, grand résistant, ce militant de la paix avait oeuvré pour accueillir dans sa ville les pourparlers qui déboucheront un an plus tard sur un cessez-le-feu destiné à mettre fin à la guerre d'Algérie.
L'élégante cité thermale est sous le choc. "C'était un coeur d'or", pleurent les habitants.
Aujourd'hui, que reste-t-il ? « Rien »
Les Evianais ont décidé de tourner la page après l'assassinat, d'autant que dans cette ville d'eau proche de la Suisse, les Accords ont "été associés à deux saisons touristiques catastrophiques en 1962 et 1963", résume l'ancien adjoint municipal PS Serge Dupessey, 78 ans.
"Il n'y a pas d'endroit", pas de lieu de commémoration, car "on sent encore cette blessure" de l'assassinat et la guerre d'Algérie demeure "un épisode sensible", décrypte la maire d'Evian Josiane Lei (DVD).
L'hôtel Beau rivage est aujourd'hui à l'abandon.
Sur sa façade décrépie, une plaque rend hommage au maire assassiné. Sans mention de l'implication de l'OAS, organisation clandestine opposée à l'indépendance algérienne.
- "Guerre civile" -
Les visites guidées de l'Office du tourisme font halte ici, ainsi qu'à l'hôtel de ville contigu, ancienne résidence d'été somptueuse des frères Lumière, les inventeurs du cinéma.
Une verrière soufflée par l'attentat n'a pas été refaite à l'identique "pour précisément rappeler ce drame", explique Frédérique Alléon, responsable de l'Office.
Les visites guidées excluent l'ex-hôtel du Parc, plus excentré, où les délégations du gouvernement français et du FLN discutèrent pendant des mois, sous haute surveillance.
L'établissement Art-déco dominant le lac Léman est devenu une résidence privée, le "salon inondé de soleil" où furent conclus les Accords, comme le racontait l'envoyé spécial de l'AFP le 18 mars 1962, a été transformé.
"On a voulu accompagner notre circuit historique jusqu'à l'entrée du parc" de l'ancien palace, mais habitants et résidents "ont eu du mal à accepter", explique la maire d'Evian.
Serge Dupessey se souvient aussi que "c'est un Evianais de l'OAS qui a assassiné, avec des complices évianais" et "que de la famille de l'assassin habite encore ici". Ce qui selon lui, a pu entretenir une "atmosphère de guerre civile".
Aussi, ses efforts pour convaincre au début des années 1990 l'ancien maire Henri Buet de "faire quelque chose" en mémoire des accords sont-ils restés vains.
Même refus en 2011 d'un autre maire, Marc Francina, de baptiser une rue du nom des Accords du 18 mars.
Et lorsque, pour le 50e anniversaire, la société d'histoire savoisienne La Salésienne réunit des universitaires au Palais des Congrès, "des anciens de l'OAS, venus avec un cercueil, manifestent devant", raconte son président Claude Mégevand.
Pour le 60e anniversaire, donc, "on a fait le choix, en accord avec la préfecture", d'une cérémonie "comme d'habitude, aux monuments aux morts", avec porte-drapeaux, anciens combattants et harkis, explique la maire.
"C'est une période sensible avec les élections", souligne-t-elle, allusion au risque de récupération politique avant la présidentielle.
Des projets existent néanmoins, en liaison avec la date-anniversaire.
Une conférence sur Albert Camus et l'Algérie est programmée le 18 mars dans un centre culturel jouxtant la résidence du Parc. Celle qui l'anime, Claude Gerbaulet, une ancienne médecin pied-noir, entend "ne pas réveiller les querelles sanguinaires, tout en mettant le doigt sur les insuffisances de la France".
Les écoles d'Evian préparent une "journée de la paix" - le 24 mai, "après les élections" insiste Mme Lei- avec une chanson écrite par les enfants.
Et le lycée Anna de Noailles fait plancher ses terminales sur le thème "60 ans des accords d'Evian, histoire et mémoires de la guerre d'Algérie", avec intervention de témoins - ex-appelé, harki, pied-noir et descendant du FLN.
"Ça m'intéresse de faire travailler les élèves sur les traces de la guerre d'Algérie ici. La conclusion, qui interpelle les élèves, est qu'il s'agit d'une mémoire discrète", estime Renaud Vieuguet, professeur d'histoire.
Un de ses élèves Louis Bailly, 17 ans, acquiesce : "J'habite avenue des Grottes", où se trouve l'ex-hôtel du Parc, "mais je ne savais pas avant que les accords avaient été signés là".
'ancien hôtel du Parc où les accords d'Évian ont été conclus le 18 mars 1962
1962
C'est en France, sur les rives paisibles du lac Léman, qu'a été scellé en partie le conflit entre l'armée française et les indépendantistes algériens. Les accords d'Evian, signés le 18 mars 1962, proclamaient un cessez-le-feu et ouvraient la voie à l'indépendance de l'Algérie après 132 années de colonisation et huit années d'une guerre sanglante.
Soixante ans plus tard, dans cette ville plantée au pied des Alpes, il ne reste pas forcément de traces de ces accords historiques : "Dans la ville d’Evian il n’y a pas d’endroit qui rappelle la signature des accords puisque ils ont été signés dans un hôtel, l’hôtel du Parc qui est maintenant un immeuble privé", explique la maire d'Aix-les-Bains, Josiane Lei. "Le seul endroit où l’on pourrait voir cette vie de 1961, c’est derrière la mairie, l’ancien hôtel où le maire Camille Blanc a été assassiné."
A l'image de l'assassinat du maire de l'époque par l'OAS (Organisation de l'Armée Secrète), ce cessez-le-feu du 18 mars puis le référendum du 8 avril 1962 instigué par le Général De Gaulle n'ont pas suffi à apaiser les tensions. Pour l'OAS, ces accords d’Evian étaient vécus comme un véritable affront et pour l'Armée de Libération Nationale (ALN) ce n'était qu'une étape vers l'indépendance de l'Algérie.
Evian, seulement une étape
"Pour nous, soldats, officiers et commandants, le 19 mars était un jour ordinaire qui ne méritait pas d'être mentionné, car nous étions toujours dans une guerre en cours. Sauf que les accords d'Evian donnaient la date du référendum - le 3 juillet - et la date de l'indépendance - le 5 juillet 1962 ", raconte Mohamed Mokrani, ancien membre de l'ALN.
Soixante ans plus tard, les accords d'Evian continuent de faire débat car le conflit a fait encore de nombreuses victimes jusqu'à l'indépendance de l'Algérie en juillet 1962.
L’Organisation Armée Secrète (OAS) avait pratiqué la politique de la terre brûlée, nous ne l’oublierons jamais…
Camille Blanc est né le 26 février 1911 à Thonon. Issu d’une famille de maraîchers, dont on dit qu’il avait gardé la sagesse et bon sens paysan.
Combattant durant la guerre 1939-1945, il avait été décoré de la Croix de guerre en raison de son attitude courageuse. Affilié à un réseau de résistance, il avait été arrêté et torturé. Il a reçu à cet effet la médaille de la Résistance et la médaille de la Reconnaissance française. Chevalier de la Légion d’honneur, il a été également cité à l’Ordre de la nation à titre posthume le 2 avril 1961, par Michel Debré, premier ministre et Pierre Chatenet, le ministre de l’Intérieur.
Marié à Maria-Gabrielle Pertuiset, il travailla d’abord en tant que cafetier à l’Eden bar, propriété de son épouse, qui fut le lieu de rencontre le plus prisé de l’époque. Il devint ensuite hôtelier au Beau-Rivage, hôtel qui jouxtait la mairie. Il n’a jamais délaissé les affaires publiques pour lesquelles il se passionnait.
Maire d’Evian du 20 mai 1945 au 31 mars 1961. Ses qualités de battant associées à celle de fin politicien, sa gentillesse et sa simplicité lui valurent d’être élu maire successivement en 1945, 1947, 1953 et 1959. A chaque élection, il avait gagné avec une confortable majorité. On l’appelait « l’homme des congrès » tant il travaillait pour la renommée de sa ville à l’extérieur des frontières du département.
Il est mort le 31 mars 1961 dans un attentat revendiqué par l’O.A.S. Il n’aura pas eu le temps de voir la première conférence d’Evian qui devait, à partir du 4 avril, lancer les pourparlers entre le gouvernement français et le GPRA. C’était surtout à lui qu’on devait d’avoir su attirer les parties en présence dans la cité thermale. Il était père de deux enfants.
Il y a soixante-et-un ans, le 31 mars 1961, Camille Blanc, maire d’Evian, ancien résistant de la guerre de 1939-1945, membre de l’organisation fondée par Jean Jaurès, et pacifiste, a été assassiné par un membre de l’OAS, une organisation qui prétendait ainsi militer contre l’indépendance de l’Algérie. Les ennemis de la liberté des autres ont toujours de bonnes raisons. Leurs motivations sont curieusement toujours au nom de l’intérêt collectif et ils prônent toujours des mesures liberticides voire criminelles contre ceux qui s’opposent à leurs délires. Nous en sommes encore là aujourd’hui, malgré une conception libérale. Nous y retrouvons l’idée même que le système démocratique par la loi de la majorité est elle-même liberticide.
En février 2016
Alger annonçait vouloir saluer la mémoire
de l’ancien maire Camille Blanc
Le gouvernement algérien a informé le maire d’Évian-les-Bains, Marc Francina, de son souhait de nommer une avenue d’Alger “Camille Blanc”, en hommage à l’ancien maire de la ville assassiné par l’OAS, le 31 mars 1961, lors de la conférence qui a présidé à la signature des Accords d’Évian. Ainsi qu’une “place Évian”. Des propositions visées favorablement par l’association locale des anciens combattants d’Afrique du nord. Les élus évianais vont à leur tour se prononcer.
L'Hôtel du Parc où furent signés les Accords d'Evian
Les négociations des accords d'Evian : en haut à gauche, la délégation française devant l'Hôtel du Parc, en haut à droite la délégation algérienne, en bas à gauche, l'Hôtel du Parc aujourd'hui résidence privée transformée en logements, en bas à droite, Camille Blanc, maire d'Evian.
Camille Blanc était maire de la ville d'Evian et propriétaire de l'Hôtel Beau Rivage où devait s'ouvrir, le 7 avril 1961 les négociations entre les délégations Algériennes et Françaises qui devait aboutir, 1 an après, aux accords d'Evian. Avant d'aller plus loin, il faut préciser que la Ville d'Evian avait été choisie pour sa proximité avec la Suisse qui permettait aux plénipotentiaires Algériens de se replier en zone neutre en dehors des séances de travail.
En plein milieu de la nuit du 31 mars 1961, vers 2 heures du matin, Camille Blanc reçu un coup de téléphone lui proposant de s'approcher de la fenêtre de sa chambre. Dès son approche un engin explosif lui sauta à la figure. Sa femme légèrement blessée, probablement par les éclats de verre, son fils indemne dit la dépêche mais en fait traumatisé à vie comme toutes ces victimes de la barbarie aveugle du sinistre syndicat du crime qu’était l’OAS.
Les fenêtres des immeubles qui cernaient la mairie s’éclairaient une à une, la ville se réveillait pétrifiée d’angoisses. Aux interrogations, succédaient très vite des bribes d’information. "Oui, c’est un attentat. Oui le maire était visé, il est blessé"…
Au petit matin, les Évianais apprendront sa mort. Camille Blanc avait 49 ans. Généreux, affable et ambitieux pour sa ville, il était très apprécié de ses administrés. Depuis 1945, ils lui renouvelaient à une très confortable majorité leur confiance. Il était socialiste (SFIO).
Dans la torpeur qui saisissait la ville, une évidence émergeait en forme d’épitaphe : « Camille Blanc voulait la paix en Algérie, il l’a payée de sa vie.»
Entrer dans l’Histoire
avec les Accords d’Évian
En ce printemps 1961, la ville d’eau se préparait à accueillir les délégations françaises et algériennes qui depuis quatre ans planchaient en secret à l’écriture des conditions d’un cessez-le-feu d’une guerre qui ne disait pas son nom.
Qu'avait fait ce brave homme, rien !
Est-ce que lui et sa ville étaient responsables de quoi que ce soit, non !
Il s'agissait bien d'un sempiternel acte de barbarie prémédité et destiné, une fois de plus à saboter toute idée d'accord politique irrémédiable.
Une page d’Histoire à laquelle le maire avait accepté d’associer le nom de sa ville pour lui redonner du lustre... les terroristes et criminels de l’OAS ont accompli ici, comme ailleurs, un acte barbare… C’est insupportable quand on voit aujourd’hui les héritiers de ce « syndicat du crime »… se pavaner devant les stèles glorifiant le colonialisme, en souillant le drapeau français. C’est inacceptable quand on voit les adeptes du parti extrémiste, xénophobe et raciste, aller se recueillir sur les tombes… des Degueldre, Bastien-Thiry, Dovecar, Piegts, ces condamnés à mort et fusillés pour leurs crimes, par la Justice de la République Française.
Le drame de la décennie noire, guerre civile qui a secoué l’Algérie de 1991 à 2002, a ralenti l’épanouissement de la création artistique algérienne. De plus en plus, cette dernière se structure généralement en marge des institutions culturelles publiques. Que reflètent ces mouvements picturaux et cinématographiques, souvent très politiques, de la société algérienne et de ses interrogations? Quelle place et quelles formes prend la création contemporaine dans l’Algérie actuelle?
Intervenants :
Salima Tenfiche
Salima Tenfiche est doctorante et chargée de cours en études cinématographiques à l’Université Paris Cité. Sa thèse porte sur l’histoire du cinéma algérien et en particulier sur la période contemporaine (2003-2019). Elle a publié plusieurs articles de recherche et contribué à plusieurs ouvrages collectifs. Elle est l’auteur de l’essai Beurettes, un fantasme français (Seuil, 2021). Elle est également critique de cinéma pour l’émission radiophonique L’Esprit critique de Mediapart.
Malika Dorbani Bouabdellah
Malika Dorbani Bouabdellah est historienne de l’art, commissaire d’expositions et auteure. Elle a été Directrice du Musée National des Beaux-Arts d’Alger de 1988 à 1994, avant de s’exiler à Paris.
Wassyla Tamzali
Wassyla Tamzali est avocate à la Cour d’Alger, ancienne directrice des droits des femmes à l’UNESCO (Paris). Femme militante et politique, elle est également écrivaine et essayiste. Elle est par ailleurs curatrice et fondatrice d’un Centre d’Art contemporain à Alger, qui propose des résidences de création: Les Ateliers Sauvages.
Fadila Yahou
Fadila Yahou (chercheuse associée HICSA Paris 1/TELEMMe Université Aix-Marseille) explore dans ses recherches les productions artistiques, cinématographiques et littéraires durant la guerre d’indépendance algérienne et l’influence de cette dernière sur la naissance de l’art contemporain.
Modératrice
Modéré par Fouzia Marouf, journaliste et curatrice en art contemporain, spécialiste de la scène africaine contemporaine.
Dans la nuit du 22 au 23 septembre 1997, la ville de Bentalha, au sud d’Alger, a connu un massacre qui a coûté la vie à des centaines de personnes. Aujourd’hui, malgré le chômage, la commune s’est métamorphosée en dynamique banlieue.
En cette journée chaude de septembre, le centre de soutien psychologique de Bentalha, à 15 kilomètres au sud d’Alger, déborde de vie. Comme dans une crèche, des éducatrices accompagnent les enfants à la cantine pendant que d’autres répondent aux sollicitations des parents.
En raison de la chaleur écrasante, les terrains de sport et les installations de loisirs à l’intérieur de ce petit domaine restent déserts en attendant que le temps se rafraîchisse en fin de journée. Les effluves des repas préparés dans les cuisines aiguisent les appétits des petits comme des grands.
Pendant que tout le monde s’affaire, Azedine Boutrik veille sur le bon fonctionnement de l’établissement que gère la Fondation nationale pour la promotion de la santé et le développement de la recherche (FOREM).
Le jeune trentenaire, brun et longiligne, est coordinateur de cet espace jadis dédié à des enfants traumatisés par la guerre entre l’armée au pouvoir et des groupes islamistes armés au milieu des années 1990, la tristement célèbre décennie noire.
Il nous reçoit sans protocole, dans l’immense bibliothèque située à l’étage du bâtiment principal. Autour, des étagères remplies de livres et des tables entourées de chaises. Sur certains murs de la salle de lecture, autour de canapés posés pour recevoir des invités, sont collés des dessins qui rappellent le passé tragique de la ville.
« Ce sont des croquis d’enfants victimes de terrorisme. Nous avons gardé les dessins des premiers jours de leur arrivée dans le centre et ceux des semaines suivantes : l’évolution est nette », explique Azedine à Middle East Eye. Il nous montre deux dessins d’un même enfant ; dans le premier, il a dessiné des scènes d’horreurs, dans le second, la scène a changé : On voit une maison fleurie devant laquelle des enfants jouent tranquillement. Il nous renvoie 25 ans en arrière.
« Des scènes d’horreur »
Dans la nuit de 22 au 23 septembre 1997, des dizaines d’islamistes armés font irruption dans plusieurs quartiers de la petite localité de Bentalha.
Parmi les maisons plongées dans l’obscurité, seuls les cris des victimes et les sifflements des balles brisent le silence de cette nuit maudite. Au petit matin, une fois le calme revenu, les habitants, tout comme les journalistes alertés à l’aube, découvrent l’horreur : de 200 à 400 morts selon les bilans, des deux sexes, de tous âges.
« Nous avons fait le tour de toutes les maisons touchées. C’étaient des scènes d’horreur. Mais à ce jour, je ne sais toujours pas ce qu’il s’est passé cette nuit-là », témoigne à MEE Hocine Yacef, 80 ans.
Selon les médias et les repentis (combattants islamistes qui se sont rendus), les massacres comme celui de Bentalha répondaient à une logique de vengeance du Groupe islamique armé (GIA), qui reprochait aux Algériens – en particulier dans ce quartier où vivaient des membres du Front islamique du salut (FIS), formation politique concurrente – de ne pas avoir voulu rejoindre le camp qui cherchait à instaurer un État islamique.
« Certains ont réussi leur vie. C’est le cas d’un informaticien qui est bien installé et qui vient nous donner un coup de main de temps à autre »
- Azedine Boutrik, directeur du centre de soutien psychologique de Bentalha
Cet ancien professeur d’histoire à la retraite habite le quartier Hai-Djilali, qu’il avait rejoint six ans avant le drame. De la terrasse de son imposante maison encore inachevée, construite dans sa propriété située au coin d’une rue, avec sa famille, ils ont entendu les cris et les coups de feu.
Puis, une fois les funérailles terminées, la vie a repris son cours.
Pour faire face au traumatisme de dizaines d’enfants qui ont quasiment tout perdu, la FOREM a installé un centre d’aide psychologique juste après la tuerie. Des dizaines d’enfants orphelins y ont été accueillis. Aujourd’hui guéris, ils ont tous quitté le centre.
« Certains ont réussi leur vie. C’est le cas d’un informaticien qui est bien installé et qui vient nous donner un coup de main de temps à autre », confie fièrement Azedine Boutrik.
Vingt-cinq ans après les faits, le centre de la FOREM a changé de vocation. Il accueille désormais 220 orphelins de toute la région, pris en charge grâce à des donateurs qui font office de parrains en prenant en charge un ou plusieurs enfants.
À l’image du centre d’assistance psychologique, tout Bentalha – qui compte plus de 25 000 habitants – a changé. En dehors des impacts de balles qui demeurent encore visibles sur une maison ou des cicatrices physiques ou psychologiques, il ne reste plus rien de cette nuit d’horreur.
VIDÉO : Le jour où l’Algérie bloqua la prise de pouvoir des islamistes
Les routes et venelles du village construit sur les terres agricoles de la Mitidja (plaine autour d’Alger) sont toutes goudronnées. Des espaces verts donnent un aspect luxuriant à certains endroits malgré la sécheresse qui sévit en cette fin d’été.
À proximité du quartier de Boudoumi, l’un des plus touchés par le drame, est construite une cité constituée de 700 logements sociaux, édifiés notamment pour faire face à la pression démographique liée à l’arrivée de nouveaux habitants au début des années 2000. On y trouve une école, des administrations, un bureau de poste et des commerces de proximité.
À l’autre extrémité du village, au nord, les autorités ont construit un ensemble de terrains sportifs de proximité. À l’ouest, un énorme projet de complexe sportif comprenant un stade, une piscine et un hôtel est en construction. Il s’ajoute au Centre de préparation des équipes nationales de football bâti dans la commune voisine de Sidi Moussa.
« Le chômage, le plus grand problème »
Au milieu des immeubles carrés, sans relief, des jeunes se retrouvent en petits groupes. Comme dans de nombreux quartiers populaires, les jeunes de Bentalha, nés majoritairement après 1997, sont au chômage.
« Nous n’avons pas de travail. Ici, il n’y a rien. Les responsables nous rendent visite, repartent, et nous, nous restons ici à compter les heures »
- Un jeune de Bentalha
« Nous n’avons pas de travail. Ici, il n’y a rien. Les responsables nous rendent visite, repartent, et nous, nous restons ici à compter les heures », témoigne un jeune homme qui, par méfiance, refuse de donner son identité. Il retourne discuter avec ses amis.
« Ici, le plus grand problème est le chômage », abonde Hocine Yacef.
À l’image de nombreux résidents de Bentalha, Mohamed Ait-Youcef, qui a loué récemment une petite maison dans le quartier, est au chômage. Il espère que la construction du complexe sportif ou encore l’aménagement de l’oued el-Harrach, le fleuve situé en bordure de la commune, pourront offrir quelques débouchés. Sans plus.
Un responsable de la commune confie à MEE que le taux de chômage y dépasse les 35 %, notamment parmi les jeunes.
En attendant l’implantation de nouvelles entreprises pour absorber le chômage, les autorités tentent d’améliorer le cadre de vie des habitants. Elles ont organisé, en 2018, une campagne de reboisement. Des milliers d’arbres ont été plantés, donnant une vue pittoresque à cette localité dont les champs agricoles, jadis fertiles, sont désormais couverts de béton : des dizaines d’immeubles flambant neufs sont prêts à accueillir des milliers de nouveaux habitants. Une manière de donner un nouvel aspect à cette localité.
En diffusant des images violentes des années 1990, la télévision d'État scandalise les Algériens
Erreur de communication ou volonté politique de « terroriser » la population ? Médias, politiques et société civile s’interrogent sur les raisons qui ont poussé la télévision publique à diffuser des images particulièrement violentes de la décennie noire
Des Algériennes en larmes après un massacre perpétré le 6 janvier 1997 à Douaouda, l'ouest d'Alger, au cours duquel dix-huit personnes ont été tuées (AFP)
« Terrifiantes, insoutenables, traumatisantes ». Le quotidien francophone El Watan a utilisé ce dimanche des adjectifs très forts pour qualifier les images diffusées par la télévision officielle. Et il n’est pas le seul.
À l’occasion du douzième anniversaire de la Charte pour la réconciliation nationale, la télévision publique a diffusé un documentaire, intitulé « Pour ne pas oublier », montrant des images très dures « d’enfants déchiquetés, de cadavres brûlés et de têtes coupées », recense le quotidien en parlant de « propagande de l’horreur ».
Adoptée par référendum le 29 septembre 2005, cette Charte voulait – après dix ans de guerre civile pour laquelle les ONG ont dressé un bilan de 200 000 morts – couronner un processus de réconciliation à travers différentes mesures : l’élargissement des extinctions de poursuites judiciaires contre les islamistes armés et la prise en charge de leurs proches en échange de leur reddition ; l’indemnisation des familles de disparus ; et l’immunité judiciaire des agents de l’État impliqués dans la lutte antiterroriste et soupçonnés par les ONG de violations des droits de l’homme (torture, disparition forcée et exécution extrajudiciaire).
« Cela est d’autant plus choquant que la démarche est ‘’vendue’’ comme une opération de propagande au service d’un seul et unique homme : le chef de l’État, Abdelaziz Bouteflika », s’indigne El Watan.
Alors que le quotidien arabophone Echorrouk regrette l’absence d’avertissement pour les plus jeunes, un autre journal, Liberté, s’interroge sur cette diffusion « dans la foulée de la sortie d’Ouyahia [le Premier ministre] devant les parlementaires où il a dépeint une situation chaotique du pays », et dénonce « un chantage à la terreur ».
Certains politiques de l’opposition y voient aussi une manœuvre politique. « Sans aucun avertissement, le régime, dans sa panique, veut terroriser par l’image, pour faire accepter ses mesures impopulaires et donner une virginité à un pouvoir qui a mené le pays à la faillite », peut-on lire sur la page Facebook d’Atmane Mazouz, député du Rassemblement pour la culture et démocratie (RCD, opposition).
Le Mouvement de la société pour la paix (MSP, islamistes) contextualise ce « recours à l’exploitation des images de la tragédie nationale pour nous le [Abdelaziz Bouteflika] présenter comme le sauveur de la nation », en l’absence de « réalisations concrètes sur le plan économique, politique et social ».
Pour le site TSA, qui parle de « terrorisme audiovisuel », le documentaire, « tellement mal fait », non seulement ne sert pas le président, mais « met à nu la barbarie des terroristes qui ont été pardonnés, sans aucun procès, par le texte de réconciliation nationale, mis en branle de manière collective et sans débat à partir de 2005. »
.
Par
MEE
Published date: Dimanche 1 octobre 2017 - 17:01 | Last update:5 years 1 day ago
Nadia Kaci : « Pour les Algériens, les années 1990, c'est dans les tripes »
Le 26 avril sort « À mon âge, je me cache encore pour fumer », premier film de Rayhana. Du tournage, des femmes, de l'Algérie : Nadia Kaci, une des comédiennes, s'est confiée à MEE
« À mon âge, je me cache pour fumer », le premier film de Rayhana, est un huis clos nerveux dans un hammam algérien pendant la décennie noire (Films du losange)
Dans l’humidité et l’intimité du hammam se dénudent les corps et les cœurs. On y prend soin de son corps pour oublier les bleus que portent l’âme, tatouages infamants.
Avec « À mon âge, je me cache encore pour fumer », qui sortira en salles en France le 26 avril, la caméra de Rayhana, metteur en scène et comédienne franco-algérienne, signe un premier long métrage percutant, sachant capter ces moments de mises à nu, des tensions que portent les premières victimes de la société patriarcale et machiste.
Rayhana s’est entourée presque exclusivement de femmes. La productrice, Michèle Ray-Gavras, qui pousse Rayhana à adapter sa pièce et à réaliser le film, est la femme de Costa, celui qui a filmé la Grèce, Salonique exactement, à Alger, pour « Z ! » en 1969.
On y retrouve aussi les comédiennes palestinienne Hiam Abbas, française Fadila Belkebla ou encore les Algériennes Biyouna et Nadia Kaci. Cette dernière raconte à Middle East Eye les secrets de tournage du film, tourné pour les extérieurs à Alger et pour les scènes du hammam, à Salonique en Grèce, dans un des plus vieux hammams turcs (transformé en musée d’ailleurs et datant de 1444).
Middle East Eye : Comment vous êtes-vous retrouvée à jouer dans ce film ? Qu’est-ce qui a motivé votre choix ?
Nadia Kaci : Il y une quinzaine d’années, Rayhana m’avait proposé de jouer dans la pièce du même nom, mais, à mon grand regret, je ne pouvais pas car j’étais engagée sur d’autres projets. Mais j’avais adoré le texte. Lorsqu’elle est revenue vers moi avec son projet de film, j’étais ravie, pour plusieurs raisons. Je trouvais que la réécriture scénaristique était très réussie.
La décennie noire y est abordée pour la première fois au cinéma sous un angle exclusivement féminin. Le hammam, où les femmes viennent se laver, se livrer, yanahiw diqt el khater [retirer l’oppression de l’être], comme on dit en Algérie dans une expression que j'aime beaucoup. Et cela, dans un des rares espaces qui leur est dédié. Plus d’hommes pour les juger ! Du coup, la parole est libérée, vivante et drôle ! Avec beaucoup moins de tabous. Elles parlent d’elles, de leurs intimités, de leurs inquiétudes avec beaucoup d’humour et de dérision.
Par ailleurs, j'ai aimé le rôle de Keltoum, cette femme mariée depuis dix ans avec un homme dont elle reste très amoureuse. Et elle dit tout haut son désir pour cet homme, sans tabou, avec beaucoup de naturel, comme une sorte d’hymne à la vie.
Enfin, j’ai toujours été révoltée par la condition douloureusement inégalitaire des femmes en Algérie, par leur position de souffre-douleur et par les violences qu'elles subissent ! Même si beaucoup continuent à se battre, il y a une grande régression. J’avais appris aussi que toutes les comédiennes vivant en Algérie, à qui Rayhana avait proposé des rôles, avaient refusé, le plus souvent parce qu’elles avaient peur d’éventuelles représailles. M’inscrire dans ce projet me paraissait vraiment important.
MEE : Comment se passe un tournage avec une équipe presque exclusivement féminine ?
NC : Ce tournage m’aurait paru compliqué avec des techniciens hommes. Le hammam est un lieu où la nudité ou la semi-nudité est une chose qui va de soi dans notre société en l'absence d’hommes. Mais je pense que même les actrices et les figurantes grecques étaient plus à l’aise sans le regard d’hommes sur le plateau. On n’y pensait pas. C’était simple.
Le fait de participer à un film que nous portons ensemble, qui ne va pas seulement distraire mais aussi faire réfléchir, qui va faire du bien, a probablement créé une forte complicité. Et cela, au-delà des affinités qui peuvent se créer habituellement en fonction des personnalités des unes et des autres.
Aussi, nous parlions beaucoup de la situation politique avec l’équipe grecque, car nous avons tourné à l’époque du référendum [pour que les Grecs s'expriment en faveur ou contre les mesures d'austérité proposées par les instances financières internationales]. Et c’était passionnant.
MEE : Comment ce film a été reçu par le public ?
NC : Jusqu’ici, les avant-premières ont été très émouvantes. Le film a été vu pour la première fois à Tunis. Il a été ovationné. Au festival Premiers plans à Angers, le film a eu droit à une standing ovation d’une dizaine de minutes. On ne s’y attendait absolument pas. Je n’avais pas vécu cela depuis fort longtemps. Même chose au Festival de femmes de Créteil et à celui de Thessalonique, où il a obtenu le prix du public. Nous sommes toujours surprises et émues. Nous avons fait certains festivals toutes ensemble et c’était super de se retrouver ailleurs et autrement que pour le travail.
MEE : Est-ce que le cinéma algérien est « condamné » à toujours revenir sur les années 1990 ?
NC : Quand une société a été traumatisée comme l’a été la nôtre, on y revient de façon instinctive. C’est dans les tripes. On a besoin d’en parler, de revenir là-dessus. La politique de « réconciliation » mise en place par l'État a été très mal gérée et c’est une blessure supplémentaire qu’on inflige aux victimes. Les Algériens n’en sont pas sortis indemnes et ne sont pas guéris de leurs blessures.
Par
Adlène Meddi
Published date: Lundi 24 avril 2017 - 22:15 | Last update:3 years 3 months ago
En 1954, Hélène et Fernand Iveton tombent amoureux. Avec lui elle part pour Alger, découvre sa beauté et l'attachement que Fernand porte à son pays. Alors que l'Algérie et la France se déchirent, leur vie bascule. L'histoire vraie du combat d'un couple pour la liberté.
• Titre original : De nos frères blessés • Support testé : Blu-ray • Genre : drame, biopic • Année : 2020 • Réalisation : Hélier Cisterne • Casting : Vincent Lacoste, Vicky Krieps, Jules Langlade, Marc Brunet, Thomas Ducasse, Jeanne Carré, Raphaël Thiéry, Yoann Zimmer • Durée : 1 h 34 mn 13 • Format vidéo : 16/9 • Format ciné : 1,85/1 • Sous-titrage : français • Pistes sonores : DTS-HD MA 5.1 et 2.0 français • Bonus : commentaire audio de Hélier Cisterne - Dehors, premier court métrage de Hélier Cisterne (2002, 27 mn 27) - bande annonce (1 mn 49) • Éditeur : Diaphana Editions Video
Commentaire artistique
En 2016, l'ouvrage « De nos frères blessés » de Joseph Andras reçoit le prix Goncourt du premier roman. Cet ouvrage est consacré à Fernand Iveton, militant communiste rallié au FLN, qui sera le seul européen parmi les 198 prisonniers guillotinés de la guerre d’Algérie. Il a été exécuté le 11 février 1956 à la suite du jugement expéditif rendu par le tribunal militaire d’Alger présidé par le juge Roynard. Torturé dès son arrestation Fernand Iveton n’a pu compter pour sa défense que sur deux avocats commis d’office. Son recours en grâce est rejeté par le président René Coty après l’avis négatif du garde des Sceaux François Mitterrand (qui abolira la peine de mort en 1981 !) et du président du conseil Guy Mollet. Le prix Goncourt raconte sous forme de fiction le destin de cet homme et de son entourage, notamment sa femme Hélène et son ami Henri, en s’appuyant sur l’ouvrage de référence de Jean-Luc Einaudi « Pour l’exemple, l’affaire Fernand Iveton » (1986) basé sur le témoignage d’Hélène Iveton. Cette histoire forte mais romancée sur un sujet ultrasensible, voire tabou, concernant les exactions françaises durant la guerre d’Algérie a suscité deux adaptations, l’une pour le théâtre en 2018, l’autre pour le cinéma en 2022 avec le film De nos frères blessés. Le scénario est écrit par Katell Quillévéré et Hélier Cisterne, ce dernier étant par ailleurs le réalisateur. Ce biopic fidèle et évocateur a pu compter sur l’engagement de deux excellents interprètes : Vicky Krieps et Vincent Lacoste qui jouent Hélène et Fernand. L’ami et militant Henri Maillot est incarné par Yoann Zimmer, Pascal Iveton par Marc Brunet et Jacqueline Gerroudj par Myriam Ajar. Si cet excellent casting sert admirablement un récit intense, entrecoupé de flash-backs, De nos frères blessés doit une part de son intensité à la qualité de sa reconstitution : tourné en partie à Alger, le film possède une superbe photographie avec travellings et plans-séquence signée d’Hichame Alaoulé qui met en valeur le soin apporté aux décors et aux costumes. Histoire extraordinaire d’un homme ordinaire qui croyait en ses convictions politiques et qui a toujours clamé (sans qu’on ne l’écoute) n’avoir voulu provoquer que des dégâts matériels, De nos frères blessés prolonge avec exemplarité le souhait du romancier : rendre justice et saluer la mémoire du militant. Sous sa forme filmique, l’engagement constant du personnage, sa rencontre avec sa future épouse Hélène et leur passion réciproque, réunit tous les ingrédients d’un grand film politique qui ne craint pas de soulever le voile sur des turpitudes historiques longtemps dissimulées (la face cachée de la république dirigée par la gauche…). Il accomplit un joli travail de mémoire sur cet ouvrier tourneur presque oublié dans les méandres de la guerre d’Algérie, même si son cas fut dénoncé, entre autre, par Jean-Paul Sartre (« Nous sommes tous des assassins », 1958). Le film, sans négliger le contexte et les faits, qui sont souvent dépeints avec une subtilité exemplaire (cf. communismes au pouvoir, clivages dans le conflit algérien, etc.), propose une vision plus intime de cet anti-héros en s’attachant au couple. Le portrait d’Hélène compte autant que celui du militant. Dans un registre peu ordinaire, Vincent Lacoste incarne avec sincérité la banalité de son personnage, mais c’est Vicky Krieps qui capte l’attention et s’impose grâce à son jeu mêlant douceur et engagement. De nos frères blessés est un film passionnant qui interroge ponctuellement sur la complexité des relations franco-algérienne et qui n’esquive pas les zones d’ombre d’une période trouble de notre histoire. On peut regretter le parti pris cinématographique de privilégier principalement les relations du couple au détriment des faits contextualisés et de ne pas posséder l'âpreté du film La Question (1977) de Laurent Heynemann. Quoi qu’il en soit, De nos frères blessés mérite d’être vu pour son indéniable intérêt historique et pour Fernand Iveton, personnage longtemps oublié des livres d’histoire. Édifiant.
Commentaire technique
Image : copie HD, superbe définition et excellent piqué sur les détails, texture argentique fine et régulière (tourné en Super 35 mm), gestion naturaliste du contraste, image lumineuse, basse lumière avec du détail dans les ombres, noirs soutenus, étalonnage typé et colorimétrie réaliste aux teintes naturelles nuancées
Son : mixage français 5.1, dialogues clairs, excellente dynamique sur les ambiances (rue, tribunal) et la musique suggestive d’Emile Sornin, spatialisation naturaliste aux effets surrounds immersifs et naturels (prison, usine, salle du tribunal), LFE efficace
Pendant les mois qui ont précédé l’irruption de Daesh en Syrie, de jeunes Européens musulmans sont allés de bonne foi aider les populations martyrisées par Bachar Al-Assad en Syrie. « Rebel » est l’histoire de l’un d’entre eux, entrainé malgré lui dans la guerre menée par l'organisation État islamique. Il croisera des victimes et des bourreaux et devra faire un choix personnel entre les uns et les autres… Un film à la fois poétique et cruel, mais indispensable.
La situation dérape. Il est alors forcé de rejoindre un groupe armé ayant prêté allégeance à Daesh et se retrouve bloqué à Raqqa. On suit Kamal dans sa découverte de la guerre et de la violence des milices armées au drapeau noir, dans ses efforts pour survivre sans pour autant s’impliquer directement dans des violences qu’il n’approuve pas.
Parallèlement, nous sommes les témoins des étapes du « harponnage » psychologique de son petit frère par les recruteurs du jihad qui sévissent à Molenbeek, ce quartier de Bruxelles dont sont issus certains des combattants belges de Daesh. Nassim finira par le rejoindre en Syrie. Pour le pire. Après bien des expériences choquantes, il sera retrouvé par Leïla, partie là-bas au péril de sa vie.
Adil El Arbi et Bilall Fallah ont coécrit et coréalisé Rebel qu'ils expliquent être leur film le plus personnel. « En 2012 et 2013, des gens de notre âge, de notre génération, la plupart de la même origine marocaine, ont décidé de partir en Syrie. Il s’agissait de jeunes gens parfois qu’on connaissait, ou des amis d’amis. Tout le monde en Belgique, d’origine maghrébine, connait quelqu’un qui est parti là-bas », racontent-ils.
Puis, après 2014, Daesh installe son hégémonie dans la zone irako-syrienne et signe des attaques terroristes sur le sol européen. « Nous avons été témoins de tout ce phénomène progressif impliquant toute notre génération. C’était une guerre très proche de nous (...). C’était nouveau de voir des films de propagande d’organisations terroristes avec des gens qui nous ressemblaient, parlant le français qu’on parle ici. Des gens qui venaient de nos quartiers. On s’est dit qu’il fallait raconter ces histoires. (...) On devait raconter cette guerre comme d’autres cinéastes ont raconté la guerre du Vietnam ou la Seconde Guerre mondiale. »
Un pied de nez à Daesh à travers la musique
A l’instar de Francis Ford Coppola pour Apocalypse Now, le film sur la guerre du Vietnam sorti en 1979, Adil et Bilall ont fait une grande place à la musique dans leur film. Mais loin d’utiliser une bande originale ou un titre pour illustrer des moments d’action, ils ont choisi de réaliser des séquences pleinement musicales en y associant souvent la danse.
La guerre, les batailles, les meurtres, la torture, le bruit des armes sont rendus de façon très réaliste. Mais la réalité de la violence physique ou psychique est illustrée… jusqu'à un certain point au-delà duquel la danse et le chant prennent le relais pour nous épargner certaines scènes pénibles. Loin de paraître surajoutées, ces séquences ainsi que les calligraphies arabes utilisées pour passer de Belgique en Syrie ajoute une poésie cruelle qui accentue l’effroi.
« L’aspect musical est un outil parfait pour ce film, expliquent les réalisateurs. La musique est importante dans la culture arabo-musulmane. C’est autant le hip-hop moderne qu’une pure mélodie traditionnelle dans l’esprit de Shéhérazade racontant "Les milles et une nuits". (...) Elle est très riche, diverse et très signifiante dans notre culture. Elle est politique et très poétique, lyrique et nous influence. Ce qui était intéressant, c’est que l’État islamique était totalement contre la musique. Ils l’ont interdite à Mossoul. (...) Si on veut faire un film qui soit aussi une sorte de pamphlet contre Daesh, la musique est très appropriée. Quand Kamal chante et danse les raisons pour lesquelles il veut partir, il le fait avec un rap fort qui correspond à l’origine même du hip-hop, un genre engagé ».
Rebel est une tragédie musicale ; c’est aussi un film de guerre, développent les deux auteurs : « Le son "rend" vraiment l’environnement à travers lequel les personnages évoluent. Il permet cette immersion indispensable à ce type de cinéma. On est dans ce monde-là. Mais pas seulement. Le son permet aussi de jouer avec le réel et le surréel, le conscient et l’inconscient. » Dans certaines séquences, le spectateur est ainsi perdu entre la réalité vécue par un personnage et ses rêves ou son imaginaire.
Le film n’est pas basé sur l’histoire vraie d’une seule famille. Dès 2014, les deux cinéastes ont interrogé de nombreuses personnes pour recueillir les histoires de jeunes partis là-bas. Pour écouter leurs proches. Le scénario est basé sur tous ces témoignages de manière à « faire un film qui serait aussi comme un document historique, quelque chose d’assez complet. L’évolution de l’État islamique et les horreurs que ses membres ont commis, il fallait essayer d’en faire comprendre la complexité, car ce n’est pas seulement une histoire de radicalisation religieuse, c’est aussi l’histoire d’un mouvement que l’on pourrait qualifier de crime organisé », précisent Adil et Bilall, pour qui « il fallait livrer un récit le plus nuancé possible pour faire comprendre comment des jeunes se sont faits abuser » par Daesh.
Film inédit sur la radicalisation des « fous du jihad », façon Daesh, Rebel marquera les spectateurs autant pour le récit cru et, d’une certaine façon pédagogique, que par la poésie du scénario. Comme un aller et retour entre les horreurs commises au nom de Dieu aujourd’hui et au cours des siècles passés, et la beauté de la foi des croyants sincères. Une confrontation que nous avons vécue de loin, avant de la subir de près avec les attentats à Paris et à Bruxelles. Ce film se révèle être un outil précieux pour contrecarrer le discours radical de certains prédicateurs et rappeler au passage que les premières victimes des extrémistes se revendiquant de l'islam sont d’abord les musulmans eux-mêmes.
Rebel, de Adil El Arbi & Bilall Fallah Belgique, France, 2h15 Avec Aboubakr Bensaihi, Lubna Azabal, Amir El Arbi, Younes Bouab, Tara Abboud Sortie en salles le 31 août 2022
Rédigé par Lionel Lemonier | Mercredi 3 Août 2022 à 11:00
Le successeur de Ben Laden, considéré comme un des cerveaux des attentats du 11 septembre, tué dimanche 31 juillet par une frappe de drone, était un des hommes les plus recherchés au monde. Retour sur une opération qui aura duré plusieurs mois.
Héritant en 2011, à la mort de Ben Laden, d’une organisation affaiblie, Ayman al-Zawahiri avait dû, pour survivre, multiplier les « franchises » et les allégeances de circonstances, de la péninsule Arabique au Maghreb, de la Somalie à l’Afghanistan, en Syrie et en Irak (AFP)
Dimanche 31 juillet. Le soleil s’est levé depuis une heure sur Kaboul, où la température affiche 17 °C. Il est 6 h 18. Un drone survole la capitale afghane et une maison du quartier résidentiel aisé de Sherpur. Sur ordre du président américain Joe Biden, deux missile sont tirés sur l’homme déjà levé qui se tient sur le balcon.
Onze ans après la mort d’Oussama ben Laden, après des années de traque par les services secrets américains et des mois de repérage, l’Égyptien Ayman al-Zawahiri, chef d’al-Qaïda, est tué à l’âge de 71 ans.
« Justice a été rendue, et ce dirigeant terroriste n’est plus », a déclaré Joe Biden dans un discours prononcé depuis la Maison-Blanche lundi 1er août au soir.
Alors que l’homme était introuvable depuis des années, que les rumeurs le disaient terré entre le Pakistan et l’Afghanistan, Washington repère en 2022 sa famille dans une maison servant de cache à Kaboul, d’où l’armée américaine s’était retirée en catastrophe en août 2021 face à la prise de pouvoir des talibans.
Selon un haut responsable américain, un travail de renseignement confirme dans les mois qui suivent la présence d’Ayman al-Zawahiri. Les Américains étudient la structure de la maison, les risques pour les civils, son mode de vie : il ne sort jamais et passe beaucoup de temps sur son balcon.
« Nous avons identifié Zawahiri à de nombreuses reprises, et pour de longs moments, sur son balcon, là où il a finalement été abattu », a expliqué lundi soir un haut responsable américain.
Aucune explosion
Pendant la préparation, en mai et juin, seule une poignée de responsables américains sont tenus dans la confidence.
Le 1er juillet, un projet d’opération est présenté au président démocrate dans la « Situation Room », pièce ultra-sécurisée de la Maison-Blanche où, selon une photo devenue célèbre, Barack Obama suivait en direct l’assaut contre Ben Laden en 2011, Joe Biden, alors vice-président, à ses côtés.
À la suite de cette présentation, on amène même au président une maquette de la maison.
Le 25 juillet, le président, positif au covid-19, rassemble ses principaux conseillers et « cherche à en savoir plus sur l’organisation des pièces derrière la porte et la fenêtre du troisième étage ». Il demande l’avis de tous puis « autorise une frappe aérienne précise et sur-mesure, » toujours selon un haut responsable américain ayant requis l’anonymat.
L’opération qui, selon Washington, n’a nécessité aucun effectif militaire au sol à Kaboul, est chirurgicale.
Autour de la maison où vivent sa femme, sa fille et ses petits-enfants, les traces de la frappe sont minimes : aucune explosion ne semble s’être produite, aucune autre victime n’est connue.
Les missiles Hellfire R9X « flying ginsu », du nom d’une marque américaine de couteaux inspirés du Japon, sont dépourvus de charge explosive mais dotés de six lames qui se déploient avant l’impact pour découper sa cible sans effet de souffle
« La frappe a finalement été menée […] par un aéronef sans pilote. Deux missiles Hellfire [sont tirés] sur Ayman al-Zawahiri, qui est tué », a affirmé un haut responsable américain.
Les États-Unis auraient utilisé une arme dont l’existence même n’a jamais été confirmée : les missiles Hellfire R9X « flying ginsu », du nom d’une marque américaine de couteaux inspirés du Japon.
Cette version modifiée du missile américain serait dépourvue de charge explosive mais dotée de six lames qui se déploient avant l’impact pour découper sa cible sans effet de souffle.
Une rarissime longévité
Zawahiri était l’un des terroristes les plus recherchés au monde et les États-Unis promettaient 25 millions de dollars pour tout renseignement permettant de le retrouver.
Le successeur de Ben Laden était considéré comme un des cerveaux des attentats du 11 septembre 2001, qui avaient fait près de 3 000 morts aux États-Unis.
Sa mort permettra aux familles de victimes tuées le 11 septembre dans les tours jumelles du World Trade Center, à New York, et au siège du Pentagone près de Washington « de tourner la page », a déclaré le président démocrate.
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« Nous disons encore clairement ce soir que peu importe le temps que cela prendra, peu importe où vous vous cachez, si vous constituez une menace contre notre population, les États-Unis vous trouveront et vous élimineront », a martelé Joe Biden.
Le théoricien à la barbe fournie et aux larges lunettes, aisément reconnaissable à sa bosse sur le front, aura survécu à plus de 40 ans de traque, une rarissime longévité, avant d’être tué.
Né le 19 juin 1951 à Maadi, près du Caire, au sein d’une famille bourgeoise – son père était un médecin réputé et son grand-père un grand théologien de la mosquée d’al-Azhar dans la capitale égyptienne –, Ayman al-Zawahiri devient chirurgien.
Ses convictions sont précoces : il intègre la confrérie des Frères musulmans dès l’adolescence.
Impliqué dans l’assassinat, en 1981, du président égyptien Anouar al-Sadate, il est emprisonné pendant trois ans puis il rejoint l’Arabie saoudite et le Pakistan au milieu des années 1980, où il soigne les combattants contre les Soviétiques et rencontre Ben Laden.
Longtemps à la tête du Jihad islamique égyptien (JIE), il ne rejoindra al-Qaïda qu’à la fin des années 1990.
Les États-Unis le mettent sur leur « liste noire » pour avoir soutenu les attentats contre les ambassades des États-Unis au Kenya et en Tanzanie en août 1998.
Il est également condamné à mort par contumace en Égypte pour de nombreux attentats, dont celui de Louxor, en 1997 (62 morts dont 58 touristes étrangers).
En 2002 puis en 2007, il est annoncé mort mais réapparaît. Devenu le bras droit de Ben Laden, il est également son médecin.
Il « n’est pas intéressé par le combat dans les montagnes. Il réfléchit plus sur le plan international », disait de lui Hamid Mir, biographe de Ben Laden, cité par le think tank Counter-Extremism Project (CEP).
Al-Qaïda décentralisée
Malgré son rôle dans les attentats de 2001, la signature fondamentale d’al-Qaïda, il n’aura jamais acquis l’aura macabre d’Oussama ben Laden.
Paradoxalement, les États-Unis offraient 25 millions de dollars pour sa capture, un record, tout en semblant, presque, se désintéresser de lui.
« Bien qu’il ait eu de nombreux défauts, il n’était pas aussi insignifiant que ne le supposaient de nombreux analystes », a nuancé lundi sur Twitter Thomas Joscelyn, expert du cercle de réflexion Foundation for Defense of Democracies.
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Héritant en 2011, à la mort de Ben Laden, d’une organisation affaiblie, Ayman al-Zawahiri avait dû, pour survivre, multiplier les « franchises » et les allégeances de circonstances, de la péninsule Arabique au Maghreb, de la Somalie à l’Afghanistan, en Syrie et en Irak. Et accepter que celles-ci s’émancipent peu à peu.
S’il fut l’un des concepteurs des attentats du 11 septembre 2001, « le plus grand succès de Zawahiri est d’avoir maintenu al-Qaïda vivante », selon Barak Mendelsohn, professeur à l’université Haverford de Pensylvannie.
Avec lui, « al-Qaïda est devenue de plus en plus décentralisée, l’autorité reposant principalement dans les mains des responsables de ses filiales », ajoute le CEP, qui lui attribue pour autant un rôle de premier plan dans la réorganisation de nombreux groupes islamistes radicaux armés.
Qu’il soit responsable de son déclin ou qu’il ait réussi à l’amortir, il laisse à tout le moins un réseau aux antipodes d’une organisation internationale en guerre contre les États-Unis, dont rêvait Ben Laden.
Une « violation claire » des accords conclus à Doha
Alors qu’il limitait ses apparitions à des vidéos de prêche monotones, Ayman al-Zawahiri avait récemment multiplié les signes de vie. « L’aisance et la capacité de communication apparemment accrues d’al-Zawahiri ont coïncidé avec la prise de contrôle de l’Afghanistan par les talibans », selon un rapport de l’ONU publié à la mi-juillet.
Au cours du week-end, le ministre afghan de l’Intérieur avait démenti les informations faisant état d’une frappe de drone à Kaboul, indiquant à l’AFP qu’une roquette avait touché « une maison vide » de la capitale.
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Dans un communiqué publié lundi sur Twitter avant l’intervention de Joe Biden, le porte-parole des talibans avait toutefois reconnu l’existence d’une « attaque aérienne », attribuée à un « drone américain ».
La présence d’Ayman al-Zawahiri à Kaboul constitue par ailleurs une « violation claire » des accords conclus à Doha en 2020 avec les talibans, qui s’étaient engagés à ne pas accueillir al-Qaïda sur leur sol, a noté le haut responsable américain.
Le secrétaire d’État américain Antony Blinken a ajouté lundi soir qu’en « hébergeant et en abritant » Zawahiri, les talibans avaient « grossièrement violé l’accord de Doha » qui prévoyait le départ des troupes américaines d’Afghanistan.
Dans leur communiqué, les talibans ont également accusé les États-Unis d’avoir dérogé à ces accords, en conduisant une frappe sur leur territoire.
L’Arabie saoudite s’est pour sa part félicitée « de la mort du chef terroriste d’al-Qaïda », selon un communiqué du ministère des Affaires étrangères.
Saif al-Adel, ex-lieutenant-colonel des Forces spéciales égyptiennes et figure de la vieille garde d’al-Qaïda, est souvent cité pour reprendre les rênes
Se pose maintenant la question de l’avenir d’al-Qaïda, qui avait déjà perdu son numéro 2, Abdullah Ahmed Abdullah, tué en août 2020 dans les rues de Téhéran par des agents israéliens lors d’une mission secrète commanditée par Washington, information révélée quelques mois plus tard par le New York Times.
Saif al-Adel, ex-lieutenant-colonel des Forces spéciales égyptiennes et figure de la vieille garde d’al-Qaïda, est souvent cité pour reprendre les rênes. Sauf si une jeune génération venait à émerger.
Dans tous les cas, la nébuleuse devra encore s’imposer vis-à-vis de son grand rival, le groupe État islamique, avec lequel elle s’affronte, idéologiquement et militairement, sur de multiples terrains de prédation.
Selon la dernière évaluation de l’ONU, le contexte international est toutefois « favorable à al-Qaïda, qui entend à nouveau être reconnu comme le fer de lance du jihad mondial et pourrait à terme constituer une menace plus importante ».
Un documentaire inédit met en évidence le rôle capital de catholiques et protestants qui ont activement participé à l’indépendance de l’Algérie. Les Veilleurs de l’Évangile, des chrétiens dans la guerre d’Algérie, à voir dimanche 3 juillet à 10 heures, dans Le jour du Seigneur sur France 2.
Rappeler une vérité historique souvent omise
De 1830 à 1962, les Églises catholique et protestante ont travaillé de concert avec la France coloniale. Mais entre 1954 et 1962, pendant la guerre d’Algérie, une poignée de chrétiens, Français de métropole ou pieds noirs, étudiants ou prêtres, travailleurs sociaux ou missionnaires, ont bravé les autorités militaire et ecclésiale françaises au prix, parfois, de grands sacrifices.
Dépassant toute considération confessionnelle, ils se sont engagés aux côtés des nationalistes algériens, en premier lieu pour s’opposer à l’usage de la torture, et finalement pour militer en faveur de l’indépendance. Ils ont créé les premiers centres sociaux dans les bidonvilles du pays, ont caché des membres du Front de libération nationale, les ont aidés à gagner le maquis, ou ont fait partie des « porteurs de valises ».
Étayé par les analyses d’historiennes, le film ponctué d’images et de vidéos inédites révèle des témoignages glaçants et bouleversants. L’engagement sans faille de ces résistants, s’il a cristallisé les divisions des chrétiens autour de la question de l’indépendance, a tout de même assuré l’avenir du protestantisme et du catholicisme en Algérie. Il aura surtout permis à des hommes et à des femmes de faire primer le goût de la justice et de la liberté sur la suprématie coloniale française.
(1) Disponible en replay jusqu’au 10 juillet 2022 sur la plateforme de France Télévisions.
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