C'est un passé qui ne passe toujours pas. En mars dernier le maire de Toul, dans l'est de la France a acté l'installation d'une statue du général Bigeard. L'enfant du pays, ancien député de la ville, est également un acteur controversé de la guerre d'Algérie. La polémique a un écho de l'autre côté de la Méditerranée. Récit.
D'où vient l'idée d'une statue
du général Bigeard ?
Le projet a été initié en 2018 par la fondation général Marcel Bigeard. Celui que certains nomment le premier para de France aura sa statue de bronze. Haute de 2,50 m, elle représente l'officier en marche, coiffé du béret de para. Réalisée par le sculpteur Boris Lejeune, cette statue n'est pas financée par les pouvoirs publics locaux mais par une fondation tenue par des admirateurs du général. Alde Harmand, le maire divers gauche de Toul, ville située dans l'Est de la France a accepté que le monument soit érigé sur une place public. Depuis la polémique ne retombe pas. L'inauguration, initialement prévu le 18 juin, serait pour l'instant repoussée, selon des sources de la préfecture. Le lieu d'exposition de la statue est également contesté. L'oeuvre ne devrait pas être dressé à proximité du monument aux morts de la ville à cause de nombreuses oppositions.
La LDH, la Ligue des droits de l'homme, réclame le retrait du projet. "Nous avons rapidement fait savoir que nous étions opposés à cette statue. La municipalité nous a répondu que le général Bigeard était un enfant du pays et qu'il n'avait pas été condamné pour ce qui lui est reproché", rapporte la présidente de la Ligue des droits de l'homme de la section de Nancy, Catherine Tosser. Ce qui lui est reproché, c'est son action pendant la guerre d'Algérie.
La statue du général Bigeard, par le sculpteur
Boris Lejeune.
Qui était le général Marcel Bigeard ?
L'homme est né à Toul en 1916 dans une famille modeste. Son père est aiguilleur dans les chemins de fer. Il est appelé sous les drapeaux en 1939 et fait prisonnier par les Allemands lors de la débâcle de 1940. Il s'évade à la fin de l'année 1941 et rejoint l'armée de Libération présente en Algérie, un an plus tard.
En 1944, il est parachuté dans le sud-ouest de la France pour encadrer les mouvements de la résistance intérieure. Lorsque la guerre s'achève, il devient capitaine et reste dans l'armée. Le mythe Bigeard débute réellement au Vietnam lors de la guerre d'Indochine (1946-1954). Ce baroudeur, proche de ses hommes, multiplie les coups d'éclats à la tête d'un bataillon de parachutistes face à l'ennemi. En novembre 1953, il est parachuté sur Dien Bien Phu. Prisonnier, il recouvre un peu plus tard la liberté.
Lorsqu'il débarque en Algérie en 1955 avec ses parachutistes, le colonel Bigeard est une figure importante de l'armée française. Il intègre la 10ème division de parachutistes chargée de mener la contre-insurrection contre le FLN, le mouvement indépendantiste algérien.
3000 morts, 1000 disparus de la bataille d'Alger
En 1956, l'état-major du FLN porte la guerre dans Alger même, jusque-là préservée du conflit. Les attentats dans le quartier européen de la ville se multiplient. Le ministre-résident en Algérie, Robert Lacoste, fait appel au général Massu. Ce dernier commande la 10e division de parachutistes.
Son principal subordonné est Marcel Bigeard. Il coordonne alors l'action des forces parachutistes à Alger. C'est une guerre de renseignement. Les parachutistes emploient la torture pour empêcher les attentats. Le bilan est lourd. Paul Teitgen, alors préfet de police d'Alger et opposé cette pratique, avance le chiffre de 3000 morts, en très grande majorité des Algériens. Plus de 1000 personnes sont encore aujourd'hui portées disparues.
Le colonel Marcel Bigeard en 1958 à l'aéroport d'Orly
AP Photo/Marqueton
Les "crevettes Bigeard"
Une expression voit alors le jour, celle des "crevettes Bigeard". Elle désigne les personnes exécutées lors de "vols de la mort". Depuis un hélicoptère au large d'Alger, les pieds coulés dans une bassine de ciment, des hommes sont jetées à la mer. Des corps mal lestés échouent sur les plages de la baie de la capitale algérienne. Le général Bigeard a toujours nié que les troupes placées directement sous ses ordres avaient participé à des actes de torture.
Le préfet de police d'Alger, Paul Teitgen, dira alors au général Bigeard : "Ce n'est pas comme cela que l'on fait la guerre". En 1962, dans le cadre des accords d'Evian entre le FLN et le gouvernement français, une loi d'amnistie est votée en France. Marcel Bigeard ne sera jamais poursuivi.
Quelles réactions à la statuedu général Bigeard ?
Pierre Mansat est l'ancien président de l'association Josette et Maurice Audin. Ce militant communiste, partisan français de l'indépendance algérienne, a été torturé et assassiné par des parachutistes français à Alger en 1957. Le président de la République française, Emmanuel Macron, avait reconnu en 2017 la responsabilité de son pays dans la mort du jeune mathématicien.
Aujourd'hui, la déception et la colère prédominent chez Pierre Mansat. "C'est incompréhensible. Les historiens en France ont fait des progrès sur la question coloniale. L'emploi de la torture, durant cette période à Alger, a été documenté. Il y a une reconnaissance de la violence de la colonisation par la communauté scientifique. Et on décide d'ériger une statue pour un homme qui a été le symbole, à mon sens, des violences, contre les populations civiles durant la guerre d'indépendance algérienne". Il précise : "C'est d'autant plus incompréhensible que Paris essaie depuis quelques années d'opérer un rapprochement avec Alger sur les questions mémorielles".
En 2022, Emmanuel Macron en déplacement à Alger avait fondé avec l'aval du président Abdelmadjid Tebboune une commission paritaire d'historiens français et algériens. L'objectif était de travailler sur le meilleur moyen de combler les tensions mémorielles entre les deux pays.
Par micheldandelot1 dans Accueil le 25 Juin 2024 à 07:32
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