iL esconstant qu'à la veille de toutes les élections présidentielles françaises, outre la récurrente thématique de l'immigration , éternelle bouc-émissaire, l'Histoire fait également irruption pour certains candidats qui espèrent engranger les voix d'une partie de l'électorat sensible à la démagogie. Ici, rappel des faits d'Histoire démontrant les méfaits de ce qu'il a été convenu d'appeler «le système colonial».
Force donc est de revenir à un réel débat sur les réalités historiques significatives qui exigent plus que des «excuses» et appelant une juste réparation («excuses» que d'autres pays ont officiellement formulées : Canada, Australie...) ; ainsi : restitution du Trésor d'Alger ayant servi à l'industrialisation de la France et aujourd'hui évalué à plusieurs milliards d'euros, restitution des archives non accessibles aux chercheurs et encore moins au commun des mortels (notamment celles des périodes coloniale et ottomane, indemnisation de centaines de milliers de familles d'Algériens ayant subi le génocide du système colonial de tout un peuple (enfumades, napalm, tortures...) et des Algériens du Sud suite aux essais nucléaires de l'ancienne puissance coloniale...
Ainsi, selon une légende tenace, le «coup de l'éventail» datant de 1827 a été le coup d'envoi du blocus maritime d'Alger par la marine royale française. L'aventure coloniale avait pour objectif de consolider l'influence française dans le bassin occidental de la Méditerranée. Le 5 juillet, les Français occupèrent Alger ; le même jour, le dey Hussein signa l'acte de capitulation. Premières conséquences : l'effondrement du pouvoir ottoman, le pillage des caisses de l'État, l'expulsion des janissaires d'Alger vers l'Asie Mineure et l'accaparement par la France de toutes les terres du Beylik. Le 1er décembre 1830, Louis-Philippe nomma le duc de Rovigo chef du haut-commandement en Algérie pour mettre en œuvre la colonisation dont la violence est notoire. Après avoir battu Abd-El-Kader, le général Desmichels signa avec ce dernier un traité qui reconnut l'autorité de l'émir sur l'Oranie et permit à la France de s'installer dans les villes du littoral. Officiellement, le 22 juillet, la Régence d'Alger devint «Possession française d'Afrique du Nord». Abd-El-Kader battit le général Trézel dans les marais de la Macta, près de Mascara. Il put également encercler la ville d'Oran durant une quarantaine de jours. Arrivé en renfort de métropole, le général Bugeaud infligea une défaite à celui-ci. Courant janvier 1836, le général Clauzel s'empara de Mascara et de Tlemcen. Le traité de la Tafna fut signé le 30 mai 1837 entre le général Bugeaud et l'émir Abd El Kader. Ce dernier établit sa capitale à Mascara. Le comte de Damrémont, devenu gouverneur général de l'Algérie en 1837, se mit en rapport avec le bey de Constantine pour obtenir une Convention similaire se heurtant au rejet de Ahmed Bey. Courant octobre 1837, ledit gouverneur général se mit en marche sur Constantine fort de dix mille hommes. Après sept jours de siège au cours desquels le comte de Damrémont fut tué, la ville fut conquise.
En 1839, l'armée française ayant entrepris d'annexer un territoire situé dans la chaîne des Bibans, (chaîne de montagnes du Nord d'El DjazaÏr), l'Emir Abdel El Kader considéra qu'il s'agissait d'une rupture du traité de Tafna. Il reprit alors sa résistance ; il pénétra dans la Mitidja et y détruisit la plupart des fermes des colons français. Il constitua une armée régulière (dix mille hommes, dit-on) qui reçut leur instruction des Turcs et de déserteurs européens. Il aurait même disposé d'une fabrique d'armes à Miliana et d'une fonderie de canon à Tlemcen. Il reçut également des armes provenant de l'Europe. Nommé gouverneur général de l'Algérie française en février 1841, Bugeaud arriva à Alger avec l'idée de la conquête totale de l'Algérie. Par l'entremise des «bureaux arabes», il recruta des autochtones tout en encourageant l'établissement de colonies.
Il a pu dire alors : «Le but n'est pas de courir après les Arabes, ce qui est fort inutile ; il est d'empêcher les Arabes de semer, de récolter, de pâturer, [...] de jouir de leurs champs [...]. Allez tous les ans leur brûler leurs récoltes [...], ou bien exterminez-les jusqu'au dernier.» Ou encore : «Si ces gredins se retirent dans leurs cavernes, imitez Cavaignac aux Sbéhas !
Fumez-les à outrance comme des renards». De fait, en mai 1841, l'armée française occupa Tagdemt (situé à Tiaret qui fut capitale des Rustumides), puis Mascara pratiquant la razzia et détruisant récoltes et silos à grains. Il semble que l'Emir Abd-El-Kader fit en vain appel au sultan ottoman. C'est ainsi que, courant mai 1843, le duc d'Aumale prit par surprise la «smala» d'Abd-El-Kader faisant trois mille prisonniers (smala : «réunion de tentes abritant les familles et les équipages d'un chef de clan arabe qui l'accompagnent lors de ses déplacements»).
En février 1844, la France mit en place une Direction des Affaires Arabes pour contrôler les bureaux arabes locaux dans les provinces d'Alger, d'Oran et de Constantine avec le dessein de disposer de contacts avec la population autochtone. Fin mai 1844, des troupes marocaines prirent d'assaut les troupes françaises installées dans l'Oranais, mais furent repoussées par le général Lamoricière. Réfugié au Maroc, l'Emir Abd-El-Kader a pu décider le sultan Moulay Abd-El-Rahman d'envoyer une armée à la frontière algéro-marocaine provoquant ainsi des incidents qui, après d'infructueux pourparlers, décida le général Bugeaud de repousser l'armée du sultan marocain qui fut défaite (bataille d'Isly). L'armée marocaine dut se replier en direction de Taza, obligeant le sultan à interdire son territoire à Abd-El-Kader qui finit par se rendre aux spahis (à l'origine, les spahis furent un corps de cavalerie traditionnel du dey d'Alger, d'inspiration ottomane ; lors de la conquête de l'Algérie par la France, ils furent intégrés à l'Armée d'Afrique qui dépendait de l'armée de terre française). L'Emir Abd-El-Kader fut d'abord placé en résidence surveillée durant quatre ans en France (il fut libéré par Napoléon III), puis résida en Syrie jusqu'à la fin de sa vie. C'est ainsi que la Constitution française de 1848 fit de l'Algérie une partie intégrante du territoire français, notamment par l'institution de trois départements français : Alger, Oran et Constantine, les musulmans et les juifs d'Algérie étant considérés des «sujets français» avec le statut d' «indigènes». La résistance continua d'être vive en Kabylie et dans l'oasis des Zaatcha dans l'actuelle wilaya de Biskra. Plus tard, la domination française s'étendit à la Petite Kabylie. Jusqu'en juillet 1857, le la résistance continua dans le Djurdjura avec Lalla Fatma N'Soumer.
Révoltes constantes
A la veille du début de la conquête française, on estimait la population algérienne à trois millions d'habitants. La violente guerre de conquête, notamment entre 1830 et 1872, explique le déclin démographique de près d'un million de personnes. On évoque également les invasions de sauterelles entre 1866 et 1868, les hivers très rigoureux à la même période (ce qui provoqua une grave disette suivie d'épidémies tel le choléra). Pour les Européens d'alors, cette donnée était bénéfique dès lors qu'elle diminuait le déséquilibre démographique entre les «indigènes» et les colons. Ce, outre que le nombre important de constructions détruites avait pour dessein de gommer l'identité d'El Djazaïr. L'objectif était de détruire matériellement et moralement le peuple algérien. Sous Napoléon III, il fut question d'un «royaume arabe» lié à la France avec celui-ci comme souverain. A la même période, on a estimé que quelques deux cent mille colons, français ou européens, possédaient environ sept cent mille hectares. D'un point de vue législatif, il y eut le sénatus-consulte du 14 juillet 1865 inspiré par le Saint-Simonien Ismaël Urbain, ayant trait au statut personnel et la naturalisation de l'«indigène musulman» et de l'«indigène israélite» (voire à la naturalisation des «étrangers qui justifient de trois années de résidence en Algérie», appelés plus tard «pieds noirs»). Force est de constater qu'en décembre 1866, furent créés des conseils municipaux élus par quatre collèges séparés : français, musulmans, juifs et étrangers européens, les Français disposant des deux tiers des sièges.
La révolte de 1871 est considérée comme la plus importante insurrection contre le pouvoir colonial français. Ainsi, plus de deux cent cinquante tribus se soulevèrent (environ un tiers de la population de l'Algérie d'alors). Elle fut menée depuis la Kabylie (les Bibans ou Tiggura) par le cheikh El Mokrani, son frère Boumezrag et le cheikh Haddad (chef de la confrérie des Rahmanya). Après cette révolte, plus de cinq cent mille hectares furent confisqués et attribués aux «émigrés hexagonaux» suite à la défaite française de 1870 face à l'Allemagne. C'est ainsi que de 245.000, le nombre des colons aboutit à plus de 750.000 en 1914. A la même date, le nombre des Djazaïris («indigènes») passa de deux millions à cinq millions. Après la chute de Napoléon III, les tenants de la Troisième République préconisèrent une politique d'assimilation, notamment par la francisation des noms et la suppression des coutumes locales. Le 24 octobre 1870, en vertu des décrets du Gouvernement provisoire, le gouvernement militaire en Algérie céda la place à une administration civile. La nationalité française fut accordée aux Juifs d'Algérie (décret Crémieux) qui furent néanmoins soumis à l'antisémitisme des colons. En accordant aux juifs algériens le même statut que les Français d'Algérie, ce décret divisa les autochtones qui continuèrent de vivre dans une condition de misère accentuée par de nombreuses années de sécheresse et de fléaux. Les biens des insurgés Algériens de 1871 furent confisqués. Ainsi, une loi du 21 juin 1871 attribua quelque cent mille hectares de terres en Algérie aux «migrants d'Alsace-Lorraine».
Et le 26 juillet 1873, fut promulguée la loi Warnier qui eut pour objectif de franciser les terres algériennes. Le 28 juin 1881, fut adopté le code de l'indigénat qui distingua deux catégories de citoyens : les citoyens français et les sujets français («indigènes»). Ces derniers furent soumis au code de l'indigénat qui les priva de leurs libertés et de leurs droits politiques (seul fut conservé le statut personnel, d'origine religieuse ou coutumière).
Lors de la première guerre mondiale, la France mobilisa les habitants des départements français d'Algérie : Musulmans, Juifs et Européens. C'est ainsi que les tirailleurs et spahis musulmans combattirent avec les zouaves (unités françaises d'infanterie légère) européens et juifs d'Algérie. Il semble que près de 48.000 Algériens furent tués sur les champs de bataille lors de la première Guerre mondiale, ayant été de toutes les grandes batailles de l'armée française (notamment à celle de Verdun). Plus tard, en 1930, la célébration par la France du centenaire de la «prise d'Alger» fut ressentie comme une provocation par la population. Le projet de loi Blum-Viollette (Front populaire) pour l'attribution de droits politiques à certains musulmans sera rejeté à l'unanimité lors du congrès d'Alger du 14 janvier 1937. Au cours de la seconde guerre mondiale, plus de 120.000 Algériens furent recrutés par l'armée française. Avec l'occupation allemande (1940-1944), plusieurs centaines de musulmans («Nord-Africains») installés en France furent engagés pour constituer ce qui a été appelé la «Légion nord-africaine». De trois millions en 1880, la population d'El Djazaïr passa à près de dix millions en 1960 pour environ un million d'Européens.
Il semble qu'à la veille du déclenchement de la guerre d'indépendance, «certaines villes sont à majorité musulmane comme Sétif (85 %), Constantine (72 %) ou Mostaganem (67 %)». L'essentiel de la population musulmane était pauvre, vivant sur les terres les moins fertiles. La production agricole augmenta peu entre 1871 et 1948 par rapport au nombre d'habitants, El Djazaïr devant alors importer des produits alimentaires. En 1955, le chômage était important ; un million et demi de personnes était sans emploi (la commune d'Alger aurait compté 120 bidonvilles avec 70 000 habitants en 1953). Dans ce cadre, l'Algérie était composée de trois départements, le pouvoir étant représenté par un gouverneur général nommé par Paris. Une Assemblée algérienne fut créée ; elle était composée de deux collèges de 60 représentants chacun : le premier élu par les Européens et l'élite algérienne de l'époque et le second par le «reste de la population algérienne».
Le Mouvement pour le triomphe des libertés démocratiques en Algérie (MTLD) de Messali Hadj avait alors obtenu une large victoire lors des élections municipales de 1947 ; ce parti devint la cible de la répression des autorités françaises. Il y eut ensuite des fraudes massives lors de l'élection de l'Assemblée algérienne. Il est vrai qu'au début du XXe siècle, les leaders algériens réclamaient alors tantôt le droit à l'égalité, tantôt l'indépendance. C'est ainsi que plusieurs partis furent créés : l'Association des Oulémas musulmans algériens, l'Association de l'Étoile Nord-Africaine, le Parti du Peuple Algérien (PPA), les Amis du Manifeste des Libertés (AML), le Parti communiste algérien (PCA)...
Le 8 mai 1945, prélude à la révolution
Le 8 mai 1945, eurent lieu des manifestations d'Algériens dans plusieurs villes de l'Est du pays (notamment à Sétif, Kherrata et Guelma) ; ce, à la suite de la victoire des Alliés sur le régime nazi. A Sétif, la manifestation tourna à l'émeute. La répression par l'armée française fut des plus brutales provoquant la mort de plusieurs centaines de milliers de morts parmi les Algériens. Cette férocité sans nom eut pour conséquence davantage de radicalisation. Certains historiens ont pu estimer que ces massacres furent le début de la guerre d'Algérie en vue de l'indépendance.
Devant l'inertie des leaders qui continuaient de tergiverser, apparut l'Organisation spéciale (OS) qui eut pour but d'appeler au combat contre le système colonial devenu insupportable. Elle eut pour chefs successifs : Mohamed Belouizdad, Hocine Aït Ahmed et Ahmed Ben Bella. Un Comité révolutionnaire d'unité et d'action (CRUA) fut créé en mars 1954 et le Front de libération nationale (FLN) en octobre 1954. En Algérie, le déclenchement de la guerre de libération nationale est caractérisé comme étant une Révolution (en France, on utilisa le terme de «guerre d'Algérie» après l'avoir désigné comme étant des évènements d'Algérie jusqu'en 1999). L'action armée intervint à l'initiative des «six historiques» : Rabah Bitat, Mostefa Ben Boulaïd, Mourad Didouche, Mohamed Boudiaf, Belkacem Krim et Larbi Ben M'hidi lors de la réunion des 22 cadres du CRUA. La Déclaration du 1er novembre 1954 fut émise depuis Tunis par radio.
La guerre d'Algérie débuta le 1er novembre 1954 avec quelques soixante-dix attentats dans différents endroits d'Algérie. La réponse de la France ne se fit pas attendre ; des mesures policières (arrestations de militants du MTLD), militaires (augmentation des effectifs) et politiques (projet de réformes présenté le 5 janvier 1955). François Mitterrand a pu alors déclarer : «L'Algérie, c'est la France». Il déclencha la répression dans les Aurès ; ce qui n'empêcha pas à l'Armée de libération nationale (ALN) de se développer.
De quelques cinq cent hommes, elle augmenta ses effectifs en quelques mois pour atteindre quinze mille et plus tard plus de quatre cent mille à travers toute l'Algérie. Les massacres du Constantinois des 20 et 21 août 1955, notamment à Skikda (alors Philippeville) constituèrent une étape supplémentaire de la guerre. La même année, l'affaire algérienne fut inscrite à l'ordre du jour à l'Assemblée générale de l'ONU, tandis que plusieurs chefs de l'insurrection de l'armée furent soit emprisonnés, soit tués (Mostefa Ben Boulaïd, Zighoud Youcef...). Des intellectuels français aidèrent le FLN, à l'instar du réseau Jeanson, en collectant et en transportant fonds et faux papiers.
Le 22 octobre 1956, eut lieu le détournement de l'avion qui transportait la Délégation des principaux dirigeants du FLN : Mohamed Khider, Mohamed Boudiaf, Aït Ahmed, Ahmed Ben Bella, Mostefa Lacheraf.
Ce fut là un acte caractérisé de piraterie aérienne. De même, il y eut l'opération d'intoxication de la bleuite (1957-1958) menée par les services secrets français ; le colonel Amirouche Aït Hamouda mit alors en place des purges internes (Wilaya III) qui firent de très nombreux morts dans différentes wilayas. Plus tard, le France déclencha de grandes opérations (plan Challe 1959-1961), les maquis ayant été sans doute affaiblis par ces purges internes.
Ce plan amoindrit davantage les maquis. Arrivé au pouvoir, Charles de Gaulle engagea une lutte contre les éléments de l'Armée de libération nationale algérienne (ALN). Il semblerait que le plan Challe ait entraîné, en quelques mois, la suppression de la moitié du potentiel militaire des wilayas. Les colonels Amirouche Aït Hamouda et Si El Haouès furent tués lors d'un accrochage avec les éléments de l'Armée française. En 1959, à sa sortie de prison, Messali Hadj fut assigné à résidence.
En France, les Algériens organisèrent des manifestations en faveur du FLN. En 1960, le général de Gaulle annonça la tenue du référendum pour l'indépendance de l'Algérie ; certains généraux français tentèrent en vain un putsch en avril 1961. Il n'est pas anodin de rappeler qu'en février 1960, la France coloniale a procédé à un essai nucléaire de grande ampleur dans la région de Reggane (sud algérien). Avec 17 essais nucléaires opérés par la France entre les années 1960 à 1966, il semble que 42.000 Algériens aient trouvé la mort ; des milliers d'autres ont été irradiés et sujets à des pathologies dont notamment des cancers de la peau.
Le Gouvernement provisoire de la République algérienne (GPRA) fut proclamé avec à sa tête Ferhat Abbas. Le colonel Houari Boumediene était alors le chef d'état-major de l'Armée de libération nationale. En 1960, l'ONU annonça le droit à l'autodétermination du peuple algérien. Des pourparlers avec le GPRA furent organisés pour aboutir aux accords d'Évian (18 mars 1962). Ce qui ne mit pas fin aux hostilités puisqu'il y eut une période de violence accrue, notamment de la part de l'OAS. Près d'un million de Français (Pieds-noirs, Harkis et Juifs) quitta l'Algérie entre avril et juin 1962. Le référendum d'autodétermination (1er juillet 1962) confirma les accords d'Évian avec 99,72 % des suffrages exprimés.
Le bilan de cette guerre, en termes de pertes humaines, continue de soulever des controverses des deux côtés de la Méditerranée. Si El Djazaïr se considère avec fierté comme le pays du million et demi de chahids, en France circulent d'autres chiffres qui oscillent entre 250.000 à 300.000 morts. Outre cette comptabilité macabre, bien d'autres sujets continuent de constituer un contentieux entre les deux pays. Il est vrai aussi que la guerre fratricide entre le FLN et le MNA (mouvement de Messali Hadj) fit quelques centaines de morts tant en France qu'en Algérie (notamment à Melouza), outre le nombre de harkis tués après le cessez-le-feu. Ce, sans oublier les luttes pour le pouvoir : d'un côté, le pouvoir civil avec le GPRA présidé par Ferhat Abbas appuyé par les wilayas III et IV, et de l'autre côté le pouvoir militaire (le «clan d'Oujda») et l'«armée des frontières») avec à sa tête Houari Boumediene.
A l'indépendance, El Djazaïr est sortie exsangue des suites de la guerre, des conflits internes et du départ massif des Européens ayant servi d'encadrement durant la période coloniale. L'armée française évacua ses dernières bases en Algérie (enclaves autorisées par les accords d'Évian) : Reggane et Bechar (1967), Mers el-Kébir (1968), Bousfer (1970) et B2-Namous (1978). Ainsi, nonobstant l'indépendance, la France continua d'avoir des bases en Algérie.
Le GPRA de Ferhat Abbas fut évincé par l'ALN au profit d'Ahmed Ben Bella qui fut ainsi le premier président de l'Algérie indépendante du système colonial français. Le FLN devint parti unique et prôna un socialisme à l'algérienne marqué par le populisme et le culte de la personnalité. Et, depuis le coup d'Etat du 19 juin 1965 à ce jour, El Djazaïr ne cesse de s'interroger sur son destin à travers l'Histoire, y compris jusqu'au Hirak dont on peut encore espérer un antidote au pouvoir politique marqué par l'échec de la gérontocratie.
Qu'émerge enfin une nouvelle élite de jeunes, organisés et conscients des enjeux et des défis à relever par El Djazaïr, au-delà des «excuses» de l'ancienne puissance coloniale ! Les gesticulations électoralistes outre-méditérranée ne sauraient faire oublier la barbarie du «système colonial».
Commémoration de la Journée Internationale de L’enfance.
06/06/2023
Nos frères Yaouleds, cireurs de chaussures et porteurs de couffins pendant la colonisation française
Aujourd’hui, 1er juin 2023, l’Algérie célèbre, à l’instar des autres pays, la Journée internationale de l’enfance. Durant la colonisation française, on nous appelait les «yaouleds». Nous sommes les enfants des rues sans école, des vagabonds de toutes sortes, les rescapés des camps de regroupements, les errants, les «trouvés», les mendiants, les cireurs de chaussures, les porteurs de couffins et crieurs de journaux. Nous avons connu la guerre, la vie dans des camps insalubres, les violences physiques, psychologiques et sexuelles. Nous avons subi l’humiliation coloniale.
Un passé émaillé de stress post-traumatique, de troubles de l’attachement, des difficultés de socialisation et d’apprentissage. Mais, nous ne sommes pas les «enfants de Madame Massu» pendant la Bataille d’Alger. En 1830, c’était l’invasion de l’Algérie par la France coloniale, ce viol-mariage s’est terminé par un divorce sanglant en 1962. Entre la France et l’Algérie, il n’y a jamais eu «une histoire d’amour».
On ne peut faire l’impasse sur la violence sexuelle et l’humiliation de l’enfance musulmane dans la relation coloniale. La désalphabétisation des Algériens a été l’objectif de la conquête. La France a encouragé la prostitution de nos filles indigènes et l’humiliation de nos yaouleds comme «mission civilisatrice».
Un siècle après «L’autre 8 Mai 1945», c’est plus de 45 000 indigènes morts, dont des milliers d’enfants, sans compter les expropriations, dépossessions des terres, les séquestres, les exactions, les brimades, les viols et les humiliations permanentes durant 132 années de colonisation.
Tout au long du XXe siècle, les enfants ont été victimes des guerres et des génocides. Les millions d’orphelins de la Grande Guerre, des enfants abandonnés, déplacés et réfugiés, errants dans toute l’Europe ont conduit à créer de nouvelles formes de prise en charge associative, étatique ou internationale.
En 1946, à la fin de la Seconde Guerre mondiale, les Nations unies ont créé le Fonds des Nations unies pour l’enfance (Unicef) pour fournir une aide d’urgence dans le domaine de la santé et atteindre les enfants les plus vulnérables et marginalisés où qu’ils soient dans le monde. L’Assemblée générale de l’ONU proclame le 1er juin, Journée Mondiale des Parents (World Parents Day). Cette Journée Internationale de l’Enfance, selon une autre appellation, vise la protection, l’éducation, la santé et le bien-être des enfants du monde entier.
En avril 1957, est créée l’Association pour la Formation de la Jeunesse (AFJ) par Suzanne Massu, l’épouse du général tortionnaire de la Bataille d’Alger, dans le but de venir en aide, de recueillir des enfants musulmans en détresse et de leur apporter une formation dans un contexte de guerre. L’idée est de préparer ces Yaouleds à devenir des citoyens français dans une «Algérie nouvelle» et de les soustraire à l’influence des organisations indépendantistes. Il ne fallait pas laisser au FLN. (Front de Libération Nationale) le soin de prendre en charge ces yaouleds désœuvrés, car cette jeunesse pourrait constituer un enjeu majeur en cas de soulèvement populaire contre l’ordre colonial et l’éveil d’une conscience nationale. Le premier Centre de Jeunesse est ouvert en juin 1957 dans le quartier populaire de Bab El Oued, rue Koechlin, dans l’immeuble du quotidien communiste Alger républicain d’Henry Alleg, bâtiment réquisitionné et aménagé par l’état-major de Massu.
En 1958, le général de Gaulle lance le «plan de Constantine», qui vise à réduire, en cinq ans, les inégalités entre Musulmans et Européens sur le territoire algérien. Ce plan en termes de développement, de santé et d’éducation, très ambitieux au départ prétendait rattraper le temps perdu d’un siècle de colonisation, mais qui arrive trop tard pour inverser le cours de l’histoire.
Les Français et Européens d’Algérie nous appelaient «Les petits Arabes», et plus souvent les «yaouleds» qui n’avaient pas leur place à l’école. Seule une minorité y avait accès et les emplois «réservés» ; c’était pour nous les gamins des rues, les vagabonds, les cireurs de chaussures, les vendeurs de cigarettes et de journaux, les porteurs de couffins durant la colonisation française. Nous sommes l’enfance musulmane humiliée de l’Algérie coloniale. Actuellement, il y a un mouvement sournois de révisionnisme historique néocolonial via Internet, les médias, films et réseaux sociaux en diffusant des photos de l’époque coloniale où tout était beau, les parents heureux, le soleil, la mer, les plages, l’anisette... Des enfants bien habillés, propres, scolarisés…
Non ! Durant la colonisation, l’enfance musulmane n’a pas été une douce époque à laquelle on souhaite généralement revenir et s’étendre. Elle a laissé des traces indélébiles, des stigmates et autres souvenirs cimentés dans nos mémoires. Ce sont nous, les yaouleds, perdus par la souffrance et la pauvreté, les filles mauresques dites «isolées», malheureuses, soumises dès l’âge de treize ans à faire le commerce de leurs corps dans ces «magasins» infects de La Casbah et des villes d’Algérie.
D’autres abandonnées par leurs parents qui ne peuvent les nourrir et leur donner un toit décent. Des enfants errants ou «trouvés» dans des camps de regroupement, adolescents soumis à la sexualité bestiale dominatrice. Un père absent, une mère meurt, les enfants sont pris en charge par la famille, les voisins ou se retrouvent dans la rue. Pour les garçons, ils cirent les chaussures des Français, ouvrent les portières de voiture, portent des couffins et sont crieurs de journaux, souvent humiliés et le soir venu, ils vont dormir au bain maure ou dans les rues de jour comme de nuit et être l’objet de relations sexuelles monnayées.
Mais les filles deviennent soit des femmes de ménage ou nounous-cuisinière, la «Fatma» (le nom dérive de Fatima la fille du Prophète Mohamed, terme péjoratif qu’utilisaient les Français) est femme de ménage dans les familles riches de la ville européenne ou prostituée sur les trottoirs des villes d’Algérie. La mentalité coloniale dégrade avant tout la fille musulmane qui devient sale, vulgaire, une traînée, servante de bas étage et moukère. Mohamed est utilisé pour désigner l’indigène arabe.
Le yaouled est composé de «ya» et «ouled». La particule «ya» sert à héler le «ouled» qui est le jeune garçon. En général, le terme dévalorisé par les Français d’Algérie fut utilisé pour désigner n’importe quel petit gamin indigène... En fait, c’est dans l’esprit colonial de l’époque de donner une mauvaise image de l’indigène qui se prostitue et que lui le colonisateur est là pour l’éduquer et lui montrer le bon chemin. Comment ne pas se révolter suite à ce discours d’enfance «irrégulière» d’une historienne connue pour ces travaux sur la prostitution des mineurs au XXe siècle.
Ce yaouled est jovial, malicieux mais souvent illettré. Sa carrière est toujours brève, car il ne saurait dépasser la taille qui lui permet les faciles agenouillements ! Le yaouled est toléré s’il sait bien se tenir, s’effacer, cirer et lustrer les chaussures du «roumi». Pour nous, l’acte servile et indécent de s’agenouiller devant l’occupant et l’humiliation subie est cimenté dans notre mémoire collective.
Dans les villes coloniales, les Yaouleds proie de la rue, la misère, la pauvreté, des vagabonds errants, souvent orphelins d’une famille emportée par la faim ou une maladie (typhus variole, lèpre...), sans toit, ayant fui ou été chassés de leurs douars, perdus lors de déplacements forcés ou quittant les camps de regroupement se dirigent le plus souvent vers les grandes villes d’Algérie pour chercher du travail. A Alger, ils ont pu se loger à La Casbah, autour du cimetière d’El Kettar, Fontaine fraîche, Oued Koriche, Puits des Zouaves et la Tribu.
Un mécanisme d’exclusion suite à une politique coloniale évidente. Le Yaouled en général âgé de huit à quinze ans acquiert une expérience de la vie et occupe toutes sortes de fonction, notamment porteur de valises dans les gares de chemin de fer, porteur de couffin dans les marchés aux ménagères pieds-noires, vendeurs de cigarettes dans les cafés ou de journaux à la criée, cireurs de chaussure ou vivre uniquement de mendicité. «Un yaouled de La Casbah, depuis l’instant de ses débuts jusqu’à celui de sa retraite, doit apprendre en effet à se défendre contre la faim, le froid, la méchanceté et des vices des grandes personnes. Il doit faire l’apprentissage d’innombrables métiers, afin de successivement se muer en commissionnaire, vendeurs de journaux à la criée, rabatteur pour filles ou garçons de mauvaise vie, rinceur de verres, tourneur de manivelle du piano mécanique de certaines maisons, modèle pour peintres et photographes».
Ce yaouled le plus souvent sans chaussures, avec une chéchia rouge sur la tête, parfois en haillons, le visage et les mains pleins de cirage, passe son temps à arpenter les trottoirs des grandes villes, les terrasses des cafés, le Front de mer, les jardins... On l’entendait à longueur de journée répéter, sur un rythme de complainte, ce refrain avec son cri : «Cirer M’siou, Cirer M’dame, Coup de brosse M’siou…». C’est un élément récurrent qu’on retrouve souvent dans la photographie, les cartes postales et la littérature coloniale de l’époque. Des cireurs joyeux, souriants avec leur valise en bois en bandoulière, servant aussi de marchepied aux clients en général européens, contenant leurs outils, brosses, chiffons et cirages. Une misérable pièce de monnaie est jetée par l’homme blanc, de peur de se salir les mains en touchant celle du petit cireur.
Combien étaient grandes la souffrance et la pauvreté. C’était le seul métier, le seul avenir pour ces yaouleds sans école, prématurément vieillis et leur seul univers la rue et ses dangers. Ces gosses vivaient en groupe, se répartissant chacun son territoire et ramenaient tous les soirs les quelques pièces (francs) qu’ils ont gagnées nécessaires à survivre et nourrir toute la famille. L’unique ressource de centaines de gosses indigènes, dont les familles, attirés par les villes, ont voulu échapper à la misère en quittant la campagne. Ces enfants sont souvent rackettés par des adultes qui les exploitent.
Le matin, les jours de vacances scolaires, moi le petit yaouled de La Casbah, je vendais, au bas de notre immeuble de la rue Randon, de la garantita. Cette rue est décrite comme une braderie permanente, la D’lala. L’après-midi ou le soir, j’allais aussi au cinéma Nedjma vendre des magazines et des bandes dessinées. Tout l’argent que je gagnais, je le donnais à ma mère, mes deux frères Laadi et Mohamed étaient en prison.
S’il y a un métier que je n’ai jamais fait, c’est cireur de chaussures, c’était très mal vu par les habitants de La Casbah.Mon père m’a inscrit dans deux mecids (écoles), l’un tout près de Djamâa Lihoud c’est Mcid Errachad et l’autre à la rue Salluste, et ce dès l’âge de 7 ans jusqu’à 12 ans, pour apprendre le Coran et les principes de l’islam. Je fréquentais aussi l’école française maternelle et primaire, l’école du Soudan à la Basse Casbah. A suivre ...
par le docteur Flici Omar Gynécologue-obstétricien.
D’une hauteur de 42 mètres, la statue sera contruite à coté du fort et la chapelle de Santa-Cruz qui dominent déjà la ville.
Le pouvoir algérien, sur décision du président Tebboune, va ériger à Oran une statue de 42 mètres de haut de l'émir Abdelkader, figure de la résistance contre la colonisation française. Coût de l'opération : plus de 8 millions d'euros. Une somme qui ne passe pas auprès de nombreux Algériens qui souffrent de la flmabée des prix. Retour sur un projet controversé.
C'est un projet qui sème la discorde. Sur décision du préside
nt Tébboune les autorités algériennes vont dépenser une enveloppe de plus de 1,2 milliard de dinars (8 millions d'euros) pour ériger une statue géante de 42 mètres de haut. Le monument se dressera dès la fin de 2024 au cœur de la ville portuaire, "sur le mont Murdjadjo[ou Aïdour, qui culmine à 429 mètres d’altitude], où se trouve le fort de Santa Cruz”. C'est ce qu'a annoncé le wali (préfet) d'Oran, Saïd Saoud le 24 mai dernier lors d'un point presse.
La statue sera construite à côté d'un musée consacré à la vie de l'émir."Le projet comporte également la réalisation d’un balcon suspendu sur 20 ou 25 mètres. La statue sera dotée d’une option laser installée au niveau de l’extrémité de l’épée et sera orientée vers la qibla pour les prières. Le cheval sera doté de cinq supports en signe des cinq piliers de l’Islam" a précisé le wali.
Une statue équestre de 42 mètres de haut avec option laser
L'émir Abdelkader (1808-1883) reste une figure historique consensuelle en Algérie. Émir, chef religieux, soufi, il dirige une coalition de populations de l'ouest algérien contre la conquête de l'Algérie par la France. Il crée un État autour de ville de Tagdmet non loin d'Oran. Il sera vaincu par les Français en 1847. Mais il est perçu comme un des pères de la nation algérienne.
On a eu la mosquée de Bouteflika avec le plus haut minaret du monde et on aura la plus haute statue du monde avec Tebboune.
Le Matin d'Algérie.
La construction de ce musée et surtout de cette statue de 42 mètres est une volonté présidentielle. Elle fait l'admiration du chef d'état-major de l'armée, Saïd Chanegriha pour qui "l'émir est un symbole de la résistance contre les forces de la colonisation." Une partie de la presse algérienne, elle, ne s'en prend pas à la figure historique de l'émir mais bien à l'échelle de ce projet et à un goût prononcé chez certains présidents pour les bâtiments et les projets grandioses.
Pour les hôpitaux, les centres de recherche et autres infrastructures stratégiques, les Algériens attendront.
Le Matin d'Algérie.
"“On a eu la mosquée de Bouteflika avec le plus haut minaret du monde et on aura la plus haute statue du monde avec Tebboune", constate le site d'information Le Matin d'Algérie. La statue de l'émir ne sera pas la plus grande du monde mais le site d'information s'interroge sur la question de l'utilisation des deniers publics.
"Pour les hôpitaux, les centres de recherche et autres infrastructures stratégiques, les Algériens attendront", estime le site d'information indépendant.
Les canalisations de la ville d'Oran n'ont pas été remplacés depuis le départ des Français en 1962. Les habitants de la ville portuaire sont victimes de coupures d'eau régulièrement. Sur les réseaux sociaux un collectif d'habitants de la ville demande que les infrastructures vitales d'Oran soient modernisées.
"L’idée de construire cette statue avec 1,2 milliard de dinars ne nous sert à rien. En revanche, il serait plus judicieux de consacrer ce budget pour construire [à Oran] une nouvelle ville de standard international avec ses écoles, ses universités, ses hôpitaux, ses gratte-ciels, son aéroport, son tramway, etc. Elle serait un pôle scientifique et religieux pour accueillir les grandes organisations africaines, arabes et maghrébines", demande un collectif d'Oranais.
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Un collectif d'architectes demande que l'argent prévu pour la statue soit investi dans la construction d'un nouveau quartier pour la ville.
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Un habitant abonde dans le même sens. "Cet argent aurait pu être investi dans les hopitaux ou la réhabilitation des quartiers délabrés."
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Au delà de l'incompréhension, le projet suscite la moquerie de nombreux internautes, le laser évoquant d'autres épées plus hollywoodiennes....
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En attendant, les éboueurs de la ville de voisine de Masacara attendent toujours le réglement de leur retard de salaires.
En 1953, le monde est entré dans l’ère de la confrontation Est-Ouest pour le partage du monde : d’un côté, les États-Unis et les grandes puissances occidentales (France et Royaume-Uni), de l’autre, l’URSS et les « démocraties populaires ». C’est aussi le temps des décolonisations, et l’empire colonial français craque de partout : Vietnam, Madagascar, Cameroun, Maroc, Tunisie, sans parler de l’Algérie et des massacres du 8 mai 1945 dans le Nord-Constantinois.
En France, la gauche politique et syndicale est surtout focalisée autour de la guerre d’Indochine et contre les États-Unis1 et plusieurs militants et dirigeants communistes ou cégétistes sont arrêtés et inculpés pour « atteinte à la sûreté de l’État », comme le soldat Henri Martin2.
LA POLICE PROTÈGE L’EXTRÊME DROITE
Peu de gens le savent, mais pendant longtemps les organisations politiques et syndicales de la gauche française ont défilé le 14 juillet depuis 1935. Ces défilés faisaient partie des traditions ouvrières au même titre que le 1er mai. Ils étaient autorisés et à partir de 1950, les nationalistes algériens du Mouvement pour le triomphe des libertés démocratiques (MTLD), vitrine légale du Parti du peuple algérien (PPA) — interdit depuis 1939 —, avec à sa tête Messali Hadj, décident de se joindre aux défilés du mouvement ouvrier français. `
La manifestation démarre place de la Bastille à Paris, et on peut y voir d’anciens combattants, le Mouvement de la paix, le Secours populaire, l’Union de la jeunesse républicaine de France, l’Union des étudiants communistes et de l’Union des femmes françaises (UFF). La CGT suit avec ses différentes fédérations syndicales (cheminots, métallurgie…), puis viennent les organisations de la banlieue parisienne. On voit aussi des bonnets phrygiens, des Marianne qui font des rondes, des fanfares républicaines. Une tribune avec un grand nombre de personnalités politiques de gauche est placée à l’arrivée, place de la Nation. Dans la manifestation, on entend les slogans : « Libérez Henri Martin ! » ou « Paix en Indochine ! » Enfin, en queue du défilé viennent les Algériens du MTLD. Mais avant même que le cortège des Algériens ne se mette en marche, un petit groupe d’une vingtaine de militants d’extrême droite cherche à les provoquer et à les frapper. Très rapidement, ils se retrouvent encerclés par le service d’ordre de la CGT et des Algériens. La police va alors intervenir, mais pour les protéger et non les arrêter.
Passé cet accrochage, les militants du MTLD poursuivent leur défilé. Ils sont très organisés en six groupes, précédés chacun d’un numéro désignant leurs différents secteurs. Au total, ils sont entre 6 000 et 8 000, soit plus d’un tiers de la totalité des manifestants (15 000 à 20 000). Ils défilent derrière le portrait de leur dirigeant Messali Hadj, et sont encadrés par un service d’ordre repérable à ses brassards verts. Quelques drapeaux algériens apparaissent ici et là. Ils sont très applaudis sur le parcours et scandent leurs propres mots d’ordre réclamant l’égalité entre Français et Algériens et la libération de Messali Hadj, qui se trouve en résidence surveillée depuis plus d’un an.
Arrivé place de la Nation, le premier cortège des Algériens passe devant la tribune officielle où il est applaudi, et commence à se disloquer. Un orage éclate au moment où les policiers chargent pour enlever les drapeaux, portraits et banderoles du MTLD. Le brigadier-chef Marius Schmitt3 dira plus tard : « Selon les ordres reçus, nous avons essayé de dégager la place et de fragmenter le groupe de manifestants ». Pour le gardien de la paix Henri Choquart : « C’est un inspecteur principal adjoint qui a donné l’ordre. Il s’agissait de disperser un cortège de Nord-Africains qui criaient et portaient des banderoles ou pancartes. » Et le gardien Pierre Gourgues : « Suivant les ordres reçus, nous nous sommes emparés des banderoles et, brusquement, à partir des rangs situés à l’arrière de la colonne de manifestants, nous furent jetés toutes sortes de projectiles ».
« LES CANIVEAUX ÉTAIENT ROUGES »
Selon de nombreux manifestants, l’affrontement s’est déroulé en plusieurs temps. Premier temps, les policiers chargent matraque à la main, mais les Algériens ne se laissent pas faire. Ils utilisent des barrières en bois qui servent à un marché et se défendent comme ils peuvent. D’autres vont chercher des bouteilles et des verres qu’ils trouvent sur les terrasses des cafés et les lancent sur les forces de l’ordre… Les policiers en nombre inférieur sortent alors leurs armes et tirent une première fois dans la foule. Malgré ces premiers morts, les Algériens avancent toujours et les policiers pris de panique reculent et se retirent derrière leurs cars en attendant les secours. Pendant ce temps-là, un fourgon et une voiture de police sont incendiés. Puis, selon plusieurs témoins, deux policiers seraient restés à terre. Soixante ans après, le gardien de la paix Robert Rodier le confirme :
Nous, on allait repartir dans les cars. Mais quelqu’un a dit : “Attention ! Vous laissez deux gars là-haut !” Alors on a fait demi-tour et on est repartis pour aller les ramener. Alors là, […] je voyais les collègues qui tenaient leurs pétards à l’horizontale. Ce n’étaient pas des coups de feu en l’air pour faire peur. […] C’étaient des coups de pétard avec le revolver à l’horizontale. Et les gars arrivaient, le premier rang tombait, et ça revenait derrière. Les caniveaux étaient rouges, ouais ! Ça, je m’en souviendrai toujours. Et ça tirait ! Deux cent dix douilles sur le terrain. […] Moi aussi, j’ai tiré, mais ça, je ne le disais pas4.
Les affrontements les plus violents ont lieu entre les carrefours du boulevard de Charonne et du boulevard de Picpus, et de chaque côté de l’avenue du Trône et du cours de Vincennes. Puis, une véritable chasse à l’homme est organisée dans tout le quartier. Il y a de nombreux blessés, tabassés par la police. On relèvera sept morts (six Algériens et un Français qui voulaient s’interposer entre les policiers et les Algériens). Le climat politique et le racisme à l’œuvre dans la police parisienne mènent à ce massacre. Conclusion de l’historien Emmanuel Blanchard :
Il est important de rappeler que si cet événement est alors inédit du point de vue parisien, il est d’une certaine façon courant de longue date aux colonies. Mais ce qui est peu commun, c’est que cela se passe à Paris, un 14 juillet, sur la place de la Nation.
LES SEPT VICTIMES DU 14 JUILLET 1953
➞ Abdallah Bacha (25 ans), né en 1928 à Agbadou (Algérie). Atteint d’une balle dans la région dorsale qui est ressortie à la base du cou, il est décédé à 18 h à l’Hôtel-Dieu ; ➞ Larbi Daoui (27 ans), né en 1926 à Aïn Sefra (Algérie). La balle, que l’on n’a pas retrouvée, est entrée par le sternum et a traversé le cœur. Décédé à 18 h 30 à l’hôpital Tenon. Il habitait à Saint-Dié (Vosges), où il était manœuvre et domestique ; ➞ Abdelkader Draris (32 ans), né en 1921 à Djebala (Algérie). Il a été atteint d’une balle dans la région temporale gauche, qui est ressortie par la tempe droite. Décédé à 18 h à l’hôpital Saint-Louis, il travaillait chez Chausson ; ➞ Mouhoub Illoul (20 ans), né en 1933 à Oued Amizour (Algérie). La balle est entrée dans le sourcil gauche jusqu’à la boîte crânienne puis est ressortie. Décédé à 20 h 30 à l’hôpital Saint-Louis, il habitait et travaillait comme ouvrier du bâtiment au centre de formation de Saint-Priest (Rhône) ; ➞ Maurice Lurot (41 ans), né en 1912 à Montcy-Saint-Pierre (Ardennes). La balle est entrée dans la poitrine au niveau du sternum et a traversé le poumon et le thorax. Décédé à l’hôpital Saint-Louis, il était ouvrier métallurgiste à Paris ; ➞ Tahar Madjène (26 ans), né en 1927 au douar Harbil (Algérie). Frappé d’une balle sous la clavicule gauche qui lui a perforé le cœur et les poumons, il est décédé à 17 h 40 à l’hôpital Tenon ; ➞ Amar Tadjadit (26 ans), né en 1927 au douar Flissen (Algérie). Il a reçu une balle qui a atteint le cerveau dans la région frontale gauche. Il présentait, en plus, de nombreuses traces de violences au niveau de la face. Décédé à 20 h à l’hôpital Saint-Louis.
Tandis que les balles sifflent encore sur place de la Nation, les secours s’organisent. Beaucoup d’Algériens préfèrent se soigner chez eux, ils craignent de se faire arrêter à l’hôpital. Les hôpitaux les plus proches sont pleins, un formidable mouvement de solidarité envers les blessés s’organise. On fait la queue (surtout chez des gens de gauche) pour les voir, leur parler et les réconforter. On leur apporte des fruits, des légumes, des cadeaux…
UNE « ÉMEUTE COMMUNISTE »
Le traitement de l’information est diamétralement différent dans les journaux. D’un côté, la presse anticommuniste reprend la version policière de l’émeute algérienne. Scénario que l’on retrouve dans Le Figaro, l’Aurore, le Parisien libéré, France-Soir, ou de façon atténuée dans Le Monde, quotidien qui va évoluer au fil des jours. Exemple de L’Aurore qui titre en une : « Ce 14 juillet, hélas ensanglanté par une émeute communiste ». Sous-titre : « 2 000 Nord-Africains attaquent sauvagement la police ». Les articles de deux journaux de gauche (Libération et L’Humanité) rétablissent la vérité. Mais l’information va progressivement disparaître de la une à partir du 24 juillet.
En Algérie, il y aura quelques arrêts de travail, mais peu de débrayages. Le 21 juillet 1953, un hommage est rendu à la Mosquée de Paris devant les cercueils des victimes algériennes recouverts du drapeau algérien. Le soir, un important meeting de protestation est organisé au Cirque d’hiver à Paris et le 22 juillet, c’est le jour des obsèques du militant CGT Maurice Lurot à la Maison des métallos, rue Jean-Pierre Timbaud (Paris 11e). Le drapeau algérien recouvre ceux des victimes algériennes et le drapeau rouge celui de Maurice Lurot. Dans l’après-midi, c’est le départ des convois funéraires des victimes algériennes jusqu’à Marseille pour les ramener en Algérie. Ensuite, une foule estimée à plusieurs milliers de personnes accompagne à pied le cercueil de Maurice Lurot jusqu’au cimetière du Père-Lachaise. En fait, les autorités françaises ont très peur du rapatriement des corps en Algérie, car la tuerie du 14 juillet a un grand retentissement. C’est surtout le quotidien de la gauche algérienne, Alger républicain, proche du Parti communiste algérien (PCA)et dirigé par Henri Alleg qui donne le plus d’écho à cet événement. Des grèves éclatent, des débrayages ont lieu et un large comité de soutien aux familles des victimes se constitue avec des représentants du MTLD, du PCA, et de toutes les forces progressistes du pays. La foule se presse devant le port d’Alger et se recueille devant les cercueils. Puis les convois funéraires prennent les directions de leurs villages.
LES MENSONGES DES POLICIERS ET DE LA JUSTICE
Évidemment, le soir même du drame, la hiérarchie policière et le gouvernement ont entrepris une vaste opération que l’on peut résumer à un véritable « mensonge d’État ». Pour eux, ce sont les Algériens qui étaient agressifs et qui ont même tiré sur les forces de l’ordre d’où leur conclusion de « légitime défense ». Ainsi dans les archives de la police ou du juge d’instruction, l’unanimisme des affirmations des représentants des forces de l’ordre est pour le moins troublant, car ils seront 55 à avoir, sans aucune preuve, « entendu des coups de feu qui venaient du côté des manifestants ou du côté de la place de la Nation », là où se trouvaient les Algériens.
La fabrication du mensonge d’État s’est aussi illustrée par la façon dont le juge Guy Baurès a sélectionné les déclarations des policiers pour rendre ses conclusions de non-lieu. En effet, lorsqu’on regarde de plus près les dépositions mensongères des policiers, on remarque dans la marge de petits traits qui correspondent aux phrases que le juge d’instruction a relevées. Ces annotations vont lui servir à rendre son avis sur cette « violence à agents ». Bien entendu, le juge va écarter toutes les déclarations des Algériens, car pour lui elles ne sont pas assez précises, bien qu’accablantes pour la police.
L’autre grand mensonge d’État concerne l’analyse des balles et la récupération des douilles. On sait qu’au moins une soixantaine de balles ont été tirées (les 50 blessés par balle et les 7 tués). Or le dossier d’instruction ne fait état que de 17 douilles ramassées place de la Nation : une véritable anomalie. Or l’analyse des balles n’a été faite que sur les armes des 8 policiers qui ont affirmé avoir tiré. Soixante ans après, Robert Rodier qui reconnaît avoir alors tiré sur les Algériens confirme qu’il ne l’a jamais dit lors de l’enquête judiciaire : « Moi je sais que j’avais deux chargeurs de dix cartouches, il en est parti neuf. Et c’était à l’horizontale. » Et il confirme la manipulation :
C’est les gars en civil de notre service qui ont ramassé les douilles ! … C’est pour cela que l’on nous avait convoqués au Grand Palais un jour, et on nous a dit : “Ici vous pouvez parler. Vous pouvez dire ce que vous voulez.” Mais il fallait la mettre en veilleuse après !
André Brandého est encore plus précis sur cette question :
Mais les balles… Les gars allaient en chercher chez Gastinne-Renette, avenue Franklin-Roosevelt, là où il y avait une armurerie [pour mettre des neuves dans leur chargeur] ; j’ai un collègue qui a pris une boîte complète pour remplacer celles qu’il avait tirées.
Dans les archives du département de la Seine, j’ai pu identifier, à partir des archives accessibles, 47 manifestants blessés par les tirs policiers du 14 juillet 1953. Deux autres blessés par balle, et hospitalisés à l’hôpital Saint-Antoine (Paris 12e) : Vasvekiazan (tête) et Cyprien Duchausson (main) sont également mentionnés dans L’Algérie libre, le journal du MTLD (numéro spécial du 29 juillet 1953), mais je n’ai retrouvé aucune trace de leur hospitalisation. Cela dit, il y a eu certainement d’autres blessés par balle, comme Mohamed Zalegh, qui n’est pas allé à l’hôpital, mais m’a déclaré en 2012 : « La bagarre a commencé quand ils ont voulu prendre le portrait de Messali. Moi, j’ai été touché là ! Au derrière par une cartouche. Cela brûle la veste, la peau ».
À tous ces blessés par balle, il faut bien entendu ajouter les nombreux blessés à coups de matraque.
« LA SUITE, C’EST LE DÉCLENCHEMENT DE LA RÉVOLUTION DU 1ER NOVEMBRE 1954 »
La hiérarchie policière va profiter du mensonge d’État pour renforcer son arsenal répressif. Deux corps de police spécifiques vont être créés peu de temps après le 14 juillet. Un premier, les compagnies d’intervention ou compagnies de district, qui vont être mieux équipées et spécialisées dans le maintien de l’ordre. On les retrouvera en action lors des manifestations du 17 octobre 1961 et du 8 février 1962 au métro Charonne.
L’autre corps qui est créé dès le 20 juillet est la “Brigade des agressions et violences” (BAV). Qui se spécialisera surtout par des contrôles de population algérienne dans les cafés et les hôtels en constituant un fichier de tous les individus nord-africains.
Enfin, une autre conséquence, très surprenante, de cette manifestation est donnée par l’historienne Danielle Tartakowsky :
À la suite de cette manifestation du 14 juillet 1953, tous les cortèges ouvriers dans Paris vont être interdits… jusqu’en 1968. Il n’y aura plus de défilés du 1er Mai à Paris, mais seulement des rassemblements, souvent dans le bois de Vincennes… Et ce sera aussi le dernier défilé populaire du 14 juillet à Paris.
Enfin, dernière conséquence et non des moindres, le massacre du 14 juillet 1953 va être un déclic pour nombre de militants nationalistes pour passer à la lutte armée. En effet, il faut savoir qu’en 1953, le MTLD était déjà en crise. Le conflit entre Messali Hadj et le comité central du mouvement avait pris un tournant dès le congrès d’avril 1953, quand de nouveaux statuts limitant les pouvoirs du président avaient été adoptés. L’été 1954 verra la création de deux congrès du MTLD, les uns excluant les autres. Dans cette situation, Mohamed Boudiaf et 5 autres militants nationalistes contactent les anciens de l’Organisation spéciale (OS), organisation paramilitaire du PPA pour créer le Comité révolutionnaire d’unité et d’action (CRUA). Officiellement pour unir le parti, mais surtout pour passer à la lutte armée. Cette décision amena à la « réunion des 22 » militants du PPA qui fixera au 1er novembre 1954 le déclenchement de la libération nationale avec la création du FLN. Finalement, la répression aveugle en plein Paris du 14 juillet 1953 sonne à la fois comme un prélude et un déclic à une véritable lutte armée guerre totale. Indiscutablement, comme l’affirment certains témoins de cette répression aveugle, on peut dire que ce 14 juillet 1953, ont été tirés les premiers coups de feu de la guerre d’Algérie.
UN DRAME EFFACÉ DES MÉMOIRES
En dehors d’une banderole du MTLD dépliée le 1er mai 1954 au bois de Vincennes, d’une minute de silence observée à la mémoire des victimes lors du congrès « messaliste » du MTLD en juillet 1954, d’un article dans Liberté, organe du PCA et d’un très bon reportage dans le mensuel du Secours populaire (La Défense, juillet-août 1954), on peut dire que dès l’été 1953, le drame du 14 juillet est quasiment oublié. En Algérie, la division du mouvement nationaliste et surtout la guerre d’Algérie (avec ses milliers de morts) auront vite recouvert cette tuerie. Et puis, le nouveau pouvoir issu de la révolution de 1962 — dirigé par Ahmed Ben Bella puis par Houari Boumediene après son coup d’État de 1965 — a cultivé un certain « patriotisme sélectif », au détriment de la vérité historique.
Honorer des gens qui défilaient derrière le portrait de Messali Hadj, qualifié pendant longtemps de « traître à la révolution », était impensable pour ce nouvel État au parti unique. Ces six victimes algériennes n’ont jamais été reconnues par le pouvoir comme martyrs de la révolution et aucune indemnité n’a été versée aux familles jusqu’à aujourd’hui.
En France, le drame du 14 juillet 1953 a lui aussi disparu très tôt de la mémoire collective. De plus, pour l’ensemble des Français, l’intérêt pour les événements internationaux se focalise non pas sur l’Algérie, mais sur la guerre en Indochine (commencée en 1946). Cela dit, un autre facteur a favorisé l’effacement mémoriel de l’événement, comme l’explique l’historienne Danielle Tartakowsky : quelques mois avant le 14 juillet, le PCF, par la voix de Maurice Thorez, avait décidé d’abandonner la ligne dure d’affrontement « classe contre classe » pour revenir à une union de la gauche et de toutes les forces démocratiques. La grève d’août 1953 sera dans la droite ligne de cette nouvelle stratégie, avec un recentrage sur des problèmes salariaux et syndicaux. Cette manifestation du 14 juillet vient donc perturber la nouvelle orientation.
L’histoire de France ne veut pas se souvenir ni même retenir ces morts algériens, comme ce fut le cas pour ceux du 17 octobre 1961, contrairement à la répression au métro Charonne de la manifestation du 8 février 1962 : des écoles, des stades, des rues portent les noms des victimes. Là, rien… Cette forme de différentialisme fondé sur le « eux et nous » puise sa source dans un patriotisme ethnocentré, loin des valeurs universelles. Il y a aura pourtant en France, comme en Algérie un timide retour de la mémoire à partir des années 1980-1990, mais surtout dans les années 2000 avec le chapitre du livre de Danielle Tartakowsky sur Les Manifestations de rue en France, 1918-1968 (éditions de la Sorbonne, 1997), et le premier livre sur ce drame écrit par Maurice Rajsfus, 1953. Un 14 juillet sanglant (Viénot, 2003 ; éditions du Détour, 2021) et enfin, plusieurs chapitres très documentés du livre d’Emmanuel Blanchard La Police parisienne et les Algériens (1944-1962) (Nouveau Monde, 2011). En Algérie, on peut quand même signaler un hommage rendu à Amar Tadjadit dans son village à Tifra en 2006 et une journée d’étude sur Larbi Daoui à Tiout en 2009.
Ce massacre doit être reconnu comme crime d’État, au même titre que ceux du 17 octobre 1961 et du 8 février 1962. Une première étape importante de cette réhabilitation a déjà eu lieu le 6 juillet 2017. La mairie de Paris, sur proposition de Nicolas Bonnet Oulaldj, président du groupe communiste, a organisé la pose d’une plaque commémorative place de la Nation à la mémoire des victimes de cette répression du 14 juillet 1953. Depuis, avec la Ligue des droits de l’homme, la mairie du 12e arrondissement de Paris et différentes associations et partis, chaque année une commémoration et un bal populaire sont organisés place de la Nation pour perpétuer cette mémoire.
DANIEL KUPFERSTEIN
Illustration : manifestation du 14 juillet 1953, le défilé des travailleurs algériens (archives de la CGT).
C’est en mémoire d’un véritable monument de son histoire que l’Algérie va prochainement ériger une statue colossale.
Implantée sur les hauteurs d’Oran, la statue majestueuse à l’effigie de l’illustre Émir Abdelkader, le fondateur du premier Etat algérien moderne, à la fois chef de guerre, remarquable stratège, fin lettré et héros magnanime, surplombera la radieuse cité portuaire de l’ouest algérien.
Haute de 42 mètres, elle déploiera ses dimensions impressionnantes sur le Mont Murdjadjo, le point culminant de la ville, dominant le fort et la chapelle de Santa Cruz. Cette oeuvre grandiose fera mieux que rivaliser avec la célèbre statue du Christ Rédempteur, symbole iconique de Rio de Janeiro. Elle la surpassera en gigantisme, et ce, pour la plus grande fierté d’un homme : le wali d’Oran, Saïd Sayoud.
« Le président de la République nous a accordé un financement de 1,2 milliard de dinars pour réaliser un musée doté d’une statue à l’effigie de l’Émir Abdelkader, qui sera implanté sur le Mont Murdjadjo. Nous avons reçu la notification de financement, jeudi dernier, pour mener l’étude et la réalisation de ce projet », a annoncé Saïd Sayoud, lors d’une réunion qui s’est tenue, mercredi 24 mai, dans l’hémicycle de la wilaya, en présence des cadres des collectivités locales et de l’aménagement urbain.
« Nous avons déjà une idée bien précise sur la conception de ce projet. Avec une hauteur de 42 mètres, la statue sera plus haute que Santa Cruz et dépassera même la plus haute statue du monde qui domine la ville de Rio de Janeiro au Brésil, haute de 39m. Ainsi, Oran sera dotée de la plus haute statue du monde ! », s’est exclamé celui qui préside aux destinées de la deuxième plus grande ville d’Algérie, devenue l’un des hauts-lieux du tourisme grâce aux précieux atouts qu’elle recèle.
Elle se dressera fièrement tout en haut du Mont Murdjadjo, la future statue de l’Émir Abdelkader, l’âme de la résistance algérienne, sera dotée d’une épée particulière. « L’épée de la statue sera conçue de façon qu’elle soit dotée d’un laser qui sera dirigé vers la Qibla pour montrer aux fidèles la direction de la Mecque. Le cheval de la statue s’appuiera sur cinq supports en référence aux cinq piliers de l’Islam », a précisé Saïd Sayoud.
Nul doute que cette oeuvre monumentale, créée en hommage à un géant de l’histoire de l’Algérie, aura un fort potentiel d’attractivité. Oran, la radieuse, peut plus que jamais rayonner de bonheur : son avenir touristique s’annonce sous d’heureux auspices.
Une statue géante de l’émir Abdelkader va dominer Oran
Symbole de la lutte contre la colonisation française, l’émir Abdelkader reste une figure forte et fédératrice en Algérie. Une statue géante du résistant se dressera dès la fin de 2024 au cœur de la ville portuaire. Une décision du président de la République en personne.
Sur décision du président Tebboune lui-même, les autorités algériennes vont consacrer une enveloppe de 1,2 milliard de dinars (près de 8 millions d’euros) pour ériger une statue géante de l’émir Abdelkader (1808-1883) et créer un musée en sa mémoire dans la grande ville d’Oran, “sur le mont Murdjadjo [ou Aïdour, qui culmine à 429 mètres d’altitude], où se trouve le fort de Santa Cruz”,rapporte le site d’information Tout sur l’Algérie.
Certains titres de la presse algérienne notent toutefois que le Christ rédempteur n’est pas la plus haute statue du monde et que celle de l’émir ne parviendra pas à détrôner les 182 mètres de la Statue de l’Unité en Inde, ni un certain nombre d’autres statues à travers le monde qui dépassent nettement les 42 mètres de hauteur.
Figure emblématique ayant lutté pendant quinze ans contre l’occupation française, Abdelkader est présenté comme “le père de la nation algérienne”dans un podcast signé Radio-Canada. Fait émir (commandant des croyants), il est battu par la France en 1847 et emprisonné à Amboise pendant quatre années. Le monument en son honneur disposera d’un large balcon, et l’épée de l’émir brillera et pointera vers La Mecque.
Symbole ou sacrilège ?
Saluée par le chef d’état-major de l’armée, Saïd Chanegriha, qui a fait l’éloge de l’émir Abdelkader en tant que “symbole de la résistance populaire algérienne contre les forces de la colonisation et la tyrannie”, l’initiative ne fait pourtant pas l’unanimité chez les Algériens. Sur les réseaux sociaux, certains considèrent que la construction de statues est contraire à l’islam.
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“On a eu la mosquée de Bouteflika avec le plus haut minaret du monde et on aura la plus haute statue du monde avec Tebboune. Pour les hôpitaux, les centres de recherche et autres infrastructures stratégiques, les Algériens attendront”,ironise de son côté le site d’information indépendant Le Matin d’Algérie. Une preuve de plus, selon le site d’information, que le régime continued’“instrumentaliser la mémoire de la résistance algérienne”.
L’émir Abdelkader, le père de la nation algérienne
L’émir Abdelkader à Damas, en Syrie, en 1862PHOTO : Wikipédia
igure emblématique de l'Algérie, l'émir Abdelkader a lutté pendant 15 ans contre l'occupation française dans ce pays du Maghreb. Sylvain Cornac, chargé de cours à l'Université de Montréal, nous parle de ce héros de la nation algérienne.
L’émir Abdelkader naît au début du 19e siècle dans une zaouïa, un centre spirituel où « l’on cultive la connaissance, la culture musulmane ». À cette époque, l’Algérie se trouve à la frontière du Maroc chérifien et des confins de l’Empire ottoman. Le pays se trouve sous la pression de la supériorité militaire des Occidentaux, qui ont achevé leur révolution industrielle.
Le père de l’émir Abdelkader combat la France en 1830 pour « défendre une terre musulmane », explique Sylvain Cornac. « On n’est pas, à cette époque-là, dans un esprit nationaliste. » En 1832, il passe la main à son fils.
L’émir organise un embryon d’État en levant des impôts et en faisant appliquer des lois. Pour résister contre la puissance militaire qu’est la France, il compte sur le fait que les troupes françaises rentreront de plus en plus à l’intérieur du pays. La stratégie ne fonctionne pas, car vers 1840, la France colonise le pays. En plus, les soldats français ruinent le pays pour affaiblir l’émir.
L’émir Abdelkader est défait en 1847 et emprisonné en France. « C’est lui qui s’est rendu. On lui avait promis, en fait, qu’il pourrait se retirer vers une terre musulmane, probablement l’Empire ottoman », précise Sylvain Cornac. Il est enfermé à Amboise pendant quatre ans. « Il n’aura de cesse de rappeler à la France sa promesse de le libérer. […] Les autorités militaires ne sont pas prêtes à le laisser aller. »
Napoléon III le libère en 1852, avec l’accord des Ottomans. L’émir Abdelkader s’installe à Damas, en Syrie. Sa figure spirituelle, qui favorise le dialogue interreligieux, se confirme. « Il est accueilli comme un prince régnant, raconte Sylvain Cornac. Il va même enseigner à la grande mosquée de Damas. » Au cours de ce séjour, il protège des chrétiens qui sont la cible de musulmans.
En terminant, Sylvain Cornac raconte pourquoi le nom et l'image de l'émir sont récupérés par l’indépendance en 1962. « C’est un personnage au milieu des mondes, au milieu des empires qui a une spiritualité très profonde », selon le chargé de cours, qui lui a consacré sa thèse de doctorat.
Les relations diplomatiques entre l’Algérie et les USA se renforcent petit à petit. Des entrevues entre les officiels algériens et américains pour promouvoir le commerce international, jusqu’aux rendez-vous entre l’ambassadrice et les ministres du Gouvernement algérien. Des collaborations entre les deux pays, il y en a depuis des siècles, à l’image de la petite ville d’Elkader, nommée en l’honneur de l’Émir Abdelkader et portant son nom à ce jour. Une cité qui brandit haut et fort l’histoire de l’Algérie au cœur des USA.
Elkader, la ville américaine baptisée au nom de l’Émir Abdelkader
Il existe une ville dans l’Iowa qui porte fièrement le nom du combattant historique Emir Abdelkader. Une petite agglomération tranquille qui met à l’honneur l’histoire coloniale d’Algérie et qui abrite quelque 1200 habitants. Telle est la description qui sied le mieux à Elkader.
L’écho des exploits de l’Émir Abdelkader contre l’armée française entre 1830 et 1847 est parvenu jusqu’en Amérique.Fondée en 1836 par ElishaBoardman et Horace Bronson, la ville prend quelques années plus tard le nom du célèbre guerrier algérien.
Un magnifique hommage à l’Émir Abdelkader à Elkader
Elkader est jumelée à la ville de Mascara depuis 1984. Les deux cités sont considérées comme des villes « sœurs » depuis cette date. Son musée retrace l’histoire de l’Émir Abdelkader et de l’Algérie brièvement. Outre son cachet historique, la ville dispose de bien des atouts pour attirer les touristes et charmer les visiteurs. On peut y trouver un restaurant algérien du nom de « Schera’sAlgerian-American Restaurant ».
Identité d’Elkader
La ville dispose même d’un jardin nommé « Mascara Park » pour refléter la ville de naissance du personnage emblématique que représente la ville. Petite et chaleureuse, la ville d’Elkader possède un centre-ville animé avec une rue principale où se trouvent la plupart des commerces et échoppes. Une bonne façon de visiter la ville est de commencer par ce lieu bouillonnant d’histoire.
Giraud, Roosevelt, de Gaulle et Churchill à la Conférence d'Anfa (Maroc), 24 janvier 1943. Crédit : INTERNATIONAL NEWS PHOTOS (INP) / AFP
FIGAROVOX/ENTRETIEN - L'historienne Alya Aglan a codirigé, avec Pierre Vermeren, le livre Le monde arabe et la Seconde Guerre mondiale. Une rétrospective remarquable de l'évolution du monde arabe de 1939 à 1945.
Alya Aglan est historienne, professeur d'histoire contemporaine à l'université Paris 1 Panthéon-Sorbonneet auteur de nombreux livres tels que Le rire ou la vie. Anthologie de l'humour résistant 1940-1945, (Gallimard, 2023). Elle a récemment codirigé l'ouvrage Le monde arabe et la Seconde Guerre mondiale. Guerre, société, mémoire. Histoire en partage en Afrique du Nord et au Moyen-Orient paru en décembre 2022 aux éditions Hemispheres.
FIGAROVOX. - On considère souvent que la Seconde guerre mondiale a été, pour le Maghreb et le Proche-Orient, un électrochoc qui a favorisé l'accès à l'indépendance après-guerre. Partagez-vous cette analyse ?
Alya AGLAN. - Il est certain que la guerre a renforcé et légitimé des revendications nationalistes qui existaient déjà, parmi les diverses formes de résistances engendrées par la colonisation elle-même, en réaction aux inégalités flagrantes des rapports entre territoires impériaux et métropole. De manière globale, dans le «monde arabe» comme ailleurs, la guerre a servi d'accélérateur au processus de décolonisation.
La défaite de la France en juin 1940 et sa mise sous tutelle par le IIIe Reich ont contribué à affaiblir une autorité coloniale qui tend à perpétuer la sévère répression d'avant-guerre. Si l'empire français ne tombe pas directement sous l'emprise des forces de l'Axe, nombre d'empiètements sur les dispositions prévues par les conventions d'armistices, franco-allemandes et franco-italiennes, ont été constatés par les commissions d'armistice de Wiesbaden et de Turin. Pendant la guerre, les partis nationalistes comme l'Istiqlal, interdit à peine créé durant la même année 1937, officiellement fondé en 1943, formalisent leur action politique dans un vaste mouvement de contestation des empires coloniaux.
Plusieurs manifestes nationalistes sont publiés pendant la guerre, notamment le Manifeste du peuple algérien, de Ferhat Abbas du 12 février 1943, préparé depuis deux ans par des représentants du Parti du peuple algérien, des oulémas, des élus et des étudiants. Les prélèvements en hommes et en ressources que subissent les populations en souffrance alimentaire et sanitaire, conséquence directe de la guerre, constituent une autre raison conjoncturelle du réveil nationaliste. La Seconde Guerre mondiale fait apparaître les faiblesses des métropoles et sème le doute quant à la possibilité de conserver intactes les possessions coloniales en Afrique comme en Asie. L'effondrement général des empires coloniaux s'amorce symboliquement, dès février 1942 avec la chute de Singapour, prise par les Japonais, interprétée comme le prélude à la disparition de la domination mondiale britannique.
S'agissant de l'Afrique du nord (Algérie, Maroc, Tunisie), alors sous souveraineté française, la période qui a suivi le débarquement américain en Algérie et au Maroc a été très instable au plan politique. Quel regard ont porté les élites arabes de ces pays sur la tentative d'accommodement de Roosevelt avec les représentants, sur place, du régime de Vichy ?
Si les «élites arabes» désignent les cercles nationalistes, il est évident que la dispute impériale entre l'État français, installé à Vichy, et les gaullistes, entamée dès la fin de l'été 1940, ainsi que l'entreprise de séduction de l'Axe, a fourni l'opportunité historique de défendre les projets indépendantistes. Plus largement, les populations autochtones ont été la cible de propagande anti-alliée, allemande et italienne, agressives. «Radio coloniale», devenue «Radio Mondiale», est tombée sous le contrôle des Allemands, dès le 20 juillet 1940, pour devenir l'un des plus puissants organes de diffusion pronazie, en français, en arabe et en kabyle, contre les impérialismes français et britanniques, faisant mine de donner la parole aux Musulmans dominés et exploités.
Pendant toute la guerre, «Radio-Berlin» et «Radio-Stuttgart» intensifient leurs émissions en langue arabe, excitant les nationalismes, le panislamisme et le panarabisme, dénigrant le projet politique britannique de création d'un État juif en Palestine, sans réellement s'engager dans le soutien actif aux mouvements de libération arabe.
Comme l'Allemagne nazie, l'Italie fasciste se targue de soutenir la cause nationaliste arabe et panislamique et a obtenu, dans un premier temps, le ralliement de certains chefs, sans pour autant jamais se risquer à promettre l'indépendance
Alya Aglan
Sur les ondes de «Radio-Bari», dès 1934, les Italiens inondent le monde arabe des discours de Mussolini dans des émissions, devenues biquotidiennes, dès la fin de l'année 1937. L'entreprise visait non seulement à saper les fondements des impérialismes français et britannique mais également à préparer la conversion du monde arabe au projet impérial fasciste qui aurait fait de la Méditerranée une Mare Nostrum, ressuscitant l'héritage historique fantasmé de la Rome impériale et de l'Africa Romana.
Des chefs nationalistes utilisent, à leur tour, la popularité de Radio-Bari, à l'instar de Bourguiba qui y annonce, le 6 avril 1943, son retour en Tunisie avant de déclarer, en juin, son soutien inconditionnel aux Alliés. Comme l'Allemagne nazie, l'Italie fasciste se targue de soutenir la cause nationaliste arabe et panislamique et a obtenu, dans un premier temps, le ralliement de certains chefs, sans pour autant jamais se risquer à promettre l'indépendance.
Et quel regard ont-ils ensuite porté sur la lutte entre De Gaulle et Giraud ?
La rivalité politique entre le général de Gaulle et le général Giraud, resté fidèle au Maréchal Pétain tout en ralliant le camp allié, n'a pas manqué d'intriguer les contemporains. L'évasion du général Giraud de la forteresse de Koenigstein, en Saxe, en avril 1942, a provoqué la fureur d'Hitler parce qu'il était considéré par les nazis comme «un général français extrêmement dangereux», «un véritable chef», susceptible de prendre la place du général de Gaulle, «qui est une petite pointure du point de vue intellectuel et moral» selon les mots de Goebbels. Le général Giraud bénéficie également de l'appui des Américains pour bâtir et équiper l'armée d'Afrique dont il est le grand artisan.
Les Américains n'hésitent pourtant pas à adouber l'amiral Darlan, incarnation de la collaboration militaire avec l'Axe, présent à Alger au moment de l'opération Torch. Remis en selle par les Américains, sur fond de querelle entre Giraud et de Gaulle, «l'expédient Darlan» n'a pas contribué à renforcer une souveraineté française, d'emblée morcelée et mise à mal, en métropole, par les occupants, allemands et italiens, dès les premières heures de l'occupation. Après le débarquement anglo-américain de novembre 1942, on a parlé d'un régime de «Vichy sous protectorat américain», signe du discrédit durable dans lequel est tombé l'État français. Pour les militaires anglo-américains, devenus les principaux interlocuteurs, le pragmatisme ainsi que les priorités stratégiques ont prévalu dans une guerre mondiale dont l'issue, il faut le rappeler, était incertaine.
Si l'historiographie a largement souligné, la fameuse poignée de main des deux généraux, sous les yeux de Roosevelt et de Churchill, orchestrée par les Alliés en marge de la conférence d'Anfa, organisée par les Anglo-américains du 14 au 24 janvier 1943, elle avait, jusqu'ici, occulté la manifestation évidente de l'émancipation politique du sultan Sidi Mohamed Ben Youssef. Signe du discrédit de la puissance coloniale, le résident général Noguès n’est pas convié au dîner offert au Sultan. Le président américain y aurait évoqué un accès du Maroc à l'indépendance conformément à la Charte de l'Atlantique de 1941 et une aide économique convenable. Le prestige de la puissance de la démocratie américaine, à la domination militaire et matérielle incontestable, se substitue imperceptiblement à celui de la France.
Pourquoi Giraud refuse-t-il, dans un premier temps, de rétablir le décret Crémieux au début de 1943 ? Quand celui-ci sera-t-il de nouveau en vigueur ?
Dans le cadre d'une politique autonome d'antisémitisme d'État, menée par le régime de Vichy, sans contrainte nazie, le gouvernement français abroge, le 7 octobre 1940, le décret Crémieux de 1870 qui accordait la citoyenneté française aux «Israélites indigènes» d'Algérie, quelques années avant que le territoire ne devienne partie intégrante de la France, lorsqu'en 1881, y sont créés trois départements français (Alger, Oran, Constantine). Les juifs d'Algérie perdent ainsi leur citoyenneté et redeviennent «indigènes». Environ 117 000 personnes se trouvent privées de tous leurs droits politiques, dans un climat où l'antisémitisme se renforce par le biais des manifestations d'hostilité, bris de vitrine et tracts, orchestrées par les doriotistes du PPF et de la Légion française des combattants, actes réprouvés par les élites intellectuelles, musulmanes et nationalistes algériennes. L'extension de la législation antisémite du régime de Vichy à toutes les possessions, protectorats et mandats français, en particulier le statut des juifs du 2 juin 1941 et la loi, promulguée le même jour, qui prévoit le recensement des juifs en métropole, en Tunisie, au Maroc et en Algérie, prélude à «l'aryanisation des biens», processus administratif de dépossession, en vertu de la loi du 22 juillet 1941, participe d'une politique de discrimination vécue comme une réactualisation des principes de discrimination coloniale.
Fervent maréchaliste, le général Giraud ne semble pas avoir considéré comme essentielle la question des droits des juifs d'Algérie, qui, comme en Tunisie, sont massivement ralliés à la France libre
Alya Aglan
Dans son discours du 14 mars 1943, Giraud annonce le rétablissement du décret Crémieux sans que la décision ne soit suivie d'effet. Il revient au Comité français de libération nationale de rendre aux juifs d'Algérie la citoyenneté française le 22 octobre 1943, quelques jours avant l'installation de l'Assemblée consultative provisoire à Alger. Fervent maréchaliste, le général Giraud ne semble pas avoir considéré comme essentielle la question des droits des juifs d'Algérie, qui, comme en Tunisie, sont massivement ralliés à la France libre.
Alger a été, de fait, la capitale de la France libre à la fin de 1943. Cet épisode a-t-il nourri les revendications d'un Ferhat Abbas ou d'autres leaders algériens ?
À̀ Alger, au Palais Carnot, l'installation de l'assemblée consultative provisoire, le 3 novembre 1943, constituée de représentants de la résistance intérieure et des soutiens de la France libre, venus du monde entier, marque une étape décisive dans la légitimation du mouvement gaulliste face au général Giraud, opportunément mis à l'écart de l'action politique, et aux Alliés. Cette Assemblée s'impose dans la guerre franco-française contre les compromissions de Vichy comme une tribune et un laboratoire concernant la législation de l'après-guerre mais n'offre pourtant pas aux nationalistes algériens une réelle opportunité de se faire entendre. Les enjeux nationaux de préparation de la libération de la France et de l'Europe ainsi que la question de l'armement des organisations clandestines dominent les débats.
La Tunisie a vécu une épreuve singulière au sein du Maghreb : elle a été occupée par les Allemands, qui ont persécuté la population juive du pays, et le pays a été un champ de bataille pour les forces de l'Axe et les alliés. Quelles conséquences a eues cette page de l'histoire pour la Tunisie ?
La Tunisie, sous protectorat français, a en effet une position particulière dans la guerre, dans la mesure où elle est occupée par les forces de l'Axe italo-germaniques (entre novembre 1942 et mai 1943) et devient un enjeu majeur pour les Alliés. Les Allemands y ont pris pied, à l'appel de l'État français, dès le 10 novembre 1942, à la suite de l'opération Torch et combattent, avec les forces italiennes, contre les Alliés et les forces françaises libres et l'armée d'Afrique, qui remportent une victoire décisive en mai 1943. Les Italiens convoitaient le territoire dès avant la guerre. Occupant la proche Libye, le Duce a revendiqué la Tunisie, où vit une importante minorité italienne, et une partie de l'Algérie.
Les élites libanaises et syriennes ont indirectement profité du bras de fer franco-français. Ces régions sous mandat se sont trouvées au centre d'intrigues incompréhensibles aux yeux des populations
Alya Aglan
Aujourd'hui encore la mémoire de la campagne de Tunisie est vive et inscrite dans le paysage des cimetières militaires américains, français et allemands. Contrairement au cimetière français de Ghammarth ou au cimetière américain de Carthage, le cimetière militaire allemand de Borj Cédria évoque l'abandon de dépouilles de jeunes combattants, insérées dans des sépultures formées de blocs de béton gris, à l'issue de leur transfert depuis plusieurs autres sites. La guerre a donné au pouvoir tunisien une forme et une voie originale de nationalisme, le «moncefisme», exposé dans le Manifeste du front tunisien publié le 22 février 1945, avant le congrès de l'indépendance, le 23 août 1945.
S'agissant du Liban, un chapitre passionnant de votre livre raconte la guerre vue de l'Université Saint-Joseph de Beyrouth et relate les perplexités de ses directeurs. Comment les élites libanaises de l'époque, symbole de «l'orient compliqué» qu'évoque De Gaulle dans ses mémoires de guerre, ont-elles pris position face aux différentes étapes du conflit ?
Les élites libanaises et syriennes ont indirectement profité du bras de fer franco-français. Ces régions sous mandat, confiées par la SDN à la France après la Première Guerre mondiale, se sont trouvées au centre d'intrigues incompréhensibles aux yeux des populations. La voie vers l'indépendance de la Syrie et du Liban a été décidée, sous la pression des Britanniques, à la suite des affrontements fratricides entre Français et Français libres en Syrie en juin 1941.
Parlons maintenant des pays alors sous influence britannique. La propagande de l'Axe destinée aux Arabes, parallèle à la progression initiale de l'Afrika Korps vers l'Égypte, a-t-elle eu un écho important auprès des intéressés ? Ceux que cette propagande séduisait l'étaient-ils par calcul politique (trouver un allié pour se débarrasser des Anglais ou des Français) ou, dans certains cas, par affinité idéologique ?
L'Égypte occupe une position majeure pour l'empire britannique en raison de l'importance vitale du canal de Suez pour la route des Indes mais les Italiens ne parviennent pas à s'en saisir malgré leurs efforts. Dans les milieux nationalistes égyptiens, les Britanniques sont considérés comme la puissance coloniale à chasser en priorité mais ils peinent à contrôler l'entourage du roi Farouk, suspecté d'entretenir des contacts avec les Italiens et les Allemands.
Au Caire, s'est constitué un Comité France libre actif dans le soutien au général de Gaulle tandis que les propagandes fascistes et nazies exaltent le sentiment national égyptien. Les forces alliées, soit près d'un demi-million d'hommes, stationnées dans le pays sont accusées d'épuiser les réserves du pays d'autant que la population fait l'objet de multiples vexations de la part des militaires britanniques. La question nationale devient, après l'accession du parti Wafd au pouvoir, l'enjeu essentiel de l'après-guerre.
On dit souvent que, à partir de la fin de la guerre, Londres a été plus pragmatique, plus réaliste et plus souple que Paris à l'égard des revendications nationales et a accepté plus facilement l'indépendance des pays qu'elle contrôlait. Est-ce exact ?
L'empire britannique n'a pas connu l'effondrement de l'empire français, notamment quand l'Indochine, après le coup de force du 9 mars 1945, passe entre les mains des Japonais qui s'emparent des leviers du pouvoir sous prétexte de défendre le territoire contre un débarquement américain. Sur les ondes de Radio-Saigon, la fin de la colonisation française est déclarée tandis que le gouverneur général et des officiers sont en captivité jusqu'à la capitulation du 12 août 1945. Des manifestations d'indépendance, mêlées de déclarations d'hostilité à la puissance française, sont organisées à l'été 1945 sur fond de pillage, de sabotage et de grèves. Sous contrôle japonais, le 11 mars 1945, l'indépendance des trois monarchies de l'Indochine est déclarée, laissant à Hô Chi Minh l'opportunité d'agir dans un pays affaibli, en proie à la délinquance et à la famine.
La propagande française antijaponaise annonce au contraire le retour de la présence française tandis que la propagande alliée promet l'indépendance aux Vietnamiens en cas de victoire contre l'Axe. L'empire français s'engage dans un continuum de guerres de décolonisation. Dans un monde qui entre, immédiatement et sans transition, dans la guerre froide, la France n'a pas anticipé une décolonisation inéluctable tandis que les Britanniques ont été plus conscients de la modification des équilibres, à grande échelle, héritée de la guerre et dictée par l'évolution des rapports de force internes au sein du camp allié.
Ourdia Ziat Dulong, Jean-Luc Mélenchon et Manon Aubry
Ourdia Ziat Dulong ouvre la porte. Elle m’accueille chez elle, à Clamart. Enfin. Ça fait des mois que j’attends ce moment. Elle a eu des problèmes de santé, on a dû repousser plusieurs fois. L’humilité aussi, la pudeur, j’ai dû batailler pour la faire parler d’elle. L’idée est venue à Valence, le dernier jour des AMFIS, les universités d’été de la France insoumise.
Les équipes sont en train de ranger le site. Michel, comme à son habitude, charge le camion, toujours de bonne humeur. Au fond du site, à côté des grandes bennes, alors qu’on est en train de démembrer des grands cartons, Ourdia s’assied à côté de moi. Elle commence à me raconter. C’est là que je me suis dit qu’il fallait que je laisse une trace de tout ça.
Passé la porte, on arrive dans un salon rempli de bouquins. Et là, à peine assis, elle me tend la photo. « J’ai perdu un frère qui avait 18 ans, on ne s’en est jamais remis d’ailleurs ». Elle pose la photo face à moi. Un visage d’enfant. Son frère aîné a été tué par l’armée française pendant la guerre d’Algérie. Il a été pris par la légion étrangère en 1958. Ils ne l’ont jamais revu. « Il a été tué ». Disparu jusqu’à aujourd’hui. Ça me rappelle l’entretien avec Christian Rodriguez, débuté de la même façon : par le récit de la disparition de son cousin, arraché par l’armée de Pinochet, racine de son engagement. Ourdia a déjà lancé l’entretien, c’est parti.
Une mère qui lit tout sur la Révolution russe
Ourdia Ziat Dulong ouvre les yeux en 1941 à Boufarik, dans la plaine de la Mitidja, en Algérie. « La ville des orangers ». Un père facteur, une mère femme d’intérieur. « Pas une famille militante ». Mais son père prenait son vélo pour aller écouter les discours de Messali Hadj, fondateur du parti du peuple algérien (PPA) et du Mouvement pour le triomphe des libertés démocratiques (MTLD). Dès 1926, Messali Hadj milite pour l’indépendance de toute l’Afrique du nord. Ourdia va être « biberonnée » à ses discours.
Sa mère lit beaucoup. Elle lit tout sur la Révolution russe. Elle lit tout : Simone de Beauvoir et Jules Verne, Dostoievski et bien d’autres auteurs. À l’époque, la majorité des enfants algériens ne vont pas à l’école. Et comme elle vit avec des belles-sœurs illettrées, elle leur raconte les histoires. « Ma mère, c’était quelque chose ». Sa belle-sœur lui disait d’aller faire la sieste, car elle savait qu’elle lisait à ce moment-là. Et au moment où elles cuisinaient, toutes autour de la table, elle leur racontait la Révolution russe (les frères Karamazov, Autant en emporte le Vent etc). Ourdia rigole. « Ça te marque, tu vois comment on est construit dans la famille ».
Un frère aîné arraché par la guerre d’Algérie
Ourdia a trois frères et une sœur, leur frère aîné a donc disparu le 18 septembre 1958, « un peu le même cas que Maurice Audin ». Ourdia est d’ailleurs membre de l’association Maurice Audin. Pour ses proches et pour de nombreux historiens, notamment Pierre Vidal-Naquet, ce jeune militant pour l’indépendance algérienne a été tué au couteau pendant son interrogatoire par des parachutistes français. La responsabilité de la France a été reconnue officiellement par François Hollande en 2014. Le frère d’Ourdia allait avoir 18 ans.
Son oncle a pris le maquis, à la tête d’une branche de l’Armée de libération nationale (ALN). Un autre oncle a disparu en 1958. « Du côté de ma mère, c’est des révolutionnaires ». Un de ses oncles, Tayeb, emmenait la petite Ourdia, 3 ans, dans les bars de ses amis, la posait sur le comptoir et lui apprenait des chants révolutionnaires. Ourdia entonne un de ces chants.
En 1953, son père est muté à Bouharoun, petit village de pêcheurs, où il est le seul facteur. Il est arrêté et emmené à la célèbre villa Susini, lieu de torture. « Jean-Marie Le Pen œuvrait dans cette villa ». Après 8 jours de torture, son père reçoit un arrêté d’expulsion. Direction Chaumes-en-Brie, en Seine-et-Marne. Pour être facteur toujours. On est en 1958. La famille reste pour essayer de retrouver son frère. Ils font toutes les casernes.
1959, Ourdia Ziat Dulong arrive en France
En 1959, Ourdia et la petite famille débarquent à Marseille. Le père les attend sur le quai du port. Elle se rappelle encore du bateau, Le Sidi Mabrouk, un bateau mixte, marchandises et passagers. Tout le monde vomissait par-dessus bord. Ourdia rigole. « Quelle traversée, je me souviens ». La famille part à Chaumes-en-Brie, Ourdia reste quelque temps à Paris, chez une tante qui vit avenue des Gobelins. Elle a 18 ans. Elle trouve un travail chez un grand couturier qui habille des princes de Yougoslavie, des speakerines de télé. Son père vient la chercher car il lui a trouvé du travail à Chaumes-en-Brie. Ourdia travaille dans un atelier de couture industrielle, elle fait des gaines et des soutiens-gorge.
Ourdia va se marier avec un cousin. Arrêté en 1957, torturé, pendu par les bras, le ventre brûlé à la cigarette, le nez cassé, il va passer trois ans dans différents camps. En 1960, il est libéré et envoyé à Tours pour faire son service militaire. Il vient passer ses permissions dans la famille d’Ourdia en Seine-et-Marne. Son père va écrire au père d’Ourdia pour demander sa main. Le futur père de ses enfants va raconter la torture à Ourdia. Un jeune juif de son camp, celui de Paul-Cazelles à Ain Ousseras, a été torturé à mort tellement fort, que sa chemise restera collée à son corps. Le responsable du camp coupe la peau des tibias et y met du gros sel. Des histoires qui l’ont marquée.
Mariage début 1962. En novembre, naissance de son fils. Le taxi qui les emmène à l’Hôpital est conduit par un pied-noir d’Algérie, il ne connaît pas la route, pas de GPS à l’époque. De Villiers-Le-Bel à l’hôpital Saint-Antoine, c’est Ourdia, enceinte, qui lui indique le chemin. « Vous n’allez quand même pas accoucher dans mon taxi ». Elle rigole.
Sciences Politiques à l’Université d’Alger
Puis c’est le retour pour 17 ans en Algérie, de 1964 à 1982. Ourdia va bosser chez Mobil Oil nationalisée en 1967 et intégrée à la Société nationale de Pétrole. En parallèle, elle prend des cours par correspondance au CNED. Elle passe le brevet de technicienne supérieure en candidate libre. Elle le décroche. Mise en disponibilité, direction Sciences Politiques à l’Université d’Alger. Deux années de DESS, de 1972 à 1974.
Histoire des idées politiques, économie politique, des cours sur l’agriculture, etc. « C’est là que j’ai retenu la phrase de Marx : le capitalisme épuise l’homme et la nature ». Déjà à l’époque. Un mixte de professeurs algériens et français, les sociologues et économistes sont algériens, les autres sont français. Ourdia travaille à mi-temps, elle est traductrice pour une société américaine d’assistance technique dans le domaine minier et pétrolier, pour financer ses études. « Par curiosité intellectuelle, j’ai tiré un peu de ma mère ».
Ourdia aide autour d’elle, « beaucoup de social sans militer dans aucun parti, dans aucun syndicat »
Pendant toute cette période, Ourdia milite à titre personnel. Elle aide autour d’elle. Elle monte des dossiers retraites. Elle se souvient d’une vieille dame de 80 ans. Elle a travaillé toute sa vie, elle ne se souvient même plus de tous ses boulots, Ourdia reconstitue. Un jour, elle reçoit un courrier. Ourdia lui lit le montant qu’elle va recevoir chaque mois pour sa retraite. La dame n’y croit pas. Rien que pour voir cette réaction, ça vaut le coup de militer. Pendant longtemps, Ourdia va faire « beaucoup de social sans militer dans aucun parti, dans aucun syndicat ».
À l’université, Ourdia aide autour d’elle. « Tellement de gens à aider ». Pendant les 130 années de l’occupation française en Algérie, une seule université dans le pays : la fac d’Alger. Beaucoup d’étudiants viennent donc de loin, isolés. Ourdia trouve une étudiante toute pâle, elle vient de l’est de l’Algérie, elle ne mange pas. Un autre étudiant pareil. Ourdia les emmène avec elle et leur paye des sandwichs. « Il fallait aider, tu vois des femmes âgées qui continuent à bosser qui n’ont pas de retraite, tu vois des étudiants qui ne bouffent pas, des travailleurs qui ne savent pas monter un dossier, tu aides. Pas besoin d’être dans un parti ».
Après 17 ans en Algérie, retour en France en 1982. Avec deux enfants, en plus de son fils né à l’hôpital Saint-Antoine, sa fille est née entre temps, en 1968 à Alger. « J’ai tout laissé tomber, je n’étais pas contente de la politique menée en Algérie ». Retour rue Cujas, rue de la Sorbonne. Ourdia travaille dans une société de trading pétrolier. Allers-retours entre Paris et Genève. Ourdia va beaucoup voyager. Elle devait partir au Gabon avec ses enfants, mais le contrat n’est pas signé. « Je me suis retrouvée le bec dans l’eau ». Elle commence à faire de l’intérim. Puis devient cadre administrative dans la sous-traitance pétrolière et la maintenance nucléaire.
La curiosité intellectuelle toujours, la rencontre avec Aubert, les premières manifs
Elle prend des cours de droit au CNAM en parallèle, toujours par curiosité intellectuelle. Ourdia va à des conférences. Elle va écouter Susan George, militante altermondialiste présidente d’honneur d’ATTAC, Samir Amin, célèbre économiste marxiste égyptien, Mohammed Harbi, historien de Paris 8, spécialiste de la guerre d’Algérie… Ourdia se nourrit intellectuellement.
Elle va faire une rencontre. « C’était un gars qui a vu que j’étais présente à toutes les conférences. Il était divorcé. Il m’a couru après pendant une dizaine d’années ». Nouveau grand rire chaleureux. Le rire d’Ourdia, feu de cheminée qui réchauffe le cœur direct. Son mari, resté en Algérie, décide du divorce. Ourdia n’a pas envie de se réengager, il y a les enfants. Mais après des années où ce grand romantique continue à lui courir après, et alors que ses enfants partent de la maison, que Ourdia devient grand-mère d’un petit Luxembourgeois, le fameux Aubert arrive à son rêve. Il convainc même Ourdia de venir s’installer chez lui.
« Je suis passée de la butte Montmartre à la butte aux cailles ». Rires. L’heureux élu, expert auprès de l’Unesco, est de gauche. « Alors que dans sa famille, tous de droite, il y en a qui votent FN, que des culs bénis ». Aubert vient d’une famille de marquis et de marquises, ce qui ne va pas l’empêcher de militer pour le FLN. Rappel salutaire pour lecteurs ou lectrices complexés par des origines bourgeoises : il y en a beaucoup à gauche, rappelez-vous bien les origines sociales de Robespierre, Marx et Jaurès, de familles d’avocats. Pas de complexe à avoir ! Le plus important, ce n’est pas d’où l’on vient, mais c’est ce que l’on en fait !
Aubert emmène Ourdia en manif. Les retraites, CPE, marche pour la paix… « Je le suivais dans toutes les manifs ». Je lui demande si, au début, elle est allée en manif par amour ? Grand rire. « On a fait toutes les manifs. Et puis quand il est parti, j’ai continué à aller dans les manifs ».
La fête de l’Humanité 2011, le début d’une aventure extraordinaire
Arrive une autre grande rencontre. Chaque année, Ourdia va à la fête de l’Huma en amoureux. Après la mort d’Aubert en 2002, Ourdia continue à y aller toute seule. En 2011, elle marche dans une des allées à côté de l’Agora. « J’entends une voix, je me suis arrêtée parce que je me suis dit : tiens c’est un discours qui répond en partie à mes aspirations ». Ourdia debout, écoute le discours. Elle arrête quelqu’un. Elle lui demande qui parle. C’est Jean-Luc Mélenchon. Elle ne connaît pas du tout. Elle rentre.
Quelques temps après, à la télé, elle entend qu’il a trouvé un local aux Lilas. Elle va alors à Porte des Lilas, elle demande à la mairie où se trouve le local de Jean-Luc Mélenchon. « À partir de là, j’ai mis le pied dedans et je ne suis plus ressorti ». Le virus est contracté, le début d’une aventure extraordinaire.
L’engagement politique d’Ourdia, au sens dans un mouvement politique, car elle a milité toute sa vie, arrive donc à 70 ans
L’engagement politique d’Ourdia, au sens dans un parti politique, car elle a milité toute sa vie, arrive donc à 70 ans. Elle va d’abord faire des colis jusqu’à 29 kilos. Ensuite Bastien Lachaud lui descend des grands paquets de courriers. La première lettre : 5 euros dans l’enveloppe, une mère seule, au chômage, qui remercie pour l’espoir apporté. Des lettres de vieux militants communistes qui militent depuis des décennies au sein du PCF « on avait perdu l’espoir, maintenant vous nous le redonnez ».
Un jour, elle reçoit un chèque, avec un post-it avec écrit dessus : « vite, je vais avoir 86 ans ! ». Éclat de rire. Un engagement politique à 70 ans donc, avant Ourdia n’avait pas confiance. « Jusque-là, je ne voulais pas être syndiquée, j’étais méfiante, car j’ai vu les syndicats vendus en Algérie, je me suis dit tous les syndicats, c’est pareil, c’est comme les partis politiques ».
La campagne de 2012, « on a fait des choses extraordinaires, extraordinaires »
Au départ, Ourdia ne veut pas adhérer. Au bout de quelques mois, elle va dans le bureau de Leïla Chaibi et de Danièle Obono, et elle demande à adhérer au Front de gauche. Leïla lui répond qu’elle doit adhérer à une de ses composantes. « Jean-Luc était au Parti de Gauche [PG], j’ai adhéré au PG ». On est en 2012, lors de la première campagne présidentielle de Jean-Luc Mélenchon.
Ourdia va faire tous les déplacements : Lille, Grenoble, Toulouse, Marseille, Bordeaux etc. À cheval entre le matériel et la logistique. « J’ai été adoptée par les deux Michel, Jean, Dominique, Haydée, Fanfan, Isabelle, Tonton, je faisais partie de l’équipe. On a fait des choses extraordinaires, extraordinaires ». Sa façon de prononcer « extraordinaire », son ton et l’éclair dans ses yeux à ce moment-là, en disent long sur la beauté de l’aventure.
Le début d’une grande histoire d’amitié avec Michel Hernando, autre portrait de ce livre. Ourdia va aider là où il y a besoin d’aide. « J’étais une petite main, on a fait des grands repas, j’aidais Michel à faire la cuisine, on tenait la buvette, Haydée faisait des gâteaux à la maison, elle les apportait, après chaque réunion du PG, on préparait un grand déjeuner, je faisais le ménage du local, on a fait un tas de trucs, des expositions sur l’Algérie, Péna-Ruiz est venu faire une conférence sur Marx, on a organisé une conférence sur la Palestine co-organisée avec le PC, j’ai rencontré Jean, tu sais qui c’est Jean ? Il est en train de faire la sieste à côté, je l’héberge depuis des années ».
L’humain d’abord, une aventure militante d’abord humaine, faite d’amitiés, de liens vrais, forts, d’un collectif soudé, presque familial tant le temps passé ensemble est important, tant les aventures, les déplacements vécus ensemble, forgent des amitiés pour la vie.
2012 : Ourdia fait la campagne législative de François Delapierre, Jean-Luc Mélenchon sur les terres de Marine Le Pen à Hénin-Beaumont
On est en 2012. Jean-Luc Mélenchon amène la gauche de rupture avec le capitalisme de 2% à 11%. Un premier sacré exploit. Fin 2013, passage du local des Lilas, au fameux 43 rue de Dunkerque, à côté de la gare du Nord à Paris. C’est là que j’ai rencontré Ourdia. Au départ, pas grand monde. Ils s’installent en haut, Michel construit le siège en bas. Il bâtit les cloisons, il crée les bureaux, la fameuse cuisine, un artiste. Il est aidé par Michel Laboudigue, son comparse de toujours (photo des deux hommes ci-dessous).
Le fameux duo des deux Michel. On se remémore le triangle rouge qu’ils ont hissé au sommet de Hénin-Beaumont, lors de la campagne législative de Jean-Luc Mélenchon, sur les terres de Marine Le Pen.
Ourdia participe à la campagne législative de François Delapierre. « Ils ont des noms, ils ont des adresses », c’est sa formulation qui a inspiré la série de portraits de l’insoumission.fr pour montrer les assistés d’en haut, les responsables de la catastrophe, les invisibles d’en haut qu’on ne voit jamais. Après les législatives, Ourdia « réintègre les pénates du 43 » (le siège, au 43 rue de Dunkerque).
L’accueil téléphonique au 43 rue de Dunkerque
Ourdia s’installe à Clamart, en mai 2014. Elle commence à militer localement, avec toute la famille Heurtier. Au 43, lorsque le téléphone a été installé pour créer un accueil téléphonique, elle suggère à Michel de recommander Haydée, « qui s’exprime très bien », pour répondre aux coups de fils. Pour y avoir assisté au 43, Haydée est en effet impressionnante : elle a une capacité d’écoute, de diplomatie, et de connaissances sur les différents sujets, sur l’actualité, pour répondre aux attaques, polémiques, sur le fond, sur le programme, incollable. Bluffante. Un incroyable talent auquel il faut ici rendre hommage.
Nombreux sont ceux qui savent parler, rare sont ceux qui savent écouter pour convaincre. Haydée est de cette trempe là. Ourdia aussi. Elles tiennent l’accueil, elles tiennent la tranchée, même dans la tempête. « C’est une expérience fantastique dans le militantisme ».
14 février 2016 : création de La France insoumise, le 27 février 2016, Ourdia crée le premier groupe d’action Les insoumis de Clamart
13 février 2016. Réunion dans les locaux du PG, rue Doudeauville dans le 18ème. Sont présents : les deux Michel, Haydée, Georges et son épouse, Henri, un couple de jeunes et Ourdia bien sûr. La petite dizaine de personnes prépare un kit militant qui devait être distribué le lendemain au théâtre Déjazet, à côté de la place de la République à Paris. Jean-Luc Mélenchon va prononcer un discours et y annoncer la création de La France insoumise, le 14 février 2016.
Le 27 février, Ourdia crée le premier groupe d’action Les insoumis de Clamart. Au début, les réunions se tiennent ici, dans le salon d’Ourdia. Sont présents quatre personnes : Jean-François et son fils Victor, Claude, et Ourdia. Madeleine, Philippe, Brigitte viennent grossir les rangs. Quand le groupe dépasse la dizaine, le salon devient trop petit, direction le Kebab juste en-dessous pour faire les réunions.
C’est le tout début de la France insoumise. « J’ai toujours été insoumise avant ». Depuis ses trois ans, et les chants révolutionnaires sur les épaules de son oncle. Rires. « C’est une vie assez dense ». Ourdia se lève et me propose un café. Ça fait déjà plus d’une heure qu’on parle. « Je voulais t’appeler pour que tu me ramènes des tracts, parce qu’on a une casserolade demain ». Ourdia a déjà fait les deux premières casserolades devant la mairie, pour réinventer la protestation contre la retraite à 64 ans. Quand je l’ai eue au téléphone, elle se disait trop fatiguée pour l’entretien, pour parler d’elle, mais pas assez pour rater une action militante : Ourdia dans toute sa splendeur. Elle amène le café. Elle remarque que j’ai arrêté de fumer. Elle se souvenait, fine observatrice. Elle regarde mon livre sur Marat posé sur la table, le traite d’« enragé » et rigole.
Une sacrée bibliothèque
Sa bibliothèque est impressionnante. Elle m’autorise à regarder. Des rayons entiers de bouquins d’Histoire sur la guerre d’Algérie et sur l’Afrique du Nord, marxisme et monde musulman, islam et capitalisme. De la littérature, beaucoup. De l’économie. De la philo. Et bien sûr, un rayon entier de livres d’un certain Jean-Luc Mélenchon. Je vois un gros livre de Trotski. Sa bibliothèque est un peu orientée. On rigole.
Ourdia me parle d’Ibn Khaldoun. « C’est l’inventeur de la sociologie moderne, il a inventé la sociologie avant Marx ». 14ème siècle. Bien avant Durkheim, Weber et Pierre Bourdieu. On prend une photo avec le livre. Elle me demande d’en parler à Jean-Luc. Elle me montre Histoire des Berbères, d’Ibn Khaldoun. Elle me montre l’ouvrage de son oncle, commandant de l’ALN, la branche armée du FLN, sur l’indépendance de l’Algérie.
Son petit-fils pose plein de questions aussi. Elle lui transmet le maximum. « C’est un Luxembourgeois, mais il s’intéresse vraiment ». On rigole. 18 messages sur la boucle Telegram de Clamart insoumis en une heure. Je n’ose même pas ouvrir mon Telegram. Être noyé sous les messages Telegram, c’est notre quotidien. L’application cryptée est devenue bien plus qu’un outil de communication, l’outil principal de travail et d’organisation militante, ouvert très tôt le matin et fermé très tard le soir. Le nombre d’heures passées sur Telegram chaque jour devrait nous faire frémir. Ourdia ferme l’application, elle regardera plus tard.
La transmission à son petit fils, Léon
On reprend le fil de l’entretien, loin de la bulle Telegram. Elle me raconte une histoire de la vraie vie. Sur Léon, son petit-fils. Il a l’air de beaucoup compter. Il s’intéresse beaucoup à sa grand-mère. Elle lui transmet beaucoup, sur l’Histoire de l’Algérie notamment. Il a tenu à y aller avec elle. Le jour où il arrive à l’aéroport, il est arrêté par les douaniers. Tout le monde est sorti, mais pas lui. « Mais qu’est-ce qu’il vient faire ce blondinet qui s’appelle Léon ». Grand rire. Il porte le nom du fils d’Ourdia. Le nom d’un islamiste qui a été recherché internationalement et qui n’a jamais été retrouvé.
Ourdia va se faire couler un café. C’est 16h30, l’heure du goûter. « La prochaine fois que tu viendras, je te recevrai mieux ». Je vois une caisse de grève posée à côté de la fenêtre. On parle de la retraite.
« L’usine », le siège de la campagne de 2012, le Front de gauche : « La meilleure période, c’est pas la peine »
Son plus beau souvenir militant ? La période de « l’usine », le siège de la campagne de 2012, l’époque Front de gauche. « La meilleure période, c’est pas la peine. L’ambiance, tout ce qu’on a organisé ». Ourdia sort le bouquin Les 70 ans de LVMH, en hommage à Michel Hernando. Un coffre au trésor. On regarde les photos (voir ci-dessous). On voit un bonnet phrygien. Ça me rappelle ce que Ourdia m’avait dit aux AMFIS sur la perte de la transmission de la mémoire militante. Elle y avait croisé plusieurs jeunes militantes qui ne connaissaient pas la signification du bonnet phrygien, du triangle rouge et du Phi.
Le bonnet phrygien date de l’Antiquité grecque, il était porté par les esclaves libérés pour indiquer qu’ils étaient des hommes libres. Le triangle rouge symbolise la lutte pour la réduction du temps de travail, le plus vieux combat du mouvement ouvrier, les trois 8 : 8 heures de travail, 8 heures de congés, 8 heures de loisirs. Les nazis le faisaient porter aux communistes dans les camps. Le Phi symbolise l’harmonie entre l’Homme et la Nature. Ourdia insiste sur la transmission. Laisser une trace de la mémoire militante : le but de ce livre.
On continue à tourner les pages. Des photos d’Ourdia en Gilet jaune. Elle a fait 16 actes. Elle a été gazée à plusieurs reprises. Elle me raconte la réaction des autres Gilets Jaunes : « Regardez, la police a gazé une vieille dame ». Elle sourit en y repensant. Un chapitre majuscule de l’Histoire populaire de la France, une période d’effervescence militante, révolutionnaire, d’invention de nouvelles formes de mobilisations, beaucoup plus mobiles, beaucoup plus stimulantes que les manifestations saute-moutons Bastille / Nation, beaucoup plus dérangeantes pour le pouvoir. Des formes de mobilisations qui se retrouvent en partie actuellement dans les manifestations spontanées en soirées contre la retraite à 64 ans.
Nouvelle photo : le cercueil de la 5ème République. Tellement actuel. On voit François Delapierre sur une photo. Une autre montrant Michel avec des gigantesques ciseaux devant l’Hôtel de ville de Paris, contre la coupe dans les budgets de la ville. « J’étais toujours avec Michel quand il fallait fabriquer quelque chose ». Toujours dans les bons coups.
Nouvelle photo : le meeting sur la péniche, en 2017. Une idée de Michel Hernando, calée entre un meeting à Lyon et le fameux meeting multi-hologrammes. Ourdia va faire les courses à Métro avec Michel, avec un grand chariot. Michel ouvre l’arrière du camion. Le chariot emporte Ourdia. Elle se casse le plateau tibial. Direction l’Hôpital. La France insoumise y envoie la voiture de campagne de Jean-Luc Mélenchon. « Ils sont venus me sortir de la clinique pour m’amener sur la péniche ». Elle se rappelle. « Jean-Luc est venu me voir : alors ma grande ? Comment ça va ? ». On voit toute l’équipe sur la péniche, Ourdia au premier plan, la jambe dans le plâtre.
Autre photo : le 31 juillet, devant la plaque mémorielle de Jean Jaurès avec Michel, tout un symbole. « On a reçu tous les révoltés de la terre à l’usine ».
Un autre souvenir que Ourdia m’avait raconté cet été aux AMFIS sur Robespierre revient, le livre d’Alexis Corbière et Laurent Maféis l’une des meilleures ventes (après les livres de JLM) de la Librairie Militante. C’est Ourdia qui a signalé à Laurent les fautes d’orthographe, l’emploi inapproprié du subjonctif, des coquilles, des fautes de frappe dans la première version. Au cours d’une visite de Jean-Luc Mélenchon place Jules Joffrin à Paris, Ourdia lui signale les erreurs en question. Jean-Luc Mélenchon lui demande dans quelle partie du livre. Dans les deux.
Elle rigole, puis salue le livre, œuvre de salubrité publique pour démonter tous les mensonges mis sur le dos de Robespierre par les thermidoriens, faisant de celui qui a combattu la peine de mort en pleine révolution, un monstre responsable des totalitarismes du siècle suivant. Heureusement, depuis, nombre d’historiens sont venus déconstruire le mythe.
Même à l’Hôpital, Ourdia va distribuer le programme, l’Avenir en commun, que lui ont apporté les camarades . Elle va convaincre des infirmiers et infirmières. Sa chambre était devenue « une succursale de la France insoumise à l’Hôpital ». Elle rigole. Un infirmier vient la voir le matin en chantant « Vive Mélenchon ! ».
Ourdia insiste sur la période de l’usine. En 2012, que des bénévoles, moins de professionnels de la politiques. Ourdia souligne qu’au nouveau siège de La France insoumise, certains ne disent plus bonjour. Elle insiste sur l’importance du collectif. L’aventure militante est « extraordinaire ». Ourdia Ziat Dulong est là pour en témoigner. Ce livre est là pour laisser une trace de ces vies extraordinaires, de la mémoire insoumise.
Dans son nouvel ouvrage, Michel Pierre s’attarde sur une passionnante histoire de l’Algérie, ample et documentée.
Voici le livre qu’on attendait : une histoire informée et vivante, sans barbouille idéologique ni complaisance mémorielle, de cette Algérie qui n’en finit pas de vivre avec nous dans l’attraction-répulsion, en espérant se trouver elle-même. Michel Pierre a passé naguère près de dix ans là-bas comme attaché culturel puis conseiller de coopération. Il y a vu le pire et le meilleur, en ouvrant grand ses yeux d’historien et d’ami des arts. Depuis, il n’a pas cessé d’étudier la violence coloniale et carcérale, au bagne de Guyane, au Sahara et ailleurs. Et au fil de ses recherches il n’a jamais été faussement péremptoire. Il le prouve encore dans ce récit plein d’un vibrato humain qui fait les vrais bons livres. Voici, dit-il, un pays qui « apparaît comme une sorte de vitrail aux verres colorés mal reliés par leurs liens de plomb. Tensions et contradictions sont en permanence à l’œuvre pour le faire éclater au moment où on le croit solide ».
Les premiers chapitres bourrés de joyeuses références archéologiques décrivent ces tensions. Quelle qu’ait été la richesse de la préhistoire côtière et saharienne là-bas, les autorités algériennes n’en tirent aujourd’hui qu’une leçon : « l’homme de Tighennif » a été le premier déporté politique et par conséquent elles nationalisent sa mandibule. En fait, quelle qu’ait été ensuite la puissance militaire et maritime, impériale et dynastique de Carthage, de Rome, de Byzance, du christianisme d’Augustin, des Berbères, des Arabes et de l’islam, des Almoravides, des Almohades ou des Andalous, aucune identité algérienne n’a pu s’imposer. Et c’est peu dire qu’à partir du XVIe siècle la régence ottomane des deys, avec ses pirates, ses janissaires et ses chrétiens capturés n’a rien unifié.
« Nouvelle indépendance »
Au cœur du livre, trois cents pages incisives détaillent les années 1830-1962 d’une présence française chaotique. Prise d’Alger en 1830, suivie par « le glaive et la charrue » et les « enfunades » de Bugeaud, par l’insurrection et la soumission de la Kabylie, l’administration coloniale et le peuplement européen facteurs de tant d’illusions, puis l’impasse sous la IVe République quand « la barque ne tient plus la mer ». Jusqu’aux « guerres en Algérie » : celle des « rebelles » devenus les vrais enfants et vrais martyrs d’une Patrie sous contrôle de l’Armée de libération et du FLN ; celle, française, de la « pacification » impossible, des putschs militaires et de l’envoi du contingent, des « jours de folie et de sang » de l’OAS, des Européens et des harkis condamnés à l’exil malgré les accords d’Évian.
Michel Pierre donne enfin plus de deux cents pages pionnières où il prend la juste mesure de tant d’espoirs qui n’ont pas survécu à l’enthousiasme de l’indépendance, après notamment la nouvelle tragédie nationale des dix ans de lutte contre les islamistes puis l’épuisement du « printemps arabe », sur fond aujourd’hui d’islam à la hausse, de passé affabulé dicté par le pouvoir, de rente pétrolière qui ne prête qu’aux riches et de « dégoûtage » généralisé, notamment chez les jeunes. Oui, conclut-il, l’Algérie doit chercher « une nouvelle indépendance, loin d’un conservatisme social qui l’étouffe, d’un sentiment obsidional qui la mine et d’un poids de l’Histoire qui l’entrave ».
Victor Hugo n’a pas hésité à exprimer son enthousiasme pour la colonisation. D. R.
En histoire, quelques récits et témoignages directs légués par les principaux acteurs impliqués dans les événements rapportés par leurs écrits recèlent plus de «trésors historiques» et d’objectivité scientifique que des centaines de livres rédigés postérieurement par des historiens idéologiquement marqués, sur le fondement de la seule lecture d’ouvrages aux paradigmes politiquement orientés, publiés par d’autres historiens assermentés soumis à l’orthodoxie académique étatique. Autrement dit, par les mêmes mandarins universitaires au cerveau ankylosé à force d’étroitesse paradigmatique et de vacuité méthodologique, auteurs de contes de fées historiques, non de faits historiques.
Qui mieux que les témoins oculaires ou les observateurs contemporains des tragédies pour éclairer l’histoire avec leur documentation composée sur le vif, à l’instar du reporter de guerre contemporain qui immortalise les événements avec sa caméra ?
La colonisation de l’Algérie a conservé de nombreux précieux documents historiques rédigés par les acteurs de la conquête, les premiers colons, militaires, médecins, penseurs français. Quelques extraits des correspondances et mémoires des acteurs de la première phase de la colonisation suffisent à mesurer l’ampleur des massacres, à discerner la volonté des autorités coloniales françaises d’exterminer la population algérienne, à corroborer la culpabilité de la France génocidaire devant le Tribunal de l’Humanité. Ainsi, ces témoignages attestent de l’étendue des crimes génocidaires commis par les conquérants français, des opérations exterminatrices de la puissance coloniale. Ces différents récits démontrent que, face à la résistance du peuple algérien, l’extermination et la déportation étaient constamment préconisées par l’ensemble des conquérants, notamment par certains penseurs de métropole.
Dès le début de la conquête, le caractère génocidaire de la colonisation est admis et justifié par l’ensemble des occupants, en particulier le boucher Bugeaud : «Il n’y a pas d’autres moyens d’atteindre et de soumettre ce peuple extraordinaire.»
Loin d’être l’apanage des militaires, la volonté d’extermination des populations algériennes est également partagée par les colons «civils», les fameux pieds-noirs aux mains rouges de sang. Pour ces colons français, les indigènes ne sont pas considérés comme des êtres humains. Au cours de toute la période de colonisation (1830-1962), les «indigènes» algériens furent victimes d’exactions, d’expropriation, de spoliation, d’oppression, d’exploitation, de viols collectifs, de tortures systématiques, d’internement dans des camps de concentration, d’acculturation, de ségrégation sociale et spatiale. En résumé, de politiques génocidaires physique sociale, économique, culturelle, civilisationnelle.
Ce faisant, dès les premières années de la conquête de l’Algérie, le caractère barbare du déroulement de la colonisation fut reconnu officiellement par une commission parlementaire française en 1834. A cet égard, la politique génocidaire de l’entreprise coloniale s’illustre par la baisse vertigineuse de la démographie. Au lendemain de la capitulation d’Abdelkader en 1847, sur une population algérienne estimée à 3 millions à la veille de la conquête française, il ne reste plus dans le pays que 2 millions d’habitants, soit une chute de plus 33%, décimés par les politiques génocidaires des autorités coloniales françaises, en particulier son armée à la tête de laquelle se hissaient la figure hideuse du maréchal Bugeaud et ses criminels acolytes Cavaignac, Pélissier, Armand de Saint-Arnaud, etc. A la tête de 100 000 hommes, ces militaires génocidaires pratiquèrent la politique de la terre brûlée.
Sans conteste, cette politique de la terre brûlée, en particulier les enfumades, constitue un crime contre l’humanité, en vertu des textes des tribunaux de Nuremberg et de Tokyo élaborés par les Alliés pour juger les criminels de l’Allemagne nazie et des autres pays de l’Axe. Autrement dit, du point de vue du droit international, à plus forte raison de la conscience morale universelle, la colonisation de l’Algérie par la France est un crime contre l’humanité. Pourtant, la France continue de bénéficier indécemment de l’impunité judiciaire. De l’immunité pénale. D’une exonération indemnitaire. Voire d’une amnistie historique : crime contre l’humanité ni vu ni connu. Donc jamais reconnu.
Laissons la parole aux acteurs et témoins directs de cette conquête génocidaire française de l’Algérie.
Comprendre la conquête génocidaire française de l’Algérie par les textes de ses protagonistes colonialistes
Dans la nuit du 6 au 7 avril 1832, la tribu des Ouffia est exterminée près d’El-Harrach par le gouvernement du duc de Rovigo. Voici ce qu’écrit Pellissier de Reynaud, officier et diplomate établi en Algérie au moment de la conquête génocidaire : «Tout ce qui vivait fut voué à la mort ; tout ce qui pouvait être pris fut enlevé, on ne fit aucune distinction d’âge, ni de sexe. Cependant, l’humanité d’un petit nombre d’officiers sauva quelques femmes et quelques enfants. En revenant de cette funeste expédition, plusieurs de nos cavaliers portaient des têtes au bout de leurs lances et une d’elles servie, dit-on, à un horrible festin.» Ainsi, comme leurs ancêtres les Francs en Palestine, lors des Croisades, les conquérants français s’adonnèrent au cannibalisme.
Le commandant Cavaignac, à la tête d’un régiment de zouaves au début des années 1840, est le premier militaire à inaugurer la méthode de tuerie par asphyxie, appelée les «enfumades», préfiguration des chambres à gaz du régime nazi. En effet, pourchassant des résistants réfugiés dans les grottes du Dahra, après l’échec des pourparlers, devant le refus de leur reddition, le commandant Cavaignac ordonne d’enfumer les grottes. Tous les membres de la tribu des Sbéhas, femmes, hommes et enfants, réfugiés à l’intérieur des grottes, meurent asphyxiés.
Relatant cette opération d’enfumage, son homologue le général Canrobert écrit : «On pétarada l’entrée de la grotte et on y accumula des fagots de broussailles. Le soir, le feu fut allumé. Le lendemain quelques Sbehas se présentèrent à l’entrée de la grotte, demandant l’amân (*) à nos postes avancés. Leurs compagnons, les femmes et les enfants étaient morts.»
Avec la généralisation des «enfumades» en 1845, le maréchal Bugeaud enjoint au colonel Pélissier d’user de cette méthode : «Si ces gredins se retirent dans leurs cavernes, imitez Cavaignac aux Sbehas. Fumez-les à outrance comme des renards.»
Chef d’état-major de la province d’Oran, le colonel Aimable Pélissier exécute les instructions de Bugeaud, en assiégeant un millier d’hommes, de femmes et d’enfants réfugiés dans des grottes du Dahra. Résultat : ils meurent asphyxiés à la suite des «enfumades». Face aux critiques soulevées par certains contre ces massacres, Pélissier rétorque froidement : «La peau d’un seul de mes tambours avait plus de prix que la vie de tous ces misérables.» Autrement dit, de tous les Algériens. Cette conception raciste et génocidaire, tous les Français, en particulier les colons, la partageaient jusqu’à 1962.
En fait de cruautés génocidaires perpétrées lors de la conquête d’Algérie, le lieutenant-colonel Armand de Saint-Arnaud se hisse en haut du podium. En juin 1844, dans une correspondance, Armand de Saint-Arnaud expose avec force détails ses méthodes en matière de guerre d’extermination : «Je ne laisserai pas un seul arbre debout dans leurs vergers, ni une tête sur les épaules de ces misérables Arabes… Ce sont les ordres que j’ai reçus du général Changarnier et ils seront ponctuellement exécutés. Je brûlerai tout, je les tuerai tous.» En août 1845, lors d’une opération d’encerclement des grottes où s’étaient réfugiés des troupes d’un des lieutenants de l’émir Abdelkader, entre Ténès et Mostaganem, Armand de Saint-Arnaud décide, après cinq jours de siège, d’emmurer les grottes. Dans une missive adressée à son frère, il relate ses exploits «holocaustaires» : «Alors je fais hermétiquement boucher toutes les issues et je fais un vaste cimetière. La terre couvrira à jamais les cadavres de ces fanatiques. Personne n’est descendu dans les cavernes ; personne… que moi ne sais qu’il y a là-dessous cinq cents brigands qui n’égorgeront plus les Français. Un rapport confidentiel a tout dit au maréchal simplement, sans poésie terrible, ni images.» Relatant les exactions commises par les troupes françaises dans leur guerre exterminatrice menée contre le peuple algérien, le colonel de Saint-Arnaud écrit : «Voilà la guerre d’Afrique ; on se fanatise à son tour et cela dégénère en une guerre d’extermination.» La vérité est ainsi précocement reconnue par les pionniers génocidaires colons français : la France mène une guerre d’extermination. Pourtant, leurs descendants, les dirigeants français, par racisme, refusent toujours de reconnaître ce crime contre l’humanité.
Gouverneur général de l’Algérie, Bugeaud légitime toutes les violences perpétrées par les conquérants français : «Il n’y a pas d’autres moyens d’atteindre et de soumettre ce peuple extraordinaire.»
Dans une lettre rédigée en janvier 1843 pour accélérer le projet d’expropriation et de spoliation, Bugeaud ordonne au général Louis Juchault de Lamoricière d’affamer les populations algériennes : «J’espère qu’après votre heureuse razzia le temps, quoique souvent mauvais, vous aura permis de pousser en avant et de tomber sur ces populations que vous avez si souvent mises en fuite et que vous finirez par détruire, sinon par la force du moins par la famine et les autres misères.»
A ses soldats, le gouverneur général de l’Algérie, Bugeaud, dans un document officiel, expose les moyens et les méthodes de la guerre d’extermination des populations algériennes décrétée par les autorités coloniales françaises : «Le but n’est pas de courir après les Arabes, ce qui est fort inutile, il est d’empêcher les Arabes de semer, de récolter, de pâturer […], de jouir de leurs champs […]. Allez tous les ans leur brûler leurs récoltes […] ou bien exterminez-les jusqu’au dernier.» Cette ligne politique génocidaire, le général Bugeaud la réaffirme lors de son discours prononcé en janvier 1845 devant la Chambre des députés : «J’entrerai dans vos montagnes, je brûlerai vos villages et vos moissons, je couperai vos arbres fruitiers, et alors ne vous en prenez qu’à vous seuls.»
Le témoignage d’un autre militaire nous éclaire sur les velléités exterminatrices des conquérants français. En effet, dans une de ses lettres, le lieutenant-colonel de Montagnac décrit ses projets «holocaustaires» : «Tous les bons militaires que j’ai l’honneur de commander sont prévenus par moi-même que, s’il leur arrive de m’amener un Arabe vivant, ils reçoivent une volée de coups de plat de sabre.» «Voilà, mon brave ami, comment il faut faire la guerre aux Arabes : tuer tous les hommes jusqu’à l’âge de quinze ans, prendre toutes les femmes et les enfants, en charger des bâtiments, les envoyer aux îles Marquises ou ailleurs ; en un mot, en finir, anéantir tout ce qui ne rampera pas à nos pieds comme des chiens.»
Outre les militaires, certains conquérants «civils», les fameux pieds-noirs, étaient des partisans du nettoyage ethnique. C’est le cas du docteur Bodichon qui témoigne de sa volonté d’exterminer la population algérienne par tous les moyens, notamment la privation alimentaire, en d’autres termes l’organisation de la famine. Il écrit en 1841 : «Sans violer les lois de la morale, nous pourrons combattre nos ennemis africains par la poudre et le fer joints à la famine, les divisions intestines, la guerre par l’eau-de-vie, la corruption et la désorganisation […] sans verser le sang, nous pourrons, chaque année, les décimer en nous attaquant à leurs moyens d’alimentation.»
Un autre médecin français, le docteur Ricoux, analysant l’évolution démographique de la population algérienne, cette «race inférieure et dégénérée» (sic), depuis le début de la colonisation, pour appuyer son constat de la chute dramatique de la démographie (l’Algérie a perdu entre 30 et 60% de sa population au cours des quarante-deux premières années [1830-72] de la colonisation française. Au total, 132 ans de colonisation française en Algérie [1830-1962] auraient fait, selon l’historien Mostafa Lacheraf, environ 6 millions de morts algériens) écrit : «A notre arrivée, en 1830, la population indigène était évaluée à 3 000 000 d’habitants. Les deux derniers recensements officiels, à peu près réguliers, donnent en 1866 : 2 652 072 habitants, et en 1872 : 2 125 051 ; le déchet en 42 ans a été de 874 949 habitants, soit une moyenne de 20 000 décès par an. Durant la période 1866-72, avec le typhus, la famine, l’insurrection, la diminution a été bien plus effrayante encore : en six ans, il y a eu disparition de 527 021 indigènes ; c’est une moyenne non de 20 000 décès annuel mais de 87 000 !» (…) «Un déchet aussi considérable (nous pouvons ajouter qu’il se reproduit régulièrement chaque année) suffit à démontrer […] que les indigènes […] sont menacés d’une disparition inévitable, prochaine.» L’Algérie a subi un véritable holocauste.
Les intellectuels ne sont pas en reste. Ils participent avec leur plume à la glorification de la colonisation de l’Algérie, à la légitimation des massacres de masse. On peut citer Alexis de Tocqueville, «chantre de la démocratie», Victor Hugo, célèbre écrivain humaniste et progressiste (sic). Le premier écrit en 1841 : «J’ai souvent entendu en France des hommes que je respecte, mais que je n’approuve pas, trouver mauvais qu’on brûlât les moissons, qu’on vidât les silos et enfin qu’on s’emparât des hommes sans armes, des femmes et des enfants. Ce sont là, suivant moi, des nécessités fâcheuses, mais auxquelles tout peuple qui voudra faire la guerre aux Arabes sera obligé de se soumettre.» «Je crois que le droit de la guerre nous autorise à ravager le pays et que nous devons le faire soit en détruisant les moissons à l’époque de la récolte, soit dans tous les temps en faisant de ces incursions rapides qu’on nomme razzias et qui ont pour objet de s’emparer des hommes ou des troupeaux.»
Quant à Victor Hugo, il n’hésite pas à exprimer son enthousiasme pour la colonisation décrite comme une mission civilisatrice. Il écrit dans son journal rapportant une discussion échangée avec le général Bugeaud : «Je crois que notre nouvelle conquête est chose heureuse et grande. C’est la civilisation qui marche sur la barbarie. C’est un peuple éclairé qui va trouver un peuple dans la nuit. Nous sommes les Grecs du monde, c’est à nous d’illuminer le monde. Notre mission s’accomplit, je ne chante qu’Hosanna. Vous pensez autrement que moi, c’est tout simple. Vous parlez en soldat, en homme d’action. Moi je parle en philosophe et en penseur.»
Durant presque un siècle et demi, la France a appliqué une politique génocidaire, perpétrée par les «émissaires de la Civilisation», ces janissaires de l’entreprise exterminatrice du peuple algérien.
L’ironie de l’histoire, c’est que la France coloniale avait entamé sa conquête par la terreur, avec ses conquérants terroristes, et a achevé son occupation territoriale par la terreur, avec l’OAS, organisation terroriste créée par Jean-Jacques Susini et Pierre Lagaillarde, rejoints par la suite par des militaires de haut rang, notamment Salan et Jouhaud, déterminés à renouer avec la politique de la terre brûlée de leurs ancêtres Bugeaud et ses acolytes. En effet, en l’espace de quelques mois, l’OAS, qui regroupait environ trois mille terroristes activistes anti-indépendantistes, a tué en Algérie au moins 2 200 personnes dans près de 13 000 explosions au plastic, 2 546 attentats individuels et 510 attentats collectifs. Actes qu’on pourrait qualifier de «crimes pogromistes».
K. M.
(*) Amân est un terme arabe (أمان, «sécurité, sérénité») utilisé pour désigner la garantie donnée à un adversaire qui se soumet d’avoir la vie sauve, d’être pardonné.
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