© SAINT-LOUIS, AU SÉNÉGAL, CAPITALE POLITIQUE DE LA COLONIE FRANÇAISE ET DE L'AFRIQUE-OCCIDENTALE FRANÇAISE, JUSQU'EN 1902. © WIKIMEDIA COMMONS
Au XIXe siècle, le soldat victorieux, l’instituteur civilisateur, le colon bâtisseur et le curé évangélisateur sont les héros d’une aventure coloniale censée revitaliser la France. Une épopée qui va s’écrire au détriment des peuples conquis.
Régner sur tous les continents est un vieux fantasme français. Dès le XVIe siècle, nos rois se lancent dans l’aventure de la colonisation, emboîtant le pas aux Portugais et aux Espagnols, en s’établissant en Amérique du Nord, aux Antilles, au Sénégal, à Madagascar, à La Réunion et aux Indes. Mais sous Louis XV, la guerre de Sept Ans brise cet élan. Le traité de Paris de 1763 fait perdre à la France la Louisiane et le Canada, sa seule véritable colonie de peuplement. Les révolutionnaires de 1789 vont ainsi hériter aux Antilles de confettis bien embarrassants, puisque leur économie repose sur l’ignoble traite négrière. Que faire de colonies esclavagistes quand on se réclame fils de Marianne ? Pour Condorcet, la solution est simple : les conserver, mais en changeant de modèle. Il faut y envoyer des hommes pénétrés de l’esprit des Lumières, qui vont permettre à ces populations d’accéder à leur rêve inconscient : rejoindre la civilisation occidentale. C’est là au fond tout le paradoxe du « rêve colonial » : apporter la civilisation à des peuples qui n’ont rien demandé et qui, pour nombre d’entre eux, résistent à ce qu’ils considèrent comme une agression. Derrière l’utopie se profile déjà la tragédie.
Le rêve colonial de la France
A partir de 1830, la France se lance à la conquête du monde et, au début du siècle suivant, elle contrôle 1/10e de la surface de la terre. Son empire, le deuxième après celui de la Grande-Bretagne, comprend le Moyen-Congo, la Côte d’Ivoire, le Dahomey, la Haute-Volta, le Soudan français, la Centrafrique, la Guinée, le Niger, le Tchad, la Mauritanie, Madagascar, l’Indochine, le Maghreb et des terres en Océanie. L’empire est un miroir flatteur dans lequel la Nation s’admire, comme le philosophe Alexis de Tocqueville en rêve dès la conquête de l’Algérie (1830) : « Avec du temps, de la persévérance, de l’habileté et de la justice, je ne doute pas que nous puissions élever sur la côte d’Afrique un grand monument à la gloire de notre patrie. »
Mais comme tout ceci est loin pour les français moyens ! Embarqués dans la révolution industrielle, ballottés par les changements de régime (deux empires, trois rois et trois républiques au XIXe !), ils goûtent peu l’aventure coloniale. La « France des colonies » ne séduit que des cercles restreints, élites politiques et milieux économiques.
Tout change après 1870. Avec la défaite contre la Prusse, suivie par les divisions sanglantes de la Commune, la France doit ressouder ses citoyens autour d’un projet national. La haine du « Boche » fédère, certes, mais en négatif. La certitude de faire œuvre patriotique aux colonies, voilà qui est mieux !
2,4 millions de Français quittent la métropole
Une propagande massive, mise en œuvre par les annonces de l’Union coloniale française (UCF), encourage les familles à tenter l’aventure. Aux femmes célibataires, l’UCF offre même le mariage avec un riche colon. Aux patrons, des débouchés commerciaux fantastiques. A chacun son nouveau monde ! Résultat : on estime qu’entre 1850 et 1930, 2,4 millions de Français quittent la métropole. L’Algérie, seule colonie de peuplement de l’empire, arrive en tête des demandes. Qu’on se le dise ! « Les colonies sont devenues le rêve des jeunes gens actifs et des jeunes filles qui préfèrent les brillantes réceptions de Saigon aux modestes appartements parisiens et au cinéma de leur quartier », clame une campagne radiophonique dans les années 1920.
En toile de fond de ce rêve éveillé, il y a les colonisés, appelés aussi indigènes, autochtones. Ce sont les terres de ces « primitifs » que la France occupe – pardon, « fertilise ». Au début du XXe siècle, le nationaliste vietnamien Phan Bôi Châu critique la métropole : « Si la France trouve que sa grandeur lui impose de condamner le peuple vietnamien à un esclavage perpétuel, qu’elle ait la franchise qui convienne à un peuple puissant et grand. […] Les titres réservés aux indigènes sont ceux de boys, de coolies, d’interprètes, de troupiers perpétuels. Cependant, les impôts augmentent tous les jours. Ô, âmes engourdies, réveillez-vous de votre torpeur ! » Dans les salons parisiens aussi, on s’interroge sur le bien-fondé des colonies.
En 1921, le Guyanais René Maran reçoit le prix Goncourt pour son livre Batouala – Véritable roman nègre. Il y raconte la colonisation du point de vue d’un chef africain, il dénonce la « civilisation » des Blancs, qui a amené en Afrique déchéance, massacres et mort. Paradoxe, celui qui dénonce le racisme des colons est lui-même fonctionnaire du ministère des Colonies. Son livre, grand succès, froissera les élites, brisant sa carrière. Preuve que, hier comme aujourd’hui, faire l’histoire des colonies est une affaire risquée.
France-Angleterre : deux empires rivaux
L’empire colonial français :
- Naissance de l’empire colonial français en 1608. Il se développe à partir de la fondation de Québec par Samuel de Champlain cette année-là. En 1962, l’Algérie est la dernière colonie française à devenir indépendante. La France conserve malgré tout des territoires en outre-mer (Antilles, Réunion, Nouvelle-Calédonie…). La Communauté française, regroupant les anciennes colonies, devient caduque en 1960 mais n’est formellement abrogée qu’en 1995.
- Une population de 114 millions à son apogée (en 1939).
- Une superficie de 12,5 millions de km2, à son apogée, après le traité de Versailles (1919) et l’annexion de colonies allemandes, et jusqu’en 1939.
- Devise : franc CFA pour l’essentiel.
- Statut des indigènes : sujets sans droits.
L’empire colonial anglais :
- Naissance de l’empire colonial anglais en 1583. A cette date, sa formation débute par l’annexion de Terre-Neuve, puis de la Virginie l’année suivante. La fin de l’empire s’échelonne entre 1960 et 1970, la plupart des Etats indépendants demeurant membres du Commonwealth, ce qui fait des monarques britanniques les souverains nominaux de ces Etats.
- Une population de 551 millions à son apogée (en 1939).
- Une superficie de 35,5 millions de km2, à son apogée, après le traité de Versailles (1919) et l’annexion de colonies allemandes.
- Devise : livre / dollar / roupie.
- Statut des indigènes : sujets.
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