La question de la récupération des fonds et des biens issus de la corruption d’hommes d’affaires, de militaires et des politiciens véreux ainsi que des parties influentes incarcérés pour corruption était une promesse de campagne du président mal élu Abdelmadjid Tebboune.
Aujourd’hui le bonhomme s’en remet à ses bons souvenirs et relance ce va-t-en guerre à la recherche de Dinars perdus dilapidés dans le cadre de la récupération des fonds dissimulés frauduleusement à l’étranger ou même en Algérie à travers des biens éparpillés çà et là. C’est d’ailleurs de l’un de ceux-là d’où est repartie cette affaire. Dimanche dernier, effectivement, le chef d’état lors du Conseil des ministres tenu sous sa présidence, avait sommé ses troupes d’accélérer la remise en production de l’usine des huiles végétales de Jijel, qui appartenait aux frères Kouninef, actuellement en détention pour corruption, lançant ainsi la première étape d’un début du processus de récupération.
C’est que l’histoire va chercher loin elle couterait au bas mot estiment les experts, plus de 7,5 milliards d’euros et 600 milliards de DA, un joli pactole pour des caisses assoiffées. Si pour ce qui est de récupérer l’argent volé et dissimulé à l’étranger, autant en faire son deuil tant les procédures complexes prendraient du temps pour le rapatrier, les démarches à entamer, se déroulant sous la houlette diplomatique. Au Bled c’est un autre son de cloche et cela semble plus envisageable. Mais dans cette histoire du voleur volé, et entre nous, le vrai pactole est en devises fortes et donc entre de bonnes mains chez les autres. Ce qui reste au pays va avec les pertes et profits. Et l’Exécutif algérien en ces temps durs est tout aise de rencontrer le fameux « limaçon » de la fable.
Sauf que là, la problématique de la récupération des biens et fortune des richissimes oligarques et hauts responsables du régime Bouteflika ne pourrait se faire, qu’après que toutes les voies de recours eussent été épuisées. D’ailleurs, seule la cour d’Alger « une voix de son maître sans équivoque », où se déroulent les procès en appel des accusés concernées par la confiscation de biens mal acquis, est apte ou non de confirmer les demandes de la partie civile, qui est le Trésor public en ordonnant donc la confiscation de biens précisément identifiés et localisés. Ce qui toutefois peut prendre parfois plusieurs mois, voire des années mais bien moins que pour l’autre opération de rapatriement.
Ces grands dossiers qui s’élèvent à 7,5 milliards d’euros, ont pour hommes d’affaires des sommités comme, Ali Haddad, Mahieddine Tahkout , Mourad Eulmi, Abdelghani Hamel, les frères Kouninef ainsi que des accusés de parts et d’autres, notamment ceux dont les biens ont fait l’objet d’un ordre de saisie dans l’affaire du montage automobile. La majorité de ces biens à confisquer se trouve dans la capitale Alger et ses environs, il s’agit de terrains, usines, sièges de sociétés ou bureaux… L’opération est, sauf retournement de situation comme c’est souvent le cas en Algérie, certes, des plus plausibles sur le plan juridique car la justice est toute acquise à l’exécutif qui n’est autre que l’uniforme en Algérie, mais elle restera dans le temps complexe à appliquer. Mais qu’on se le dise ! dans l’état actuel des choses ce n’est qu’une passation de mains ou de pouvoir. Les nouveaux « ayant droit » se bousculent déjà aux portillons de la bonne fortune que partage volontiers le parrain. C’est comme ça en Algérie depuis plus de six décennies. Les bonnes habitudes ne se perdent pas.
Lamamra et Macron lors de sa visite à Alger en 2017. D. R.
La crise mémorielle franco-algérienne traduit en fait, par la permanence de son impasse, le déni inavoué de l’identité de l’Etat algérien par l’ancienne puissance coloniale. Une raison essentielle à cela est le fait que le nationalisme algérien, qui a donné naissance à l’Etat algérien dans sa forme contemporaine, en l’ayant doté d’une identité révolutionnaire, s’avère être une déconstruction du nationalisme français hérité de la Révolution de 1789 et de la pensée des Lumières qui a significativement contribué à son avènement. Reconnaître donc et respecter l’identité de l’Etat algérien par l’ancienne puissance coloniale, c’est accepter cette épreuve de déconstruction du nationalisme français dans le miroir de celui de l’ancien colonisé au risque de faire apparaître au grand jour ses contradictions devant le caractère criminel de la colonisation et de devoir affronter douloureusement l’effondrement de ses valeurs.
Par conséquent, vouloir dénouer volontairement cette crise pour l’ancien colonisateur par l’aveu du caractère criminel du fait colonial, c’est se renier soi-même, par la disqualification de l’identité de son propre Etat et les valeurs qui le fondent, qui sont en toute évidence au fondement du fait colonial tel qu’il s’est déroulé en Algérie, notamment par la perversion du principe des droits de l’Homme et du citoyen dans son acceptation universelle. De ce fait, les termes de la crise sont systématiquement ramenés par l’ancienne puissance coloniale à un différend dans l’interprétation et la qualification de singuliers épisodes meurtriers ayant jalonné la permanence des crimes coloniaux durant l’occupation coloniale pour mieux se disculper. Même si parfois l’ancien colonisateur accepte d’endosser la responsabilité de certains crimes coloniaux, c’est pour mieux les justifier par des circonstances impératives ou incontrôlées, telle la torture pour neutraliser les réseaux «terroristes» de la Bataille d’Alger ou encore le massacre d’Algériens en octobre 1961 à Paris, en l’imputant à une dérive policière commanditée par un néofasciste désavoué, en la personne du préfet Maurice Papon, pour rendre inopérant le qualificatif de crime d’Etat.
A chaque crime colonial correspond un contrepoint justificatif et déculpabilisant, minutieusement orchestré, pour préserver l’imaginaire des nationalistes coloniaux vantant la colonisation civilisatrice. Ainsi, les enfumades, les massacres de masse, notamment ceux de 1945 dans l’Est algérien et surtout le génocide perpétré au cours de la conquête, qui durera plusieurs décennies, les étouffoirs, les viols collectifs contre les femmes, le déracinement des populations par la confiscation de leur terre et leur expulsion vers des terres inhospitalières et improductives, le deuxième déracinement par leur regroupement dans des camps de concentration pendant la guerre de 1954 à 1962, etc. trouveront toujours singulièrement des justifications pour préserver cet imaginaire au fondement de l’empire civilisateur des peuples sauvages.
Mais la stratégie discursive de l’ancien colonisateur ne résiste pas à la volonté de l’ancien colonisé à vouloir circonscrire impérativement cette crise mémorielle dans le différend sur la qualification de la nature même du régime colonial, qui représente en soi ses temps forts et, par conséquent, la conduit vers l’impasse. A la colonisation positive, civilisatrice, invoquée par les termes du dialogue mémoriel de la part de l’ancien colonisateur, il lui est opposé le qualificatif criminel pour désigner le fait colonial par l’ancien colonisé.
Dans cette impasse se joue en définitive une confrontation pour la survie de deux nationalismes qui se renient réciproquement en reniant l’identité des Etats qui les caractérisent.
Pour l’ancien colonisateur, le nationalisme algérien, qui est perçu comme étant à l’origine de l’amputation de l’empire de ses colonies, qui s’est donné sournoisement pour objectif une mission civilisatrice des peuples sauvages pour mieux piller leurs richesses et les empêcher de devenir des nations souveraines et prospères, continue à ce jour d’assumer ce rôle de meneur dans la lutte contre le régime néocolonial, en menaçant la déconstruction du caractère sournois des valeurs qui fondent l’identité de son Etat et donc de son rayonnement et sa prospérité au détriment des peuples néocolonisés. Les dernières déclarations du président français, Emmanuel Macron, teintées d’amertume et de dépit, avaient tenté en vain de pousser «la société algérienne profonde» à renier l’identité de son Etat en le qualifiant de «système politico-militaire (…) qui fonde sa légitimité sur la rente mémorielle». Allant jusqu’à renier la préexistence même de l’Etat algérien en dehors de l’étendue de l’empire colonial.
Pour le nationalisme algérien, dont l’indépendance nationale est perçue comme une libération de l’emprise de l’empire colonial, l’identité dont il a doté son Etat s’inscrit dans la lutte même contre cette perversion des valeurs de l’identité de l’Etat colonial, à savoir la solidarité avec les peuples en lutte pour leur autodétermination et la non-ingérence dans les affaires internes des Etats souverains, du moins contribuer par une médiation impartiale pour résoudre les conflits violents afin de ramener la paix entre leurs membres. Cette valeur identitaire est étroitement associée à la lutte pour la souveraineté économique et la solidarité avec les peuples dont les richesses sont convoitées par les puissances néocoloniales. C’est à cette identité de l’Etat algérien que fait allusion le président Abdelmadjid Tebboune en conditionnant le retour à son poste de l’ambassade d’Algérie en France par la reconnaissance et le respect de l’Etat algérien par l’ancienne puissance coloniale.
C’est dire que dans l’absolu, l’impasse de la crise mémorielle franco-algérienne n’est autre que la poursuite du rapport de force néocolonial confronté à la résistance de la partie algérienne par la poursuite de la lutte anticoloniale.
Pour plaire aux milieux nostalgiques, le candidat à la présidence Macron, se lance dans le débat, sans expliquer le pourquoi et le comment de la colonisation.
Expliquer n'est pas excuser, en histoire comme en sciences sociales. Vous devez reconnaître monsieur Macron que la colonisation fut un processus d'appropriation, par la force, d'un territoire et de ses habitants, fondé sur un racisme systémique. Le 17 octobre 1961, est un des exemples du déni de l'Histoire. C'est en plein Paris que des dizaines de milliers d'Algériens manifestaient pacifiquement contre le couvre-feu discriminatoire qui leur avait été imposé par le gouvernement de l'époque dont le Premier ministre, Michel Debré, était hostile à l'indépendance de l'Algérie, et le Préfet de Police Maurice Papon qui était sous ses ordres.
Ils défendaient leur droit à l'égalité, leur droit à l'indépendance et le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes. Ce jour-là et les jours qui suivirent, des milliers de ces manifestants furent arrêtés, emprisonnés, torturés ou, pour nombre d'entre eux, refoulés en Algérie. Des centaines perdirent la vie, victimes d'une violence et d'une brutalité extrêmes des forces de police parisiennes, qui les jetèrent vivants dans la Seine. L'histoire que vous tentez d'occulter monsieur Macron, a longtemps réduit les colonisés à des objets d'histoire plutôt qu'à des sujets agissants. Aujourd'hui encore, en France comme ailleurs en Europe, le refoulé de la mémoire coloniale opère un retour fracassant sur la place publique. Restitutions, excuses, sort à réserver aux archives coloniales sont autant de sujets âprement débattus et politiquement instrumentalisés par des candidats bien connus pour leur inflexibilité sur le sujet. Militants décoloniaux et nostalgiques «de l'Algérie de papa» sont projetés dans des arènes médiatiques, où leurs visions opposées au passé sont placées au même niveau.
Déni de l'Histoire coloniale dans le débat électoral.
L'Algérie va fêter le 1er novembre 2021, 67 années après le déclenchement de la guerre de Libération nationale du 1er novembre 1954. En France, les mémoires sont convoquées le 17 octobre pour se rappeler des massacres des Algériens à Paris. Gloire à la mémoire de nos martyrs, qui se sont sacrifiés pour une Algérie prospère et démocratique, tenant compte de notre authenticité. Bien que l'histoire ne se découpe pas en morceaux, l'histoire de l'Algérie, n'en déplaise à monsieur Macron, qui tente de faire croire que l'Algérie est une création coloniale française, remonte à la période des Numides, IVe siècle avant J.C, à la période romaine, de la période du Kharidjisme à la dynastie des Almohades, l'occupation espagnole et ottomane.
Cette présente et modeste contribution, certainement incomplète, répond à Emanuel Macron et à sa tentative de débat toxique sur «l'inexistence» de la nation algérienne avant l'arrivée de la France. Elle porte, en partie, sur la période de la colonisation française -1830 à la guerre de libération nationale -1954-1962, et sur des vérités que l'Histoire, la vraie, ne peut occulter.
En effet, et bien avant l'occupation française, l'Algérie avait bien existé et a connu plusieurs civilisations ayant laissé des traces, des vestiges, des palais, des jardins, des livres, des œuvres d'art portés par des dynasties et des Royaumes depuis l'antiquité comme les Numides, les Zirides, les Rustumides, les Zianides, les Hammadides, etc.
La construction de la nation algérienne s'est faite au fil des siècles cumulant savoirs, arts, connaissances et expériences. Pourtant, toute cette longue et riche histoire civilisationnelle de l'Algérie et du Maghreb est ignorée par les manuels d'Histoire et par les sciences sociales en France. On ne retient outre-mer que la conquête de l'Algérie par la France en 1830, suite au soufflet du dey à la face de l'ambassadeur français accusé de mensonge et au non remboursement de la dette française contractée auprès de l'Algérie pour achat de blé algérien à destination de la France. A cette époque, Victor Hugo, le célèbre écrivain français faisait un constat terrible dans son chef-d'œuvre
«Les Misérables» sur la misère et la pauvreté que vivait le peuple français. Victor Hugo a présenté les problèmes politiques, sociaux et économiques dans son roman d'anthologie. Les événements dans le livre ont reflété les événements marquants de l'histoire de la France, où un Jean Valjean a été condamné au bagne en 1795, pour le vol d'un pain, Gavroche, gamin de Paris, jeté comme beaucoup d'autres enfants sur les pavés, se retrouvant sans amour, sans gîte, sans pain. Le Paris des dernières années de la Restauration et des premières de la monarchie de Juillet est une ville de cauchemar où, d'après un carnet écrit par Balzac se sont accrues la misère et la délinquance. Ce carnet disait, en substance que dans Paris, en 1825, une personne sur dix est délinquante («40.000 escrocs, 15.000 filous, 10.000 voleurs avec effraction, 40. 000 filles publiques qui vivent du bien d'autrui, constituent une masse de 110.000 à 120.000 personnes assez difficile à administrer. Si Paris a 1.200.000 âmes, et que le nombre de filous arrive à 120.000, il s'ensuit qu'il y a un coquin pour 10 personnes décentes».
Dans l'admirable étude de Louis Chevalier, il est démontré que jamais, durant ces années, la misère du plus grand nombre ne fut si totale». Le tableau dressé par cette recherche est effrayant : la pauvreté et le dénuement de vastes secteurs de la population se traduisent en crimes, suicides, infanticides, abandons d'enfants, vols et attaques, au point que le crime et la peur du délit formaient le quotidien des Français de l'époque.
A cette époque, l'Algérie d'alors, était le grenier de l'Europe. Un pays prospère, et envié par tant de nations au point où elles voulaient toutes la conquérir à tout prix pour s'emparer de ses richesses. C'est la raison pour laquelle la France, plongée dans la misère, décida de s'armer et d'aller conquérir notre pays, par la ruse et la passivité de la Régence turque !
En réalité, l'expédition d'Alger n'a pas été provoquée par le «coup d'éventail» comme voudrait l'enseigner la France dans ses écoles, mais avait été la réalisation d'une idée formulée, dès le début du XIXe siècle, que l'on retrouve notamment chez Charles-Maurice de Talleyrand-Périgord (1754 1838), dans un Essai sur les avantages à retirer de colonies nouvelles dans les circonstances présentes (1797) ou chez Polignac dans un rapport de septembre 1814, pour doter la France d'établissements sur la côte algérienne. La France pourrait y pratiquer une agriculture intensive, notamment de coton, et compenser les pertes américaines. Ainsi, l'économiste Jean-Baptiste Say (1767 1832), par ailleurs industriel du coton, dans la seconde édition de son Traité d'économie politique (1814), prévoit la fondation de nouvelles colonies dans des contrées voisines de l'Europe. Pour mettre en place leur projet de colonisation de l'Algérie, et en 1826, le consul Deval fait fortifier les magasins français à La Calle pour y manifester la souveraineté française, ce qui alarme le Dey. Cette opération est la véritable raison de la montée des tensions entre la Régence et la France. Le Dey aurait d'ailleurs reproché à Deval ces fortifications illégales après l'avoir frappé avec son chasse-mouches.
En octobre 1827, le ministre de la Guerre Aimé Marie Gaspard de Clermont-Tonnerre (1779 1865) propose dans un rapport la conquête de l'Algérie, en la justifiant par les quantités de blé et plantes coloniales que la France pourrait exporter en Métropole. Ainsi, la prise d'Alger le 5 juillet 1830 est suivie, de fait, par une colonisation. Après la débâcle des Turcs, les Algériens ont affronté l'armée française dès son débarquement en juin 1830 à Sidi-Ferruch. De l'Emir Abdelkader à Larbi Ben M'hidi en passant par Lalla Fatma N'Soumer, retour sur 132 ans de révoltes. Le pays est progressivement conquis par l'armée française, au cours de campagnes violentes où se multiplient les exactions. La conquête fait face à une forte résistance autochtone, dont la plus remarquable est celle de l'Emir Abdelkader (1808 1883), qui ne dépose les armes que le 23 décembre 1847, ce qui n'arrête pas les résistances. La IIème République fait, en 1848, de l'Algérie un territoire français constitué de 3 départements, administrés par des préfets, alors que les colons européens sont 100.000.
Plusieurs observateurs s'accordent à dire que la conquête de l'Algérie a causé la disparition de presque un tiers de la population algérienne. Guy de Maupassant écrivait dans Au Soleil' en 1884 je le cite «Il est certain aussi que la population primitive disparaîtra peu à peu; il est indubitable que cette disparition sera fort utile à l'Algérie, mais il est révoltant qu'elle ait lieu dans les conditions où elle s'accomplit». Le 11 décembre 1848 la Constitution de 1848 proclame l'Algérie partie intégrante du territoire français. Bône, (Annaba actuellement) Oran, Alger deviennent les préfectures de 3 départements français. C'est à cette époque que Fatma N'soumer la femme rebelle marqua une grande résistance à l'occupant.
Elle est arrêtée le 27 juillet 1857 dans le village de Takhliit Ath Atsou près de Tirourda. Placée ensuite en résidence surveillée à Béni Slimane elle y meurt en 1863, à l'âge de trente-trois ans, éprouvée par son incarcération.
En mars 1871, profitant de l'affaiblissement du pouvoir colonial à la suite de la défaite française lors de la guerre franco-prussienne (1870-1871), une partie de la Kabylie se soulève favorisée par plusieurs années de sécheresse et de fléaux, avec l'entrée en dissidence de Mohamed El Mokrani qui fait appel au Cheikh El Haddad, le grand maître de la confrérie des Rahmaniya. La révolte échoue et une répression est organisée par les Français pour «pacifier» la Kabylie avec des déportations. Le mouvement est rapidement réprimé, dès lors le seul moyen de prévenir les révoltes, c'est d'introduire une population européenne nombreuse, de la grouper sur les routes et les lignes stratégiques de façon à morceler le territoire en zones qui ne pourront pas à un moment donné se rejoindre. La ruée vers «l'or» fut organisée et des milliers de chômeurs, de parasites de tous bords, de gants jaunes et de gangsters sont alors envoyés en Algérie pour faire fortune. La loi du 21 juin 1871 (révisée par les décrets des 15 juillet 1874 et 30 septembre 1878) attribue 100. 000 ha de terres en Algérie aux immigrants d'Alsace-Lorraine.
De 1871 à 1898 les colons acquièrent 1. 000.000 ha confisqués aux autochtones, alors que de 1830 à 1870 ils en avaient acquis 481.000. Le 26 juillet 1873 est promulguée la loi Warnier visant à franciser les terres algériennes. Cette loi donne lieu à divers abus et une nouvelle loi la complétera en 1887. Le Code de l'Indigénat est adopté le 28 juin 1881 distinguant deux catégories de citoyens : les citoyens français (de souche métropolitaine) et les sujets français, c'est-à-dire les Africains noirs, les Malgaches, les Algériens, les Antillais, les Mélanésiens. Le Code était assorti de toutes sortes d'interdictions dont les délits étaient passibles d'emprisonnement ou de déportation. Les autorités françaises réussirent à faire perdurer le Code de l'indigénat en Algérie jusqu'à l'indépendance en maintenant le statut musulman et en appliquant par exemple le principe de responsabilité collective qui consistait à punir tout un village pour l'infraction d'un seul de ses membres. De Tocqueville écrivait : Les villes indigènes ont été envahies, bouleversées, saccagées par notre administration plus encore que par nos armes. Un grand nombre de propriétés individuelles ont été, en pleine paix, ravagées, dénaturées, détruites. Une multitude de titres que nous nous étions fait livrer pour les vérifier n'ont jamais été rendus.
Dans les environs même d'Alger, des terres très fertiles ont été arrachées des mains des Arabes et données à des Européens qui, ne pouvant ou ne voulant pas les cultiver eux-mêmes, les ont louées à ces mêmes indigènes qui sont ainsi devenus les simples fermiers du domaine qui appartenait à leurs pères. Non seulement la France a déjà enlevé beaucoup de terres aux anciens propriétaires, mais, ce qui est pis, l'administration coloniale leur interdisait d'acquérir d'autres. Cette même administration reconnaissait que la société musulmane, en Algérie, n'était pas «incivilisée» ; elle avait seulement une «civilisation imparfaite». Il existait en son sein un grand nombre de fondations pieuses, ayant pour objet de pourvoir aux besoins de la charité ou de l'instruction publique. Partout la France coloniale a mis la main sur ces revenus en les détournant en partie de leurs anciens usages ; elle a réduit les établissements charitables, laissé tomber les écoles, dispersé les séminaires. Autour d'elle les lumières se sont éteintes c'est-à-dire que la colonisation a rendu la société musulmane beaucoup plus misérable qu'elle n'était avant la conquête. En face, les Algériens ne sont pas restés les mains croisées, au contraire. L'insurrection contre cet envahisseur s'est alors déclenchée ! Le cœur de la révolte fut la Grande Kabylie où toutes les agglomérations notables furent attaquées : Tizi-Ouzou, Fort-National, Dra-el-Mizan, Dellys, Bougie, sur la bordure occidentale Bordj-Menaïel et Palestro. Mais rapidement la grande révolte dépassa ce cadre pour s'étendre à l'Est à toute la Petite Kabylie, à l'Ouest jusqu'aux abords de la Mitidja (l'Alma) et, au-delà, au massif des Beni Menasser (région de Cherchel). Au sud, elle intéressera le pays jusqu'au chott du Hodna et Batna. Elle toucha aussi le désert, à Touggourt et Ouargla notamment.
Les Kabyles, après une défense énergique, subirent une lourde défaite. La révolte allait cependant durer encore six mois avec à sa tête Bou Mezrag et il fallut à la France de nombreuses opérations pour y mettre fin. La répression officielle qui suivit l'insurrection fut terrible. Elle fut impitoyable même, et laissa un souvenir cruel, surtout en ce qui concerne la contribution de guerre et les séquestres. Dernier capturé, le cheikh Bouziane est fusillé, ses fidèles, sa famille sont sauvagement massacrés, comme le reste de la population. Après leur exécution, les chefs de l'insurrection sont décapités. Leurs têtes, plantées au bout de piques ou de baïonnettes, sont exhibées en signe de victoire. Un siècle et demi plus tard, le statut de ces restes mortuaires est le cruel symbole de la barbarie de la conquête de l'Algérie. Pour l'État français, ces têtes sont de simples «objets scientifiques».
L'Histoire monsieur Macron, la vraie, nous apprend que c'est la France qui a colonisé l'Algérie en y multipliant les crimes. C'est la France qui, pendant la Guerre de Libération de l'Algérie a commis d'innombrables crimes : crimes d'Etat (17 octobre 1961, 8 février 1962...), crimes de guerre (utilisation du napalm -entre 600 et 800 villages rasés-, utilisation du gaz VX et Sarin, essais nucléaires...), crimes contre l'Humanité (camps d'internement pudiquement appelés de regroupement -plusieurs centaines de milliers de morts-, tortures, viols, corvées de bois, crevettes Bigeard...).Et vous connaissez bien ce pan de notre histoire commune. Aujourd'hui, vous qui allez d'un échec diplomatique à l'autre «les Etats-Unis ayant décidé d'ignorer la France dans ses nouvelles alliances», vous, par contre êtes en train d'ouvrir inutilement un front avec l'Algérie au moment où les relations entre les deux pays sont au plus bas niveau depuis des décennies. C'est exactement ce que dit le polémiste raciste Eric Zemmour, qui veut se porter candidat à la présidentielle de 2022.
Monsieur le Président, comment pouvez-vous oser dire : «Nos générations n'ont pas vécu cette guerre, ça nous libère de beaucoup de choses». C'est scandaleux. Parce que près de 60 ans se sont écoulés depuis la fin, le cessez-le-feu, la France, que vous êtes censé représenter, peut s'exonérer de reconnaître ses responsabilités et de condamner les crimes d'Etat, crimes contre l'Humanité, crimes de guerre (plus d'un million et demi de martyrs algériens de 1954 à 1962)... commis en son nom durant cette période ? Quel mépris pour le peuple algérien !!! Parce que vous «ignorez l'Histoire de la colonisation française» sous prétexte que vous êtes né après cette période, vous osez donc sous-entendre : «passons à autre chose ?». Ces types de propos sont profondément insultants pour le peuple algérien. Non, monsieur le Président, il ne suffit pas de reconnaitre un jour le crime commis à l'encontre de Maurice Audin, puis de celui d'Ali Boumendjel, pour «passer à autre chose». Comment allez-vous réagir dimanche 17 octobre à l'occasion du 60ème anniversaire du massacre du 17 octobre 1961 à Paris, ce crime d'Etat où des centaines d'Algériens ont été jetés à la Seine par les agents de police, ce crime qui n'a jamais été officiellement reconnu comme tel, ni condamné ? Au lieu d'insultes, de mépris, il est urgent, indispensable, de reconnaître le plus rapidement possible, tous ces crimes, et de les condamner, tous, très clairement au lieu de quelques mots insignifiants en guise de «mea culpa». C'est à ce prix et à lui seul, qu'un véritable traité d'amitié entre l'Algérie et la France permettra aux familles algériennes et françaises que tant de liens rapprochent qu'un réel apaisement pourra s'opérer. En faisant commerce des expressions vagues de «ni déni ni repentance» et de «réconciliation des mémoires», vous mettez ainsi sur le même pied d'égalité la victime et le bourreau, le colonisateur et le colonisé. Et, à six mois de l'élection présidentielle, vous ressortez la carte de «la haine de la France» qui existerait en Algérie.
La même carte qu'utilisent vos adversaires les nostalgiques de «l'Algérie française» pour justifier les silences coupables sur les crimes cumulés pendant 132 ans de l'occupation militaire de l'Algérie. Est-ce qu'il y avait une nation algérienne avant la colonisation française ? Ça, c'est la question», avez-vous tranché pour dire autrement «les bienfaits de la colonisation» que la droite populiste vend à chaque occasion. Une pensée qui nourrit le suprémacisme blanc et qui rejette toute idée d'apport des Algériens, des Amazigh, des Musulmans, des Africains, des Asiatiques au progrès scientifique et culturel de l'Europe. Zemmour et Marine Le Pen ne disent pas mieux. Monsieur Macron, et à l'occasion de cette réception à laquelle vous avez convié des jeunes (dans quel but ?) vous répondiez à Nour, une jeune femme ayant grandi à Alger qui vous explique que la jeunesse algérienne n'a pas de «haine» envers la France, en expliquant :»Je ne parle pas de la société algérienne dans ses profondeurs mais du système politico-militaire qui s'est construit sur cette rente mémorielle.[ ] Quelle ingérence, quel mépris pour le peuple algérien. Ces types de propos sont profondément insultants pour le peuple algérien. Cette démarche est très inspirée du colonialisme : elle voudrait continuer à dicter à l'Algérie la façon qu'elle devrait avoir pour analyser ses rapports entre le peuple et ses gouvernants, et avec la France.
Pour votre gouverne, l'Algérie d'aujourd'hui, l'Algérie nouvelle est en marche et souveraine dans ses démarches et sa politique, et n'a pas besoin de tuteur monsieur le candidat Macron !
par Youcef Dris
Oct 16,2021
Auteur entre autres, d'un essai d'histoire «Massacres d'Octobre 1961. Papon la honte» Editions Alpha Alger 2009.
Dans un contexte médiatique où l’arsenal raciste des démocraties libérales se trouve, une fois encore, déployé à l’encontre des femmes voilées, la lecture de cet article de Frantz Fanon, publié en mai 1957 dans Résistance Algérienne, rappelle que la situation des femmes a longtemps constitué un thème d’action privilégié par la doctrine politique de l’administration coloniale. Elle rappelle également comment le voilement, d’abord tradition d’habillement, est devenu mécanisme de résistance sous les conditions historiques de l’Algérie coloniale. « Ce sont les exigences du combat qui provoquent […] de nouvelles attitudes, de nouvelles conduites, de nouvelles modalités d’apparaître ».
Les techniques vestimentaires, les traditions d’habillement, de parement, constituent les formes d’originalité les plus marquantes, c’est-à-dire les plus immédiatement perceptibles d’une société. À l’intérieur d’un ensemble, dans le cadre d’une silhouette déjà formellement soulignée, existent évidemment des modifications de détail, des innovations qui, dans les sociétés très développées, définissent et circonscrivent la mode. Mais l’allure générale demeure homogène et l’on peut regrouper de grandes aires de civilisation, d’immenses régions culturelles à partir des techniques originales, spécifiques, d’habillement des hommes et des femmes.
C’est à travers l’habillement que des types de société sont d’abord connus, soit par les reportages et documents photographiques, soit par les bandes cinématographiques. Il y a ainsi des civilisations sans cravates, des civilisations avec pagnes et d’autres sans chapeaux. L’appartenance à une aire culturelle donnée est le plus souvent signalée par les traditions vestimentaires de ses membres. Dans le monde arabe, par exemple, le voile dont se drapent les femmes est immédiatement vu par le touriste. On peut pendant longtemps ignorer qu’un Musulman ne consomme pas de porcs ou s’interdit les rapports sexuels diurnes pendant le mois de Ramadan, mais le voile de la femme apparaît avec une telle constance qu’il suffit, en général, à caractériser la société arabe.
Dans le Maghreb arabe, le voile fait partie des traditions vestimentaires des sociétés nationales tunisienne, algérienne, marocaine ou libyenne. Pour le touriste et l’étranger, le voile délimite à la fois la société algérienne et sa composante féminine1. Chez l’homme algérien, par contre, peuvent se décrire des modifications régionales mineures : fez dans les centres urbains, turbans et djellabas dans les campagnes. Le vêtement masculin admet une certaine marge de choix, un minimum d’hétérogénéité. La femme prise dans son voile blanc, unifie la perception que l’on a de la société féminine algérienne.
De toute évidence, on est en présence d’un uniforme qui ne tolère aucune modification, aucune variante2.
Le haïk délimite de façon très nette la société colonisée algérienne. On peut évidemment demeurer indécis et perplexe devant une petite fille, mais toute incertitude disparaît au moment de la puberté. Avec le voile, les choses se précisent et s’ordonnent. La femme algérienne est bien aux yeux de l’observateur : « Celle qui se dissimule derrière le voile. »
Nous allons voir que ce voile, élément parmi d’autres de l’ensemble vestimentaire traditionnel algérien, va devenir l’enjeu d’une bataille grandiose, à l’occasion de laquelle les forces d’occupation mobiliseront leurs ressources les plus puissantes et les plus diverses, et où le colonisé déploiera une force étonnante d’inertie. La société coloniale, prise dans son ensemble, avec ses valeurs, ses lignes de force et sa philosophie, réagit de façon assez homogène en face du voile. Avant 1954, plus précisément depuis les années 1930-1935, le combat décisif est engagé. Les responsables de l’administration française en Algérie, préposés à la destruction de l’originalité du peuple, chargés par les pouvoirs de procéder coûte que coûte à la désagrégation des formes d’existence susceptibles d’évoquer de près ou de loin une réalité nationale, vont porter le maximum de leurs efforts sur le port du voile, conçu en l’occurrence, comme symbole du statut de la femme algérienne. Une telle position n’est pas la conséquence d’une intuition fortuite. C’est à partir des analyses des sociologues et des ethnologues que les spécialistes des affaires dites indigènes et les responsables des Bureaux arabes coordonnent leur travail. À un premier niveau, il y a reprise pure et simple de la fameuse formule : « Ayons les femmes et le reste suivra. » Cette explicitation se contente simplement de revêtir une allure scientifique avec les « découvertes » des sociologues.
Sous le type patrilinéaire de la société algérienne, les spécialistes décrivent une structure d’essence matrimoniale. La société arabe a souvent été présentée par les occidentaux comme une société de l’extériorité, du formalisme et du personnage. La femme algérienne, intermédiaire entre les forces obscures et le groupe, paraît alors revêtir une importance primordiale. Derrière le patriarcat visible, manifeste, on affirme l’existence, plus capitale, d’un matriarcat de base. Le rôle de la mère algérienne, ceux de la grand-mère, de la tante, de la « vieille » sont inventoriés et précisés.
L’administration coloniale peut alors définir une doctrine politique précise : « Si nous voulons frapper la société algérienne dans sa contexture, dans ses facultés de résistance, il nous faut d’abord conquérir les femmes ; il faut que nous allions les chercher derrière le voile où elles se dissimulent et dans les maisons où l’homme les cache. » C’est la situation de la femme qui sera alors prise comme thème d’action. L’administration dominante veut défendre solennellement la femme humiliée, mise à l’écart, cloîtrée… On décrit les possibilités immenses de la femme, malheureusement transformée par l’homme algérien en objet inerte, démonétisé, voire déshumanisé. Le comportement de l’Algérien est dénoncé très fermement et assimilé à des survivances moyenâgeuses et barbares. Avec une science infinie, la mise en place d’un réquisitoire-type contre l’Algérien sadique et vampire dans son attitude avec les femmes, est entreprise et menée à bien. L’occupant amasse autour de la vie familiale de l’Algérien tout un ensemble de jugements, d’appréciations, de considérations, multiplie les anecdotes et les exemples édifiants, tentant ainsi d’enfermer l’Algérien dans un cercle de culpabilité.
Des sociétés d’entraide et de solidarité avec les femmes algériennes se multiplient. Les lamentations s’organisent. « On veut faire honte à l’Algérien du sort qu’il réserve à la femme. » C’est la période d’effervescence et de mise en application de toute une technique d’infiltration au cours de laquelle des meutes d’assistantes sociales et d’animatrices d’œuvres de bienfaisance se ruent sur les quartiers arabes.
C’est d’abord le siège des femmes indigentes et affamées qui est entrepris. À chaque kilo de semoule distribué correspond une dose d’indignation contre le voile et la claustration. Après l’indignation, les conseils pratiques. Les femmes algériennes sont invitées à jouer « un rôle fondamental, capital » dans la transformation de leur sort. On les presse de dire non à une sujétion séculaire. On leur décrit le rôle immense qu’elle ont à jouer. L’administration coloniale investit des sommes importantes dans ce combat. Après avoir posé que la femme constitue le pivot de la société algérienne, tous les efforts sont faits pour en avoir le contrôle. L’Algérien, est-il assuré, ne bougera pas, résistera à l’entreprise de destruction culturelle menée par l’occupant, s’opposera à l’assimilation, tant que sa femme n’aura pas renversé la vapeur. Dans le programme colonialiste, c’est à la femme que revient la mission historique de bousculer l’homme algérien. Convertir la femme, la gagner aux valeurs étrangères, l’arracher à son statut, c’est à la fois conquérir un pouvoir réel sur l’homme et posséder les moyens pratiques, efficaces, de destructurer la culture algérienne.
Encore aujourd’hui, en 1959, le rêve d’une totale domestication de la société algérienne à l’aide des « femmes dévoilées et complices de l’occupant », n’a pas cessé de hanter les responsables politiques de la colonisation3.
Les hommes algériens, pour leur part, font l’objet des critiques de leurs camarades européens ou plus officiellement de leurs patrons. Il n’est pas un travailleur européen qui, dans le cadre des relations interpersonnelles du chantier, de l’atelier ou du bureau, ne soit amené à poser à l’Algérien les questions rituelles : « Ta femme est-elle voilée ? Pourquoi ne te décides-tu pas à vivre à l’européenne ? Pourquoi ne pas emmener ta femme au cinéma, au match, au café ? »
Les patrons européens ne se contentent pas de l’attitude interrogative ou de l’invitation circonstanciée. Ils emploient des « manœuvres de sioux » pour acculer l’Algérien, et exigent de lui des décisions pénibles. À l’occasion d’une fête, Noël ou jour de l’An, ou simplement d’une manifestation intérieure à l’entreprise, le patron invite l’employé algérien et sa femme. L’invitation n’est pas collective. Chaque Algérien est appelé au bureau directorial et nommément convié à venir avec « sa petite famille ». L’entreprise étant une grande famille, il serait mal vu que certains viennent sans leurs épouses, vous comprenez, n’est-ce pas ?… Devant cette mise en demeure, l’Algérien connaît quelquefois des moments difficiles. Venir avec sa femme, c’est s’avouer vaincu, c’est « prostituer sa femme », l’exhiber, abandonner une modalité de résistance. Par contre, y aller seul, c’est refuser de donner satisfaction au patron, c’est rendre possible le chômage. L’étude d’un cas choisi au hasard, le développement des embuscades tendues par l’Européen pour acculer l’Algérien à se singulariser, à déclarer : « Ma femme est voilée, elle ne sortira pas » ou à trahir : « Puisque vous voulez la voir, la voici », le caractère sadique et pervers des liens et des relations, montreraient en raccourci, au niveau psychologique, la tragédie de la situation coloniale, l’affrontement pied à pied de deux systèmes, l’épopée de la société colonisée avec ses spécificités d’exister, face à l’hydre colonialiste.
Avec l’intellectuel algérien, l’agressivité apparaît dans toute sa densité. Le fellah, « esclave passif d’un groupe rigide » trouve une certaine indulgence devant le jugement du conquérant. Par contre, l’avocat et le médecin sont dénoncés avec une exceptionnelle vigueur. Ces intellectuels, qui maintiennent leurs épouses dans un état de semi-esclavage, sont littéralement désignés du doigt. La société coloniale s’insurge avec véhémence contre cette mise à l’écart de la femme algérienne. On s’inquiète, on se préoccupe de ces malheureuses, condamnées « à faire des gosses », emmurées, interdites.
En face de l’intellectuel algérien, les raisonnements racistes surgissent avec une particulière aisance. Tout médecin qu’il est, dira-t-on, il n’en demeure pas moins arabe… « Chassez le naturel, il revient au galop »… Les illustrations de ce racisme-là peuvent être indéfiniment multipliées. En clair, il est reproché à l’intellectuel de limiter l’extension des habitudes occidentales apprises, de ne pas jouer son rôle de noyau actif de bouleversement de la société colonisée, de ne pas faire profiter sa femme des privilèges d’une vie plus digne et plus profonde… Dans les grandes agglomérations, il est tout à fait banal d’entendre un Européen confesser avec aigreur n’avoir jamais vu la femme d’un Algérien qu’il fréquente depuis vingt ans. À un niveau d’appréhension plus diffus, mais hautement révélateur, on trouve la constatation amère que « nous travaillons en vain »… que « l’Islam tient sa proie ».
En présentant l’Algérien comme une proie que se disputeraient avec une égale férocité l’Islam et la France occidentale, c’est toute la démarche de l’occupant, sa philosophie et sa politique qui se trouvent ainsi explicitées. Cette expression indique en effet que l’occupant, mécontent de ses échecs, présente de façon simplifiante et péjorative, le système de valeurs à l’aide duquel l’occupé s’oppose à ses innombrables offensives. Ce qui est volonté de singularisation, souci de maintenir intacts quelques morceaux d’existence nationale, est assimilé à des conduites religieuses, magiques, fanatiques.
Ce refus du conquérant prend, selon les circonstances ou les types de situation coloniale, des formes originales. Dans l’ensemble, ces conduites ont été assez bien étudiées au cours des vingt dernières années ; on ne peut cependant affirmer que les conclusions auxquelles on est parvenu, soient totalement valables. Les spécialistes de l’éducation de base des pays sous-développés ou les techniciens d’avancement des sociétés attardées, gagneraient à comprendre le caractère stérile et néfaste, de toute démarche qui illumine préférentiellement un élément quelconque de la société colonisée. Même dans le cadre d’une nation nouvellement indépendante, on ne peut, sans danger pour l’œuvre entreprise (non pour l’équilibre psychologique de l’autochtone), s’attaquer à tel ou tel pan de l’ensemble culturel. Plus précisément, les phénomènes de contre-acculturation doivent être compris comme l’impossibilité organique dans laquelle se trouve une culture, de modifier l’un quelconque de ses types d’exister, sans en même temps repenser ses valeurs les plus profondes, ses modèles les plus stables. Parler de contre-acculturation dans une situation coloniale est un non-sens. Les phénomènes de résistance observés chez le colonisé doivent être rapportés à une attitude de contre-assimilation, de maintien d’une originalité culturelle, donc nationale.
Les forces occupantes, en portant sur le voile de la femme algérienne le maximum de leur action psychologique, devaient évidemment récolter quelques résultats. Çà et là il arrive donc que l’on « sauve » une femme qui, symboliquement, est dévoilée.
Ces femmes-épreuves, au visage nu et au corps libre, circulent désormais, comme monnaie forte dans la société européenne d’Algérie. Il règne autour de ces femmes une atmosphère d’initiation. Les Européens surexcités et tout à leur victoire, par l’espèce de transe qui s’empare d’eux, évoquent les phénomènes psychologiques de la conversion. Et de fait, dans la société européenne, les artisans de cette conversion gagnent en considération. On les envie. Ils sont signalés à la bienveillante attention de l’administration.
Les responsables du pouvoir, après chaque succès enregistré, renforcent leur conviction dans la femme algérienne conçue comme support de la pénétration occidentale dans la société autochtone. Chaque voile rejeté découvre aux colonialistes des horizons jusqu’alors interdits, et leur montre, morceau par morceau, la chair algérienne mise à nu. L’agressivité de l’occupant, donc ses espoirs sortent décuplés après chaque visage découvert. Chaque nouvelle femme algérienne dévoilée annonce à l’occupant une société algérienne aux systèmes de défense en voie de dislocation, ouverte et défoncée. Chaque voile qui tombe, chaque corps qui se libère de l’étreinte traditionnelle du haïk, chaque visage qui s’offre au regard hardi et impatient de l’occupant, exprime en négatif que l’Algérie commence à se renier et accepte le viol du colonisateur. La société algérienne avec chaque voile abandonné semble accepter de se mettre à l’école du maître et décider de changer ses habitudes sous la direction et le patronage de l’occupant.
Nous avons vu comment la société coloniale, l’administration coloniale perçoivent le voile et nous avons esquissé la dynamique des efforts entrepris pour le combattre en tant qu’institution et les résistances développées par la société colonisée. Au niveau de l’individu, de l’Européen particulier, il peut être intéressant de suivre les multiples conduites nées de l’existence du voile, donc de la façon originale qu’a la femme algérienne d’être présente ou absente.
Pour un Européen non directement engagé dans cette œuvre de conversion, quelles réactions est-on amené à enregistrer ?
L’attitude dominante nous paraît être un exotisme romantique, fortement teinté de sensualité.
Et d’abord le voile dissimule une beauté.
Une réflexion — parmi d’autres — révélatrice de cet état d’esprit, nous a été faite par un Européen de passage en Algérie et qui, dans l’exercice de sa profession — il était avocat — avait pu voir quelques Algériennes dévoilées. Ces hommes, disait-il, parlant des Algériens, sont coupables de couvrir tant de beautés étranges. Quand un peuple, concluait cet avocat, recèle de telles réussites, de telles perfections de la nature, il se doit de les montrer, de les exposer. À l’extrême, ajoutait-il, on devrait pouvoir les obliger à le faire.
Dans les tramways, dans les trains, une tresse de cheveux aperçue, un morceau de front, esquisse d’un visage « bouleversant », entretiennent et renforcent la conviction de l’Européen dans son attitude irrationnelle : le femme algérienne est la reine de toutes les femmes.
Mais également il y a chez l’Européen cristallisation d’une agressivité, mise en tension d’une violence en face de la femme algérienne. Dévoiler cette femme, c’est mettre en évidence la beauté, c’est mettre à nu son secret, briser sa résistance, la faire disponible pour l’aventure. Cacher le visage, c’est aussi dissimuler un secret, c’est faire exister un monde du mystère et du caché. Confusément, l’Européen vit à un niveau fort complexe sa relation avec la femme algérienne. Volonté de mettre cette femme à portée de soi, d’en faire un éventuel objet de possession.
Cette femme qui voit sans être vue frustre le colonisateur. Il n’y a pas réciprocité. Elle ne se livre pas, ne se donne pas, ne s’offre pas. L’Algérien a, à l’égard de la femme algérienne, une attitude dans l’ensemble claire. Il ne la voit pas. Il y a même volonté permanente de ne pas apercevoir le profil féminin, de ne pas faire attention aux femmes. Il n’y a donc pas chez l’Algérien, dans la rue ou sur une route, cette conduite de la rencontre intersexuelle que l’on décrit aux niveaux du regard, de la prestance, de la tenue musculaire, des différentes conduites troublées auxquelles nous a habitués la phénoménologie de la rencontre.
L’Européen face à l’Algérienne veut voir. Il réagit de façon agressive devant cette limitation de sa perception. Frustration et agressivité ici encore vont évoluer en parfaite harmonie.
L’agressivité va se faire jour, d’abord dans des attitudes structuralement ambivalentes et dans le matériel onirique que l’on met en évidence indifféremment chez l’Européen normal ou souffrant de troubles névropathiques4.
Dans une consultation médicale par exemple, à la fin de la matinée, il est fréquent d’entendre les médecins européens exprimer leur déception. Les femmes qui se dévoilent devant eux sont banales …, vulgaires…, il n’y a vraiment pas de quoi faire un mystère… On se demande ce qu’elles cachent.
Les femmes européennes règlent le conflit avec beaucoup moins de précaution. Elles affirment, péremptoires, qu’on ne dissimule pas ce qui est beau, et décèlent dans cette coutume étrange une volonté « bien féminine » de dissimuler les imperfections. Et de comparer la stratégie de l’Européenne qui vise à redresser, à embellir, à mettre en valeur (l’esthétique, la coiffure, la mode) et celle des l’Algérienne, qui préfère voiler, cacher, cultiver le doute et le désir de l’homme. À un autre niveau, on avance qu’il y a volonté de tromper sur la « marchandise » et qu’à l’empaqueter on n’en modifie pas réellement sa nature, ni sa valeur.
Le matériel onirique fourni par les Européens précise d’autres thèmes privilégiés. J.-P. Sartre, dans ses « Réflexions sur la Question Juive », a montré qu’au niveau de l’inconscient, la femme juive a presque toujours un fumet de viol.
L’histoire de la conquête française en Algérie relatant l’irruption des troupes dans les villages, la confiscation des biens et le viol des femmes, la mise à sac d’un pays, a contribué à la naissance et à la cristallisation de la même image dynamique. L’évocation de cette liberté donnée au sadisme du conquérant, à son érotisme, crée, au niveau des stratifications psychologiques de l’occupant, des failles, des points féconds où peuvent émerger à la fois des conduites oniriques et dans certaines occasions des comportements criminels.
C’est ainsi que le viol de la femme algérienne dans un rêve d’Européen est toujours précédé de la déchirure du voile. On assiste là à une double défloration. De même la conduite de la femme n’est jamais d’adhésion ou d’acceptation, mais de prosternation.
Chaque fois que l’Européen, dans des rêves à contenu érotique rencontre la femme algérienne, se manifestent les particularités de ses relations avec la société colonisée. Ces rêves ne se déroulent ni sur le même plan érotique, ni au même rythme que ceux qui mettent en jeu l’Européenne.
Avec la femme algérienne, il n’y a pas de conquête progressive, révélation réciproque, mais d’emblée, avec le maximum de violence, possession, viol, quasi-meurtre. L’acte revêt une brutalité et un sadisme paranévrotiques même chez l’Européen normal. Cette brutalité et ce sadisme sont d’ailleurs soulignés par l’attitude apeurée de l’Algérienne. Dans le rêve, la femme-victime crie, se débat telle une biche, et défaillante, évanouie, est pénétrée, écartelée.
Il faut également souligner dans le matériel onirique un caractère qui nous paraît important. L’Européen ne rêve jamais d’une femme algérienne prise isolément. Les rares fois où la rencontre s’est nouée sous le signe du couple, elle s’est rapidement transformée par la fuite éperdue de la femme qui, inéluctablement, conduit le mâle « chez les femmes ». L’Européen rêve toujours d’un groupe de femmes, d’un champ de femmes, qui n’est pas sans évoquer le gynécée, le harem, thèmes exotiques fortement implantés dans l’inconscient.
L’agressivité de l’Européen va également s’exprimer dans des considérations sur la moralité de l’Algérienne. Sa timidité et sa réserve vont se transformer selon les lois banales de la psychologie conflictuelle en leur contraire et l’Algérienne sera hypocrite, perverse, voire authentique nymphomane.
On a vu que très rapidement la stratégie coloniale de désagrégation de la société algérienne, au niveau des individus, accordait une place de premier plan à la femme algérienne. L’acharnement du colonialiste, ses méthodes de lutte vont naturellement provoquer chez le colonisé des comportements réactionnels. Face à la violence de l’occupant, le colonisé est amené à définir une position de principe à l’égard d’un élément autrefois inerte de la configuration culturelle autochtone. C’est la rage du colonialiste à vouloir dévoiler l’Algérienne, c’est son pari de gagner coûte-que-coûte la victoire du voile qui vont provoquer l’arc-boutant de l’autochtone. Le propos délibérément agressif du colonialiste autour du haïk donne une nouvelle vie à cet élément mort, parce que stabilisé, sans évolution dans la forme et dans les coloris, du stock culturel algérien. Nous retrouvons ici l’une des lois de la psychologie de la colonisation. Dans un premier temps, c’est l’action, ce sont les projets de l’occupant qui déterminent les centres de résistance autour desquels s’organise la volonté de pérennité d’un peuple.
C’est le blanc qui crée le nègre. Mais c’est le nègre qui crée la négritude. À l’offensive colonialiste autour du voile, le colonisé oppose le culte du voile. Ce qui était élément indifférencié dans un ensemble homogène, acquiert un caractère tabou, et l’attitude de telle Algérienne en face du voile, sera constamment rapportée à son attitude globale en face de l’occupation étrangère. Le colonisé, devant l’accent mis par le colonialiste sur tel ou tel secteur de ses traditions réagit de façon très violente. L’intérêt mis à modifier ce secteur, l’affectivité inverse par le conquérant dans son travail pédagogique, ses prières, ses menaces, tissent autour de l’élément privilégié un véritable univers de résistances. Tenir tête à l’occupant sur cet élément précis, c’est lui infliger un échec spectaculaire, c’est surtout maintenir à la « coexistence » ses dimensions de conflit et de guerre latente. C’est entretenir l’atmosphère de paix armée.
À l’occasion de la lutte de Libération, l’attitude de la femme algérienne, de la société autochtone à l’égard du voile va subir des modifications importantes. L’intérêt de ces innovations réside dans le fait qu’elles ne furent à aucun moment comprises dans le programme de la lutte. La doctrine de la Révolution, la stratégie du combat n’ont jamais postulé la nécessité d’une révision des comportements à l’égard du voile. On peut affirmer d’ores et déjà que dans l’Algérie indépendante, de telles questions ne seront pas soulevées, car dans la pratique révolutionnaire le peuple a compris que les problèmes se solutionnent dans le mouvement même qui les pose.
Jusqu’en 1955, le combat est mené exclusivement par les hommes. Les caractéristiques révolutionnaires de ce combat, la nécessité d’une clandestinité absolue obligent le militant à tenir sa femme dans une ignorance absolue. Au fur et à mesure de l’adaptation de l’ennemi aux formes du combat, des difficultés nouvelles apparaissent qui nécessitent des solutions originales. La décision d’engager les femmes comme éléments actifs dans la Révolution algérienne ne fut pas prise à la légère. En un sens, c’est la conception même du combat qui devait être modifiée. La violence de l’occupant, sa férocité, son attachement délirant au territoire national amènent les dirigeants à ne plus exclure certaines formes de combat. Progressivement, l’urgence d’une guerre totale se fait sentir. Mais, engager les femmes ne correspond pas seulement au désir de mobiliser l’ensemble de la Nation. Il faut allier harmonieusement l’entrée en guerre des femmes et le respect du type de la guerre révolutionnaire. Autrement dit, la femme doit répondre avec autant d’esprit de sacrifice que les hommes. Il faut donc avoir en elle la même confiance que l’on exige quand il s’agit de militants chevronnés et plusieurs fois emprisonnés. Il faut donc exiger de la femme une élévation morale et une force psychologique exceptionnelles. Les hésitations ne manquèrent pas. Les rouages révolutionnaires avaient pris une telle envergure, la machine marchait à un rythme donné. Il fallait compliquer la machine, c’est-à-dire augmenter ses réseaux sans altérer son efficacité. Les femmes ne pouvaient pas être conçues comme produit de remplacement, mais comme élément capable de répondre adéquatement aux nouvelles tâches.
Dans les montagnes, des femmes aidaient le maquisard à l’occasion des haltes ou des convalescences après une blessure ou une typhoïde contractées dans le djebel. Mais décider d’incorporer la femme comme maillon capital, de faire dépendre la Révolution de sa présence et de son action dans tel ou tel secteur, c’était évidemment une attitude totalement révolutionnaire. D’asseoir la Révolution en un point quelconque, sur son activité, était une option importante.
Une telle décision était rendue difficile pour plusieurs raisons. Pendant toute la période de domination incontestée, nous avons vu que la société algérienne et principalement les femmes, ont tendance à fuir l’occupant. La ténacité de l’occupant dans son entreprise de dévoiler les femmes, d’en faire une alliée dans l’œuvre de destruction culturelle a renforcé les conduites traditionnelles. Ces conduites, positives dans la stratégie de la résistance à l’action corrosive du colonisateur, ont naturellement des effets négatifs. La femme, surtout celle des villes, perd en aisance et en assurance. Ayant à domestiquer des espaces restreints, son corps n’acquiert pas la mobilité normale en face d’un horizon illimité d’avenues, de trottoirs dépliés, de maisons, de voitures, de gens évités, heurtés… Cette vie relativement cloîtrée et aux déplacements connus, répertoriés et réglés, hypothèque gravement toute révolution immédiate.
Les chefs politiques connaissaient parfaitement ces singularités et leurs hésitations exprimaient la conscience qu’ils avaient de leurs responsabilités. Ils avaient le droit de douter du succès de cette mesure. Une telle décision n’allait-elle pas avoir des conséquences catastrophiques sur le déroulement de la Révolution ?
À ce doute s’ajoutait un élément également important. Les responsables hésitaient à engager les femmes, n’ignorant pas la férocité du colonisateur. Les responsables de la Révolution ne se faisaient aucune illusion sur les capacités criminelles de l’ennemi. Presque tous étaient passés par leurs geôles ou s’étaient entretenus avec les rescapés des camps ou des cellules de la police judiciaire française. Aucun d’eux n’ignorait le fait que toute Algérienne arrêtée serait torturée jusqu’à la mort. Il est relativement facile de s’engager soi-même dans cette voie et d’admettre parmi les différentes éventualités celle de mourir sous les tortures. La chose est un peu plus difficile quand il faut désigner quelqu’un qui, manifestement risque cette mort de façon certaine. Or il fallait décider l’entrée de la femme dans la Révolution ; les oppositions intérieures se firent massives et chaque décision soulevait les mêmes hésitations, faisait naître le même désespoir.
Les observateurs, devant le succès extraordinaire de cette nouvelle forme de combat populaire, ont assimilé l’action des Algériennes à celle de certaines résistantes ou même d’agents secrets de services spécialisés. Il faut constamment avoir présent à l’esprit le fait que l’Algérienne engagée apprend à la fois d’instinct son rôle de « femme seule dans la rue » et sa mission révolutionnaire. La femme algérienne n’est pas un agent secret. C’est sans apprentissage, sans récits, sans histoire, qu’elle sort dans la rue, trois grenades dans son sac à main ou le rapport d’activité d’une zone dans le corsage. Il n’y a pas chez elle cette sensation de jouer un rôle lu maintes et maintes fois dans les romans, ou aperçu au cinéma. Il n’y a pas ce coefficient de jeu, d’imitation, présent presque toujours dans cette forme d’action, quand on l’étudie chez une Occidentale.
Ce n’est pas la mise à jour d’un personnage connu et mille fois fréquenté dans l’imagination ou dans les récits. C’est une authentique naissance, à l’état pur, sans propédeutique. Il n’y a pas de personnage à imiter. Il y a au contraire une dramatisation intense, une absence de jour entre la femme et la révolutionnaire. La femme algérienne s’élève d’emblée au niveau de la tragédie5.
La multiplication des cellules du F.L.N., l’étendue des tâches nouvelles, finances, renseignements, contre-renseignements, formation politique, la nécessité de constituer pour une même cellule en exercice, trois ou quatre cellules de remplacement, de réserve, susceptibles d’entrer en activité à la moindre alerte concernant celle de premier plan, obligent les responsables à chercher d’autres éléments pour l’accomplissement de missions strictement individuelles. Après une dernière série de confrontations entre responsables et surtout devant l’urgence des problèmes quotidiens posés à la Révolution, la décision est prise, d’engager concrètement l’élément féminin dans la lutte nationale.
Il faut insister encore une fois sur le caractère révolutionnaire de cette décision. Au début, ce sont des femmes mariées qui sont contactées. Mais assez rapidement ces restrictions seront abandonnées. On a d’abord choisi les femmes mariées dont les maris étaient militants. Par la
suite, furent désignées des veuves ou des divorcées. De toute façon, il n’y avait jamais de jeunes filles. D’abord parce qu’une jeune fille même âgée de vingt ou vingt-trois ans, n’a guère l’occasion de sortir seule du domicile familial. Mais les devoirs de mère ou d’épouse de cette femme, le souci de restreindre au minimum les conséquences éventuelles de son arrestation et de sa mort et aussi le volontariat de plus en plus nombreux de jeunes filles, conduisent les responsables politiques à faire un autre bond, à bannir toute restriction, à prendre appui indifféremment sur l’ensemble des femmes algériennes.
Pendant ce temps, la femme, agent de liaison, porteuse de tracts, précédant de cent ou deux cents mètres un responsable en déplacement, est encore voilée ; mais à partir d’une certaine période, les rouages de la lutte se déplacent vers la ville européenne. Le manteau protecteur de la Kasbah, le rideau de sécurité presque organique que la ville arabe tisse autour de l’autochtone se retire, et l’Algérienne à découvert, est lancée dans la ville du conquérant. Très rapidement elle adopte une conduite d’offensive absolument incroyable. Quand un colonisé entreprend une action contre l’oppresseur, et quand cette oppression s’est exercée sous les formes de la violence exacerbée et continue comme en Algérie, il doit vaincre un nombre important d’interdits. La ville européenne n’est pas le prolongement de la ville autochtone. Les colonisateurs ne se sont pas installés au milieu des indigènes. Ils ont cerné la ville autochtone, ils ont organisé le siège. Toute sortie de la Kasbah d’Alger débouche chez l’ennemi. De même à Constantine, à Oran, à Blida, à Bône.
Les villes indigènes sont, de façon concertée, prises dans l’étau du conquérant. Il faut avoir en mains les plans d’urbanismes d’une ville dans une colonie, avec en regard les appréciations de l’État-Major des forces d’occupation, pour se faire une idée de la rigueur avec laquelle est organisée l’immobilisation de la ville indigène, de l’agglomération autochtone.
En dehors des femmes de ménage employées chez le conquérant, celles qu’indifféremment le colonisateur prénomme les « Fatmas », l’Algérienne, la jeune Algérienne surtout, s’aventure peu dans la ville européenne. Les déplacements ont presque tous lieu dans la ville arabe. Et même dans la ville arabe, les déplacements sont réduits au minimum. Les rares fois où l’Algérienne abandonne la ville, c’est presque toujours à l’occasion d’un événement, soit exceptionnel (mort d’un parent habitant une localité voisine), soit plus souvent visites traditionnelles intra-familiales pour les fêtes religieuses, soit pèlerinage… Dans ce cas, la ville européenne est traversée en voiture, la plupart du temps de bon matin. L’Algérienne, la jeune Algérienne — en dehors de quelques rares étudiantes (qui n’ont d’ailleurs jamais la même désinvolture aisée que leurs homologues européennes) — dans la ville européenne, doit vaincre une multiplicité d’interdits internes, de craintes organisées subjectivement, d’émotions. Elle doit à la fois affronter le monde essentiellement hostile de l’occupant et les forces de police mobilisées, vigilantes, efficaces. L’Algérienne, à chaque entrée dans la ville européenne, doit remporter une victoire sur elle-même, sur ses craintes infantiles. Elle doit reprendre l’image de l’occupant fichée quelque part dans son esprit et dans son corps, pour la remodeler, amorcer le travail capital d’érosion de cette image, la rendre inessentielle, lui enlever de sa vergogne, la désacraliser.
Les entamures au colonialisme, d’abord subjectives, sont le résultat d’une victoire du colonisé sur sa vieille peur et sur le désespoir ambiant distillé jour après jour par un colonialisme qui s’est installé dans une perspective d’éternité.
La jeune Algérienne, chaque fois qu’elle est requise, établit une liaison. Alger n’est plus la ville arabe, mais la zone autonome d’Alger, le système nerveux du dispositif ennemi. Oran, Constantine développent leurs dimensions. L’Algérien, en déclenchant la lutte, desserre l’étau qui se resserrait autour des villes indigènes. D’un point à l’autre d’Alger, du Ruisseau à Hussein-Dey, d’El-Biar à la rue Michelet, la Révolution crée de nouvelles liaisons. C’est la femme algérienne, la jeune fille algérienne qui, dans une proportion de plus en plus forte, assumera ces tâches.
Porteuses de messages, d’ordres verbaux compliqués, appris par coeur quelquefois par des femmes sans aucune instruction, telles sont quelques-unes des missions qui sont confiées à la femme algérienne.
Mais aussi, elle doit faire le guet une heure durant, souvent davantage, devant une maison où a lieu un contact entre responsables.
Au cours de ces minutes interminables où il faut éviter de rester en place car on attire l’attention, éviter de trop s’éloigner car on est responsable de la sécurité des frères à l’intérieur, il est fréquent de constater des scènes tragico-comiques. Cette jeune Algérienne dévoilée qui « fait le trottoir » est très souvent remarquée par des jeunes qui se comportent comme tous les jeunes gens du monde, mais avec une teinte particulière, conséquence de l’idée qu’habituellement on se fait d’une dévoilée. Réflexions désagréables, obscènes, humiliantes. Quand de telles choses arrivent, il faut serrer les dents, faire quelques mètres, échapper aux passants qui attirent l’attention sur vous, qui donnent aux autres passants l’envie soit de faire comme eux, soit de prendre votre défense. Ou bien c’est avec vingt, trente, quarante millions que la femme algérienne se déplace, portant l’argent de la Révolution dans son sac on dans une petite valise, cet argent qui servira à subvenir aux besoins des familles de prisonniers ou à acheter des médicaments et des vivres à l’intention des maquis.
Cet aspect de la Révolution a été mené par la femme algérienne avec une constance, une maîtrise de soi et un succès incroyables. En dépit des difficultés internes, subjectives et malgré l’incompréhension quelquefois violente d’une partie de la famille, l’Algérienne assumera toutes les tâches à elle confiées.
Mais progressivement les choses vont se compliquer. C’est ainsi que les responsables qui se déplacent et qui font appel aux femmes-éclaireurs, aux jeunes filles ouvreuses de route, ne sont plus des hommes politiques nouveaux, inconnus encore des services de police. Dans les villes commencent à transiter d’authentiques chefs militaires en déplacement. Ceux-là sont connus, recherchés. Il n’y a pas un commissaire de police qui ne possède leur photo sur son bureau.
Ces militaires qui se déplacent, ces combattants, ont toujours leurs armes. Il s’agit de pistolets-mitrailleurs, de revolvers, de grenades, quelquefois les trois à la fois. C’est après maintes réticences que le responsable politique arrive à faire admettre à ces hommes, qui ne sauraient accepter d’être faits prisonniers, de confier à la jeune fille chargée de les précéder, leurs armes, à charge pour eux, si la situation se complique, de les récupérer immédiatement. Le cortège s’avance donc en pleine ville européenne. À cent mètres une jeune fille, une valise à la main et derrière deux ou trois hommes l’aspect détendu. Cette jeune fille qui est le phare et la baromètre du groupe, rythme le danger. Arrêt-départ-arrêt-départ, et les voitures de police qui se succèdent dans les deux sens, et les patrouilles, etc…
De temps à autre, avoueront les militaires une fois la mission terminée, le désir fut fort en nous de récupérer notre mallette, car nous avions peur d’être pris de court et de ne pas avoir le temps de nous défendre. Avec cette phase, la femme algérienne s’enfonce un peu plus dans la chair de la Révolution.
Mais c’est à partir de 1956 que son activité prend des dimensions véritablement gigantesques. Devant répondre coup sur coup au massacre des civils algériens dans les montagnes et dans les villes, la direction de la Révolution se voit acculée, si elle ne veut pas voir la terreur prendre au ventre le peuple, à adopter des formes de lutte jusque-là écartées. On n’a pas suffisamment analysé ce phénomène, on n’a pas suffisamment insisté sur les raisons qui amènent un mouvement révolutionnaire à choisir cette arme qui s’appelle le terrorisme.
Pendant la résistance française, le terrorisme visait des militaires, des Allemands en occupation, ou les installations stratégiques de l’ennemi. La technique du terrorisme est la même. Attentats individuels ou attentats collectifs par bombes ou déraillements de trains. Dans la situation coloniale, précisément en Algérie où le peuplement européen est important et où les milices territoriales ont rapidement engagé le postier, l’infirmier et l’épicier dans le système répressif, le responsable de la lutte se trouve confronté à une situation absolument nouvelle.
Personne ne prend facilement la décision de faire tuer un civil dans la rue. Personne n’arrête sans drame de conscience la pose d’une bombe dans un lieu public.
Les responsables Algériens qui, compte tenu de l’intensité de la répression et du caractère forcené de l’oppression, supposaient pouvoir répondre sans problèmes de conscience graves, aux coups, découvraient que les crimes les plus horribles ne constituent pas une excuse suffisante à certaines décisions.
Plusieurs fois, des responsables sont revenus sur des projets ou même ont rappelé à la dernière minute le fidaï chargé de placer la bombe. Il y avait bien sûr, pour expliquer ces hésitations, le souvenir de civils tués ou affreusement blessés. Il y avait le souci politique de ne pas faire certains gestes qui risquaient de dénaturer la cause de la liberté. Il y avait aussi la peur que les Européens, travaillant avec le Front, ne soient atteints au cours de ces attentats. Donc triple souci, de ne pas amonceler les victimes quelquefois innocentes, souci de ne pas donner une image fausse de la Révolution, et souci enfin de maintenir de son côté les démocrates français, les démocrates de tous les pays du monde et les Européens d’Algérie attirés par l’idéal national algérien.
Or, les massacres d’Algériens, les razzias dans les campagnes renforcent l’assurance des civils européens, semblent consolider le statut colonial, et injectent l’espoir dans le monde colonialiste. Les Européens qui, à la suite de certaines actions militaires de l’Armée Nationale Algérienne, à la faveur de la lutte du peuple algérien, avaient mis une sourdine à leur racisme et à leur insolence, retrouvent leur vieille morgue, le mépris traditionnel.
Je me souviens de cette buraliste de Birtouta, qui, le jour de l’interception de l’avion transportant les cinq membres du Front de Libération Nationale, brandissait de son magasin leurs photos en hurlant : « On les a eus, on leur coupera ce que je pense. »
Chaque coup porté à la Révolution, chaque massacre perpétré par l’adversaire renforce la férocité des colonialistes et cerne de toutes parts le civil algérien.
Des trains chargés de militaires français, la marine française dans les rades d’Alger et de Philippeville qui manoeuvre et qui bombarde, les avions à réaction, les miliciens qui font irruption dans les douars et qui liquident sans compter les hommes algériens, tout cela contribue à donner au peuple l’impression qu’il n’est pas défendu, qu’il n’est pas protégé, que rien n’a changé et que les Européens peuvent faire ce qu’ils veulent. C’est la période au cours de laquelle on entend des Européens déclarer dans les rues : « Que chacun de nous en prenne dix et les bousille et vous verrez que le problème sera vite résolu. » Et le peuple algérien, surtout celui des villes, voit cette jactance éclabousser sa douleur et constate l’impunité de ces criminels qui ne se cachent pas. On peut effectivement demander à tout Algérien, toute Algérienne d’une ville de nommer les tortionnaires et les assassins de la région.
À partir d’un certain moment, une partie du peuple admet le doute dans son esprit et se demande si vraiment il est possible de résister quantitativement et qualitativement aux offensives de l’occupant.
La liberté mérite-t-elle que l’on pénètre dans ce circuit énorme du terrorisme et du contre-terrorisme ? Cette disproportion n’exprime-t-elle pas l’impossibilité d’échapper à l’oppression ?
Cependant, une autre partie du peuple s’impatiente et veut stopper l’avantage que prend l’ennemi dans la voie de la terreur. La décision de frapper individuellement et nommément l’adversaire ne peut plus être écartée. Tous les prisonniers « abattus en tentant de prendre la fuite », les cris des suppliciés exigent que soient adoptées de nouvelles formes de combat.
Ce sont d’abord les policiers et les lieux de réunions des colonialistes (cafés à Alger, Oran, Constantine) qui seront visés. Dès lors, l’Algérienne s’enfonce de façon totale, avec opiniâtreté, dans l’action révolutionnaire. C’est elle qui, dans son sac transporte les grenades et les revolvers qu’un fïdaï prendra à la dernière minute, devant le bar, ou au passage du criminel désigné. Au cours de cette période, les Algériens, surpris dans la ville européenne sont impitoyablement interpellés, arrêtés, fouillés.
C’est pourquoi il faut suivre le cheminement parallèle de cet homme et de cette femme, de ce couple qui porte la mort à l’ennemi, la vie à la Révolution. L’un appuyant l’autre, mais apparemment étrangers l’un à l’autre. L’une transformée radicalement en Européenne, pleine d’aisance et de désinvolture, insoupçonnable, noyée dans le milieu, et l’autre, étranger, tendu, s’acheminant vers son destin.
Le Fidaï algérien, à l’inverse des déséquilibrés anarchistes rendus célèbres par la littérature, ne se drogue pas. Le Fidaï n’a pas besoin d’ignorer le danger, d’obscurcir sa conscience ou d’oublier. Le « terroriste » dès qu’il accepte une mission, laisse entrer la mort dans son âme. C’est avec la mort qu’il a désormais rendez-vous. Le Fidaï, lui, a rendez-vous avec la vie de la Révolution, et sa propre vie. Le Fidaï n’est pas un sacrifié. Certes, il ne recule pas devant la possibilité de perdre sa vie pour l’indépendance de la Patrie, mais à aucun moment il ne choisit la mort.
Si la décision est prise de tuer tel commissaire de police tortionnaire ou tel chef de file colonialiste, c’est que ces hommes constituent un obstacle à la progression de la Révolution. Froger, par exemple, symbolise une tradition colonialiste et une méthode inaugurée à Sétif et à Guelma en 19546. De plus, la prétendue force de Froger cristallise la colonisation et autorise les espoirs de ceux qui commençaient à douter de la véritable solidité du système. C’est autour d’hommes comme Froger que se réunissent et s’entrencouragent les voleurs et les assassins du peuple algérien. Cela, le Fidaï le sait et la femme qui l’accompagne, sa femme-arsenal, également.
Porteuse de revolvers, de grenades, de centaines de fausses cartes d’identité ou de bombes, la femme algérienne dévoilée évolue comme un poisson dans l’eau occidentale. Les militaires, les patrouilles françaises lui sourient au passage, des compliments sur son physique fusent çà et là, mais personne ne soupçonne que dans ses valises se trouve le pistolet-mitrailleur qui, tout à l’heure, fauchera quatre ou cinq membres d’une des patrouilles.
Il faut revenir à cette jeune fille, hier dévoilée, qui s’avance dans la ville européenne sillonnée de policiers, de parachutistes, de miliciens. Elle ne rase plus les murs comme elle avait tendance à le faire avant la Révolution. Appelée constamment à s’effacer devant un membre de la société dominante, l’Algérienne évitait le centre du trottoir qui, dans tous les pays du monde revient de droit à ceux qui commandent.
Les épaules de l’Algérienne dévoilée sont dégagées. La démarche est souple et étudiée : ni trop vite, ni trop lentement. Les jambes sont nues, non prises dans le voile, livrées à elles-mêmes et les hanches sont « à l’air libre ».
Le corps de la jeune Algérienne, dans la société traditionnelle, lui est révélé par la nubilité et le voile. Le voile recouvre le corps et le discipline, le tempère, au moment même où il connaît sa phase de plus grande effervescence. Le voile protège, rassure, isole. Il faut avoir entendu les confessions d’Algériennes ou analyser le matériel onirique de certaines dévoilées récentes, pour apprécier l’importance du voile dans le corps vécu de la femme. Impression de corps déchiqueté, lancé à la dérive ; les membres semblent s’allonger indéfiniment. Quand l’Algérienne doit traverser une rue, pendant longtemps il y a erreur de jugement sur la distance exacte à parcourir. Le corps dévoilé paraît s’échapper, s’en aller en morceaux. Impression d’être mal habillée, voire d’être nue. Incomplétude ressentie avec une grande intensité. Un goût anxieux d’inachevé. Une sensation effroyable de se désintégrer. L’absence du voile altère le schéma corporel de l’Algérienne. Il lui faut inventer rapidement de nouvelles dimensions à son corps, de nouveaux moyens de contrôle musculaire. Il lui faut se créer une démarche de femme-dévoilée-dehors. Il lui faut briser toute timidité, toute gaucherie (car on doit passer pour une Européenne) tout en évitant la surenchère, la trop grande coloration, ce qui retient l’attention. L’Algérienne qui entre toute nue dans la ville européenne réapprend son corps, le réinstalle de façon totalement révolutionnaire. Cette nouvelle dialectique du corps et du monde est capitale dans le cas de la femme7.
Mais l’Algérienne n’est pas seulement en conflit avec son corps. Elle est maillon, essentiel quelquefois, de la machine révolutionnaire. Elle porte des armes, connaît des refuges importants. Et c’est en fonction des dangers concrets qu’elle affronte qu’il faut comprendre les victoires insurmontables qu’elle a dû remporter pour pouvoir dire à son responsable, à son retour : « Mission terminée… R.A.S. ».
Une autre difficulté qui mérite d’être signalée est apparue dès les premiers mois d’activité féminine. Au cours de ses déplacements, il arrive en effet que la femme algérienne dévoilée soit vue par un parent ou un ami de la famille. Le père est assez rapidement prévenu. Le père hésite naturellement à accorder foi à ces allégations. Puis les rapports se multiplient. Des personnes différentes affirment avoir aperçu « Zohra ou Fatima dévoilée, marchant comme une… Mon Dieu protégez-nous ». Le père décide alors d’exiger des explications. Dès les premières paroles, il s’arrête. Au regard ferme de la jeune fille, le père comprend que l’engagement dans l’action est ancien. La vieille peur du déshonneur est balayée par une nouvelle peur toute fraîche et froide, celle de la mort au combat ou de la torture de la jeune fille. La famille tout entière derrière la fille, le père algérien, l’ordonnateur de toutes choses, le fondateur de toute valeur, sur les traces de la fille, s’infiltrent, sont engagés dans la nouvelle Algérie.
Voile enlevé puis remis, voile instrumentalisé, transformé en technique de camouflage, en moyen de lutte. Le caractère quasi tabou pris par le voile dans la situation coloniale disparaît presque complètement au cours de la lutte libératrice. Même les Algériennes non activement intégrées dans la lutte prennent l’habitude d’abandonner le voile. Il est vrai que dans certaines conditions, surtout à partir de 1957, le voile réapparaît. Les missions deviennent en effet de plus en plus difficiles. L’adversaire sait maintenant, certaines militantes ayant parlé sous la torture, que des femmes très européanisées d’aspect jouent un rôle fondamental dans la bataille. De plus, certaines Européennes d’Algérie sont arrêtées et c’est le désarroi de l’adversaire qui s’aperçoit que son propre dispositif s’écroule. La découverte par les autorités françaises de la participation d’Européens à la lutte de Libération fut l’une des dates de la Révolution Algérienne. À partir de ce jour, les patrouilles françaises interpellent toute personne. Européens et Algériens sont également suspects. Les limites historiques s’effritent et disparaissent. Toute personne qui possède un paquet est invitée à le défaire et à en montrer le contenu. N’importe qui peut demander des comptes à n’importe qui sur la nature d’un colis transporté à Alger, Philippeville ou Batna. Dans ces conditions, il devient urgent de dissimuler le paquet aux regards de l’occupant et de se couvrir à nouveau du haïk protecteur.
Ici encore, il faut réapprendre une nouvelle technique. Porter sous le voile un objet assez lourd, « très dangereux à manipuler », a dit le responsable et donner l’impression d’avoir les mains libres, qu’il n’y a rien sous ce haïk, sinon une pauvre femme ou une insignifiante jeune fille. Il ne s’agit plus seulement de se voiler. Il faut se faire une telle « tête de Fatma » que le soldat soit rassuré : celle-ci est bien incapable de faire quoi que ce soit.
Très difficile. Et les policiers qui interpellent juste à trois mètres de vous une femme voilée qui ne semble pas particulièrement suspecte. Et la bombe, on a deviné à l’expression pathétique du responsable qu’il s’agissait de cela, ou le sac de grenades, retenus au corps par tout un système de ficelles et de courroies. Car les mains doivent être libres, nues exhibées, présentées humblement et niaisement aux militaires pour qu’ils n’aillent pas plus loin. Montrer les mains vides et apparemment mobiles et libres est le signe qui désarme le soldat ennemi.
Le corps de l’Algérienne qui, dans un premier temps s’est dépouillé, s’enfle maintenant. Alors que dans la période antérieure, il fallait élancer ce corps, le discipliner dans le sens de la prestance ou de la séduction, ici il faut l’écraser, le rendre difforme, à l’extrême le rendre absurde. C’est, nous l’avons vu, la phase des bombes, des grenades, des chargeurs de mitraillettes.
Or, l’ennemi est prévenu, et dans les rues, c’est le tableau classique de femmes algériennes collées au mur, sur le corps desquelles on promène inlassablement les fameux détecteurs magnétiques, les « poêles à frire ». Toute femme voilée, toute Algérienne devient suspecte. Il n’y a pas de discrimination. C’est la période au cours de laquelle, hommes, femmes, enfants, tout le peuple algérien expérimente tout à la fois son unité, sa vocation nationale et la refonte de la nouvelle société algérienne.
Ignorant ou feignant d’ignorer ces conduites novatrices, le colonialisme français réédite à l’occasion du 13 Mai sa classique campagne d’occidentalisation de la femme algérienne. Des domestiques menacées de renvoi, de pauvres femmes arrachées de leurs foyers, des prostituées, sont conduites sur la place publique et symboliquement dévoilées aux cris de : « Vive l’Algérie française ! » Devant cette nouvelle offensive réapparaissent les vieilles réactions. Spontanément et sans mot d’ordre, les femmes algériennes dévoilées depuis longtemps reprennent le haïk, affirmant ainsi qu’il n’est pas vrai que la femme se libère sur l’invitation de la France et du général de Gaulle.
Derrière ces réactions psychologiques, sous cette réponse immédiate et peu différenciée, il faut toujours voir l’attitude globale de refus des valeurs de l’occupant, même si objectivement ces valeurs gagneraient à être choisies. C’est faute d’avoir saisi cette réalité intellectuelle, cette disposition caractérielle (c’est la fameuse sensibilité du colonisé) que les colonisateurs ragent de toujours « leur faire du bien malgré eux ». Le colonialisme veut que tout vienne de lui. Or la dominante psychologique du colonisé est de se crisper devant toute invitation du conquérant. En organisant la fameuse cavalcade du 13 Mai, le colonialisme a obligé la société algérienne à retrouver des méthodes de lutte déjà dépassées.
Dans un certain sens, les différentes cérémonies ont provoqué un retour en arrière, une régression.
Le colonialisme doit accepter que des choses se fassent sans son contrôle, sans sa direction. On se souvient de la phrase prononcée dans une Assemblée Internationale par un homme politique africain. Répondant à la classique excuse de l’immaturité des peuples coloniaux et de leur incapacité à se bien administrer, cet homme réclamait pour les peuples sous-développés « le droit de se mal gouverner ». Les dispositions doctrinales du colonialisme dans sa tentative de justifier le maintien de sa domination acculent presque toujours le colonisé à des contre-propositions tranchées, rigides, statiques.
Après le 13 Mai, la voile est repris, mais définitivement dépouillé de sa dimension exclusivement traditionnelle.
Il y a donc un dynamisme historique du voile très concrètement perceptible dans le déroulement de la colonisation en Algérie. Au début, le voile est mécanisme de résistance, mais sa valeur pour le groupe social demeure très forte. On se voile par tradition, par séparation rigide des sexes, mais aussi parce que l’occupant veut dévoiler l’Algérie. Dans un deuxième temps, la mutation intervient à l’occasion de la Révolution et dans des circonstances précises. Le voile est abandonné au cours de l’action révolutionnaire. Ce qui était souci de faire échec aux offensives psychologiques ou politiques de l’occupant devient moyen, instrument. Le voile aide l’Algérienne à répondre aux questions nouvelles posées par la lutte.
L’initiative des réactions du colonisé échappe aux colonialistes. Ce sont les exigences du combat qui provoquent dans la société algérienne de nouvelles attitudes, de nouvelles conduites, de nouvelles modalités d’apparaître.
Texte originellement paru dans la revue Résistance Algérienne du 16 mai 1957.
Nous ne mentionnons pas ici les milieux ruraux où la femme est souvent dévoilée. Il n’est pas davantage tenu compte de la femme kabyle qui, en dehors des grandes villes, n’utilise jamais le voile. Pour le touriste qui s’aventure rarement dans les montagnes, la femme arabe est d’abord celle qui porte le voile. Cette originalité de la femme kabyle constitue entre autres l’un des thèmes de la propagande colonialiste autour de l’opposition des Arabes et des Berbères. Consacrées à l’analyse des modifications psychologiques, ces études laissent de côté le travail proprement historique. Nous aborderons prochainement cet autre aspect de la réalité algérienne en acte. Contentons-nous ici de signaler que les femmes kabyles, au cours des 130 années de domination ont développé, face à l’occupant, d’autres mécanismes de défense. Pendant la guerre de libération, leurs formes d’action ont également pris des aspects absolument originaux.
Un phénomène mérite d’être rappelé. Au cours de la lutte de libération du peuple marocain et principalement dans les villes, le voile blanc fit place au voile noir. Cette modification importante s’explique par le souci des femmes marocaines d’exprimer leur attachement à Sa Majesté Mohamed V. On se souvient, en effet, que c’est immédiatement après l’exil du Roi du Maroc que le voile noir, signe de deuil, fit son apparition. Au niveau des systèmes de signification, il est intéressant de remarquer que le noir, dans la société marocaine ou arabe n’a jamais exprimé le deuil ou l’affliction. Conduite de combat, l’adoption du noir répond au désir de faire pression symboliquement sur l’occupant, donc de choisir logiquement ses propres signes.
Le travail d’approche est également réalisé dans les établissements scolaires. Assez rapidement, les enseignants, à qui les parents ont confié les enfants prennent l’habitude de porter un jugement sévère sur le sort de la femme dans la société algérienne. « On espère fermement que vous au moins, serez assez fortes pour imposer votre point de vue… ». Des écoles de « jeunes filles musulmanes » se multiplient. Les institutrices ou les religieuses, à l’approche de la puberté de leurs élèves, déploient une activité véritablement exceptionnelle. Les mères sont d’abord touchées, assiégées et on leur confie la mission d’ébranler et de convaincre le père. On vante la prodigieuse intelligence de la jeune élève, sa maturité ; on évoque le brillant avenir réservé à ces jeunes avidités, et l’on n’hésite pas à attirer l’attention sur le caractère criminel d’une éventuelle interruption de la scolarité de l’enfant. On accepte de faire la part des vices de la société colonisée et l’on propose l’internat à la jeune élève, afin de permettre aux parents d’échapper aux critiques « de voisins bornés ». Pour le spécialiste des affaires indigènes, les anciens combattants et les évolués sont les commandos chargés de détruire la résistance culturelle d’un pays colonisé. Aussi, les régions sont-elles répertoriées en fonction du nombre « d’unités actives » d’évolution, donc d’érosion de la culture nationale qu’elles renferment.
Il faut signaler l’attitude fréquente, principalement des Européennes, à l’égard d’une particulière catégorie d’évoluées. Certaines femmes algériennes dévoilées, avec une rapidité étonnante et une aisance insoupçonnée réalisent de parfaites occidentales. Les femmes européennes ressentent une certaine inquiétude devant ces femmes. Frustrées devant le voile, elles éprouvent une impression analogue devant le visage découvert, ce corps audacieux, sans gaucherie, sans hésitation, carrément offensif. La satisfaction de diriger l’évolution, de corriger les fautes de la dévoilée est non seulement retirée à l’Européenne, mais elle se sent mise en danger sur le plan de la coquetterie, de l’élégance, voire de la concurrence par cette novice muée en professionnelle, catéchumène transformée en propagandiste, la femme algérienne met en question l’Européenne. Cette dernière n’a d’autre ressource que de rejoindre l’Algérien qui avait avec férocité, rejeté les dévoilées dans le camp du mal et de la dépravation. « Décidément, diront les Européennes, ces femmes dévoilées sont tout de même des amorales et des dévergondées. » L’intégration, pour être réussie, semble bien devoir n’être qu’un paternalisme continué, accepté.
Nous mentionnons ici les seules réalités connues de l’ennemi. Nous taisons donc les nouvelles formes d’action adoptées par les femmes dans la Révolution. Depuis 1958, en effet, les tortures infligées aux militantes ont permis à l’occupant de se faire une idée de la stratégie-femme. Aujourd’hui, de nouvelles adaptations ont pris naissance. On comprend donc qu’on les taise.
Froger, l’un des chefs de file colonialiste. Exécuté par un « Fidaï » à la fin de 1956.
La femme, qui, avant la Révolution ne sort jamais de la maison, si elle n’est accompagnée de sa mère, ou de son mari, va se voir confier des missions précises : comme de se rendre d’Oran à Constantine ou Alger. Pendant plusieurs jours, toute seule, transportant des directives d’une importance capitale pour la Révolution, elle prend le train, couche dans une famille inconnue, chez des militants. Il faut là aussi se déplacer en harmonie, car l’ennemi observe les ratés. Mais l’importance ici est que le mari ne fait aucune difficulté pour laisser partir sa femme en mission. Sa fierté, au contraire sera de dire, au retour de l’agent de liaison : « Tu vois, tout s’est bien passé en ton absence. » La vieille jalousie de l’Algérien, sa méfiance « congénitale » ont fondu au contact de la Révolution. Il faut signaler aussi que des militants recherchés se réfugient chez d’autres militants non encore identifiés par l’occupant. Dans ces conditions, pendant toute la journée, c’est la femme, qui, seule avec le réfugié, lui procure la nourriture, la presse, le courrier. A aucun moment, là non plus, n’apparaît une quelconque méfiance ou une crainte. Engagé dans la lutte, le mari ou le père découvre de nouvelles perspectives sur les rapports entre sexes. Le militant découvre la militante et conjointement ils créent de nouvelles dimensions à la société algérienne.
Entre la France et l'Algérie, la relation bilatérale a toujours été passionnelle. Des deux côtés de la Méditerranée, les susceptibilités sont à fleur de peau et le nationalisme ombrageux. Depuis 1962, c'est un peu une histoire d'amour-haine ponctuée de crises de nerfs.
Par micheldandelot1 dans Accueil le 16 Octobre 2021 à 08:22
OUI mais,
LES FORCES DU DÉSORDRE
« Ce geste qui me rend si fier m’engage et engage en même temps l’humanité entière »
Les forces du désordre ré-enchantent tous les matins qui précèdent et succèdent au grand soir.
Les forces du désordre réinventent une autre manière de voir et de concevoir l’histoire.
D’où nous viennent ces forces du désordre... souvent anarchiques… toujours anachroniques ?
- De la providence ? Peut-être.
- De la volonté de puissance ? Sans doute.
- De la quête d’un autre sens ? Certainement.
Et ça t’oblige à être désobligeant envers tous les dirigeants, avec ton bras d’honneur, tu leur dis :
« Ce geste qui me rend si fier m’engage et engage en même temps l’humanité entière ».
Il existe désormais un climat de terrorisme médiatique en Algérie. Un climat de terreur sournois et discret. Il y a une sorte d’extension de l’impunité, du droit au scandale et du droit à l’outrage et la fatwa qui font que tout est permis. Du coup, on aboutit à un climat de crainte, d’inquiétude, de retour de l’arbitraire, de chasse à l’homme et de loi de gangs. En effet, malgré le matraquage, l’affaire de l’arrestation de quelques bloggeurs et journalistes, dont Abdou Semmar, n’arrive pas à être «transformée» en une affaire de «justice» qui suit son cours, mais de justice détournée. Le traitement médiatique scandaleux fait par une chaine TV qui bénéficie de tous les privilèges, le fait de filmer des gens qui sont présumés innocents et de porter atteinte à leur image, a laissé conclure, très vite, à la volonté de lynchage, de règlement de compte personnel et de message politique pour «les autres» leaders de contestation.
On a beau ne pas vouloir céder au corporatisme, mais quand un islamiste vous menace de mort et appelle à votre assassinat et qu’il finit par vivre libre et heureux et continuer ses prêches haineux, malgré deux procès que vous avez intentés, alors qu’un blogueur est traité comme un poseur de bombe, c’est qu’il y a un problème. Pour ce haineux islamiste, la justice s’est déclarée «incompétente» à Oran. Pour le blogueur, elle l’est universellement.
Quand vous déposez plainte contre une personne qui vous accuse dans un livre, publié par un éditeur algérien, d’être membre des GIA et que votre plainte dort dans un tiroir et que Abdou Semmar & Cie est traité, avec célérité, comme un terroriste capturé dans un maquis, c’est qu’il y a problème. Et ce problème, on le connaît tous. Et ce n’est qu’une illustration personnelle.
Quand on diffame un politique du RCD, en le désignant, par un journal islamiste à grand tirage, comme apostat pour les apprentis tueurs, c’est qu’il y a problème. Et rien ne vous protège contre ces nouvelles katibates médiatiques, leurs partis, leaders, hallucinés et juges inquisiteurs. Le commissariat politique a changé de camp.
Mais aussi il faut dire que dans le cas de Abdou Semmar et des autres, il y a dérive et dérive scandaleuse. Que ces présumés innocents aient porté atteinte à des personnes ou usé des nouveaux réseaux pour des œuvres basses comme certains le soutiennent, on peut le traiter par la loi, selon la loi et par un juge, pas par des médias. Il ne s’agit pas de remplacer le service de presse de l’antique DRS, par un autre, «civil», au bout du compte. Et on doit aussi analyser ce phénomène pour ce qu’il est : une défaite de l’éthique et du sens. C’est le métier de journaliste, en Algérie, qui en sort défait et encanaillé. Par ceux qui en usent pour filmer leurs collègues menottés pour régler leur compte et pour ceux qui, parce que la presse n’est plus ce qu’elle était et n’ose plus ce qu’elle osait, ont versé dans la facilité et les populismes des oppositions, le non éthique que permet internet. Les uns valent les autres parfois et les uns ont plus de pouvoir de nuisance que les autres, c’est tout. Le capital de prestige du journalisme algérien des années 90 en sort dilapidé. On est dans le paparazzi politicien, la lapidation, l’outrage, la diffamation, l’exagération, le plagiat et la facilité irresponsable. Le FLN est passé des «historiques» à l’usage de la chaine et du cadenas pour fermer un Parlement, le journalisme est passé de Said Mekbel à l’usage de la caméra qui insulte et de la page Facebook qui diffame.
Il se trouve aussi que ces arrestations interviennent avant le 5ème mandat, ont visé le spectacle plus que le souci d’application de la loi, juste après le feuilleton triste et comique de l’APN et dans un climat de perte de centre de décision. Cela pousse à conclure.
Cette affaire intervient aussi dans une sorte de retour des vieux diables du pays. Entre médias islamistes qui fabriquent des apostats pour mieux les faire tuer, et médias populo-nationalistes qui fabriquent des «traitres», on est dans un retour, sous d’autres formes, du FIS et DRS et de leurs méthodes. On coupe toujours des têtes, des langues, des mains, on viole et on accuse. C’est cela la réalité triste et inquiétante. C’est ce qui fait peur en Algérie. C’est ce qui rappelle les années de sang et les mémoires meurtries : la chasse, la décapitation, la manipulation, la défaite de la loi et la possibilité d’être tué dehors, dans la rue en sortant d’un café. D’être assassiné par une caméra ou le marteau d’un halluciné. Quand je lis ce que publient, quand je regarde ce que filment certains, je comprends le sentiment de peur qu’éprouvent beaucoup. On parle avec impunité d’apostat, on désigne du doigt des ennemis à abattre, on ment et on diffame avec une telle facilité que j’ai peur pour ce pays. Quand je vois qu’on peut arrêter, mettre en prison sans s’expliquer, qu’on peut filmer en jugeant avant les tribunaux, qu’on peut laisser un ex-Emir des maquis terroristes avouer qu’il a tué un soldat algérien, sans qu’il soit inquiété et qu’un islamiste est traité comme un diplomate avec immunité et qu’un bloggeur est accusé de tous les maux du pays, j’ai peur pour l’avenir. Quand je vois ce même blogueur user des réseaux pour plagier, diffamer et publier sans vérifier, j’ai peur pour ce qui nous reste de sens de la vérité et du réel et de la justice. Car, désormais, chacun est, d’une manière ou d’une autre, le prochain désigné à être filmé menotté, à être diffamé, à être jugé par un caméraman ou une page Facebook. Il y a une peur, comme durant les années 90, de ce retour de la terreur en Algérie et des instruments de la terreur.
par Kamel DAOUD
Jeudi 14 octobre 2021 http://www.lequotidien-oran.com/index.php?news=5268245
a volonté du président français de réconcilier les mémoires autour de la guerre d’Algérie laboutit paradoxalement à une crise sans précédent entre Paris et Alger.
« L’Algérie n’est pas à vendre », pancarte anti-française lors dune manifestation à Alger, le 9 avril 2021 (Riyad Kramdi, AFP)
L’enfer est pavé de bonnes intentions. La détermination d’Emmanuel Macron à tourner enfin la page des querelles mémorielles franco-algériennes vient de déboucher sur une crise sans précédent entre Paris et Alger. Ce n’est pas la première fois que la parole présidentielle, mêlant l’officiel à l’informel, suscite trouble et incompréhension sur la scène internationale, entraînant de la part de l’Elysée de laborieux efforts de clarification des « malentendus ». Mais jamais la confusion des genres entre le registre franco-français et le discours diplomatique n’a provoqué une telle tension, compromettant sans doute pour longtemps la sérénité des relations franco-algériennes. Car Macron est parvenu à faire contre lui l’unanimité en Algérie, aussi bien chez les partisans du régime que dans les rangs de l’opposition.
UNE LUCIDITE BIEN TARDIVE SUR LE REGIME ALGERIEN
Le président français paie aujourd’hui des années d’aveuglement sur la nature réelle du régime algérien. Il a longtemps cru, ou voulu croire, que son homologue à Alger, Abdelaziz Bouteflika jusqu’en avril 2019, Abdelmadjid Tebboune depuis décembre 2019, pouvait être son partenaire dans une réconciliation des mémoires entre la France et l’Algérie. Macron se rêvait ainsi en héritier d’un Mitterrand aux côtés de Kohl à Verdun en 1984, permettant à deux peuples enfin apaisés de regarder ensemble vers l’avenir. Un aussi respectable projet était cependant fondé sur une analyse profondément erronée du rapport de force en Algérie, où la contestation populaire du Hirak, une fois obtenue la démission de Bouteflika, a accentué la crispation des généraux algériens et leur mainmise sur la façade civile du pouvoir. Alors que les manifestants exigeaient une « nouvelle indépendance » et remettaient en cause l’histoire officielle de l’Algérie, Macron a préféré accorder son soutien sans réserve à Tebboune, pourtant élu dans un scrutin massivement boycotté par la population.
Tout à son grand œuvre mémoriel, le président français a, en novembre 2020, qualifié de « courageux » son homologue algérien, oubliant que Tebboune avait, sept mois plus tôt, accusé la France d’avoir massacré « plus de la moitié de la population algérienne ». L’annulation, en avril dernier, de la visite du premier ministre français à Alger, sur fond de déclaration anti-française d’un membre du gouvernement, a souligné la fragilité du pari de Macron sur Tebboune. Sans doute frustré par une telle impasse, le président français saisit l’occasion d’un déjeuner à l’Elysée, le 30 septembre, avec des « petits-enfants » de la guerre d’Algérie pour décrire un « système politico-militaire » à la fois « fatigué » et « très dur », car « construit sur la rente mémorielle ». Ces propos provoquent naturellement l’ire du pouvoir algérien, avec rappel de l’ambassadeur d’Algérie à Paris et interdiction du survol de l’Algérie par les avions français opérant au Sahel.
DES PROPOS PRESIDENTIELS DENONCES AUSSI PAR L’OPPOSITION
Le chef de la diplomatie algérienne vient de dénoncer, depuis le Mali, la « faillite mémorielle qui est malheureusement intergénérationnelle chez un certain nombre d’acteurs de la vie politique française, parfois au niveau le plus élevé ». A Alger même, la presse pro-gouvernementale se déchaîne contre « des propos inacceptables qui résonnent comme un casus belli » (L’Expression), contre « la haine et la rancune exprimées par le président Macron » (El Fadjr) ou la « pitoyable quête de voix dans un vote qui fait aux idées d’intolérance et de haine la part belle » (Le Soir d’Algérie). L’opposition n’est pas moins sévère à l’encontre du président français qui, le 30 septembre, s’est également interrogé : « Est-ce qu’il y avait une nation algérienne avant la colonisation française ? Ça, c’est la question. « Cette mise en cause de l’existence même d’une nation algérienne, que seul le colonisateur français aurait fait émerger, fait pour le coup l’unanimité contre elle en Algérie.
C’est ainsi que Karim Tabbou, figure de proue de la contestation, fustige une « assertion absurde », fruit, selon lui, du « profond désarroi d’un homme qui, faute de gagner de grandes batailles, espère tout au moins gagner sa bataille électorale ». L’ancien ambassadeur Abdelaziz Rahabi, très engagé dans le Hirak, dénonce pour sa part « l’opportunisme » du président français et ses « contre-vérités historiques ». Emmanuel Macron a ainsi réussi le tour de force de coaliser contre lui, et à travers lui contre la France, l’ensemble des sensibilités algériennes. L’entêtement de son pari sur Tebboune, qu’il a cru compenser par sa mise en cause tardive d’un « système politico-militaire », a beaucoup pesé dans un tel fiasco. Mais le doute jeté par l’Elysée sur la profondeur historique de la nation algérienne peut difficilement s’apparenter à un travail d’apaisement des mémoires. Et il faudra du temps pour prendre la mesure des dommages infligés à la relation franco-algérienne par une séquence aussi heurtée.
Dans un tel contexte, les mots qu’Emmanuel Macron prononcera le 17 octobre prochain sont très attendus. Le soixantième anniversaire des ratonnades policières de Paris, au cours desquelles des dizaines d’Algériens ont été tués, peut en effet être marqué par des gestes mémoriels d’une grande portée. Reste à savoir s’ils suffiront à apaiser le trouble profond qui prévaut désormais dans les relations franco-algériennes.
Il est du plus haut intérêt pour la France et les Français d’entretenir des relations d’amitié et de coopération avec l’Algérie. Nos deux peuples sont si proches. En raison des liens étroits qui nous unissent, personnels, familiaux ou économiques. En raison de sa proximité, nous avons la Méditerranée commun. En raison de l’importance stratégique de l’Algérie en Afrique, compte tenu de sa situation géographique et de son histoire. Mais nous Français, avons une responsabilité particulière. Nous ne devons jamais perdre de vue le mal que la colonisation a infligé au peuple algérien, réduit en esclavage et dont la culture a été niée pendant 130 ans. Les cimetières algériens témoignent de la cruauté de l’occupant colonial et le traumatisme est si profond, qu’il est ressenti y compris par les jeunes générations qui n’ont pas connu la guerre de libération nationale. Celle-ci a permis au peuple algérien de se libérer au prix de sacrifices inouïs. Nous devons comprendre que la mémoire des chouada soit célébrée avec ferveur. Nous n’avons pas de leçons à donner aux Algériens. Les propos de Macron parlant de « rente mémorielle » pour séduire les nostalgiques de « l’Algérie française », ne peuvent être vécus que comme une insulte. Ces propos ne sont pas dignes de la France, qui est aussi le pays de la Révolution française et de la Résistance au nazisme.
Mais cette enfance l'a aussi profondément marquée: "Quand on vit dans un pays violent, la violence n'est pas uniquement dans la ville, on la rapportait aussi à l'intérieur de notre foyer. Même si j'ai reçu beaucoup d'amour, cette violence, je l'ai intégrée et retournée contre moi. Aujourd'hui, j'essaye de tourner la page, j'apprends à m'aimer".
Alors que l'Algérie fêtera dans quelques mois le 60e anniversaire de son indépendance, quel avenir pour les deux pays ? Comment tourner la page de 130 ans de colonisation ? "Moi, je trouve le pardon humiliant. A la place, je pense qu'il faut perpétuer la mémoire. Il faut savoir et ne pas oublier. Mais surtout je crois qu'il faudrait cesser la rancœur des deux côtés", estime-t-elle dans cet entretien réalisé quelques jours avant la nouvelle poussée de tension entre les deux pays.
"La France et l'Algérie sont des pays frères et sœurs. Il y a une fraternité, une filiation. Je ne pense pas que les Algériens soient les ennemis des Français et vice versa. L'avenir est la seule façon de nous réconcilier".
Les propos du chef de l’État français, Emmanuel Macron, continuent de susciter la colère et l’indignation en Algérie. Sa sortie, jugée par Alger d’“inadmissible ingérence”, plonge les relations entre les deux pays dans une phase de tensions qui risque de durer.
Il faut probablement remonter à 2005 lorsque le Parlement français avait adopté une loi glorifiant le “rôle positif de la colonisation”, abrogée depuis, pour assister à une détérioration aussi significative des relations entre Alger et Paris. Depuis hier, la crise qui a éclaté entre les deux pays, dans la foulée de la décision de Paris de réduire de moitié le nombre de visas accordés aux Algériens, connaît un nouveau pic de tension : en réaction aux propos attribués au président Emmanuel Macron jugés “irresponsables”, Alger a décidé de fermer son ciel aux avions militaires français en partance pour le Mali.
“Ce matin, en déposant les plans de vol de deux avions, nous avons appris que les Algériens fermaient le survol de leur territoire aux avions militaires français qui empruntent habituellement l'espace aérien algérien pour rejoindre le Sahel, où sont déployés 5 000 militaires français”, a déclaré le porte-parole de l'état-major français, le colonel Pascal Ianni, cité par l’AFP. “Cela perturbe très légèrement le flux de soutien, les avions doivent adapter leur plan de vol, mais cela n'affecte pas les opérations menées par la France au Sahel”, a relativisé le colonel Ianni, assurant que l'état-major français n'avait “pas d'inquiétude à ce stade”. “C’est d'abord une question diplomatique”, a-t-il estimé.
Pour l’heure, ni la diplomatie française ni la diplomatie algérienne n’ont réagi à cette information révélée un peu plus tôt par le journal de droite, Le Figaro. Mais la décision, si elle venait à être confirmée, signerait sans doute un nouveau tournant dans les relations algero-françaises. Jamais, en effet, les relations entre les deux capitales, souvent passionnées et passionnelles, compte tenu de la dimension historique, culturelle et humanitaire qui lie les deux pays, n’ont atteint une telle détérioration, malgré des zones de turbulences passagères qu’elles connaissent épisodiquement.
C’est le cas, par exemple, lorsque l’ambassadeur d’Algérie à Paris, Salah Lebdioui, avait été rappelé en mai 2020 après la diffusion d'un documentaire par deux chaînes publiques sur le Hirak. Ou encore, l’annulation, une année plus tard, de la visite du Premier ministre français, Jean Castex, à Alger, en raison du refus des autorités algériennes d’accepter une délégation réduite. En décidant de fermer son ciel, Alger entend, sans doute, exprimer sa colère et user d’un levier qui ne manquera pas d’impacter la stratégie de la France dans le Sahel, malgré les propos qui se veulent rassurants du porte-parole de l’état-major français. Comme le relève Hasni Abidi, directeur de Cermam (voir entretien en page 2), “les échanges économiques et la coopération sécuritaire et judiciaires risquent de faire les frais de cette escalade”. “Alger n’hésitera pas à ajuster sa politique étrangère en fonction de l’évolution de ses rapports avec Paris”, dit-il. Comment évolueront ces rapports ? La crise va-t-elle s’inscrire dans la durée ou, comme par le passé, les rapports reviendront à leur état normal, une fois la tempête passée ? S’il faut sans doute se garder de tirer des conclusions hâtives, il reste que l’évolution de la relation dépendra autant de facteurs endogènes qu’exogènes. En d’autres termes, elle est tributaire des évolutions politiques aussi bien en Algérie qu’en France.
Incertitudes Mais dans l’immédiat, on voit mal “une nouvelle lune du miel” après les propos d’Emmanuel Macron - conjugués à d’autres problèmes en suspens - qui, visiblement, ont fait désordre. Car non seulement, il soutient qu'après son indépendance en 1962, l'Algérie s'est construite sur “une rente mémorielle”, entretenue par “le système politico-militaire”, mais encore critique “une histoire officielle totalement réécrite” par Alger qui “ne s'appuie pas sur des vérités”, mais sur “un discours qui repose sur une haine de la France”. Autres torpilles : “ennuyer les gens qui sont dans le milieu dirigeant” à travers la décision de réduction des visas et en décrivant Abdelmadjid Tebboune, qu’il avait auparavant qualifié de “courageux” en s’engageant à “faire son possible pour l’aider dans la transition”, “comme pris dans un système très dur”.
Au-delà du fait que ces propos fleurent une certaine frustration chez le président français qui n’a pas eu le retour d’ascenseur escompté après tous les gestes qu’il a accomplis dans le cadre du travail mémoriel pour la réconciliation, dont la restitution des crânes des résistants algériens ou encore la reconnaissance de la responsabilité de l’État français dans l’assassinat de l’avocat Ali Boumendjel, ils s’inscrivent visiblement dans le cadre de la campagne présidentielle dans l’Hexagone dans laquelle la question de l’immigration et celles liées à l’Histoire de l’Algérie sont au centre des débats. Comme ses concurrents de droite, Macron entend jouer sur ce registre dans l’espoir de capter l’électorat réceptif à ce genre de discours.
Mais à Alger, le langage utilisé, perçu comme “arrogant”, aux relents “néocolonialistes”, jamais développé par un dirigeant français par le passé, passe très mal. Il semble même être interprété comme une “offense” et une “déclaration de guerre” au régime qui, jusque-là, a bénéficié, plus ou moins, d’une espèce de “bienveillance” en dépit de sa contestation par le Hirak. Mais au sein de l’opinion, les avis semblent partagés entre ceux qui dénoncent ces propos globalement et dans le détail, et ceux qui reprochent au régime sa versatilité dans ses rapports à la France, lorsqu’ils ne rappellent pas à Macron d’avoir soutenu le régime avant de le lâcher, quand d’autres, enfin, habitués à ces “poussées de fièvre” n’y voient qu’une “tempête dans un verre d’eau”.
C’est dire toute la complexité de la relation entre deux pays qui ont beaucoup de choses en partage et qui peinent à transcender le contentieux mémoriel. Mais la crise est désormais ouverte et rien ne dit que les relations se normaliseront rapidement. Encore moins avec les développements géopolitiques dans la région. “On s'achemine vers une nouvelle crise franco-algérienne avec toujours les mêmes ingrédients, histoire, visas, mémoire, sur fond de turbulences politiques et crise migratoire”, a tweeté l’ancien ambassadeur français Xavier Driencourt.
Dans “Pouillon, une architecture habitée, Alger 1953-1957”, Marie-Claire Rubinstein fait appel au témoignage d’un historien (Benjamin Stora), d’architectes, d’habitants des trois cités et d’anciens collaborateurs de Fernand Pouillon, dont la philosophie consistait à offrir aux classes moyennes et ouvrières la possibilité d’habiter dans un logement décent, certes petit, mais où “on aime vivre”.
Le Centre culturel algérien de Paris (CCA) a abrité jeudi dernier la projection d’un film documentaire de Marie Claire Rubinstein consacré au célèbre architecte français Fernand Pouillon qui a eu à travailler en Algérie dans les années cinquante et soixante. Organisé en collaboration avec l’Association France-Algérie représentée à la soirée culturelle par Flora Boumia, cet événement culturel a permis à l’assistance de découvrir l’architecte dont la philosophie consiste à offrir aux classes moyennes et ouvrières la possibilité d’habiter dans un logement décent, certes petit, mais où “on aime vivre”. Ayant déjà conçu des cités dans le cadre de la reconstruction en France après la Seconde Guerre mondiale, Pouillon va rejoindre l’Algérie en 1953.
“C’est parce que Fernand Pouillon est connu pour la rapidité et l’efficacité de son travail que l’idée vient au maire d’Alger Jacques Chevallier de recourir à lui.” Leur communauté d’idées (ils étaient des libéraux) sert leur volonté de réaliser une mixité sociale (classes moyenne et ouvrière, Algériens-Européens) dans les ensembles d’habitations projetés. Pouillon avait en plus la capacité de construire sur presque n’importe quel terrain. Il se trouve qu’à Alger tout est collines et pentes. D’énormes efforts d’imagination et d’adaptation étaient nécessaires pour rendre constructibles les terrains devant recevoir les cités de Diar Essaada, Diar El-Mahçoul et Climat-de-France qui font l’objet du film de Marie-Claire Rubinstein dont l’idée lui est venue après la lecture du livre de Pouillon Mémoires d’un architecte.
En 2003, “juste après la décennie noire”, précise-t-elle, elle visite Diar Essaada et Diar El-Mahçoul : “C’était surpeuplé et mal entretenu, mais je découvrais une architecture magnifique.” Dans son film, Marie-Claire Rubinstein fait appel au témoignage d’un historien (Benjamin Stora), d’architectes, d’habitants des trois cités et d’anciens collaborateurs de Fernand Pouillon. Tous décrivent un homme humaniste, engagé et efficace, ce que ne manquera pas de souligner l’architecte Amar Lounès dans son intervention au CCA.
Ce film documentaire sur Pouillon a été présenté en Algérie dans les écoles d’architecture (EPAU, Université Alger, Tlemcen) et les Instituts français d’Algérie. “J’ai pu constater l’intérêt des élèves et des habitants en redécouvrant l’importance de cet héritage et la nécessité de l’intégrer à leur culture en complétant ce travail d’appropriation”, conclut la réalisatrice, après avoir énuméré l’œuvre architecturale de Pouillon en France et en Algérie où il a eu juste le temps de réaliser les trois cités avant que le maire d’Alger Jacques Chevalier ne soit évincé en 1957 par les ultras de l’Algérie française.
En 1961, Pouillon sera condamné en France à trois années de prison suite à des déboires financiers. “Il s’évade de sa clinique en septembre 1962 et reste en cavale pendant plusieurs mois (Suisse, Italie), aidé, grâce à ses sympathies avec le FLN durant la guerre d’Algérie, par le réseau Jeanson.” Fernand Pouillon rejoint de nouveau l’Algérie en 1966 où il va travailler jusqu’en 1984, en réalisant essentiellement des projets hôteliers et touristiques, ainsi que des équipements publics.
Né le 14 mai 1912 et mort le 24 juillet 1986, Fernand Pouillon a laissé quelques livres, dont Les Pierres sauvages (1964, éditions du Seuil) et Mémoires d’un architecte (1968, Seuil). En 1974, il crée à Paris sa maison d’édition. “Il s’entoure des meilleurs spécialistes, des meilleurs artisans d’art et réimprime à 200 ou 250 exemplaires les plus belles éditions de livres d’art et d’architecture du XVe au XXe siècle.”
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