Ce dimanche, à 16 heures, le chanteur Enrico Macias assurera un concert salle Ravel au Touquet. L’inusable artiste de 85 ans devrait chanter ses plus grands tubes. Rencontre avec celui qui aime les gens du Nord.
Enrico Macias sera en concert au Touquet ce dimanche. Photo repro «La Voix».
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Enrico Macias, depuis 60 ans vous accompagnez nos vies avec vos chansons. Après tant de voyages, tant de succès, que reste-t-il du petit Gaston que vous étiez en Algérie ?
« Je suis toujours le petit garçon de Constantine. J’ai eu une enfance extraordinaire, avec beaucoup de rires et de joie. Ma jeunesse a été beaucoup plus difficile et nous avons subi de plein fouet la violence de la guerre d’Algérie. J’ai vécu l’histoire de ce moment douloureux, ma vie comme beaucoup a connu des joies et de grandes peines. »
Deux ou trois dates de votre vie, celles dont vous voudriez qu’on se souvienne ?
« La première, 1961. C’est la date où j’ai quitté mon pays. C’était une tragédie, un moment de tristesse extrême. C’est le propos de mon premier succès : “J’ai quitté mon pays, j’ai quitté ma maison, ma vie, ma triste vie se traîne sans raison.” La seconde 1964. J’ai fait la première partie des compagnons de la chanson à l’Olympia. C’est le début d’une carrière qui ne s’est jamais interrompue depuis. La dernière, 1979. J’ai rencontré Anouar el Sadate après les accords israélo-égyptiens, la victoire de la paix sur la guerre. En octobre 1981, la violence a repris le pouvoir en assassinant ce berger de la paix. »
Une chanson dont vous êtes fier au vu de son message ?
« J’ai redécouvert un titre écrit en 1977, «La Folle espérance». C’est vraiment un titre prémonitoire : “ C’est la folle espérance, il faut faire tout ce que l’on peut, un jour dans ce désert, nous pourrons être heureux, chaque main tendue est un pas de plus vers tout ce que l’on croyait perdu. ” La musique est pour moi un autre langage. Elle est indispensable à ma vie depuis mes débuts sur scène, à 15 ans, avec mon futur beau-père. »
La scène reste-t-elle toujours importante pour vous ?
« Quand je suis sur scène, je ne suis plus fatigué. C’est mon oxygène, ma raison de vivre. Je donne beaucoup mais je reçois tellement en retour. »
Pensez-vous toujours que les gens du nord ont dans le cœur le soleil qu’ils n’ont pas dehors ?
« Bien sûr ! Tout ce que j’ai chanté dans cette chanson reste véridique. Je m’y sens chez moi. J’y ai toujours un accueil extraordinaire. J’y suis en confiance, en totale sécurité. Je sens l’amour des gens. Je me fais un plaisir de venir au Touquet, à la rencontre d’un public que je sais fidèle. »
Quelle trace voudriez-vous laisser ?
« Avec de petites choses, on peut faire des choses extraordinaires. Je suis un ami du public, un ami de la famille. Je continue pour ceux qui s
"Le Jeu de la reine", "Marin des montagnes" et maintenant "Motel Destino", en lice pour la Palme d'or de la 77e édition du Festival de Cannes : Karim Aïnouz est incontournable sur les écrans français ces dernières semaines. Entretien.
Le réalisateur brésilien Karim Aïnouz, à Paris, le 17 avril 2024. (FG/FRANCEINFO)
Marin des montagnes, en salle depuis le 17 avril, lettre à sa mère disparue, est un documentaire sur son autre pays, l'Algérie, découverte pour la première fois en 2019. Le film est en salles et sa dernière fiction, Motel Destino, sera en compétition au prochain festival de Cannes. Franceinfo Culture a rencontré le cinéaste brésilien Karim Aïnouz, entre deux projections du Marin des montages.
Franceinfo Culture : Si votre mère n'était pas partie, auriez-vous fait ce voyage en Algérie, le pays natal de votre père ? Karim Aïnouz : Non, pour plusieurs raisons. D'abord, c'est un voyage qu'elle a toujours rêvé de faire et mon père ne l'a jamais invitée. C'était cher au départ et après, il y avait le visa, des considérations politiques… La chronologie a été la suivante : décennie de la guerre civile en Algérie, impossible d'y aller jusqu'en 2005. Par la suite, ce n'était pas simple pour elle de voyager : elle avait pris de l'âge et elle s'occupait de sa mère.
Dans tous les cas, c'est un voyage qu'elle voulait faire avec moi. Si je l'avais fait tout seul, cela aurait été une trahison et elle ne me l'aurait jamais pardonné parce que la séparation d'avec mon père a été vraiment traumatique. Surtout pour une femme seule, vivant à Fortaleza dans les années 1960, l'un des espaces le plus conservateurs du Brésil. Par contre, si je m'étais rendu en Algérie avec elle avant, je n'aurai pas réalisé ce film. Cela aurait été un voyage, tout simplement. Mais là, c'était une espèce de réparation. C'est pour cela qu'il y avait de la matière pour que cela devienne un film.
Votre documentaire est en fait une lettre à Iracema, votre mère. Ce style épistolaire fait penser à "La Vie invisible d'Eurídice Gusmão" (prix Un Certain Regard en 2019). Comment expliquez-vous ce choix formel ?
L'absence de mon père est contenue dans les lettres envoyées à ma mère que je n'ai d'ailleurs jamais lues. Il y a également toutes celles écrites par ma mère à la sienne, des États-Unis [où elle se rend pour poursuivre ses études au début des années 1960]. Le cinéma est pour moi une espèce de journal intime, avec des images. Au début, c'était plutôt la photo. Comme le cinéma, c'est une façon d'écrire avec une caméra. Les lettres viennent aussi de News From Home (1977) de Chantal Akerman, que j'ai vu. Il est extraordinaire. La réalisatrice belge séjourne à New York, elle filme la ville et elle lit des lettres envoyées par sa mère.
Beaucoup de teintes, notamment le rouge, envahissent l'écran dans Marin des montagnes. Une couleur que l'on retrouve un peu dans"La Vie invisible d'Eurídice Gusmão". Le rouge vous obsède-t-il ?
J'adore les couleurs. C'est comme du sang pour moi : la couleur traduit une pulsation de vie. En outre, j'ai un problème de cornée, qui est héréditaire. Aujourd'hui, il est réglé mais, à 22 ans, quand j'ai été diagnostiqué et que j'ai commencé à perdre la vue, photographier et filmer, c'était une façon de garder des archives, de graver littéralement la mémoire sur le celluloïd [matière qui servait à fabriquer les pellicules]. À l'époque, j'utilisais le Kodachrome (photo) et le Super 8 (cinéma). Leurs rouges sont très forts. Cette obsession pour la couleur remonte également, et c'est très clair dans Marin des montagnes, aux diapos que j'ai de mes parents. Les seules photos d'eux, ensemble, datent d'avant ma naissance et ce sont ces diapos. Comme vous l'avez vu dans le film, elles ont des couleurs vives.
Le métissage est en moi, dans le film et dans sa forme. C'est un documentaire que j'ai fait à 54 ans. J'avais fait beaucoup de choses avant et je voulais m'amuser. J'étais très libre. J'étais également libéré de la narration. Il y a une cohérence dans la narration qui m'angoisse parfois et me rend absolument fou. C'est pour cela que j'ai fait un documentaire, plutôt un essai pour moi... À part la lettre, qui est une espèce de fil rouge narratif, tout est libre.
Ce que j'ai appris en tant que cinéaste, metteur en scène avec ce film, c'est la façon d'amener l'inconscient. Je n'avais jamais réalisé de scène de rêve, de fantaisie comme je le fais dans Marin des montagnes.
Ce film m'a libéré à plusieurs niveaux. Quand vous verrez "Motel Destino", qui va être projeté à Cannes, vous constaterez qu'il y a beaucoup de choses qui viennent, formellement, de "Marin des montagnes".
Karim Aïnouz
Franceinfo Culture
Paradoxalement, ce retour aux sources est une découverte de l'Algérie, qui vous a donné envie de fuir. Pourquoi ?
C'est un film où j'essaie d'apprendre l'Algérie, la révolution. Je fais un détour pour répondre à votre question. Ce documentaire a été tourné en 2019 et, en 2018, un monstre [Jaïr Bolsonaro], un fasciste a été élu président du Brésil. C'est vrai que le départ de ma mère m'a libéré pour faire Marin des montagnes, mais l'année où je suis allée en Algérie, il y a eu le Hirak [mouvement historique de protestation]. La grande raison d'être de film était d'en apprendre plus sur la révolution, ce mouvement d'indépendance algérien. J'avais soif d'en savoir davantage sur la grande histoire et il fallait pour cela que je rentre dans ma propre histoire, celle de l'implication de ma famille dans cette révolution. Je suis un fils de la révolution d'une certaine façon. En allant dans le village de mon père, Tagmut Azuz, je suis allée à la source de cette "histoire". J'y ai retrouvé quelque chose de très familier, de très fort sur le plan physique. Pas au niveau psychologique parce que ce village m'est plus étranger que la France par exemple. Je me suis alors dit qu'il ne fallait pas que j'insiste pour que cet endroit devienne ma matrie parce que c'est comme si j'insistais pour que mon père devienne mon père. Mon père n'est pas mon père dans le sens où je n'ai pas partagé mon enfance avec lui. C'est la même chose avec l'Algérie. Il y avait quelque chose de très fort mais j'estimais que c'était hypocrite de dire que je m'y suis sentie comme à la maison. C'est une sensation troublante, dynamique, complexe et contradictoire, et je réponds à la question comme cela. J'ai tout simplement appris avec ce film que je peux être aussi Algérien.
"Marin des montagnes" me permet désormais de parler de l'Algérie. Je peux parler de mes racines, de la famille de mon père et de l'histoire de la révolution algérienne. J'ai une image en face de moi. Avant je n'avais rien.
Karim Aïnouz
Franceinfo Culture
Le film vous a-t-il aussi donné envie de travailler en Algérie ?
Beaucoup. En Algérie et en Afrique, un continent qui est toujours poussé dans l'invisibilité. Nous vivons une guerre dont l'une des raisons est le fait que nous n'avons pas d'images historiques, une espèce d'absence de ce qu'était la Palestine. C'est comme si elle n'existait pas, un point aveugle. L'une de mes missions dans la vie maintenant est de rendre visible certaines histoires. Cela a vraiment commencé avec Madame Satã [son premier film présenté à Cannes]. L'invisibilité [de ce transformiste] qui était un géant, m'avait déjà interpellé. Faire du cinéma, c'est la possibilité d'une réparation historique, la fin de l'invisibilisation.
Pour en revenir à l'Algérie, je suis en train de développer un projet de science-fiction sur les essais nucléaires français dans ce pays. C'est incroyable et on n'en parle pas. J'aimerais également faire une fiction sur le festival panafricain en 1969. Mai 68, c'était bien mais ce festival...C'était la joie, la solidarité, l'avenir... Je pense également à des sujets, qui sont déjà dans Marin des montagnes, autour de la mythologie kabyle.
On l'a encore vu dans Le Jeu de la reine, qui est sorti en mars et dont l'héroïne Catherine Parr est malmenée par son époux Henri VIII. Vous revenez toujours aux femmes, à leur place dans la société. Pourquoi ?
J'ai beaucoup plus d'intimité avec les personnages féminins parce que j'ai grandi avec des femmes. Ce ne sont évidemment pas des anges, mais il y avait une espèce d'horizontalité, de solidarité à la maison.
Avec Le Jeu de la reine, le film que vous allez voir et le prochain que je vais réaliser cette année, cela m'intéresse de faire une espèced'anatomie des hommes parce que, pour bien comprendre les personnages féminins, il est important de mieux appréhender leurs alter ego masculins. Le Jeu de la reine m'a réveillé avec ce personnage d'Henri VIII. Cela m'interpelle parce qu'on souffre beaucoup, maintenant, à cause de ce type de personnages très toxiques, nucléaires même. Cela m'intéresse de comprendre qui sont ces gens : Trump, Poutine... En tant qu'artiste et cinéaste, j'aimerais beaucoup me plonger dans ces personnages masculins.
Vous serez de nouveau en compétition à Cannes en mai avec "Motel Destino". Nous savons déjà par Thierry Frémaux, le délégué général du festival, qu'il y sera question de sexe. Mais encore...
Beaucoup (rires). Le sexe, c'est la vie. Motel Destino est très sensuel et très sexuel, un film très vital donc. Je vais répondre à votre question en commençant par le début. J'ai monté une école de scénario chez moi à Fortaleza, il y a 12 ans, avec l'aide du gouvernement local et deux autres cinéastes. Je sentais que le cinéma brésilien manquait de formation sur la narration. Il n'y avait pas d'école de scénario. Avec des étudiants, grâce à l'aide d'un fonds de soutien, nous avons développé cinq longs-métrages sur la thématique du crime, dont Motel Destino.
Ce film est une histoire d'amour entre un homme afro-indien et une femme un peu plus âgée : il a 22 ans et elle, la trentaine. Le personnage masculin a un frère et ils vont faire quelque chose de pas très bien. Le premier va alors prendre la fuite et se cacher dans un motel. Au Brésil, c'est un endroit où l'on vient pour avoir des rapports sexuels. Et là, il tombe amoureux de la femme du propriétaire du motel, qui a une relation très toxique avec les hommes. La rencontre entre les deux personnages est d'abord physique mais elle va évoluer vers une relation de solidarité – ils vont se sauver – et d'amour. Le scénario de Motel Destino a été écrit par l'un de mes élèves. Ce film est une production dans laquelle beaucoup d'étudiants de l'école ont travaillé. C'est très bien de leur apprendre à écrire mais c'est tout aussi important de leur donner une expérience concrète. J'ai atteint un âge où il faut partager.
Motel Destino est à la fois une sorte de cousin du cinéma noir américain, qui s'inspire beaucoup d'une tradition du cinéma brésilien restée cachée, la comédie pornographique. Ce genre, très populaire dans les années 1970, était réalisé par les grands cinéastes brésiliens, à l'époque des militaires, parce qu'on ne pouvait pas parler politique. On y retrouvait donc plein de métaphores. En somme, Motel Destino m'a offert la possibilité de travailler avec une nouvelle génération tout en conversant avec une tradition du cinéma brésilien, encore une fois rendue invisible parce que les gens ont honte de ces comédies pornographiques que je trouve sublimes. Ils ont d'ailleurs fait un remake d'Emmanuelle, avec deux filles, l'une est marxiste, l'autre capitaliste... C'est juste génial.
Vous êtes en compétition deux années de suite au Festival de Cannes, un rendez-vous qui s'est avéré toujours marquant. Qu'est-ce que le festival représente pour vous ?
La chaîne de production du cinéma commence avec un scénario et finit avec une sortie. La presse est très importante. Pour les films qui ne sont pas américains, qui n'ont donc pas de gros budgets de promotion, les festivals sont un espace stratégique. En ce qui me concerne, Cannes est un festival qui me suit depuis mon premier film [Madame Sãta]. Tous mes films ne sont pas passés à Cannes mais il y a une sorte de suivi. C'est essentiel parce que c'est très rare de trouver un endroit où l'on continue à parler, à travailler dans un contexte mondial. Un festival où l'on présente un film brésilien avec des comédiens que personne ne connaît aux côtés d'œuvres de Cronenberg ou de Coppola, c'est très rare. Le Festival de Cannes nous donne ainsi de l'espoir dans une industrie qui est vraiment "anglo-franco-européenne".
Il y a une célébration du cinéma, une solennité, qui est très importante. La magie que le festival apporte au cinéma l'est tout autant.
Karim Aïnouz
Franceinfo Culture
À Cannes, le monde prend de mes nouvelles. Mais le plus important, ce sont les rencontres. Je me souviens que c'est là, même quand je n'avais pas de film, que j'ai croisé toute une génération de réalisateurs d'Amérique latine. C'est moins cher de se retrouver au Festival de Cannes que de se rendre dans différents pays sud-américains pour se rencontrer. C'est un festival où l'on peut vraiment partager des expériences, celles que l'on a en commun avec des Latino-américains, mais aussi des cinéastes originaires de Chine, de Taïwan ou encore du Japon. Cannes est éminemment un lieu d'échanges.
Comment se portent le cinéma brésilien et celui d'Amérique latine ?
Instable, à l'image de l'instabilité politique qui règne sur le continent. Au Brésil, Motel Destino a été financé avant l'arrivée au pouvoir du monstre [l'ancien président Jaïr Bolsonaro]. Mais il n'a honoré aucun contrat. Nous avons reçu le financement, obtenu du fonds national pour la production, après son départ. Pendant quatre ans, nous n'avons fait que du "servicing" pour les plateformes. La diversité du cinéma brésilien a été réduite au silence. Aujourd'hui, nous assistons à un renouveau comme le montrent d'ailleurs les films présents sur la Croisette [Motel Destino, A queda do céu (La Chute du ciel) de Eryk Rocha et Gabriela Carneiro da Cunha ainsi que Baby de Marcelo Caetano à la Semaine de la critique)]. C'est rare que l'on ait un film dans toutes les sections. Après le coup d'arrêt que nous avons connu, il y aura une espèce d'explosion du cinéma brésilien, à l'instar de celle d'un pays qui a vécu ce que nous avons vécu pendant quatre ans.
Le chef du renseignement militaire israélien, Aharon Haliva, a annoncé lundi 22 avril qu’il quittait ses fonctions, en reconnaissant son incapacité à prévenir et empêcher l’incursion sanglante du Hamas du 7 octobre 2023. Une démission qui accentue la pression sur d’autres responsables militaires et politiques, à commencer par Benyamin Netanyahou.
Est-ce le premier d’une longue série de dominos à tomber ? Beaucoup en Israël l’espèrent ardemment, deux cents jours après les attaques meurtrières perpétrées par le Hamas le 7 octobre 2023. Le directeur du renseignement militaire (Aman), le général Aharon Haliva, a annoncé lundi 22 avril qu’il quittait son poste, après trente-huit années de service dans l’armée, en reconnaissant sa « responsabilité » dans l’assaut sanglant. Il était devenu le visage d’un establishment sécuritaire incapable d’anticiper la menace du mouvement armé palestinien et de prévenir le carnage.
Dans une lettre adressée au général Herzi Halevi, chef d’état-major de l’armée, Aharon Haliva assume ses défaillances dans ce qui est devenu la journée la plus meurtrière de l’histoire d’Israël. « Le 7 octobre 2023, (…) le service du renseignement placé sous mon commandement n’a pas rempli la mission qui lui avait été confiée », écrit le responsable, qui était en vacances à Eilat le jour de l’assaut survenu en pleine fête de Sim’hat Torah. « Je porte avec moi ce jour noir depuis. Jour après jour, nuit après nuit. Je porterai pour toujours cette terrible douleur », ajoute-t-il, dans ce texte publié au premier jour de Pessah, la Pâque juive assombrie par l’absence des otages retenus à Gaza depuis plus de six mois (lire les repères en bas de l’article).
L’appel à une commission d’enquête
Le général de 56 ans, qui quittera l’armée une fois son successeur nommé, avait laissé entendre au lendemain des attaques qu’il prendrait ses responsabilités à l’issue de la guerre. « Son annonce, six mois plus tard, s’explique par le fait que la phase intensive, sous la forme de grandes manœuvres interarmées, est quasi terminée », note David Khalfa, codirecteur de l’Observatoire de l’Afrique du Nord et du Moyen-Orient à la Fondation Jean-Jaurès. « Et le fait qu’elle soit acceptée par le chef d’état-major en pleine guerre montre que l’armée estime qu’il est temps de revenir en arrière et de faire un examen de conscience. »
Aharon Haliva, qui devient ainsi le premier membre de l’establishment sécuritaire à endosser la responsabilité de cette débâcle, réclame également la création d’un comité d’enquête étatique. Un appel qui fait écho à la commission Agranat sur les défaillances de l’armée sur la guerre du Kippour en 1973, ou plus récemment à celle de Winograd en 2006 après le conflit avec le Liban.
« Le fait qu’un des personnages les plus respectés du pays réclame une enquête n’est pas anodin. Sa déclaration donne le coup d’envoi d’une grande autocritique collective qui va se mettre en place pour examiner la responsabilité du personnel militaire et politique dans les prochains mois », ajoute le spécialiste du Proche-Orient. Une demande à laquelle les familles des otages et les manifestants anti-Benyamin Netanyahou devraient rapidement s’associer.
Un nouveau souffle pour les manifestations anti-Netanyahou
Cette annonce accentue de facto la pression sur d’autres hauts responsables et sur le premier ministre qui, contrairement à Herzi Halevi et à Ronen Bar, le chef du renseignement intérieur Shin Bet, n’a jamais reconnu son rôle dans l’échec du 7 octobre. Le chef de l’opposition, Yaïr Lapid, l’a d’ailleurs aussitôt exhorté à emboîter le pas de Aharon Haliva. « L’autorité s’accompagne de lourdes responsabilités », a-t-il écrit sur le réseau social X.
« Cette démission est le geste inaugural d’une nouvelle crise qui sera longue. Elle va enclencher un processus en interne qui aboutira tôt ou tard à la démission du général HerziHalevi, de responsables du commandement sud, de brigadiers… Mais la pression va s’accroître sur le personnel politique et donner un nouveau souffle aux manifestations anti-Netanyahou, ajoute David Khalfa. La droite pro-Netanyahou fera tout pour échapper à une enquête, en diabolisant l’état-major pour s’exonérer. Mais le soutien de la population à l’armée reste très important, contrairement à celui pour le premier ministre. Je ne vois pas comment il pourra tenir sur le long cours. »
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1 170 morts et encore 129 otages dans la bande de Gaza
Le 7 octobre 2023, l’incursion sanglante du Hamas a causé la mort de 1 170 personnes, essentiellement des civils, d’après un décompte de l’Agence France-Presse fondé sur des chiffres officiels israéliens.
Les commandos du mouvement islamiste palestinien ont aussi enlevé 250 personnes, dont une centaine ont été libérées au cours de la trêve de la fin novembre.
Parmi les otages toujours captifs, 34 seraient morts, selon Israël.
Lundi 22 avril, premier jour de Pessah, les juifs israéliens ont laissé une chaise vide lors de leur repas de fête, symbole de l’espoir de voir revenir les 129 otages toujours détenus dans l’enclave palestinienne.
Sur les plages de Tel-Aviv, en ce radieux samedi de mars, tribus urbaines et familles profitent du soleil. Pique-niques, musiques et bières. Gaza est à 70 kilomètres. Les armes de réservistes visibles à droite et à gauche en témoignent. Un peu à l’écart, en équilibre sur une digue de pierres, un homme buriné fume une cigarette. Moki vient de Leningrad, a émigré en Israël en 1997 et fait la guerre au Liban en 2006. À 54 ans, il travaille dans un pressing. L’interrogeant sur la situation en Israël, il me jauge et répond : « Pays de merde ». La veille, dans un restaurant branché de Tel-Aviv, je croise Hanna, 27 ans. Cette jeune russe est née à Saint-Pétersbourg et plus Leningrad, affaire de génération. Elle est arrivée il y deux ans pour fuir la Russie de Poutine et son infecte guerre en Ukraine. L’ironie tragique de son parcours fait sourire. Hanna dit la même chose que Moki, elle compte reprendre sa route.
Elle ne sera pas la seule : un diplomate européen de haut rang explique en off que les demandes de passeports sont en forte hausse dans les consulats occidentaux, cinq fois plus que l’année dernière à la même époque. Cinq millions d’Israéliens auraient déjà un second passeport, soit la moitié de la population.
« Pays de merde », dit aussi Gabriella, croisée dans le village de tentes de Jérusalem le 1er avril, installé sur un boulevard entre la Knesset, le Parlement et la Cour suprême. Les bénévoles distribuent matelas de camping et oreillers pour rendre moins rude le séjour militant à même le bitume. Gabriella a manifesté une partie de l’année 2023 pour défendre cette fichue Cour suprême, vigie myope d’une démocratie s’accommodant de nombreuses discriminations contre les Palestiniens. Sa colère est grande contre ce « gouvernement de losers », incapable de libérer les otages et de gagner « cette horrible guerre » qu’il a déclenché. « Qu’ils foutent le camp », hurle Mariana. « Ce sont des minables ! Cette guerre ne nous mène nulle part. Ce sont des planqués », soupire un autre manifestant près de la Knesset le 4 avril, alors que le général Yaïr Golan achève son discours enflammé. « Gouvernement de merde, ce sont des incapables enfermés dans leur messianisme », ajoute Nitzan Horowitz, ancien dirigeant du Meretz, le parti de la gauche sioniste pour l’heure en perdition, et ex-ministre de la santé. « Le gouvernement a tellement failli qu’il ne peut s’en sortir qu’en surjouant sa propre rage », constate un diplomate européen, qui déplore les « terribles erreurs de méthode » de Benyamin Nétanyahou et de son cabinet.
« QU’IL PARTE ! QU’ILS PARTENT TOUS ! »
Après plus de six mois de guerre, le niveau de haine à l’égard de Nétanyahou atteint un niveau jamais vu en Israël. Les Israéliens s’indignent d’apprendre que son fils Yaïr s’est mis à l’abri à Miami, protégé par deux hommes du Mossad, tandis que Sara, la femme du premier ministre, a fait installer un salon de coiffure à la résidence officielle pour ne plus avoir à affronter la foule en rogne autour de son adresse favorite de Tel-Aviv. « Nétanyahou n’a plus d’autres idées que de sauver sa femme, son fils et ses proches, déplore Nitzan Horowitz. Les gens disent “allez on oublie les poursuites, mais qu’il parte, qu’ils partent tous !” ».
« Pays de merde », dit encore un habitant palestinien de Haïfa, qui craint comme bien d’autres de manifester sa solidarité avec les gens de Gaza de peur de voir sa vie brisée par la répression. Les Israéliens peuvent manifester leur rage, cependant les Palestiniens citoyens d’Israël sont assignés au silence. Un boulevard pour les uns, des matraques pour les autres.
« Pays de merde », la trivialité de l’expression amuse Ruchama Marton mais ne la surprend pas. À 86 ans, cette figure de la gauche israélienne, haute comme trois pommes et regard malicieux, a été la fondatrice de Physicians for Human Rights, qui a publié début avril en Une du Haaretz la liste des 470 professionnels de santé tués à Gaza depuis le début de l’offensive israélienne. Elle a compris la nature d’Israël dès 1956. À 20 ans, Ruchama Marton servait dans le Sinaï. Elle a vu les soldats de la brigade Givati abattre d’une balle dans la tête et sans sommations des prisonniers égyptiens.
Tout cela vient de loin.
Samson, le héros national religieux, raconte Yoav Rinon, professeur à l’université hébraïque de Jérusalem, était un « égoïste forcené » qui avait « besoin d’humilier ». La figure emblématique des messianistes qui co-gouvernent Israël croyait que sa force le rendrait invincible. Ce mythe rabâché pour manuels scolaires propagandistes est en train de prendre fin. Sage érudit, Yoav Rinon pense qu’il est temps de
passer d’une idée fondée sur le meurtre et le suicide à une pulsion de vie. L’idée de partage doit se fonder sur un renoncement au droit exclusif sur cette terre. Il faut en faire un espace de vie et non un espace de mort judéo-palestinien1.
Beau vœu pieux car pour l’instant, « les Israéliens ont anéanti Gaza par rage et non par nécessité », résume un diplomate et « tout encore peut arriver ».« Nétanyahou continue de promettre aux Israéliens une "victoire totale", mais la vérité est que nous sommes à deux pas d’une défaite totale », observe ainsi l’historien libéral Yuval Noal Harari2. Pour lui, le premier ministre a fait preuve « d’orgueil, d’aveuglement, de vengeance » tout comme Samson.
Pourtant, l’évocation de « ce héros vaniteux » selon Harari illustre une évidence : le modèle actuel du pays, basé sur la violence et la domination a vécu. La défaite menace l’avenir d’Israël. Tout le monde en parle, en privé, en famille, avec l’ami de passage. La gauche israélienne fracturée par la question coloniale, et cela bien avant le 7 octobre, doit aussi se réinventer, alors que le gouvernement mène une guerre totale contre les Palestiniens à Gaza, les harcèlent dans les territoires, et menacent leurs libertés – et par rebond celle de tous les citoyens — dans les frontières d’Israël de 1948.
Dans un surprenant effet miroir, « tu crois que c’est la fin d’Israël ? » est la question que pose à haute voix la plupart des Israéliennes et Israéliens, juifs, chrétiens ou musulmans, croyants ou non, autant pour eux que pour le journaliste de passage. Autant de personnes qui ont voulu la paix, imaginé un avenir commun. « On a déjà connu des jours sombres, des attentats, des périodes où on se retrouvait à 50 pour des manifestations. Mais là... c’est très difficile de parler », dit un architecte de Tel-Aviv. « Tout le monde va mal, tout le monde se porte mal, même les gens qui prétendent aller bien », confirme une amie de Jérusalem. Beaucoup ont peur aussi, ce qui jette un voile gris sur le pays. On parle peu de cette peur, certains disent même avoir « retrouvé la fierté d’être Israéliens », cependant ils partagent cette angoisse du clap de fin.
Sortir de l’impasse mortifère est au cœur de l’action d’Orly Noy. Née en Iran, journaliste, traductrice, elle vient à 54 ans de prendre la présidence de B’Tselem, la plus puissante des ONG sur les droits humains en Israël, qui a profondément évolué depuis dix ans sur la caractérisation de l’apartheid israélien. Le regard affûté de cette militante de longue date a contribué au succès du magazine en ligne +972, à l’origine de révélations terrifiantes sur l’utilisation par l’armée israélienne à Gauche.
ceux se disant de gauche nombreux à soutenir la guerre. Comme ces chanteurs et ces comédiens qui ont multiplié les messages énamourés aux soldats et les tournées sur le front. Orly Noy ironise sur « leurs égarements gauchistes » passés, tandis que d’autres dénonçaient sa complaisance supposée à l’égard du Hamas4.
« LES GÉNÉRAUX C’EST LA PLAIE D’ISRAËL »
De son côté, le général Yaïr Golan vise la relance d’une gauche plus classique puisqu’il ambitionne de prendre la tête du parti travailliste Haavoda pour l’heure exsangue avec seulement quatre députés. Cet ancien vice chef d’état-major « est comme tous les généraux. Quand ils arrêtent le service ils se mettent à parler de la paix, car ils savent qu’il est impossible de gagner la guerre », résume une intellectuelle. Député et ministre du Meretz entre 2020 et 2022, il a été un héros national le 7 octobre en se rendant seul, à trois reprises, sur le lieu de la rave pour sauver des participants menacés. Pour le général, « nous devons changer de direction de façon radicale, car il est impossible de détruire le Hamas. Israël n’a pas de vision sur la façon de continuer cette guerre tout en avançant politiquement : c’est une honte ».
La candidature du général Golan à la tête d’une future coalition de gauche, si elle séduit les militants des manifestations de Tel-Aviv et Jérusalem, rencontre beaucoup de résistances. « Les généraux, c’est la plaie d’Israël », dit une ex-militante du Meretz. De plus, « la gauche sioniste n’aime peut-être pas Nétanyahou, cependant elle apprécie sa politique. Elle a soutenu la Nakba en 1948, puis l’apartheid de fait, la colonisation et maintenant le génocide », ajoute Jamal Zahalka, un ancien député de Balad5, qui connait bien cette « gauche-là » pour l’avoir longtemps côtoyée à la Knesset.
Yael Berda n’entend pas ménager la chèvre et le chou comme la gauche sioniste. Cette anthropologue et universitaire est bien ancrée dans ses convictions, fait rare à Tel-Aviv. « Je suis une pro-palestinienne de gauche, je suis contre l’occupation et l’État colonial. Mais je ne peux pas comprendre ceux qui n’arrivent pas à dire que le 7 octobre est une horreur. Je ne peux pas l’accepter. » Pour Yael Berda, la guerre est aujourd’hui la pire des solutions : « Il faut se donner le temps de parler, alors que l’on passe notre temps à demander aux Palestiniens de se justifier puis de se défendre. » L’universitaire pense que l’arbitraire qui domine depuis trop longtemps doit stopper et qu’un nouveau modèle de pays est à inventer. « Il ne peut y avoir de pays avec des millions de gens sans droits. Il faut donc donner des droits aux Palestiniens ».
Remettre la Palestine au centre du jeu est pour Berda un enjeu central de la gauche israélienne, même si rien ne laisse penser que le pays change de cap dans les prochains mois. Malgré des manifestations qui ont retrouvé de la vigueur depuis mi-mars, la gauche israélienne n’a pas de programme clair, notamment sur la paix, la grande oubliée du moment dans un pays tout entier dans la guerre. Le premier ministre est solidement installé avec une majorité de 64 sièges. En dépit de tiraillements avec l’extrême droite sur la portée de l’offensive à Gaza et avec les partis religieux sur l’extension du service militaire aux ultra-orthodoxes, Nétanyahou tient sa majorité. Certes, début avril, avant l’offensive aérienne iranienne, sa popularité était tombée à 30 %. Cela dit, avec l’opposition officielle d’un Benny Gantz participant au cabinet de guerre et d’un Yaïr Lapid soutenant la guerre, Nétanyahou n’a pas de souci à se faire. « Gantz et Nétanyahou, franchement, c’est du pareil au même », note un diplomate.
La gauche a aussi délaissé un autre front, plus insidieux encore, ouvert par le gouvernement : les atteintes aux libertés, notamment pour les Palestiniens de l’intérieur. « La mauvaise herbe », disent-ils, est souvent traitée comme une cinquième colonne. Arrestations préventives, mises en cause publiques, inculpations injustifiées... Tout un arsenal liberticide s’est mis en place.
Il y a d’abord les médias. « La presse israélienne est comme un orchestre où les musiciens joueraient tous le même instrument, explique Ari Remez, responsable de communication de l’ONG de défense des droits des Palestiniens Adalah. Il n’y a jamais ou presque de Palestiniens sur les télés. Les médias mainstream et même libéraux soutiennent la guerre et les crimes du gouvernement ». Chez beaucoup de gens, Palestiniens comme Israéliens, l’écoute d’Al-Jazira est indispensable pour une information diversifiée. Cependant, le gouvernement a voté une loi visant à interdire de diffusion la chaîne qatarie. « La brutalité est choquante, mais ce qui est encore plus choquant c’est la manière dont les médias israéliens soutiennent cette brutalité et nous vendent des héros israéliens, poursuit Jamal Zahalka. La plupart des gens ne savent pas ce qu’il se passe pour la liberté d’expression, ou ils s’en fichent ».
Les médias ont par exemple participé à la mise en cause publique de gens innocents, comme si cela contribuait à défendre un Israël humilié depuis le 7 octobre. Haro sur la liberté d’expression des Palestiniens et de leurs rares soutiens, c’est pour le régime et les médias aux ordres une sorte de revanche. « Comme s’il s’agissait d’abord de punir les Palestiniens parce qu’ils sont Palestiniens », commente un avocat.
Punir et humilier sont les bases de la « déshumanisation » des Palestiniens. Comme si, au-delà du macabre bilan des victimes de Gaza, que beaucoup de Palestiniens d’Israël pleurent en raison de liens de parenté maintenus malgré l’exil et la colonisation, des millions de personnes n’avaient plus de pensées autonomes, de droit d’être autre chose qu’une menace. Ni protestations contre l’offensive israélienne, ni larmes pour les morts de Gaza. Le ministre de la défense Yoav Gallant, a parlé « d’animaux » à leur propos. Pour empêcher toutes protestations, la répression s’est brutalement abattue sur les universités et les collèges. Adi Mansour, conseiller juridique de l’ONG Adalah basé à Haïfa s’en inquiète.
Les libertés des Palestiniens d’Israël sont menacées, toute critique est perçue comme une démonstration de traitrise et la criminalisation des médias sociaux et des expressions publiques est en marche. C’est sans précédent cette criminalisation des paroles libres.
Il suffit d’exprimer de la sympathie envers les Gazaouis pour que cela devienne de la sympathie à l’égard du terrorisme. « Plus de 95 étudiants de 25 collèges et universités ont été inculpés, près de la moitié ont été relaxés, mais ce n’est pas pour autant un succès pour nous », poursuit Adi. Selon lui, les procédures criminelles sont utilisées pour punir des délits d’opinion supposés dans le cadre de la guerre. Des personnes sont sanctionnées en raison de ce qu’elles pensent. Certaines mises en cause tiennent de la farce. Une étudiante qui avait posté, quelques jours après le 7 octobre, une image de champagne et de ballons pour un événement personnel a été accusée de soutenir le Hamas et le terrorisme.
Le harcèlement des étudiants Palestiniens en Israël
Depuis le début de la guerre, 124 étudiants de 36 universités et collèges israéliens ont contacté Adalah pour obtenir une aide juridique concernant les plaintes déposées contre eux pour leur activité sur les réseaux sociaux. 95 d’entre eux ont effectivement été assisté par l’ONG, qui a fourni ces données actualisées au 12 avril 2024 en exclusivité pour Orient XXI. Trois observations : ce sont majoritairement des étudiantes qui sont mises en cause, les suspensions sont très nombreuses et pénalisent gravement la poursuite des études pour ces personnes.
L’avocat ajoute que « ce qui est en jeu, c’est la mise en cause des libertés académiques et du droit des étudiants. Qui peut décider ce que l’on a le droit de dire dans le champ académique ? ». Le gouvernement met la pression sur les professeurs d’universités et de collèges pour s’assurer de la « loyauté » des étudiants. Le ministre de l’intérieur est à la manœuvre pour imposer des normes sur les réseaux sociaux. Les procédures judiciaires sont au service de la propagande politique. Ce professeur israélien à l’université Ben-Gourion du Néguev fait part de « ses inquiétudes pour les libertés publiques et académiques, car le climat général n’est pas à la discussion ». Il juge prudent de demander à ses étudiants de se taire, au moins sur les réseaux sociaux, même si leurs opinions sur la situation à Gaza n’ont rien à voir avec leur cursus universitaire. Une de ses collègues de l’université hébraïque de Jérusalem, Nadera Chalhoub-Kevorkian, vient d’ailleurs d’être placée en garde à vue 24h après avoir été renvoyée de l’université, en raison de ses critiques sur la guerre à Gaza.
Censure, arrestations, menaces, « les autorités deviennent dingues à propos de la solidarité avec Gaza. On ne fait que des petites manifestations, car les gens ont peur de se faire tirer dessus », témoigne Majd Kayyal, un écrivain de Haïfa qui anime le site Gaza Passages dédié à des textes d’autrices et d’auteurs de Gaza et publié dans une douzaine de langues.
« LE PROBLÈME, C’EST NOTRE PAYS »
Pour Adi Mansour, il s’agit d’abord d’empêcher les gens de verbaliser ce qu’ils sont, c’est-à-dire Palestiniens : « Tout cela sert d’abord à museler la société palestinienne. Chaque arabe devrait se sentir libre et en sécurité en Israël ». C’est de moins en moins le cas, et c’est un autre défi pour la gauche israélienne de ne pas laisser les libertés filer.
Face au bilan monstrueux d’une guerre dont nul ne voit l’issue, plus de 35 000 morts, au moins 50 milliards de dollars de destructions à Gaza, face à la poursuite d’une offensive génocidaire, l’horizon paraît sombre. Pour une militante de Tel-Aviv,
ce que nous avons connu, ce que nous avons accepté depuis tant d’années, même si nous n’étions pas d’accord, a finalement infusé dans la population. Le racisme, l’idée générale de “faire partir les Arabes” nous entraine vers une possible disparition.
« On peut se demander si la fin d’Israël est une question de temps ou une question de soutien », s’interroge un intellectuel de Naplouse. La fin d’Israël ? « C’est la fin d’un modèle, sans aucun doute, mais pas la fin d’un pays », tempère un diplomate.
« Que va-t-il se passer le jour d’après ? », s’interrogeaient début avril les manifestants de Tel-Aviv et de Jérusalem. « Le problème, ce n’est pas la gauche ni la droite, c’est notre pays », me disait Gabriella à Jérusalem, en réclamant une force internationale à Gaza et la fin de l’occupation en Cisjordanie. « Cela ne peut plus durer ! Qu’on leur donne un pays ! », ajoutait-elle. « Il va nous falloir du courage et de la lucidité », soupire le général Golan, ajoutant que le gouvernement ne possède ni l’un ni l’autre.
1er avril 2024. Au village des tentes à Jérusalem, où les manifestants israéliens organisent un sit-in de quatre jours près du Parlement appelant à la dissolution du gouvernement et au retour des Israéliens retenus en otages à Gaza depuis le 7 octobre.
En attendant, pour un intellectuel palestinien de Haïfa,
tout semble parfois normal à deux heures de Gaza. C’est dingue pour moi qu’Israël ait réussi à créer des réalités différentes ici, à Gaza, à Jérusalem et dans les territoires. Je suis tout près de Gaza, j’y pense tout le temps, et cela me rend fou, ce génocide en cours contre lequel personne ne fait rien.
Ultime soirée sur une terrasse semi déserte de Dizengoff, au centre de Tel-Aviv. Sept gaillards picolent et braillent. Au moins deux sont armés, revolver niché entre la ceinture et le bas de leur dos. Une douce odeur de jasmin monte des jardins, c’est le printemps au Proche-Orient. La ville est très calme. L’un des hommes attablés me demande, sur un ton légèrement agressif, d’où je viens. Et inévitablement ce que je pense de la guerre. Semblant lire dans mes pensées, sans me laisser le temps de répondre, il dit : « on doit nous faire confiance, sinon c’est la fin du pays ».
On le voit, le sujet est sur la table.
JAMAL ZAHALKA : « TOUS OU PRESQUE VONT DANS LE MÊME SENS. TUEZ-LES ! DÉTRUISEZ-LES ! »
Ancien dirigeant du Balad, ancien député de la Liste arabe unie, Jamal Zahalka est une figure centrale de la gauche arabe en Israël. À 69 ans, il livre quelques observations à Orient XXI.
Ici nous sommes directement confrontés aux civils israéliens, aux politiques israéliens, aux journalistes israéliens, aux intellectuels israéliens. Tous ou presque vont dans le même sens : « Tuez-les ! Détruisez-les ! » C’est la brutalité même du sionisme qui est en cause. Prenez un pilote israélien. Il va monter dans son avion de chasse, pousser sur un bouton, tuer 100 personnes et rentrer chez lui écouter une symphonie de Beethoven en lisant du Kafka. La distance entre la victime et le tireur rend à leurs yeux la guerre plus propre.
Les Palestiniens de l’intérieur ont du mal à parler d’abord parce qu’ils voient ce qu’il se passe à Gaza tous les jours. Mais leurs sentiments sont mitigés car Israël n’a pas obtenu une victoire à Gaza. Même si les Palestiniens ont eu le sentiment d’être abandonnés, les manifestions de solidarité un peu partout dans le monde leur ont fait chaud au cœur. Les gens comprennent que la discrimination, l’apartheid, la colonisation, c’est du même tonneau. Ils ont pour la plupart saisi ce qu’était la face sombre d’Israël.
Personne sur la scène politique israélienne n’est prêt à un compromis. Les Américains ne sont pas prêts à bouger, les Européens en sont incapables, les Russes et les Chinois sont en observation. La situation est très volatile. Le Hamas ne veut lâcher Gaza, et l’Autorité palestinienne ne peut travailler à Gaza sans l’accord du Hamas. Il faudrait un gouvernement de technocrates et discuter car la clé, c’est l’unité des Palestiniens. La véritable contre-attaque doit venir de l’unité des Palestiniens.
UNE ÉCONOMIE QUI TIENT LE COUP
Pour l’instant dans un contexte politique, militaire et moral chaotique, l’économie tient le coup. Un emprunt d’État de huit milliards de dollars a été souscrit 4 fois, toutefois la guerre pourrait coûter 14 points de PIB à Israël, ce qui est considérable. Le secteur du bâtiment est loin d’être au ralenti à Tel-Aviv comme dans les colonies. L’industrie de l’armement tourne à plein régime. Israël a également reçu des dizaines de milliards d’aides américaines, en munitions, en armes. Et en crédits, plus de 14 milliards de dollars tout récemment.
Freinée par l’importante mobilisation cet hiver, la high tech qui représente 10 % de l’activité mais 20 % des réservistes, est tellement connectée mondialement que les soubresauts d’Israël l’atteignent moins. Ce secteur très sensible est à la pointe de la contestation contre le régime. Plusieurs entreprises de high tech financent d’ailleurs le général Golan. Quant au tourisme, il est très menacé, notamment à cause d’un trafic aérien réduit au minimum. Ce secteur représentait environ trois milliards de recettes pour Israël en 2023. Nul ne sait encore, par exemple, si la Gay Pride aura lieu le 7 juin prochain à Tel-Aviv. Pour l’heure les rassemblements de plus de 1 000 personnes sont interdits en Israël.
Officier ! Quand on a quelque lien de parenté avec Crésus, on peut bénéficier de quelques milliards de plus. Le mauvais sang rend d’office les uns et les autres, complices. Complices des mêmes méfaits et des mêmes forfaits. Je ne vous apprends rien, le grand banditisme est un fait et non un conte de fées.13 milliards de dollars octroyés généreusement à l’armée Israélienne pour qu’elle parachève la raison Palestinienne.
En visite pendant deux jours à Mayotte, la cheffe de file du RN s’est surpassée sur ses thèmes de prédilection, l’immigration et l’insécurité, dans l’espoir de se démarquer du pouvoir macroniste, qui a récupéré une bonne partie de son programme dans ce département de l’océan Indien.
MamoudzouMamoudzou (Mayotte).– Samedi 20 avril, dans le quartier de Cavani, la rue du Stade est fidèle à ce qu’elle est depuis plusieurs semaines : des cabas sont accrochés aux grilles, le linge y sèche, des marmites et des matelas sont disposés contre les murs. Au sol, sur les trottoirs brûlants, les propriétaires de ces maigres biens, demandeurs d’asile ou réfugiés. Ils viennent majoritairement d’Afrique des Grands Lacs et de Somalie et vivent ici depuis que la préfecture, sur ordre du gouvernement, a vidé le stade attenant de ses occupants.
Les familles y avaient jusqu’ici trouvé refuge et installé des cabanes de bois et de bâches afin de se protéger des intempéries et des agressions régulières, suscitant l’ire d’une partie de la population locale. C’est de cette occupation et des rues de ce quartier qu’est né le mouvement des barrages qui a paralysé l’île pendant un mois et demi en début d’année.
« C’est encore pire maintenant », indique à Marine Le Pen l’ancien président du conseil départemental, Daniel Zaïdani, qui vient d’être jugé pour détournement de fonds publics. La cheffe de file du Rassemblement national (RN) a débarqué un peu plus tôt dans un 4x4 flanqué de drapeaux tricolores. Elle a été accueillie par les chants des collectifs anti-immigration, les bises et les selfies, sous les regards médusés ou inquiets des familles de migrants. Tous observent en silence la caravane se diriger vers un terrain multisport qui accueillera le meeting du jour et d’où résonneront dans tout le quartier des mots qui se veulent des cris de détresse, mais transpirent la haine.
Une sono à plein régime relaie ainsi le plaidoyer d’une membre du collectif local. « Nous sommes asphyxiés, la population ne vit plus », dit-elle, fustigeant « des migrants qui ont aujourd’hui pris d’assaut les rues du quartier », avant de les imaginer propagateurs du choléra puis de « refuser d’être exposée à une immigration violente dans tous les sens du terme ». Marine Le Pen, bardée de colliers de fleurs de jasmin, est aussi conquise que le terrain l’est à sa cause. « Ces migrants font caca dehors, devant nos enfants », hurle une autre femme qui dénonce la « complicité de certaines associations pseudo humanistes ».
L’ancienne candidate à la présidentielle ne se saisira pas du thème associatif : elle a été condamnée pour diffamation après avoir accusé La Cimade de se rendre complice des passeurs lors de son dernier déplacement à Mayotte en décembre 2021. Elle avait alors rejoint les collectifs qui faisaient le siège devant les locaux de l’association à Mamoudzou. Mais la voilà rassurée quand la militante dénonce « les effets d’annonce du gouvernement » au micro.
Duel en terre mahoraise
Car depuis sa dernière visite, le gouvernement, et plus spécifiquement Gérald Darmanin, a fait sien les discours de la députée d’extrême droite concernant Mayotte, en mêlant toujours davantage immigration et insécurité. Le ministre de l’intérieur a su compter sur le fervent soutien des collectifs à l’heure de l’opération Wuambushu, dont « l’échec » ne lui est d’ailleurs pas imputé.
Pour faire lever les barrages, Gérald Darmanin a même coupé l’herbe sous le pied des collectifs, qui n’en demandaient pas tant, en proposant l’abrogation du droit du sol à Mayotte. Surtout, il a permis à ces collectifs de s’institutionnaliser en les assurant notamment de leur participation à l’élaboration de la future loi Mayotte.
Med Chérif Ould El Hocine, le résistant, officier de l'ALN, s'est éteint, lundi matin, après une très longue maladie, à l'âge de 91 ans, en son domicile, au milieu des siens... Nous avions connu cet homme exceptionnel dans les juridictions de Chéraga, Blida, Tipaza, Koléa, Hadjout, Sidi-M'hamed -Alger, durant de très longues et pénibles années judiciaires, au cours desquelles, il connut les affres de l'injustice, émanant d'une véritable bande de magistrats habitués à courber l'échine devant des individus plus fort que les «lois de la République». Il a vaillamment combattu depuis 1975, date de la création de l'Epsr, son usine de Chéraga, ou plutôt, comme il aimait à l'appeler affectueusement, «son enfant»!
Faisant face à des hommes puissants du pouvoir de l'époque, Ould El Hocine a constitué vainement des hommes de loi, susceptibles de l'aider à gagner la lutte contre une authentique mafia du foncier. Il n'a vécu que pour tenter de reprendre son usine «volée», durant toute la période avec plus d'une vingtaine d'avocats, car certains d'entre eux, avaient compris que jamais l'ancien moudjahid ne reprendrait son bien de sitôt. Lorsqu'il lui arrivait de gagner un procès, l'appel est vite constitué pour tenter le rattraper le temps gaspillé à la barre, en 1ère instance. D'ailleurs, pour l'histoire, rappelons qu'une juge du siège, dans la précipitation, avait entendu Med Chérif Ould El Hocine, inculpé de «faux et usage de faux», ainsi que sa fille, comme complice. Les débats furent sereins. Le dossier fut mis en examen sous huitaine. Mais voilà, puisque le verdict avait été dicté à la juge du siège, heureuse de rendre service à la chancellerie, qui ne verra que du feu, en condamnant la fille d'Ould El Hocine à une peine d'emprisonnement ferme de six mois, pour complicité de faux et usage de faux! Le verdict aurait été normal, et personne n'aurait crié au scandale, si en appel, à Blida, en pleines grosses chaleurs de juillet, et la nuit, tard, Djillali, le président de la chambre pénale de la cour de Blida, solidement encadré par l'exemplaire duo de conseillers, Med-Salah Tartag/ Chérifa Aboubi, avait lancé à la fille inculpée et condamnée cette boutade: «Alors, ma fille, on s'amuse à effectuer des faux en écriture, alors que vous veniez de clôturer vos quatre (04) semaines! Je vous préviens c'est la dernière fois que vous effectuez un faux à l'âge de quatre... semaines!» lança le magistrat qui s'est bien gaussé ce soir-là, convaincu que tant qu'il y aura des magistrats au «garde-à vous», l'avenir de la justice et du pays, resteront sombres. En effet, les faits reprochés au papa Chérif, dataient de 1975, et la fille était née au cours de la même année que le... pseudo-délit!!!
Voilà comment était la marche, et la démarche de la justice, et notamment du tribunal de Chéraga (cour de Blida), à l'époque, au XXe siècle! Une cinquantaine de comparutions devant la justice, avec les amers et «truqués verdicts» ainsi que les mirages appelés «honteusement «résultats». Le malheureux justiciable avait devant lui un véritable rideau de fer, et de feu, pour l'empêcher à tout prix de remporter le moindre procès. Les milliers de correspondances, les dizaines de visites aux différents ministres de la Justice, ne pourront rien. «J'ai été royalement et respectueusement reçu par l'un d'eux. Il a été très poli. Il m'a bien écouté, mais ne suivait pas. Il savait ce que je ressentais, mais rien à l'horizon. Les incalculables conférences de presse, y compris les périodiques gouvernementaux, n'apporteront rien. Arrivé très tôt dans les juridictions, le pauvre Ould El Hocine passait à la barre dans les derniers inculpés. L'essentiel était de frapper fort ce résistant aux attaques de la mafia qui serrait très fort le bien volé, faisant en sorte que les nombreux déplacements dans la capitale, et dans les juridictions de la Mitidja, ainsi que les dépenses effectuées au profit des nombreux avocats, ne puissent lui permettre de gagner ses procès! Cela, sans compter son entourage qui, malgré le soutien d'Ould El Hocine, vacillait mais ne cédait point. Il se soignait entre deux procès. Et lorsqu'il se déplaçait à l'étranger, il fallait jouer des coudes pour obtenir un renvoi légal! Son gendre et sa fille tenaient bon, eux aussi, ainsi que ses amis de la Révolution de 1954. Que ce furent feu le colonel Ahmed Bencherif, ou encore le colonel Dr El Khatib, les signes d'amitié, de solidarité et de résistance à toute épreuve, formaient ainsi le bouclier du lâche complot ourdi en 1975, et consistant à lui dérober la totalité de ses biens, transférés bien plus tard à El Hamiz...
À Hadjout, la présidente du tribunal l'avait convoqué pour une mise au profit de l'adversaire. Muni des pièces nécessaires, Ould El Hocine réussira à convaincre la courageuse magistrate, qui débouta l'autre partie au conflit. Voilà, en somme, l'homme que nous avons côtoyé, connu et apprécié pour sa foi en la justice qui le lui a très mal rendu. Dommage, Si Med Chérif. Vous méritiez mieux! «À Allah nous appartenons. À Lui, nous retournons.»
Dans la nuit du 21 au 22 avril 1961, quatre généraux de l'armée française s'emparaient du pouvoir : Maurice Challe, Edmond Jouhaud, Raoul Salan et André Zeller, tentaient un coup d'Etat. Retour sur cet épisode clef de la guerre d’Algérie.
Dans la nuit du 21 au 22 avril 1961, quatre généraux de l'armée française s'emparaient du pouvoir : Maurice Challe, Edmond Jouhaud, Raoul Salan et André Zeller, tentaient un coup d'Etat. Retour sur cet épisode clef de la guerre d’Algérie.
La solidarité avec la Palestine est devenue un délit. Vouloir l’exprimer par la parole, l’écrit ou la manifestation, est passible de convocation policière, de condamnation pénale ou d’interdiction préalable. Tous les démocrates devraient s’en inquiéter.
DesDes préfets aux parquets en passant par les policiers, le gouvernement a donc fait passer la consigne : afficher sa solidarité avec la Palestine est un délit potentiel.
Tandis que ne sont aucunement inquiétés les excès des ultras de la cause israélienne, dont le député LR Meyer Habib se fait le bruyant porte-parole, le moindre soupçon d’ambiguïté vis-à-vis des actions du Hamas ou de la légitimité d’Israël sert de prétexte pour faire taire, intimider ou stigmatiser les voix militantes de la cause palestinienne, promptement accusées de terrorisme ou d’antisémitisme.
Qu’on en juge. Un syndicaliste CGT a été condamné à un an de prison avec sursis pour un simple tract diffusé après les massacres du 7 octobre 2023. Dans une formulation malvenue, qu’il reconnaîtra volontiers à la barre du tribunal, il entendait dénoncer cet engrenage fatal dans lequel la violence coloniale entraîne la violence terroriste.
Avant le procès, de nombreuses personnalités syndicales et associatives s’étaient inquiétées de cette volonté « d’assimiler toute contestation politique ou sociale à du terrorisme », tandis que la secrétaire générale de la CGT, Sophie Binet, alertait sur un « contexte de répression […] inédit depuis l’après-guerre ».En vain, le tribunal de Lille ayant suivi à la lettre les réquisitions de la procureure de la République.
Pour avoir pareillement, sur les réseaux sociaux, inscrit l’attaque terroriste du Hamas dans la longue durée du conflit israélo-palestinien, plusieurs activistes, dont la militante antiraciste Sihame Assbague, sont convoqué·es par la police pour des auditions au motif d’une « apologie du terrorisme ». Parmi eux, la juriste franco-palestinienne Rima Hassan qui fait campagne aux élections européennes, en septième position sur la liste de La France insoumise.
Sa convocation lui a été notifiée au lendemain de la double interdiction, par le président d’université puis par le préfet de région, du meeting pour la Palestine qu’elle devait tenir à Lille, en compagnie de Jean-Luc Mélenchon. Dénonçant « un climat général tendant à faire taire les voix qui s’élèvent pour appeler à la protection des droits des Palestiniens et condamner les exactions commises par Israël dans la bande de Gaza », son avocat, Me Vincent Brengarth, s’alarme d’un dévoiement de l’infraction d’apologie du terrorisme « au profit d’une criminalisation évidente de la pensée ».
Suspicion générale et impunité audiovisuelle
Le même jour, le tribunal administratif, statuant en référé, s’alarmait d’une « atteinte grave et manifestement illégale à la liberté de manifestation » en annulant la décision du préfet de police de Paris d’interdire la marche du 21 avril« contre le racisme, l’islamophobie et pour la protection de tous les enfants », au prétexte qu’elle pouvait « porter en son sein des slogans antisémites ». Dans son jugement, le tribunal souligne, au contraire, que les organisateurs avaient prévu « de contrôler les prises de parole au micro afin de faire obstacle à tout discours antisémite ».
Ce ne sont là que les manifestations les plus visibles d’une suspicion générale qu’amplifient les médias de masse, radio et télévision, aux mains de propagandistes d’extrême droite grâce à l’impunité audiovisuelle dont bénéficie le groupe Bolloré dans le camp présidentiel. Mais elle déborde bien au-delà jusqu’à être relayée par des figures politiques se réclamant de l’opposition de gauche socialiste, dont certaines n’hésitent d’ailleurs pas à l’exprimer sur ces mêmes chaînes dévolues à la haine du musulman, de l’Arabe et de l’immigré.
La Palestine sert ici d’énième prétexte pour banaliser ces thématiques discriminantes en assumant l’importation en France d’un conflit de civilisation, où Israël serait une bastille occidentale face au péril islamiste. Loin du bruit médiatique, il faut imaginer les conséquences muettes et silencieuses pour les concerné·es, pas forcément militants, encore moins radicaux, que tous ces mots et tous ces actes blessent au plus profond de leur être.
Au point qu’ils se sentent désormais exclu·es de leur propre pays ; tellement grande est leur solitude en l’absence d’indignation massive et de solidarité étatique face aux stigmatisations qu’ils vivent. Bientôt en librairie sous l’intitulé La France, tu l’aimes mais tu la quittes(Seuil), une vaste enquête sociologique sur la diaspora française musulmane montre que des milliers de Français et Françaises ont déjà quitté leur pays, depuis la terrible année des attentats de 2015 (lire cette récente enquête du Monde).
Polémiques récurrentes sur les tenues des élèves musulmanes, sanctions administratives contre des lycées privés musulmans, intolérance vis-à-vis du jeûne du ramadan dans le football : en s’en tenant aux seuls derniers mois, c’est peu dire que cette persécution est devenue banale, acceptée par la plupart des courants politiques. La diabolisation des engagements en faveur de la cause palestinienne s’y ajoute, moyen polémique de jeter, s’il en était encore besoin, un peu plus d’huile sur le feu. Un feu qui se répand depuis si longtemps déjà, dans une sinistre indifférence.
Car les interdits qui, aujourd’hui, frappent l’expression de la solidarité avec la Palestine s’inscrivent dans la continuité de la décennie écoulée. Déjà, à l’été 2014, le pouvoir socialiste incarné par François Hollande et Manuel Valls s’était saisi de la précédente guerre d’Israël contre Gaza pour porter atteinte aux libertés fondamentales par des interdictions préalables de manifestations. Mais aussi pour installer l’assimilation à une renaissance de l’antisémitisme de toute critique du sionisme, en tant que mouvement national juif ayant dénié ses droits au mouvement national palestinien (lire mon parti pris à l’époque).
Depuis, il y eut les rengaines sur l’islamo-gauchisme, la chasse au wokisme universitaire, la théorisation d’un « djihadisme d’atmosphère ». En 2020, la dissolution du Collectif contre l’islamophobie en France marquait un saut dans la répression de l’auto-organisation des populations ciblées par ces campagnes. En 2021, un cran supplémentaire fut franchi avec le vote de la loi contre le séparatisme dont on a rapidement compris, avec l’invention de l’« écoterrorisme » contre les activistes écologistes, qu’elle viserait toute dissidence.
Aucun désaccord politique à propos du conflit israélo-palestinien ne saurait s’accommoder de cette dérive qui, en définitive, ruine non seulement la démocratie, en violant ses libertés fondamentales, mais surtout abîme la France, en humiliant la diversité de son peuple. La référence historique qui convient est le maccarthysme états-unien du début des années 1950 – par ailleurs homophobe et antisémite. Il instaura une ignominieuse « chasse aux sorcières » visant tout ce qui pouvait être suspecté de compromission avec le communisme. Oui, tout : idées, engagements, créations, œuvres, écrits, biographies, professions, relations, amitiés, fréquentations, etc.
En France, mais aussi en Allemagne comme en témoigne la scandaleuse censure à Berlin de Yánis Varoufákis, un nouveau maccarthysme s’installe, prenant en otage le drame vécu par Palestiniens et Israéliens pour faire taire toute interrogation dérangeante sur le cours périlleux du monde, sur le respect universel de l’égalité des droits, sur la violence de toute colonisation, sur les exigences d’un droit international, sur le surgissement de barbaries au cœur des civilisations, sur les indifférences et les aveuglements qui mènent aux catastrophes, etc.
La politique de la peur
Le maccarthysme fut surnommé « peur rouge » (« Red Scare »), et c’est bien de peur qu’il s’agit. « Politique de la peur » : cette expression fut forgée dans le débat américain pour décrire la réaction des États-Unis après les attentats terroristes du 11 septembre 2001. Elle résume une réaction politique insufflée par une panique existentielle qui, loin de mettre fin à la menace et au péril qu’elle entendait juguler, ne fit qu’accroître les désordres qui les alimentent. Deux décennies plus tard, le terrorisme islamiste s’est démultiplié, la puissance iranienne s’est renforcée et le ressentiment anti-occidental s’est enraciné.
Entre-temps, que de principes reniés et que d’humanités brisées ! Du « Patriot Act », loi d’exception, à Guantánamo, bagne illégal, en passant par le feu vert à la torture durant les interrogatoires et, surtout, par l’invasion guerrière de l’Irak sur la foi d’un mensonge médiatique, cet aveuglement nord-américain a violenté toutes les valeurs démocratiques au nom desquelles cette riposte se faisait. Le monde entier en paye aujourd’hui le tribut, gagné par une brutalisation sans frein, dans les relations internationales comme en politiques intérieures, qu’illustrent aussi bien Vladimir Poutine que Donald Trump.
Les voix minoritaires, dont la notable exception française portée par Dominique de Villepin, qui ont alerté sur cette course au désastre, en appelant au secours le droit international et en défendant la Charte des Nations unies, avaient donc raison, même si elles furent impuissantes à l’enrayer. Tout comme, de nos jours, ont raison les voix, au premier rang desquelles celle du secrétaire général de l’ONU, qui condamnent la fuite en avant guerrière, et potentiellement génocidaire selon la Cour internationale de justice, d’Israël dans sa riposte aux massacres terroristes du 7 octobre 2023.
Vivant l’attaque du Hamas à l’instar du 11-Septembre comme une menace existentielle, l’appareil politico-militaire israélien réédite cette « politique de la peur » en infligeant au peuple palestinien une terrible punition collective qui, loin de garantir la sécurité future de l’État d’Israël, accroît sa fragilité géopolitique et son discrédit diplomatique. Que seul un veto solitaire des États-Unis ait empêché, cette semaine, la reconnaissance de l’État de Palestine comme membre de plein droit des Nations unies, résume cet engrenage fatal où la force aveugle se révèle l’aveu d’une faiblesse.
Car c’est évidemment la non-résolution de la question palestinienne qui est à l’origine de cette situation éminemment périlleuse où se joue la paix du monde. Tant qu’il ne sera pas mis fin à l’injustice durable, ancienne, réitérée et répétée, faite au peuple palestinien, tant que ne sera pas reconnu par les dirigeants israéliens son droit à vivre dans un État souverain après qu’il eut subi en partie l’expulsion de 1948, puis la colonisation depuis 1967, aucun des deux peuples ne pourra vivre en sécurité pour lui-même, encore moins en sérénité avec l’autre.
L’histoire ne s’est pas arrêtée au 7 octobre 2023, pas plus qu’elle ne s’est immobilisée le 11 septembre 2001. La « politique de la peur » voudrait nous enfermer dans un présent éternel, figé sur la date d’un massacre qui serait sans cause, sans histoire, sans contexte. Interdisant l’explication, la complexité et la sensibilité, elle est une sommation à ne plus penser librement et différemment, ce que résume l’exigence d’inconditionnalité qui signifie le renoncement à toute critique.
Dès lors, dans sa diversité, la solidarité avec la Palestine, qui elle-même ne saurait être inconditionnelle, est légitime, ne serait-ce que pour sauver ce principe démocratique de liberté de pensée et du droit à la critique. Ce n’est pas seulement affaire d’humanité, face au martyre incommensurable de Gaza, mais une question de politique, face au péril autoritaire ici même en France. Par-delà leurs différences et leurs divergences, toutes les forces qui se revendiquent d’une démocratie vivante et pluraliste devraient donc, d’une même voix, unie et ferme, exiger que cette solidarité puisse s’exprimer librement.
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