Les propos du chef de l’État français, Emmanuel Macron, continuent de susciter la colère et l’indignation en Algérie. Sa sortie, jugée par Alger d’“inadmissible ingérence”, plonge les relations entre les deux pays dans une phase de tensions qui risque de durer.
Il faut probablement remonter à 2005 lorsque le Parlement français avait adopté une loi glorifiant le “rôle positif de la colonisation”, abrogée depuis, pour assister à une détérioration aussi significative des relations entre Alger et Paris. Depuis hier, la crise qui a éclaté entre les deux pays, dans la foulée de la décision de Paris de réduire de moitié le nombre de visas accordés aux Algériens, connaît un nouveau pic de tension : en réaction aux propos attribués au président Emmanuel Macron jugés “irresponsables”, Alger a décidé de fermer son ciel aux avions militaires français en partance pour le Mali.
“Ce matin, en déposant les plans de vol de deux avions, nous avons appris que les Algériens fermaient le survol de leur territoire aux avions militaires français qui empruntent habituellement l'espace aérien algérien pour rejoindre le Sahel, où sont déployés 5 000 militaires français”, a déclaré le porte-parole de l'état-major français, le colonel Pascal Ianni, cité par l’AFP. “Cela perturbe très légèrement le flux de soutien, les avions doivent adapter leur plan de vol, mais cela n'affecte pas les opérations menées par la France au Sahel”, a relativisé le colonel Ianni, assurant que l'état-major français n'avait “pas d'inquiétude à ce stade”. “C’est d'abord une question diplomatique”, a-t-il estimé.
Pour l’heure, ni la diplomatie française ni la diplomatie algérienne n’ont réagi à cette information révélée un peu plus tôt par le journal de droite, Le Figaro. Mais la décision, si elle venait à être confirmée, signerait sans doute un nouveau tournant dans les relations algero-françaises. Jamais, en effet, les relations entre les deux capitales, souvent passionnées et passionnelles, compte tenu de la dimension historique, culturelle et humanitaire qui lie les deux pays, n’ont atteint une telle détérioration, malgré des zones de turbulences passagères qu’elles connaissent épisodiquement.
C’est le cas, par exemple, lorsque l’ambassadeur d’Algérie à Paris, Salah Lebdioui, avait été rappelé en mai 2020 après la diffusion d'un documentaire par deux chaînes publiques sur le Hirak. Ou encore, l’annulation, une année plus tard, de la visite du Premier ministre français, Jean Castex, à Alger, en raison du refus des autorités algériennes d’accepter une délégation réduite. En décidant de fermer son ciel, Alger entend, sans doute, exprimer sa colère et user d’un levier qui ne manquera pas d’impacter la stratégie de la France dans le Sahel, malgré les propos qui se veulent rassurants du porte-parole de l’état-major français. Comme le relève Hasni Abidi, directeur de Cermam (voir entretien en page 2), “les échanges économiques et la coopération sécuritaire et judiciaires risquent de faire les frais de cette escalade”. “Alger n’hésitera pas à ajuster sa politique étrangère en fonction de l’évolution de ses rapports avec Paris”, dit-il. Comment évolueront ces rapports ? La crise va-t-elle s’inscrire dans la durée ou, comme par le passé, les rapports reviendront à leur état normal, une fois la tempête passée ? S’il faut sans doute se garder de tirer des conclusions hâtives, il reste que l’évolution de la relation dépendra autant de facteurs endogènes qu’exogènes. En d’autres termes, elle est tributaire des évolutions politiques aussi bien en Algérie qu’en France.
Incertitudes
Mais dans l’immédiat, on voit mal “une nouvelle lune du miel” après les propos d’Emmanuel Macron - conjugués à d’autres problèmes en suspens - qui, visiblement, ont fait désordre. Car non seulement, il soutient qu'après son indépendance en 1962, l'Algérie s'est construite sur “une rente mémorielle”, entretenue par “le système politico-militaire”, mais encore critique “une histoire officielle totalement réécrite” par Alger qui “ne s'appuie pas sur des vérités”, mais sur “un discours qui repose sur une haine de la France”.
Autres torpilles : “ennuyer les gens qui sont dans le milieu dirigeant” à travers la décision de réduction des visas et en décrivant Abdelmadjid Tebboune, qu’il avait auparavant qualifié de “courageux” en s’engageant à “faire son possible pour l’aider dans la transition”, “comme pris dans un système très dur”.
Au-delà du fait que ces propos fleurent une certaine frustration chez le président français qui n’a pas eu le retour d’ascenseur escompté après tous les gestes qu’il a accomplis dans le cadre du travail mémoriel pour la réconciliation, dont la restitution des crânes des résistants algériens ou encore la reconnaissance de la responsabilité de l’État français dans l’assassinat de l’avocat Ali Boumendjel, ils s’inscrivent visiblement dans le cadre de la campagne présidentielle dans l’Hexagone dans laquelle la question de l’immigration et celles liées à l’Histoire de l’Algérie sont au centre des débats. Comme ses concurrents de droite, Macron entend jouer sur ce registre dans l’espoir de capter l’électorat réceptif à ce genre de discours.
Mais à Alger, le langage utilisé, perçu comme “arrogant”, aux relents “néocolonialistes”, jamais développé par un dirigeant français par le passé, passe très mal. Il semble même être interprété comme une “offense” et une “déclaration de guerre” au régime qui, jusque-là, a bénéficié, plus ou moins, d’une espèce de “bienveillance” en dépit de sa contestation par le Hirak. Mais au sein de l’opinion, les avis semblent partagés entre ceux qui dénoncent ces propos globalement et dans le détail, et ceux qui reprochent au régime sa versatilité dans ses rapports à la France, lorsqu’ils ne rappellent pas à Macron d’avoir soutenu le régime avant de le lâcher, quand d’autres, enfin, habitués à ces “poussées de fièvre” n’y voient qu’une “tempête dans un verre d’eau”.
C’est dire toute la complexité de la relation entre deux pays qui ont beaucoup de choses en partage et qui peinent à transcender le contentieux mémoriel. Mais la crise est désormais ouverte et rien ne dit que les relations se normaliseront rapidement. Encore moins avec les développements géopolitiques dans la région. “On s'achemine vers une nouvelle crise franco-algérienne avec toujours les mêmes ingrédients, histoire, visas, mémoire, sur fond de turbulences politiques et crise migratoire”, a tweeté l’ancien ambassadeur français Xavier Driencourt.
Par Karim KEBIR
le 04-10-2021 12:00
https://www.liberte-algerie.com/actualite/zone-de-turbulences-366063
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