La question de la récupération des fonds et des biens issus de la corruption d’hommes d’affaires, de militaires et des politiciens véreux ainsi que des parties influentes incarcérés pour corruption était une promesse de campagne du président mal élu Abdelmadjid Tebboune.
Aujourd’hui le bonhomme s’en remet à ses bons souvenirs et relance ce va-t-en guerre à la recherche de Dinars perdus dilapidés dans le cadre de la récupération des fonds dissimulés frauduleusement à l’étranger ou même en Algérie à travers des biens éparpillés çà et là. C’est d’ailleurs de l’un de ceux-là d’où est repartie cette affaire. Dimanche dernier, effectivement, le chef d’état lors du Conseil des ministres tenu sous sa présidence, avait sommé ses troupes d’accélérer la remise en production de l’usine des huiles végétales de Jijel, qui appartenait aux frères Kouninef, actuellement en détention pour corruption, lançant ainsi la première étape d’un début du processus de récupération.
C’est que l’histoire va chercher loin elle couterait au bas mot estiment les experts, plus de 7,5 milliards d’euros et 600 milliards de DA, un joli pactole pour des caisses assoiffées. Si pour ce qui est de récupérer l’argent volé et dissimulé à l’étranger, autant en faire son deuil tant les procédures complexes prendraient du temps pour le rapatrier, les démarches à entamer, se déroulant sous la houlette diplomatique. Au Bled c’est un autre son de cloche et cela semble plus envisageable. Mais dans cette histoire du voleur volé, et entre nous, le vrai pactole est en devises fortes et donc entre de bonnes mains chez les autres. Ce qui reste au pays va avec les pertes et profits. Et l’Exécutif algérien en ces temps durs est tout aise de rencontrer le fameux « limaçon » de la fable.
Sauf que là, la problématique de la récupération des biens et fortune des richissimes oligarques et hauts responsables du régime Bouteflika ne pourrait se faire, qu’après que toutes les voies de recours eussent été épuisées. D’ailleurs, seule la cour d’Alger « une voix de son maître sans équivoque », où se déroulent les procès en appel des accusés concernées par la confiscation de biens mal acquis, est apte ou non de confirmer les demandes de la partie civile, qui est le Trésor public en ordonnant donc la confiscation de biens précisément identifiés et localisés. Ce qui toutefois peut prendre parfois plusieurs mois, voire des années mais bien moins que pour l’autre opération de rapatriement.
Ces grands dossiers qui s’élèvent à 7,5 milliards d’euros, ont pour hommes d’affaires des sommités comme, Ali Haddad, Mahieddine Tahkout , Mourad Eulmi, Abdelghani Hamel, les frères Kouninef ainsi que des accusés de parts et d’autres, notamment ceux dont les biens ont fait l’objet d’un ordre de saisie dans l’affaire du montage automobile. La majorité de ces biens à confisquer se trouve dans la capitale Alger et ses environs, il s’agit de terrains, usines, sièges de sociétés ou bureaux… L’opération est, sauf retournement de situation comme c’est souvent le cas en Algérie, certes, des plus plausibles sur le plan juridique car la justice est toute acquise à l’exécutif qui n’est autre que l’uniforme en Algérie, mais elle restera dans le temps complexe à appliquer. Mais qu’on se le dise ! dans l’état actuel des choses ce n’est qu’une passation de mains ou de pouvoir. Les nouveaux « ayant droit » se bousculent déjà aux portillons de la bonne fortune que partage volontiers le parrain. C’est comme ça en Algérie depuis plus de six décennies. Les bonnes habitudes ne se perdent pas.
Un militaire algérien réfugié en 2019 en Espagne puis plus récemment en France, Mohamed Azzouz Benhalima, connu pour ses vidéos d’opposant sur les réseaux sociaux, fait l’objet à Paris d’un contrôle judiciaire sévère, après avoir été interrogé sans ménagement par la police française qui a reçu une demande d’extradition d’Alger.
Mohamed Benhalima, lanceur d’alerte et exilé politique algérien a été arrêté le 27 janvier 2022 par la police française et interrogé sans ménagement. C’est ainsi qu’il a été placé durant une nuit entière dans une cellule sans lit ni commodités où il a du dormir à même le sol. Les policiers lui ont demandé avec insistance d’avoir accès aux messages et aux contacts de son téléphone portable. Ce à quoi il s’est refusé. Depuis, le sous officier algérien est soumis à un contrôle judiciaire rigoureux. Si son expulsion vers l’Algérie se concrétisait, il risquerait les pires sévices de la part d’un régime pour lequel les droits de l’homme n’ont aucune signification.
Cet ancien caporal-chef de l’armée de terre algérienne avait demandé asile, mais sans succès; en Espagne où il avait été pris en charge par Amnesty International. Se sentant menacé à la suite de l’extradition par le ministère de l’intérieur espagnol d’un autre opposant issu des rangs de la gendarmerie, Mohamed Abdallah, le 22 aout 2021 (voir article ci dessous), Mohamed Benhalima avait illégalement quitté l’Espagne voici moins d’un mois pour se réfugier en France. S’il était reconduit en Espagne, dont le gouvernement n’hésite pas à extrader les opposants algériens, il pourrait lui aussi être renvoyé vers l’Algérie.
Le terrorisme, forcément !
Youtubeur très suivi, Mohamed Benhalima a révélé plusieurs scandales touchant la pouvoir militaire algérien impliquant des hauts gradés de l’armée (voir l’entretien ci dessous). L’activisme résolument pacifique de Mohamed Benhalima ne l’a pas empêché d’être sous le coup d’un mandat d’arrêt international lancé par le régime algérien pour « adhésion à un groupe terroriste ciblant la sécurité de l’État et l’unité nationale, financement d’un groupe terroriste ciblant la sécurité de l’État et blanchiment d’argent dans le cadre d’une bande criminelle ».
La seule parade du pouvoir algérien face à ces lanceurs d’alerte de plus en plus nombreux et suivis qui dénoncent la réalité du régime depuis l’Europe est d’accuser ces militaires déserteurs de sympathies islamistes et de projets terroristes. Autant d’accusations sans fondement même si un grand nombre de soldats et de sous officiers dans les casernes sont de plus en plus sensibles aux mots d’ordre de « Rachad », qui sans être l’héritier du Front Islamique du Salut (FIS) des années noires représente une grande partie de la mouvance islamiste actuelle en Algérie. Au sein des mobilisations du Hirak et avec un succès croissant, les militants de Rachad, fort bien organisés, mettent en avant le slogan: « État civil, non militaire ».
La France face à ses responsabilités
Il est de notoriété publique que les atteintes grave à la dignité, la torture et les mauvais traitements sont la pratique commune des forces de répression algériennes. Le gouvernement français ne peut ignorer les multiples communications des rapporteurs spéciaux de l’ONU dont fait objet l’Algérie. En effet le Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme a condamné à plusieurs reprises le régime d’Alger pour graves atteintes aux droits de l’homme, torture, et poursuite pour d’imaginaires « activités terroristes ».
Si Mohamed Benhalima devait être livré aux autorités d’Alger, il est plus que probable qu’il subirai les pires formes de tortures systématiquement pratiquées par la police politique, comme c’est la cas dans la prison militaire de Blida pour le gendarme Mohamed Abdallah après son expulsion d’espagne.
Entretien: « Des milliers de militaires de base soutiennent le Hirak »
Mondafrique Pourriez vous retracer votre parcours au sein de l’armée algérienne?
Mohamed Azzouz Benhalima Entré très jeune dans l’armée, j’ai été affecté à la frontière marocaine où j’étais conducteur de blindés. Puis j’ai été nommé au ministère de la Défense à Alger où je suis devenu pendant six mois chauffeur des hauts gradés algériens. J’ai participé très vite aux mobilisations populaires du Hirak. Un ami bien placé m’a prévenu que je figurais sur la liste des soldats qui allaient être très prochainement interpellés. J’ai préféré quitter l’Algérie le 1er septembre 2019.
Mondafrique. Les militaires qui ont soutenu le Hirak sont-ils nombreux?
Mohamed Azzouz Benhalima Très certainement des milliers. Dans les casernes, ils sont branchés sur les lanceurs d’alerte réfugiés en Europe, comme Larbi Zitout, un ancien diplomate qui vit à Londres et qui est un ami personnel.
Pour autant, beaucoup de soldats ne participaient pas physiquement aux manifestations du vendredi, car trop éloignés des grandes villes ou par crainte des représailles. Ce qui nous choque est que l’armée en Algérie décide de tout. La Présidence et le gouvernement ne sont que des façades de l’institution militaire.
Mondafrique. Jusqu’à quel point l’institution militaire est divisée?
Mohamed Azzouz Benhalima. La guerre entre les chefs de l’armée est terrible. Ainsi l’ancien chef d’état major avant de décéder brutalement en décembre 2019 avait fait le projet de mettre à la retraite vingt cinq généraux, dont le général Chengriha qui lui a finalement succédé. D’après mes sources et en raison de cette volonté de faire le ménage au sein de l’institution militaire, Gaïd Salah a été empoisonné. Son beau frère, le général Souab, s’était réfugié en France après son décès. Les autorités algériennes ont insisté alors pour qu’il rentre en Algérie. Lui aussi est décédé dans des conditions surprenantes peu après son retour. Parmi les anciens partisans de Gaïd Salah, ceux qui n’ont pas disparu un peu rapidement sont en prison.
Mondafrique. Que vaut-il mieux, un Gaïd Salah ou un Chengriha?
Mohamed Azzouz Benhalima. Ni l’un ni l’autre, c’est pareil. Le pouvoir doit être civil. Pour l’instant dans les casernes, les patrons de l’armée s’emparent de nos papiers d’identité lors des élections pour comptabiliser nos votes en faveur du pouvoir en place !
Mondafriqe. Quel est l’état d’esprit des militaires à la base?
Mohamed Azzouz Benhalima. Beaucoup veulent quitter l’armée. Les conditions de vie sont très dures. Caporal, je gagnais l’équivalent de 180 euros, et encore mon salaire était supérieur à celui des simples soldats. Les graffitis sont nombreux dans les casernes qui dénoncent le niveau de vie des gradés. Pour freiner les départs, l’État Major a décidé d’imposer dix neuf années de services pour percevoir la moindre retraite.
u Le général Chentouf, aujourd’hui réfugié à Alicante en Espagne, passait auprès de ses hommes pour un grand consommateur de whisky et autres boissons fortes
MondafriqueQue pensez vous des valeurs morales des hauts gradés algériens?
Mohamed Azouz Benhalima Lorsque j’étais le chauffeur des colonels et des généraux au ministère de la Défense algérien, j’i vu de près ce que peut être la vie privée totalement dégradée des généraux algériens. On les voit d’abord utiliser leurs fonctions officielles pour bénéficier d’un certain nombre de privilèges indus, qu’il s’agisse de leurs voitures de fonction abondamment utilisées par leurs femmes et leurs enfants ou de la fâcheuse habitude de ne jamais régler leurs consommations dans les bars et les restaurants qu’ils fréquentent.
Plus grave, leurs rapports aux femmes, y compris celles qui travaillent au ministère, ou à l’alcool sont détestables. Qu’il s’agisse du général Chentouf, ex chef de la première région militaire réfugié en Belgique, qui disposait d’un réfrigérateur bourré de bouteilles ou du général Ben Ali Ben Ali, le plus haut gradé de l’institution militaire algérienne, qui dispose d’une garçonnière en plein centre d’Alger.
C’est le règne de l’impunité lorsque quelques officiers de la caserne Gharmoul, en charge système du système d’écoutes, qui partent en virée se battre avec des consommateurs dans un bar pour une histoire de femmes avant de quitter les lieux précipitamment en utilisant leurs armes de service ou en écrasant un civil.
Le général Chengriha, chef des armées, participe à ce système de prébendes. L’ancien patron de la troisième région militaire, le général Sadiki, a été promu à la direction centrale du matériel au sein de l’État Major pour s’occuper des affaire très réservées du patron des armées.
En fuite à l’étranger, l’ex-ministre de l’Énergie a été condamné le 14 février à vingt ans de prison ferme.
Le verdict est tombé à l’issue d’un procès-éclair : ouvert le 31 janvier après plusieurs reports, le procès de Chakib Khelil, ex-ministre de l’Énergie et proche de l’ancien président Abdelaziz Bouteflika, s’est conclu par la condamnation de l’intéressé à 20 ans de prison ferme in absentia par le tribunal de Sidi M’Hamed.
Ministre de 1999 à 2010, il était poursuivi pour dilapidation de deniers publics, abus de fonction et conclusion de marchés publics contraires à la réglementation. En cause, notamment, la conclusion du marché pour la réalisation du complexe gazier d’Arzew, en 2008, pour lequel la société italienne Saipem aurait été indûment privilégiée.
Cet ami d’enfance d’Abdelaziz Bouteflika avait déjà fait l’objet de poursuites en 2013, lancées par le procureur général près la cour d’Alger Belkacem Zeghmati. Averti qu’il était sur le point d’être arrêté, Chakib Khelil quitte le pays pour les États-Unis, où sa femme et ses deux enfants, Sina et Khaldoun, disposent du statut de résident, et où lui-même possède des biens.
Le 12 août 2013, Belkacem Zeghmati annonce qu’un mandat d’arrêt international a été lancé contre Khelil dans le cadre de l’affaire dite Sonatrach 2. Khelil est alors poursuivi pour « corruption, blanchiment d’argent, conclusion de contrats contraires à la réglementation, abus de pouvoir et constitution de bandes criminelles organisées ». Depuis son lit d’hôpital, aux Invalides, à Paris, le président déchu en 2019 donne des consignes pour faire annuler les poursuites, comme l’a reconnu Saïd Bouteflika lors de son procès en octobre 2021.
Le Hirak rebat les cartes
« Quelques jours après avoir déclaré, en conférence de presse, que des mandats d’arrêt avaient été lancés contre Chakib Khelil et des membres de sa famille, Zeghmati, qui était sous mon autorité depuis deux ans, est venu avouer son erreur et a demandé de procéder, avec la chambre d’accusation, à l’annulation desdits mandats », a de son côté admis Tayeb Louh, l’ancien ministre de la Justice sous Bouteflika, lors du même procès en octobre.
EN AVRIL 2020, UN DOCUMENT DE LA JUSTICE AMÉRICAINE MET INDIRECTEMENT EN CAUSE L’EX-MINISTRE
Le Hirak va rebattre les cartes. Le chef d’état-major Ahmed Gaïd Salah, homme fort du pays après la chute du président Bouteflika, part en croisade contre les cadres de l’ex-administration. La sécurité intérieure reçoit l’ordre de mettre l’ancien ministre aux arrêts.
Vraisemblablement prévenu, Chakib Khelil s’envole à nouveau pour les États-Unis. Belkacem Zeghmati, devenu en août 2019 ministre de la Justice, rouvre le dossier et émet un nouveau mandat d’arrêt international contre Chakib Khelil dans le cadre de plusieurs affaires de corruption présumée, portant sur des marchés octroyés par Sonatrach à des compagnies pétrolières étrangères.
Extradition ?
Après l’émission du premier mandat d’arrêt, en 2013, le FBI avait travaillé avec les autorités algériennes pour identifier les biens de l’ex-ministre sur le territoire américain.
Une collaboration qui a cessé sur ordre du frère de l’ex-président, Saïd Bouteflika. En avril 2020, un document de la justice américaine met indirectement en cause l’ex-ministre, accusé d’avoir imposé Farid Bedjaoui comme intermédiaire rémunéré dans la conclusion de contrats entre la société italienne Saipam et le géant algérien des hydrocarbures Sonatrach.
« L’intermédiaire a redirigé au moins une partie de cet argent par le biais de sociétés écrans vers des fonctionnaires algériens ou leurs délégués, y compris le ministre de l’Énergie de l’époque », indique le mémorandum de la SEC (Securities and Exchange Commission, le gendarme de la Bourse américaine).
Mais l’ex-ministre a de la ressource et a prouvé par le passé qu’il était assez habile pour se jouer des condamnations. Rien n’indique, pour l’heure, que les États-Unis procéderont à son extradition vers l’Algérie.
Sept ans après sa disparition, Assia Djebar, icône universelle de la littérature francophone, dont différents ouvrages ont été repris dans plusieurs langues, continue de fasciner et susciter l'admiration des lecteurs, à travers une plume profondément attachée à la culture ancestrale et à la mère patrie, qui éclaire et prône le progrès de l'individu, tout en mettant à nu les travers des sociétés aux conservatismes aveugles.
Après toute une vie au service de la littérature algérienne et à travers une œuvre riche et variée, la célèbre romancière algérienne, disparue le 6 février 2015, était également investie par la noble mission de défendre la cause de la liberté en général, et l`émancipation de la femme en particulier.
Née le 30 juin 1936 à Cherchell non loin d`Alger, Fatma-Zohra Imalayène, de son vrai nom, avait exprimé sa sensibilité de femme et de militante de la cause nationale dès 1957, à l'âge de 21 ans, en publiant son premier roman "La soif", puis un second, "Les impatients", dans la même période.
Elle enchaînera ensuite avec une vingtaine de romans à succès, traduits en autant de langues, tout en exerçant sa passion pour l'enseignement de l'histoire et de la littérature, à Alger et à l'étranger, et en s'essayant, non sans succès, au cinéma avec la réalisation de deux films consacrés au combat des femmes, notamment, "La Nouba des femmes du mont Chenoua" (1978), qui a obtenu le prix de la critique internationale à Venise en 1979.
Avec "La Zerda ou les chants de l`oubli" (1982), elle remportera le prix du meilleur film historique au Festival de Berlin en 1983 et son roman "Loin de Médine" (1991) symbolisera longtemps sa lutte permanente pour les droits de la femme.
En 2005, elle devient la première femme arabe et africaine à entrer à l'Académie française, élue parmi "les immortels" au cinquième fauteuil, quelques années seulement après avoir investi l'Académie royale de Belgique.
"J'écris, comme tant de femmes écrivains algériennes, avec un sentiment d'urgence, contre la régression et la misogynie", disait la romancière.
A l'histoire de son pays qu'elle n'a jamais vraiment quitté, celle que l'on attendait pour le Prix Nobel de littérature quelques années avant sa disparition, aura dédié plusieurs de ses romans où elle évoque, selon les œuvres, l'Algérie sous la colonisation, l'Algérie indépendante et jusqu'à l'Algérie de la décennie tragique du terrorisme.
"Les enfants du nouveau monde" (1962), "Les alouettes naïves" (1967), ou encore "Femmes d'Alger dans leur appartement" (1980), et "L'amour, la fantasia" (1985), "Le Blanc de l'Algérie" (1996) et "La Femme sans sépulture" (2002), sont parmi les titres où se mêlent tous les combats libérateurs qu'elle voulait mener et incarner.
"Prolixe, Assia Djebar concentrait ainsi en elle tous les genres de la création littéraire, cinématographique et même du théâtre avec une recherche perpétuelle de l'innovation mise au service d'une vision humaniste de la vie sur Terre", s'accordent à dire ceux qui l'ont lue, connue et côtoyée.
Elle obtiendra des prix internationaux pour la plupart de ses romans dont "Nulle part dans la maison de mon père" (2007) , un récit autobiographique qui fera l'objet de nombreux articles dans des publications spécialisées d'Europe et du Moyen-Orient, la mettant régulièrement à l'honneur en tant que "voix unique et rare" dans le monde de la culture. Son attachement indéfectible à son pays, elle l'exprimera à sa façon en demandant à être inhumée dans sa ville natale de Cherchell.
L’ancien ministre de la Défense et homme fort d’Alger au début de la guerre civile est poursuivi pour complicité de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité. Le parquet fédéral a procédé à l’audition finale du prévenu.
Après dix ans d’une procédure jalonnée de rebondissements, le général algérien Khaled Nezzar, 85 ans, pourrait bientôt être renvoyé devant un tribunal helvétique pour y répondre de complicité de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité. Le prévenu, qui était ministre de la Défense et qui a fait partie des cinq membres du Haut Comité d’Etat au début de la guerre civile, deviendrait ainsi l’un des plus gros poissons à devoir rendre des comptes devant une juridiction nationale ordinaire en application du principe de compétence universelle.
L’audition finale de Khaled Nezzar, pris dans les mailles de cette procédure à l’occasion d’un séjour à Genève en 2011, s’est déroulée à Berne les 2 et 4 février derniers dans les locaux du Ministère public de la Confédération (MPC). Le parquet fédéral se contente de confirmer la tenue de cet ultime interrogatoire sans faire d’autre commentaire.
Participation contestée
De son côté, la défense, composée de Marc Bonnant, Magali Buser et Caroline Schumacher, indique que Khaled Nezzar «conteste fermement» les charges que la procureur fédérale Miriam Spittler envisage de retenir à son encontre. Soit d’avoir, entre le 14 janvier 1992 et le 31 janvier 1994, participé comme complice (en sa qualité de chef de la junte militaire) à des meurtres, des actes de torture, des traitements inhumains et des détentions arbitraires, tous qualifiés comme les pires des crimes. «La compétence universelle n’est pas synonyme de savoir universel. Le général a mené une résistance légitime contre les islamistes et n’a ni commis, ni ordonné d’exactions», plaide déjà Marc Bonnant.
Au terme de cette audition de trois jours, le général a pu repartir librement, malgré la demande d’arrestation des six parties plaignantes qui craignent de le voir s’évaporer à jamais ou exercer des pressions sur les victimes et les témoins. Marc Bonnant assure que son client, actuellement domicilié en Algérie, se présentera à un éventuel procès: «Ce sera un superbe combat.»
Les avocats du général estiment enfin que de nombreuses demandes d’actes d’enquête n’ont pas encore été traitées et soulignent que la confrontation avec le seul plaignant l’ayant accusé de l’avoir personnellement maltraité n’a jamais pu avoir lieu car celui-ci ne s’est jamais présenté. La défense ajoute que l’essentiel des reproches se fonde sur les déclarations de militants du Front islamique du salut (FIS) et «de sources non vérifiables accessibles en ligne».
«Pas de géant»
Pour l’organisation Trial International, qui est à l’origine de la dénonciation, cette étape marque au contraire «un pas de géant dans la lutte contre l’impunité». La fin de la procédure ouvre la voie à un renvoi en jugement de Khaled Nezzar devant le Tribunal pénal fédéral, qui siège à Bellinzone, pour des faits gravissimes. Une décision formelle de clôture de l’instruction, suivie d’un acte d’accusation, est attendue très prochainement. «C’est la dernière occasion pour les victimes algériennes d’obtenir justice. Personne n’a jamais été poursuivi en Algérie, et encore moins jugé pour les crimes commis durant la guerre civile», souligne encore Philip Grant, directeur de Trial.
Laïla Batou, avocate genevoise qui représente un plaignant dans ce dossier hors du commun, espère que le parquet fédéral ne laissera pas au prévenu le soin de jouer la montre. «Mon client, qui est un intellectuel, a été soumis à des tortures épouvantables et attend que ses souffrances soient enfin reconnues. Il est très reconnaissant pour tout le travail d’enquête qui a été accompli et pour avoir pu faire entendre sa parole durant cette instruction.»
Instruction laborieuse
Une instruction difficile et mouvementée que rien ne prédisait arriver à son terme. Poursuivi dès octobre 2011, alors que sa présence est signalée sur le territoire suisse (une condition pour ouvrir la procédure), Khaled Nezzar invoque d’abord sa fonction de ministre à l’époque des faits pour se protéger des ennuis judiciaires. La Cour des plaintes rejette l’argument, considérant que l’immunité ne peut être invoquée pour les crimes internationaux.
En 2017, c’est le MPC qui classe l’affaire au motif de l’absence de conflit armé au début des années 1990 entre le Groupe islamique armé (GIA) et les forces algériennes. Ce classement est annulé, les juges estimant que les conditions (niveau minimal d’intensité du conflit et présence de groupes rebelles organisés) sont réunies. «En l’espèce, il ne fait aucun doute que Nezzar était conscient des actes commis sous ses ordres», indique encore le même arrêt, tout en ouvrant la voie à une autre accusation de crimes contre l’humanité, également imprescriptible. «Les faits reprochés pourraient avoir été commis dans le cadre d’une attaque généralisée ou systématique lancée contre la population civile.»
Le procès de Khaled Nezzar – si celui-ci a bien lieu un jour – sera le deuxième du genre à se tenir devant le Tribunal pénal fédéral. En juin 2021, Alieu Kosiah, ancien chef de guerre libérien, a été condamné à une peine privative de liberté de 20 ans pour crimes de guerre. Il a fait appel contre ce jugement.
De nos jours, dans notre société moderne capitaliste, il ne fait pas bon de vieillir. Avec la dislocation des familles élargies où plusieurs générations cohabitaient sous le même toit, la majorité des personnes âgées, une fois à la retraite, est livrée à elle-même, sans soutien familial ni protection institutionnelle publique. Situation encore plus dramatique pour les retraités socialement isolés, les veufs.
À cet âge marqué par la fragilité et la vulnérabilité, les personnes âgées souffrent d'innombrables handicaps. Elles doivent affronter souvent l'apparition de multiples maladies invalidantes. Sans compter les soucis permanents d'argent dus à une pension de retraite dérisoire, rognée de surcroît par l'inflation.
Ainsi, outre la solitude très répandue à cet âge de mise à la retraite, les problèmes de santé récurrents, le retraité est affligé de difficultés financières du fait de sa maigre retraite.
Ironie du sort, un demi-siècle de sacrifice au travail pour achever sa vie comme une machine-outil usagée mise à la fourrière, sans considération à sa participation laborieuse à la construction et au développement de la société.
De fait, faute de pouvoir se prendre en charge par manque d'autonomie, totalement isolées par absence de liens familiaux rompus parfois depuis des années, de nombreuses personnes âgées échouent dans ces mouroirs appelés maison de retraite.
Phénomène nouveau : partout dans le monde, depuis seulement quelques décennies, le nombre de résidents en maison de retraite ne cesse d'augmenter. Dans le même temps, les effectifs des personnels des services gériatriques sont en constante diminution. Pareillement, les moyens alloués par les pouvoirs publics pour la prise en charge des résidents retraités sont en forte réduction, sacrifiés sur l'autel des restrictions budgétaires.
Dans certains établissements de retraite, le manque de personnel est criant, et l'absence de soins déchirant. Au sein de certaines maisons de retraite, le déficit des effectifs est la cause principale de l'abandon des résidents. Livrés à eux-mêmes, condamnés à demeurer au lit, sans soins, sans douche, sans activités, les pensionnaires finissent par sombrer dans l'atonie, la dépression, voire la démence. (Aux États-Unis, en dépit de leur interdiction en raison du risque de décès, les maisons de retraite administrent régulièrement des antipsychotiques aux résidents atteints de démence pour contrôler leur comportement. Le recours aux antipsychotiques, «camisole chimique», employés pour faciliter le travail du personnel ou mieux contrôler les résidents, est assimilé par les organisations de droits des humains à un traitement cruel, inhumain ou dégradant.)
Certains, faute d'hygiène, contractent de multiples pathologies. D'autres, par absence de communication aussi bien avec les autres résidents qu'avec le personnel inexistant, périssent prématurément du fait de ce mutisme funèbre vécu au quotidien. En raison de la rupture de relations parentales, certaines personnes âgées isolées au plan familial sont plus exposées aux négligences infligées par le personnel. Leur isolement permet aux responsables d'établissement de réduire plus aisément les moyens et les effectifs affectés à leur intention, de raréfier l'encadrement médical, sans encourir le risque de protestation de la part de la famille du résident, par ailleurs indifférente. De fait, nombre des pensionnaires sont abandonnés. Victimes de maltraitances, ils subissent des pressions et des menaces de la part du personnel, pour les dissuader de se plaindre.
De manière illustrative, pour ce qui est de la France, on compte 16,5 millions de retraités, sur une population évaluée à 67 millions. La pension de retraite moyenne est de 1288 euros. Or, le coût d'une place en maison de retraite est estimé à presque 2000 euros par mois (certains établissements facturent 6000 à 8000 par mois). Aussi, l'accession à un établissement de retraite est hors des moyens financiers de la majorité des retraités. De nombreux retraités sont contraints de vendre leur maison pour couvrir les frais onéreux de leur hébergement en maison de retraite. Certains établissements de retraite exigent la modique somme de 2500 euros par mois pour pouvoir prétendre séjourner dans leur mouroir. Toujours en France, tandis que plus de 3,3 millions de seniors souffrent de dépendance, seulement 1,2 million de ces personnes dépendantes bénéficient de l'Allocation Personnalisée d'Autonomie (APA), principale aide sociale permettant de recourir aux services d'une professionnelle. En réalité, l'exemple de la France s'applique à tous les pays occidentaux séniles et décadents.
Paradoxalement, en dépit de leurs tarifs exorbitants, les maisons de retraite demeurent néanmoins saturées. Et pour cause. Nonobstant le vieillissement accéléré de la population permis grâce à l'allongement de l'espérance de vie, les constructions d'établissements de retraite brillent par leur rareté. Le problème de la raréfaction des établissements de retraite va s'aggraver. En effet, dans les pays développés, tandis que le nombre de personnes âgées de plus 85 ans devrait quadrupler autour des années 2050, aucun programme relatif au financement de la perte d'autonomie et des maisons de retraite n'a été inscrit dans les budgets prévisionnels des États. Cela s'intègre dans la logique de la politique des réductions drastiques des budgets sociaux, en général, et hospitaliers et médico-sociaux, en particulier.
Le désengagement des pouvoirs publics des politiques sociales concerne également les établissements de retraite, abandonnés au secteur privé, qui tire de substantiels bénéfices de l'exploitation lucrative des maisons de retraite. À l'instar du groupe Orpea qui exploite près de 117 000 lits dans 1156 établissements, essentiellement en Europe, dont plus de 49.200 lits (586 établissements) en France et près de 47.000 lits (418 établissements) dans neuf pays européens (Allemagne, Autriche, Belgique, Espagne, Italie, Pologne, République Tchèque, Suisse) et en Chine.
De manière générale, ces dernières années, dans de nombreux pays, les témoignages sur la maltraitance des pensionnaires de maisons de retraite sont régulièrement rapportés par les médias. Beaucoup de faits divers scandaleux défrayent la chronique.
En Algérie, le dernier scandale de maltraitances infligées aux pensionnaires concernait une maison de retraite établie à Batna. Sur une vidéo [1] amplement diffusée (mi-janvier 2019) sur les réseaux sociaux algériens, on voyait des personnes âgées livrées à elles-mêmes dans des conditions déplorables. Certaines allongées à même le sol, frappées d'hébétude et de prostration, d'autres à demi-inconscientes immobilisées dans leur fauteuil roulant, d'autres déambulant nonchalamment avec une silhouette à l'hygiène douteuse. Tout cela dans des contextes sans aucune assistance professionnelle. Et un cadre résidentiel à la vétusté et l'insalubrité répugnantes. Ces images insoutenables de maltraitance avaient entraîné le limogeage des responsables de l'établissement, et la poursuite en justice de l'ensemble du personnel. Au reste, le problème des sévices infligés aux personnes âgées est tellement dramatique qu'une Journée mondiale contre la maltraitance des personnes âgées a été instituée par l'ONU en 2007. Cette journée organisée le 15 juin a pour dessein de sensibiliser l'opinion publique au sort des personnes âgées victimes de maltraitance.
Selon la définition proposée par les instances officielles internationales, la maltraitance des personnes âgées « se caractérise par tout acte de négligence ou omission commis par une personne, s'il porte atteinte à la vie, à l'intégrité corporelle ou psychique, à la liberté d'une autre personne ou compromet gravement le développement de sa personnalité et/ou nuit à la sécurité financière. »
La maltraitance des personnes âgées recouvre de multiples formes de souffrance et de mauvais traitements aux yeux de la loi. Elle s'étend à tous les types de violences et de négligences, associés ou non.
Les différentes formes de maltraitance des personnes âgées peuvent être des violences : physiques : coups, blessures, contraintes physiques; morales et psychologiques : injures, violation de la vie privée, chantage, privation d'affection ou de visites; médicamenteuses : excès de neuroleptiques, absence de traitement adapté; financières : vol, extorsion, héritage forcé; les négligences actives (enfermement ) ou passives (absence d'aide à l'alimentation ) ; les violations des droits civiques : atteintes aux libertés et droits fondamentaux des personnes.
Ainsi, de nos jours, le troisième âge est la période de tous les dangers. Jamais dans l'histoire les personnes âgées n'ont été traitées avec tant d'inhumanité. Jamais les personnes âgées n'ont été autant exposées à autant d'insécurité.
Isolées socialement, carencées affectivement, négligées familialement, fragilisées financièrement, diminuées physiquement, amoindries psychologiquement, elles deviennent des proies faciles. Souvent, en période de crise économique, elles sont les premières victimes des mesures antisociales. Certaines sont contraintes de reprendre le travail pour pouvoir survivre. D'autres tombent dans une extrême pauvreté, ou deviennent SDF.
Ironie du sort, plus grave encore, en Asie, aujourd'hui, pour survivre, certains retraités recourent à des expédients ingénieux illégaux. Ainsi, dernière invention dans l'un des pays les plus riches au monde, le Japon, de plus en plus de retraités choisissent la prison pour fuir la misère. À la liberté dans la misère, de nombreux retraités japonais préfèrent la sécurité alimentaire et médicale dans la prison. Un retraité japonais l'a expliqué avec ses mots dans un article du Monde publié le 14 janvier 2019. «En prison, il a chaud, il est nourri et s'il est malade, on s'occupe de lui Comme il est récidiviste, il en a pris pour deux ans Un jour il faudra peut-être que je fasse comme lui», raconte-t-il à propos de l'un de ses amis. Pour accéder à cette maison de retraite de substitution, certains retraités se métamorphosent en hors-la-loi par la commission de certains larcins afin d'achever leur vie au chaud dans une cellule. Selon le journal le Monde, 21,1 % des personnes arrêtées en 2017 avaient plus de 65 ans. En l'an 2000, cette tranche d'âge ne représentait que 5,8% de la population carcérale. Les retraités qui se retrouvent en détention ont souvent volé de la nourriture ou de quoi améliorer l'ordinaire.
Ces détenus âgés représentent «de nouvelles charges pour l'administration pénitentiaire», d'autant plus qu'ils «entendent mal et tardent à exécuter les ordres ; certains sont incontinents, d'autres ont des problèmes de mobilité et il faut parfois les aider à se nourrir et à se laver». De la France à l'Algérie, du Japon aux États-Unis, la société excrémentielle capitaliste a transformé les personnes âgées en déjections, réduites à survivre misérablement, à mourir à petit feu sous le regard indifférent de la majorité des hommes et femmes insensibles au malheur de ces aînés de l'humanité. Quand le respect dû aux vieillards bat en retraite, c'est la mort de l'humanité qui approche.
«Sois serviable envers les vieux : quand tu le seras, à ton tour, on te servira.» Proverbe kurde
L’œuvre intitulée « Passage Abdelkader », qui représente l’émir Abdelkader découpé dans une feuille d’acier rouillé, a été largement abîmée au niveau de la partie basse de la structure.
« Indignation », « honte », « lâcheté ». Une sculpture en hommage à l’émir Abdelkader (1808-1883) a été vandalisée avant son inauguration, samedi 5 février, à Amboise (Indre-et-Loire), suscitant une large condamnation, a constaté sur place un journaliste du Monde. C’est dans cette commune d’Indre-et-Loire que le héros national algérien avait été détenu avec plusieurs membres de sa famille de 1848 à 1852.
L’œuvre intitulée Passage Abdelkader, qui représente l’émir Abdelkader découpé dans une feuille d’acier rouillé, a été largement abîmée au niveau de la partie basse de la structure.
« L’œuvre a été dégradée pendant la nuit, découpée par une meuleuse, sous la taille d’Abdelkader. Cette partie a été découpée et tordue, cela fait un énorme trou sur l’œuvre. La gendarmerie faisait des rondes jusqu’à 4 heures du matin, donc ça a eu lieu après », a précisé au Monde Hélène Mauranges, directrice générale des services de la ville d’Amboise.
Le procureur de Tours, Grégoire Dulin, a annoncé l’ouverture d’une enquête pour « dégradation grave de bien destiné à l’utilité publique et appartenant à une personne publique ».
« Le combat pour l’amitié entre la France et l’Algérie continue »
Sur place, le maire d’Amboise, Thierry Boutard, a dénoncé un « saccage ignoble » dans une « période où certains se complaisent dans la haine des autres ».
« J’ai eu honte qu’on traite une œuvre d’art et un artiste de cette sorte. Le deuxième sentiment est, bien sûr, l’indignation. C’est une journée de concorde qui doit rassembler et un tel comportement est inqualifiable », a-t-il commenté auprès de l’AFP. Le maire a également fait savoir que l’œuvre serait « restaurée et refaite ». L’artiste a estimé que la sculpture pouvait être refaite d’ici un mois.
Etaient également présents samedi matin pour l’inauguration, le sculpteur Michel Audiard, la sénatrice LR Isabelle Raimond-Pavero, le député LRM Daniel Labaronne, ainsi que le président LR du conseil départemental, Jean-Gérard Paumier.
L’artiste Michel Audiard a confié sa peine de voir son œuvre en partie détruite. « C’est réellement un saccage prémédité. Il faut une disqueuse, il faut couper, il faut tordre. C’est un acte de lâcheté, (…) ce n’est pas signé, c’est gratuit. On était là pour fêter un personnage emblématique dans la tolérance, et là, c’est un acte intolérant. Je suis atterré », a-t-il lâché.
Egalement présent à la cérémonie et revenu tout récemment à Paris après la crise ouverte par des propos du président de la République, Emmanuel Macron, l’ambassadeur d’Algérie en France, Mohamed Antar Daoud a réagi sur un ton d’apaisement :
« Le combat pour l’amitié entre la France et l’Algérie continue, pour faire de la Méditerranée non pas un lac de divisions mais un lac de paix partagée. Il faudra panser la blessure de ce qui n’est qu’un acte de vandalisme.»
Abdelkader, une figure de tolérance
Cette œuvre avait été proposée par l’historien Benjamin Stora dans son rapport sur « Les questions mémorielles portant sur la colonisation et la guerre d’Algérie », remis à Emmanuel Macron en janvier 2021. M. Stora a dénoncé samedi « l’obscurantisme et l’ignorance » de ceux qui ont vandalisé la sculpture, appelant à ce que l’inauguration soit maintenue et la statue restaurée.
« Je suis pour le maintien de l’inauguration coûte que coûte. Il faut reprendre le travail, faire en sorte que la statue soit relevée et que ne triomphent pas ceux qui sont dans l’obscurantisme, l’analphabétisme et l’ignorance », a-t-il estimé, jugeant l’acte de vandalisme « consternant ».
L’émir Abdelkader Ibn Mahieddine (1808-1883) est une figure de l’histoire de l’Algérie. Celui qui était surnommé « le meilleur ennemi de la France » a joué un grand rôle dans le refus de la présence coloniale française en Algérie. Il est considéré comme l’un des fondateurs de l’Algérie moderne.
Après sa reddition, il a été emprisonné à Pau, Toulon, puis au château d’Amboise de 1848 à sa libération en 1852. Cet « homme passerelle », comme le qualifie Benjamin Stora, s’exile ensuite à Damas, où il s’illustre en 1860, en défendant les chrétiens de Syrie, en proie aux persécutions. Cet acte fera de lui un symbole de tolérance. Il sera récompensé de la grand-croix de la Légion d’honneur.
« Rappelons-nous ce qui nous unit. La République n’effacera aucune trace ni aucun nom de son histoire. Elle n’oubliera aucune de ses œuvres. Elle ne déboulonnera pas de statues », a condamné Emmanuel Macron dans une réaction transmise à l’Agence France-Presse.
Le monument avait été "érigé dans une volonté de rapprochement entre la France et l'Algérie", explique Laurent Vignaud, sous-préfet de Chinon.
La statue de l'émir Abdelkader vandalisée quelques heures avant son inauguration, le 5 février 2022 à Amboise (Indre-et-Loire). (GUILLAUME SOUVANT / AFP)
"L'hommage de mémoire qui était prévu est devenu un hommage de combat contre la bêtise et la haine."
Suivant une recommandation du rapport de l’historien Benjamin Stora, une stèle en hommage à l'émir Abdelkader, héros de la lutte contre la conquête française de l’Algérie, a été inaugurée samedi, à proximité du château d’Amboise. L'œuvre a été vandalisée peu avant la cérémonie.
La question de la mémoire constitue l'un des sujets de discorde entre l'Algérie et France. Le passé colonial français en Algérie revient souvent dans le débat, notamment depuis l'arrivée d'Emmanuel Macron à l'Élysée. Ce dernier multiplie en effet des gestes allant dans le sens de la glorification de la présence française en Algérie, mais aussi pour dénoncer les « crimes » commis par les Français durant cette période.
Se voulant le chantre de l'apaisement avec l'Algérie sur la question de la mémoire, le président français Emmanuel Macron a confié, en juillet 2020, à l'historien Benjamin Stora, spécialiste de l'Algérie, la rédaction d'un rapport sur les questions mémorielles portant sur la colonisation et la Guerre d'Algérie. Ce rapport, remis à l'Élysée au mois de janvier 2021, énonce plusieurs recommandations pour avancer sur un chemin d'apaisement et de reconnaissance de toutes les mémoires entre la France et l'Algérie.
Une statuette à l'effigie de l'Émir Abdelkader sera inaugurée le 5 février à Amboise
C'est dans le sillage de ce rapport que l'Élysée a décidé de rendre hommage à l'un des symboles algériens durant le début de la colonisation française. Il s'agit de l'Émir Abdelkader, chef de guerre qui avait lutté contre la présence coloniale française en Algérie avant qu'il n'abdique en 1847 et se voit ensuite détenu en France en compagnie de sa famille.
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L'hommage de l'Élysée consiste en la réalisation d'une statuette à l'effigie de l'Émir Abdelkader dans la ville d'Amboise en France. Une ville dans laquelle l'Émir a été détenu en 1848 au lendemain de sa reddition, avant qu'il ne soit expulsé, sur sa demande, vers la Syrie. Cette statuette en hommage à l'Émir Abdelkader, « ce modèle de tolérance, érigé en symbole de réconciliation », sera inaugurée le jeudi 5 février 2022 à Amboise sur les bords de Loire.
Cette statuette de l'Émir Abdelkader, réalisée par le sculpteur Michel Audiard et qui a coûté 35 000 euros, est financée en grand partie par des subventions de l'Élysée, rapporte le journal français La Nouvelle République, qui explique que pour la réalisation de son œuvre, Michel Audiard s'est inspiré d'un portrait en pied de l'Émir Abdelkader issue du fond de la Bibliothèque nationale de France.
La ville d’Amboise rend hommage à la mémoire de l'Emir Abdelkader avec l'inauguration d'une stèle à son effigie samedi 5 février. A l'heure du 60e anniversaire de l’indépendance algérienne, l'initiative constitue une pierre à l'édifice de la réconciliation des mémoires franco-algériennes.
Le « Passage Abdelkader », œuvre du sculpteur de Michel Audiard, sera inaugurée, samedi 5 février, à Amboise, à l’occasion du 60e anniversaire de l’indépendance algérienne. Inspirée d’une photographie de la Bibliothèque nationale française (BNF), la sculpture est un portrait découpé dans une feuille en inox laqué Epoxy, couleur rouille, « conçu pour s’intégrer parfaitement dans le patrimoine de la ville, respectant ainsi son architecture » selon la minicipalité.
Deux expositions seront également mises en avant. L’une présentée à l’église Saint-Florentin est titrée « Abdelkader et l’Abbé Louis Rabion ». L’autre installée au musée-Hôtel Morin est consacrée à « Abderkader et la Ville ».
Personnage historique, l’Emir Abdelkader est à la fois le symbole de la résistance des populations algériennes à l’invasion de l’armée française mais aussi celui de la tolérance religieuse. « Il a notamment défendu les chrétiens à Damas en 1860 et écrit une lettre aux Français sur le rapport entre la rationalité et la foi », rappelle Benjamin Stora, historien et auteur d’un rapport sur la réconciliation mémorielle dans lequel l'installation d'une stèle à Amboise en hommage à l'émir figurait parmi les préconisations. C'est aujourd'hui chose faite.
Abdelkader ibn Muhieddine, connu sous le nom de l'Emir Abdelkader, créateur d’un Etat éphémère dont la capitale était Tagdemt, et qui s’étendait du sud d’Alger à la frontière marocaine à l’ouest, s'est engagé avec détermination contre la colonisation française en 1932. La France, qui était pourtant la première armée du monde, a eu besoin de plus de 15 ans pour mettre fin au mouvement de résistance initié par le chef militaire. Il fut emprisonné avec femmes et enfants au château d’Amboise, après sa reddition le 21 décembre 1847. Contrairement à la promesse du général Louis de Lamoricière de le laisser libre de se rendre à Alexandrie ou à Acre, il fut gardé en captivité au fort Lamalgue à Toulon, puis à Pau et enfin à Amboise.
Après son arrivée à Amboise, l’humidité du château détériore sa santé au point de susciter l’indignation en France et à l’étranger. Une campagne d’opinion publique est organisée qui aboutira à la libération de l’Emir Abdelkader en octobre 1852. Louis-Napoléon Bonaparte – futur empereur Napoléon III – ira jusqu’à lui octroyer une pension qui lui permettra de se consacrer à la théologie et à la philosophie, ses deux passions avant d’être obligé de combattre.
L’Emir Abdelkader meurt à Damas le 26 mai 1883 et est enterré près de son maître, le grand soufi Ibn Arabi. Son corps est retrouvé en 1965 et transféré vers l’Algérie avec l’autorisation de sa famille, qui en profita pour obtenir la libération d’un arrière-petit-fils de l’émir, détenu par le gouvernement algérien.
D’autres gestes œuvrant à réconcilier les mémoires suivront, « qui permettront de constituer un réseau des lieux de mémoire de l’histoire de la France et de l’Algérie », promet l’Elysée, qui cite notamment la relance du projet de musée de l’histoire de la France et de l’Algérie à Montpellier.
Rédigé par Lionel Lemonier | Vendredi 4 Février 2022 à 14:15 https://www.saphirnews.com/Une-stele-et-des-expositions-en-memoire-a-l-Emir-Abdelkader-sur-les-bords-de-la-Loire_a28613.html
A chaque fois qu'on avait fait une place dans une société, au génie des enfants amazighs, les résultats furent édifiants et universellement fondateurs pour l'humanité, par les bienfaits des apports culturels, cultuels, moraux, intellectuels et philosophiques. Le caractère berbère, immuable porté par un élan instinctif vers les concepts millénaires issus de la liberté d'entreprendre et le réalisme greffé sur la sagesse de la terre nourricière de la montagne, réussit par sa clairvoyance à fonder des civilisations puissantes et pérennes. L'histoire de l'amazighité, un terme local devenu, enfin, visible pour l'ensemble des Nord-Africains, avait toujours été construite autour d'une dévotion singulière pour la liberté et la curiosité novatrice, en somme, la modernité de l'esprit. Tous les envahisseurs s'enrichirent de l'efficacité légendaire du pragmatisme de l'homme amazigh, jusqu'ici ignoré par les tablettes de l'histoire. Ils mirent à leurs services les compétences, le savoir-faire structurant et formateur de l'homme amazigh, tout en le brimant et en le classant en seconde zone comme persona non grata.
L'esprit tribal berbère façonné pour s'accrocher sur ce qui est vital, juste, utile, pratique et essentiel avait modernisé, consolidé et renforcé le socle de la civilisation chrétienne occidentale, par sa lumière visionnaire et son talent de constructeur. Il suffit de se référer au travail édificateur des trois papes berbères d'Afrique du Nord, en l'occurrence, Victor I er, Miltiade et Gélase I er, qui imposèrent le puissant pouvoir de l'église sur les royaumes et les empires occidentaux. Pour l'anecdote, nous citons un événement festif ; la Saint Valentin, la journée dédiée au bonheur des amoureux. Elle fut proclamée pour célébrer la fête de l'amour, par la persistance d'un de ces papes. Ça devrait être une fierté pour tous les Algériens et tous ceux qui se sentent amazighs, par le cœur ou par l'esprit. Ils étaient amazighs romanisés ! Me rétorquent certains avec véhémence, sur un ton qui sous-entend le mépris. Certes, ils étaient, effectivement, imprégnés et affiliés à la culture romaine. Il n'en demeure pas moins que leurs intellects fondamentaux furent façonnés et forgés dans un climat purement amazigh : ce qu'on appelle, communément, aujourd'hui, l'esprit de l'Algérie algérienne.
D'autre part, l'amazighité nord-africaine, depuis le VIIe siècle, avec ses enfants arabisés, islamisés, fidèles à l'islam et à l'arabité avaient, vainement, tenté de suivre la voie des meilleurs penseurs algériens, en l'occurrence, Saint Augustin, afin de créer une civilisation moderne, puissante et harmonieuse autour des valeurs de liberté et de modernité dans la pratique sereine d'un islam reformé. Nous revenons, dans cet article, sur le gâchis de la marginalisation du monde amazigh, par les influences nocives sur nos sociétés actuelles, des penseurs arabisants depuis le VIIe siècle jusqu'à nos jours. On ne s'étalera pas, non plus, dans notre écrit, sur nos illustres papes berbères. Mais, nous citons pour illustrer la véracité de nos propos, le rôle de Saint Augustin et l'impact fondateur de sa philosophie moderne, qui permit à la civilisation occidentale, en panne de modernisme et gangrénée par les inepties du charlatanisme, de faire un bond en avant miraculeux vers le développement des sociétés modernes et futuristes.
La finesse de l'esprit de Saint Augustin, empreinte de la saveur amazighe, une particularité issue du parfum à la terre, qui caractérise le Berbère. Cette élégance intellectuelle vint, comme une bénédiction, inaugurer une époque embrasée par les lumières du savoir. Une époque qui fit de la pensée religieuse, remodelée et novatrice, un modèle de liberté dans la société, où toutes les différences se respectent, se rejoignent et s'unissent. L'éloquence orale et écrite trouva sa place pour renforcer le langage moderne mis à la disposition de toutes les libertés d'expression en fortifiant le raisonnement des peuples pour instaurer la liberté, partout, dans les systèmes politiques et faire naître l'opulence et le bien-être.
A partir de cette pensée ciselée, simple, utile, accessible au plus grand nombre et tournée vers une vision moderne, les sociétés régies par la chrétienté édifièrent les bases de l'ensemble du monde occidental moderne, en le renforçant pour se projeter dans le futur et détenir, désormais et à jamais, une puissance durable sur le reste de l'humanité.
La puissance de la pensée de Saint Augustin fut décrite par Joseph Tabucco comme ceci : «L'esprit d'Augustin a été le lieu, non pas unique, mais privilégié, d'une des opérations majeures de l'esprit humain. C'est à lui, plus qu'à aucun autre, qu'il fut donné de réaliser la synthèse de la pensée antique et de la pensée chrétienne, dont a vécu, de longs siècles, la civilisation occidentale».
Saint Augustin avait contribué à sortir la pensée humaine de sa médiocrité et de la violence autoritaire des pouvoirs, en imposant des conceptions modernes de la liberté et de la nature humaine.
Parler de Saint Augustin, à notre époque, dans une Algérie, peu clémente pour les Berbères non musulmans, paraît incongru pour la plupart de nos compatriotes aveuglés par la haine du fanatisme. Pourtant, il serait une grande erreur d'occulter de notre histoire les qualités primitives d'une moralité forgée dans notre pays et véhiculée par l'un des fils les plus illustres, jamais égalé, dans l'Algérie de tous les temps.
Saint Augustin est moins connu en Afrique du Nord, dans son pays d'origine, qu'en Occident. On a effacé son histoire pour taire ses mérites, non conformes à la morale pernicieuse embrigadée dans le message islamique. C'est cette raison qui nous pousse à le faire connaître à ses compatriotes de l'an 2021. L'histoire et les mérites de l'enfant enfanté par la terre amazighe avait été, volontairement, effacée de la mémoire commune, même s'il était un savant mondialement connu, il était aux yeux des intolérants islamistes, qui détiennent le pouvoir avec la complicité des dirigeants partisans de la force, un chrétien, donc pas algérien. Nous souhaitons nous approprier son image, pour la partager avec la jeunesse algérienne affable de liberté, afin de faire un exemple et susciter des vocations chez des futures adeptes qui, demain, agissent en réalisant des projets autour des idéaux unificateurs communs d'une société malade par un excès d'une religiosité importée de l'extérieur.
Saint Augustin est un sujet immense, on évitera d'expliquer ses œuvres, mais nous ne pouvons pas parler de Saint Augustin sans évoquer au passage, succinctement, l'ardeur de son œuvre ; les confessions. Une œuvre qui garde jusqu'à nos jours sa jouvence, depuis quinze cents ans, où beaucoup viennent découvrir, avec émotion, le sincère monologue de l'auteur avec son Dieu. A la lecture des confessions, nous nous sommes trouvés face aux vérités d'un homme qui se met à nu, sous le regard omnipotent de Dieu. Nous avons eu l'impression de sentir le parfum de la menthe des contrées lointaines de la Méditerranée, en dégustant ses écrits comme un repas savoureux. Des écrits enrobés par l'aisance subtile des formulations construites par une intelligence raffinée. Cependant, dans notre époque peu encline à la ferveur religieuse, la lecture des confessions semble, à beaucoup, comme un écrit d'un illuminé qui dialogue avec lui-même, en prenant la place de Dieu pour répondre à ses propres démons et angoisses.
En dehors des confessions, l'œuvre la plus importante de Saint Augustin est sans conteste «La cité de Dieu», avec ses 22 volumes. «La vraie religion» est une œuvre sentimentale pour le théologien, car elle était écrite en collaboration avec son fils qu'il perdît à l'âge de 17 ans.
Jusqu'ici, toutes les tentatives, des hommes de haute envergure de la berbérité, je veux dire les Algériens dans leur ensemble, avaient échoué, bloquées, détournées, délibérément, par les esprits chagrins, les partisans des frustrés par leurs échecs répétés et les improductifs, pour sortir l'Islam de sa liturgie entachée par le wahhabisme. Mohammed Arkoun, précurseur de la pensée moderne dans l'islam, dont le profil se situe dans le sillage de Saint Augustin, fut muselé, bloqué, menacé et traité de mécréant, à son époque, par la folie wahhabite, pour sa tentative de proposer ses services, pour chercher des outils afin de moderniser la langue arabe et l'islam. Mohammed Arkoun nous alerta, avec un langage fleuri de la sagesse des hommes compétents qui veulent se rendre utiles, sur la lecture biaisée et falsifiée de l'islam prêché par les wahhabites et les islamistes qui faisaient l'impasse sur la raison, l'esprit critique et de l'esprit épris de modernité.
Beaucoup du calibre de Arkoun avaient prédit : sans la séparation de la religion et la politique dans notre modèle actuel de société, toutes les nations musulmanes gouvernées par une idéologie islamique cesseront d'exister ou éliminées par la force de la science des nations occidentales. Le système sociétal, préconisé par les islamistes, relève d'une société pieuse, non ouverte à la modernité, incompétente, non rentable et vivant avec les créations des mécréants.
L'aubaine suscitée par Arkoun avait été une occasion manquée, comme beaucoup d'autres occasions, d'ailleurs, en Afrique du Nord et particulièrement en Algérie.
Ne cédons pas au désespoir et saisissons l'opportunité qui se présente, aujourd'hui, à nous, pour soutenir en masse Saïd Djabelkhir, pour libérer la parole et encourager ce spécialiste de l'islam à exploiter cette aubaine rare. Si Saint Augustin avait réussi à réformer le christianisme, Saïd Djabelkhir l'est autant pour l'islam. Il ne manque pas d'atout pour faire sortir l'islam de l'impasse dans laquelle il fut engouffré par les esprits dégénérés, entraînés par le désespoir de se sentir inutiles et vivre dans l'échec permanent. La comparaison entre Augustin et Djabelkhir est peut-être exagérée, mais on peut espérer que ce dernier dépassera son maître.
Tous les démocrates doivent se lever comme un seul homme, le Hirak est là ! Pour nous unir, encore plus, dans notre volonté de nous imposer, durablement, sur les autres.
Levons-nous pour permettre, en toute liberté, aux chercheurs d'engager des travaux scientifiques pour inventer, à la lumière des concepts de la modernité, des outils philosophiques pour purifier la langue arabe d'un langage guerrier et souillé par la haine d'autrui. Faisons confiance à la compétence, neutre et sans idéologie, de ce chercheur éclairé pour assainir l'islam et, enfin, le libérer des turpitudes des islamistes et wahhabites. Donnons la chance à nos enfants amazighs pour sortir leur pays des blocages idéologiques stériles et obsolètes, en vigueur depuis le VIIe siècle, qui enfoncent, de plus en plus, leurs quotidiens dans l'obscurantisme.
Cette lecture de l'islam erronée et entachée par la pauvreté de la pensée des wahhabites n'avait édifié aucune civilisation à la hauteur des vertus morales de l'islam des lumières. Faisons confiance à la force de l'islam et convoquons nos spécialistes, parmi lesquels Saïd Djabelkhir, d'ailleurs son nom indique un bon présage, pour réformer l'islam et surtout donner une dimension universelle à la langue arabe en la débarrassant de son insidieuse carapace religieuse. La laisser en état serait, assurément, la condamnée à sombrer dans les oubliettes de l'histoire et connaître, au mieux, le même sort que le latin. La langue arabe a un besoin impératif pour se moderniser. Aujourd'hui, chaque jour apparaissent dans le monde des milliers de projets desquels sont issus des mots illustrant des concepts nouveaux ; des mots techniques, scientifiques, écologiques, sociologiques et j'en oublie. La langue arabe est la seule qui regarde le temps passer sans aucune perspective de changement.
lle reste à l'écart d'une traduction soutenue, à l'image des autres langues, pour se hisser au niveau d'une langue porteuse d'un savoir scientifique. Cette méprise serait-elle par manque de volonté, par impuissance, par incompétence, par indolence ou, tout simplement, par un contentement, inconscient, de sa puissance, liée à la protection de Dieu, pour l'avoir choisie comme langue du coran ? La langue arabe est, déjà, dépassée par la rapidité d'un changement effréné du monde moderne. Elle s'appauvrit chaque jour davantage ; il est vain d'espérer qu'un jour elle rattrapera son retard. Elle sera, complètement, démunie d'un langage scientifique, qu'elle survivra, au mieux, dans un premier temps, comme la langue cantonnée à un espace restreint et religieux spécifique à un Islam diminué de son vrai message universel.
Ces propos vont faire mal à l'orgueil de beaucoup. Il ne faut surtout pas le prendre comme une provocation ni une attaque, ni leur donner une autre signification que celle que nous voulons leur donner avec franchise. Ces constations crues et douloureuses doivent interpeller notre éveil pour garder l'authenticité d'une Algérie algérienne, c'est-à-dire, amazighe, musulmane et ouverte aux apports provenant des grandes civilisations occidentales. Faire un Etat algérien moderne, loin de turpitudes religieuses et ouvert à toutes les sensibilités philosophiques et religieuses du peuple algérien. Un Etat permettant un espace sociétal harmonieux, dans la paix et de bien-être avec une authenticité amazighe retrouvée et une foi musulmane apaisée dans un islam réformé et défraîchi.
Saint Augustin
Pour terminer, nous essayons d'être utile et bref pour donner une idée, à la jeunesse algérienne, de l'illustre personnage, le doyen amazigh ; Saint Augustin. En essayant de faire connaître, d'une façon simplifiée, les grandes lignes de son parcours. L'un des meilleurs d'entre nous tous : Aurelius Augustinus Hipponensis. Le peuple amazigh ne date pas d'aujourd'hui, il a une histoire lointaine qui avait parsemé ses lumières sur toutes les rives méditerranéennes et occidentales.
D'emblée et avant tout propos, nous affirmons que Saint Augustin a été ravi par les lumières d'un amour incandescent et supérieur à tout autre : celui de Dieu. Saint Augustin avait le profil pour devenir pape, on ne sait pas pourquoi ça ne s'est pas réalisé : «D'année en année, on y sent grandir le prestige d'Augustin. Il est le pape vénéré vers qui se tournent les yeux de la chrétienté d'Occident, et à qui les empereurs, eux-mêmes, jugent indispensable d'adresser des lettres au primat de Carthage»
À Milan, il fréquenta des poètes et des philosophes, notamment les platoniciens et les aristotéliciens qui enrichirent son esprit par de nouveaux concepts modernes et des outils philosophiques de critiques et d'analyses sur la perception du réel et la théorie de l'objet.
Saint augustin intégra les concepts de la nouvelle pensée des lumières à la logique catholique pour la rendre cohérente et en la débarrassant de ses schismes et ses archaïsmes. Ses combats contre le donatisme (schisme catholique qui divisa pendant trois siècles l'église en Afrique du Nord), le manichéisme (religion perse proche du catholicisme du IIIe siècle) et le pélagianisme (schisme catholique niant la grâce divine) étaient révélateurs sur son objectif d'unifier et universaliser la pensée catholique pour mieux étendre son emprise sur le monde des croyants.
C'était un personnage curieux qui aimait les discussions ainsi que l'art oratoire. Il allait, par sa pensée et ses écrits, déborder son temps et consolider le règne de l'église sur les hommes en apportant, avec son éloquence orale et écrite, la richesse des valeurs religieuse catholiques. Il donna un souffle substantiel, nouveau et moderne aux valeurs et au langage de la liturgie, accepté par les peuples de l'église catholique occidentale. On peut même dire qu'il fut le sauveur d'une église embourbée par les conflits religieux, les intolérances, les violences, les schismes et les horreurs d'un monde qui s'effondre autour d'un culte en perte de vitesse. Saint Augustin par ses actions et son apport intellectuel apporta à l'église le socle unitaire et la solidarité qui assurent aujourd'hui sa place universelle dans la civilisation pérenne occidentale.
Le Jansénisme est un courant fidèle à la doctrine de Saint Augustin. Il joua un rôle déterminant pendant la Révolution française. Ce courant influencé, directement, par les préceptes de Saint Augustin fut essentiel lors de la rédaction de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen en 1789, en apportant son savoir et sa compétence. La Constitution américaine avait mis en préambule le texte intégral de la déclaration es droits de l'homme et du citoyen. En 1948 l'Assemblée générale des Nations unis vota la Déclaration universelle des droits de l'homme en s'inspirant de la Déclaration des droits de l'homme de la Révolution française de 1789. Saint Augustin fut un grand théologien et philosophe, il enseigna sa théorie dans toute la Numidie (Région couverte par la totalité de l'espace de l'Est algérien. De l'Algérie actuelle). Saint Augustin faisait partie des quatre pères de l'église, avec Saint Ambroise, Saint Gérôme, Saint Grégoire. Il était de culture berbère et latine. Il fut l'un des trente trois docteurs reconnus par l'église catholique.
Aurelius Augustinus Hipponensis, dit Saint Augustin, était né le 13 novembre 354 après J.C à Thagaste (actuelle Souk Ahras, Algérie) dans ce qu'on appelait, à l'époque, la Numidie et mort le 28 août 430 après J.C, à l'âge de 76 ans, à Hippone (actuelle Annaba, Algérie). Il mourut pendant que les Vandales assiégeaient la ville d'Hippone.
Nous observons avec tristesse que le symbole de Saint Augustin n'est pas perçu comme une gloire de notre patrimoine culturel. Encore moins par l'attribution de son nom aux grands édifices de l'Etat (Ville, Université, Aéroport ) en dehors de quelques lycées et écoles à Annaba, Blida, Alger et Oran.
La Basilique Saint-Augustin de Annaba, construite entre 1881 et 1900, fut dédiée à l'évêque d'Hippone. Ce symbole relève de l'esprit d'ouverture qui a toujours caractérisé le peuple annabi. Une statue imposante fut érigée à l'entrée de la Basilique, représentant une relique en honneur de Saint Augustin évêque d'Hippone. A Souk Ahras, rien n'est érigé pour mettre en valeur la naissance et la vie adolescente de l'enfant prodige de la ville : Saint Augustin.
Il était issu d'une famille berbère modeste et romanisée. Il avait un frère et plusieurs sœurs dont une engagée, elle aussi, au service de l'église. Son frère Navigius et son fils Adeodatus furent de tous les combats et voyages, un combat familial pour aider à la formation du jeune Aurelius à sa construction intellectuelle. Sa mère Sainte Monique, une fervente catholique, fut pour beaucoup dans son orientation religieuse. Son père Patricius était un païen romanisé. Il avait une grande ambition pour son fils et se convertit au catholicisme 1 an avant sa mort. A 15 ans il partait étudier à Madaure (actuelle M'daourouch ou Madorous une commune de Souk Ahras, Algérie).
A 17 ans Saint Augustin, envoyé par son père pour continuer ses études à Carthage. Mais, Rome était ce qui a de mieux pour parfaire ses études à cette époque. Il partit, donc, à Rome pour assouvir sa soif de savoir. Son séjour à Rome se passa mal et fut bref, il reprit, alors, son bâton de pèlerin pour aller s'installer à Milan avec la promesse d'être professeur oratoire.
Ce qu'on sait de ce qui n'était, encore, qu'Augustinus, avec quelques zones d'ombre sur celle avec qui il partagea sa vie intime pendant une quinzaine d'années ; une concubine dont il partageait la foi manichéenne et l'enfant qu'ils eurent ensemble, Adeodatus, ce qui signifie donner à Dieu. D'elle, nulle trace jusqu'à son nom. Il parla de sa concubine avec chaleur dans les confessions, en ne donnant aucun détail pour l'identifier. On l'appellera «l'innommée» en référence au manque d'informations livrées sur elle dans les confessions.
Augustin était de philosophie religieuse manichéenne, avant sa rencontre fondatrice avec un autre père de l'église, Saint Ambroise à Milan, après avoir été subjugué par son éloquence et sous son influence il se convertit, en même temps que son fils âgé de 15 ans, au catholicisme à 32 ans en 386
Vers la fin 388, il fut de retour en Afrique après cinq années d'absence de son pays. Il sentit une joie immense en se faisant entraîner par l'élan de son fils pour écrire ensemble sur la vraie religion, afin de convaincre les manichéens de rejoindre le catholicisme.
La perte de son fils à l'âge de 17 ans provoqua en lui un vide incommensurable, lui donna envie de se lancer dans le combat de sa vie : l'amour de Dieu. En 395, poussé de force par la foule, il fut ordonné prêtre et nommé, dans la foulée quelques mois après, évêque d'Hippone en succédant à l'évêque Valérius décédé en 394. Il exerça ses fonctions jusqu'à l'année de sa mort en 430. Sa mort fut tragique, puisqu'il mourut en voyant sa ville livrée, à cor et à sang, à la terreur barbare des vandales.
Suite au décès, le 23 décembre 2019, du général de corps d’armée Gaïd Salah, à l’âge de 79 ans, c’est le général-major Saïd Chengriha (74 ans), commandant des forces terrestres, qui l’a remplacé par intérim à la tête de l’état-major de l’ANP. Très proche de longue date de Gaïd Salah, Chengriha a souvent servi à ses côtés (voir la photo ci dessous de l’un et l’autre à Tindouf, au début des années 1980).
Dans son livre La Sale Guerre (La Découverte, 2001), Habib Souaïdia a rendu compte des crimes dont s’est rendu responsable le colonel Saïd Chengriha lorsqu’il était, de mars 1993 à fin 1994, le commandant en second (puis par intérim) du secteur opérationnel de Bouira (SOB), rattaché au Centre de commandement de la lutte antisubversive (CCLAS). Il était alors le supérieur direct du sous-lieutenant Habib Souaïdia, affecté début 1993 au 25e régiment de reconnaissance (l’une des cinq unités des forces spéciales de l’armée chargées de la lutte antiterroriste), stationné à Lakhdaria pendant toute la période. Avec l’accord d’Habib Souaïdia, nous reprenons ci-après quelques extraits de son livre relatant certains actes du colonel Chengriha, qui s’est alors illustré par sa férocité.
Précisons qu’en 1995, le colonel Chengriha a été muté à l’École des blindés de Constantine où il est resté quelques mois, avant de rejoindre en 1996 la 8e brigade blindée stationnée à Sidi Bel-Abbès à l’ouest de l’Algérie. À ce titre, il a dirigé le Secteur opérationnel de Sidi Bel-Abbès (SOBA) et le Secteur opérationnel de l’ouest algérois (COWAL), qui étaient également rattaché au CCLAS et où il a continué à commettre et faire commettre à large échelle les crimes de guerre qui ont caractérisée la terrible guerre contre les civils conduite par les généraux janviéristes de 1992 à 2000. Rappelons que c’est dans cette région dont il était responsable jusqu’en 2003 que, fin 1997 et début 1998, eurent lieu dans la wilaya de Relizane de terribles massacres (plus de 1 400 villageois tués dans des conditions atroces), attribués aux « groupes islamiques de l’armée ».
Saïd Chengriha a été nommé général en 1998, puis général-major en 2003, occupant le poste d’adjoint au commandant de la IIIe région militaire (Béchar). Il en prend la tête en août 2004, jusqu’à sa nomination en juillet 2018 comme commandant des forces terrestres de l’ANP. La promotion de ce dernier, comme celles à de nombreux postes sensibles d’autres officiers ayant gagné leurs galons de criminels de guerre lors de la « sale guerre », a marqué un tournant majeur, confirmant au fil des mutations le rôle actuellement croissant de ces officiers à la tête de l’armée. C’est notamment le cas du général-major Amar Athamnia, qui commandait à l’époque (avec le grade de colonel) le 12e régiment de para-commandos (12e RPC), qualifié de « régiment des assassins » par Habib Souaïdia dans son livre, et qui a été nommé en 2005 par Gaïd Salah à la tête de la Ve région militaire (poste qu’il occupait encore fin 2019). Ou encore du général-major Mohamed Tlemçani, nommé en 2018 au poste de chef d’état-major des forces terrestres, qui avait commandé dans les années 1990 le 4e RPC, unité des forces spéciales ayant également commis alors des crimes de guerre dans l’Algérois et dans d’autres régions. La direction de la IVe région militaire a quant à elle été confiée en août 2018 à un autre parachutiste acteur de la sale guerre, le général-major Hassan Alaïmia, ex-commandant du 18e RPC installé dans les années 1990 à Boufarik (Blida) et d’autres régions de l’Algérois, là où ont eu lieu les pires exactions des forces spéciales de l’armée et des « groupes islamistes de l’armée » contrôlés par le DRS.
On peut penser que ces officiers et leurs pairs à la tête de l’armée feront corps autour de leur nouveau chef, le général Chengriha, pour agir de façon concertée face au hirak. Reste à savoir dans quel sens, celui du dialogue ou celui de la répression… En évoquant l’implication et la continuité des hommes à leurs postes, nous rappelons que la quête de justice et vérité pour la paix et la réconciliation reste au cœur des exigences du peuple algérien, qui n’ignore rien de son histoire récente. Ces officiers qui ont exécuté sans états d’âme les ordres des janviéristes ont l’occasion inespérée de modifier positivement leur bilan face au peuple et à l’histoire. Espérons qu’ils sauront la saisir…
Extraits du chapitre 6, La « Société nationale de formation des terroristes »
Mon arrivée à Lakhdaria [en mars 1993] a coïncidé avec l’installation d’un nouveau commandant de secteur : le général Abdelaziz Medjahed. Mohamed Lamari avait décidé de créer des « centres opérationnels de lutte antisubversive » (COLAS), qui regroupaient plusieurs secteurs militaires. Lakhdaria était ainsi rattachée au secteur opérationnel de Bouira (SOB) et commandé désormais par le général Medjahed, secondé par le colonel Chengriha. […]
L’été 1993 s’annonçait très chaud. Mais il ne s’agissait pas des conditions climatiques. Le général Medjahed et le colonel Chengriha nous avaient donné l’ordre d’incendier, avec de l’essence, plusieurs montagnes près de Lakhdaria et en Kabylie. Lakhdaria était connu pour être un lieu de transit des groupes terroristes : ils passaient par là pour se rendre en Kabylie, à Jijel ou dans l’Est du pays. Le terrain très boisé facilitait leurs déplacements : il était impossible de voir quoi que ce soit par hélicoptère. Le feu allait non seulement les déloger mais surtout dégager le terrain et nous permettre de voir de loin tout déplacement suspect. En raison des feux de forêts que nous avions allumés, la température atteignait parfois les 45 degrés. Des arbres centenaires brûlaient. Ce désastre écologique n’a pas manqué de faire des morts parmi la population civile. En Kabylie, par exemple, cinq personnes ont trouvé la mort. En l’espace de deux mois, des dizaines de milliers d’hectares de forêts et de pâturages ont été détruits. […]
Extraits du chapitre 8, La descente aux enfers
[Février 1994] Il s’est ensuite passé ce qui se passait systématiquement avec les personnes arrêtées. À chaque fois, les hommes du DRS basés chez nous demandaient des instructions au général Medjahed ou à son chef d’état-major, le colonel Chengriha. En général, l’ordre était toujours le même : « Habtouh lel-oued ! », c’est-à-dire « Fait-les descendre à l’oued ». Ce qui voulait dire : « Liquide-les » (pas nécessairement au bord de l’oued, ce pouvait être n’importe où). Je précise que nos chefs utilisaient également d’autres formules à peine codées pour ordonner de torturer les prisonniers afin d’obtenir des renseignements : « Traitez-les sur place », « Faite l’exploitation sur place » ou « Exploitez-les »… (ce n’est qu’ensuite qu’ils étaient exécutés).
Ce soir-là, vers 18 h 30, le lieutenant Abdelhak et deux officiers du 25e RR (les lieutenants Mounir Bouziane et Chemseddine Saadaoui) ont fait sortir des cellules le maire de Lakhdaria et ses cinq codétenus (qui avaient été arrêtés avant lui). Ils étaient dans un état lamentable, menottés avec du fil de fer et les yeux bandés. Ils les ont poussés, comme des bêtes qu’on mène à l’abattoir, dans un camion Toyota bâché (un véhicule appartenant à la commune et non à l’armée ; ils utilisaient souvent ce type de véhicule pour ces « opérations » très spéciales). On m’a donné l’ordre de sortir avec une quinzaine d’hommes en Jeep pour assurer leur protection de loin. Je les ai vus s’arrêter au bord de l’oued Isser. Ils ont fait descendre les six hommes, les ont contraints à s’agenouiller et les ont tués l’un après l’autre de deux balles de Klach dans la nuque. Ils ont laissé les corps sur place.
Lors des vingt-sept mois que j’ai passés à Lakhdaria, j’ai été le témoin direct d’assassinats de ce type au moins une quinzaine de fois. Ceux qui pratiquaient ces exécutions sommaires étaient aussi bien des hommes de notre garnison que des officiers venus d’Alger. Parmi les premiers, outre les lieutenants que je viens de citer, il y avait des officiers du 25e RR, du DRS de Lakhdaria et du SOB ; je peux citer le commandant Bénaïch (l’adjoint du colonel Chengriha), le colonel Chengriha lui-même et le commandant Ben Ahmed (qui a pris le commandement du 25e RR après le lieutenant-colonel Daoud, parti début 1994 pour faire l’école de guerre en Russie). D’Alger, venaient souvent des lieutenants et des capitaines du CPMI et des autres CMI : ayant recueilli dans d’autres secteurs des renseignements sur des suspects de notre région, ils venaient eux-mêmes les arrêter avec notre aide, puis ils les torturaient et les exécutaient. […]
Au mois de mai [1994], la vague d’arrestations a pris de l’ampleur à Lakhdaria. Une nuit, on m’a donné l’ordre d’accompagner avec mes hommes des officiers du DRS qui avaient une « mission ». Ces derniers, habillés en civils, ressemblant à des terroristes (ils avaient une barbe de quinze jours ; cela arrivait souvent : je savais que quand les hommes du DRS se laissaient pousser la barbe, c’est qu’ils préparaient une « sale mission » où ils se feraient passer pour des tangos), avaient des listes de noms. Arrivés dans un hameau, ils m’avaient demandé d’attendre à l’entrée du village. J’ai posté mes hommes tout autour de ces habitations précaires où dormaient des gens très modestes. Au bout de trois quarts d’heure, les quatre officiers étaient revenus avec cinq hommes. Les mains derrière le dos, ligotés avec du fil de fer, une cagoule sur la tête qui les empêchait de voir, ils marchaient en tremblant mais sans rien dire, comme s’ils connaissaient leur sort. À mon retour au PC, d’autres collègues, qui étaient sortis également avec des officiers du DRS, avaient ramené eux aussi des « prisonniers ».
Je me rappelle les noms de certains d’entre eux, que leurs familles considèrent aujourd’hui comme disparus ou dont elles pensent qu’ils ont été assassinés par des islamistes. Je tiens à apporter le démenti le plus catégorique sur ce point. Les personnes dont les noms suivent ont été assassinées en mai et juin 1994 par les militaires de Lakhdaria, sur ordre des généraux avec l’accord du colonel Chengriha, alors commandant du SOB. Il s’agit des frères Braiti, des frères Bairi, de Farid Kadi, Fateh Azraoui, Abdelwaheb Boudjemaa, Mohamed Messaoudi, Mohamed Moutadjer, Djamel Mekhazni et des frères Boussoufa.
Ces derniers, je les connaissais personnellement. L’aîné était un paisible père de famille et travaillait dans une usine de peinture, la SNIC, et l’autre était artiste peintre. Les officiers du CMI affirmaient qu’ils avaient des liens avec les terroristes. Mais ils étaient tout sauf des terroristes, j’en suis convaincu ; ils ne faisaient même pas de politique. Les frères Boussoufa ont été tués dans des conditions effroyables.
Je regardais ce manège : des gens qu’on arrête, qu’on torture, qu’on tue et dont on brûle les cadavres. Un cycle infernal : depuis mon arrivée à Lakhdaria, j’avais vu au moins une centaine de personnes liquidées. Que faire ? La question me taraudait l’esprit. Déserter ? Pour aller ou ? Rejoindre les groupes armés ? Pour tuer des innocents ? Non.
Je n’osais même plus parler pour plaider la cause de certains innocents : le colonel Chengriha, qui nous commandait depuis quelques semaines en remplacement du général Medjahed, m’avait déjà plusieurs fois rappelé à l’ordre. Je ne voulais pas susciter la colère des éléments du CMI, ni celle de mes supérieurs, et je me tenais à carreau depuis quelques semaines. J’avais pensé prendre des photos, mais je n’ai pas pu. Cela aurait éveillé les soupçons. À cette époque, j’étais décidé : à la première occasion, je déserterai à l’étranger et je parlerai de tout ce que j’avais vu. J’attendrai mon heure encore très longtemps… […]
Un soir du mois de juin 1994, mon supérieur, le colonel Chengriha, voulait effectuer une patrouille dans les rues de Lakhdaria : il lui arrivait de vouloir sortir juste pour se balader. Il m’avait demandé de l’accompagner avec ma section. Nombreux sont les officiers supérieurs qui ne prenaient aucun risque. Il était l’un d’eux. Eux étaient payés pour donner des ordres, nous, nous étions sous-payés pour mourir.
Nous avions pris cinq Toyota et nous faisions une ronde depuis une demi-heure quand un homme a surgi dans l’obscurité. Il quittait son domicile à minuit, après l’heure du couvre-feu. Le menaçant avec ma Kalachnikov, je lui ai ordonné de mettre les mains en l’air.
« Où vas-tu ?
– Je cherche des allumettes ! », me répondit-il avec nonchalance.
Le colonel Chengriha est sorti de sa Toyota pour voir ce qui se passait. Il m’a ordonné d’aller perquisitionner dans la maison. Avec cinq hommes, j’ai fait irruption dans le domicile du suspect. Soudain, un coup de feu a éclaté à l’extérieur. Je suis sorti en courant. L’homme gisait dans une mare de sang. Le colonel venait de lui tirer une balle dans la tête.
« A-t-il cherché à s’échapper, mon colonel ?
– Ce sont tous des terroristes. Viens, on part !
– J’appelle une ambulance ?
– Non ! Allez, on part. »
Le lendemain, les habitants du quartier trouvaient un cadavre : encore un acte terroriste… Qui était cet homme ? Je ne l’ai jamais su.
L’Algérie de tous les débats et de toutes les certitudes contraires… Un projet original, à la diffusion inédite, réunit dix-sept rêves ou cauchemars… on ne sait ? Ils dessinent une sociologie du pays par la fiction ou le témoignage, en faisant un pied de nez aux interventions plus « savantes ». Ils nous entraînent dans une autre Algérie…
J’ai rêvé l’Algérie est le fruit d’une collaboration entre la Fondation Friedrich Ebert Algérie et les éditions Barzakh, la maison d’édition littéraire algérienne la plus performante. Ce sont Amina Izarouken, chargée des programmes à la Fondation et Selma Hellal, responsable des éditions Barzakh, qui ont présenté le projet et sa réalisation. La question posée a été la suivante : « De quelle Algérie rêvez-vous ?», véritable bouffée d’oxygène dans la crise engendrée par la Covid 19. Le livre réunit des auteurs, de sexe et de génération différents, auxquels il a été demandé de traduire en mots leur subjectivité : « Celui-ci ne changera peut-être rien à notre réalité, écrit Amina Izarouken dans son « Avant-propos », mais trouvera, sans nul doute, écho auprès de celles et ceux qui s’acharnent encore à vouloir être libres de penser, de rêver et de bâtir ensemble ». Le projet s’est construit pour se donner « les moyens d’un ouvrage original, iconoclaste mais d’abord utile, autour d’une Algérie rêvée ».
Le collectif rassemble quatorze textes, également répartis entre fictions et témoignages. Ils font intervenir dix-sept auteurs et autrices – un des textes est écrit par les trois membres d’une même famille –, sept hommes et neuf femmes. La pyramide des âges se déploie de 1954 avec Arab Izar, à 1997 pour l’étudiant Zaki Kessai. Ainsi des écrivains connus et confirmés côtoient des auteurs débutants ou des « écrivants » pour lesquels l’écriture n’est pas l’occupation première. Mais tous ensemble et de texte en texte, ils donnent à lire une Algérie multiple dans ses réalités et ses espoirs. Des écrivains confirmés comme Chawki Amari, Hajar Bali, Habiba Djahnine et Samir Toumi côtoient des auteurs connus comme Salah Badis et Sarah Haïdar. Les onze autres viennent de différents secteurs professionnels et font partager leurs regards sur le présent et leurs constructions d’avenir. Il serait fastidieux d’analyser chaque création avec précision et ce serait réduire leur découverte par les lecteurs. Il s’agira donc ici d’aborder les thématiques du volume en nous attardant sur quelques-unes d’entre elles.
Si Alger m’était contée…
Commençons par l’invitation alerte, joyeuse de « La Balade du Centenaire » de Samir Toumi, auteur, il y a quelques années d’un récit plus dysphorique, Alger le cri. Sa promenade algéroise démarre « la place du 22 février » dont l’appellation commémore le centenaire du 22 février 2019 ; nous sommes donc en 2119. Le narrateur rappelle combien ce 22 février fut une naissance pour lui et une renaissance pour ses aînés, « enfants désabusés d’octobre 1988 ». Il en rappelle l’énorme élan mais aussi l’explosion, la durée, les arrestations et les provocations. Mais « notre arme ultime, le pacifisme, finit par triompher et un véritable régime démocratique fut instauré »… le premier rêve s’affirme ! Car le pays dont il parle, c’est « l’Algérie d’aujourd’hui, celle où je vis un heureux crépuscule, et où mes jeunes compatriotes envisagent, avec sérénité, leur avenir ». Ce vieillard heureux décrit la place qui ne connaît plus le trafic infernal et mortifère qui était le sien. Les transports ont changé : « il n’y a que des solarocyclettes, des électroplanches, ces capsules autonomes et des sunshineboards », nouveaux véhicules fonctionnant tous à l’énergie solaire. Ce qui n’est pas étonnant puisque Alger est devenue « une référence écologique mondiale »… !
Poursuivant son rêve, le narrateur rappelle le nom de la waliya d’Alger (préfète), Selma H., actrice de ce changement, il y a bien des années. On reconnaît aisément le nom de l’éditrice, Selma Hellal à laquelle est rendu ainsi hommage. Elle a été aidée par « le tout-puissant Parti écologiste algérien, le PEA ». Il s’arrête Place Maurice Audin face au « Lampadaire Khaled Drareni ». L’architecture et le mobilier urbain sont futuristes et, outre la description, il glisse une petite bio de Drareni – journaliste arrêté, encore en détention quand la nouvelle s’écrit –, sa libération et son devenir. Il emprunte ensuite la rue Didouche Mourad et fait admirer « la végétalisation totale des façades, des terrasses et de la rue ». C’est une véritable débauche d’arbres et de plantes, de jardins suspendus, de fontaines et d’oiseaux ; plus d’animaux domestiques, ils sont en liberté. On arrive à la cathédrale du Sacré-Cœur qui a conservé sa fonction, après avoir dépassé l’immeuble 90, « enchâssé dans un immense cube de verre » qui capte l’énergie solaire et permet ainsi aux lézards de se chauffer sur ses parois. Ainsi, l’Algérie a définitivement tourné le dos « à la destruction de la biosphère » et elle est une fédération très active parmi les quatre fédérations réorganisant le monde. Le capitalisme a été progressivement rogné au profit d’une organisation sociale et politique contre le profit et pour l’égalité. Le chemin pour ce fédéralisme a été long car il fallait éliminer l’exclusion et l’éradication des migrants. Le racisme est désormais passible de prison.
Sous de la Basilique du Sacré-Cœur, tout un complexe culturel a été installé. Mais le vieillard commence à être fatigué et renonce à sa promenade à pied. Il monte dans une capsule pour aller admirer la ville du haut de l’Aérohabitat dédié désormais aux artistes. Chaque étage porte le nom d’une grande figure du Hirak. Il est devenu « le parfait point de rencontre des engagements culturels et politiques ». Il est tard, la capsule le conduit au square Port-Saïd où il habite depuis de longues années. Il survole la ville qu’il aime tant : « J’ai l’impression de contempler des millénaires de souffrances, de combats et de douleurs, mais aussi d’espoirs et de victoires, si profondément inscrits dans le relief de la ville ». Il faut lire cette nouvelle pour ressentir le bien-être que procure cette promenade dans le rêve d’Alger réconciliée avec elle-même.
Une sociologie du pays
Si Samir Toumi fait le pari d’une projection ludique qui aborde, mine de rien, bien des sujets comme celui de l’écologie, la répression, l’égalité Femmes/Hommes et les migrants, le ton est beaucoup moins euphorique dans d’autres nouvelles dont on peut souligner le point d’attaque dominant. Du côté du diptyque pouvoir politique/médias, deux textes : « Smart-Country » de Hajar Bali imagine, en 2033, la visite-surprise d’un jeune journaliste, Abdou Labadi, à un ex-président, Joe Lahcène, à la veille de son jugement pour destitution. Cette confrontation de deux générations soulève la question du pouvoir même quand les intentions sont louables, les conditions d’exercice du journalisme et le niveau de vie des groupes sociaux. La seule remarque de Joe est de dire à Abdou : « J’espère que vous avez gardé votre sens de l’humour. C’est la seule chose qui m’impressionne encore aujourd’hui ».
Le second texte est celui de Chawki Amari qui livre son analyse acerbe, précise et désabusée des médias dans « Quand la machine remplacera le journaliste, qui écrit déjà sur une machine ». Il parcourt avec brio hier, aujourd’hui, demain et après-demain, posant la question « qui « suijent »-ils ? » du contre-pouvoir que doit être le journalisme. Il parvient à la conclusion que ce contre-pouvoir sera totalement neutralisé, à une exception près, l’humour « arme suprême du recul et finalement dernier ressort de l’humain ».
Salah Badis embraye, lui, sur une autre forme de communication, la publicité dans « Nous devons sauver l’avenir ». Il constate une particularité des publicités algériennes : l’absence « des ciels, des horizons ouverts, ou de navires fendant les flots ». Pour quelle raison ? L’Algérie est un pays tourné vers le passé. Un constat sonne étrangement en ces temps de débat houleux autour du « Rapport Stora » au Président Macron : « Après avoir entonné « Nous avons chanté la mélodie de la mitrailleuse » et promis la libération des peuples opprimés, l’Algérien est dorénavant isolé du monde, voire de ses compatriotes, habitant des villes reculées, ne se battant qu’à propos de certains détails de l’histoire, le plus souvent insignifiants mais qu’il imagine fondamentaux – ersatz d’un pacte social inexistant ».
Khadidja Boussaid, quant à elle, affirme dans « Rêver la recherche scientifique autrement », le dysfonctionnement de ce secteur – hiérarchie non justifiée dans l’échelle des compétences, répartition injuste des crédits, etc. – interpellant le lecteur pour que, tous ensemble, nous nous indignons « selon l’invitation de Stéphane Hessel », « car l’indignation ouvre les chemins de l’espérance ».
Deux témoignages tentent la confrontation des générations et des idées, appelant au débat fructueux et non au pugilat. « De quelle Algérie rêvent Bouchra, Fériel et Zaki ? » de Bouchra Fridi, Fériel Kessaï et Zaki Kessaï, juxtapose les rêves de la mère, née avant 1962, de la fille née en 1988 et du fils, né en 1997. Cette juxtaposition est particulièrement éloquente quant aux réalités et aux rêves de chacun.
« L’Agora » d’Akçil Ticherfatine invente une discussion telle qu’il la rêve dans son Algérie du futur. Les interlocuteurs réunis sont une lycéenne, un vieux, un homme de foi, un démocrate, une féministe, un militant culturel, chacun abordant les sujets qui lui tiennent à cœur : « une génération qui écoute sans interrompre, qui s’écoute dans l’attention et qui agit sans hésitation pour construire dans la durée l’avenir qui fut confisqué par le passé ». On remarque toutefois que cette assemblée idyllique n’échange pas vraiment mais qu’elle est une juxtaposition de rêves « pour qu’un semblant de vivre-ensemble s’installe dans cette Algérie qui est nôtre ».
Il revient à Arab Izaar, le plus âgé, d’écrire un récit parcourant la longueur de sa vie et de celle de son entourage. Un récit classique et sympathique pour mesurer le temps écoulé et les espoirs encore possibles, sous la bannière du poète Louis Aragon, « Des rêves modestes et fous ». Il faut faire émerger un monde où le « nous » est remplacé par le « je » :
« Le crime de rêver je consens qu’on l’instaure Si je rêve c’est bien de ce qu’on m’interdit Je plaiderai coupable il me plaît d’avoir tort Aux yeux de la raison le rêve est un bandit ».
Femmes à la barre
Poursuiv cet aperçu des textes du collectif, Souad Labbize analyse les trois nouvelles de jeunes autrices, Wiam Awres, Atiqa Belhacène et Sarah Haïdra, toutes dénonciatrices du présent, avec douceur ou brutalité. La première nouvelle de l’ouvrage, La dernière danse, de Wiam Awres, commence par les yeux fermés d’Assia plongée dans un rêve. La narratrice curieuse de connaitre le contenu du rêve de son amie, évoque un enterrement mixte où le cercueil d’une grand-mère est porté par femmes et hommes se relayant, sans que le lecteur non-averti – disons une lectrice ignorant la coutume musulmane interdisant les obsèques aux femmes – puisse y déceler l’élément intrus, tant la narration n’en fait pas un fait remarquable. Nous qui avons été interdites d’obsèques dans nos sociétés, savons combien cette banale participation à la mise en terre relève de l’impensable pour la moitié de la société dont la présence au cimetière n’est pas tolérée au moment de l’enterrement. Wiam Awres commence son Algérie rêvée par le droit banal mais combien symbolique de pouvoir accompagner un(e) proche à sa tombe, processus incontournable pour initier le deuil et appréhender concrètement la perte et mieux l’accepter avec ses mystères et sa douleur. Pourquoi les femmes qui donnent la vie ne peuvent-elles pas enterrer ou accompagner un(e) enfant, une mère, un(e) aimé(e)? Nous l’ignorons, les motifs invoqués sont dérisoires, comme toute l’armada d’argumentaires justifiant les différences entre les sexes qui nient aux femmes des droits élémentaires même quand celles-ci affrontent la perte d’un(e) proche. Nous voilà, comme dans un travelling de film, allant des paupières d’une rêveuse, au cimetière lors d’un enterrement, au labo de botanique d’Alger où l’on procède à la numérisation des espèces végétales pour toute l’Afrique du Nord, en prenant en compte les noms en arabe dialectal, la derja, et le tamazight. Travelling commencé sur des paupières, rideau protégeant l’intimité d’un rêve et quittant le lit partagé par la narratrice avec l’amie endormie et suivant l’itinéraire libre d’un personnage qui l’est aussi. Oui, pour qui connait la société de la jeune autrice, il est rapide d’entrer dans le récit par la lucarne du rêve. Il y a tant de rêves à faire et refaire pour affronter le quotidien si compliqué pour tant d’Algérien(ne)s. Ce récit pose le décor improbable d’une société où une jeune femme quitte le lit conjugal laissant sa partenaire endormie au milieu de ses rêves pour marcher dans le quartier en pleine nuit, et nous lectrices ne sommes pas prises de panique. A une heure du matin, il ne lui arrivera rien, grâce à la liberté de Wiam Awres de nous promener dans son Algérie rêvée, avec la poésie et la force narrative tranquille, faisant aimer des adultes partageant leur intimité amoureuse sans que cela ne paraisse suspect. Un récit calme où des Algériennes ne rendent pas de comptes au patriarcat et ses généraux moustachus ou barbus, tout simplement parce que cette vie rêvée parait des plus banales, sorte de minimum syndical d’un pays où les femmes vivent pleinement leur vie comme si c’était un rêve. Quoi de plus ordinaire qu’une mère de famille qui tournoie seule, comme un derviche autour de lui-même, la nuit dans la rue? C’est cela l’Algérie dont nombre de femmes et de fillettes rêvent, une société faite de liberté d’aimer, de sortir la nuit, de danser seule sans que cela ne fasse « mauvais genre ». J’imagine la déception d’une lectrice non-initiée aux tabous et difficultés sociales contournées par ce récit où chaque séquence doit être expliquée comme étant une clé ouvrant une des nombreuses portes qui nous enferment, nous citoyennes vivant au cœur d’un patriarcat étouffant.
Saisie, acculée, qui ne l’est pas en commençant la lecture de la nouvelle intitulée Capharnaüm, d’Atiqa Belhacène, récit qui démarre le 49 juillet 2199, avec ce bout de journal: « (…) nous avons fini par être broyées. Fourmillant comme un million de teignes, les corps des hommes se sont entassés dans nos mémoires peuplées de lassitudes et nous ne les avons plus comptés.» J’aurais pu m’écrier cette interjection devenue familière sur les réseaux sociaux: « Oh my God! » Ces lignes ne ressemblent pas à une entrée en rêve, ce début de récit propulse dans le cauchemar en cours que l’écriture rend supportable, viable. Ce début de texte est en soi mon Algérie rêvée, celle du jeu littéraire des images qui cognent avec des gants de velours. On n’entre pas impunément dans le rêve d’autrui, surtout s’il s’agit du capharnaüm de femmes poussées vers la prostitution. « Nous n’étions pas des épaves échouées aux rivages des maisons closes quand, pour la première fois, nous avons écarté les jambes contre l’assurance de pouvoir dîner ». Il faut lire et relire les phrases du premier paragraphe pour accepter de s’asseoir dans un coin de ce récit bouleversant et attendre la suite. C’est ce que j’ai fait et dans le ravissement des images, j’ai vu passer l’horreur, des femmes, des chiens, des bébés et des hommes. « Mendiante le jour, prostituée la nuit, Manel avait négocié son vagin auprès des gardiens du jardin : contre cinq cents dinars la passe, elle avait son coin à l’aile ouest où elle pouvait allonger son bébé et s’assoupir quelques heures avant le crépuscule, les laissant à leur shit et à leurs bières ». La suite nous projette dans quelque chose de l’univers intraitable de Sofi Oksanen, autrice de l’impressionnant Purge et nous voilà à la rue, mais à Oran, en Algérie, avec la jeune narratrice, suite à un avortement non-consenti opéré par le père chirurgien : « Nous avons fui cette nuit-là, mon utérus et moi». Comment passer dans un récit d’une phrase décrivant une scène de conflit familial au tribunal où des frères tentent de déshériter leur sœur reniée – « la meute contre la putain, ils s’imaginent certainement capables de me dévorer toute crue » –, à une déclaration adoucissant soudain tout le reste du récit : « (…) la vie m’a donné ce qu’il y a de mieux dans ce monde : une vie de femme parmi les femmes » ? Ce sont les images employées par Atiqa Belhacène pour dépeindre ce capharnaüm, c’est la force de sa poésie qui allume une bougie dans les réduits où la conscience collective range ces vies-là, les prostituées.
« J’ai partagé mes gains avec rqaya en contrepartie de ses clients, et aujourd’hui, Manel a les miens, et me reverse la moitié de ses recettes ». S’agit-il d’un cauchemar ou d’une Algérie rêvée où la narratrice et les autres prostituées vivront en 2200 ?
Petit scénario d’anticipation à l’usage des tyrans commence en prison, sur des propos dénotant une grande liberté d’expression. On comprendra, à la fin du texte, que ce sont les propos de rescapées de ce mouroir. Cette « prison des glaïeuls » centre de détention pour femmes est décrite ainsi : « abri de chiennes errantes et malades ; fourrière où s’entassent les accidentées de la vie ; cimetière grillagé où palpitent encore des cœurs pleins de haine et de tendresse. Ici, nous faisons cohabiter nos démences et, devant les murailles et les miradors, danser le peu de rage qui nous reste ». La parole est donnée aux prisonnières et la conversation entre deux détenues donne à voir leur liberté de pensée et de langage. Ici aussi, les faits se conjuguent au féminin et dès les premières lignes, arrive le mot « baiser » dans la bouche d’une détenue, suivi de ce passage : « Dahbia doit commencer à sentir les électrodes du plaisir lui courir sur le corps sous les coups de langue de Kaïssa ». L’espace carcéral est un lieu certes enfermant et injuste mais les détenues y vivent l’impensable et s’expriment crûment sur des sujets habituellement tabous. « Repues d’une liberté scandaleuse, nous avons refusé de désobéir au démon ». Peu à peu, la relative liberté perçue dans le langage et l’attitude des détenues envahit l’espace textuel et le petit scénario d’anticipation du titrese précisedans une écriture serrée et une langue affranchie : « C’est de cette haine, poème sans fin et élégie noire, que je me nourris désormais, comme d’une beauté inépuisable ».
Sarah Haidar évoque le projet de révolution qui s’annonce : « On ne pouvait plus acheter le silence international à coup de ventes au rabais de la terre et des êtres ». A l’automne 2032, une révolte des femmes dont on n’a pas cherché à identifier les « coupables » a entraîné une décision arbitraire : envoyer en prison toute personne du sexe féminin de plus de 15 ans. Les détenues déjà là voient arriver ces nouvelles recrues. Elles déclenchent une grève de la faim de « trois cent vingt-cinq jours, deux heures et trente deux minutes ». Sur les « cinquante-trois-mille-deux-cent-treize détenues », il ne reste que quelques rares survivantes : « Lorsque les portes s’ouvrirent et que le premier soleil non filtré par les barbelés nous caressa les cheveux, nous n’étions plus que quelques dizaines… ». La foule les exhorte à reprendre des forces, « pour la suite… »
Une présence et une revendication : l’égalité
D’un texte à l’autre, même quand ce n’est pas le sujet central comme dans ces trois nouvelles, la présence des femmes s’impose. Dans la nouvelle futuriste de Samir Toumi, deux noms de femmes sont mis en valeur : Selma H. et Amira. Dans celle d’Hajar Bali, c’est Zohra, femme de l’ex-président déchu dont on rappelle assez longuement le combat, elle qui s’est battue « comme une lionne, pour faire abolir le code de la famille » et parcourir l’Algérie pour faire accepter les réformes. Mais dans ce smart-country, il y a aussi Atiqa, la vieille bonne dont ce président, pourtant tolérant, ne peut se passer comme tout homme qui a besoin d’une femme pour survivre au quotidien.
C’est vrai aussi dans le récit de Mohamed Larbi Merhoum, « Hamma 2034 : le fabuleux destin de Betbota » où l’héroïne annoncée dans le titre ne fait son entrée qu’aux trois quarts du récit. Dans ce texte écrit par un architecte, l’autre sujet, la réhabilitation du quartier du Hamma à Alger, tient le devant de la scène. Rappelant le soulèvement populaire du printemps 2019, le narrateur affirme : « nous avions redécouvert l’envie de rêver, de dessiner notre destin ». Après l’énumération de tous les obstacles, une amélioration de la vie politique avait su s’imposer, en neutralisant le FLN et en imposant le pluralisme, en reformatant tous les partis politiques. L’économie informelle avait pu être éliminée et les transactions financières mises au pas. Plus de médecine gratuite mais un sytème de santé réorganisé : « Nous qui militions pour rêver algérien, réfléchir algérien et donc agir algérien, étions enfin écoutés ».
C’est à la faveur de cette transformation longuement évoquée que le narrateur fait entrer en scène une nouvelle Maire élue qui a redressé la situation, aidée d’une femme, devenue architecte, au destin arraché à la misère : « Betbota, Louisa de son vrai prénom, était l’architecte de la commune. Née de père inconnu, elle avait passé son enfance dans un squat, derrière l’hôtel Sofitel ». C’est sa silhouette rondelette qui lui avait valu « le sobriquet de Betbota ». Rénovant le quartier, les deux femmes rebaptisent les rues, les places, les monuments… E le récit se termine par l’imminence d’un tournoi de football scolaire féminin où le collège laïc Kateb Yacine va jouer contre le collège musulman Benbadis.
Il nous faut parler aussi de l’attachant récit de Louisa Mankour qui raconte « L’Histoire de G. » dans un service de neurologie. Elle entraîne le lecteur dans une étude de cas, avec délicatesse et précision. On suit le parcours de cette jeune fille atteinte d’une maladie génétique et qui, même si elle ne peut être guérie, peut être améliorée, ce à quoi s’emploient les différents services de soignants. Le lecteur se laisse guider jusqu’au terme de l’histoire, rêvant de ce service performant et humain… Il tombe alors sur un « Erratum » : « Rien de s’est déroulé comme je vous l’ai raconté, tout ce qui précède est un rêve, non pas au sens onirique mais au sens utopique du terme ». Et les dernières pages sont consacrées à dire la vérité, à « ré-embobiner » cette histoire : « En réalité je ne rêve pas, je suis complètement désespérée ». Louisa Mankour a 30 ans et est neurologue dans une structure publique.
Terminons par le rêve de Habiba Djahnine, « Terre inconnue », blason de l’ensemble des textes. Il s’affirme dès ce titre comme un espoir et un mystère. Les strophes s’égrènent au rythme des interrogations que se posent tous les auteurs de ce collectif. Les deux premières sont lourdes de lucidité :
« Avons-nous un pays de rêves ? Ou un pays de fantômes ? »
Et une réponse s’énonce, non moins réaliste :
« Je ne rêve pas pour l’Algérie Année après année, j’apprivoise mes Cauchemars »
Ce long poème n’est-il que désillusion et désespoir ? Non, car il éveille au fur et à mesure de son avancée la solidarité de la lutte, la méfiance pour ne pas s’emballer inutilement. Aussi, le poème peut affirmer :
« Je rêve de mots barricades Je rêve de mots pour nous réinventer Des mots qui riment avec la liberté tant chantée Elle est si seule dans mon rêve, la liberté ! »
L’action est préférable au rêve qui apparaît comme un leurre anesthésiant :
« Je m’éloigne pour regarder le paysage Qui s’offre telle une destinée contrariée »
Pour s’élancer véritablement vers un autre horizon, faut-il « rompre avec la mémoire des morts » ? Le souvenir d’enfance vient confronter le présent à un passé, un passé où une porte s’ouvrait sur la présence rassurante du père :
« Pour croire, encore croire, que les espérances Aussi sont belles Comme une aube en compagnie du père »
Mais le présent dessine
« Une géographie des tragédies Des disparus Des disparus Des disparus »
Peut-être l’imprévu est-il en marche ? Entre question et tension vers le possible, le poème s’achève dans la lucidité de l’incertitude :
« Je marche dans un désert brumeux Chaque pas me mène vers une terre inconnue J’ignore s’il s’agit du monde des rêves J’ignore si le rêve est encore possible D’autres disent que le rêve est ce qui reste Lorsque tout est perdu Avons-nous tout perdu ? »
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