ommes nous en train d’assister au retour du spectre islamiste dans les pays du Maghreb? La question se pose, à voir la simultanéité avec laquelle deux pays comme la Tunisie et l’Algérie ont réactivé ces peurs et nourri ces angoisses. L’islamisme radical et violent semble avoir bon dos pour justifier les impasses et anticiper les mis au pas.
En Tunisie d’abord. Après avoir longtemps cohabité avec le mouvement Annahda et son chef iconique Rached Ghanouchi, Kais Saied a pris brusquement la décision de le mettre en prison sous prétexte que ses déclarations et sa présence menacent de provoquer une guerre civile en Tunisie.
Il est vrai que depuis que le président tunisien avait entamé son tournant autoritaire en se tissant une constitution sur mesure, il présentait le mouvement islamiste et son approche idéologique comme une menace sérieuse pour la paix en Tunisie.
Kais Saied était alors pris dans une contradiction politique paralysante. Comment s’attaquer à un homme politique, Rached Ghanouchi, connu pour être un des grands protégés, pour ne pas dire un agent d’influence, du sérail militaire algérien depuis les années Bouteflika quand on est devenu soi même aussi redevable et aussi dépendant de cette même institution militaire algérienne ? Les deux hommes s’étaient déjà livrés à une compétition de courtisanerie à l’égard d’Alger comme le résument deux faits majeurs distinctifs de leurs personnalités et choix politiques.
En pleine crise algérienne avec le Maroc, Ghanouchi avait formulé la scandaleuse proposition de former une union du Maghreb sans le Maroc, ce qui est apparu à l’époque comme une douce musique aux oreilles des galonnés algériens. Tandis que que Kais Saied avait, au pic de la tension entre Rabat et Alger, reçu comme un véritable chef d’Etat, le président de la fantomatique RASD, Brahim Ghali, alias Benbatouche..
Ceci avait signé à l’époque la sortie officielle de la Tunisie de sa légendaire neutralité à l’égard de cette discorde régionale. Depuis, la Tunisie est régulièrement présentée par les médias algériens comme une simple province algérienne sans aucune souveraineté que celle d’appliquer l’agenda algérien dans la région.
L’autre pays où l’islamisme radical est ré-alimenté est justement le voisin algérien. Sans crier gare et sans aucune préparation politique et médiatique, le chef d’Etat major de l’armée algérienne, Said Chengriha, le véritable détenteur du pouvoir en Algérie, avait prononcé un discours avec énormément de références à la décennie noire où faux islamistes et faux militaires se sont livrés une guerre sanglante et dont les traumatismes résonnent encore dans le cœur des Algériens.
Le patron de l’armée algérienne envoie des alertes aux Algériens sur le possible retour des radicaux islamistes qui menaceraient, selon lui, de provoquer chaos et déstabilisation et de s’emparer du pouvoir. Le rôle de l’armée est encore une fois de défendre l’Etat et les institutions, une cause au nom de laquelle les pouvoirs d’exception sont maintenus et les horizons et autres ambitions démocratiques tués dans l’oeuf.
Said Chengriha avait ressorti un argumentaire sécuritaire et une tonalité idéologie qui rappellent les années 90 d’une Algérie meurtrie par un terrorisme dont on n’a toujours pas établi les véritables responsabilités ni éclairé les vrais ressorts.
Le retour du chaos sanglant islamiste en Algérie, le spectre de la guerre civile en Tunisie, deux menaces évoquées simultanément à Alger et à Tunis, dans une forme d’homogénéité politique. Derrière ces choix, il y a une stratégie politique évidente et commune.
Pour le régime algérien à qui il est demandé instamment de remettre le pouvoir aux civils, soit à travers une contestation interne sourde et permanente ou des pressions internationales de plus en plus visibles, le recours à la menace islamiste n’est qu’une forme de justification pour maintenir le pouvoir au sein de l’institution militaire et ne jamais le rendre aux civiles. Comme si la question proposée aux Algériens et à la communauté internationale est: Comment l’armée peut-elle abandonner le pourvoir alors que d’obscures forces islamistes menacent de plonger le pays dans le chaos et le sang ?
Pour la Tunisie de Kais Saied, il s’agit de justifier son coup de force anti démocratique, lui donner un habillage et des motivations politiques, une démarche toujours refusée et par les Tunisiens et par la communauté internationale, comme semble le montrer le difficile dialogue entre l’Etat tunisien et les institutions financières internationales qui refusent de valider sa politique.
vendredi 28 avril 2023 - 12:37
https://fr.hespress.com/311898-maghreb-le-retour-du-spectre-islamiste.html
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