iL esconstant qu'à la veille de toutes les élections présidentielles françaises, outre la récurrente thématique de l'immigration , éternelle bouc-émissaire, l'Histoire fait également irruption pour certains candidats qui espèrent engranger les voix d'une partie de l'électorat sensible à la démagogie. Ici, rappel des faits d'Histoire démontrant les méfaits de ce qu'il a été convenu d'appeler «le système colonial».
Force donc est de revenir à un réel débat sur les réalités historiques significatives qui exigent plus que des «excuses» et appelant une juste réparation («excuses» que d'autres pays ont officiellement formulées : Canada, Australie...) ; ainsi : restitution du Trésor d'Alger ayant servi à l'industrialisation de la France et aujourd'hui évalué à plusieurs milliards d'euros, restitution des archives non accessibles aux chercheurs et encore moins au commun des mortels (notamment celles des périodes coloniale et ottomane, indemnisation de centaines de milliers de familles d'Algériens ayant subi le génocide du système colonial de tout un peuple (enfumades, napalm, tortures...) et des Algériens du Sud suite aux essais nucléaires de l'ancienne puissance coloniale...
Ainsi, selon une légende tenace, le «coup de l'éventail» datant de 1827 a été le coup d'envoi du blocus maritime d'Alger par la marine royale française. L'aventure coloniale avait pour objectif de consolider l'influence française dans le bassin occidental de la Méditerranée. Le 5 juillet, les Français occupèrent Alger ; le même jour, le dey Hussein signa l'acte de capitulation. Premières conséquences : l'effondrement du pouvoir ottoman, le pillage des caisses de l'État, l'expulsion des janissaires d'Alger vers l'Asie Mineure et l'accaparement par la France de toutes les terres du Beylik. Le 1er décembre 1830, Louis-Philippe nomma le duc de Rovigo chef du haut-commandement en Algérie pour mettre en œuvre la colonisation dont la violence est notoire. Après avoir battu Abd-El-Kader, le général Desmichels signa avec ce dernier un traité qui reconnut l'autorité de l'émir sur l'Oranie et permit à la France de s'installer dans les villes du littoral. Officiellement, le 22 juillet, la Régence d'Alger devint «Possession française d'Afrique du Nord». Abd-El-Kader battit le général Trézel dans les marais de la Macta, près de Mascara. Il put également encercler la ville d'Oran durant une quarantaine de jours. Arrivé en renfort de métropole, le général Bugeaud infligea une défaite à celui-ci. Courant janvier 1836, le général Clauzel s'empara de Mascara et de Tlemcen. Le traité de la Tafna fut signé le 30 mai 1837 entre le général Bugeaud et l'émir Abd El Kader. Ce dernier établit sa capitale à Mascara. Le comte de Damrémont, devenu gouverneur général de l'Algérie en 1837, se mit en rapport avec le bey de Constantine pour obtenir une Convention similaire se heurtant au rejet de Ahmed Bey. Courant octobre 1837, ledit gouverneur général se mit en marche sur Constantine fort de dix mille hommes. Après sept jours de siège au cours desquels le comte de Damrémont fut tué, la ville fut conquise.
En 1839, l'armée française ayant entrepris d'annexer un territoire situé dans la chaîne des Bibans, (chaîne de montagnes du Nord d'El DjazaÏr), l'Emir Abdel El Kader considéra qu'il s'agissait d'une rupture du traité de Tafna. Il reprit alors sa résistance ; il pénétra dans la Mitidja et y détruisit la plupart des fermes des colons français. Il constitua une armée régulière (dix mille hommes, dit-on) qui reçut leur instruction des Turcs et de déserteurs européens. Il aurait même disposé d'une fabrique d'armes à Miliana et d'une fonderie de canon à Tlemcen. Il reçut également des armes provenant de l'Europe. Nommé gouverneur général de l'Algérie française en février 1841, Bugeaud arriva à Alger avec l'idée de la conquête totale de l'Algérie. Par l'entremise des «bureaux arabes», il recruta des autochtones tout en encourageant l'établissement de colonies.
Il a pu dire alors : «Le but n'est pas de courir après les Arabes, ce qui est fort inutile ; il est d'empêcher les Arabes de semer, de récolter, de pâturer, [...] de jouir de leurs champs [...]. Allez tous les ans leur brûler leurs récoltes [...], ou bien exterminez-les jusqu'au dernier.» Ou encore : «Si ces gredins se retirent dans leurs cavernes, imitez Cavaignac aux Sbéhas !
Fumez-les à outrance comme des renards». De fait, en mai 1841, l'armée française occupa Tagdemt (situé à Tiaret qui fut capitale des Rustumides), puis Mascara pratiquant la razzia et détruisant récoltes et silos à grains. Il semble que l'Emir Abd-El-Kader fit en vain appel au sultan ottoman. C'est ainsi que, courant mai 1843, le duc d'Aumale prit par surprise la «smala» d'Abd-El-Kader faisant trois mille prisonniers (smala : «réunion de tentes abritant les familles et les équipages d'un chef de clan arabe qui l'accompagnent lors de ses déplacements»).
En février 1844, la France mit en place une Direction des Affaires Arabes pour contrôler les bureaux arabes locaux dans les provinces d'Alger, d'Oran et de Constantine avec le dessein de disposer de contacts avec la population autochtone. Fin mai 1844, des troupes marocaines prirent d'assaut les troupes françaises installées dans l'Oranais, mais furent repoussées par le général Lamoricière. Réfugié au Maroc, l'Emir Abd-El-Kader a pu décider le sultan Moulay Abd-El-Rahman d'envoyer une armée à la frontière algéro-marocaine provoquant ainsi des incidents qui, après d'infructueux pourparlers, décida le général Bugeaud de repousser l'armée du sultan marocain qui fut défaite (bataille d'Isly). L'armée marocaine dut se replier en direction de Taza, obligeant le sultan à interdire son territoire à Abd-El-Kader qui finit par se rendre aux spahis (à l'origine, les spahis furent un corps de cavalerie traditionnel du dey d'Alger, d'inspiration ottomane ; lors de la conquête de l'Algérie par la France, ils furent intégrés à l'Armée d'Afrique qui dépendait de l'armée de terre française). L'Emir Abd-El-Kader fut d'abord placé en résidence surveillée durant quatre ans en France (il fut libéré par Napoléon III), puis résida en Syrie jusqu'à la fin de sa vie. C'est ainsi que la Constitution française de 1848 fit de l'Algérie une partie intégrante du territoire français, notamment par l'institution de trois départements français : Alger, Oran et Constantine, les musulmans et les juifs d'Algérie étant considérés des «sujets français» avec le statut d' «indigènes». La résistance continua d'être vive en Kabylie et dans l'oasis des Zaatcha dans l'actuelle wilaya de Biskra. Plus tard, la domination française s'étendit à la Petite Kabylie. Jusqu'en juillet 1857, le la résistance continua dans le Djurdjura avec Lalla Fatma N'Soumer.
Révoltes constantes
A la veille du début de la conquête française, on estimait la population algérienne à trois millions d'habitants. La violente guerre de conquête, notamment entre 1830 et 1872, explique le déclin démographique de près d'un million de personnes. On évoque également les invasions de sauterelles entre 1866 et 1868, les hivers très rigoureux à la même période (ce qui provoqua une grave disette suivie d'épidémies tel le choléra). Pour les Européens d'alors, cette donnée était bénéfique dès lors qu'elle diminuait le déséquilibre démographique entre les «indigènes» et les colons. Ce, outre que le nombre important de constructions détruites avait pour dessein de gommer l'identité d'El Djazaïr. L'objectif était de détruire matériellement et moralement le peuple algérien. Sous Napoléon III, il fut question d'un «royaume arabe» lié à la France avec celui-ci comme souverain. A la même période, on a estimé que quelques deux cent mille colons, français ou européens, possédaient environ sept cent mille hectares. D'un point de vue législatif, il y eut le sénatus-consulte du 14 juillet 1865 inspiré par le Saint-Simonien Ismaël Urbain, ayant trait au statut personnel et la naturalisation de l'«indigène musulman» et de l'«indigène israélite» (voire à la naturalisation des «étrangers qui justifient de trois années de résidence en Algérie», appelés plus tard «pieds noirs»). Force est de constater qu'en décembre 1866, furent créés des conseils municipaux élus par quatre collèges séparés : français, musulmans, juifs et étrangers européens, les Français disposant des deux tiers des sièges.
La révolte de 1871 est considérée comme la plus importante insurrection contre le pouvoir colonial français. Ainsi, plus de deux cent cinquante tribus se soulevèrent (environ un tiers de la population de l'Algérie d'alors). Elle fut menée depuis la Kabylie (les Bibans ou Tiggura) par le cheikh El Mokrani, son frère Boumezrag et le cheikh Haddad (chef de la confrérie des Rahmanya). Après cette révolte, plus de cinq cent mille hectares furent confisqués et attribués aux «émigrés hexagonaux» suite à la défaite française de 1870 face à l'Allemagne. C'est ainsi que de 245.000, le nombre des colons aboutit à plus de 750.000 en 1914. A la même date, le nombre des Djazaïris («indigènes») passa de deux millions à cinq millions. Après la chute de Napoléon III, les tenants de la Troisième République préconisèrent une politique d'assimilation, notamment par la francisation des noms et la suppression des coutumes locales. Le 24 octobre 1870, en vertu des décrets du Gouvernement provisoire, le gouvernement militaire en Algérie céda la place à une administration civile. La nationalité française fut accordée aux Juifs d'Algérie (décret Crémieux) qui furent néanmoins soumis à l'antisémitisme des colons. En accordant aux juifs algériens le même statut que les Français d'Algérie, ce décret divisa les autochtones qui continuèrent de vivre dans une condition de misère accentuée par de nombreuses années de sécheresse et de fléaux. Les biens des insurgés Algériens de 1871 furent confisqués. Ainsi, une loi du 21 juin 1871 attribua quelque cent mille hectares de terres en Algérie aux «migrants d'Alsace-Lorraine».
Et le 26 juillet 1873, fut promulguée la loi Warnier qui eut pour objectif de franciser les terres algériennes. Le 28 juin 1881, fut adopté le code de l'indigénat qui distingua deux catégories de citoyens : les citoyens français et les sujets français («indigènes»). Ces derniers furent soumis au code de l'indigénat qui les priva de leurs libertés et de leurs droits politiques (seul fut conservé le statut personnel, d'origine religieuse ou coutumière).
Lors de la première guerre mondiale, la France mobilisa les habitants des départements français d'Algérie : Musulmans, Juifs et Européens. C'est ainsi que les tirailleurs et spahis musulmans combattirent avec les zouaves (unités françaises d'infanterie légère) européens et juifs d'Algérie. Il semble que près de 48.000 Algériens furent tués sur les champs de bataille lors de la première Guerre mondiale, ayant été de toutes les grandes batailles de l'armée française (notamment à celle de Verdun). Plus tard, en 1930, la célébration par la France du centenaire de la «prise d'Alger» fut ressentie comme une provocation par la population. Le projet de loi Blum-Viollette (Front populaire) pour l'attribution de droits politiques à certains musulmans sera rejeté à l'unanimité lors du congrès d'Alger du 14 janvier 1937. Au cours de la seconde guerre mondiale, plus de 120.000 Algériens furent recrutés par l'armée française. Avec l'occupation allemande (1940-1944), plusieurs centaines de musulmans («Nord-Africains») installés en France furent engagés pour constituer ce qui a été appelé la «Légion nord-africaine». De trois millions en 1880, la population d'El Djazaïr passa à près de dix millions en 1960 pour environ un million d'Européens.
Il semble qu'à la veille du déclenchement de la guerre d'indépendance, «certaines villes sont à majorité musulmane comme Sétif (85 %), Constantine (72 %) ou Mostaganem (67 %)». L'essentiel de la population musulmane était pauvre, vivant sur les terres les moins fertiles. La production agricole augmenta peu entre 1871 et 1948 par rapport au nombre d'habitants, El Djazaïr devant alors importer des produits alimentaires. En 1955, le chômage était important ; un million et demi de personnes était sans emploi (la commune d'Alger aurait compté 120 bidonvilles avec 70 000 habitants en 1953). Dans ce cadre, l'Algérie était composée de trois départements, le pouvoir étant représenté par un gouverneur général nommé par Paris. Une Assemblée algérienne fut créée ; elle était composée de deux collèges de 60 représentants chacun : le premier élu par les Européens et l'élite algérienne de l'époque et le second par le «reste de la population algérienne».
Le Mouvement pour le triomphe des libertés démocratiques en Algérie (MTLD) de Messali Hadj avait alors obtenu une large victoire lors des élections municipales de 1947 ; ce parti devint la cible de la répression des autorités françaises. Il y eut ensuite des fraudes massives lors de l'élection de l'Assemblée algérienne. Il est vrai qu'au début du XXe siècle, les leaders algériens réclamaient alors tantôt le droit à l'égalité, tantôt l'indépendance. C'est ainsi que plusieurs partis furent créés : l'Association des Oulémas musulmans algériens, l'Association de l'Étoile Nord-Africaine, le Parti du Peuple Algérien (PPA), les Amis du Manifeste des Libertés (AML), le Parti communiste algérien (PCA)...
Le 8 mai 1945, prélude à la révolution
Le 8 mai 1945, eurent lieu des manifestations d'Algériens dans plusieurs villes de l'Est du pays (notamment à Sétif, Kherrata et Guelma) ; ce, à la suite de la victoire des Alliés sur le régime nazi. A Sétif, la manifestation tourna à l'émeute. La répression par l'armée française fut des plus brutales provoquant la mort de plusieurs centaines de milliers de morts parmi les Algériens. Cette férocité sans nom eut pour conséquence davantage de radicalisation. Certains historiens ont pu estimer que ces massacres furent le début de la guerre d'Algérie en vue de l'indépendance.
Devant l'inertie des leaders qui continuaient de tergiverser, apparut l'Organisation spéciale (OS) qui eut pour but d'appeler au combat contre le système colonial devenu insupportable. Elle eut pour chefs successifs : Mohamed Belouizdad, Hocine Aït Ahmed et Ahmed Ben Bella. Un Comité révolutionnaire d'unité et d'action (CRUA) fut créé en mars 1954 et le Front de libération nationale (FLN) en octobre 1954. En Algérie, le déclenchement de la guerre de libération nationale est caractérisé comme étant une Révolution (en France, on utilisa le terme de «guerre d'Algérie» après l'avoir désigné comme étant des évènements d'Algérie jusqu'en 1999). L'action armée intervint à l'initiative des «six historiques» : Rabah Bitat, Mostefa Ben Boulaïd, Mourad Didouche, Mohamed Boudiaf, Belkacem Krim et Larbi Ben M'hidi lors de la réunion des 22 cadres du CRUA. La Déclaration du 1er novembre 1954 fut émise depuis Tunis par radio.
La guerre d'Algérie débuta le 1er novembre 1954 avec quelques soixante-dix attentats dans différents endroits d'Algérie. La réponse de la France ne se fit pas attendre ; des mesures policières (arrestations de militants du MTLD), militaires (augmentation des effectifs) et politiques (projet de réformes présenté le 5 janvier 1955). François Mitterrand a pu alors déclarer : «L'Algérie, c'est la France». Il déclencha la répression dans les Aurès ; ce qui n'empêcha pas à l'Armée de libération nationale (ALN) de se développer.
De quelques cinq cent hommes, elle augmenta ses effectifs en quelques mois pour atteindre quinze mille et plus tard plus de quatre cent mille à travers toute l'Algérie. Les massacres du Constantinois des 20 et 21 août 1955, notamment à Skikda (alors Philippeville) constituèrent une étape supplémentaire de la guerre. La même année, l'affaire algérienne fut inscrite à l'ordre du jour à l'Assemblée générale de l'ONU, tandis que plusieurs chefs de l'insurrection de l'armée furent soit emprisonnés, soit tués (Mostefa Ben Boulaïd, Zighoud Youcef...). Des intellectuels français aidèrent le FLN, à l'instar du réseau Jeanson, en collectant et en transportant fonds et faux papiers.
Le 22 octobre 1956, eut lieu le détournement de l'avion qui transportait la Délégation des principaux dirigeants du FLN : Mohamed Khider, Mohamed Boudiaf, Aït Ahmed, Ahmed Ben Bella, Mostefa Lacheraf.
Ce fut là un acte caractérisé de piraterie aérienne. De même, il y eut l'opération d'intoxication de la bleuite (1957-1958) menée par les services secrets français ; le colonel Amirouche Aït Hamouda mit alors en place des purges internes (Wilaya III) qui firent de très nombreux morts dans différentes wilayas. Plus tard, le France déclencha de grandes opérations (plan Challe 1959-1961), les maquis ayant été sans doute affaiblis par ces purges internes.
Ce plan amoindrit davantage les maquis. Arrivé au pouvoir, Charles de Gaulle engagea une lutte contre les éléments de l'Armée de libération nationale algérienne (ALN). Il semblerait que le plan Challe ait entraîné, en quelques mois, la suppression de la moitié du potentiel militaire des wilayas. Les colonels Amirouche Aït Hamouda et Si El Haouès furent tués lors d'un accrochage avec les éléments de l'Armée française. En 1959, à sa sortie de prison, Messali Hadj fut assigné à résidence.
En France, les Algériens organisèrent des manifestations en faveur du FLN. En 1960, le général de Gaulle annonça la tenue du référendum pour l'indépendance de l'Algérie ; certains généraux français tentèrent en vain un putsch en avril 1961. Il n'est pas anodin de rappeler qu'en février 1960, la France coloniale a procédé à un essai nucléaire de grande ampleur dans la région de Reggane (sud algérien). Avec 17 essais nucléaires opérés par la France entre les années 1960 à 1966, il semble que 42.000 Algériens aient trouvé la mort ; des milliers d'autres ont été irradiés et sujets à des pathologies dont notamment des cancers de la peau.
Le Gouvernement provisoire de la République algérienne (GPRA) fut proclamé avec à sa tête Ferhat Abbas. Le colonel Houari Boumediene était alors le chef d'état-major de l'Armée de libération nationale. En 1960, l'ONU annonça le droit à l'autodétermination du peuple algérien. Des pourparlers avec le GPRA furent organisés pour aboutir aux accords d'Évian (18 mars 1962). Ce qui ne mit pas fin aux hostilités puisqu'il y eut une période de violence accrue, notamment de la part de l'OAS. Près d'un million de Français (Pieds-noirs, Harkis et Juifs) quitta l'Algérie entre avril et juin 1962. Le référendum d'autodétermination (1er juillet 1962) confirma les accords d'Évian avec 99,72 % des suffrages exprimés.
Le bilan de cette guerre, en termes de pertes humaines, continue de soulever des controverses des deux côtés de la Méditerranée. Si El Djazaïr se considère avec fierté comme le pays du million et demi de chahids, en France circulent d'autres chiffres qui oscillent entre 250.000 à 300.000 morts. Outre cette comptabilité macabre, bien d'autres sujets continuent de constituer un contentieux entre les deux pays. Il est vrai aussi que la guerre fratricide entre le FLN et le MNA (mouvement de Messali Hadj) fit quelques centaines de morts tant en France qu'en Algérie (notamment à Melouza), outre le nombre de harkis tués après le cessez-le-feu. Ce, sans oublier les luttes pour le pouvoir : d'un côté, le pouvoir civil avec le GPRA présidé par Ferhat Abbas appuyé par les wilayas III et IV, et de l'autre côté le pouvoir militaire (le «clan d'Oujda») et l'«armée des frontières») avec à sa tête Houari Boumediene.
A l'indépendance, El Djazaïr est sortie exsangue des suites de la guerre, des conflits internes et du départ massif des Européens ayant servi d'encadrement durant la période coloniale. L'armée française évacua ses dernières bases en Algérie (enclaves autorisées par les accords d'Évian) : Reggane et Bechar (1967), Mers el-Kébir (1968), Bousfer (1970) et B2-Namous (1978). Ainsi, nonobstant l'indépendance, la France continua d'avoir des bases en Algérie.
Le GPRA de Ferhat Abbas fut évincé par l'ALN au profit d'Ahmed Ben Bella qui fut ainsi le premier président de l'Algérie indépendante du système colonial français. Le FLN devint parti unique et prôna un socialisme à l'algérienne marqué par le populisme et le culte de la personnalité. Et, depuis le coup d'Etat du 19 juin 1965 à ce jour, El Djazaïr ne cesse de s'interroger sur son destin à travers l'Histoire, y compris jusqu'au Hirak dont on peut encore espérer un antidote au pouvoir politique marqué par l'échec de la gérontocratie.
Qu'émerge enfin une nouvelle élite de jeunes, organisés et conscients des enjeux et des défis à relever par El Djazaïr, au-delà des «excuses» de l'ancienne puissance coloniale ! Les gesticulations électoralistes outre-méditérranée ne sauraient faire oublier la barbarie du «système colonial».
Le pays se réveille aveuglé par la colère et plein de pressentiments ; une force confuse monte en lui doucement. Il est tout effrayé encore, mais bientôt il en aura pleinement conscience. Alors, il s’en servira et demandera des comptes à ceux qui ont prolongé son sommeil.»
Cette phrase, d’une actualité incontestable, est celle du journal d’un grand écrivain Indigène** d’Algérie, rédigée entre 1955 et 1962, journal publié après son assassinat par l’OAS le 15 mars 1962. Il s’agit de Mouloud Feraoun, cité, avec Camus, en préambule du rapport sur les questions mémorielles portant sur la colonisation, et la guerre d’Algérie, rédigé par l’historien Benjamin Stora.
Mouloud Feraoun, né le 8 mars 1913, la même année que Camus, est issu d’une famille kabyle de paysans pauvres du village de Tizi Hibel. Il fait partie de ces élites intellectuelles indigènes, qui ont pu, malgré le système colonial et grâce à lui, émerger au milieu de cette histoire de domination et de douleur. Il disparaît, toujours comme Camus, avant l’indépendance de l’Algérie.
Feraoun fait partir de cette génération d’écrivains francophones des années 1950 qui ont entrepris l’acte littéraire révolutionnaire pour l’époque, de raconter, de l’intérieur, la vie d’une population indigène à laquelle ils appartiennent, souvent réduite à la misère et ignorée par la système colonial.
Dans Le fils du pauvre, son roman autobiographique, paru en 1950, il fait de la Kabylie la principale composante de son identité, dans un contexte où le refus de la reconnaissance culturelle, politique et identitaire des indigènes, était la règle. Dans son rapport, Benjamin Stora préconise, entre autres, en page 96, «d’accorder dans les programmes scolaires plus de place à l’histoire de la France en Algérie» et «de ne plus traiter de la guerre sans parler de la colonisation».
Les programmes scolaires dont il s’agit doivent, à mon sens, englober toutes les disciplines. L’étude, en particulier de l’œuvre de Feraoun, de Mohamed Dib ou encore de Mouloud Mammeri (anthropologue, linguiste, romancier et dramaturge, qui est d’une importance capitale pour l’héritage berbère), de Kateb Yacine ou de Pierre Amrouche, par exemple, pour rester sur les écrivains francophones, dans les écoles, les collèges et les lycées, permettrait d’évoquer une littérature singulière d’abord puis cette génération d’écrivains et par extension ces élites indigènes de manière générale, confrontées à la violence de l’histoire, mais qui ont aussi transformé cette dernière par leur engagement intellectuel et politique.
En raison de l’absence de ces acteurs importants de l’histoire française et algérienne dans les manuels scolaires, personne ou presque ne sait aujourd’hui exactement qui est Messali Hadj, le père du nationalisme algérien, Ali Boumendjel, avocat assassiné en 1957, assassinat dont Benjamin Stora préconise d’ailleurs la reconnaissance officielle comme celui de Maurice Audi, Ferhat Abbas ou même, sur un autre registre, l’Emir Abdelkader, qui a combattu le colonialisme français pendant 15 ans et pour lequel la construction d’une stèle, à Amboise, où il fut captif avec sa suite, entre 1848 et 1852.
Mais qui a seulement entendu parler des nombreux instituteurs indigènes (dont Mouloud Feraoun était tels que Mohand Saïd Lechani ou Faci Saïd et de leur combat d’après la première guerre mondiale ? Qui a entendu parler de la revue La Voix des humbles (1922 – 1939) qu’ils ont créée pour revendiquer l’égalité et dénoncer la «Politique indigène» de la France coloniale.
Ce groupe d’instituteurs montrera une stabilité, une efficacité et une continuité dans l’action par l’entrée régulière de nouveaux collègues entièrement dévoués à la cause de La Voix des Humbles, qui deviendra avec le temps, un réel engagement politique.
La revue paraîtra jusqu’à l’aube de 1940 où le régime de Vichy en aurait prononcé l’interdiction dans sa dix-huitième année. Pendant ces dix-huit années, les collaborateurs de La Voix des Humbles luttèrent inlassablement dans le calme, la dignité, le respect des institutions de la République, afin d’obtenir pour les Indigènes possédant les mêmes diplômes et remplissant les mêmes fonctions que les Européens la reconnaissance des droits accordés à ces derniers, donc l’égalité de tous par la suppression de «l’indigénat», sans oublier la réforme des institutions avec la fusion des enseignements «européen» et «indigène» (1949).
Les élites indigènes d’Algérie, dans cette période de la colonisation, quoi que très minoritaires, étaient également des militaires, des médecins, des professions libérales… Ils pouvaient exercer également des métiers dans l’administration. Ils représentaient, par leur existence même, les contradictions d’un système colonial aliénant mais qui avait besoin dans le même temps de former des élites parmi les colonisés essentiellement pour pouvoir se perpétuer.
Ils étaient tous des acteurs d’une histoire qui a abouti à la fin du système colonial et donc à l’indépendance de l’Algérie et une très grande majorité d’entre eux s’est ralliée au mouvement national radical algérien pour combattre la colonisation.
L’entrée, enfin, de ces acteurs de l’histoire commune à la France et à l’Algérie dans les manuels scolaires, est une nécessité dans cette marche nécessaire vers la vérité et la réconciliation. Les mots de Mouloud Feraoun au début de ce texte sont là pour nous avertir si nous ne saisissons pas cette occasion historique.
Image extraite du film « A Mansourah, tu nous a séparés », de Dorothée Myriam Kellou. Films du Bilboquet / HKE
« Toute l’histoire de la souffrance [coloniale] crie vengeance et appelle récit. » Edouard Glissant
Une statue noire, en bronze, baïonnette à l’épaule, le doigt pointé vers moi, me regarde avec sévérité. Ou est-ce moi qui la dévisage, signe d’un affront prochain, pour qu’elle sorte l’histoire qu’elle cache dans ses entrailles ?
Cette statue du sergent Blandan, figure de la conquête coloniale en Algérie, est le fantôme de mon père, Malek Kellou. Elle trônait sur la route de son village, Mansourah, en Kabylie, jusqu’à l’indépendance. Enfant, elle lui faisait peur. On ne représentait pas l’humain dans sa culture musulmane. Et elle lui rappelait l’occupation militaire de son pays, l’odeur du napalm qui noircissait le bleu du ciel des montagnes qui entouraient son village.
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Cette statue, il l’a retrouvée, comme un rendez-vous avec le destin, quarante ans plus tard, érigée à Nancy, où il s’est installé pour travailler comme réalisateur pour la télévision française. Et la mémoire de la guerre et de la colonisation en Algérie, qu’il avait enfouie au plus profond de lui, a soudain ressurgi. Chaque nuit, son fantôme le visitait et mon père, effrayé, se levait. Pour chasser la terreur qu’elle réveillait en lui, il écrivait.
Il a écrit Lettre à mes filles, un projet de film documentaire qu’il n’a pas tourné. Il me l’a offert un soir de Noël, en 2010. A l’époque, je n’en ai rien fait. Je n’étais pas prête à affronter l’histoire. J’avais fini mes études de sciences politiques et d’arabe en France et en Egypte. Je travaillais pour le ministère français des affaires étrangères à Jérusalem, où je documentais la colonisation des territoires palestiniens occupés. Là-bas, je me confrontais à la violence d’une occupation militaire, à la dépossession vécue et à la perte mémorielle. A petits pas, sans le savoir, je me rapprochais de l’histoire de mon père, de son village, de tout un peuple.
« Je n’ai jamais revu ma maison »
C’est aux Etats-Unis, où je poursuivais mes études de master en histoire et en arabe, que j’allais commencer ma fouille. En France, je n’avais pas pu, pas su me lancer dans cette longue excavation de l’histoire pour mettre au jour ce qui est enfoui. J’ai relu cette Lettre à mes filles, que j’avais rangée dans mes « tiroirs à oublis ».
« J’ai élevé mes deux filles à Nancy, loin de l’Algérie, loin de la culture berbère et arabe, loin de leurs langues. C’est un peu comme si, inconsciemment, je n’avais pas voulu, pas pu leur transmettre cette part primordiale de la culture d’un pays, d’un peuple. C’est pour elle que j’écris.
Je suis originaire d’un hameau de Mansourah, un village de petite Kabylie, en Algérie. Pendant la guerre, l’armée française avait décidé l’évacuation des hameaux trop isolés, dont celui dans lequel nous vivions : Mansourah “tha Darth”, le bourg en berbère.
Nous avons été regroupés au centre, un lieu placé sous le contrôle de l’armée française. Le terrain était entouré de barbelés et il nous fallait obtenir des autorisations pour cultiver nos champs laissés à l’abandon. Selon les autorités françaises, il s’agissait de protéger les femmes et les enfants du FLN [Front de libération nationale], mais surtout, selon moi, de limiter le soutien des populations algériennes aux combattants du FLN.
Je ne suis jamais retourné dans mon village depuis cette époque. Je n’ai jamais revu ma maison, je n’ai jamais revu mes amis de Mansourah. Aujourd’hui, c’est mon souhait le plus cher d’y retourner. J’y retournerai. »
Je ne comprenais pas. J’avais le texte, mais pas le contexte. Je ne redoutais plus « la peur qu’éprouvent les conquérants du souvenir » (Mahmoud Darwich). Je décidai d’affronter l’histoire. Je commençai mes recherches.
Des camps sous surveillance
Au début de la guerre d’Algérie (1954-1962), pour combattre le FLN engagé dans une lutte armée contre la colonisation, l’armée française décide de vider les villages difficiles d’accès, soutiens logistiques et émotionnels à la rébellion. Des zones déclarées interdites sont créées et la population regroupée dans des camps sous surveillance et influence directe de la France. A la fin de la guerre, plus de 2,35 millions d’Algériens ont été regroupés dans des camps créés par l’armée française et 1,175 million dans des villages ou bourgs placés sous surveillance militaire française. Au total, plus de la moitié de la population rurale algérienne a été déplacée de son lieu d’habitation d’origine pendant la guerre d’Algérie.
Les statistiques de ce déplacement en masse me donnaient le vertige. Je poursuivis mes recherches. Je découvris un rapport qui avait fuité dans le journal Le Monde en avril 1959. Il révéla à l’opinion publique française les conditions de vie dramatiques dans les camps de regroupement. La faim et les maladies sévissaient. Le rapport évaluait la mortalité infantile à 500 enfants par jour. Ce document essentiel, rédigé par le jeune et encore inconnu Michel Rocard, fit craindre la répétition d’une histoire récente, l’expérience concentrationnaire de l’Allemagne nazie. Afin de dissiper tout doute, les autorités françaises redoublèrent leur effort de communication sur le « programme des 1 000 villages ». Les camps devaient devenir de « vrais villages », dotés d’une école, d’un dispensaire et d’un point d’eau potable. Ils seraient bientôt des outils de modernisation de l’Algérie rurale. Ce discours a contribué à effacer la réalité du déracinement et de ses conséquences sur l’Algérie rurale.
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Dès les années 1960, les travaux des sociologues Pierre Bourdieu, Abdelmalek Sayad (le déracinement) et Michel Cornaton (les camps de la décolonisation) ont mis en lumière les changements profonds et irréversibles que les regroupements ont causés dans les modes de vie et les mentalités des populations : abandon de l’agriculture familiale et de l’artisanat, développement du salariat, attentisme et immobilisme social, exode en masse vers les villes.
Je poursuivis ma recherche d’ouvrages plus récents. En 2012, la dernière vague de recherches sur le sujet (Sacriste, Henni, Zeghidour) n’avait pas encore été publiée. Face au constat de l’amnésie collective, je me mis sur les traces de la mémoire. Je cherchais à avoir accès à l’intime de cette histoire. Je voulais arracher les mots sur l’expérience vécue que l’histoire officielle masque ou nie.
Une mémoire orale éclatée
Dans un effort de reconstruire l’histoire, j’emmenai mon père, cinquante ans plus tard, à Mansourah, dans son village natal. Ensemble, nous avons recueilli, sur les lieux, la mémoire des déplacements forcés et fabriqué un film. Le thème de l’oubli traversait les témoins, qui, avec nous, se souvenaient de la violence et de la dépossession vécues.
Pour dire « le passé, notre passé subi, qui n’est pas encore histoire pour nous, [qui] est pourtant là, qui nous lancine » (Glissant), je décidai de faire un film. J’empruntai ainsi la langue de mon père, le cinéma, pour rassembler en un lieu, le film, une mémoire orale éclatée et créer une archive collective. Le film A Mansourah, tu nous as séparés (produit par les films du Bilboquet et HKE) m’a permis d’explorer notre histoire et de la partager avec d’autres qui, comme moi, cherchent une histoire qui n’est pas dite.
Dorothée Myriam Kellou et son père, Malek Kellou, au Festival du film documentaire d’Agadir, au Maroc. Elise Ortiou Campion
Je l’ai accompagné en festivals en France, en Algérie, dans plusieurs pays du monde. Souvent, à l’issue des projections, des témoins de cette époque et leurs descendants venaient me parler. Les premiers me confiaient leur mémoire, les seconds me disaient souffrir de ne pas savoir. Comment s’ancrer dans le monde sans mémoire de son histoire ?
« L’oubli offense, et la mémoire, quand elle est partagée, abolit cette offense » Edouard Glissant.
Je comprenais leur malaise, signe d’un passé oublié. Pour décloisonner cette mémoire, la rendre accessible à un plus grand nombre, je décidai de poursuivre ma recherche. Je suis retournée en Algérie, seule cette fois, à la recherche des traces mémorielles de cette politique systématisée à l’ensemble du territoire algérien.
Je rencontrai Hugues Robert, le fils de Jean-Marie Robert, préfet de la République qui dénonça les camps, décrit sans ambages la désolation de la population coupée de sa terre, de son ancrage, et aida les paysans à retourner vivre dans leurs villages détruits. Je retournai sur les traces d’un camp à Melbou, près de Béjaïa, en Kabylie, qui existait toujours, bientôt recouvert par des constructions d’une urbanisation anarchique. J’allai aussi visiter un village socialiste, projet du président Boumédiène pour redistribuer la terre, construit à l’emplacement d’un ancien camp. J’allai voir les ruines des villages détruits pendant la guerre et rencontrai ceux qui essayaient en vain de les faire revivre. Et je m’interrogeai sur les conséquences de ce déracinement en masse. Que se passe-t-il quand la société nie et refuse de se confronter à l’origine souffrante de l’histoire ? Que se passe-t-il quand on n’a plus que des ruines et du silence à léguer à sa descendance ?
Cette recherche est devenue un podcast, « L’Algérie des camps », disponible sur le site de France Culture (prix Albert Londres/France Culture). Qu’il permette à d’autres de quitter ce malaise qui m’a tant travaillée, de faire ressurgir la mémoire et de bousculer « l’impensé colonial », en France comme en
Une forme de mise au point du ministère des Moudjahidine est adressée au journal français, « Le Figaro » et au président Jacques Chirac, pour des écrits et déclarations liés aux harkis.
Le communiqué adressé à notre rédaction émane dune entité peu connue du grand public: le Centre national des études et recherches sur le mouvement national et la révolution de Novembre 1954; une structure placée sous légide du ministère des Moudjahidine.
Le texte évoque les méthodes de torture pratiquées en Algérie par larmée française avec le consentement discret de lautorité politique, sappesantit sur les champs de mines et enfin réserve, en conclusion, une mise au point en règle à ce qui sest dit sur les harkis, ces derniers temps.
La division information de ce centre sappuie pour élaborer sa réponse sur un article du Figaro consacré aux harkis et la déclaration récente du président français selon laquelle les harkis ont fait lobjet dactes barbares de la part du FLN en 1962. Jacques Chirac sexprimait lors dun hommage appuyé rendu aux anciens supplétifs de larmée française.
Lécrit de ce centre spécialisé en histoire de la guerre dindépendance apporte, au-delà des commentaires superflus, un nouvel éclairage, inédit par sa teneur, sur les massacres des harkis en 1962, imputés par des sources françaises au FLN, lesquelles parlent de 500.000 victimes tuées dans le sillage de la conclusion des accords dEvian.
Léclairage tardif sarrête sur deux points: dabord sur le nombre de victimes. Il serait délibérément gonflé pour porter atteinte à la nature du combat du FLN. Le chiffre exact oscillerait de 75 000 à 100.000 victimes. Deuxièmement, ces massacres seraient loeuvre des « Marsiens », cest-à-dire ceux qui se sont ralliés tardivement – à lannonce du cessez-le-feu – au combat pour la libération du pays.
Ces « combattants » algériens de la dernière heure étaient mus par le souci de prouver leur patriotisme, par lassassinat de harkis désarmés, de civils jugés pro-français.
Selon lécrit du « Centre de recherches », autorisé apparemment à apporter le démenti, lAlgérie « et son histoire officielle » récusent la version des faits colportée outre-Méditerranée.
« LAlgérie dénie toujours la réalité de cet horrible massacre: 75 000 à 100.000 personnes environ. La bataille des chiffres des historiens natténue en rien lignominie de cette tuerie sous les yeux des soldats français sommés par le gouvernement de ne pas intervenir », pouvait-on lire, dans ce document, qui met laccent sur la complicité de la partie française.
Cet épisode de lhistoire nationale est périodiquement agité pour altérer la noblesse de la lutte pour lindépendance du pays. Il est surtout arboré comme une fêlure dans le parcours et le palmarès du FLN.
Dailleurs, la communauté harkie en France a déposé récemment une plainte contre le FLN pour les supposées exactions et contre la France pour avoir négligé pendant longtemps cette frange de citoyens français entièrement à par
AU PIED DU MUR. Il arrive qu’un mot empêche jusqu’à la possibilité de penser : « repentance » est de ceux-là. Personne ne s’en réclame mais on se plaît partout à la condamner. La main sur le cœur, avec ça. L’extrême droite en a fait sa passion et la droite son passe-temps – et voilà qu’une frange de la gauche rêve d’occuper ses journées avec la droite depuis qu’elle ne sait plus ce qu’est la gauche.
Personne n’appelle au « repentir », sinon Jean-Baptiste dans le désert de Judée. Personne n’appelle à la « contrition », sinon Thomas d’Aquin dans les pages de sa Somme.
Alors si tout le monde parle de ce dont personne ne parle, c’est qu’il doit y avoir quelque intérêt à cela. On ne construit pas en vain un mot comme une menace. Jean Castex, ancien élu UMP et actuel Premier ministre, nous a récemment éclairés à heure de grande écoute : « Nous devrions nous autoflageller, regretter la colonisation, je ne sais quoi encore ! » L’épure n’est pas sans mérites ; elle balaie jusqu’aux dernières ombres : quiconque enjoint à lutter contre la « repentance » appelle donc à promouvoir l’Empire – c’est-à-dire l’accumulation du capital.
Tandis que les pourfendeurs de la « repentance » célèbrent l’exploitation des matières premières et des travailleurs, les dirigeants des États français et algérien mènent, une fois l’an, leur valse diplomatique. Certes, on se marche sur les pieds en public : les uns s’en veulent un peu, mais pas trop, et puis ça dépend des jours ; les autres notent l’effort, léger tout de même, un pas de plus ne serait pas des moindres. Au grand jour, les oligarques en cravate et les oligarques en képi confisquent les mémoires ; en coulisses, la France était, en 2019, le « premier client » de l’Algérie et son « deuxième fournisseur » en termes d’échanges commerciaux.
Les États sont des monstres, on le sait. Les intérêts ne savent pas les regrets – sauf si cela sert de nouveaux intérêts. Macron présentant ses excuses à Tebboune ? Hollande à Bouteflika ? Le grotesque autorise le sourire. Que les États trompent le monde, c’est bien normal : ils ont été conçus pour ça. Que nous leur prêtions l’oreille, c’est là matière à étonnement. La mémoire n’est que celle du peuple, des peuples – et plus encore de la classe, majoritaire, qui n’a pour vivre que ses seuls bras. Si l’on croit que la mémoire se double d’un devoir, c’est celui d’escorter le présent : non comme un fantôme mais une armure. L’État français a écrasé la révolte populaire de 2018 et l’État algérien maté la sienne quelques mois plus tard : on a connu meilleurs arbitres de l’Histoire. Lorsque gilets jaunes et partisans du hirak se croisèrent, on entendit « Même combat ! » dans les rues.
Que l’Empire ait mandaté le marquis de Galliffet pour « pacifier » l’Algérie puis l’ait mobilisé pour « pacifier » la Commune de Paris ne doit rien au hasard. L’Empire est l’enfant sanguinaire des détenteurs du capital ; ne confions pas aux représentants de ce dernier la charge des blessures et des oublis. Le peuple algérien a vaincu le colonialisme : la défaite de l’État français fut la promesse d’une humanité possible. En se libérant, un peuple en libère toujours deux. Cette promesse inachevée dessine une mémoire de part et d’autre de la mer – une mémoire par en bas.
Peut-être faut-il alors s’approcher : au cœur des peuples, les conteurs lui donnent leurs mots. S’approcher pour mieux voir.
La mémoire a mille mains. Les conteurs, les écrivains et les poètes se joignent à celles des cafés, des foyers, des fabriques et des rues qui, toutes, loin des stèles et des défilés, fouillent la matière nationale, taillent, découpent, façonnent, gravent, composent et recomposent les déshonneurs et les hardiesses, les bourbiers et les soleils. Dans le dos des possédants, les peuples se regardent droit dans les yeux.
Et, maintenant, voyez Kateb Yacine.
Il est âgé de seize ans. Nous sommes en 1945, le 8 mai précisément. Sous ses yeux, à proximité de la grande place du marché, les Européens fêtent la victoire contre le nazisme. Les Algériens aimeraient, eux aussi, fêter la victoire contre le colonialisme. Alors les Algériens défient les ordres du sous-préfet et les voilà qui marchent, agitent dans l’air leur drapeau national, criant à qui veut bien le croire que l’Algérie, bientôt, sera libre, indépendante. Les scouts musulmans entonnent le chant patriotique Min Djabilina. Comprendre : de nos montagnes. Kateb Yacine est là, quelque part. Voyez-le emporté par la foule qui enfle. Se souvenant de cet instant, il écrira plus tard, dans Nedjma : « Le peuple était partout, à tel point qu’il devenait invisible, mêlé aux arbres, à la poussière, et son seul mugissement flottait jusqu’à moi ; pour la première fois ; je me rendais compte que le peuple peut faire peur. » La répression commence : « Les automitrailleuses, les automitrailleuses, les automitrailleuses, y en a qui tombent et d’autres qui courent parmi les arbres, y a pas de montagne, pas de stratégie, on aurait pu couper les fils téléphoniques, mais ils ont la radio et des armes américaines toutes neuves. Les gendarmes ont sorti leur side-car, je ne vois plus personne autour de moi ». Puis ce n’est plus la foule mais l’armée qui, cette fois, emporte Kateb Yacine et le fait prisonnier, trois mois durant. Puis, « sorti de prison, écrira-t-il encore, j’étais tout à fait convaincu qu’il fallait faire quelque chose : et pas une petite chose : tout faire ». Cette grande chose n’est autre que la composition lente – le temps d’une vie –, douloureuse et vive à la fois, d’un mausolée littéraire. Les mots s’offrent aux générations futures : le verbe katébien va sculptant la mémoire. Une mémoire formée sur du papier blanc : c’est sa fragilité ; c’est sa force. Du vivant du poète, le pouvoir algérien n’en fera rien. Voyez Kateb Yacine appeler les écrivains à se saisir de l’Histoire : « Si les gens commencent à parler, c’est extraordinaire, ça devient un torrent. Ces expériences nouvelles, il faut les étendre, il faut les maîtriser. Elles nous offrent des moyens énormes ». La mort du poète advenue, le pouvoir algérien essaiera d’en faire quelque chose – ceci en vain.
Et, maintenant, voyez Assia Djebar.
Elle est âgée de vingt ans. Un jour de mai de l’année 1956, l’étudiante décide de se lever et d’entrer en grève à l’appel de l’Union générale des étudiants musulmans algériens. Elle est exclue. Ce temps dont soudain elle dispose est consacré à l’écriture de son premier roman, La Soif. L’intensification de la guerre d’indépendance et le militantisme de son époux vont contraindre Assia Djebar à se rendre en Tunisie, à quelques kilomètres de la frontière algérienne. Là, elle travaille pour le journal du FLN ; là, elle rencontre des femmes, les questionne sur cette expérience d’être une femme dans la guerre. Ces années sont menaçantes, incertaines. Assia Djebar distingue pourtant un horizon : « Dire à mon tour, transmettre ce qui a été dit puis écrit. Propos d’il y a plus d’un siècle comme ceux que nous échangeons aujourd’hui, nous, femmes de la tribu. » Elle songe à adjoindre à l’écriture l’image et le son : La Nouba des femmes du mont Chenoua investiguera la mémoire profonde des femmes et cherchera, plan après plan, à « ressusciter les voix invisibles ». Cette lutte pour que jamais les femmes algériennes ne soient oubliées, que jamais leurs contributions à l’histoire du pays ne soient niées, l’écrivaine n’aura de cesse de l’inscrire dans le domaine d’une mémoire privée à valeur publique et collective. « Écrire, c’est tenter désormais de fixer, de rêver, de maintenir un ciel de mémoire. » Voyez ce labyrinthe littéraire patiemment bâti par ses soins : poussez la porte d’une autre histoire, tissée « comme si toute parole de femme ne pouvait commencer que dans le flux verbal d’une précédente femme ».
Et, maintenant, voyez François Maspero.
Il est âgé de vingt-deux ans. La guerre – toujours elle – éclate mais ne dit pas encore son nom. Son père a disparu à Buchenwald ; sa mère a survécu à Ravensbrück ; son frère est tombé les armes à la main contre l’occupant. Il lui faut, avouera-t-il, « être à la hauteur ». Peut-être le jeune homme affronte-t-il ses morts en donnant la vie : les livres ont la chair plus coriace que l’espèce qui les lit. Ceux des autres, d’abord, puis les siens, un jour. Il devient libraire à Paris, reçoit Césaire et, contre le « silence de mort » qui entoure l’Empire, fonde sa propre maison d’édition : il publie Frantz Fanon préfacé par Jean-Paul Sartre, Le Droit à l’insoumission et Vérités pour du réseau Jeanson ; cosigne le « Manifeste des 121 » (« La cause du peuple algérien […] est la cause de tous les hommes libres ») ; rend compte du massacre du 17 octobre 1961 dans les pages de Ratonnades à Paris ; passe par la Suisse et l’Italie afin de diffuser certains des textes dont il a la charge. Voyez comme on s’abat sur lui : censure gaulliste, assauts fascistes (une dizaine de saisies, plusieurs attaques armées). Celui que la presse décrit alors comme « l’homme le plus plastiqué de France » racontera en 2009 : « [J]’avais besoin, mes lecteurs avaient besoin, de livres qui rendent compte de ce qui se passait dans le monde. À commencer par la guerre que la France menait en Algérie, au prix de centaines de milliers de morts, de zones interdites, de camps de regroupement et de tortures. Alors, ce genre de livres, je les ai publiés. Certains ont été interdits, j’ai été poursuivi, etc. J’avais besoin aussi, nous avions besoin, c’est vrai, de maintenir "l’espoir d’un autre monde". »
Voyez-les tous les trois – et tant d’autres avec eux. Voyez-les refondre les rives au nez et à la barbe des États.
La mémoire a mille mains. Les conteurs, les écrivains et les poètes se joignent à celles des cafés, des foyers, des fabriques et des rues qui, toutes, loin des stèles et des défilés, fouillent la matière nationale, taillent, découpent, façonnent, gravent, composent et recomposent les déshonneurs et les hardiesses, les bourbiers et les soleils. Dans le dos des possédants, les peuples se regardent droit dans les yeux.
"Si la France et l’actuel président de la République (Emmanuel Macron) excluent toute reconnaissance des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité commis au cours des 130 ans de colonisation de l’Algérie, c’est aussi parce que le rapport rendu par le conseiller-historien Benjamin Stora, tranche en ce sens", a indiqué M. Le Cour Grandmaison dans un entretien accordé mardi à l’APS.
Il réagit à l’attitude de la France officielle qui a exclu toute forme de repentance ou d’excuses suite au rapport sur la colonisation, remis mercredi dernier par Benjamin Stora au président français.
Pour M. Le Cour Grandmaison, "de ce point de vue, la responsabilité de Stora est complète puisqu’il fournit ainsi à Emmanuel Macron, comme à tous ceux qui refusent de s’engager dans cette voie indispensable à la manifestation de la justice, de l’égalité et de la vérité, de nombreux arguments pour justifier une fois encore cette dérobade historiquement et politiquement indigne".
"Elle s’inscrit dans la continuité de la politique française en cette matière et le programme +commémoriel+ élaboré par Benjamin Stora ne change rien à l’affaire", a-t-il ajouté, relevant "quelques modestes avancées bien faites pour tenter d’occulter la persistance de ce refus et donner du grain à moudre au président français qui sera bientôt en campagne électorale".
Il a fait observer que "contrairement à de nombreux pays qui ont reconnu les crimes commis au cours de leur histoire coloniale, comme l’Allemagne, la Grande-Bretagne, la Belgique, notamment, sans oublier les Etats-Unis, la Nouvelle-Zélande, l’Australie et le Canada qui ont, eux aussi, reconnu les torts insignes infligés aux populations autochtones, la France se signale donc par cette pusillanimité inacceptable pour les victimes comme pour leurs descendants, qu’ils soient Algériens ou Français".
Et de poursuivre : "Inacceptable, elle l’est également pour toutes celles et tous ceux qui, en France, se mobilisent depuis des décennies parfois pour faire connaître et reconnaître ces crimes longtemps niés", d’où, a-t-il ajouté, "la permanence de nombreuses discriminations mémorielles et commémorielles qui frappent les héritiers de l’immigration coloniale et post-coloniale, dont l’histoire singulière n’est pas ou peu prise en compte".
Pour cet universitaire, titulaire d'une maîtrise d'histoire et d'un DEA en sciences politiques et de philosophie, "cela vaut pour les manuels scolaires, pour l’enseignement comme pour les initiatives publiques nationales. A preuve, enfin, l’absence de musée consacré à l’histoire coloniale de l’Hexagone".
Archives classées secret-défense ou "duplicité" de la France S’agissant du volet relatif aux archives classées secret-défense, le politologue français a estimé que sur "ce point capital, puisqu’il y va de la liberté de la recherche et de droits démocratiques majeurs, le président Macron fait preuve d’une duplicité remarquable".
"D’un côté, il prétend favoriser l’ouverture des archives au plus grand nombre, de l’autre, pour satisfaire la hiérarchie militaire et son électorat le plus conservateur, Macron défend des mesures contraires à la loi du 15 juillet 2008, relative à l’accès aux archives et aux délais permettant leur communication", a encore déploré M. Le Cour Grandmaison.En ce sens, il a estimé que "ces mesures rendent impossible, très difficile en tout cas, la communication de certains documents classés +secret défense+", ce qui explique, a-t-il dit "le recours, devant le Conseil d’Etat, en date du 15 janvier 2021, de plusieurs associations importantes de chercheurs et d’enseignants sans oublier l’Association Josette et Maurice Audin".
Parmi tous les livres publiés à l’occasion du cinquantenaire de la mort de Charles de Gaulle et du 80e anniversaire de l’appel du 18 juin 1940, cette biographie concise mérite l’attention. Alors que les analyses du jeune de Gaulle furent dédaignées — ainsi, entre les deux guerres, son livre sur les blindés connaît moins d’écho en France qu’en Allemagne —, il s’avère un tacticien habile quand il mène, fin mai 1940, en pleine débâcle, une brillante contre-offensive autour d’Abbeville (Somme). Chef des Français libres, il s’oppose au président américain Franklin D. Roosevelt, qui tente fin 1942 d’imposer d’« anciens » vichystes en Afrique du Nord, puis, après le débarquement, un gouvernement militaire allié à la tête d’une France à peine libérée… Pendant la guerre d’Algérie, il affirmera à des proches dès février 1955 que l’indépendance est inévitable. Une perspicacité qu’il perdra toutefois en mai 1968, lorsqu’il évoquera devant des ministres effarés l’idée de « tirer dans les jambes » des émeutiers…
« Le président de la République, Abdelmadjid Tebboune, a reçu dimanche soir un appel téléphonique de son homologue français, Emmanuel Macron, qui s’est enquis de son état de santé et félicité de son rétablissement ». Le Président Macron « a fait part de sa volonté, dès le retour du Président Tebboune au pays, de reprendre le travail de concert sur les dossiers d’intérêt commun, notamment économiques, les questions régionales et le dossier de la Mémoire ».
A son tour, le président de la République «a remercié le Président Macron de ses sentiments sincères, lui affirmant sa disposition à travailler sur ces dossiers une fois de retour en Algérie ». Macron, tout en politesse diplomatique, essaie de s’attaquer à l’Himalaya des relations algéro-françaises via le rapport de Benjamin Stora. Ligne de crête qui mélange histoire et mémoire et où la cordée s’annonce en ordre dispersé.
Le président français fait part de sa volonté de reprendre le travail de concert sur les dossiers d’intérêts communs qu’orne cette fois-ci le rapport « « Stora ».
1830-2021 : 132 ans de colonisation et 59 ans de yoyo gaulois et déni qui accouchent d’un rapport tout frais en ce mois de janvier 2021. 2017, la France élit un Président né après la guerre d’Algérie. Jouant au violon avec un tabou de 2 siècles, Emmanuel Macron déclare que la colonisation est un crime contre l’humanité. En Algérie et en France, on essaie de lire sous les replis de cette déclaration…En France, on la met sur la manie Balsacienne de Macron qui use des mots qui décoiffent. Et puis plus rien, les relations retombent dans leur léthargie habituelle.
Décembre 2019, un nouveau président est élu en Algérie, il s’exprime en français sans forcer le trait, parle au téléphone avec Emmanuel Macron, disserte sur France 24, donne une interview à un canard français…Puis vint une pandémie qui sonne l’entracte. Puis Tebboune tombe malade. Macron charge l’historien Benjamin Stora d’un travail sur la colonisation et la guerre d’Algérie. Travail au demeurant partagé avec un historien algérien en la personne de M. Chikhi.
Janvier 2021, Stora remet son rapport à Macron. Du rapport de Chikhi, point de nouvelles…pour des raisons encore ignorées.
Le rapport Stora préconise la création d’une commission
« Mémoire et vérité », chargée d’impulser des initiatives communes entre la France et l’Algérie sur les questions de mémoire, constituée de personnalités engagées dans le dialogue franco-algérien ainsi que la création d’un secrétariat général chargé du suivi des décisions prises. Le rapport préconise aussi de renforcer l’enseignement sur la guerre d’Algérie dans les programmes scolaires et appelle à renforcer cet enseignement y compris dans les classes professionnelles. L’historien français fait la part belle dans son rapport aux hommages et aux commémorations avec la proposition de faire entrer au Panthéon Gisèle Halimi, ériger une stèle à l’émir Abdelkader, de renommer certaines rues etc…L’histoire, décidément, ne se décline pas sans salamalecs.
Abordant la question des archives, l’auteur souhaite plus de transparence sur un « passé commun», des recherches et enquêtes sur les lieux des essais nucléaires et leurs conséquences, de publier un guide sur les « Disparus de la guerre d’Algérie »que ce soit du côté algérien que français. Jolie ombre dans ce travail de mémoire, l’absence très présente de l’historien algérien Abdelmadjid Chikhi, qui devait faire un travail similaire à celui de Benjamin Stora.
Abdelaziz Rahabi a réagi ce samedi 23 janvier au rapport de l’historien Benjamin Stora sur la colonisation et la guerre d’Algérie, qui a été remis mercredi 20 janvier au président français Emmanuel Macron.
« Le rapport Stora ne prend pas en compte la principale demande historique des Algériens, la reconnaissance par la France des crimes commis par la colonisation », note l’ex-ministre et ancien ambassadeur dans une déclaration postée sur son compte Twitter.
Pour Rahabi, les Algériens ne demandent pas la repentance à la France sur les crimes coloniaux commis en Algérie de 1830 à 1962, tout en estimant que les deux pays doivent aussi regarder l’avenir.
« Il ne s’agit ni de repentance, notion étrangère aux relations entre États, ni de fonder une mémoire commune, les deux pays étant héritiers de deux mémoires antagoniques sur cette question. Pour le reste, chacun doit assumer son passé et les deux États sont tenus de mettre en place les conditions d’une relation apaisée et tournée vers l’avenir », estime-t-il.
Benjamin Stora a remis mercredi son rapport sur la colonisation et la guerre d’Algérie au président Macron, qui comprend 22 recommandations.
Parmi lesquelles figurent la reconnaissance par la France de l’assassinat de l’avocat Ali Boumendjel pendant la bataille d’Alger en 1957, de construire une stèle à l’effigie de l’émir Abdelkader en France et de discuter avec les autorités algériennes de la possibilité de faciliter les déplacements des harkis et de leurs enfants entre la France et l’Algérie.
Mercredi, l’Élysée a indiqué que la France ne va pas présenter des excuses à l’Algérie, ni faire acte de repentance sur les crimes coloniaux.
L’Algérie n’a pas encore réagi au refus de la France de présenter des excuses, et n’a pas commenté officiellement le contenu du rapport Stora.
«On peut choisir n'importe quelle date sauf le 19 mars!» avait prévenu François Mitterrand. En votant, le 8 novembre 2013, la proposition de loi socialiste d'inspiration communiste visant à faire du 19 mars 1962, date du cessez-le-feu en Algérie, une «journée nationale du souvenir en mémoire des victimes du conflit», la majorité de gauche au Sénat a donc décidé de passer outre l'avertissement, prenant ainsi, délibérément, la responsabilité d'«un risque grave de division de la communauté nationale» selon les termes de l'Union nationale des combattants. Soixante sénateurs UMP ont d'ailleurs déposé un recours devant le Conseil constitutionnel. Les associations de rapatriés ne désarment pas. Leurs dirigeants sont unanimes. Non seulement parce que la date du 19 mars est celle d'une défaite, mais parce qu'elle n'a même pas marqué, sur le terrain la fin de la guerre: bien plutôt la fin de l'engagement des autorités françaises dans la défense de leurs ressortissants et le début des terrifiantes violences dont furent victimes les Français d'Algérie et les supplétifs engagés aux côtés de la France.
« On peut choisir n'importe quelle date sauf le 19 mars! »
François Mitterrand
Sur le plan diplomatique, la «défaite» française en Algérie est de fait incontestable. Mais il est également vrai qu'elle était inscrite dès le début dans le processus des négociations. Et ce, pour une raison simple: l'Elysée était demandeur et pressé…
C'est le 20 février 1961 que, dans le plus grand secret, Georges Pompidou et Bruno de Leusse prennent contact en Suisse, à l'hôtel Schweitzer de Lucerne, avec les représentants du GPRA (Gouvernement provisoire de la République française), Ahmed Boumendjel, Taïeb Boulahrouf et Saad Dalhab. Selon les instructions reçues, il ne s'agit pour les représentants français que d'une mission d'information sur les objectifs à long terme du FLN et sur les voies et étapes qu'il compte emprunter pour y parvenir.
Immédiatement, Pompidou donne le ton en affirmant que la France a la situation bien en main, que l'Algérie n'est pas l'Indochine -«Il n'y aura pas de Dien Bien Phu»-, que les menaces de Khrouchtchev ou de tout autre ne font pas peur à De Gaulle et, pour finir, que la France ne craint pas l'indépendance algérienne. Elle exige donc un arrêt des combats avant d'entreprendre des pourparlers avec toutes les tendances sur les conditions de l'autodétermination, dont elle a accepté, depuis le référundum du 8 janvier 1961, le principe. Mais tout de suite aussi, les Algériens font connaitre leur refus de bouger d'un pouce sur la question du cessez-le-feu qui, disent-ils, doit résulter d'un accord politique.
C'est l'impasse. Et la situation n'évolue guère lorsque les mêmes se retrouvent pour une nouvelle réunion, le 5 mars suivant, à Neuchâtel. «Les contacts secrets confirmaient l'absence complète d'accord sur les liens à établir entre les éventuels pourparlers officiels et la cessation des violences», écrit Bernard Tricot, qui assurait alors le secrétariat de la Direction des affaires algériennes à l'Elysée.
A la «trêve statique» des Français, les Algériens opposent leur «cessez-le-feu dynamique» qui serait fonction des progrès de la négociation…
Que va décider De Gaulle?
Le 8 mars, un communiqué du chef de l'Etat appelle à l'ouverture de discussions « sans conditions préalables ». En bref, le cessez-le-feu n'en est pas un. Il sera l'objet de négociation comme un autre… De Gaulle vient d'en passer par la première des quatre volontés du FLN.
Le 8 mars, lors d'une nouvelle réunion, Bruno de Leusse lit devant les émissaires du GPRA un communiqué du chef de l'Etat appelant à l'ouverture de discussions «sans conditions préalables». En bref, le cessez-le-feu n'en est pas un. Il sera l'objet de négociation comme un autre…
Ce 8 mars 1961, De Gaulle vient donc d'en passer par la première des quatre volontés du FLN.
Les trois autres exigences du mouvement révolutionnaire sont claires: 1) le FLN doit être considéré comme le seul représentant qualifié du peuple algrérien; 2) l'Algérie est une, Sahara compris (ce qui n'a aucun fondement historique: le Sahara n'a appartenu à l'Algérie que sous la souveraineté française); 3) le peuple algérien est un, et ce que décidera la majorité du peuple vaudra pour tout le territoire et pour tous ses habitants. Il ne doit donc y avoir aucun statut particulier pour les Européens. C'est le futur gouvernement algérien qui, une fois installé, décidera avec son homologue français des garanties dont ils jouiront, des modalités de la coopération et des questions de défense. En attendant, il convient de discuter des garanties de l'autodétermination.
Le 15 mars, un communiqué du Conseil des ministres «confirme son désir de voir s'engager, par l'organe d'une délégation officielle, des pourparlers concernant les conditions d'autodétermination des populations algériennes concernées ainsi que les problèmes qui s'y rattachent». Tricot constate: «Les commentateurs les plus avertis se doutèrent bien que si le cessez-le-feu n'était pas mentionné séparément, c'est qu'il faisait désormais partie des problèmes qui se rattachaient à l'autodétermination et qu'il ne constituait pas un préalable.»
Le 30 mars, le gouvernement français et le GPRA annoncent simultanément que les pourparlers s'ouvriront le 7 avril à Evian. Mais le lendemain, interrogé par la presse sur ses contacts avec Messali Hadj, le leader du Mouvement national algérien (MNA), rival du FLN, Louis Joxe, le ministre en charge des Affaires algériennes, déclare qu'il consultera le MNA comme il consultera le FLN. Aussitôt la nouvelle connue, le GPRA annule les pourparlers.
Que va faire de Gaulle?
« Le gouvernement s'en tient, pour ce qui le concerne, à l'esprit et aux termes de son communiqué du 15 mars. » Le FLN sera donc l'interlocuteur unique et le représentant exclusif du peuple algérien. Ce 6 avril 1961, De Gaulle vient d'en passer par la deuxième des quatre volontés du FLN.
Le 6 avril, le Conseil des ministres publie un communiqué prenant acte de l'ajournement de la conférence d'Evian et conclut sobrement: «Le gouvernement s'en tient, pour ce qui le concerne, à l'esprit et aux termes de son communiqué du 15 mars.» Le FLN sera donc l'interlocuteur unique et le représentant exclusif du peuple algérien.
Ce 6 avril 1961, De Gaulle vient donc d'en passer par la deuxième des quatre volontés du FLN. Cette double capitulation en l'espace d'un mois explique peut-être les temes un peu crus de sa déclaration du 11 avril: «L'Algérie nous coûte, c'est le moins que l'on puisse dire, plus qu'elle nous rapporte (…) Et c'est pourquoi, aujourd'hui la France considérerait avec le plus grand sang-froid une solution telle que l'Algérie cessât d'appartenir à son domaine.»
Sur ce, le 21 avril, éclate le putsch des généraux dont l'échec entraîne la création de l'OAS par Pierre Lagaillarde et Jean-Jacques Susini. La violence atteint vite un seuil insoutenable et De Gaulle avoue à Robert Buron ne plus rien maîtriser. «Il n'y a plus, dit-il, que deux forces en présence: le FLN et l'OAS.»
C'est dans ce contexte que, le 20 mai, les négociations s'ouvrent à Evian. Du côté français, outre Louis Joxe, la délégation comprend, entre autres, Bernard Tricot, Roland Cadet, Claude Chayet et Bruno de Leusse. Tous des professionnels de la négociation. Du côté algérien, le chef de file n'est autre que Krim Belkacem, dont l'instruction se résume à un passé de maquisard. Pour marquer sa bonne volonté, le chef de l'Etat annonce une trève unilatérale d'un mois (l'action des troupes françaises sera limitée à l'autodéfense), la libération de 6000 prisonniers et le transfert au château de Turquant, en Indre-et-Loire, des chefs du FLN capturés en 1956.
De Gaulle déclare, le 5 septembre, accepter la souveraineté du FLN sur le Sahara, dont il disait quelque temps plus tôt à Louis Joxe: « Le pétrole, c'est la France et uniquement la France! » Il vient d'en passer par la troisième des quatre volontés du FLN.
Après une première interruption des pourparlers le 13 juillet due, notamment, à des divergences sur le Sahara, une reprise des négociations au château de Lugrin, le 20 juillet, et un nouveau capotage pour la même raison, De Gaulle déclare, le 5 septembre, accepter la souveraineté du FLN sur le Sahara, dont il disait quelque temps plus tôt à Louis Joxe: «Le pétrole, c'est la France et uniquement la France!»
Ce 5 septembre 1961, il vient donc d'en passer par la troisième des quatre volontés du FLN.
Ne reste plus en suspens que le sort des pieds noirs et des musulmans fidèles à la France, qu'il évoque d'ailleurs dans la suite de son discours, en parlant de «dégagement». Le mot résonne douloureusement à leurs oreilles, même si De Gaulle assure qu'en cas de rupture brutale avec l'Algérie, l'Etat entreprendra de «regrouper dans une région déterminée les Algériens de souche européenne et ceux des musulmans qui voudraient rester avec la France», donnant ainsi un début de réalité au thème de la «partition» lancé à sa demande par Peyrefitte.
Dans le camp d'en face, Benyoucef Ben Khedda, un marxiste, succède à Ferhat Abbas à la tête du GPRA.
Le 11 février 1962, les négociations reprennent aux Rousses. Elles s'achèvent une semaine plus tard sur un ensemble de textes qualifiés d'«accords de principe» que les Algériens doivent soumettre au CNRA, l'instance suprême de la Révolution, réuni à Tripoli.
Le 7 mars s'engage la seconde conférence d'Evian qui traîne trop aux yeux de l'Elysée. Robert Buron décrit un De Gaulle «moins serein, moins souverain» au téléphone. Le 18 mars, juste avant la signature, Krim Belkacem fait valoir une exigence: que les délégués français lisent à voix haute les 93 pages du document. Ces derniers s'exécutent en se relayant, article après article, tandis que les délégués algériens suivent attentivement chaque mot et que De Gaulle, à l'Elysée, attend. Le rituel imposé une fois terminé, les accords d'Evian sont paraphés par les deux délégations.Ils prévoient l'organisation d'un référundum sur l'indépendance. Il aura lieu le 1er juillet. Dans l'intervalle, le pouvoir sera exercé par un exécutif provisoire, sous la direction de Christian Fouchet.
Dans son Journal, à la date de ce 18 mars, Buron reconnait que sa signature figure au bas d'un «bien étrange document». Et il note: «Les jours qui viennent vont être des jours de folie et de sang».
Si le texte des accords d'Evian assure en principe aux Français d'Algérie « toutes libertés énoncées dans la Déclaration universelle des droits de l'homme », l'Elysée a renoncé à tout statut particulier pour nos nationaux et aucune clause ne concerne précisément les supplétifs. C'est la quatrième des exigences du FLN.
Car si le texte assure en principe aux Français d'Algérie «toutes libertés énoncées dans la Déclaration universelle des droits de l'homme», ainsi que la possibilité de «transporter leurs biens mobiliers, liquider leurs biens immobiliers, transférer leurs capitaux», l'Elysée a renoncé à tout statut particulier pour nos nationaux et aucune clause ne concerne précisément les supplétifs. C'est la quatrième des exigences du FLN.
Le lendemain 19 mars, le cessez-le-feu est proclamé du côté français par le général Ailleret, du côté algérien par Ben Khedda. Or, ce même 19 mars censé instaurer la paix, le directeur de la police judiciaire, Michel Hacq, patron de la mission «C» (C pour choc) qui supervise les barbouzes (ces «éléments clandestins» chargés depuis décembre 1961 de la lutte contre l'OAS), rencontre secrètement le chef fellagha Si Azzedine, patron de la Zone autonome d'Alger, pour lui remettre une liste d'activistes. Tout y est: les noms et les pseudonymes, les âges et les adresses. «Le marché est clair, écrit Jean-Jacques Jordi: les commandos d'Azzedine peuvent se servir de cette liste pour leurs actions contre l'OAS et ils peuvent “bénéficier” d'une certaine impunité d'autant que les buts du FLN et de la mission “C” se rejoignent (…) Cependant, force est de constater que ces mêmes commandos FLN ne s'attaquaient pas réellement aux membres de l'OAS mais poursuivaient une autre stratégie: faire fuir les Français par la terreur.»
Ce nettoyage ethnique qu'évoque sans fard dans ses Mémoires, l'ancien président du GPRA, Ben Khedda, en se vantant d'avoir réussi à «déloger du territoire national un million d'Européens, seigneurs du pays», était en germe depuis longtemps puisque les négociateurs du FLN à la conférence de Melun, Boumendjel et Ben Yahia, en avaient fait la confidence à Jean Daniel dès le 25 juin 1960: «Croyez-vous, leur avait demandé le journaliste, originaire de Blida, qu'avec tous ces fanatiques religieux derrière vous, il y aura dans une Algérie indépendante un avenir pour les non-musulmans, les chrétiens, les juifs auxquels vous avez fait appel?» Les deux responsables FLN ne s'étaient pas dérobés: «Ils m'ont alors expliqué, témoigne Jean Daniel, que le pendule avait balancé si loin d'un seul côté pendant un siècle et demi de colonisation française, du côté chrétien, niant l'identité musulmane, l'arabisme, l'islam, que la revanche serait longue, violente et qu'elle excluait tout avenir pour les non-musulmans. Qu'ils n'empêcheraient pas cette révolution arabo-islamique de s'exprimer puisqu'ils la jugeaient juste et bienfaitrice.»
Sur le terrain, le cessez-le-feu ne change rien à la poursuite de l'offensive menée de concert par le pouvoir gaulliste et le FLN contre « leur ennemi commun » selon l'expression de Krim Belkacem.
Détail important: la livraison au FLN par Hacq, ce 19 mars, de la liste des activistes n'est pas une nouveauté. Elle fait suite à une première liste de 3000 noms adressée au FLN par l'intermédiaire de Lucien Bitterlin, l'un des chefs des barbouzes, dès janvier 1962… C'est-à-dire trois mois avant les accords d'Evian, qui vont voir les relations entre Hacq et Si Azzedine se renforcer. Force est donc de constater que, sur le terrain, le cessez-le-feu ne change rien à la poursuite de l'offensive menée de concert par le pouvoir gaulliste et le FLN contre «leur ennemi commun» selon l'expression de Krim Belkacem.
Lors de la crise des Barricades, (la première révolte des pieds-noirs après le discours de De Gaulle annonçant, en septembre 1959, l'autodétermination ) en janvier 1960, le chef rebelle a en effet affirmé à l'ambassadeur américain à Tunis, Walter Walmsley, que si De Gaulle avait besoin de soutien, le GPRA se mobiliserait à ses côtés contre tous ceux qui s'opposent à l'indépendance de l'Algérie. Et donc, par extension, contre tous les Français d'Algérie à quelque confession qu'ils appartiennent.
Message entendu à l'Elysée.
«On n'allait bientôt plus savoir qui tuait qui -et pour le compte de qui! On tuait, voilà tout», écrit Bitterlin.
Ce 19 mars 1962, la guerre n'est donc pas finie: seuls les alliés et les adversaires ont permuté en fonction des développements successifs de la politique gaulliste. Elle va même prendre un tour extrême quelques jours plus tard.
Le 26 mars, rue d'Isly, une manifestation interdite mais pacifique de Français d'Algérie se dirigeant vers le quartier de Bab-el-Oued, foyer de l'OAS, encerclé par l'armée, se heurte à un barrage de tirailleurs venus du bled. Elle est mitraillée à bout portant. Bilan: près de 49 morts et 200 blessés. Le drame n'a rien d'un dérapage: Christian Fouchet s'en est justifié plus tard lors d'une confidence à Jean Mauriac: «J'en ai voulu au Général de m'avoir limogé au lendemain de Mai 68. C'était une faute politique. Il m'a reproché de ne pas avoir maintenu l'ordre: “Vous n'avez pas osé faire tirer [sous-entendu: sur les manifestants étudiants]-J'aurais osé s'il avait fallu, lui ai-je répondu. Souvenez-vous de l'Algérie, de la rue d'Isly. Là, j'ai osé et je ne le regrette pas, parce qu'il fallait montrer que l'armée n'était pas complice de la population algéroise.”»
Le 3 avril 1962, De Gaulle déclare qu'« il faut se débarrasser sans délai de ce magmas d'auxilliaires qui n'ont jamais servi à rien » et donne l'ordre de désarmer les harkis. Le 4 mai, il déclare que « l'intérêt de la France a cessé de se confondre avec celui des pieds-noirs. » Les uns et les autres font partie du « boulet » dont il avait avoué à Peyrefitte, le 20 octobre 1959, qu'il faudrait s'en « délester ».
Dans la folie meurtrière qui, sous les coups conjugués de l'OAS, du FLN, des barbouzes et du «Détachement métropolitain de police judiciaire» (couverture officielle de la fameuse mission «C» constituée de 200 policiers, et d'une trentaine de gendarmes aux ordres du capitaine Armand Lacoste), s'empare de l'Algérie et menace la métropole, la figure de l'«ennemi commun» se précise: le 3 avril 1962, lors d'une réunion du Comité des affaires algériennes, De Gaulle déclare qu'«il faut se débarrasser sans délai de ce magmas d'auxilliaires qui n'ont jamais servi à rien» et il donne l'ordre de désarmer les harkis (que des ordres complémentaires de Joxe et de Messmer empêcheront de gagner la France et, pour certains de ceux qui y seront parvenus malgré tout, rembarqueront de force pour l'Algérie). Le 4 mai, en Conseil des ministres, il déclare que: «L'intérêt de la France a cessé de se confondre avec celui des pieds-noirs.» Les uns et les autres font donc partie du «boulet» dont il avait avoué à Alain Peyrefitte, le 20 octobre 1959, qu'il faudrait s'en «délester». Cette disposition d'esprit du chef de l'Etat a une traduction concrète sur le terrain: en vertu de l'ordre donné à l'armée de rester l'arme au pied quoi qu'il arrive à nos nationaux, la politique d'abandon de l'Algérie se double d'une politique d'abandon des populations qui se réclament de la France et dont le sort est désormais lié au seul bon vouloir du GPRA.
Le rapport de Jean-Marie Robert, sous-préfet d'Akbou en 1962, adressé à Alexandre Parodi, vice-président du Conseil d'Etat, donne une idée détaillée des massacres auxquels se livre alors le FLN sur les supplétifs de l'armée française mais aussi sur les élus (maires, conseillers généraux et municipaux, anciens combattants, chefs de village, etc) «promenés habillés en femmes, nez, oreilles et lèvres coupées, émasculés, enterrés vivant dans la chaux ou même dans le ciment, ou brûlés vifs à l'essence».
Aux massacres de harkis qui atteignent bientôt des proportions et une horreur inimaginables, s'ajoutent les enlèvements d'Européens: de l'ordre de 300 à 400 entre novembre 1954 et mars 1962, ils se multiplient brusquement à partir de cette date pour atteindre selon les travaux de Jordi le chiffre de 3000 -dont 1630 disparus. Dans l'indifférence la plus totale de la part du gouvernement français que n'émeut pas davantage le massacre du 5 juillet ( jour officiel de l'indépendance algérienne après la victoire du oui au référendum du 1er juillet) à Oran, qui va coûter la vie à 700 Européens.
Aux massacres de harkis qui atteignent bientôt des proportions et une horreur inimaginables, s'ajoutent les enlèvements d'Européens: ils se multiplient brusquement pour atteindre le chiffre de 3000 dont 1630 disparus. « Pour la France, à part quelques enlèvements, les choses se passent à peu près convenablement », déclare De Gaulle le 18 juillet.
«Pour la France, à part quelques enlèvements, les choses se passent à peu près convenablement», déclare même De Gaulle le 18 juillet.
Devant l'exode, dont il nie la réalité jusqu'au dernier moment, le chef de l'Etat ne se soucie que de la «concentration» des réfugiés dans le sud de la France. L'ordre qu'il donne alors, le 18 juillet, est d'obliger les «repliés» ou les «lascars» (c'est ainsi qu'il appelle les pieds-noirs selon son humeur du jour) à «se disperser sur l'ensemble du territoire». S'attirant cette réponse de Pompidou, nouveau Premier ministre: «Mais à quel titre exercer ces contraintes, mon général? On ne peut tout de même pas assigner des Français à résidence! Les rapatriés qui sont autour de Marseille ne créent aucun problème d'ordre public. On ne peut pas les sanctionner!» il réplique: «Si ça ne colle pas, il faut qu'on se donne les moyens de les faire aller plus loin! Ça doit être possible sous l'angle de l'ordre public.»
Certains comme Joxe souhaitant envoyer cette «mauvaise graine» au Brésil ou en Australie, De Gaulle répond qu'ils aillent en Nouvelle-Calédonie ou plutôt en Guyane… Mais son intention véritable, il le dit et le répète, c'est de faire en sorte que tous retournent sans délai dans cette Algérie, dont ils sont parvenus -souvent in extremis-à fuir la terreur.
En Conseil des ministres, le 25 juillet, Alain Peyrefitte note que «plusieurs collègues baissent la tête»… Et le chef de l'Etat est sans doute conscient de son effet puisque le même Peyrefitte rapporte que Pompidou, mi-plaisant mi-sérieux, lui raconte que le Général a déclaré à Mme De Gaulle: «Je vous le dis Yvonne, tout ça se terminera mal. Nous finirons en prison. Je n'aurai même pas la consolation de vous retrouver puisque vous serez à la Petite Roquette et moi à la Santé.»
En réalité la détermination présidentielle est sans faille et pour que les choses soient bien claires, de Gaulle insiste: «Napoléon disait qu'en amour, la seule victoire, c'est la fuite; en matière de décolonisation aussi, la seule victoire c'est de s'en aller.»
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