Anna Greki
Colette Anna Grégoire, dite Anna Greki, est une poétesse algérienne d’expression française née à Batna le 14 mars 1931 ; morte à Alger le 6 janvier 1966.
Un destin lié à son pays
Elle passe son enfance à Menaa et effectue ses études primaires à Collo, secondaires à Skikda et Annaba. Poursuivant ses études de lettres modernes à la Sorbonne, elle fait connaissance de l’étudiant Ahmed Inal, originaire de Tlemcen et membre du Parti communiste algérien. En 1955, elle interrompe ses études et rentre en Algérie avec lui pour participer activement au combat pour l’indépendance et enseigne comme institutrice. Ahmed Inal est tué par l’armée française le 20 octobre 1956 : « Vivant plus que vivant au cœur de ma mémoire et de mon cœur … » a écrit Anna dans l’un des poèmes dédiés à sa mémoire.
Anna Gréki est arrêtée le 21 mars 1957, après une semaine de torture, internée à la prison Barberousse d’Alger où elle écrit ses premiers poèmes. Elle est ensuite transférée en novembre 1958 au camp de Beni Messous, puis expulsée d’Algérie en décembre. Elle travaille comme institutrice à Avignon de 1959 à 1961. Elle épouse Jean-Claude Melki en 1960 puis gagne Tunis où vit son mari et où sera publié son premier recueil : « Algérie, Capitale Alger ».
Rentrée en Algérie à l’indépendance en 1962, elle signe ses poèmes « Anna Gréki », contraction de son nom « Grégoire » et de celui de son mari « Melki ». Membre de la première Union des écrivains algériens, fondée le 28 octobre 1963.
Elle s’enthousiasme pour la construction d’une Algérie « démocratique populaire et socialiste », mais déplore rapidement le virage autoritaire du régime. Son recueil Algérie, Capitale Alger, préfacé par Mostefa Lacheraf, est publié à Tunis et Paris en juillet 1963.
Rêves et projets…
Obtenant sa licence en 1965 Anna Gréki est nommée professeure de français au lycée Abdelkader d’Alger. Elle prend alors nettement position dans les débats qui sont menés autour des orientations révolutionnaires de la littérature. Elle prépare simultanément une étude sur les voyages en Orient de Lamartine, Flaubert et Nerval et commence l’écriture d’un roman.
Décédée au cours de son accouchement à Alger le 6 janvier 1966, elle laisse un second recueil : « Temps forts » qui sera publié par Présence africaine.
Avec la rage au cœur
Je ne sais plus aimer qu’avec la rage au cœur
C’est ma manière d’avoir du cœur à revendre
C’est ma manière d’avoir raison des douleurs
C’est ma manière de faire flamber des cendres
A force de coups de cœur à force de rage
La seule façon loyale qui me ménage
Une route réfléchie au bord du naufrage
Avec son pesant d’or de joie et de détresse
Ces lèvres de ta bouche ma double richesse
A fond de cale à fleur de peau à l’abordage
Ma science se déroule comme des cordages
Judicieux où l’acier brûle ces méduses
Secrètes que j’ai draguées au fin fond du large
Là où le ciel aigu coupe au rasoir la terre
Là où les hommes nus n’ont plus besoin d’excuses
Pour rire déployés sous un ciel tortionnaire
Ils m’ont dit des paroles à rentrer sous terre
Mais je n’en tairai rien car il y a mieux à faire
Que de fermer les yeux quand on ouvre son ventre
Je ne sais plus aimer qu’avec la rage au cœur
Avec la rage au cœur aimer comme on se bat
Je suis impitoyable comme un cerveau neuf
Qui sait se satisfaire de ses certitudes
Dans la main que je prends je ne vois que la main
Dont la poignée ne vaut pas plus cher que la mienne
C’est bien suffisant pour que j’en aie gratitude
De quel droit exiger par exemple du jasmin
Qu’il soit plus que parfum étoile plus que fleur
De quel droit exiger que le corps qui m’étreint
Plante en moi sa douceur à jamais à jamais
Et que je te sois chère parce que je t’aimais
Plus souvent qu’a mon tour parce que je suis jeune
Je jette l’ancre dans ma mémoire et j’ai peur
Quand de mes amis l’ombre me descend au cœur
Quand de mes amis absents je vois le visage
Qui s’ouvre à la place de mes yeux – je suis jeune
Ce qui n’est pas une excuse mais un devoir
Exigeant un devoir poignant à ne pas croire
Qu’il fasse si doux ce soir au bord de la plage
Prise au défaut de ton épaule – à ne pas croire…
Dressée comme un roseau dans ma langue les cris
De mes amis coupent la quiétude meurtrie
Pour toujours – dans ma langue et dans tous les replis
De la nuit luisante – je ne sais plus aimer
Qu’avec cette plaie au cœur qu’avec cette plaie
Dans ma mémoire rassemblée comme un filet
Grenade désamorcée la nuit lourde roule
Sous ses lauriers-roses là où la mer fermente
Avec des odeurs de goudron chaud dans la houle
Je pense aux amis morts sans qu’on les ait aimés
Eux que l’on a jugés avant de les entendre
Je pense aux amis qui furent assassinés
A cause de l’amour qu’ils savaient prodiguer
Je ne sais plus aimer qu’avec la rage au cœur
A la saignée des bras les oiseaux viennent boire.
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Colette Melki, alias Anna Gréki © DR
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