8 février 1962, ssacre de Charonne. Le peintre Robert Lapoujade a saisi le drame, qui avait fait neuf morts et des dizaines de blessés à Paris lors d’une manifestation en faveur de la paix en Algérie. Les traits de pinceaux, nerveux, les couleurs, brutales, restituent avec force la violence, l’étouffement, l’oppression. L’œuvre, comme l’ensemble de la collection du futur Institut de la France et de l’Algérie, est actuellement protégée dans l’antre du centre de conservation et de ressources du Mucem, à Marseille. Dans un dédale de tiroirs et de placards, près de 6 000 pièces qui témoignent de la période coloniale 1830-1962 attendent ainsi d’être mises en lumière.

 

Histoire commune

Dans l’une des armoires du centre de conservation, une large surface rosée d’un globe terrestre du début du XXe siècle désigne l’« Afrique occidentale française ». «Ce type d’objet a été acquis afin de montrer comment l’empire français était enseigné à l’école durant l’époque coloniale. C’était une façon d’envisager le monde à travers les yeux de la France», explique Florence Hudowicz, la conservatrice de la collection, également membre de la commission mixte d’historiens français et algériens, destinée à travailler sur les archives de la guerre et la colonisation – une recommandation du rapport sur la mémoire de la colonisation et de la guerre d’Algérie commandé par Emmanuel Macron en 2020 à l’historien Benjamin Stora.

Objets, peintures, sculptures, affiches… Le regard peine à embrasser tous les rayonnages. Là, un « diorama » représente des scènes de vie et des soldats sur leur chameau. Ici, des médailles militaires jouxtent une parure de bijoux d’apparat. « La collection balaie la période de 1830 jusqu’à 1962 pour tenter de jalonner cette histoire commune afin que toutes les mémoires puissent s’y raccorder, ou en tout cas, pour que chacun accède à des éléments de compréhension», poursuit Florence Hudowicz. Choix a été fait de replacer la période de la guerre d’Algérie dans la longue durée. «Celle-ci intervient dans un contexte historique, dans une société, dont il faut comprendre la complexité et les diversités, de part et d’autre de la Méditerranée », analyse la conservatrice.

Un institut de la France et de l’Algérie, vieux serpent de mer

Reste à trouver l’écrin de cette riche collection. Vieux serpent de mer, un musée de la France en Algérie, consacrée à l’histoire coloniale, a été imaginé à Montpellier par Georges Frêche, truculent maire de la capitale héraultaise, dès le début des années 2000. Mais le projet ainsi que sa dénomination jugés trop colonialistes ont vite divisé et conduit à la démission du conseil scientifique en 2005. Cinq ans plus tard, quelques mois après la mort de Georges Frêche, le président de l’agglomération de Montpellier, Jean-Pierre Moure, le rebaptise « musée de l’histoire de la France et de l’Algérie ». Dès lors, la collection s’étoffe, grâce à la multiplication des acquisitions, auprès des familles ou lors de ventes publiques.

Nouveau coup de théâtre en 2014 quand Philippe Saurel accède à la mairie à la surprise de tous et décide de stopper net les travaux commencés dans un hôtel particulier de la ville, lui préférant un musée d’art contemporain. Les œuvres, en fait, ne quittent pas les réserves municipales jusqu’en 2018 et une décision de l’État qui les amènent à Marseille, à l’exception de quelques tableaux. Chaque année, certaines d’entre elles sont montrées au public lors d’une exposition « La voix des objets ». Il faut attendre – pour reparler d’un institut – 2021 et le rapport de l’historien Benjamin Stora sur la mémoire de la colonisation et de la guerre d’Algérie. Celui-ci préconise explicitement « la réactivation du projet de musée de l’histoire de la France et de l’Algérie ».

Un difficile accord sur le financement entre l’État et les collectivités

Porté cette fois par le maire Michaël Delafosse, le projet avance depuis à pas feutrés et son avenir reste fragile. Au sein de l’exécutif, la question était portée par Cécile Renault, devenue conseillère de coopération et d’action culturelle à Taïpei, et non remplacée. Le financement de l’État n’est pas non plus fermement scellé. La répartition du coût, ne serait-ce que du chantier, pas encore déterminée. L’Élysée ne souhaiterait pas se décider sans l’accord ferme, et encore en attente, de la région Occitanie et le département de l’Hérault. Même prudence du côté des collectivités, qui refusent de s’avancer sans le feu vert de l’État. Bref, le serpent se mord la queue.

À Montpellier, le maire et président de la Métropole, Michaël Delafosse, se dit favorable à un financement à 70 % par l’État et 30 % par les collectivités. «J’ai rédigé et envoyé une lettre d’engagement il y a un an à l’attention du président, dans laquelle j’ai bien indiqué que cet institut doit être porté par l’État. Nous, collectivités, sommes le second partenaire à ses côtés», explique l’édile. Selon nos informations, le ministère de la culture se montre plutôt favorable au projet montpelliérain. Depuis le début de l’année, plusieurs sites dans la ville ont été évalués par l’Oppic (Opérateur du patrimoine et des projets immobiliers de la culture), dont un remplirait le cahier des charges.

Une nécessité pour les jeunes générations

L’Institut de la France et de l’Algérie aurait-il enfin trouvé sa place ? Un lieu de compréhension et de dialogue dont historiens et associations soulignent la nécessité, plus de soixante années après la fin de la guerre. « L’Algérie a été une terre coloniale différente du Maroc ou de la Tunisie parce que la colonisation y a été plus longue (cent trente-deux ans) et que la conquête a été suivie d’une colonie de peuplement, souligne Florence Hudowicz. Nos sociétés demeurent marquées par ce temps long. » « Il y a, chez les jeunes, un énorme besoin de comprendre, créant des crispations identitaires», complète Alma Bensaïd, vice-présidente de l’association Jeunesses et Mémoires franco-algériennes, qui rassemble des jeunes âgés de 18 à 35 ans, et qui souhaite être associée à la gouvernance et à la programmation.

Plutôt qu’un musée, ou un projet exclusivement numérique comme cela avait, un temps, été imaginé, l’association a plaidé pour la création d’un lieu de vie accessible à tous, sans barrières d’entrée, intégré à la vie de la ville et de ses habitants, avec une librairie, un espace de travail, en complément d’une bibliothèque numérique. « Notre génération peut apporter une force d’apaisement, à la condition qu’elle soit intégrée aux décisions », insiste Alma Bensaïd. Son collectif s’est récemment élargi à des membres qui n’ont pas de lien personnel avec l’histoire franco-algérienne, « une ouverture primordiale si l’on veut faire comprendre qu’il ne s’agit pas d’une thérapie mémorielle mais bien d’une responsabilité sociétale ».

Affiche de propagande

 

image from i.la-croix.com

Tandis que la plupart des affiches de la collection visent davantage la promotion touristique de l’Algérie, celle-ci est clairement d’ordre politique. Cette affiche de propagande était sans doute placardée devant les bureaux de vote, lors du premier référendum de la Ve République, le 8 janvier 1961. Les électeurs, des deux côtés de la Méditerranée, devaient alors se prononcer sur le devenir de l’Algérie, après plusieurs années de guerre, et choisir entre la sécession, la francisation complète, ou l’association entre Algérie et France. Le vote « Oui » au projet de loi sur l’autodétermination l’avait emporté.

Insignes militaires

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Ces médailles militaires ont, pour certaines, été léguées par les familles, souhaitant témoigner du mérite et de l’engagement des leurs. Sur la première photo ci-dessus, les médailles vert et jaune avaient été créées par Napoléon III en 1852 pour honorer les services rendus à la France, dans la lignée des médailles de la Légion d’honneur (rouge et noir) créées par Napoléon Ier.

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Sur la seconde photo, des insignes militaires algériens reprennent les couleurs et les symboles du drapeau de l’Algérie. Les mouvements combattant pour l’indépendance ont eu tôt à cœur de se doter d’insignes symbolisant la nation algérienne face à l’armée française. Leur fabrication était souvent artisanale.

Verseuse

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Cette cafetière du début du XIXe siècle, avant la période de colonisation française, témoigne de la présence ottomane dans la région d’Alger et de l’orfèvrerie apportée par des artisans ottomans. Cet objet est en argent repoussé : les feuilles d’argent ont été travaillées depuis l’intérieur de l’objet, provoquant des bosselages. Plutôt qu’une cafetière, il s’agirait là d’une verseuse, qui n’était sans doute pas destinée à préparer mais à servir le café. Sa petite taille indique qu’elle servait probablement pour une personne, sa contenance n’excédant pas une ou deux tasses.

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La collection en chiffres

6 000 œuvres composent la collection, dont une majorité d’archives, telles que des photographies, des correspondances, journaux, livres, lots de cartes postales, ou encore tracts.

Environ 1 000 objets muséographiques, dont 150 tableaux, autant de dessins, 300 affiches et 200 objets, ont été acquis par donations ou ventes publiques.

Le parti pris a été de s’appuyer sur les médias propres à chaque époque. Ainsi, la peinture et le dessin pour le XIXe siècle, les photographies et les films pour le XXe siècle.

Chaque pièce de la collection a été acquise comme un point d’entrée vers l’appréhension de l’histoire des relations entre la France et l’Algérie.

 

 

  • Ysis Percq (correspondante régionale à Montpellier), 

https://www.la-croix.com/Culture/A-Montpellier-lInstitut-France-lAlgerie-fait-toujours-desirer-2023-07-25-1201276570

 

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