Nina Bouraoui, 2021 ©AFP - JOEL SAGET
Voilà plus de 30 ans que Nina Bouraoui construit une œuvre littéraire singulière, où les questions de l’exil et de l’identité côtoient celles du désir et la sexualité. Alors qu’elle publie un nouveau roman et que paraît un recueil de courts textes, elle revient sur une vie consacrée à l’écriture.
Aujourd’hui, nous partons à la rencontre de la romancière Nina Bouraoui. Ironie du sort, Bouraoui signifie "fils/fille d’un raconteur" ou encore "celui qui raconte" en arabe… Elle passe les quinze premières années de sa vie en Algérie, pays dont elle ne possède ni la langue ni la culture. À l'âge de quatorze ans, sa famille décide brutalement de ne plus retourner en Algérie, et s'installe à Zürich, puis à Abou Dhabi. Elle retourne régulièrement en Bretagne dans sa famille maternelle et s'installe à Paris après son baccalauréat pour étudier la philosophie et le droit. Prise entre deux pays, entre deux identités, enfant sauvage et peu loquace, elle trouve dans l'écriture le moyen de se délivrer des fantômes qui la hantent. Ses romans, depuis le premier La Voyeuse interdite (Nina Bouraoui a alors 24 ans !) - récompensé par le prix du Livre Inter en 1991 - jusqu'à Poupée bella en 2004, parlent de l'Algérie, de son enfance, de la violence, de la difficulté d'être une femme dans un pays de contrastes et de contraintes. Elle prend de l'assurance, épure son style à coup de phrases d'un seul mot, violentes, âpres et envoûtantes. Ce "langage du corps", Nina Bouraoui le construit par petites touches d'émotion brute, en véritable peintre des sensations. Le 3 novembre 2005, elle obtient le prix Renaudot pour son dernier roman Mes mauvaises pensées (Stock) dans lequel on retrouve ses auteurs préférés et admirés, comme Hervé Guibert, Annie Ernaux ou Violette Leduc. Dans Nos baisers sont des adieux (2010) elle dresse "la liste des hommes, des femmes, des images, des sensations, des œuvres d’art qui ont construit la personne que je suis." Nina Bouraoui publie Grand Seigneur (JC Lattès), un texte singulier, émouvant, qui est l'un des plus attendus de cette rentrée littéraire, sur comment son père l'a construite. Elle sort aussi un recueil de vos textes courts, de 1999 à 2022, sous le titre Le désir d’un roman sans fin. Elle sera aussi mercredi 31 janvier, à 19h, à la Maison de la Poésie, à Paris, pour une rencontre suivie d'une séance de dédicace. Enfin, Nina Bouraoui est la figure invitée de la B!ME, biennale des musiques exploratoires du GRAME, à Lyon, du 6 au 29 mars, dans ce cadre est créé l'opéra Otages, d'après son roman. Autant d'occasions pour recevoir Nina Bouraoui et voir comment elle explore la domination sous toutes ses formes.
"Je suis restée aveuglée par la beauté de l'Algérie"
Le nouveau livre de Nina Bouraoui s’intéresse aux derniers jours de son père, dans la Maison médicale Jeanne Garnier. Avant d’être le Grand Seigneur du titre, il a d’abord été "l’Oiseau Rare", premier de sa classe à Vannes, où sa famille l’avait exfiltré, depuis l’Algérie. Le proviseur de son lycée le recommande au doyen de la faculté de Rennes, il obtient la bourse des étudiants les plus méritants de France, travaille beaucoup, milite pour l'indépendance de l'Algérie, obtient un doctorat d'économie. En 1960, il rencontre celle qui deviendra la mère de Nina Bouraoui, étudiante en droit, fille de chirurgiens-dentistes, et c’est le début d’un grand amour. Son grand-père côté maternel n'acceptera jamais cette union, qu'il considère comme une trahison. Ses parents se marient à la mairie de Rennes, en 1962, entourés de quelques amis, avant de partir à Alger croisant, si l’on peut dire, les français qui quittent l’Algérie.
Nina Bouaraoui raconte : "Je suis issue d’un couple mixte qui s'est rencontré en pleine guerre d'Algérie. Mon père représente exactement ce que peut offrir la France à un étranger : l'enseignement, le savoir, la connaissance… Et je trouve que son parcours est très beau parce qu'en bon idéaliste, il est rentré dans son pays avec ses diplômes pour tenter de diffuser ses connaissances. Il a gravi les échelons jusqu’à devenir gouverneur de la banque centrale d'Algérie en 1982."
Elle ajoute : "Avec les fonctions qu’il occupait, on lui a souvent reproché d’avoir épousé une Française. Mais il a tenu bon. Et du côté de ma mère, mes grands-parents français ont eu, un mélange de fantasme, de peur, et de beaucoup d'ignorances… Ça a été une guerre terrible".
La mère de Nina Bouraoui avait une telle passion pour l'Algérie qu’elle n’avait de cesse de le faire sillonner à ses filles à bord de sa GS bleue . C'est ainsi que la route de la Corniche, les criques sauvages, l’Atlas, le désert vont marquer l'imaginaire de Nina Bouraoui :
Nina Bouraoui déclare : "Je crois que je suis restée éblouie par la beauté de l'Algérie. C'est une beauté qui est presque violente parce qu'elle est en désordre, il n'y a pas de construction, avec très peu de tourisme. Même si je parle d'un pays que je ne connais plus du tout, je l’ai quitté en 1981. Mais dans les années 70, c'était la beauté des falaises, de la mer et du désert qui régnait."
L'écrivaine se souvient : "Avec ma mère, on faisait deux treks par an. J'étais assez petite, j'avais 7 ou 9 ans, ma sœur 5 de plus ! Même si mon père ne nous accompagnait pas, il pilotait tout d’Alger ou de Washington. Il nous dégotait les meilleurs guides. Et donc on marchait 25 km par jour pendant 15 jours. On dormait dehors, au creux des falaises, prêt des grottes où il y avait des peintures rupestres. C’est là-bas que j'ai fait ma première expérience avec l’art. Cet épisode m’a beaucoup marqué dans mon destin d’écrivain."
Le récit de soi pour aller vers l'autre
C’est grâce à la littérature que Nina Bouraoui trouve une forme de guide dans la découverte de son homosexualité. Elle lit les Colette. Découvre Le Puits de solitude, de Radclyffe Hall l'histoire d'une châtelaine qui tombe amoureuse d'une infirmière pendant la guerre. Puis, elle découvre Carol, de Patricia Highsmith, qui va devenir son livre de chevet. Ainsi, Nina Baraoui s'accorde avec les propos de Violette Leduc :
"L’autofiction, c'est pour aller vers les autres. Et bien sûr que le récit de soi, c'est un universel. Je trouve que dans la vie, nous sommes commandés par deux choses, par l’amour et la mort."
Elle ajoute encore : "Je n’ai jamais voulu exclure quelqu’un du club de mes livres. Lorsque je raconte l'homosexualité, je ne la raconte pas uniquement pour les jeunes gays ou les jeunes lesbiennes, au contraire ! Je la raconte aussi pour leurs parents et surtout pour les homophobes, pour ceux qui ne savent pas, qui ont peur, qui ne comprennent pas et pire : qui rejettent."
Nina Bouraoui conclut : "Quand on a la possibilité d’apporter de la visibilité à ses causes, c'est un devoir d'écrire dessus. Il y a encore beaucoup d’homophobie dans nos sociétés. Même en France, le nombre d’actes homophobes est exponentiel. Le combat n’est jamais fini. Il ne faut pas s’arrêter là. La littérature est un moyen d’éclairer et de combattre les esprits ignares."
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