Dans son nouvel ouvrage, Michel Pierre s’attarde sur une passionnante histoire de l’Algérie, ample et documentée.
Voici le livre qu’on attendait : une histoire informée et vivante, sans barbouille idéologique ni complaisance mémorielle, de cette Algérie qui n’en finit pas de vivre avec nous dans l’attraction-répulsion, en espérant se trouver elle-même. Michel Pierre a passé naguère près de dix ans là-bas comme attaché culturel puis conseiller de coopération. Il y a vu le pire et le meilleur, en ouvrant grand ses yeux d’historien et d’ami des arts. Depuis, il n’a pas cessé d’étudier la violence coloniale et carcérale, au bagne de Guyane, au Sahara et ailleurs. Et au fil de ses recherches il n’a jamais été faussement péremptoire. Il le prouve encore dans ce récit plein d’un vibrato humain qui fait les vrais bons livres. Voici, dit-il, un pays qui « apparaît comme une sorte de vitrail aux verres colorés mal reliés par leurs liens de plomb. Tensions et contradictions sont en permanence à l’œuvre pour le faire éclater au moment où on le croit solide ».
Les premiers chapitres bourrés de joyeuses références archéologiques décrivent ces tensions. Quelle qu’ait été la richesse de la préhistoire côtière et saharienne là-bas, les autorités algériennes n’en tirent aujourd’hui qu’une leçon : « l’homme de Tighennif » a été le premier déporté politique et par conséquent elles nationalisent sa mandibule. En fait, quelle qu’ait été ensuite la puissance militaire et maritime, impériale et dynastique de Carthage, de Rome, de Byzance, du christianisme d’Augustin, des Berbères, des Arabes et de l’islam, des Almoravides, des Almohades ou des Andalous, aucune identité algérienne n’a pu s’imposer. Et c’est peu dire qu’à partir du XVIe siècle la régence ottomane des deys, avec ses pirates, ses janissaires et ses chrétiens capturés n’a rien unifié.
« Nouvelle indépendance »
Au cœur du livre, trois cents pages incisives détaillent les années 1830-1962 d’une présence française chaotique. Prise d’Alger en 1830, suivie par « le glaive et la charrue » et les « enfunades » de Bugeaud, par l’insurrection et la soumission de la Kabylie, l’administration coloniale et le peuplement européen facteurs de tant d’illusions, puis l’impasse sous la IVe République quand « la barque ne tient plus la mer ». Jusqu’aux « guerres en Algérie » : celle des « rebelles » devenus les vrais enfants et vrais martyrs d’une Patrie sous contrôle de l’Armée de libération et du FLN ; celle, française, de la « pacification » impossible, des putschs militaires et de l’envoi du contingent, des « jours de folie et de sang » de l’OAS, des Européens et des harkis condamnés à l’exil malgré les accords d’Évian.
Michel Pierre donne enfin plus de deux cents pages pionnières où il prend la juste mesure de tant d’espoirs qui n’ont pas survécu à l’enthousiasme de l’indépendance, après notamment la nouvelle tragédie nationale des dix ans de lutte contre les islamistes puis l’épuisement du « printemps arabe », sur fond aujourd’hui d’islam à la hausse, de passé affabulé dicté par le pouvoir, de rente pétrolière qui ne prête qu’aux riches et de « dégoûtage » généralisé, notamment chez les jeunes. Oui, conclut-il, l’Algérie doit chercher « une nouvelle indépendance, loin d’un conservatisme social qui l’étouffe, d’un sentiment obsidional qui la mine et d’un poids de l’Histoire qui l’entrave ».
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