Ourdia Ziat Dulong, Jean-Luc Mélenchon et Manon Aubry
Ourdia Ziat Dulong ouvre la porte. Elle m’accueille chez elle, à Clamart. Enfin. Ça fait des mois que j’attends ce moment. Elle a eu des problèmes de santé, on a dû repousser plusieurs fois. L’humilité aussi, la pudeur, j’ai dû batailler pour la faire parler d’elle. L’idée est venue à Valence, le dernier jour des AMFIS, les universités d’été de la France insoumise.
Les équipes sont en train de ranger le site. Michel, comme à son habitude, charge le camion, toujours de bonne humeur. Au fond du site, à côté des grandes bennes, alors qu’on est en train de démembrer des grands cartons, Ourdia s’assied à côté de moi. Elle commence à me
raconter. C’est là que je me suis dit qu’il fallait que je laisse une trace de tout ça.
Passé la porte, on arrive dans un salon rempli de bouquins. Et là, à peine assis, elle me tend la photo. « J’ai perdu un frère qui avait 18 ans, on ne s’en est jamais remis d’ailleurs ». Elle pose la photo face à moi. Un visage d’enfant. Son frère aîné a été tué par l’armée française pendant la guerre d’Algérie. Il a été pris par la légion étrangère en 1958. Ils ne l’ont jamais revu. « Il a été tué ». Disparu jusqu’à aujourd’hui. Ça me rappelle l’entretien avec Christian Rodriguez, débuté de la même façon : par le récit de la disparition de son cousin, arraché par l’armée de Pinochet, racine de son engagement. Ourdia a déjà lancé l’entretien, c’est parti.
Une mère qui lit tout sur la Révolution russe
Ourdia Ziat Dulong ouvre les yeux en 1941 à Boufarik, dans la plaine de la Mitidja, en Algérie. « La ville des orangers ». Un père facteur, une mère femme d’intérieur. « Pas une famille militante ». Mais son père prenait son vélo pour aller écouter les discours de Messali Hadj, fondateur du parti du peuple algérien (PPA) et du Mouvement pour le triomphe des libertés démocratiques (MTLD). Dès 1926, Messali Hadj milite pour l’indépendance de toute l’Afrique du nord. Ourdia va être « biberonnée » à ses discours.
Sa mère lit beaucoup. Elle lit tout sur la Révolution russe. Elle lit tout : Simone de Beauvoir et Jules Verne, Dostoievski et bien d’autres auteurs. À l’époque, la majorité des enfants algériens ne vont pas à l’école. Et comme elle vit avec des belles-sœurs illettrées, elle leur raconte les histoires. « Ma mère, c’était quelque chose ». Sa belle-sœur lui disait d’aller faire la sieste, car elle savait qu’elle lisait à ce moment-là. Et au moment où elles cuisinaient, toutes autour de la table, elle leur racontait la Révolution russe (les frères Karamazov, Autant en emporte le Vent etc). Ourdia rigole. « Ça te marque, tu vois comment on est construit dans la famille ».
Un frère aîné arraché par la guerre d’Algérie
Ourdia a trois frères et une sœur, leur frère aîné a donc disparu le 18 septembre 1958, « un peu le même cas que Maurice Audin ». Ourdia est d’ailleurs membre de l’association Maurice Audin. Pour ses proches et pour de nombreux historiens, notamment Pierre Vidal-Naquet, ce jeune militant pour l’indépendance algérienne a été tué au couteau pendant son interrogatoire par des parachutistes français. La responsabilité de la France a été reconnue officiellement par François Hollande en 2014. Le frère d’Ourdia allait avoir 18 ans.
Son oncle a pris le maquis, à la tête d’une branche de l’Armée de libération nationale (ALN). Un autre oncle a disparu en 1958. « Du côté de ma mère, c’est des révolutionnaires ». Un de ses oncles, Tayeb, emmenait la petite Ourdia, 3 ans, dans les bars de ses amis, la posait sur le
comptoir et lui apprenait des chants révolutionnaires. Ourdia entonne un de ces chants.
En 1953, son père est muté à Bouharoun, petit village de pêcheurs, où il est le seul facteur. Il est arrêté et emmené à la célèbre villa Susini, lieu de torture. « Jean-Marie Le Pen œuvrait dans cette villa ». Après 8 jours de torture, son père reçoit un arrêté d’expulsion. Direction Chaumes-en-Brie, en Seine-et-Marne. Pour être facteur toujours. On est en 1958. La famille reste pour essayer de retrouver son frère. Ils font toutes les casernes.
1959, Ourdia Ziat Dulong arrive en France
En 1959, Ourdia et la petite famille débarquent à Marseille. Le père les attend sur le quai du port. Elle se rappelle encore du bateau, Le Sidi Mabrouk, un bateau mixte, marchandises et passagers. Tout le monde vomissait par-dessus bord. Ourdia rigole. « Quelle traversée, je me souviens ». La famille part à Chaumes-en-Brie, Ourdia reste quelque temps à Paris, chez une tante qui vit avenue des Gobelins. Elle a 18 ans. Elle trouve un travail chez un grand couturier qui habille des princes de Yougoslavie, des speakerines de télé. Son père vient la chercher car il lui a trouvé du travail à Chaumes-en-Brie. Ourdia travaille dans un atelier de couture industrielle, elle fait des gaines et des soutiens-gorge.
Ourdia va se marier avec un cousin. Arrêté en 1957, torturé, pendu par les bras, le ventre brûlé à la cigarette, le nez cassé, il va passer trois ans dans différents camps. En 1960, il est libéré et envoyé à Tours pour faire son service militaire. Il vient passer ses permissions dans la famille d’Ourdia en Seine-et-Marne. Son père va écrire au père d’Ourdia pour demander sa main. Le futur père de ses enfants va raconter la torture à Ourdia. Un jeune juif de son camp, celui de Paul-Cazelles à Ain Ousseras, a été torturé à mort tellement fort, que sa chemise restera collée à son corps. Le responsable du camp coupe la peau des tibias et y met du gros sel. Des histoires qui l’ont marquée.
Mariage début 1962. En novembre, naissance de son fils. Le taxi qui les emmène à l’Hôpital est conduit par un pied-noir d’Algérie, il ne connaît pas la route, pas de GPS à l’époque. De Villiers-Le-Bel à l’hôpital Saint-Antoine, c’est Ourdia, enceinte, qui lui indique le chemin. « Vous n’allez quand même pas accoucher dans mon taxi ». Elle rigole.
Sciences Politiques à l’Université d’Alger
Puis c’est le retour pour 17 ans en Algérie, de 1964 à 1982. Ourdia va bosser chez Mobil Oil nationalisée en 1967 et intégrée à la Société nationale de Pétrole. En parallèle, elle prend des cours par correspondance au CNED. Elle passe le brevet de technicienne supérieure en candidate libre. Elle le décroche. Mise en disponibilité, direction Sciences Politiques à l’Université d’Alger. Deux années de DESS, de 1972 à 1974.
Histoire des idées politiques, économie politique, des cours sur l’agriculture, etc. « C’est là que j’ai retenu la phrase de Marx : le capitalisme épuise l’homme et la nature ». Déjà à l’époque. Un mixte de professeurs algériens et français, les sociologues et économistes sont algériens, les autres sont français. Ourdia travaille à mi-temps, elle est traductrice pour une société américaine d’assistance technique dans le domaine minier et pétrolier, pour financer ses études. « Par curiosité intellectuelle, j’ai tiré un peu de ma mère ».
Ourdia aide autour d’elle, « beaucoup de social sans militer dans aucun parti, dans aucun syndicat »
Pendant toute cette période, Ourdia milite à titre personnel. Elle aide autour d’elle. Elle monte des dossiers retraites. Elle se souvient d’une vieille dame de 80 ans. Elle a travaillé toute sa vie, elle ne se souvient même plus de tous ses boulots, Ourdia reconstitue. Un jour, elle reçoit un courrier. Ourdia lui lit le montant qu’elle va recevoir chaque mois pour sa retraite. La dame n’y croit pas. Rien que pour voir cette réaction, ça vaut le coup de militer. Pendant longtemps, Ourdia va faire « beaucoup de social sans militer dans aucun parti, dans aucun syndicat ».
À l’université, Ourdia aide autour d’elle. « Tellement de gens à aider ». Pendant les 130 années de l’occupation française en Algérie, une seule université dans le pays : la fac d’Alger. Beaucoup d’étudiants viennent donc de loin, isolés. Ourdia trouve une étudiante toute pâle, elle vient de l’est de l’Algérie, elle ne mange pas. Un autre étudiant pareil. Ourdia les emmène avec elle et leur paye des sandwichs. « Il fallait aider, tu vois des femmes âgées qui continuent à bosser qui n’ont pas de retraite, tu vois des étudiants qui ne bouffent pas, des travailleurs qui ne savent pas monter un dossier, tu aides. Pas besoin d’être dans un
parti ».
Après 17 ans en Algérie, retour en France en 1982. Avec deux enfants, en plus de son fils né à l’hôpital Saint-Antoine, sa fille est née entre temps, en 1968 à Alger. « J’ai tout laissé tomber, je n’étais pas contente de la politique menée en Algérie ». Retour rue Cujas, rue de la Sorbonne. Ourdia travaille dans une société de trading pétrolier. Allers-retours entre Paris et Genève. Ourdia va beaucoup voyager. Elle devait partir au Gabon avec ses enfants, mais le contrat n’est pas signé. « Je me suis retrouvée le bec dans l’eau ». Elle commence à faire de l’intérim. Puis devient cadre administrative dans la sous-traitance pétrolière et la maintenance nucléaire.
La curiosité intellectuelle toujours, la rencontre avec Aubert, les premières manifs
Elle prend des cours de droit au CNAM en parallèle, toujours par curiosité intellectuelle. Ourdia va à des conférences. Elle va écouter Susan George, militante altermondialiste présidente d’honneur d’ATTAC, Samir Amin, célèbre économiste marxiste égyptien, Mohammed Harbi, historien de Paris 8, spécialiste de la guerre d’Algérie… Ourdia se nourrit intellectuellement.
Elle va faire une rencontre. « C’était un gars qui a vu que j’étais présente à toutes les conférences. Il était divorcé. Il m’a couru après pendant une dizaine d’années ». Nouveau grand rire chaleureux. Le rire d’Ourdia, feu de cheminée qui réchauffe le cœur direct. Son mari, resté en Algérie, décide du divorce. Ourdia n’a pas envie de se réengager, il y a les enfants. Mais après des années où ce grand romantique continue à lui courir après, et alors que ses enfants partent de la maison, que Ourdia devient grand-mère d’un petit Luxembourgeois, le fameux Aubert arrive à son rêve. Il convainc même Ourdia de venir
s’installer chez lui.
« Je suis passée de la butte Montmartre à la butte aux cailles ». Rires. L’heureux élu, expert auprès de l’Unesco, est de gauche. « Alors que dans sa famille, tous de droite, il y en a qui votent FN, que des culs bénis ». Aubert vient d’une famille de marquis et de marquises, ce qui ne va pas l’empêcher de militer pour le FLN. Rappel salutaire pour lecteurs ou lectrices complexés par des origines bourgeoises : il y en a beaucoup à gauche, rappelez-vous bien les origines sociales de Robespierre, Marx et Jaurès, de familles d’avocats. Pas de complexe à avoir ! Le plus important, ce n’est pas d’où l’on vient, mais c’est ce que l’on en fait !
Aubert emmène Ourdia en manif. Les retraites, CPE, marche pour la paix… « Je le suivais dans toutes les manifs ». Je lui demande si, au début, elle est allée en manif par amour ? Grand rire. « On a fait toutes les manifs. Et puis quand il est parti, j’ai continué à aller
dans les manifs ».
La fête de l’Humanité 2011, le début d’une aventure extraordinaire
Arrive une autre grande rencontre. Chaque année, Ourdia va à la fête de l’Huma en amoureux. Après la mort d’Aubert en 2002, Ourdia continue à y aller toute seule. En 2011, elle marche dans une des allées à côté de l’Agora. « J’entends une voix, je me suis arrêtée parce que je me suis dit : tiens c’est un discours qui répond en partie à mes aspirations ». Ourdia debout, écoute le discours. Elle arrête quelqu’un. Elle lui demande qui parle. C’est Jean-Luc Mélenchon. Elle ne connaît pas du tout. Elle rentre.
Quelques temps après, à la télé, elle entend qu’il a trouvé un local aux Lilas. Elle va alors à Porte des Lilas, elle demande à la mairie où se trouve le local de Jean-Luc Mélenchon. « À partir de là, j’ai mis le pied dedans et je ne suis plus ressorti ». Le virus est contracté, le début d’une aventure extraordinaire.
L’engagement politique d’Ourdia, au sens dans un mouvement politique, car elle a milité toute sa vie, arrive donc à 70 ans
L’engagement politique d’Ourdia, au sens dans un parti politique, car elle a milité toute sa vie, arrive donc à 70 ans. Elle va d’abord faire des colis jusqu’à 29 kilos. Ensuite Bastien Lachaud lui descend des grands paquets de courriers. La première lettre : 5 euros dans l’enveloppe, une mère seule, au chômage, qui remercie pour l’espoir apporté. Des lettres de vieux militants communistes qui militent depuis des décennies au sein du PCF « on avait perdu l’espoir, maintenant vous nous le redonnez ».
Un jour, elle reçoit un chèque, avec un post-it avec écrit dessus : « vite, je vais avoir 86 ans ! ». Éclat de rire. Un engagement politique à 70 ans donc, avant Ourdia n’avait pas confiance. « Jusque-là, je ne voulais pas être syndiquée, j’étais méfiante, car j’ai vu les syndicats vendus en Algérie, je me suis dit tous les syndicats, c’est pareil, c’est comme les partis politiques ».
La campagne de 2012, « on a fait des choses extraordinaires, extraordinaires »
Au départ, Ourdia ne veut pas adhérer. Au bout de quelques mois, elle va dans le bureau de Leïla Chaibi et de Danièle Obono, et elle demande à adhérer au Front de gauche. Leïla lui répond qu’elle doit adhérer à une de ses composantes. « Jean-Luc était au Parti de Gauche [PG], j’ai adhéré au PG ». On est en 2012, lors de la première campagne présidentielle de Jean-Luc Mélenchon.
Ourdia va faire tous les déplacements : Lille, Grenoble, Toulouse, Marseille, Bordeaux etc. À
cheval entre le matériel et la logistique. « J’ai été adoptée par les deux Michel, Jean, Dominique, Haydée, Fanfan, Isabelle, Tonton, je faisais partie de l’équipe. On a fait des choses extraordinaires, extraordinaires ». Sa façon de prononcer « extraordinaire », son ton et l’éclair dans ses yeux à ce moment-là, en disent long sur la beauté de l’aventure.
Le début d’une grande histoire d’amitié avec Michel Hernando, autre portrait de ce livre.
Ourdia va aider là où il y a besoin d’aide. « J’étais une petite main, on a fait des grands repas, j’aidais Michel à faire la cuisine, on tenait la buvette, Haydée faisait des gâteaux à la maison, elle les apportait, après chaque réunion du PG, on préparait un grand déjeuner, je faisais le ménage du local, on a fait un tas de trucs, des expositions sur l’Algérie, Péna-Ruiz est venu faire une conférence sur Marx, on a organisé une conférence sur la Palestine co-organisée avec le PC, j’ai rencontré Jean, tu sais qui c’est Jean ? Il est en train de faire la sieste à côté, je l’héberge depuis des années ».
L’humain d’abord, une aventure militante d’abord humaine, faite d’amitiés, de liens vrais, forts, d’un collectif soudé, presque familial tant le temps passé ensemble est important, tant les aventures, les déplacements vécus ensemble, forgent des amitiés pour la vie.
2012 : Ourdia fait la campagne législative de François Delapierre, Jean-Luc Mélenchon sur les terres de Marine Le Pen à Hénin-Beaumont
On est en 2012. Jean-Luc Mélenchon amène la gauche de rupture avec le capitalisme de 2% à 11%. Un premier sacré exploit. Fin 2013, passage du local des Lilas, au fameux 43 rue de Dunkerque, à côté de la gare du Nord à Paris. C’est là que j’ai rencontré Ourdia. Au départ, pas grand monde. Ils s’installent en haut, Michel construit le siège en bas. Il bâtit les cloisons, il crée les bureaux, la fameuse cuisine, un artiste. Il est aidé par Michel Laboudigue, son comparse de toujours (photo des deux hommes ci-dessous).
Le fameux duo des deux Michel. On se remémore le triangle rouge qu’ils ont hissé au sommet de Hénin-Beaumont, lors de la campagne législative de Jean-Luc Mélenchon, sur les terres de Marine Le Pen.
Ourdia participe à la campagne législative de François Delapierre. « Ils ont des noms, ils ont des adresses », c’est sa formulation qui a inspiré la série de portraits de l’insoumission.fr pour montrer les assistés d’en haut, les responsables de la catastrophe, les invisibles d’en haut qu’on ne voit jamais. Après les législatives, Ourdia « réintègre les pénates du 43 » (le siège, au 43 rue de Dunkerque).
L’accueil téléphonique au 43 rue de Dunkerque
Ourdia s’installe à Clamart, en mai 2014. Elle commence à militer localement, avec toute la famille Heurtier. Au 43, lorsque le téléphone a été installé pour créer un accueil téléphonique, elle suggère à Michel de recommander Haydée, « qui s’exprime très bien », pour répondre aux coups de fils. Pour y avoir assisté au 43, Haydée est en effet impressionnante : elle a une capacité d’écoute, de diplomatie, et de connaissances sur les différents sujets, sur l’actualité, pour répondre aux attaques, polémiques, sur le fond, sur le programme, incollable. Bluffante. Un incroyable talent auquel il faut ici rendre hommage.
Nombreux sont ceux qui savent parler, rare sont ceux qui savent écouter pour convaincre. Haydée est de cette trempe là. Ourdia aussi. Elles tiennent l’accueil, elles tiennent la tranchée, même dans la tempête. « C’est une expérience fantastique dans le militantisme ».
14 février 2016 : création de La France insoumise, le 27 février 2016, Ourdia crée le premier groupe d’action Les insoumis de Clamart
13 février 2016. Réunion dans les locaux du PG, rue Doudeauville dans le 18ème. Sont présents : les deux Michel, Haydée, Georges et son épouse, Henri, un couple de jeunes et Ourdia bien sûr. La petite dizaine de personnes prépare un kit militant qui devait être distribué le lendemain au théâtre Déjazet, à côté de la place de la République à Paris. Jean-Luc Mélenchon va prononcer un discours et y annoncer la création de La France insoumise, le 14 février 2016.
Le 27 février, Ourdia crée le premier groupe d’action Les insoumis de Clamart. Au début, les réunions se tiennent ici, dans le salon d’Ourdia. Sont présents quatre personnes : Jean-François et son fils Victor, Claude, et Ourdia. Madeleine, Philippe, Brigitte viennent
grossir les rangs. Quand le groupe dépasse la dizaine, le salon devient trop petit, direction le Kebab juste en-dessous pour faire les réunions.
C’est le tout début de la France insoumise. « J’ai toujours été insoumise avant ». Depuis ses trois ans, et les chants révolutionnaires sur les épaules de son oncle. Rires. « C’est une vie assez dense ». Ourdia se lève et me propose un café. Ça fait déjà plus d’une heure qu’on parle. « Je voulais t’appeler pour que tu me ramènes des tracts, parce qu’on a une casserolade demain ». Ourdia a déjà fait les deux premières casserolades devant la mairie, pour réinventer la protestation contre la retraite à 64 ans. Quand je l’ai eue au téléphone, elle se disait trop fatiguée pour l’entretien, pour parler d’elle, mais pas assez pour rater une action militante : Ourdia dans toute sa splendeur. Elle amène le café. Elle remarque que j’ai arrêté de
fumer. Elle se souvenait, fine observatrice. Elle regarde mon livre sur Marat posé sur la table, le traite d’« enragé » et rigole.
Une sacrée bibliothèque
Sa bibliothèque est impressionnante. Elle m’autorise à regarder. Des rayons entiers de
bouquins d’Histoire sur la guerre d’Algérie et sur l’Afrique du Nord, marxisme et monde musulman, islam et capitalisme. De la littérature, beaucoup. De l’économie. De la philo. Et bien sûr, un rayon entier de livres d’un certain Jean-Luc Mélenchon. Je vois un gros livre de Trotski. Sa bibliothèque est un peu orientée. On rigole.
Ourdia me parle d’Ibn Khaldoun. « C’est l’inventeur de la sociologie moderne, il a inventé la sociologie avant Marx ». 14ème siècle. Bien avant Durkheim, Weber et Pierre Bourdieu. On prend une photo avec le livre. Elle me demande d’en parler à Jean-Luc. Elle me montre Histoire des Berbères, d’Ibn Khaldoun. Elle me montre l’ouvrage de son oncle, commandant de l’ALN, la branche armée du FLN, sur l’indépendance de l’Algérie.
Son petit-fils pose plein de questions aussi. Elle lui transmet le maximum. « C’est un Luxembourgeois, mais il s’intéresse vraiment ». On rigole. 18 messages sur la boucle Telegram de Clamart insoumis en une heure. Je n’ose même pas ouvrir mon Telegram. Être noyé sous les messages Telegram, c’est notre quotidien. L’application cryptée est devenue bien plus qu’un outil de communication, l’outil principal de travail et d’organisation militante, ouvert très tôt le matin et fermé très tard le soir. Le nombre d’heures passées sur Telegram chaque jour devrait nous faire frémir. Ourdia ferme l’application, elle regardera plus tard.
La transmission à son petit fils, Léon
On reprend le fil de l’entretien, loin de la bulle Telegram. Elle me raconte une histoire de la vraie vie. Sur Léon, son petit-fils. Il a l’air de beaucoup compter. Il s’intéresse beaucoup à sa grand-mère. Elle lui transmet beaucoup, sur l’Histoire de l’Algérie notamment. Il a tenu à y aller avec elle. Le jour où il arrive à l’aéroport, il est arrêté par les douaniers. Tout le monde est sorti, mais pas lui. « Mais qu’est-ce qu’il vient faire ce blondinet qui s’appelle Léon ». Grand rire. Il porte le nom du fils d’Ourdia. Le nom d’un islamiste qui a été recherché internationalement et qui n’a jamais été retrouvé.
Ourdia va se faire couler un café. C’est 16h30, l’heure du goûter. « La prochaine fois que tu viendras, je te recevrai mieux ». Je vois une caisse de grève posée à côté de la fenêtre. On parle de la retraite.
« L’usine », le siège de la campagne de 2012, le Front de gauche : « La meilleure période, c’est pas la peine »
Son plus beau souvenir militant ? La période de « l’usine », le siège de la campagne de 2012, l’époque Front de gauche. « La meilleure période, c’est pas la peine. L’ambiance, tout ce qu’on a organisé ». Ourdia sort le bouquin Les 70 ans de LVMH, en hommage à Michel Hernando. Un coffre au trésor. On regarde les photos (voir ci-dessous). On voit un bonnet phrygien. Ça me rappelle ce que Ourdia m’avait dit aux AMFIS sur la perte de la transmission de la mémoire militante. Elle y avait croisé plusieurs jeunes militantes qui ne connaissaient pas la signification du bonnet phrygien, du triangle rouge et du Phi.
Le bonnet phrygien date de l’Antiquité grecque, il était porté par les esclaves libérés pour indiquer qu’ils étaient des hommes libres. Le triangle rouge symbolise la lutte pour la réduction du temps de travail, le plus vieux combat du mouvement ouvrier, les trois 8 : 8 heures de travail, 8 heures de congés, 8 heures de loisirs. Les nazis le faisaient porter aux communistes dans les camps. Le Phi symbolise l’harmonie entre l’Homme et la Nature. Ourdia insiste sur la transmission. Laisser une trace de la mémoire militante : le but de ce livre.
On continue à tourner les pages. Des photos d’Ourdia en Gilet jaune. Elle a fait 16 actes. Elle a
été gazée à plusieurs reprises. Elle me raconte la réaction des autres Gilets Jaunes : « Regardez, la police a gazé une vieille dame ». Elle sourit en y repensant. Un chapitre majuscule de l’Histoire populaire de la France, une période d’effervescence militante, révolutionnaire, d’invention de nouvelles formes de mobilisations, beaucoup plus mobiles, beaucoup plus stimulantes que les manifestations saute-moutons Bastille / Nation, beaucoup plus dérangeantes pour le pouvoir. Des formes de mobilisations qui se retrouvent en partie actuellement dans les manifestations spontanées en soirées contre la retraite à 64 ans.
Nouvelle photo : le cercueil de la 5ème République. Tellement actuel. On voit François Delapierre sur une photo. Une autre montrant Michel avec des gigantesques ciseaux devant l’Hôtel de ville de Paris, contre la coupe dans les budgets de la ville. « J’étais toujours avec Michel quand il fallait fabriquer quelque chose ». Toujours dans les bons coups.
Nouvelle photo : le meeting sur la péniche, en 2017. Une idée de Michel Hernando, calée entre un meeting à Lyon et le fameux meeting multi-hologrammes. Ourdia va faire les courses à Métro avec Michel, avec un grand chariot. Michel ouvre l’arrière du camion. Le chariot emporte Ourdia. Elle se casse le plateau tibial. Direction l’Hôpital. La France insoumise y envoie la voiture de campagne de Jean-Luc Mélenchon. « Ils sont venus me sortir de la clinique pour m’amener sur la péniche ». Elle se rappelle. « Jean-Luc est venu me voir : alors ma grande ? Comment ça va ? ». On voit toute l’équipe sur la péniche, Ourdia au premier plan, la jambe dans le plâtre.
Autre photo : le 31 juillet, devant la plaque mémorielle de Jean Jaurès avec Michel, tout un symbole. « On a reçu tous les révoltés de la terre à l’usine ».
Un autre souvenir que Ourdia m’avait raconté cet été aux AMFIS sur Robespierre revient, le livre d’Alexis Corbière et Laurent Maféis l’une des meilleures ventes (après les livres de JLM) de la Librairie Militante. C’est Ourdia qui a signalé à Laurent les fautes d’orthographe, l’emploi inapproprié du subjonctif, des coquilles, des fautes de frappe dans la première version. Au cours d’une visite de Jean-Luc Mélenchon place Jules Joffrin à Paris, Ourdia lui signale les erreurs en question. Jean-Luc Mélenchon lui demande dans quelle partie du livre. Dans les deux.
Elle rigole, puis salue le livre, œuvre de salubrité publique pour démonter tous les mensonges mis sur le dos de Robespierre par les thermidoriens, faisant de celui qui a combattu la peine de mort en pleine révolution, un monstre responsable des totalitarismes du siècle suivant. Heureusement, depuis, nombre d’historiens sont venus déconstruire le mythe.
Même à l’Hôpital, Ourdia va distribuer le programme, l’Avenir en commun, que lui ont apporté les camarades . Elle va convaincre des infirmiers et infirmières. Sa chambre était devenue « une succursale de la France insoumise à l’Hôpital ». Elle rigole. Un infirmier
vient la voir le matin en chantant « Vive Mélenchon ! ».
Ourdia insiste sur la période de l’usine. En 2012, que des bénévoles, moins de professionnels de la politiques. Ourdia souligne qu’au nouveau siège de La France insoumise, certains ne disent plus bonjour. Elle insiste sur l’importance du collectif. L’aventure militante est « extraordinaire ». Ourdia Ziat Dulong est là pour en témoigner. Ce livre est là pour laisser une trace de ces vies extraordinaires, de la mémoire insoumise.
Par Pierre Joigneaux.
25 mai 2023
https://linsoumission.fr/2023/05/25/portrait-ourdia-ziat-dulong-insoumis/
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