La question de la récupération des fonds et des biens issus de la corruption d’hommes d’affaires, de militaires et des politiciens véreux ainsi que des parties influentes incarcérés pour corruption était une promesse de campagne du président mal élu Abdelmadjid Tebboune.
Aujourd’hui le bonhomme s’en remet à ses bons souvenirs et relance ce va-t-en guerre à la recherche de Dinars perdus dilapidés dans le cadre de la récupération des fonds dissimulés frauduleusement à l’étranger ou même en Algérie à travers des biens éparpillés çà et là. C’est d’ailleurs de l’un de ceux-là d’où est repartie cette affaire. Dimanche dernier, effectivement, le chef d’état lors du Conseil des ministres tenu sous sa présidence, avait sommé ses troupes d’accélérer la remise en production de l’usine des huiles végétales de Jijel, qui appartenait aux frères Kouninef, actuellement en détention pour corruption, lançant ainsi la première étape d’un début du processus de récupération.
C’est que l’histoire va chercher loin elle couterait au bas mot estiment les experts, plus de 7,5 milliards d’euros et 600 milliards de DA, un joli pactole pour des caisses assoiffées. Si pour ce qui est de récupérer l’argent volé et dissimulé à l’étranger, autant en faire son deuil tant les procédures complexes prendraient du temps pour le rapatrier, les démarches à entamer, se déroulant sous la houlette diplomatique. Au Bled c’est un autre son de cloche et cela semble plus envisageable. Mais dans cette histoire du voleur volé, et entre nous, le vrai pactole est en devises fortes et donc entre de bonnes mains chez les autres. Ce qui reste au pays va avec les pertes et profits. Et l’Exécutif algérien en ces temps durs est tout aise de rencontrer le fameux « limaçon » de la fable.
Sauf que là, la problématique de la récupération des biens et fortune des richissimes oligarques et hauts responsables du régime Bouteflika ne pourrait se faire, qu’après que toutes les voies de recours eussent été épuisées. D’ailleurs, seule la cour d’Alger « une voix de son maître sans équivoque », où se déroulent les procès en appel des accusés concernées par la confiscation de biens mal acquis, est apte ou non de confirmer les demandes de la partie civile, qui est le Trésor public en ordonnant donc la confiscation de biens précisément identifiés et localisés. Ce qui toutefois peut prendre parfois plusieurs mois, voire des années mais bien moins que pour l’autre opération de rapatriement.
Ces grands dossiers qui s’élèvent à 7,5 milliards d’euros, ont pour hommes d’affaires des sommités comme, Ali Haddad, Mahieddine Tahkout , Mourad Eulmi, Abdelghani Hamel, les frères Kouninef ainsi que des accusés de parts et d’autres, notamment ceux dont les biens ont fait l’objet d’un ordre de saisie dans l’affaire du montage automobile. La majorité de ces biens à confisquer se trouve dans la capitale Alger et ses environs, il s’agit de terrains, usines, sièges de sociétés ou bureaux… L’opération est, sauf retournement de situation comme c’est souvent le cas en Algérie, certes, des plus plausibles sur le plan juridique car la justice est toute acquise à l’exécutif qui n’est autre que l’uniforme en Algérie, mais elle restera dans le temps complexe à appliquer. Mais qu’on se le dise ! dans l’état actuel des choses ce n’est qu’une passation de mains ou de pouvoir. Les nouveaux « ayant droit » se bousculent déjà aux portillons de la bonne fortune que partage volontiers le parrain. C’est comme ça en Algérie depuis plus de six décennies. Les bonnes habitudes ne se perdent pas.
L’ancien président Barack Obama a évoqué l’Algérie par deux fois dans son livre Une terre promise qui vient de paraître dans sa version française aux éditions Fayard. Le prédécesseur de Donald Trump, dont le mandat a coïncidé avec les soulèvements qui ont chamboulé le Moyen-Orient et le Maghreb en 2011, avoue à demi-mot que Washington a grandement contribué à l’éclatement de ces événements même s’il admet, par ailleurs, que tous ses conseillers n’étaient pas d’accord sur l’attitude que la Maison-Blanche devait adopter face au renversement des «régimes arabes».
Barack Obama s’est surtout concentré sur les cas égyptien, tunisien et libyen sur lesquels son administration, affirme-t-il, était devant un choix cornélien : fallait-il s’impliquer ou pas ? Notamment en Libye où le Français Nicolas Sarkozy et le Britannique David Cameron étaient déjà à la manœuvre. Pour l’ancien locataire du Bureau ovale, une intervention directe de l’armée américaine «n’aurait rien réglé», d’autant que celle-ci était déjà suffisamment embourbée en Irak et en Afghanistan.
«En parallèle (aux manifestations en Tunisie, ndlr), des mouvements similaires, principalement animés par des jeunes, naissaient en Algérie, au Yémen, en Jordanie et à Oman, premiers bourgeons de ce qui allait devenir le printemps arabe», écrit Barack Obama. «Les manifestations antigouvernementales ont gagné en ampleur et en intensité dans les autres pays, où la possibilité du changement se révélait de plus en plus crédible», ajoute-t-il, en soulignant que «quelques régimes sont parvenus à faire au moins une concession symbolique aux manifestants tout en évitant les révoltes et les exactions : l’Algérie a levé la loi d’exception en vigueur depuis dix-neuf ans, le roi du Maroc a engagé des réformes constitutionnelles augmentant modestement les pouvoirs du Parlement élu, et le monarque de Jordanie n’a pas tardé à l’imiter».
«Mais, pour beaucoup de dirigeants arabes, la grande leçon à tirer des événements […] était qu’il fallait écraser systématiquement et sans pitié toutes les manifestations – en employant toute la violence nécessaire, et tant pis si la communauté internationale y trouvait à redire», confie encore l’ancien Président démocrate qui se lance, alors, dans une défense à peine voilée des Frères musulmans. «Après l’armée, qui était profondément enracinée dans la société égyptienne et avait des intérêts dans de nombreux secteurs économiques, la faction la plus puissante et rassembleuse du pays était celle des Frères musulmans [qui] bénéficiaient d’une base très étendue», écrit-il, en regrettant presque le fait que «de nombreux gouvernements de la région voyaient en eux une menace, une puissance subversive», et que «leur philosophie fondamentaliste faisait d’eux […] une possible épine dans les relations» avec Washington.
«Les médias ont commencé à se pencher sur la réaction de mon gouvernement face à la crise (les soulèvements populaires de 2011, ndlr), en se demandant concrètement de quel côté nous étions», se souvient Barack Obama. «Jusque-là, nous nous étions bornés à publier des déclarations standard qui nous faisaient gagner du temps. Mais les correspondants à Washington – dont une grande partie prenait visiblement fait et cause pour les manifestants – se sont mis à [nous] harceler, en exigeant de savoir pourquoi nous ne nous étions pas prononcés clairement en faveur des forces pro-démocrates», ajoute-t-il. «Pendant ce temps, les dirigeants de la région nous demandaient pourquoi nous ne soutenions pas Moubarak plus énergiquement», affirme Obama qui cite deux pays particulièrement gênés par la montée des Frères musulmans : Israël, qui craignait de voir l’Iran «s’y installer en deux secondes» si le régime égyptien venait à péricliter, et l’Arabie Saoudite, effrayée de ce que «la diffusion de ce mouvement dans la région représentait une menace vitale pour une dynastie qui étouffait depuis longtemps toutes les oppositions».
«Malgré mon instinct qui me poussait à sauver les innocents menacés par les tyrans, j’hésitais à ordonner une action militaire en Libye, pour la même raison qui m’avait poussé à refuser la suggestion […] d’inclure dans mon discours du prix Nobel un appel explicite à la responsabilité de protéger les civils contre leur gouvernement», fait savoir Barack Obama, qui s’interroge : «Quelle serait la limite de cette obligation d’ingérence ? Et quels en seraient les paramètres ? Combien de morts faudrait-il et combien de personnes en danger pour déclencher une réponse militaire des Etats-Unis ? Pourquoi en Libye et pas au Congo, par exemple, où un enchaînement de conflits avait coûté la vie à des millions de civils ? Devrions-nous intervenir uniquement dans les cas où les pertes américaines seraient nulles ?»
La réédition aux éditions Terrasses de deux des six romans écrits par Jean Pélégri est une opportunité de (re)lecture pour les amoureux des œuvres nées de l’Algérie et pour ceux qui veulent comprendre les tensions d’une colonie de peuplement. C’est particulièrement vrai pour Le Maboul, édité en 1963 et dont on ne peut pas dire qu’il ait rencontré son public. Le roman, Les Oliviers de la justice, plus aisé d’accès tant idéologique qu’esthétique, a eu un sort moins sévère, d’autant qu’il a été soutenu par son adaptation cinématographique.
« J’avais le sentiment d’avoir deux vies, d’habiter deux pays : l’un, solaire, européen, avec ses travaux agricoles, ses vignes et ses orangers, où je reconnaissais la marque de mon père ; et l’autre, nocturne, arabe, avec le chant des vendangeurs du côté de la cave, et tous ces noms tracés autour d’un croissant de lune dans un ciel profond et infini ». Jean Pélégri, Ma mère, L’Algérie (1989)
L’écrivain est revenu avec précision dans son essai très personnel Ma mère, l’Algérie, sur les circonstances de l’écriture du Maboul et des Oliviers de la justice. L’identité de l’auteur sur la couverture est un marqueur fort de son appartenance à un ensemble. Il rappelle que son père lui avait offert, lorsqu’il était enfant, la traduction de son nom Yaya El Hadj, et confie que ce souvenir lui est revenu « après avoir écrit Le Maboul. Devenu un autre, j’aurais souhaité qu’il fût publié sous un autre nom, celui de Yaya El Hadj. On me le déconseilla, avec toutes sortes d’arguments. Mais il m’arrive, parfois, de regretter de n’avoir pas écouté mon père ». Revenons sur les éléments qui composent la biographie de Jean Pélégri, pour le situer dans un ensemble littéraire (national ou affectif ) et mieux comprendre les strates qui composent la mouvance « Algérie », nébuleuse d’œuvres diverses dans laquelle il occupe une place assez singulière.
Jean Pélégri est né le 20 juin 1920, d’un père colon et d’une mère fille d’officier, dans une ferme entre L’Arba et Sidi Moussa, appelée Haouche el Kateb (la ferme de l’écrivain). À 16 ans, son père étant ruiné, il est contraint de vivre à Alger. Il entame des études de médecine qu’il abandonne puis s’inscrit à des études de philosophie. Engagé volontaire en novembre 1942, il participe à la campagne de Corse, de France et d’Allemagne. Démobilisé en 1945, il termine sa licence de philo et se tourne vers les Lettres. Il enseigne d’abord dans le pays minier de Hénoin-Liétard (il y rédige son premier roman, L’Embarquement du lundi), puis au lycée d’Ajaccio (de 1951 à 1953) et au lycée d’Alger (1953 à 1956). En 1956, il demande sa mutation en France où il a vécu jusqu’à sa mort en 2003, après une tentative non aboutie d’intégrer l’Éducation Nationale algérienne après l’indépendance.
Son entrée dans l’âge adulte s’est donc faite par la porte des études supérieures classiques, presque exclusivement réservées aux Européens. Aussi Jean Pélégri a surtout insisté sur la camaraderie de l’enfance dans l’espace de la ferme entre le fils de colon et les petits « Arabes » où la « distinction », et donc la séparation, est moins perçue, alors qu’elle devient un fait établi entre 20 et 25 ans reflétant la dominante du paysage social algérien sous colonisation. Un de ses courts poèmes dit le délicat travail de la mémoire qu’on pourrait presque nommer « travestissement » :
« La mémoire, comme un puzzle, est en effet une toile lacérée, mise en miettes et en morceaux ; et c’est à partir de ces débris, de ces fragments d’objets et de visages, qu’il me faut, patiemment, sans trop se soucier du temps ni de la chronologie, reconstituer le tableau, la figure, et cette longue histoire que j’entretiens depuis l’enfance avec l’Algérie ».
Ses premières leçons de vie, il les a reçues dans la ferme familiale de la Mitidja, comme il le rappelle en 1989 : « Ainsi, avec mes camarades de jeux – une demi-douzaine d’inséparables d’origines et de langues diverses – nous connaissions dans le détail tous les recoins de la ferme. [La forge, l’atelier, le hangar, l’écurie, le grenier, la noria]. Plus loin, en bordure d’un carré de vigne, il y avait un autre fossé, plus étroit et bordé de grands roseaux. C’était la zaouia, notre lieu de réunion. Malheureusement, et injustement, il y avait, au-dessus, une autre histoire. Celle du colonialisme. Ce colonialisme qui était la loi générale, qui dénaturait les rapports quotidiens, qui conditionnait le politique, la foi, l’instruction, et qui introduisait partout la ségrégation. Ainsi, le lundi, quand je partais vers l’école, mes camarades algériens, eux, restaient à la ferme. Sans livres et sans cartables. A l’époque, parce que j’étais un enfant, parce que je ne me doutais de rien, je considérais cela comme un privilège et je les enviais. Ils pourraient, eux, continuer à parcourir la ferme, les chemins, les fossés. Je ne me doutais pas non plus que l’école – ce début de culture – isole, sépare, à mesure que l’on grandit ».
Lorsque Pélégri évoque les langues, c’est aussi cette perception d’une multiplicité enrichissante dans laquelle il vivait sans étonnement qu’il met en avant : « Enfants, nous étions ensemble, Kabyles, Arabes, Espagnols, un ou deux Français, des gosses très mêlés. Nous parlions différentes langues selon le moment et selon les sujets. Pour tout ce qui concernait l’agriculture (…) c’était plutôt les mots français. Avec parfois un accent qui faisait dériver le mot, ce qui m’a donné l’habitude d’un langage varié et non pas uniforme ou académique. Au contraire, pour les fruits, nous employions souvent des mots arabes (…) h’abb el melouk. Nous nous répétions le mot en mangeant la cerise dans l’arbre, et cela donnait une autre saveur. Ce va-et-vient entre nos langues différentes avait aussi une signification particulière dans nos affrontements (…) Nous savions déjà que nous pouvions retourner la langue de l’autre pour rendre un argument plus efficace ».
Cette complicité s’efface au lycée et, encore plus, lors des études supérieures puisque ses camarades de la ferme n’y ont pas accès. Ayant conscience de l’injustice qu’introduisait le système colonial quand il écrit et se souvient, il préfère mettre l’accent sur les complicités et les mélanges plutôt que sur la « ségrégation » qui est pourtant nettement dénoncée, en particulier dans Ma mère, l’Algérie. Dominique Le Boucher qui a longuement interrogé l’écrivain affirme que tant que son père possédait la ferme, Jean détestait aller à l’école et essayait de rester le plus souvent possible à la ferme pour l’accompagner et jouer avec ses camarades d’origine arabe. Contrairement à Camus ou à Sénac, il n’a pas été en manque de père mais au contraire, « en surprésence paternelle » : de lui, il tient le sens de la justice et Les Oliviers de la justice sont un hommage au père. Dans son enfance, il n’a pas cherché de maître ailleurs. Jean Pélégri opte pour une dissociation du vécu d’enfance et de l’histoire du colonialisme comme injustice.
Jean Pélégri a écrit son premier roman en 1950, L’Embarquement du lundi lorsqu’il préparait son professorat de Lettres dans le Pas-de-Calais après avoir été démobilisé en 1945 et être parti provisoirement pour Paris. Le roman est publié en 1952 chez Gallimard grâce à Camus qui le considère comme l’un des livres de « la littérature solaire » d’Algérie. Sur Jean Pélégri, comme sur de nombreux écrivains d’Algérie, a pesé très vite le poids de Camus puisque dès L’Embarquement du lundi, il est classé parmi les « camusiens ».
Il écrit ensuite Les Oliviers de la justice et l’adapte au cinéma, dans la violence de la fin de la guerre. Un peu acerbe dans son appréciation, Albert-Paul Lentin, dans l’article qu’il a consacré à l’écrivain en 1964 et que les éditions Terrasses ont re-publié en annexe des deux romans, écrit : « J’y trouvais comme un arrière goût de tout ce qui m’irrite toujours, depuis Camus, chez toute une lignée intellectuelle de Pieds Noirs de bonne volonté, mais un peu trop enclins à poser le problème du malheur en Algérie avant celui de la responsabilité, et dont l’œil ne cessait de s’embuer de larmes jusqu’à devenir politiquement myope. Ce livre, Les Oliviers de la justice forçait un peu trop, à mon gré, sur la pitié alors que les temps étaient à la colère, et au combat ».
Le Maboul efface cette irritation car Pélégri y a pris un tournant décisif par la recherche d’une langue qui rende compte de la réalité telle que l’écrivain l’a vécue : « un texte puissant, un texte à la hauteur de l’événement dans lequel il baigne, un livre qui n’est pas seulement un livre sur l’Algérie, mais un livre pleinement algérien, et un livre qui n’est pas loin d’être un chef d’œuvre », écrit ensuite Albert-Paul Lentin. Mourad Bourboune va dans le même sens : « L’homme et l’œuvre sont profondément enracinés dans la terre algérienne. (…) Sa vision terrienne, géologique n’a rien d’abstrait. Prenez Jean Pélégri et mettez-le dans une vigne de la Mitidja, sur une pente ocre du Tell : il ne dérange en rien l’ordre des choses ».
Une étude du processus de métaphorisation du roman de Pélégri montre qu’il privilégie l’image de la « greffe » réussie ou ratée pour décrire le rapport colonial ; son écriture a la pierre, l’arbre, la vigne, la montagne pour pivots symboliques. On peut y voir l’affirmation de l’enracinement dans le minéral et le végétal qui transcende une réalité historique bouleversée. C’est en cela que le texte de Pélégri prend une direction autre que le récit camusien, riche qu’il est d’une expérience vécue de cohabitation rurale et non citadine. Le couple Slimane/M’sieur André (le vieux colon, père de Georges) symbolise une histoire qui aurait pu se passer autrement après le grand bouleversement du séisme vécu ensemble : « la terre avait bougé. Alors, après, quand on était en train de marcher sur elle, c’est comme si Dieu la rendait – à tous les deux ». Histoire possible si la jeune génération (Saïd/M’sieur Georges) ne se querellait pas, si elle avait su continuer, en l’améliorant, le « partage ».
Aussi, dans la scène du meurtre sur laquelle nous allons revenir, Slimane n’intervient pas car la médiation n’est plus possible, les choses ont été trop loin ; s’il a ensuite le projet de tuer M’sieur André, ce n’est pas par esprit de vengeance mais pour le garder enfoui dans « sa » terre. Son erreur – il tue Georges et non le vieux –, le bouleverse car elle fait perdre son sens à son acte alors même qu’elle le transforme en héros aux yeux des siens : le malentendu… Slimane, en tuant, n’est pas la porte-parole des siens : le nouveau monde qui naît à l’indépendance lui est aussi étranger qu’au vieux colon. Il est le « dernier Arabe ». Il n’appartient pas à la Nation mais à la Terre algérienne, celle qui vient de la Montagne et qui aurait fait jonction avec la plaine si tous les « arbres » – comme M’sieur André –, avaient eu une racine profonde. Le partage n’est plus possible.
En 1962-1963, alors qu’il écrit et publie Le Maboul, Pélégri distingue l’arabité de l’algérianité dont le vieux colon est porteur ; mais il le fait après avoir fait un détour conséquent dans les motivations de l’Autre, dans un réel effort de compréhension et de fraternité. Ce roman reste aujourd’hui un des romans les plus étonnants de la mise en écriture symbolique de la décolonisation. Cette sympathie, au sens profond du terme, pour le peuple algérien ne s’est jamais démentie chez le romancier, même quand il a dû quitter le pays en 1966. Le Maboul lui a ouvert, dès 1964, l’Union des Écrivains algériens dont il fait partie à sa création. Il participe au premier numéro de la revue Novembre et souscrit à la Charte de l’Union.
Le lecteur qui a lu L’Étranger, ne peut pas ne pas le retrouver, en 1963, dans Le Maboul de Jean Pélégri. Contrairement à ce roman où le narrateur du meurtre était le meurtrier lui-même, dans le roman de Pélégri, c’est un personnage non impliqué dans l’acte : Slimane, « le maboul » qui observe et commente, comme si le romancier « inventait » un narrateur en position de négociation, capable d’expliquer le geste de violence. Il regarde de haut comme Dieu, perché sur un figuier comme s’il en était partie, le premier figuier que le vieux colon avait greffé. Cette position lui permet d’expliquer l’attitude des deux acteurs du meurtre, quand il le peut et de formuler ses interrogations lorsqu’il ne comprend pas. L’introduction de ce troisième personnage introduit l’ambivalence car il dédouble « l’Arabe » assez monolithique chez Camus. L’Arabe de Pélégri, c’est à la fois Slimane qui observe et Saïd qui agit, le vieux et le jeune, celui qui a intériorisé l’ordre colonial et celui qui le rejette. L’Arabe de Camus avait la tête à l’ombre et le corps au soleil. Dans Le Maboul, Slimane est à l’ombre dans son figuier et Saïd complètement au soleil. Pélégri travaille différemment la symbolique forte de l’ombre et de la lumière de la littérature d’Algérie.
Mais Slimane est aussi Meursault puisqu’il raconte Saïd en homme du refus. La suspension temporelle, la rupture du temps romanesque, caractéristique de l’insertion d’une séquence de description, est particulièrement sensible dans ces scènes de meurtre. Pour remettre en marche le temps, l’acte est nécessaire car il relance le mouvement des personnages. Le commentaire de Slimane accompagne la description détaillée de la scène et se fait justification de l’acte de Meursault. S’il y a mort, c’est parce qu’il y a eu infraction à la loi coloniale, que les deux « partenaires » » ont péché par arrogance : « C’est là que l’autre a dû s’énerver. Quand tu attrapes un Arabe à te voler, tu aimes bien qu’il te montre qu’il a peur. S’il l’a pas, mais au contraire, la rigolade et l’air de pas te voir – alors que toi, en plus, tu as l’revolver – y a pas, faut qu’tu fasses quelque chose !… »
Le texte de Pélégri apparaît alors subtilement aussi comme un plaidoyer pour Meursault par la réinscription de son acte dans une réalité concrète et par la dissociation, du côté des Arabes, entre vieux et jeunes. Les vieux sont en complicité avec le vieux colon, les jeunes veulent la rupture. Car, dans Le Maboul, deux amis d’enfance se défient, comme des gosses mais l’un d’eux, Saïd, va trop loin ; il provoque et meurt dans les vignes, bêtement : « Chacun, dans l’fond, il doit savoir que le couteau, des fois, ça commande l’Arabe et le revolver le Français – ça chacun le sait ».
Le romancier s’est expliqué auprès de Jean Daniel sur la répartition « ethnique » des armes : « Je voulais simplement dire que la différence d’armes n’est pas insignifiante. Elle relève d’un fait que les ethnologues ont souvent constaté et qui tend à établir que chaque peuple, chaque « race », se fait de l’arme de l’autre une image plus ou moins mythique. Pour l’Européen, le Maghrébin est menaçant par son couteau (…). Pour le Maghrébin, qui à l’époque ne disposait que d’armes primitives ou peu élaborées, l’Européen effraie par le revolver ou le fusil. De ce fait ces armes – qui sont plus que des armes – peuvent réveiller de vieilles peurs et pousser à l’acte. C’est ce qui se passe, semble-t-il, dans L’Étranger. Sous un soleil témoin qui semble occuper tout l’espace, l’affrontement meurtrier se condense et se focalise sur un duel entre armes symboliques. Ce sont elles qui éveillent en chacun le « racisme » latent et c’est cette ellipse qui, en chargeant le récit d’une force à la fois souterraine et solaire nous rappelle du même coup qu’il y a encore en Méditerranée, comme au temps de la mythologie grecque, un tragique solaire et des soleils noirs ». En ce sens, Pélégri apprécie sa mise en scène du meurtre comme opposée à celle de Camus.
Cette explication donnée à Jean Daniel ne manque pas de perspicacité ; toutefois, au-delà du simple « réflexe » du duel des armes, on peut l’enrichir d’une interprétation dans le contexte colonial : le meurtre a eu lieu parce que Meursault a transgressé le code spatial en colonie qui veut que les deux peuples évitent d’occuper le même espace – Meursault n’a pas supporté que la source lui soit interdite par l’Arabe –, et l’Arabe a transgressé le code comportemental qui veut que le colonisé s’efface devant le colon. En ce sens il faut relire en parallèle la scène de L’Étranger et la scène, revue et corrigée, du Maboul. On verra la proximité et la différence entre les deux textes. L’écrivain s’est expliqué sur ce dialogue des deux textes : « Un vieil ami de la maison Gallimard, M. Hirsh, qui aimait beaucoup le livre, m’a fait un jour remarquer que j’avais écrit en somme une sorte d’Étranger retourné. Mais avec un personnage plus complexe et une motivation ambiguë qui relevait plus de la tendresse que du « racisme ». Pour le reste, me disait-il, le même soleil, le même affrontement sanglant entre deux jeunes hommes, et à la fin, le même meurtre sans raisons apparentes. Je n’y avais pas pensé un seul instant. Pendant la rédaction du livre, je n’avais pensé à Camus qu’une seule fois: lorsque Slimane va à Alger pour voir à la morgue le corps de son neveu. Du haut de la colline de Kouba, il aperçoit pour la première fois la mer – et c’est à cet instant que j’ai pensé à Camus (…) Mais comme on ne sait jamais ce qu’il en est des influences et des réminiscences – ni du chemin qu’elles font en vous, il se peut donc qu’obscurément, et par toutes sortes de détours, Camus soit présent quelque part… De toute façon, je crois qu’il vaut mieux ce chemin que celui de l’idolâtrie. On ne se débat en profondeur contre quelqu’un que si on l’aime et que s’il vous a marqué ».
Dans quelle littérature faut-il « classer » Jean Pélégri ? En 2000, Mohammed Dib – son ami : ils sont nés et morts aux mêmes dates –, écrivait : « La discrétion dont les critiques ont obstinément et désobligeamment fait preuve à l’endroit des écrits de Jean Pélégri, à mon sens, s’explique ainsi : ils ont eu affaire à quelque chose qu’ils ne connaissaient ni ne comprenaient, et cette chose qu’ils ne connaissaient pas et persistent à ne vouloir ni connaître ni comprendre, s’appelle l’Algérie ».
Faut-il qualifier de « littérature algérienne » toute œuvre qui parle de l’Algérie ? Pourquoi l’exclure de la littérature française ? C’est ce dernier point que je voudrais souligner en m’appuyant sur la « Note des éditeurs » de cette réédition des éditions Terrasses. L’exemple de Pélégri est un des meilleurs pour toucher du doigt le devenir, en Histoire littéraire, des écrivains français d’Algérie qui n’ont pas pris fait et cause pour l’Algérie française mais ont eu une position plus complexe. Que toutes les œuvres de ce que nous appelons la « mouvance Algérie » appartiennent au patrimoine du pays, bien évidemment. Mais elles appartiennent aussi à la fois au patrimoine français et à l’histoire littéraire de la France : « Nostalgie, mémoire, racines, ces trois éléments se retrouvent, à des degrés qui dépendent des lieux et des générations, dans cette histoire mal conne et souterraine qui s’est déroulée entre les uns et les autres, là où les rapports étaient quotidiens. Et cette histoire constitue une bonne part de notre identité ».
En ce sens, les trois écrivains réédités par Terrasses éditions – Anna Greki, Jean Sénac et Jean Pélégri – ont des œuvres « algériennes ». Faut-il, pour autant, les considérer comme partie intégrante de la « littérature algérienne » ? S’il ne fait pas de doute que la réponse est affirmative pour les deux premiers, elle est moins évidente pour le troisième. Les éditeurs l’affirment dès les premières lignes de présentation et indexent ces œuvres « à l’internationalisme révolutionnaire des années de lutte décoloniale » (il faudra un jour qu’on m’explique pourquoi décoloniale a remplacé anticoloniale ?). Ils affirment aussi que ces œuvres transmettant un écho plus authentique que certaines œuvres actuelles. A l’appui de cette affirmation, ils épinglent Kamel Daoud en s’appuyant sur l’exécution d’Ahmed Bensaada, dont l’essai est bien conforme au sport national au pays qui est de démolir ceux qui ont du succès… Et réduire cet écrivain, un des plus talentueux de sa génération, à cette appréciation lapidaire, « façonné pour plaire à une lecture plate, humanisante et réactionnaire d’un occident adorant les écrivains-chroniqueurs-un-peu-polémistes » n’est pas digne du travail remarquable de réédition entrepris.
Que cela plaise ou non, le rapport à Camus – des trois, seule Anna Greki semble y avoir échappé à son ombre tutélaire –, est constant, déférent ou polémique, destructeur ou constructif. Cela a été amplement démontré. Délicat donc de baptiser « auteur algérien » sans autre explication. Les éditeurs, n’échappant pas, eux aussi, au syndrome camusien, voient ces trois écrivains, d’origine française, comme « l’endroit », dont les écrivains d’origine « arabe et berbère seraient l’envers » : et pourquoi pas l’inverse ? Mais peut-être font-ils allusion à une phrase du roman de Mourad Bourboune, Le Muezzin, ami de Pélégri et que celui-ci cite en exergue de son essai de 1989 : « Réformateurs, hommes de faible pesée ! Qui vous parle d’ordre ou de désordre, d’envers ou d’endroit, d’Orient ou d’Occident, du jour ou de la nuit ? Je veux le coude à coude de toutes les choses contraires ».
Avec Pélégri, nous sommes bien dans une création qui pose des questions essentielles à la cohabitation possible ou impossible dans une colonie de peuplement. Il parle de sa prise de conscience qu’il a résolue, s’il l’a résolue, à sa manière, en restant un écrivain français, né en Algérie et pétri de sa terre : « Qu’on me pardonne le côté sacrilège de cette comparaison – mais la langue de l’autre est, dans certaines circonstances, comme une sorte de prière par laquelle on s’ouvre à une Parole qui vous agrandit. (…) Vous voilà dans une sorte de no mans‘land incertain, mais au plus profond de vous-même. Libéré des conventions du langage, des propagandes, des idéologies dominantes du lieu et du moment, et algérianisé par l’écriture, vous voilà devenu l’autre, le frère. (…) Intervenait aussi parfois, en cours de rédaction et en arrière-plan, une autre motivation. Plus psychanalytique. Celle de reconquérir, par l’écriture, un territoire et un pays dont avec les miens je me sentais injustement exclu. (…) Il y avait aussi des livres qui sont pour l’écrivain des sortes de guerres civiles intérieures. (…) L’écriture avait algérianisé ma façon de sentir les êtres et les choses ».
Qu’il y ait dans la littérature française des œuvres pétries d’Algérie est un fait évident. Et Pélégri se reconnaîtrait bien dans cette déclaration d’Albert Camus, en 1958 : « L’une des choses dont je suis fier en tant qu’écrivain et en tant qu’écrivain algérien, c’est que nous autres écrivains algériens nous avons fait notre devoir et nous l’avons fait depuis longtemps. Nous sommes beaucoup à espérer ce qu’on appelle l’Algérie de demain. Je ne sais pas si elle se fera ni dans quelles conditions elle se fera. Je ne sais pas non plus ce qu’elle nous coûtera encore en sang et en malheur, mais ce que je puis dire, c’est que cette Algérie de demain, nous autres écrivains algériens nous l’avons faite hier. Nous avons été une école d’écrivains algériens, et quand je dis école je ne veux pas dire un groupe d’hommes obéissant à des doctrines, à des règles, je veux dire simplement exprimant une certaine force de vie, une certaine terre, une certaine manière d’aborder les hommes ».
Ou dans celle de Mouloud Feraoun, en octobre 1960 : « Quand il est question d’écrivains algériens, il s’agit évidemment d’auteurs nés en Algérie, d’origine européenne ou autochtone, auxquels il faudrait ajouter ceux qui, ayant vécu ou vivant en Algérie, ont découvert ou découvrent ici leurs sources d’inspiration. Les uns et les autres sont Algériens dans la mesure où ils se sentent eux-mêmes Algériens, et où leur œuvre concerne l’Algérie. S’ils ne se sont rassemblés autour d’aucun manifeste, il est indispensable, je crois, que quelque chose les réunisse : la même fidélité à la terre et aux hommes, le même esprit, les mêmes goûts, une certaine complicité peut-être… En tout cas, l’expression ‘écrivains algériens’ ne comporte à mon sens nulle ambiguïté ».
Il adhérerait moins à la définition de son ami, Jean Sénac : « Est écrivain algérien tout écrivain ayant définitivement opté pour la nation algérienne ». Cela n’enlève rien à la force de son roman de 1963 ni à l’authenticité de son immersion dans la terre algérienne. Par sa création, il a échappé au dilemme colonial – relisons Albert Memmi, « le colonisateur qui se refuse » – : en créant une langue, au creux du français, qui soit un trait d’union, une passerelle. Il l’a fait avec une plongée dans une sorte de « francarabe » déroutant, ce que n’ont fait ni Greki, ni Sénac, optant autrement pour dire leur Algérie et pour la vivre au présent de leur vécu et dans un engagement dans une nouvelle nation.
Jean Pélégri, Les Oliviers de la justice & Le Maboul, Terrasses éditions, octobre 2020, 517 p., 17 €
Ce qui s’est passé cette fin de semaine à Alger est un événement religieux qui aurait dû être rentable pour Bouteflika afin de faire son cinquième mandat en toute quiétude, mais la révolution citoyenne l’a empêché de s'exalter.
Il aurait pu l'être aussi pour Tebboune qui souhaite rétablir la confiance avec les citoyens en leur offrant la troisième mosquée au monde, mais il est allé en Allemagne pour se soigner en urgence.
Y a-t-il un mauvais sort jeté sur ce grand ouvrage religieux qui a coûté l'équivalent de 4 mégas hospitalo-universitaires ? En effet, les autorités ont offert un lieu de culte au lieu d'un lieu de soin, une décision qui sera remise en cause à chaque fois qu'un Algérien tombe malade sans qu'il soit pris en charge par faute de moyens médicaux. Cela dit, c'est une contradiction voulue qui vire vers la bêtise.
Bien sûr cette bêtise humaine n'atteindra jamais Bouteflika, les généraux et Abdelmadjid Tebboune qui disait « que nous avons les meilleurs hôpitaux de l'Afrique ». Il n'a pas tort sur son exemple de référence, pour le respect des Africains qui souffrent des mêmes problèmes que nous, en évitant d'évoquer ceux de l'Allemagne ou de la France.
Dans les faits, le système de santé algérien est délibérément géré en deux collèges : le premier ceux qui se soignent à l'étranger, et le deuxième ceux qui se soignent à l'intérieur. C'est pour ceux-là d'ailleurs que la mosquée fut construite pour prier afin de ne pas tomber malade, pour reprendre la phrase ironique indiquée dans la fameuse caricature d’Ali Dilem.
Pour critiquer la forte affluence des fidèles venus assister l’inauguration de cette mosquée peut paraître blasphématoire, mais de laisser à cette occasion la pandémie se propager dans un pays où les moyens de santé sont dérisoires, c’est de l’inconscience que ni la prière, ni la foi ne pourront faire face à un virus qui fait des millions de morts à travers la planète.
Si on revient aux coûts de construction de cette mosquée, lieu de prédilection des fidèles, qui avoisine les 6 milliards de dollars, il y a de quoi se poser des questions sur son financement. Se permettre une telle dépense inutile dans un pays qui souffre d'infrastructures utiles pour le bien être du citoyen est un paradoxe que l'Histoire gardera en mémoire pour longtemps.
Mais cette mauvaise conscience bien développée au sommet de l'État, et aussi développée au niveau local, à l'échelle des quartiers, villages et des douars. Les mosquées qui naissent comme des champignons sont un véritable danger sociétal. De surcroît, des écoles, universités et entreprises sont envahies par une islamisation galopante qui empêchent l'élève de s'instruire, l'étudiant de réfléchir et le travailleur de s'émanciper en dehors des règles idéologiques et dogmatiques imposées.
Nous constatons que les institutions publiques et étatiques sont en train de devenir des mosquées, elles échappent aux règles institutionnelles et administratives. C'est une lame de fond qui menace l’existence de la nation algérienne.
Dénoncer et se démarquer de ses entreprises islamistes qui sont créées ou encouragées par le pouvoir pour contrôler la morale de la société à des fins politiques est un impératif. On doit cesser d'être des contempteurs, et réagir avec acuité et en solidarité face à ces absurdités.
C'est un rôle qui va être assuré inévitablement par les courants démocrates républicains, les intellectuels, les artistes, les écrivains et même les religieux, car ces derniers ont des arguments solides pour juguler cet envahissement, et expliquer à la société que l'islamisme est un danger et non une religion de paix.
Ce qui s'est passé en France avec l'assassinat du professeur Samuel Paty pour des caricatures du prophète des musulmans, en nombre, est un acte infiniment petit par rapport aux massacres commis en Algérie au nom de la religion. Peu importe la lecture politique qu'on peut lui attribuer, mais ce qui a poussé le jeune à commettre ce crime a interpellé la société française dans son ensemble, car l'intégrisme menace et tue.
La laïcité, qui est une valeur intrinsèque pour la France républicaine, n'a pas réussi à déjouer toutes les intrusions islamistes qui déstabilisent l'équilibre de vivre ensemble entre français. Et la Turquie qui est pourtant constitutionnellement un pays laïque, pour des raisons de géostratégie, a encouragé le phénomène en finançant la majorité des associations et écoles islamistes de France.
Pour revenir en Algérie, la révolution citoyenne a quand même permis aux Algériens de débattre la place de la religion au sein de la société, en revanche c’est loin d’être assez pour endiguer le danger.
La tragédie de la décennie noire est un souvenir qui hante encore, l'islam politique est un virus mortel et anxiogène, là il où sévit la vie n'est pas agréable.
Entre l’ancien chef de l’Etat algérien, Abdelaziz Bouteflika, plusieurs fois donné pour mort et le nouveau Président Abdelmadjid Tebboune, dont la santé ne serait pas des meilleures et qui a été évacué en Allemagne, qui va enterrer l’autre ?
Les Algériens retiennent leur souffle et se posent la question que tout le monde se pose : « Dans quel état se trouve le Président Tebboune », hospitalisé en Allemagne ? Car, le jeu a été faussé depuis le départ, avec une présidence de la République qui a occulté ce dont souffrait le dirigeant : un Covid qui a frappé le président de la République algérienne, occulté dans un premier temps et finalement mué en simple « examen médical » pour justifier son évacuation sur l’Allemagne. Dans quel état ? C’est là toute la question.
Moins d’un an après avoir été porté à la tête de l’Algérie, voilà que le Président Abdelmadjid Tebboune, arrivé au pouvoir le 19 décembre 2019, et qui est censé résoudre le problème des Algériens, se retrouve à donner des angoisses à ses compatriotes. Le natif de Méchria, venu au monde le 17 novembre 1945, a été frappé par la maladie à Coronavirus, à l’âge de 75 ans. C’est donc à 74 ans que Tebboune a pris le pouvoir, plus de dix ans après l’âge de la retraite requis dans la Fonction publique dans la quasi-totalité des pays du monde.
C’est à cet âge qu’il a été désigné pour remplacer son aîné certes, mais aussi et surtout, une personnalité de la même génération que lui, l’ancien Président Abdelaziz Bouteflika, à l’époque âgé de 82 ans (né le 2 mars 1937). Huit années seulement séparent les deux dirigeants, qui sont tous les deux vieux. Mais l’arrivée au pouvoir de Tebboune, faut-il le reconnaître, a en partie été facilitée par les manœuvres du général Ahmed Gaïd Salah, décédé des suites d’un… arrêt cardiaque, tout juste après la prise de fonction du nouveau dirigeant.
Abdelmadjid Tebboune venait de prendre les rênes d’Algérie, et posait des actes qui n’allaient pas dans le sens de donner meilleure santé à son prédécesseur. En effet, plusieurs proches de la famille Bouteflika sont traqués et jetés en prison. Dont le frère cadet de l’ex-dirigeant, par ailleurs son bras-droit : Saïd Bouteflika, pour ne pas le nommer. Ce dernier écope d’une lourde peine de 15 ans de prison, infligée par la justice du gouvernement du Président Tebboune, qui était lui-même membre de la « Bande », pour avoir été ministre de Bouteflika entre 1991 et 2017.
Les proches de Bouteflika jetés en prison, sa santé, déjà précaire suite à un AVC l’ayant cloué sur un fauteuil roulant, était mise à rude épreuve. Tout le monde s’attendait au pire pour quelqu’un qui, à plusieurs reprises, a été donné pour mort. Aujourd’hui, l’inquiétude semble avoir changé de camp. Les Algériens pensent plus à leur Président Abdelmadjid Tebboune, hospitalisé en Allemagne, dont on annonce une amélioration de son état de santé, sans preuve aucune. La santé des deux dirigeants est plus que jamais au cœur de toutes les attentions.
Charles Bonn est un universitaire reconnu dans le milieu scientifique d’Afrique du Nord où il est apprécié, sollicité pour des interventions scientifiques : colloques, conférences et soutenances de thèses.
Des trois pays, c’est l’Algérie qui l’aura marqué et aura fait de lui «l’homme qu’il est devenu». Mon propos est de montrer l’évolution de son attachement à l’Algérie, les raisons de sa relation particulière avec ce pays. Je m’appuie pour cela sur un ouvrage qu’il a publié en 2019 sous le titre Littérature algérienne, itinéraire d’un lecteur, qui se présente sous forme d’un entretien avec Amel Maafa avec une postface de Naget Khadda.
Cet ouvrage établit avec force l’impact de l’Algérie sur sa vie. Je connais la gentillesse, la spontanéité et l’honnêteté intellectuelle de Charles Bonn l’enseignant chercheur qui développa un lien spécifique avec l’Algérie. Le jeune enseignant qui a débuté du côté de Lille fut muté en 1969, au département de français de l’université de Constantine, dans le cadre de la coopération technique. Il n’avait jamais visité l’Algérie mais il n’a pas accepté ce poste par hasard. En effet, il a beaucoup milité en France en manifestant «contre la ‘guerre d’Algérie en 1961», toujours assumant ses convictions politiques anti-coloniales.
Son départ pour l’Algérie fut «décisif» pour lui, d’autant plus que cela correspondait à ses rêves politiques : aider un pays nouvellement indépendant et si proche. Charles Bonn a fait partie donc de cette vague de ‘pieds-rouges’ ; il a enseigné six ans à l’université de Constantine dont il a vu l’évolution architecturale menée par des architectes chiliens «fuyant la dictature de Pinochet» sous la houlette du grand Niemeyer.
A travers sa personne, il a incarné cette «relation complexe et affective» qui existe entre l’Algérie et la France. Sans surprise, il «dédie son livre à l’Algérie» en confirmant combien ce séjour professionnel a influencé le cours de sa vie ;il donne des détails anodins qui sont significatifs comme lorsqu’il raconte que le lendemain de son arrivée à Constantine, il se rend rue Abane Ramdane où se trouve «la plus belle librairie»de la ville, «devenue depuis une épicerie». Il y acheta Le polygone étoilé de Kateb Yacine, une révélation sur le plan littéraire mais si difficile à analyser, n’ayant pas tout compris.
C’est précisément grâce à ce texte fort difficile d’accès, dont il n’avait pas toutes les clés, qu’il est entré en littérature algérienne. Au fil des ans, il développa sa théorique critique pour analyser la littérature algérienne.
Le point de départ fut sa soutenance de thèse de doctorat sur la question de l’espace dans la littérature algérienne. Ceci explique sa déclaration sans ambiguïté sur l’importance de l’Algérie qui a forgé «l’homme qu’il est devenu», elle a fait «l’homme qu’il est». Sa longue carrière d’enseignant-chercheur fut construite à partir de ses recherches sur le roman algérien. Il a publié de très nombreux ouvrages critiques, il a fait soutenir des centaines de thèses des deux côtés de la Méditerranée et il a organisé de nombreux colloques.
Il continue car dans le cadre du centenaire de la naissance de Mohammed Dib il prépare une rencontre scientifique à Cerisy sur la question du théâtre chez Dib. En septembre dernier, nous étions dans un même jury de thèse à l’université de Metz, thèse dont le sujet était les littératures algériennes. 1969, était l’année de son arrivée en Algérie, celle de tous les espoirs : le grandiose Premier Festival panafricain en Algérie,les lendemains des événements de 1968, les émissions littéraires libres de Jean Sénac à la Chaîne III «Poésie sur tous les fronts», la visite de Fidel Castro à l’université de Constantine, l’arrivée des révolutionnaires en Algérie comme Eldridge Cleaver.
Son implication littéraire a fait qu’il a travaillé sur Mohammed Dib dont la rencontre fut très «importante» et dont «l’influence» fut énorme sur sa vie «personnelle autant que professionnelle». Dib est l’écrivain algérien qu’il admire le plus, en rapport avec la question de la folie telle que décrite dans son œuvre et qui fait écho avec sa propre histoire sentimentale lors de ses ruptures avec deux de ses compagnes et la figure du dédoublement qu’il a analysé chez Mohammed Dib lui parlait au-delà de la critique théorique des textes. Par ailleurs, Charles Bonn a beaucoup publié sur Kateb Yacine, en particulier sur Nedjma. L’œuvre de Kateb Yacine a contribué à sa «théorisation du littéraire».
Avec Rachid Boudjedra la relation fut «plus compliquée» comme il l’affirme. Le roman La répudiation qui date de 1968 marque une rupture avec la première génération d’écrivains algériens tout en étant un «brûlot contre la révolution avortée», écrit Charles Bonn, qui pense que Nabile Farès, le romancier de la migration, a l’œuvre la «plus novatrice et la plus marginale» de la littérature algérienne. Sur le plan théorique il a toujours voulu dépasser le rôle social des personnages, la question de l’oralité dans l’écrit, la question de l’utilisation de l’Autre, un point qui lui parle, car dans sa prime enfance, Charles Bonn parlait l’alsacien et le français était une langue autre qu’il a appris à l’école.
Ce fait est fondamental d’où sa proximité avec Kateb Yacine qui avait déclaré s’être jeté «dans la gueule du loup», de même donc pour Charles Bonn. La littérarité, les réflexions sur la francophonie, la relation France/Algérie, les théories post-coloniales, les «scénographies», les questions des hybridités, les circulations d’idées, les paroles déplacées, sont à lire dans cet ouvrage autobiographique. Avec la retraite, le plus grand regret de Charles Bonn est qu’il n’a pas trouvé de chercheur qui prenne en charge le site «Limag» qu’il a créé.
Ce site répertorie toutes les recherches, les parutions, les événements scientifiques, en rapport avec les littératures d’Afrique du Nord. Charles Bonn se sent comme étant un trait d’union entre l’Algérie et la France. En effet, «la modernité se caractérise par les déplacements, les ruptures, les reformulations, les réagencements. Déplacements de populations d’une rive à l’autre des expressions culturelles et plus particulièrement littéraires».
Il plaide le fait que «d’une rive à l’autre de la Méditerranée, les déplacements son polysémiques et engendrent des expressions surprenantes» ! Ainsi, Charles Bonn défend l’importance de la littérature pour un vivre ensemble. Il faut dire qu’il a eu du mal à quitter l’Algérie qui reste son «pays maghrébin de cœur».
« A présent, prenez un homme, enlevez-lui ce qui le rend homme, ses vêtements, ses chaussures, sa montre, sa voiture et pourquoi pas la parole. Que lui reste-t-il, s'il n'est pas Tarzan, qui est d'ailleurs plus singe qu'homme ? Rien » Pierre Boule - La planète des singes (1963)
Laboratoire d'expérimentations de toutes les idéologies et des théories venues d'ailleurs, l'Algérie peut s'enorgueillir d'avoir fait la preuve vivante de leur inefficacité et de leur perversité.
Le colonialisme français, le nationalisme arabe, le socialisme soviétique, l'islamisme politique, le terrorisme dévastateur, le libéralisme débridé. « On ne mesure pas la puissance d'une idéologie aux seules réponses qu'elle est capable de donner mais aussi aux questions qu'elle parvient à étouffer ». Le socialisme a « enterré » le travail de la terre pour « implanter » des « éléphants blancs » sur des terres cultivables ; le libéralisme l'a livré « pieds et poings liés » au marché mondial dominé par les puissances hégémoniques. Bref, les idéologies nous font croire à la magie des mots pour « masquer » la réalité des maux. « L'Etat de droit et des droits de l'homme sont d'abord une idéologie. Mais que celle-ci est d'autant plus dangereuse du fait que ses affidés ne la reconnaissent pas comme telle ; ils la perçoivent seulement comme l'expression du bien naturel » nous dit Eric Delacroix.
La démocratie, un miroir aux alouettes pour les uns et ce cheval de Troie pour les autres. Le peuple algérien s'est prêté à toutes les manipulations.
La démocratie suscite des convoitises sans les satisfaire. Quand on parle des droits de l'homme, il s'agit évidemment de l'homme occidental, les autres ne sont pas des êtres. Ce sont des bestioles qui polluent la Méditerranée. Des corps inertes flottent en surface, le pétrole et le gaz coulent à flux continu sans interruption en profondeur. Des conduites qui ne souffrent d'aucune corrosion à l'abri des regards et des vents. Elles sont là pour « l'éternité ! ». En outre la plupart des télécommunications mondiales transitent par des câbles marins. Ces câbles sont un enjeu stratégique et géopolitique de premier plan. L'information sur nous et sur les autres nous échappe. Derrière nos écrans, nous semblons être les maîtres du monde alors que nous en sommes que ses esclaves. Elle est belle la démocratie qui nous envoûte, nous ensorcelle, nous dénude.
De l'occupation des espaces à l'occupation des esprits, de l'obscurité de la nuit à la lumière du jour, de l'économie de bazar à une économie bizarre, de l'exportation des hydrocarbures à des exportations des déchets, des importations tous azimuts à des importations ciblées, d'un dépotoir du monde entier à l'importation de dépôts de stockage de carburants en attente de débouchés (le Covid-19 est passé par là !). « Le premier des droits de l'homme est celui de pouvoir manger à sa faim » note Franklin Roosevelt. Un ventre creux n'a point d'oreilles, un ventre plein a plusieurs « langues »... et... « langues ». Un peuple ne se nourrit d'amour (idéologies) et d'eau fraîche (théories).
Un peuple qui a faim a besoin de pain, un peuple malade a besoin d'hôpitaux, un peuple ignorant a besoin d'une école performante, un adolescent a besoin d'un Smartphone de dernier cri, un jeune adulte désœuvré a besoin d'un emploi productif durable, un couple marié a besoin de logement décent, une famille nombreuse a besoin d'une voiture « potable » pour se déplacer.
Aucune idéologie, aucune théorie, aucune religion ne remplit le couffin de la ménagère. Il est assuré par le travail de tous ses habitants sans distinction de race, de religion ou de langue.
Que les uns et les autres nous dévoilent leur part de lumière et leur part d'ombre. La laïcité n'est pas un cache-sexe et le hidjab n'est pas une ceinture de virginité. La plupart des Algériens n'aiment pas aller au paradis le ventre creux, ils préfèrent partir à l'enfer le ventre plein pour se nourrir du contenu de leurs entrailles. Le ventre est l'épicentre de tous les courants politiques islamistes ou laïcs qu'ils agissent au nom de la religion, de l'Etat ou des droits de l'homme. Ils sont tous animés par la volonté de faire fortune ou de se remplir le ventre sans investir et sans produire. Cette politique ne s'accommode pas de la présence d'économistes, ce sont des trouble-fêtes, il faut s'en débarrasser ; on leur préfère de loin les « gargantuas ». L'appétit venant en mangeant et la réussite matérielle en rampant.
C'est une politique dans laquelle on accepte toutes les compromissions, pourvu que le ventre soit plein. « Qui rentre fait ventre ». Qu'importe si plus tard on fera l'objet de chantage. Le chantage est une arme redoutable en politique. Personne ne peut y échapper. Le feu n'épargne que les ventres vides. Faut-il faire la grève du ventre pour s'en prémunir ? Qui en a le désir ? Ou plutôt qui a intérêt? Evidemment personne : « C'est le ventre qui porte les pieds et non le contraire ». C'est la poche saharienne qui finance la politique du ventre. « Quand le ventre est plein, il demande à la tête de chanter ».
De la danse du ventre au nu intégral, l'élite intellectuelle au pouvoir ou dans l'opposition ne séduit plus, elle se range du côté du vainqueur. Elle se donne au plus offrant. Le peuple est pauvre, l'élite est riche ; l'un est frais, il est puceau, « tout a un début » ; l'autre est âgé, il est usé ; le corps dépérit mais le désir ne s'éteint jamais. L'Occident et le monde arabe voient par le trou de la serrure. Ils sont dans le voyeurisme.
Les jeunes sont dans l'action, les vieux dans la contemplation. L'Algérien veut tout, tout de suite et sans effort. D'une main, il signe un pacte avec le diable et de l'autre main il prie Dieu de lui venir en aide. « Dieu nous donne des bras mais ne construit pas les ponts », lui rappelle un proverbe arabe. Les chrétiens diront « aide-toi, le ciel t'aideras ». Déçu par tant de forfaitures, demain ne l'intéresse pas, seul le présent compte. « Fais-moi vivre aujourd'hui et jette-moi dans l'enfer demain ». Hier, il avait le colon sur le dos, aujourd'hui il n'a personne sur le dos. Il s'est débarrassé du burnous trempé de sueur de la colonisation pour enfiler la djellaba blanche de l'indépendance. Ceux qui refusent de comprendre le passé sont condamnés à le revivre. D'une économie pastorale à une économie rentière, le pas est vite franchi, Hier, avec les moutons et les abeilles, aujourd'hui avec le pétrole et le gaz, l'argent vient en dormant. « Regda out manger ».
Albert Camus, un natif d'Alger, questionne : « Que préfères-tu, homme, celui qui veut te priver de pain au nom de la liberté ou celui qui veut t'enlever ta liberté pour assurer ton pain ? ». Avec le pétrole et le gaz, l'argent public vient en dormant ; avec l'endettement externe, l'argent public vient en rampant ; avec la sueur des habitants, l'argent public vient en suant. C'est la nature des ressources qui détermine le régime politique d'un pays. Dans le cas de l'Algérie contemporaine, ce sont les hydrocarbures. L'abondance de ressources en gaz et en pétrole « à bon marché » engendre des rentes rocardiennes pour le pays parce que leurs coûts et prix de revient sont très inférieurs aux prix de vente sur le marché international. L'économie locale se porte bien tant que le cours est élevé, le pays s'effondre en même temps que le cours. Il est à la merci d'un moindre clic. Certains pays comme l'Algérie fondent toute leur économie sur ces rentes et négligent le développement de leurs industries et surtout de l'agriculture. Ce qui à long terme pose des problèmes difficiles à résoudre. C'est ainsi que Etat et société sont devenus addictifs à la rente pétrolière et gazière. Le pétrole agit sur la société et sur l'économie comme de la cocaïne. Il provoque une dépendance physique et psychique forte à la fois sur l'Etat, la société et sur l'économie.
Quand le prix baril du pétrole rit, la gestion pleure, l'Etat pavoise, la société se tait, le ciel s'éclaircit, les oiseaux gazouillent, la vie est belle, c'est l'ivresse. Elle est de courte durée. Le réveil est brutal. C'est la gueule de bois. Un bon café, les choses rentreront dans l'ordre. Le prix du brut s'effondre, les langues se délient, l'Etat s'affole, la société se meurt, le ciel s'assombrit, les oiseaux émigrent, la vie est terne, les funérailles s'organisent. La fin est proche.
Aujourd'hui le « pot de miel » s'est renversé, le patient est dans un coma profond. La solution médicale serait la désintoxication mais cela prendra nécessairement du temps qui fait cruellement défaut d'autant plus que le sujet n'est pas éveillé mais endormi. Deux techniques, soit l'hypnose, soit l'électrochoc. L'hypnose a fait la preuve de son inefficacité. Seul un électrochoc peut le faire sortir de son long sommeil. Un réveil qui peut lui être fatal ou salutaire. Beaucoup de gens pauvres se résignent pour une raison ou une autre et par désespoir de cause se remettent à Dieu. Alors que les riches « parvenus » produits se sentent souvent coupables de leur richesse sachant qu'ils ne l'ont pas méritée, c'est pourquoi ils sont pressés de s'en débarrasser soit en le dépensant de manière intempestive, soit en le plaçant à l'étranger de façon anonyme car une fortune acquise honnêtement ne fuit pas le pays et ne craint pas le regard de la société. Ce n'est pas la richesse ou la pauvreté qui posent problème mais l'origine de l'une comme de l'autre. Le problème n'est pas de perdre la partie mais de truquer le jeu. C'est la tricherie qui fait trébucher. On recourt à l'émission de billets (la facilité) au lieu de changer de billet (la difficulté) pour résorber le déficit budgétaire de l'Etat. Pourront-ils survivre en dehors de l'Etat et des hydrocarbures ? Evidemment, on ne guérit pas une plaie en y retournant le couteau comme on ne peut pas la laisser en l'état, elle risque de gangréner tout le corps d'autant plus qu'il est imprégné de miel.
On peut se relever d'un traumatisme certes mais jamais du royaume des morts. Il est vrai qu'après un traumatisme collectif, causé par deux guerres (guerre de libération et guerre civile) en l'espace de quelques années, plonge chaque Algérien dans un état de choc violent.
Après le choc, on redevient comme un enfant à la recherche d'un père protecteur. C'est la stratégie de choc, elle peut être salutaire comme elle peut être mortelle. Tout dépend de la conviction des leaders et de leurs capacités à mettre en œuvre des réformes structurelles profondes. On peut chercher les responsables sans jamais trouver des solutions. Il n'y a pas de solution individuelle à un problème collectif. Une cohésion sociale suppose la mise à nu des difficultés et la volonté d'y faire face sans échappatoire et sans faux-fuyant, de façon solidaire en faisant appel à la raison. La survie du patriarcat a très certainement intérêt à encourager le triomphe de la défaite. Cette mentalité qui consiste à se dire « après moi le déluge » ne peut durer. Elle pousse nos enfants au suicide dans des embarcations de fortune fuyant les interdits de la politique, de la religion et de la pauvreté. C'est dire que la situation est complexe et les causes multifactorielles. Nos problèmes ne tombent pas du ciel mais ont poussé sous nos pieds. Il suffit de jeter un regard furtif sur les détritus qui jonchent le sol et le mouvement incessant des gens qui circulent sans but pour se rendre compte de l'état de délabrement du pays du nord au sud, de l'est à l'ouest.
Mostéfa Lacheraf avait prédit cela dans les années 70 « il arrivera un jour, dira-t-il, où l'Algérien ne saura même pas tenir un balai ». Ce jour-là est malheureusement arrivé. Il suffit de jeter un coup d'œil sur les détritus qui jonchent le sol pour se rendre de la réalité de cette prophétie. Nous n'avons pas besoin d'être grand clerc pour savoir que l'Occident nous devance de plusieurs siècles de labeur, de savoir et de développement. Dans les sociétés occidentales, dès la fin du XVIIIème siècle, s'est imposée une idée neuve du bonheur immédiat. Ce bonheur se mesure à l'aune des biens consommés sur terre.
En contrepartie de ce bonheur matériel s'est développé simultanément une idéologie productiviste où le travail est une valeur sur laquelle se fonde les économies.
C'est à partir du moment où la société européenne est parvenue à dégager un surplus agricole lui permettant de libérer une partie de la population active pour asseoir une industrie qu'un pouvoir démocratique a pu émerger. Cette démocratie permet à celui qui fournit du travail de mieux saisir les contreparties de ses efforts tout en se libérant du pouvoir en place. Les régimes autoritaires ont été tenus en échec en Angleterre et en France parce qu'une classe sociale a pu entreprendre le développement industriel qui a fourni un surplus économique indépendamment de l'Etat.
Dans les sociétés traditionnelles, l'autosuffisance est l'idéal de vie qui donne accès à la vie éternelle. Il s'agit d'une économie de subsistance qui ne développe aucun surplus à écouler sur le marché. Elle est fondée sur une agriculture aux rendements dérisoires, le surplus vivrier reste faible. La division du travail est élémentaire répondant à des besoins strictement contenus à l'essentiel. Le surplus est de peu d'intérêt pour une société dont l'idéal de vie est la sobriété.
Avant l'avènement de l'islam, les dirigeants arabes étaient soit des chefs de tribus, soit des chefs de clans jouissant de la même autorité que les rois et une obéissance totale leur était due en temps de guerre comme en temps de paix. Les Arabes avaient avec leurs parents ainsi qu'avec leur clan des relations profondes, l'esprit de clan était leur raison de vivre ou de mourir. L'esprit de société qui régnait au sein de la tribu était exacerbé par le tribalisme. Les chefs de tribus s'arrogeaient une part considérable du butin. Les tribus arabes furent constamment jalonnées de troubles et de désordres. Les guerres intestines incessantes firent des peuples arabes et musulmans des proies faciles pour des invasions étrangères. C'est l'islam qui a unifié les tribus arabes et c'est sous sa bannière qu'ils se sont libérés du joug colonial. L'Etat postcolonial est né d'une contradiction externe et non interne d'où son autoritarisme foncier. Pour se légitimer aux yeux du peuple, il tente de promouvoir le développement économique, en réalité il étouffe la société civile. Cette vision des choses s'enracine dans la dichotomie société civile - société politique. Elle présente l'Etat comme source d'autoritarisme à laquelle s'opposent les aspirations démocratiques de l'ensemble des citoyens. Plus l'Etat est contre la société, moins il y a production, moins il y a adhésion et plus il y a frustration et humiliation. Or l'humiliation est peu productive économiquement mais remplit un rôle politique majeur pour le maintien au pouvoir de l'équipe dirigeante dans la mesure où elle démontre l'arbitraire qu'elle contient.
L'Etat en Algérie n'est pas encore un Etat au sens moderne du terme car il n'a pas les caractéristiques. Pour la science politique, l'Etat est un système politique lié à un univers culturel et spirituel occidental : la religion catholique et l'histoire du Moyen Age. L'Etat est né de la conjugaison de toutes ces variables qui ont abouti au milieu du XIIIème siècle à la formation d'un Etat embryonnaire centralisé par la confiscation des ressources politico-juridiques dispersées à la périphérie aux mains des seigneurs féodaux, de façon autoritaire. L'Etat va alors défendre cet espace politique par un droit administratif, qui protège ses agents, lesquels sont recrutés sur des critères méritocratiques, formés dans des écoles spécifiques où ils intériorisent les valeurs de l'Etat : l'idéologie de l'intérêt général. Un Etat omniprésent et omnipotent ; il dirige par des lois et des décrets ; il s'impose à la société d'en haut. Il oriente la société avec un droit dont il est le seul maître. Cette logique centralisatrice s'oppose à la logique clanique et tribale des pays arabes et africains. En imposant donc au cours de la colonisation des institutions dont la logique de fonctionnement était radicalement opposée à celle de la société africaine, le colonisateur préparait en fait la société postcoloniale à l'échec de la modernisation politique. D'autant plus qu'il manque aux institutions de cette dernière société la dimension mythologique, très conscientisée en Occident, qui sert à les faire fonctionner.
C'est pourquoi ces institutions ressemblent à des outils rouillés, abandonnés sur le chantier d'une exploitation minière à ciel ouvert, et qui s'avèrent inadaptées pour mettre en œuvre le développement de l'Afrique et du monde arabe.
Dans ce contexte, on cherche un recours, un point d'appui, un espoir. Entre les valeurs traditionnelles perdues et les valeurs modernes mal assimilées, les sociétés arabes se recherchent, victimes du paradigme consumériste occidental et les pesanteurs sociologiques du passé. Elles n'arrivent ni à assumer leur passé glorieux ni à se frayer un chemin parmi les nations modernes. Les désillusions du progrès gagnent de plus en plus les esprits. Le refuge dans la religion musulmane apparaît plus plausible que le consumérisme occidental. Des populations entières se trouvent désemparées, n'ont plus de repère. Les voici, de plus en plus nombreux, au milieu du gué menaçant de s'écrouler, ayant abandonné les acquis de la société traditionnelle sans avoir accédé aux promesses de la société occidentale. Partant du principe sacro-saint que tout problème politique, économique ou social a une solution budgétaire.
Comme le budget est constitué essentiellement de recettes fiscales pétrolières, l'Etat jouit d'une grande autonomie par rapport à la population puisqu'il est capable de fonctionner et de renforcer ses services sans recourir à l'impôt ordinaire. L'essentiel du jeu économique et sociopolitique consiste donc à capturer une part toujours plus importante de cette rente et à déterminer les groupes qui vont en bénéficier. Il donne à l'Etat les moyens d'une redistribution clientéliste. Il affranchit l'Etat de toute dépendance fiscale vis-à-vis de la population et permet à l'élite dirigeante de se dispenser de tout besoin de légitimation populaire. Elle dispose des capacités de retournement extraordinaire étouffant toute velléité de contestation de la société. Il sera le moteur de la corruption dans les affaires et le carburant des violences sociales. Il a l'art de faire la guerre et d'initier la paix. Il est à la fois le feu et l'eau. Il agit tantôt en pyromane, tantôt en pompier. Il est une chose et son contraire ; la richesse et la pauvreté, les deux sont des illusions. « Ce sont les mouches qui vont vers le pot de miel et non le pot de miel qui se déplace vers les mouches ». Les forces de changement n'existent que dans les discours et jamais dans les faits. Le défi majeur à relever est d'empêcher qu'une population qui a goûté à la sécurité, au confort et à la facilité de sombrer dans la peur, la famine et le chaos.
Car un faible niveau de développement et/ou de modernisation n'apporterait qu'amertume et désespoir. Faut-il faire appel aux morts pour résoudre les problèmes des vivants ou sommes-nous condamnés à être des fantômes parmi les vivants ?
Le pétrole cimente la société à l'Etat. La sécurité et les « transferts sociaux » sont assurés par les revenus pétroliers et gaziers et non par les contribuables ou la solidarité intergénérationnelle rendue indigente. Un Etat providence pour soumettre la population et un Etat écran pour la passation des contrats avec les partenaires étrangers. Le pétrole et le gaz aiguisent les appétits nationaux et internationaux. Mirabeau disait « la corruption est dans l'homme comme l'eau est dans la mer ». La corruption fait partie de l'économie moderne. Elle est visible dans les dictatures et les monarchies et invisible en Europe et aux Etats-Unis. Les deux évidemment se tiennent la main mais en dessous de table. Des mains visibles non pas comme celles de Dieu qui sont invisibles. L'islamisme a été dilué dans un baril de plus de 100 dollars et le terrorisme noyé dans une mer sans eau.
L'argent a eu raison sur les ambitions des islamistes d'accéder au pouvoir par la voie de la religion. « Les Arabes ne veulent plus aller au paradis le ventre vide ». (Même s'ils devaient pactiser avec le diable pour le remplir !!!).
D'ailleurs, ils ont cessé de regarder le ciel, ils ont les yeux rivés sur l'écran. Un écran en couleurs et non en noir et blanc comme l'enfer ou le paradis Il est joyeux et non lugubre, attractif et non répulsif, il est nu et non en hidjab, il est en liberté et non emprisonné. Il est virtuel et non réel. Il nous fait rêver éveillés. Il est disponible H24. On le transporte partout avec nous-mêmes dans les endroits les plus intimes. D'ailleurs, il n'y a plus de jardin secret, tout se partage y compris le lit. C'est une arme redoutable, elle atteint l'âme.
L'argent n'a ni sentiments, ni patrie, ni religion. Là où il va, il est chez lui. Et partout on déroule à ses pieds le tapis vert. La couleur du « paradis ». Les financiers n'ont aucun patriotisme et pas la moindre décence. Leur seul but est le gain. L'économie rentière est la base sur laquelle reposent les régimes arabes et la prospérité occidentale. « On ne crache pas dans la soupe ». Le pétrole a transformé le pays en une vaste caserne à ciel ouvert où chacun attend son virement du mois en fonction de son grade (attribué ou mérité ?) et de sa disponibilité à servir loyalement ses supérieurs. Le « décideur » dans sa gouvernance est informé par le renseignement et protégé par la baïonnette dans le fonctionnement et la pérennisation du régime en place. Pris en tenaille entre la volonté populaire de changement et le statu quo suicidaire du régime, on s'interroge : que faire dans un pays où régime et Etat sont cimentés par le pétrole ? Animés par des hommes qui n'ont pour tout programme : « j'y suis, j'y reste » ou « ôte-toi que je m'y mette ». Une question à deux sous : est-ce pour se servir du peuple ou pour servir le peuple ? Le peuple algérien, vacciné par tant de forfaitures, n'est plus dupe, il est conscient que le dirigeant dit ce qu'il ne fait pas et fait ce qu'il ne dit pas. On comprend mieux maintenant pourquoi personne ne se bouscule au portillon, c'est pour ne pas endosser la responsabilité d'un échec recommencé. Aucune force sociale n'est à même de formuler et encore moins de mettre en œuvre une proposition d'ensemble en vue de sortir le pays de la crise actuelle, c'est-à-dire être en mesure de s'opposer au règne sans partage et sans limite du pétrole et du gaz sur l'économie, la société et la marche du monde. D'autant plus que ni l'économie mondiale ne peut s'en passer de son énergie, ni les pays producteurs de ses revenus, blé pour les uns et énergie pour les autres. Ils forment un mariage chrétien : « jusqu'à ce que la mort vous sépare » dira le curé.
Il est admis que le prix du brut est un baromètre de la santé de l'économie mondiale et un facteur de stabilisation des régimes politiques menacés.
L'objectif de l'Occident, c'est la sécurité des approvisionnements en énergie. Il y va de la survie de la civilisation du monde moderne. Le prix est une arme redoutable de domestication des peuples et d'asservissement des élites au pouvoir. Le prix élevé du pétrole a structurellement pour effet pervers de perpétuer à l'infini le système mis en place. C'est dans la pérennité des régimes autocratiques que l'Occident trouve sa prospérité et sa sécurité. C'est pourquoi la liberté des peuples est inversement proportionnelle au prix du baril. Plus le prix est bas, moins il y a d'importations, plus les pénuries s'installent, des émeutes éclatent et la répression s'abat sur la population.
Les marchés se referment, la récession s'annonce, le FMI pointe son nez, la spirale de l'endettement s'engage, les peuples se plient. L'Occident vient à la rescousse. Les crédits se débloquent, les fonds affluent, le régime menacé retrouve sa santé. Le prix du brut connaît une hausse, les pays producteurs relancent les exportations des biens manufacturés des pays industriels, la croissance de l'économie mondiale reprend. Ainsi l'Occident donne d'une main ce qu'il reprend de l'autre. « El manchar, habet yakoul, talaa yakoul».
Pris en tenaille entre la volonté populaire de changement et le statu quo suicidaire du régime, on s'interroge: que faire dans un pays où régime et Etat sont cimentés par le pétrole ? Animés par des hommes qui n'ont pour tout programme : « j'y suis, j'y reste » ou « ôte-toi que je m'y mette ». Le peuple algérien, vacciné par tant de forfaitures, n'est plus dupe, il est conscient que le dirigeant dit ce qu'il ne fait pas et fait ce qu'il ne dit pas.
On comprend mieux maintenant pourquoi personne ne se bouscule au portillon, c'est pour ne pas endosser la responsabilité d'un échec recommencé. Alors on reporte le moment fatidique. On oublie qu'au crépuscule de notre vie « Si nous tuons le temps, le temps nous le rend bien ». La vie est une longue conversation qui semble toujours trop brève. Mais me diriez-vous : « Encore des mots (maux), toujours des mots (maux), les mêmes mots (maux), rien que des mots (maux)... » (*)
Notes de lecture : « Les Habits neufs de l'empereur » est un conte d'Hans Christian Andersen publié pour la première fois en 1837 dont voici le résumé (Wikipédia) : « Il y a de longues années vivait un empereur qui aimait par-dessus tout être bien habillé. Il avait un habit pour chaque heure du jour. Un beau jour, deux escrocs arrivèrent dans la grande ville de l'empereur. Ils prétendaient savoir tisser une étoffe que seules les personnes sottes ou incapables dans leurs fonctions ne pouvaient pas voir et proposèrent au souverain de lui en confectionner un habit. L'empereur pensa qu'il serait exceptionnel et qu'il pourrait ainsi repérer les personnes intelligentes de son royaume. Les deux charlatans se mirent alors au travail.
Quelques jours plus tard, l'empereur curieux vint voir où en était le tissage de ce fameux tissu. Il ne vit rien car il n'y avait rien. Troublé, il décida de n'en parler à personne, car personne ne voulait d'un empereur sot. Il envoya plusieurs ministres inspecter l'avancement des travaux, ils ne virent pas plus que le souverain, mais n'osèrent pas non plus l'avouer, de peur de paraître imbécile. Tout le royaume parlait de cette étoffe extraordinaire. Le jour où les deux escrocs décidèrent que l'habit était achevé, ils aidèrent l'empereur à l'enfiler. Ainsi « vêtu » et accompagné de ses ministres, le souverain se présenta à son peuple qui lui aussi prétendit voir et admirer ses vêtements. Seul un petit garçon osa dire la vérité : « Mais il n'a pas d'habits du tout ! » ou dans une autre traduction « le roi est nu ! ». Et tout le monde lui donna raison. L'empereur comprit que son peuple avait raison.» (paru en 1837)
(*) Le titre et la conclusion sont des refrains de la chanson du duo Dalida-Delon.
Avec Circonfession, Jacques Derrida signe une oeuvre de secret et de deuil, de prières et de larmes. Greffer la circoncision à la confession, c’est d’emblée marquer la blessure et le manque dans l’acte de foi. La coupure immémoriale de la circoncision garde la trace de la différence inscrite à même le corps. Or cet événement unique, qui n’eut lieu qu’une seule fois, permet de réinscrire, par un tour supplémentaire de l’écriture, la différence dans le corps autobiographique d’un texte doué de « la puissance d’une multiplicité d’écriture hétérofictionnelle[21] ». Car, dans ce texte, s’il y a des autobiographèmes, il y a aussi de l’hétérogénéité et de la fictionnalité, avec un arrière-fond algérien, remontant à l’enfance, rejoignant la mère au lit de mort, faisant écho à une autre confession, celle de saint Augustin – sA dans le texte. Par là, l’unité narrative est déconstruite par un travail herméneutique allant non pas vers le déchiffrement du sens, mais vers un secret toujours plus hermétique : « Personne ne saura jamais à partir de quel secret j’écris et que je le dise n’y change rien » (C, 175). C’est bien l’écriture au secret, donc, elle-même circoncise, c’est-à-dire incisée tout autour, marquée par une incision intérieure.
Le texte, en « cinquante-neuf périodes et périphrases écrites dans une sorte de marge intérieure » (C, 12), contre un fond gris, accompagne le Derridabase de Geoffrey Bennington. Période : circuit, durée, division et espace temporels, mais aussi phrase en tant qu’assemblage poétique[22]. Périphrase : circonlocution, phraser à la périphérie, à travers, à périr[23] – à la mort. Ces cinquante-neuf phrases, tournant autour de l’événement central de la circoncision, sont autant de passages réitératifs représentant les cinquante-neuf ans d’une vie (l’âge de Derrida au moment de la rédaction du texte) et, non moins, autant de pulsations rythmiques et vitales, secousses émotives et verbales, mais aussi liens, bandages, pansements qui viennent recouvrir la cicatrice : « 59 périodes, 59 respirations, 59 commotions, 59 compulsions à quatre temps », « mes 59 bandes de prières » (C, 113 et 217).
Ainsi sont évoquées les scènes rapportant l’enfant à la mère, la naissance à la mort, la circoncision à la confession de saint Augustin. Ce faisant, l’écriture auto-thanatographique de Derrida constitue le lieu polyphonique où se font entendre les voix de « la première personne » divisée, multipliée : « […] tout se dirait à la première personne, je, je, je et jamais ce ne serait d’une phrase à l’autre, ni dans la même phrase, le même je […] » (C, 241). Où vibre le tremblement de la plume qui transcrit et invente une confession brisée et renouvelée. D’où l’illisibilité essentielle. S’adressant à Dieu, prenant Dieu à témoin, l’aveu de Derrida consiste non pas à dire la vérité – ce qu’il n’y a pas, mais à faire la vérité, à toucher l’obscurité et la profondeur de l’authenticité-altérité de soi. L’histoire de ce « petit Juif noir et très arabe » (C, 57), se rangeant volontairement du côté des minoritaires (Juif, noir, arabe) par rapport à la francité et la chrétienté, s’écrit pourtant en filigrane de l’écriture chrétienne inaugurée par Augustin. Le « i » dans la « circoncision », ce « point détaché et retenu en même temps » (C, 69), ce prépuce rompu et suspendu, séparé du corps par un espace minimal et immense, figure l’Algérie qui, indépendante, « ne se conçoit ni ne se vit sans être traversée par l’autre[24] ».
Écriture du secret, aussi, ou le secret de l’écriture, sécrétée « au fond de l’escarre » (C, 80). Le mot « escarre » est exploré dans tous les sens : cicatrice, telles les « escarres sacrées » de la mère ; terme technique de blason : pièce en forme d’équerre ; eschatologie. Le texte est donc marqué par les stigmates du corps comme signes symboliques, et hanté par l’idée des fins de l’homme et du monde. Le travail philosophique et théologique se fond dans l’écriture sensible, de mémoire et de coeur, d’extase et d’absolution. Autobiographie à rebours, journal de bord après coup, « avec les instruments oubliés fragmentaires rudimentaires d’une langue et d’une écriture pré-historiques » (C, 145), le texte de Derrida est scandé par les cinquante-neuf périodes battant le rythme de la vie-la mort, dans lequel « il y a toujours un nid secret en train de sécréter des liaisons et délits inédits[25] ».
En un autre temps, et inscrit dans la veine auto-hétéro-biographique de Circonfession, Le monolinguisme de l’autre dépasse l’expérience individuelle d’un « Juif d’Algérie » pour la théoriser dans une perspective langagière. Le récit traverse et ré-articule les concepts tels que « langue maternelle », « colonialisme », « identité », pour les recentrer sur la question de la langue.
Derrida propose tout d’abord un double postulat :
On ne parle jamais qu’une seule langue.
On ne parle jamais une seule langue.
MA, 21
En forme de loi, mais foncièrement paradoxales, ces deux propositions décrivent la situation langagière impensable d’un « Juif-Fançais-d’Algérie » qu’est Derrida. Les traits d’union n’unissent pas mais témoignent d’une triple étrangeté. Ainsi désigné, il « n’[a] pas de langue en propre, seulement la langue de l’hôte » (MA, 92), c’est-à-dire de l’autre, celui qui reçoit et est reçu à la fois, mais aussi celui qui vient usurper la place de l’autre au nom de l’hospitalité. Le « trouble d’identité » (MA, 32) résulte de la non-identité langagière. Le français, la « monolangue » imposée, devient le « substitut de la langue maternelle » (MA, 74), laquelle, par la suite, vient à manquer. Derrida déclare : « je n’ai qu’une langue et ce n’est pas la mienne, ma langue “propre” m’est une langue inassimilable. Ma langue, la seule que je m’entende parler et m’entende à parler, c’est la langue de l’autre » (MA, 47). En même temps, si « on ne parle jamais une seule langue », c’est parce qu’« une » langue est toujours pleine de langues : hébreu, arabe, français ; accents, tons, idiomes ; mixages, mélanges. C’est bien ce qui se joue entre plusieurs langues, « ce qui s’y greffe et s’y perd, ne revenant ni à l’une ni à l’autre : l’incommunicable[26] ».
Ces deux propositions engagent une critique déconstructive du (post)colonialisme et mènent à un autre double postulat : il y a de la langue /il y a plus d’une langue[27]. L’article partitif dit le partage et la partition de ce qui est incalculable, indéfini. Et « plus d’une » inscrit la pluralité à l’oeuvre. Entre les deux, il y a d’innombrables passages, forces mobiles et articulatoires, rapports différentiels, tissages invisibles. C’est le « passage de la limite » (MA, 59) qui est bien l’expérience de la littérature, ce lieu de déplacements et de substitutions. Et ce « il y a » instruit le lieu impersonnel, inassignable – Algérie au pluriel, à plus d’une langue[28].
Dans ce mouvement vertigineux surgit le désir de retourner à l’origine comme à la ruine de l’origine, et d’inventer une seule langue au sein de cette langue :
Mais le rêve qui devait commencer alors de se rêver, c’était peut-être de lui faire arriver quelque chose, à cette langue. Désir de la faire arriver ici en lui faisant arriver quelque chose […] de si intérieur qu’elle en vienne à jouir comme d’elle-même au moment de se perdre en se retrouvant, en se convertissant à elle-même, comme l’Un qui se retourne, qui s’en retourne chez lui, au moment où un hôte incompréhensible, un arrivant sans origine assignable la ferait arriver à lui, ladite langue, l’obligeant alors à parler, elle-même, la langue, dans sa langue, autrement.
MA, 85
L’écriture est donc le cheminement vers l’autre, vers « une autre langue encore » (MA, 109). « Le monolinguisme de l’autre », dès lors, dit la venue d’un nouvel idiome : ainsi se forme la « vieille neuve langue[29] ». C’est un « monolinguisme poétique » (C, 29) qui est le lieu « d’un croisement de singularités, l’habitat, les voix, la graphie[30] ». C’est aussi un appel et une promesse, l’annonciation d’une « avant-première langue » (C, 123) qui marque le lieu de la trace en tant que lieu de mémoire : « la mémoire de ce qui précisément n’a pas eu lieu, de ce qui, ayant été (l’)interdit, a dû néanmoins laisser une trace, un spectre, le corps fantomatique, le membre-fantôme – sensible, douloureux, mais à peine lisible – de traces, de marques, de cicatrices » (MA, 118). Ces traces, marques, cicatrices s’inscrivent sur la peau, sur le corps, sur le corpus textuel des Algéries cristallisées dans l’écriture.
Levinas écrit : « l’essence du langage est amitié et hospitalité[31] ». L’amitié qui relie Hélène Cixous à Jacques Derrida se révèle souvent intertextuelle : l’une et l’autre appartiennent désormais au Jardin d’Essai littéraire évoqué par Cixous, où, côte à côte, ils mettent à l’épreuve l’expérimentation textuelle, et remettent en question, par le jeu subtil du langage et l’enjeu autobiographique, les sens de l’Algérie dans sa disjonction et sa conjonction, dans son historicité et son actualité, dans sa réalité et sa fictionnalité, dans son traumatisme et sa béatitude. En ce sens, le texte algérien de Camus se lie d’amitié avec ceux de Cixous et de Derrida dans ce que, pour eux, l’Algérie, en tant que lieu de naissance, fait acte de re-naissance et de co-naissance dans l’écriture. Lieu d’hospitalité aussi, accueillant et travaillant la langue de l’hôte – du maître mais aussi du guest, de l’ami mais aussi de l’ennemi –, transforme cette mono-langue de l’autre en caisse de résonance polyphonique de l’altérité.
Ce sont également des textes de dédicace. Au sens étymologique – dedicatio, « consécration » –, les textes sont offerts vers le haut : celui de Camus, renouant avec le panthéisme de Noces, retrouve la divinité dans les éléments de la vie en terre algérienne ; ceux de Cixous sécrètent les phrases interminables réabsorbées en monologue intérieur ; ceux de Derrida, rappelant en mimésis la religiosité de saint Augustin, inventent un narrataire inassignable comme Dieu. Dédicaces au sens d’hommage aussi, par « une inscription imprimée ou gravée sur l’oeuvre » (Le Robert). Ainsi Camus : « À toi qui ne pourras jamais le lire » (PH, 11) ; Derrida : « ces mots pour elle qui ne les lira jamais » (C, 217). À la mère donc, qui ne saura le lire, au lecteur qui ne prendrait pas le temps nécessaire de le lire, à cette terre aux prises avec la tourmente. Tel est le destin de ces livres : mal-adressés, mal-aimés, sans destinataire ni destination, ils s’offrent, en offrande, s’érigent comme des stèles archaïques, porteuses d’inscriptions quasi oblitérées, vouées à l’illisibilité.
« [É]crivant depuis l’Algérie ; provenant d’Algérie ; appartenant à l’Algérie ; se vouant à l’Algérie ; mourant d’Algérie[32]. » Nous l’avons évoqué, Camus signe une oeuvre d’amour avec cette terre tant aimée. Hélène Cixous opère une récupération littéraire de l’Algérie par les mises en scène et les affabulations déréglées. Jacques Derrida, quant à lui, maintient la distance et l’indécidabilité de l’Algérie dans l’écriture du secret. Ces écritures forment précisément un « intense rapport à la survivance » (C, 162). Dès lors, l’Algérie, rêvée, réinventée, fantasmée, est bien le lieu hospitalier par excellence, au sein duquel vibrent les voix et les traces de souffrance, de joie, de détresse et de jubilation.
Le premier homme, manuscrit trouvé sur la scène d’accident mortel de l’écrivain, semble faire écho au lyrisme méditerranéen de ses premiers écrits, Noces. En pleine guerre d’indépendance algérienne, Camus rêve d’une « réconciliation », d’un « troisième camp », d’une « libre association » « constituée par des peuplements fédérés » permettant aux différentes communautés ethniques de « vivre ensemble sur la même terre »[11]. Portant ce rêve mal compris et brisé, il se retire dans le silence de l’écriture autobiographique du Premier homme, laquelle évoque en somme son enfance et son histoire familiale. Le texte est voué à la plus grande simplicité : la terre, la lumière, la mer, la mère, la naissance, le dénuement matériel, l’origine d’un « premier homme » sans origine. En même temps, c’est un livre hautement et autrement engagé : engagement passionnel, non sartrien, inscrit dans l’écriture, à travers le geste de raconter, de décrire, de remémorer. Une résistance poétique contre la déchirure.
Car il y a d’abord la déchirure intérieure : l’enfance algérienne est déjà marquée par le trouble d’identité : ni Algérien ni Français, à la fois Algérien et Français, étranger au pays natal, dans une position intenable de l’entre-deux. Le narrateur dit : « la Méditerranée divise en moi deux univers, l’un où dans des espaces mesurés les souvenirs et les noms étaient conservés, l’autre où le vent de sable effaçait les traces des hommes sur de grands espaces » (PH, 181). L’Algérie est également le lieu où s’accumulent les contradictions : d’un côté, la beauté sublime de la nature ; de l’autre, la misère, l’injustice, le quasi-mutisme de la mère. Camus porte cette déchirure originaire dans son écriture : aller vers l’Algérie, comme pour retourner au secret de la naissance.
Son entreprise autobiographique procède par le secret, c’est-à-dire la séparation[12]. Séparation narrative, d’abord. Brisant l’identification auteur-personnage-narrateur du genre, la narration à la troisième personne est confiée au personnage nommé Jacques Cormery. Or la « troisième » personne est précisément le tiers, l’absent, la non-personne : « sans identité ; personnel ? impersonnel ? pas encore et toujours au-delà[13] ». Cet « il », tout en maintenant la focalisation interne et la vision auto-analytique d’une narration à la première personne, s’écarte de la position surplombante d’un « je » comme « sujet d’énonciation ». La narration mélange points de vue, voix, instances, temporalités, et le récit constitue le lieu de dépôt de multiples registres narratifs : registre proprement autobiographique, voire confessionnel, avec évocation parfois intimiste des scènes d’enfance ; registre des mémoires familiales, convoquant la vie éphémère du père et la souffrance de la mère ; registre des témoignages collectifs, mettant en scène des processions spectrales de générations en exil ; registre fictif, enfin, tissé d’anamnèse et d’oubli.
Ensuite, il y a séparation d’avec l’origine. Si le « premier homme » est sans origine, il se constitue néanmoins d’une historicité et d’une généalogie dont la lignée reste à retracer et à ré-inventer. Jacques Cormery à la recherche de soi est d’abord celui qui recherche la trace de l’autre : le père. Le recueillement de Jacques Cormery devant la tombe du père est un moment crucial autour duquel s’articule toute la narration :
C’est à ce moment qu’il lut sur la tombe la date de naissance de son père, dont il découvrit à cette occasion qu’il l’ignorait. Puis il lut les deux dates, « 1885-1914 » et fit un calcul machinal : vingt-neuf ans. Soudain une idée le frappa qui l’ébranla jusque dans son corps. Il avait quarante ans. L’homme enterré sous cette dalle, et qui avait été son père, était plus jeune que lui.
PH, 29
Le père plus jeune que le fils. Cette crise généalogique révèle la « folie » du temps, lequel ne suit plus « l’ordre naturel » mais un « ordre mortel » : « La suite du temps lui-même se fracassait autour de lui immobile, entre ces tombes qu’il ne voyait plus, et les années cessaient de s’ordonner suivant ce grand fleuve qui coule vers sa fin. Elles n’étaient plus que fracas, ressac et remous » (PH, 30). La folie historique, exacerbée par la machine de guerre et de colonisation, fait ici éclater la narration. La mort s’inscrit désormais dans ce « nouvel ordre du temps [qui] est celui du livre » (PH, 317). Temps éclaté, narration disloquée, tel est le lot du récit algérien.
Le secret est aussi lié à la mère : figure de l’origine, elle est pourtant d’une origine étrangère (espagnole) ; figure de la langue « maternelle », elle est pourtant « isolée dans sa demi-surdité, ses difficultés de langage » (PH, 60). Pour ces « Français d’Algérie », la mère de Jacques Cormery emblématise l’étrangèreté et la « non-langue maternelle[14] », pour emprunter la formule d’Assia Djebar. Il appartient donc au narrateur d’inventer une nouvelle langue, métissée, polyphonique, une nouvelle écriture au pluriel, non pas de soi mais de « nous », de « mon père » et aussi de « nos » peuples, de ces « pieds-noirs » sans appartenance, et aussi de ces « indigènes » dépossédés.
La scène de la naissance de Jacques Cormery, telle la première scène du monde, est rehaussée d’une intensité mythique. L’enfant est né avec l’orage, dans un décor rustique. Le faible cri du nouveau-né perce la nuit, annonce l’arrivée de ce « premier homme » presque biblique. « Premier » parce qu’il est né étranger, sans attache, sans point de repère, et pourtant comme un don, béni non par quelque force divine mais par l’alliance des peuples. Car, en scène, le père de Jacques Cormery et le vieil Arabe, « ces deux hommes serrés sous le même sac » (PH, 23) comme à l’abri d’un manteau partagé, partagent la chaleur humaine par le contact corporel, par la sympathie tacite transcendant les conflits ethniques et sociaux.
Roman d’initiation et d’apprentissage, testament-témoignage, Le premier homme est surtout une oeuvre d’amour et de réconciliation. La prise de position politique et éthique de Camus se mue en un acte poétique, c’est-à-dire une invention autobiographique algérienne.
« La mort inachevée » n’en finit pas d’achever en inachevant ce manuscrit publié de manière posthume – livre-orphelin, livre-tombeau. Et la fatalité hors texte, si tragique soit-elle, témoigne d’une exigence intrinsèquement poétique dont l’écrivain appelle la nécessité : « le livre doitêtre inachevé » (PH, 288). C’est dire que toute écriture algérienne est vouée à l’inachèvement, c’est-à-dire aux recommencements et à l’in-fini.
Des incendies de forêts se sont déclenchés hier vendredi dans plusieurs wilayas du centre et de l’ouest de l'Algérie.
À Tipaza (Nord-Ouest), deux personnes encerclées par les feux n’ont pas pu être sauvés par les pompiers déployés pour lutter contre les incendies. Elles sont décédées, selon la Protection civile.
Trois familles de 15 personnes ont été évacuées dans un camp de Naftal et dix personnes ont été sauvées de l’asphyxie par la fumée dégagée par les flammes à Gourara (nord), selon la même source.
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