L’Algérie vue depuis le ciel, racontée par le carnet de route d’un enfant du pays. Un voyage entre géographie et histoire humaine qui révèle un pays aux richesses insoupçonnées et tend au chemin initiatique.
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L’Algérie vue depuis le ciel, racontée par le carnet de route d’un enfant du pays. Un voyage entre géographie et histoire humaine qui révèle un pays aux richesses insoupçonnées et tend au chemin initiatique.
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Rédigé le 30/06/2024 à 15:56 dans Algérie | Lien permanent | Commentaires (0)
Un Algérien de France s'adresse à un frère resté au pays pour raconter l'Algérie d'aujourd'hui, filmée depuis les airs par Yann Arthus Bertrand. Le documentaire est construit autour d'un voyage en trois parties. Le nord, moderniste, est tourné vers la Méditerranée, tandis que le centre est fait de régions rurales et traditionnelles. Enfin, le grand sud est comme un autre monde, avec son immense désert. ---
Rédigé le 30/06/2024 à 15:21 dans Alger | Lien permanent | Commentaires (0)
Réagissant à ces résultats, Emmanuel Macron a appelé à un « large rassemblement démocrate et républicain » au second tour.
Le parti d'extrême droite Rassemblement national (RN) et ses alliés arrivent largement en tête du premier tour des élections législatives anticipées en France, avec plus de 34% des voix, selon de premières estimations.
L'extrême droite distance à ce stade l'alliance de gauche du Nouveau Front populaire (28,5% à 29,1%) et encore davantage le camp d'Emmanuel Macron (20,5 à 21,5%), selon ces premières estimations. Le RN obtiendrait une large majorité relative à l'Assemblée nationale voire une majorité absolue selon trois projections en sièges.
Réagissant à ces résultats, le président Emmanuel Macron a appelé à un « large rassemblement démocrate et républicain » au second tour des élections législatives en France face au RN. « La participation élevée au premier tour (...) témoigne de l'importance de ce vote pour tous nos compatriotes et de la volonté de clarifier la situation politique », a-t-il dit dans une déclaration écrite. « Face au Rassemblement national, l'heure est à un large rassemblement clairement démocrate et républicain pour le second tour », a-t-il ajouté.
« Alternance politique »
S'exprimant de son côté la première à ses partisans, la cheffe de l'extrême droite Marine Le Pen a appelé à « lancer le redressement de la France » avec le parti de l’ « unité et la concorde nationale ». Prônant une « alternance politique », elle a demandé aux Français d’accorder une majorité absolue au RN au second tour pour que Jordan Bardella soit nommé Premier ministre, prévenant que sous la barre des 289 députés, il n’aurait pas la marge de manœuvre nécessaire pour appliquer son programme. En remerciant « chaleureusement les électeurs », elle a appelé à choisir au second tour « la coalition de la liberté, de la sécurité et de l’unité ». Dans une allusion à la polémique sur les restrictions possibles contre les binationaux, la tête de file du RN a affirmé qu’« aucun Français ne perdra de droits ». « Ce 30 juin renaît l’espérance, mobilisez vous pour que le peuple gagne », a-t-elle conclu.
Deuxième à prendre la parole, Jean-Luc Mélenchon, chef de file de La France Insoumise, a affirmé que ce vote a « infligé une lourde et indiscutable défaite » au président et au parti présidentiel. Celui qui était accusé d’être un repoussoir pour les électeurs du centre a fustigé Emmanuel Macron pour »avoir poussé les électeurs à choisir entre lui et le RN », estimant que la formation de l’union des gauches avec des candidatures communes dès le premier tour et le bond de la participation « ont déjoué ce piège ». Jean-Luc Mélenchon a salué l’engagement de la jeunesse et des quartiers populaires lors de ce scrutin, appelant à donner une majorité au NFP, « car il est la seule alternative », alors que de nombreuses triangulaires incluent des candidats de gauche. S’il n’a pas appelé à voter pour d’autres partis, le dirigeant de LFI a affirmé que le NFP se retirera des triangulaires où il est arrivé troisième. « En toute circonstance (...) notre consigne est simple, directe et claire, pas une voix, pas une siège de plus pour le RN », a-t-il conclu.
OLJ/AFP / le 30 juin 2024 à 21h11
https://www.lorientlejour.com/article/1418801/lextreme-droite-largement-en-tete-au-premier-tour-des-legislatives-le-camp-de-macron-en-troisieme-position.html
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Rédigé le 30/06/2024 à 15:05 dans France | Lien permanent | Commentaires (0)
Qu’ils soient candidats, militants, élus ou anciens ministres, ils constatent un déferlement de haine décuplé par la montée de l’extrême droite en France, jusqu’à Najat Vallaud-Belkacem, dont la binationalité a été pointée du doigt par le député sortant RN Roger Chudeau sur BFMTV jeudi.
Qu’ils soient candidats, militants, élus ou anciens ministres, ils constatent un déferlement de haine décuplé par la montée de l’extrême droite en France, jusqu’à Najat Vallaud-Belkacem, dont la binationalité a été pointée du doigt par le député sortant RN Roger Chudeau sur BFMTV jeudi.
« Je« Je pense que c’était une erreur, et que ce n’était pas une bonne chose pour la République. » Ce sont les mots du député sortant du Rassemblement national (RN) Roger Chudeau, tenus sur le plateau de BFMTV jeudi 27 juin. Il y faisait référence à l’ancienne ministre de l’éducation nationale Najat Vallaud-Belkacem, et à sa double nationalité, qui aurait dû, selon lui, l’empêcher d’arriver à de telles responsabilités. « Les postes ministériels doivent être détenus par des Franco-Français, point final. » Et d’ajouter : « Il y a un problème de double loyauté, à un moment donné. »
Ces déclarations s’inscrivent dans un contexte bien particulier : celui des élections législatives prévues les 30 juin et 7 juillet, fortement marquées par la montée du RN et de ses idées mortifères, et par des violences physiques et verbales que subissent de plus en plus de personnes racisées, y compris parmi les candidat·es, militant·es, élu·es ou ancien·nes ministres. « Ce qui me surprend, c’est la surprise des observateurs », tacle Najat Vallaud-Belkacem, soulignant que le signe distinctif de cette formation politique – le RN – n’est autre que le racisme.
« Ce n’est que cela. Le reste, les cravates, le programme social, les belles paroles, c’est de l’habillage. Que les gens soient surpris montre à quel point on a réussi à se faire manipuler collectivement, au point d’oublier quel est l’ADN de ce parti », pointe celle qui est aujourd’hui présidente de l’association France terre d’asile. Rien de nouveau, estime-t-elle donc, davantage outrée par la légitimité désormais donnée à un parti d’extrême droite. Qu’on lui reproche – encore – sa binationalité ? « Je suis exposée à ce type d’accusation depuis des années. »
Et d’ajouter : « Je vis en France depuis quarante-deux ans, j’ai été adoptée par ce pays et j’en ai embrassé les valeurs. Malgré cela, on me renvoie à mon origine, et à travers moi les millions de Français qui sont binationaux ou ont un parent immigré. »
« On ne sera jamais assez français à leur goût. La chasse à ceux qui ne leur ressemblent pas est ouverte, on est dans l’assignation identitaire la plus totale », déplore-t-elle, constatant que les partisans du RN ne s’en prennent pas seulement aux étrangers et étrangères en situation irrégulière ou dit·es délinquant·es, mais aussi à celles et ceux qui « réussissent » et « s’intègrent ». « Ça, ils ne le supportent pas. »
Cette violence, Sabrina Ali Benali, candidate sous la bannière Nouveau Front populaire (NFP) en Seine-Saint-Denis, la décrit comme étant « impressionnante ». Auparavant, dit-elle, « c’était surtout sous pseudo sur les réseaux sociaux ». Aujourd’hui, c’est « open bar ».
Cette médecin franco-algérienne évoque des centaines de messages racistes reçus chaque jour depuis le début de la campagne, l’invitant à « rentrer au bled » et invoquant l’arrivée au pouvoir du RN pour la « dégager ». « On a aussi franchi un cap dans le vocable. C’est fasciste, ils parlent de race, nous qualifient de parasites, me disent que je devrais m’agenouiller devant la race blanche qui est supérieure… »
À cela s’ajoutent des insultes sexistes et des amalgames autour du terrorisme. « Maintenant, c’est Arabe = musulman = terroriste. Quand on sait que ma famille a fui les années noires en Algérie, c’est dur d’être assimilée à ça », confie-t-elle.
La candidate dit ressentir de la « peine » pour ses proches, arrivés en France et « partis de rien », soucieux de « s’intégrer » au point de ne pas enseigner l’arabe à leurs enfants, dont elle fait partie. « On l’a su bien plus tard mais c’était pour nous éviter de subir le racisme qu’ils avaient vécu. »
Pour se préserver et poursuivre le combat, Aly Diouara, candidat NFP en Seine-Saint-Denis également, tente de ne pas s’attarder sur les messages haineux qui lui parviennent. En tout cas pas dans leur intégralité.
« C’est extrêmement violent. On me dit que je vais retourner en Gambie, on m’insulte de singe [Aly Diouara est noir – ndlr]. Des trucs d’un autre temps », déplore-t-il, qui lui sont adressés sur les réseaux sociaux mais aussi par mail. Jusqu’ici, lors des tractages en circonscription, il dit avoir été épargné par des agressions verbales ou physiques.
« Mais quand je vois le chauffeur de bus agressé puis renversé dans le Val-de-Marne, on se demande comment on en est arrivés à un tel niveau de violence et de racisme assumé. »
À Belfort, le militant Karim Merimèche a vécu ces violences sur le terrain, alors qu’il tractait pour le candidat sortant La France insoumise (LFI) Florian Chauche le 17 juin, comme le rapporte France Bleu. « On s’est retrouvés sur un parking à la Roseraie, raconte-t-il à Mediapart. J’ai tendu un tract à deux hommes se trouvant dans une voiture, qu’ils ont refusé de prendre. »
Ces derniers expliquent au militant qu’ils votent « Front national, euh, Rassemblement national ». La suppléante du candidat, Mathilde Regnaud, aurait alors demandé s’ils avaient conscience de « voter pour un parti raciste ». « Ils ont répondu qu’ils n’étaient pas racistes et que le parti ne l’était pas non plus », poursuit Karim Merimèche.
Mais après avoir digressé sur l’élection de Mitterrand, « ils [lui] demandent où [il] étai[t] à ce moment-là ». « J’ai compris où ils voulaient en venir, alors j’ai précisé que j’étais né en France. » Il ne s’attendait pas à un tel déferlement.
« L’un des hommes m’a dit : “Rentre dans ton pays, sale bougnoule, dégage, rentre chez toi.” J’étais choqué, je n’ai rien dit et je me suis éloigné. Mais il a continué, en me traitant encore de “sale bougnoule de merde” et en disant à Mathilde d’aller “se faire sauter par les bougnoules”. »
Deux témoins de la scène parviennent à identifier l’homme, à bord d’un véhicule de fonction de la société Optymo, chargée des transports en commun dans le Territoire de Belfort.
Karim Merimèche a porté plainte le lendemain, mardi 18 juin, pour injures à caractère racial. Il ne comprend pas comment « on a pu en arriver là aujourd’hui », condamnant l’idéologie raciste, xénophobe, sexiste et liberticide de l’extrême droite. « Je l’ai très mal vécu, j’en ai fait des nuits blanches. Être renvoyé à son origine et sa couleur de peau après tout ce qu’il s’est passé dans l’histoire est incompréhensible. »
Vendredi 28 juin, la députée sortante et candidate NFP Mélanie Thomin a dénoncé, dans un communiqué, les « attaques racistes » subies par Kofi Yamgnane à Paris jeudi 20 juin. Ancien ministre et ancien maire de la commune de Saint-Coulitz (Finistère), ce binational franco-togolais a été agressé sur un quai de la gare Montparnasse à Paris, relate-t-il au Télégramme.
« Toi, tu as intérêt à te préparer à rentrer chez toi en Afrique », « On va vous foutre tous dehors », a asséné un passant en croisant sa route. « Je sens qu’il se passe quelque chose de différent, que les racistes se sentent libérés », a-t-il confié au quotidien régional.
« J’ai oublié de dire ma tristesse face à tout cela », conclut avec amertume Najat Vallaud-Belkacem, qui ne croit pas aux démentis de Marine Le Pen quant aux attaques de Roger Chudeau mais se raccroche aux nombreuses expressions de soutien reçues depuis jeudi.
Pour l’ancienne ministre, la question qui se pose désormais est la suivante : veut-on exclure un Français sur cinq, sachant que 13 millions de personnes sont immigrées ou ont au moins un parent immigré, selon l’Insee ? « Il faut élever notre seuil d’intolérance collective face au racisme, comme on a pu le faire face au sexisme. »
Nejma Brahim
https://www.mediapart.fr/journal/france/280624/les-attaques-racistes-impregnent-la-campagne-des-legislatives-comme-jamais
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Rédigé le 30/06/2024 à 09:06 dans France, Racisme | Lien permanent | Commentaires (0)
À la veille des élections législatives, le collectif Arabengers a tenu samedi 29 juin un événement public pour « raconter l’Algérie », bien loin du récit révisionniste tenu par une extrême droite nostalgique du « temps béni » des colonies.
Les Arabengers, groupe de jeunes femmes maghrébines binationales, composé de journalistes, de réalisatrices et d’historiennes, avaient prévu de longue date de tenir la deuxième édition de leur événement « Raconter l’Algérie » samedi 29 juin. Elles avaient trouvé des artistes pour la fin de soirée, du rappeur Fianso à la chanteuse Flèche Love, et étaient dans les dernières finitions quand Macron a dissous l’Assemblée nationale.
Dans la salle du Dock B, bar de Pantin où se tient l’événement, on discute de l’Algérie, de la Palestine, mais aussi, surtout, de l’extrême droite et des élections législatives. Des keffiehs sur les épaules, des drapeaux kabyles et algériens sur les murs. Et à la question habituelle : « Ça va ? », nombreuses sont celles et ceux qui répondent « pas trop », voire « pas du tout ». Car les Algérien·nes, arabes ou kabyles, binationaux et binationales, enfants et petits enfants d’immigré·es, savent qu’avant de prendre le nom de Rassemblement national (RN), le Front national (FN) s’est construit sur la haine du peuple algérien et dans la nostalgie du temps des colonies.
« On n’a jamais pensé à annuler l’événement. C’est un vrai souffle pour nous, dans ce contexte particulièrement étouffant », explique Farah Khodja, juriste d’origine algérienne, membre des Arabengers et créatrice de la plateforme en ligne Récits d’Algérie, dont le but est de recueillir des témoignages d’Algérien·es et de Français·es qui ont été acteurs, actrices, témoins ou victimes de la guerre d’indépendance. « On raconte notre histoire nous-mêmes, ce qui nous permet aussi de nous inscrire contre celles et ceux qui la réécrivent en niant les violences subies par le peuple algérien. »
Yasmine, étudiante en communication originaire du Pas-de-Calais, et sa copine Kaissa, étudiante en droit, sont venues de Lille. « En ce moment, c’est un cauchemar. On n’est pas appréciés en France et on le sent dans la rue », assure la première. « À la fac, c’est un peu compliqué, complète la seconde. J’ai passé un oral au premier semestre dont je me souviens encore. Ma copine – maghrébine – passait avant moi. Elle est sortie en pleurs parce que l’une de nos professeurs lui a lancé : “Mais tu parles français, toi ?” Elle est née et a grandi en France. » Et de se réjouir de participer à un événement où elles ne sentent pas jugées pour ce qu’elles sont.
À l’unisson, les participant·es disent leur crainte de voir l’extrême droite imposer un ordre racial en France par la « préférence nationale », instaurer une ambiance où les racistes les plus violent·es se sentiront encore plus autorisé·es à agir.
« Déjà que les flics venaient nous violenter dans nos quartiers régulièrement, là ça va être pire, anticipe Lucie, étudiante franco-algérienne venant de Thiais (Val-de-Marne). Tous les ans, on a un mort dans nos quartiers, mais si le RN arrive au pouvoir, on devra aussi s’inquiéter des fachos qui vont se sentir pousser des ailes. »
La jeune femme regrette également la résignation d’une partie des personnes racisées en France : « Mon père a toujours subi le racisme. Pour lui, c’est ancré dans le pays. Il n’y croit plus. Moi je crois que notre génération de descendants de colonisés a davantage les armes pour analyser ce qu’on vit. »
Près de l’espace livres de l’événement, tenu par la librairie indépendante de Nanterre El Ghorba mon amour, des jeunes gens découvrent l’autrice algérienne Assia Djebar. Auprès de Mediapart, May*, juriste internationale, d’origine libanaise et algérienne, conseille de relire Frantz Fanon : « Le racisme a un effet clinique sur nos corps. Le mal-être qu’on peut ressentir est lié à cette coupure avec notre héritage », dit-elle. Elle raconte le « bien fou » que peut faire ce genre d’événement : « Arabengers, c’est aussi une communauté de personnes qui ont le même vécu et qui se rendent compte, ensemble, qu’on n’est pas fous, le racisme qu’on vit est bien réel. »
À plusieurs reprises dans l’après-midi, au fur et à mesure que les tables rondes se succèdent, les intervenants et intervenantes racontent l’importance de ne pas se laisser confisquer le récit franco-algérien.
Donia Ismail, journaliste à Slate et membre d’Arabengers, le rappelle : « Demain on vote, pour le Front populaire. Le RN, s’il arrive au pouvoir, fera la misère à tout le monde. Mais les Algériens et les Algériennes seront les premiers à en prendre plein la gueule parce que ce parti d’extrême droite a une histoire profonde avec l’Algérie française. »
Lors d'une table ronde intitulée « Et maintenant on fait quoi ? », Louisa Yousfi, journaliste, militante décoloniale et autrice de Rester barbare, explique que dans le « grand récit national français », la libération algérienne a été un ébranlement. « Il y a une cristallisation autour de la guerre mais surtout autour de la victoire. Ça a été une très grande défaite pour l’Empire français. Et le RN a encore ce fantasme-là de prendre sa revanche sur l’Algérie. »
« Pour l’extrême droite, les temps des colonies sont des temps bénis où les Arabes étaient à leur place, de sous-citoyens inférieurs », résume auprès de Mediapart Fabrice Riceputi, historien et chercheur associé à l’Institut d’histoire du temps présent.
Pour lui, le travail d’Arabengers et de Récits d’Algérie est extrêmement utile, dans un pays où les comptes n’ont pas été réglés et où les récits des premiers et premières concernées ont été enfouis : « Elles interrogent leurs parents, les anciens, récoltent des récits dans des podcasts, des documentaires, des livres. C’est un mouvement très important de réappropriation, et ça vient en complément du travail des historiens. Et si l’extrême droite arrive au pouvoir, il y aura un clash extraordinaire entre cette génération et un pouvoir qui voudra, c’est sûr, réécrire l’histoire sous le prisme de l’apologie du colonialisme. »
Lors de la campagne des élections législatives, quelques élu·es de gauche ont rappelé que parmi les fondateurs du parti d’extrême droite se trouvaient un Waffen SS et nombre de collaborationnistes. Mais le passé et la matrice idéologique coloniale du Front national sont peu souvent rappelés. Pourtant, il y aurait tant de choses à dire, au passé comme au présent. « La nostalgie de l’Algérie française fait partie de l’ADN même du Front national », explique l’historien.
Fabrice Riceputi le rappelle dans un ouvrage récent : Jean-Marie Le Pen a torturé en Algérie pendant la guerre d’indépendance. La création du FN s’est aussi faite avec nombre de nostalgiques de l’Algérie française, dont Roger Holeindre, membre de l’Organisation de l’armée secrète (OAS), mouvement terroriste d’extrême droite qui a défendu la colonisation française de l’Algérie en massacrant les civils. Elle est responsable, au bas mot, de 2 200 morts en Algérie et de 70 morts en France.
Au Dock B, lors du débat sur « l’esprit révolutionnaire algérien », un extrait du documentaire à paraître de Récits d’Algérie résonne dans la salle. On y entend une femme algérienne y raconter ses souvenirs de l’OAS : « Ils tuaient tout le monde, même des pieds-noirs qui étaient en faveur de la libération… C’était comme des cowboys qui tiraient sur tout le monde. On voyait la mort partout. Je me rappelle un postier mort, par terre. »
L’événement de Pantin ressemble, selon un participant, à « une soirée de clôture pour les Arabes en France ». Des personnes rappellent la prise de parole de José Gonzales, député RN qui, en juin 2022, donnait le coup d’envoi des travaux parlementaires.
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En tant que doy
en de la nouvelle Assemblée, il était invité à dire quelques mots au perchoir et a commencé en se présentant comme « l’enfant d’une France d’ailleurs arrachée à sa terre natale par le vent de l’histoire ». Et de continuer devant la presse : « Crimes de l’armée française ? Je ne pense pas. Crimes contre l’humanité ? Encore moins. Si je vous emmène avec moi en Algérie, dans le Djebel, beaucoup d’Algériens qui n’ont jamais connu la France disent “Quand est-ce que vous revenez ?” »
Les propos de ce genre sont légion à l’extrême droite, pour laquelle la nostalgie de l’Algérie française est toujours une base idéologique. Plus récemment, la candidate RN de la deuxième circonscription des Pyrénées-Atlantiques, Monique Becker, affichait sa nostalgie de l’Algérie française et estimait que l’OAS avait été « créée par les plus glorieux officiers de l’armée française », comme le rapporte StreetPress.
À Perpignan, les mairies successives se surpassent depuis des années dans l’exercice de réécriture de l’histoire algérienne. La droite locale a installé une stèle à la gloire de l’OAS et créé un Centre de documentation des Français d’Algérie qui, selon les associations locales antiracistes, célèbre « le bon temps des colonies ».
Depuis son arrivée à la mairie en 2020, le frontiste Louis Alliot a poursuivi cette œuvre coloniale. Il a inauguré une exposition à la gloire de l’Algérie française en 2021 et organisé un week-end d’hommage à « l’œuvre coloniale » l’année suivante. À cette occasion, un square de la ville a été renommé du nom de Mourad Kaouah, député de l’Algérie française, proche de Jean-Marie Le Pen. Le maire de Perpignan a aussi accordé des financements municipaux au cercle algérianniste, une officine pro-Algérie française, et fait renommer une esplanade au nom de Pierre Sergent, ancien chef de l’OAS.
« Et il y a un risque clair que cette politique soit appliquée au niveau national si le RN arrive au pouvoir, prévient Fabrice Riceputi. Je rappelle qu’en 2004, la droite a tenté d’imposer qu’on parle des aspects “positifs” de la colonisation à l’école. Cela été retiré par Jacques Chirac face à la pression des enseignants et des historiens, mais avec le RN au pouvoir, ça va revenir sur le tapis, sous une forme ou une autre. »
Une crainte partagée par les participant·es de l’événement « Raconter l’Algérie ». « Qu’est-ce qu’on va raconter à nos enfants sur l’Algérie avec le RN au pouvoir ? Qu’est-ce qu’on va leur dire de la colonisation ? »
Il y a l’histoire et la manière dont on la raconte, mais aussi le présent, et notamment le sort des Algériens et Algériennes immigré·es sur le sol français actuellement. Si, au niveau national, le RN s’est fait relativement silencieux sur l’histoire algérienne pendant cette campagne des législatives, le parti a proposé à plusieurs reprises de supprimer l’accord franco-algérien.
Sur scène, l’avocate Magda El Haitem rappelle que cet accord signé en 1968 « pour faciliter un peu le séjour des Algériens en France », « personne ne le connaît sauf les Algériens ». « Si l’extrême droite et la droite ont beaucoup mis l’accent dessus, c’est parce qu’elles en font un étendard pour dire qu’elles s’attaquent spécifiquement aux Algériens. »
Comme un ultime pied de nez, sous des youyous stridents, les descendant·es d’Algérien·nes qui ont passé l’après-midi à Pantin ont dansé toute la soirée, sur du rai, du chaibi, du rap. Avant, peut-être, la gueule de bois des élections. En attendant, May profite de la soirée et le dit avec fierté : « On est magnifiques, et ça les rend fous qu’on s’en rende compte, alors qu’ils ont si longtemps tenté d’instiller en nous la haine de nous-mêmes. »
Khedidja Zerouali
30 juin 2024 à 11h41
https://www.mediapart.fr/journal/france/300624/des-filles-d-immigres-racontent-l-algerie-contre-une-extreme-droite-revisionniste
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Rédigé le 30/06/2024 à 08:25 dans France | Lien permanent | Commentaires (0)
Le 12 juin 2024, le recteur de la Grande Mosquée de Paris (GMP), Chems Eddine Hafiz, a lancé un appel aux musulmans de France pour les exhorter à voter aux prochaines élections législatives en France. Il a invité les imams à sensibiliser leurs fidèles et à les appeler à la mobilisation contre l’extrême droite.
L’appel de Hafiz est intervenu au lendemain d’un long entretien qu’il a eu avec le président algérien, qui l’a reçu à Alger.
Des membres du Rassemblement national (RN) ont aussitôt protesté contre ce qu’ils ont qualifié d’«ingérence inacceptable» des autorités algériennes dans les affaires intérieures françaises. Aymeric Chauprade, ancien député européen, a tenu à rappeler au recteur de la GMP, «qu’il est tenu à un certain devoir de réserve sur le plan politique. On lui demande de s’occuper de la foi de ses fidèles, non de leur vote et encore moins de se comporter en relai d’un gouvernement étranger.»
Depuis qu’elle existe, la GMP a été impliquée dans diverses polémiques et débats. Certains ont concerné sa gestion interne, notamment des questions de transparence financière et de gouvernance. D’autres ont été liés à des controverses politiques, comme l’influence du gouvernement algérien sur ses activités ou les déclarations de ses représentants sur des questions sensibles telles que la laïcité et l’intégration des musulmans en France.
L’idée de la construction d’un lieu de culte musulman à Paris est née à la fin du XIXᵉ siècle avec le soutien du sultan Hassan Iᵉʳ (1873-1894) et du sultan ottoman notamment. La mosquée a finalement été construite dans les années 1920 comme un «geste de reconnaissance» envers les musulmans nord-africains qui avaient combattu aux côtés des Français pendant la Première Guerre mondiale et pour symboliser l’unité franco-musulmane. La GMP occupe une place emblématique au cœur de la capitale française, dans le Vᵉ arrondissement, non seulement en tant qu’institution religieuse et culturelle mais aussi en tant que monument à l’architecture de style marocain original surmonté d’un minaret de 33 mètres.
La GMP a été construite grâce à une subvention de l’Etat français, accordée en dérogation à la loi de 1905 sur la séparation des églises et de l’État à la Société des habous et lieux saints de l’islam. Cette association, créée avec l’accord du sultan Moulay Youssef, du bey de Tunis et du mufti d’Alger, et présidée par Abdelkader (Kaddour) Benghabrit, fonctionnaire français d’origine algérienne, a été chargée de la construction et de la gestion de la mosquée.
L’inauguration a eu lieu le 15 juillet 1926 en présence du président français Gaston Doumergue et du sultan Moulay Youssef. Benghabrit a été nommé directeur de la mosquée et de l’institut musulman de Paris, fonctions qu’il a occupées jusqu’à sa mort en 1954.
Prise de contrôle par le gouvernement algérien
En l’absence de dispositions statutaires relatives à la désignation du directeur, le gouvernement français a nommé à ce poste Hamza Boubakeur. L’Institut musulman a été alors rattaché administrativement au ministère de l’Intérieur, soucieux de contrer l’activisme des nationalistes marocains et algériens. En 1982, Abbas Bencheikh El Hocine a succédé à Boubakeur.
À la même époque, après le retrait de la tutelle de l’administration française, l’Algérie s’est impliquée dans le financement du budget de la GMP, ce qui a permis au gouvernement algérien d’avoir un droit de regard sur la gestion de l’institution et la nomination de son directeur.
Les recteurs de la Grande Mosquée de Paris ont toujours été des algériens. Outre ceux qui ont été cités plus haut, se sont succédé à la tête de la mosquée Tedjini Haddam (1989-1992), Dalil Boubakeur (1992-2020) et enfin Chems-eddine Hafiz (depuis 2020).
Un recteur controversé
L’actuel recteur de la Grande Mosquée de Paris, Hafiz, est une figure controversée. Sa personnalité et ses prises de position ont suscité des réactions variées au sein de la communauté musulmane et au-delà. Son «élection» en 2020 à la surprise générale et dans des conditions suspectes, qualifiées par ses détracteurs de «hold-up», à la suite de la démission de Dalil Boubakeur, a soulevé des interrogations y compris en Algérie où on lui a reproché ses liens avec l’ancien président Bouteflika. Plus récemment, au lendemain des attaques du Hamas du 7 octobre 2023, il s’est attiré les foudres de la presse algérienne qui lui a reproché d’avoir renvoyé dos à dos l’agresseur et l’agressé. Des journaux proches du pouvoir ont fait état de la «convocation» à Alger du recteur et de son adjoint, un officier des services de sécurité algériens. Ils ont exprimé la crainte de voir cette importante institution religieuse échapper au contrôle du régime algérien.
Ancien avocat du Polisario, Hafiz est mal vu par la communauté marocaine. Ses déclarations politiques polarisantes, ses liens étroits avec Alger et son hostilité au Maroc ne le prédestinaient pas à diriger une institution symbolique de l’islam de France et à se positionner comme arbitre au-dessus des clivages entre les différentes communautés musulmanes. Il a révélé une autre face de sa personnalité en tenant des propos vulgaires à l’endroit d’un contradicteur sur un réseau social à la fin du mois de ramadan dernier.
Par-delà la personnalité de son recteur, la GMP est devenue au fil du temps un relais du système algérien et de ses services, qui en ont fait un outil d’influence au service de la politique algérienne en France. En décembre 2020, l’ambassadeur algérien à Paris déclarait sans ambages que «la Grande Mosquée de Paris est d’abord algérienne et ne sera jamais rien d’autre.»
De son côté, le Maroc semble avoir mis ce sujet en veilleuse .Ainsi, les cérémonies du 19 octobre 2022 commémorant le centenaire de la GMP ont eu lieu en l’absence de toute représentation marocaine. Interrogé le 17 décembre 1989 au sujet d’un éventuel litige, le défunt roi Hassan II a déclaré : «Cette Mosquée a été inaugurée en 1926 par mon grand-père. C’est le Maroc qui a donné les trois quarts des subsides pour que la mosquée soit payée sur les habous des trois pays : Algérie, Maroc, Tunisie. Et depuis que cette mosquée existe, jamais la direction n’est revenue au Maroc. Car si Kadour Ben Ghabrit, que Dieu ait son âme, était un Algérien, bien qu’il ait été fonctionnaire marocain détaché auprès de mon père en tant que chef du protocole.»
Hassan II était apparemment irrité de cette situation car il a annoncé dans la foulée qu’il comptait demander au maire de Paris, Jacques Chirac, «de nous vendre un terrain, et nous allons, par souscription, construire une mosquée où nous mettrons un imam marocain, sunnite.» Preuve de son dépit, le défunt souverain a ajouté «et vous verrez alors, à ce moment-là, comme lorsqu’il y a une meule de foin non égrené que le vent séparera de lui-même la bonne graine et que tout ce qui est paille et autres ira d’un autre côté. Vous verrez que tous les bons Musulmans viendront pour la plupart dans notre mosquée.»
En cas de victoire du RN aux prochaines élections, les relations officielles des autorités françaises avec la GMP et son recteur pourraient connaitre des tensions. L’extrême droite française n’a jamais vu d’un bon œil la présence d’une mosquée au cœur de Paris. En 1926, Charles Maurras a exprimé dans L’Action française ses réserves à ce sujet, considérant l’édification de ce «trophée de la foi coranique sur cette colline Sainte-Geneviève où enseignèrent tous les plus grands docteurs de la chrétienté anti-islamique représente plus qu’une offense à notre passé : une menace pour notre avenir…»
Ce texte, qualifié de «visionnaire», a été republié plusieurs fois depuis, récemment dans Résistance républicaine en 2015.
Ali Achour |
https://www.barlamane.com/fr/la-mosquee-de-paris-algerianisee/
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Rédigé le 29/06/2024 à 21:12 dans Religion | Lien permanent | Commentaires (0)
Nina Bouraoui sera parmi les nombreux auteurs participant au Marathon des Mots 2024 à Toulouse et dans l’agglomération, nous offrant ainsi de revenir sur une œuvre aussi riche que variée.
Prenons ainsi Tous les hommes désirent naturellement savoir, paru en 2018, dans lequel elle part à la recherche de sa jeunesse et de son enfance perdues. Enfin, pas vraiment perdues car celles-ci ne l’ont jamais quittée. C’est ce balancement qui fait notamment le prix d’un livre en forme de kaléidoscope fouillant dans les malles à souvenirs. Née d’un père algérien et d’une mère bretonne, l’auteur de Mes mauvaises pensées (prix Renaudot 2005) a quitté Alger en juillet 1981, avant « la décennie noire », à l’âge de quatorze ans.
Avant cela, il y avait eu d’autres départs, d’autres retours, mais au début des années quatre-vingt, Nina Bouraoui vit seule à Paris. Elle a dix-huit ans, ses parents sont installés dans le Golfe persique : « Paris s’ouvre à moi. Rue du Vieux-Colombier, le Katmandou, club réservé aux femmes dans les années quatre-vingt, est aujourd’hui devenu un théâtre. Les larmes et les disputes y étaient nombreuses. J’y ai appris la violence et la soumission. Il me suffit de fermer les yeux pour que ressurgisse le décor qui abritait mes nuits et de tendre la main pour saisir la main de celle que j’étais. Je n’ai pas perdu ma jeunesse, je viens d’elle et elle m’annonçait. »
« Je sors seule comme un homme. Je me crois libre, mais ce n’est pas la liberté : personne ne m’attend, personne ne m’espère », écrit celle qui avait peur et honte, honte de son homosexualité et de sa propre homophobie. Voici le temps des fêtes, des lumières, des soirées émouvantes et des petits matins difficiles, de l’amertume et des chagrins. C’est le moment aussi où la jeune fille commence à écrire et découvre « l’idée fausse que les mots protègent, réparent ou rendent meilleurs». L’Algérie n’est jamais loin : « Je n’oublie pas d’où je viens, les falaises de la route de la corniche, la palmeraie de Bou Saada, les sentiers de Chréa, les roseaux avant la plage ».
Des souvenirs heureux remontent (« les femmes allongées sur les rochers, les voix de ma mère et de ma sœur m’appelant depuis le sixième étage de la Résidence à Alger »), d’autres sont plus traumatisants, comme celui du jour où sa mère rentra à la maison avec sa robe déchirée et de la suie sur le corps.
Tout cela constitue pourtant une « Algérie poétique, hors réalité », une Algérie secrète, « mon paradis que je n’accepterai jamais d’avoir perdu ». Enfant, elle observait les voisins d’en face, qui faisaient partie de ces Français restés en Algérie pour construire le socialisme : « Je me demande s’ils se sentent Algériens ou Franco-Algériens ou chrétiens d’Algérie, ou Français sans patrie, pieds-noirs et survivants. Je les crois mélancoliques, comme moi qui ne sait pas où me situer, ayant l’impression de trahir ma mère ou mon père quand je fais le choix d’un pays, d’une nationalité. » Ce déchirement n’a sans doute jamais cessé, mais il est aussi une harmonie qui rejaillit sur une écriture d’une limpidité lumineuse.
Christian Authier
https://www.culture31.com/2024/06/28/tous-les-hommes-desirent-naturellement-savoir-de-nina-bouraoui/
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Rédigé le 29/06/2024 à 21:00 dans Littérature | Lien permanent | Commentaires (0)
L’information publiée au cours du week-end par The Telegraph a eu l’effet d’une bombe à Beyrouth. Dans sa dernière édition, le quotidien britannique affirme que le Hezbollah « stocke d’énormes quantités d’armes, de missiles et d’explosifs iraniens dans le principal aéroport civil de Beyrouth », citant des « sources » et des « lanceurs d’alerte » anonymes. Un article « stupide », a indiqué le ministre sortant des Travaux publics et des Transports, Ali Hamiyé (proche du Hezbollah), qui s’est aussitôt mobilisé, s’interrogeant sur le sérieux des sources consultées. Lors d’une conférence de presse tenue sur les lieux de l’AIB dimanche soir, le ministre a assuré qu’« il n’y a pas d’armes qui entrent, sortent ou sont introduites en contrebande à l’aéroport de Beyrouth ». Si l’affaire a soulevé une si grande polémique, c’est notamment du fait que l’article place une cible dans le dos de l’AIB et pourrait peser sur l’ensemble de l’économie libanaise, dont le secteur du tourisme. D’autant qu’elle intervient à l’heure où les affrontements au Liban-Sud entre Israël et le Hezbollah risquent plus que jamais de déraper en guerre totale.
« C’est un article irresponsable et louche aussi bien dans le fond que dans la forme », commente pour L’Orient-Le Jour Michael Young, rédacteur en chef de Diwan. Ce dernier relève des sources problématiques à deux niveaux : non seulement l’auteur est anonyme, mais également les sources citées dans l’article. The Telegraph a d’ailleurs été contraint de retirer du texte le nom de l’Association internationale de transport aérien (IATA) citée dans une première version, après un démenti publié par cette dernière. « Personne ne doute que le Hezbollah utilise l’aéroport à ses fins. Mais de là à dire qu’il y stocke ses armes, ce n’est nullement convaincant », indique l’analyste. « Pourquoi cacher des armes à un endroit qui risque d’être la cible prioritaire et qui, de surcroît, est scrupuleusement surveillé depuis des années par Israël », s’interroge M. Young. Début janvier, l’aéroport Rafic Hariri de Beyrouth avait d’ailleurs subi une attaque informatique sévère ciblant plusieurs de ses systèmes informatiques. Israël a immédiatement été pointé du doigt.
C’est un secret de polichinelle. L’AIB accueille, depuis un certain temps déjà, des avions en provenance d’Iran qui seraient chargés d’armes. Une source sécuritaire anonyme avait confié à L’OLJ il y a quelques mois que « l’AIB sert de lieu de transit aux armes, aux munitions et à l’argent envoyés par Téhéran ». Mais cette même source indique à notre journal dans un commentaire sur l’article du Telegraph qu’« il est illogique de dire que le Hezb les cache à l’AIB ». Contacté, le Hezbollah n’a pas souhaité commenter. Dans un communiqué publié dimanche, le parti a catégoriquement nié les informations du Telegraph. De son côté, le département d'État américain a affirmé « prendre au sérieux les rapports sur la présence d'armes à l'aéroport de Beyrouth », mais ne pas « pouvoir en évaluer (la véracité) ».
À plusieurs reprises durant les conflits armés qui ont opposé le Liban à Israël, l’aéroport a été pris pour cible, notamment en 1987 et en juillet 2006, afin de couper le trafic aérien, voire également pour porter atteinte à l’économie, dans une volonté de retourner l’opinion publique contre le Hezbollah. Une information telle que celle publiée par le Telegraph constituerait ainsi un prétexte offert à l’État hébreu sur un plateau d’argent pour justifier une frappe à venir.
« J’en suis responsable »
C’est la crainte qu’aurait d’ailleurs exprimée le lanceur d’alerte présumé qui travaillerait à l’aéroport : « Depuis des années, j’observe le Hezbollah opérer à l’aéroport de Beyrouth, mais lorsqu’il le fait en temps de guerre, l’aéroport devient une cible. S’ils continuent à apporter ces marchandises que je ne suis pas autorisé à vérifier, je pense vraiment que je mourrai d’une explosion ou parce qu’Israël les aura bombardées. Il ne s’agit pas seulement de nous, mais aussi des gens ordinaires, de ceux qui entrent et sortent, de ceux qui partent en vacances. Si l’aéroport est bombardé, le Liban est fini. »
Directrice de recherches au National Iranian American Council, Assal Rad évoque sur son compte X le parfait « prétexte » pour cibler les infrastructures du Liban, en publiant le titre du Daily Telegraph aux côtés de celui du Jerusalem Post, le 12 juin dernier, qui reprend les propos du chef du Forum de sécurité israélien, Yaron Buskila, qui appelle à détruire les infrastructures civiles au Liban. Une concomitance sur laquelle rebondit Karim Bitar, politologue, qui estime « surprenant » l’affaire du Telegraph qui survient onze jours après la déclaration de Buskila. « Les informations du Telegraph me rappellent ce qui avait été publié en 2003, avant la guerre d’Irak, par Judith Muller dans le Wall Street Journal, fondé sur des informations obtenues auprès d’un lanceur d’alerte sur l’existence d’armes de destruction massive en Irak. Elle a fini par démentir le bien-fondé de ses informations. « J’ai entraîné l’Amérique dans une guerre en Irak. J’en suis responsable », avait reconnu la journaliste en avril 2015, dans un article publié dans le WSJ.
Propagande de guerre
Selon Karim Bitar, cela fait partie de la technique de « propagande qui vise à préparer l’opinion publique israélienne et internationale à une éventuelle attaque contre le Liban ».
D’autres analystes et observateurs ont également mis en doute le sérieux et la crédibilité des informations du Telegraph. C’est notamment le cas d’Abby Cheeseman, journaliste britannique passée par ce quotidien, qui dans un commentaire posté sur son compte X qualifie l’article de « largement irresponsable », remettant en cause sa crédibilité par l’absence de signature, avant de s’en laver les mains en affirmant avoir démissionné du Telegraph le mois dernier.
« Le Telegraph indique que l’information provient de l’aéroport lui-même, mais il n’est pas clair si cette source dispose de preuves ou si elle ne fait qu’exprimer son point de vue », abonde Joe Macaron, expert et analyste du Proche-Orient, avant de noter à son tour que le Hezbollah n’a pas besoin de cacher des armes à l’aéroport. « Il dispose de protocoles pour obtenir les armes et les stocker dans des zones où il peut les protéger. »
OLJ / Par Jeanine JALKH, le 25 juin 2024 à 00h00
https://www.lorientlejour.com/article/1418221/armes-du-hezbollah-a-laeroport-que-se-cache-t-il-derriere-larticle-du-telegraph-.html
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Rédigé le 29/06/2024 à 20:43 | Lien permanent | Commentaires (0)
C’est en 1958, au hasard de mes recherches dans la bibliothèque familiale, que je découvris un ancien numéro du journal al-Bachir reproduisant le discours du commandant Charles de Gaulle à la cérémonie de distribution des prix de l’année scolaire 1931 à l’Université Saint-Joseph. Cet exemplaire avait sans doute été gardé dans notre bibliothèque parce que mon père et mon oncle, jeunes élèves, étaient présents à ce discours près de Philippe de Gaulle lui-même élève avec eux, et qui leur avait dit : « C’est mon père. » Et c’est un devoir de mémoire pour moi de relever que quelques mois avant sa mort, Philippe de Gaulle, âgé alors de 100 ans, a adressé une lettre manuscrite écrite avec une belle écriture à mon fils Georges lui rappelant son séjour à Beyrouth et ses regrets de n’y être jamais retourné.
Marqué par mes études gréco-latines si bien dispensées au collège des pères jésuites de Jamhour et particulièrement du fameux discours de Périclès sur la démocratie tel que reproduit par Thucydide dans sa sobriété et son laconisme, la simple lecture de ce discours, à un moment en 1958 où le général de Gaulle revenait au pouvoir, m’interpellait et m’interpelle toujours. Et il me plaît d’en rappeler certains termes adressés à la jeunesse libanaise qui m’ont poussé à témoigner sous le titre « De Gaulle avait raison ». Et je cite : « Il vous appartient de construire un État. Non point seulement d’en partager les fonctions, d’en exercer les attributs, mais bien de lui donner cette vie propre, cette force intérieure, sans lesquelles il n’y a que des institutions vides. Il vous faudra créer et nourrir un esprit public, c’est-à-dire la subordination volontaire de chacun à l’intérêt général, condition sine qua non de l’autorité des gouvernants, de la vraie justice dans les prétoires, de l’ordre dans les rues, de la conscience des fonctionnaires. Point d’État sans sacrifices. »
Ce discours de De Gaulle s’inscrit pour moi et pour nous tous comme un moment éminent de l’expression d’une conscience politique responsable et de haute vision qu’un homme, alors jeune commandant dans l’Armée française du Levant, a voulu proclamer et insuffler à une jeunesse libanaise – première génération au lendemain du retrait ottoman qui a duré 402 ans et de la fin de la Grande Guerre – jeunesse promise à la création d’un État à la mesure de ses composantes sociales, religieuses et historiques, véritables familles spirituelles.
Mais ce discours de De Gaulle s’adresse également à une société libanaise aux écoutes de l’Occident depuis des siècles – sans toutefois oublier ou renier sa surface culturelle moyen-orientale et arabe – car il constitue un programme, une volonté et un choix institutionnel tous empreints d’intelligence, d’intégrité et de dévouement.
Et je dis institutionnel car les idées proposées dans ce discours s’inscrivent pour ce lecteur de Bergson et de Barrès au cœur des valeurs institutionnelles et morales gréco-romaines et judéo-chrétiennes dictées par l’histoire et qui ont permis l’émergence de l’Occident. Mais c’est aussi une solution et une réponse aux susceptibilités, aux sensibilités, aux aspirations et aux défis de cette société proche-orientale chrétienne et musulmane que de Gaulle connaissait bien déjà, puisqu’il était en poste au Levant depuis 1929 et qu’il allait mieux connaître encore suite à plusieurs longs séjours au cours de sa vie publique à Beyrouth et d’autres villes de l’Orient. Et cette expérience sera pour lui un appoint fondamental dans sa future politique méditerranéenne, musulmane et arabe. Appeler ainsi à une solution institutionnelle dans cette société du Liban, terre de rencontre et d’existence pour des familles spirituelles islamo-chrétiennes, reste un appel à prôner ces mêmes valeurs qui ont permis l’émergence de l’Occident mais qui ont malheureusement été progressivement laminées au cours de ces décennies passées au point même de voir ces sociétés de l’Occident et du Proche-Orient sombrer dans la violence particulièrement avec l’éclatement de cette nouvelle question d’Orient et balkanique – car il s’agit bien de cela aujourd’hui – dont nous vivons les malheurs et les soucis du cœur de l’Europe et jusqu’à la mer Rouge – et bien plus loin encore – dont nous connaissons à peu près les origines sans savoir ou deviner son aboutissement dramatique ou diplomatique.
Ainsi le Liban en s’écartant progressivement depuis la fin des années soixante et de l’ère chéhabiste des principes mêmes affirmés sobrement dans ce discours a abouti à la chute de sa société politique. Et le risque était là de voir entraîner dans cette chute toute la société civile n’était-ce la profondeur de l’enracinement et de la détermination des Libanaises et des Libanais – tous âges et communautés confondus – de résister en un courage volontaire aidés et soutenus dans cette grande infortune par une solidarité locale et d’au-delà des mers et surtout par des institutions religieuses – telle l’Université Saint-Joseph qui fête ses 150 ans – et civiles solidement implantées ainsi que le soutien d’États – dont particulièrement et principalement la France – et d’organisations civiles tous mus par une longue et grande tradition.
Ainsi face à des événements excessifs et des défis considérables, cette société politique au lieu de coopérer en un face-à-face civilisé a vu chaque partie préférant, dès les années 1968, caresser des composantes étrangères croyant les manipuler et finissant par être leur homme lige sans honte et sans regret au point de tomber malheureusement dans les affres d’une politique de politiciens à défaut d’une politique d’hommes d’État soit donc de personnes capables d’initier des solutions institutionnelles équilibrées et acceptables car dotées du génie du dialogue et de la communicabilité et d’une surface culturelle capable de deviner les changements et de considérer que la sécurité revient à l’adaptation au risque, un risque calculé où l’homme d’État fort est bien celui qui exerce la sagesse de son intelligence et qui est capable de compter ses pas, ses mots et ses actions – ayant en somme du caractère – pour contenir les dégâts des situations excessives.
Et puis, après tout ce que j’ai dit, d’aucuns ici ou ailleurs pourraient s’interroger sur cette situation libanaise en se demandant : « Mais enfin, de quoi parle ce conférencier et avec qui travailler politiquement ? » Je me dois ici d’être compréhensif et de rappeler ce que de Gaulle lui-même disait dans une de ses interviews le 14 décembre 1965 : « Il faut prendre les choses comme elles sont, car on ne fait pas de politique autrement que sur les réalités. »
Et il est significatif de rappeler ici les propos tenus personnellement par le général de Gaulle en juin 1968 à Fouad Boutros, alors ministre libanais des Affaires étrangères, et qui témoignent bien de sa profonde connaissance de la structure politique libanaise : « Si Israël venait à toucher au territoire libanais par une annexion partielle ou par des implantations militaires, le Liban peut être assuré que la France saisirait le Conseil de sécurité pour exiger des représailles politiques ou militaires. Si les Nations unies ne parvenaient pas à assumer leur mission, la France enverrait ses propres troupes pour défendre l’intégrité du territoire libanais. » Puis regardant Boutros dans les yeux, le général lui dit : « Mais si, par malheur, les choses venaient un jour à se dégrader entre Basta et Gemmayzé, alors la France, pas plus que quiconque, ne pourrait rien pour vous. C’est au seul génie libanais qu’il appartiendrait alors de régler ses problèmes » (Joseph Chami, Le Mémorial du Liban, tome 5, le Mandat Charles Hélou, p. 185, Beyrouth 2004).
Et si je rappelle tous ces termes c’est pour ne pas me faire taxer d’idéalisme, mais bien pour vous inviter avec moi à considérer ce discours de De Gaulle en 1931 comme un appel à l’action et au dévouement pour créer un État. Et cela même et surtout dans notre société qui, promise un jour à de grands lendemains, s’est vue malheureusement confrontée à une chute annoncée quand, à un moment ou à un autre, celles et ceux qui auraient dû et qui devaient être les bâtisseurs et les artisans du sursaut et du redressement sont devenus les agents mêmes de l’infortune de la nation.
Hyam MALLATAvocat et sociologue,
ancien président du conseild’administration de la Sécurité sociale puis des Archives nationales
Les textes publiés dans le cadre de la rubrique « Courrier » n’engagent que leurs auteurs. Dans cet espace, L’Orient-Le Jour » offre à ses lecteurs l’opportunité d’exprimer leurs idées, leurs commentaires et leurs réflexions sur divers sujets, à condition que les propos ne soient ni diffamatoires, ni injurieux, ni racistes.
Quel grand homme il avait raison quand il a dit quand les choses se dégradaient entre Basta et’Gemmayze la France ne pourra rien faire à ce moment il n’y avait pas le parti de Dieu , my God
00 h 41, le 26 juin 2024
https://www.lorientlejour.com/article/1418367/de-gaulle-avait-raison-1.html
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Rédigé le 29/06/2024 à 19:48 dans De Gaulle | Lien permanent | Commentaires (0)
Ziad Medoukh, enseignant et écrivain, n’a pas quitté Gaza City depuis le 7 octobre. Il témoigne ici de sa vie dans les ruines et de la famine en cours.
Le 17 octobre 2023, alors que venait de débuter à Gaza une offensive qui semble aujourd’hui sans fin et dont le bilan approche 38 000 morts, en majorité des femmes et des enfants, Mediapart avait interrogé Ziad Medoukh, écrivain et professeur à l’université Al-Aqsa et à celle de Gaza.
Tandis que sa famille, comme des centaines de milliers d’habitant·es de la ville de Gaza, fuyait vers le sud de l’enclave, il affirmait haut et fort son refus de partir.
« Pourquoi ai-je décidé de rester seul et de subir l’horreur, l’angoisse et l’inquiétude ? Parce que je ne veux pas vivre une deuxième Nakba, une deuxième catastrophe. Si aujourd’hui je quitte ma maison, ma ville, Gaza, je quitte la Palestine et je serai de nouveau réfugié », expliquait-il à Mediapart.
Huit mois plus tard, alors qu’il a perdu de nombreux proches, notamment son frère, la femme de celui-ci et leurs cinq enfants dans un bombardement israélien, nous avons pu le recontacter. Entretien à travers un WhatsApp à la connexion aléatoire.
Mediapart : Êtes-vous resté à Gaza City depuis le début de l’offensive militaire israélienne ?
Ziad Medoukh : Oui, même si j’ai dû changer à cinq reprises de maison et de quartier depuis que mon immeuble a été détruit le 2 décembre 2023. Aujourd’hui, je vis dans une maison surpeuplée avec quarante autres personnes. Les bombardements des avions de chasse sont quotidiens et nous ne sommes en sécurité nulle part.
Même si les opérations militaires se concentrent aujourd’hui au sud, il y a encore des incursions dans ma ville en ruines. Les Israéliens se concentrent sur un quartier ; ils restent une semaine ou quinze jours et détruisent tout sur leur passage, même s’il ne reste plus grand-chose à détruire.
Désormais, la bande de Gaza est coupée en trois, avec des barrages militaires entre chaque partie. Au nord, nous sommes environ 600 000 Palestiniens. Au sud, où les opérations militaires sont les plus intenses, il ne reste plus que quelques dizaines de milliers de personnes concentrées sur la côte. La majorité des Gazaouis sont concentrés dans la région centrale autour de Deir El-Balah, dans des conditions de vie inimaginables.
Toutes les photos et les vidéos témoignant de notre souffrance pendant ces mois de carnage ne peuvent suffire à montrer l’étendue du désastre vécu par toute une population civile horrifiée et abandonnée.
Parvenez-vous à trouver de quoi vous nourrir ?
En ce moment, c’est une véritable famine qui touche le nord de Gaza. Chaque jour, nous parviennent des informations de quelqu’un qui est mort de faim. L’aide internationale ne nous parvient pas, et nous ne trouvons quasiment aucun produit alimentaire sur les marchés, ou alors à des prix faramineux : 40 euros pour un kilo de riz, 30 euros pour un kilo de sucre. Ici, trouver de la nourriture constitue un véritable miracle.
Entre octobre et décembre, on pouvait encore trouver quelques aliments, puis tous les stocks se sont épuisés, les magasins ont été fermés ou détruits. Les trois mois suivants ont été les plus difficiles. En janvier, février et mars, il n’y avait plus rien.
J’ai survécu – car à Gaza personne ne peut plus vivre, nous ne faisons que survivre – en mangeant des herbes et en me nourrissant très peu, parfois seulement une fois tous les trois jours. La farine, qui est le produit essentiel, a atteint des prix astronomiques, jusqu’à 120 euros le kilo.
À partir de la mi-avril, il y a eu une petite amélioration lorsque, sous la pression internationale, un peu plus de camions ont pu entrer, à la fois de l’aide humanitaire, mais aussi des commerçants de Gaza qui ont été autorisés à faire venir des produits depuis l’Égypte.
Mais depuis l’offensive sur le sud et la fermeture du terminal de Rafah, au début du mois de mai, c’est de nouveau la pénurie, et la famine revient. La seule différence est que les stocks de farine ont été en partie reconstitués et que son prix tourne désormais autour de 15 euros le kilo, ce qui permet à quelques boulangeries de fonctionner dans Gaza City et à ceux qui, comme moi, sont restés, de trouver un peu de pain à manger.
Mais le corps ne peut se contenter de pain, il a aussi besoin de fruits, de légumes... Nous sommes tous affaiblis et les premiers à mourir de ce manque de nourriture sont les enfants et les personnes âgées.
À cela s’ajoute le fait que le gaz étant interdit d’entrée à Gaza, la seule manière de faire cuire les aliments est de trouver du bois, qui est lui aussi devenu de plus en plus rare, parce que c’est la seule source d’énergie qui nous reste accessible depuis maintenant huit mois.
Qu’en est-il de l’accès à l’eau ?
C’est inimaginable. Chaque foyer n’a le droit qu’à 16 litres d’eau potable tous les trois jours. Il faut se déplacer sur des kilomètres à pied ou en charrette et faire la queue pendant des heures pour obtenir le précieux liquide. L’occupation a détruit 732 puits d’eau partout dans la bande de Gaza en neuf mois. La situation est d’autant plus tragique que la chaleur s’est installée avec l’été. Un jerrican d’eau de 16 litres se vend autour de trois ou quatre euros.
Parvenez-vous encore à écrire ?
Je n’ai ni le temps ni le moral pour ça. Notre vie est paralysée par le temps passé à tenter de survivre, à essayer de trouver de l’eau ou de quoi manger, à glaner un peu de bois ou à tâcher de recharger nos téléphones portables grâce aux quelques panneaux solaires encore en état de fonctionner.
Et, comme je vous le disais, j’ai dû me déplacer cinq fois de quartier depuis la destruction de ma maison. Je suis accueilli par des proches et des cousins, mais il ne reste plus beaucoup d’habitations à Gaza City et nous sommes des dizaines dans chaque appartement. Là où je suis accueilli, je suis au milieu de quarante personnes et il faut s’adapter à cette situation où il est très difficile d’avoir accès à l’électricité et à Internet, et on n’a pas de moment où l’on peut être tranquille.
J’essaie de continuer à témoigner mais les préoccupations quotidiennes prennent toute la place, et même si j’écrivais des pages et des pages, je ne pourrais décrire ce qui se déroule à Gaza et le vécu de plus de deux millions d’habitants qui sont en train de se demander : pourquoi tout cela ? Pourquoi nous imposer une situation aussi dramatique ?
Trouvez-vous encore l’énergie de témoigner face au sentiment d’abandon que vous décrivez ?
Cela reste important, et cela calme ma colère, mais c’est vrai que le sentiment d’impuissance et d’abandon est difficile à supporter. Notre sort dépend entièrement de la communauté internationale. Les verrous se trouvent chez les Israéliens mais les clés se trouvent en Europe, aux États-Unis ou dans les pays arabes, et personne ne fait pression véritablement sur Israël.
La Cour internationale de justice, la Cour pénale internationale et même le Conseil de sécurité de l’ONU se prononcent pour un cessez-le-feu et disent que Gaza est en train de vivre un crime contre l’humanité, mais ça ne change rien ! Les Américains affirment être en désaccord avec les opérations militaires menées à Rafah mais continuent de livrer des armes.
La communauté internationale dans son ensemble est complice, même si je mets à part les manifestants de Londres, New York ou Paris qui s’opposent au malheur des Palestiniens. Mais nous avons besoin de concret, nous avons besoin que toute cette souffrance s’arrête enfin, nous ne pouvons plus nous contenter de décisions en notre faveur si elles ne sont pas appliquées.
Vous étiez enseignant dans plusieurs universités de Gaza : leur destruction signifie-t-elle pour vous une volonté de raser l’avenir de la jeunesse palestinienne ?
Bien sûr. Toutes les universités ont été détruites et spécifiquement ciblées. Il est impossible de faire des cours en ligne puisque l’accès à Internet est très aléatoire. À travers les universités, c’est la jeunesse qui se trouve en première ligne de cette volonté de détruire que nous endurons depuis des mois.
Mais ce ne sont pas seulement les universités qui ont été visées par l’occupation : c’est l’ensemble du système éducatif, du système de santé, des routes… Toutes les infrastructures civiles ont été détruites et on voit bien que l’objectif de l’armée israélienne, quand elle fait une incursion, n’est pas de détruire le Hamas ou de récupérer les otages, mais de rendre Gaza inhabitable afin que les Palestiniens s’en aillent.
Cependant, très peu de gens sont partis, que ce soit par le terminal de Rafah quand il était encore ouvert ou par la mer, bien qu’on risque notre vie à chaque seconde. Des centaines de milliers de Gazaouis qui étaient partis au sud sont retournés vers le nord.
Malgré le carnage impensable qui se déroule ici, l’armée de l’occupation ne parvient pas à nous faire partir, parce que la résistance populaire palestinienne consiste précisément à refuser de s’en aller de nos terres.
Peut-on savoir et dire si l’ampleur des pertes humaines et l’état des destructions de la bande de Gaza renforcent ou affaiblissent le soutien de la population gazaouie au Hamas ?
La population de Gaza n’a que faire des partis politiques et des organisations militaires. C’est une population effrayée, horrifiée, qui ne demande que la sécurité, la fin de l’agression, l’entrée massive d’aide humanitaire. Aujourd’hui, Gaza est un territoire sans gouvernement. Personne ne contrôle plus rien. Il n’y a plus aucune administration, on le voit particulièrement avec l’absence totale de contrôle des prix.
La seule alternative qui existe à Gaza n’est pas entre le Hamas et l’Autorité palestinienne, elle est entre mourir vite ou souffrir longtemps. La question de l’ampleur du soutien au Hamas n’a pas de sens pour une population qui n’a pas l’espace pour réfléchir à la politique, puisque la seule question qui se pose est celle de la survie immédiate.
Il n’existe pas une famille ici qui ne soit pas en deuil, qui ne compte pas parmi elle des blessés, des personnes arrêtées et disparues.
Quand vous êtes, comme c’est mon cas, accueilli par des proches qui ont encore un toit, on ne parle pas politique le soir, on se concentre sur la vie quotidienne, le fait de trouver de la nourriture pour ses enfants, la nécessité de devoir prochainement trouver un autre abri, même s’il n’y a pas d’abri sûr à Gaza.
L’état de santé de tous les Gazaouis s’est dégradé au plus haut point. Il n’y a plus de laboratoires, plus d’hôpitaux, plus de médecins, plus de médicaments. La situation est tellement effrayante que personne ne se soucie du sort de telle ou telle faction politique.
Joseph Confavreux
https://www.mediapart.fr/journal/international/290624/meme-si-j-ecrivais-des-pages-et-des-pages-je-ne-pourrais-decrire-ce-qui-se-deroule-gaza
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Rédigé le 29/06/2024 à 07:46 dans Gaza, Israël, Palestine, Paléstine | Lien permanent | Commentaires (0)
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