L’information publiée au cours du week-end par The Telegraph a eu l’effet d’une bombe à Beyrouth. Dans sa dernière édition, le quotidien britannique affirme que le Hezbollah « stocke d’énormes quantités d’armes, de missiles et d’explosifs iraniens dans le principal aéroport civil de Beyrouth », citant des « sources » et des « lanceurs d’alerte » anonymes. Un article « stupide », a indiqué le ministre sortant des Travaux publics et des Transports, Ali Hamiyé (proche du Hezbollah), qui s’est aussitôt mobilisé, s’interrogeant sur le sérieux des sources consultées. Lors d’une conférence de presse tenue sur les lieux de l’AIB dimanche soir, le ministre a assuré qu’« il n’y a pas d’armes qui entrent, sortent ou sont introduites en contrebande à l’aéroport de Beyrouth ». Si l’affaire a soulevé une si grande polémique, c’est notamment du fait que l’article place une cible dans le dos de l’AIB et pourrait peser sur l’ensemble de l’économie libanaise, dont le secteur du tourisme. D’autant qu’elle intervient à l’heure où les affrontements au Liban-Sud entre Israël et le Hezbollah risquent plus que jamais de déraper en guerre totale.
« C’est un article irresponsable et louche aussi bien dans le fond que dans la forme », commente pour L’Orient-Le Jour Michael Young, rédacteur en chef de Diwan. Ce dernier relève des sources problématiques à deux niveaux : non seulement l’auteur est anonyme, mais également les sources citées dans l’article. The Telegraph a d’ailleurs été contraint de retirer du texte le nom de l’Association internationale de transport aérien (IATA) citée dans une première version, après un démenti publié par cette dernière. « Personne ne doute que le Hezbollah utilise l’aéroport à ses fins. Mais de là à dire qu’il y stocke ses armes, ce n’est nullement convaincant », indique l’analyste. « Pourquoi cacher des armes à un endroit qui risque d’être la cible prioritaire et qui, de surcroît, est scrupuleusement surveillé depuis des années par Israël », s’interroge M. Young. Début janvier, l’aéroport Rafic Hariri de Beyrouth avait d’ailleurs subi une attaque informatique sévère ciblant plusieurs de ses systèmes informatiques. Israël a immédiatement été pointé du doigt.
C’est un secret de polichinelle. L’AIB accueille, depuis un certain temps déjà, des avions en provenance d’Iran qui seraient chargés d’armes. Une source sécuritaire anonyme avait confié à L’OLJ il y a quelques mois que « l’AIB sert de lieu de transit aux armes, aux munitions et à l’argent envoyés par Téhéran ». Mais cette même source indique à notre journal dans un commentaire sur l’article du Telegraph qu’« il est illogique de dire que le Hezb les cache à l’AIB ». Contacté, le Hezbollah n’a pas souhaité commenter. Dans un communiqué publié dimanche, le parti a catégoriquement nié les informations du Telegraph. De son côté, le département d'État américain a affirmé « prendre au sérieux les rapports sur la présence d'armes à l'aéroport de Beyrouth », mais ne pas « pouvoir en évaluer (la véracité) ».
À plusieurs reprises durant les conflits armés qui ont opposé le Liban à Israël, l’aéroport a été pris pour cible, notamment en 1987 et en juillet 2006, afin de couper le trafic aérien, voire également pour porter atteinte à l’économie, dans une volonté de retourner l’opinion publique contre le Hezbollah. Une information telle que celle publiée par le Telegraph constituerait ainsi un prétexte offert à l’État hébreu sur un plateau d’argent pour justifier une frappe à venir.
« J’en suis responsable »
C’est la crainte qu’aurait d’ailleurs exprimée le lanceur d’alerte présumé qui travaillerait à l’aéroport : « Depuis des années, j’observe le Hezbollah opérer à l’aéroport de Beyrouth, mais lorsqu’il le fait en temps de guerre, l’aéroport devient une cible. S’ils continuent à apporter ces marchandises que je ne suis pas autorisé à vérifier, je pense vraiment que je mourrai d’une explosion ou parce qu’Israël les aura bombardées. Il ne s’agit pas seulement de nous, mais aussi des gens ordinaires, de ceux qui entrent et sortent, de ceux qui partent en vacances. Si l’aéroport est bombardé, le Liban est fini. »
Directrice de recherches au National Iranian American Council, Assal Rad évoque sur son compte X le parfait « prétexte » pour cibler les infrastructures du Liban, en publiant le titre du Daily Telegraph aux côtés de celui du Jerusalem Post, le 12 juin dernier, qui reprend les propos du chef du Forum de sécurité israélien, Yaron Buskila, qui appelle à détruire les infrastructures civiles au Liban. Une concomitance sur laquelle rebondit Karim Bitar, politologue, qui estime « surprenant » l’affaire du Telegraph qui survient onze jours après la déclaration de Buskila. « Les informations du Telegraph me rappellent ce qui avait été publié en 2003, avant la guerre d’Irak, par Judith Muller dans le Wall Street Journal, fondé sur des informations obtenues auprès d’un lanceur d’alerte sur l’existence d’armes de destruction massive en Irak. Elle a fini par démentir le bien-fondé de ses informations. « J’ai entraîné l’Amérique dans une guerre en Irak. J’en suis responsable », avait reconnu la journaliste en avril 2015, dans un article publié dans le WSJ.
Propagande de guerre
Selon Karim Bitar, cela fait partie de la technique de « propagande qui vise à préparer l’opinion publique israélienne et internationale à une éventuelle attaque contre le Liban ».
D’autres analystes et observateurs ont également mis en doute le sérieux et la crédibilité des informations du Telegraph. C’est notamment le cas d’Abby Cheeseman, journaliste britannique passée par ce quotidien, qui dans un commentaire posté sur son compte X qualifie l’article de « largement irresponsable », remettant en cause sa crédibilité par l’absence de signature, avant de s’en laver les mains en affirmant avoir démissionné du Telegraph le mois dernier.
« Le Telegraph indique que l’information provient de l’aéroport lui-même, mais il n’est pas clair si cette source dispose de preuves ou si elle ne fait qu’exprimer son point de vue », abonde Joe Macaron, expert et analyste du Proche-Orient, avant de noter à son tour que le Hezbollah n’a pas besoin de cacher des armes à l’aéroport. « Il dispose de protocoles pour obtenir les armes et les stocker dans des zones où il peut les protéger. »
OLJ / Par Jeanine JALKH, le 25 juin 2024 à 00h00
https://www.lorientlejour.com/article/1418221/armes-du-hezbollah-a-laeroport-que-se-cache-t-il-derriere-larticle-du-telegraph-.html
.
Les commentaires récents