Trois ans après les événements du 6 janvier 2021, Donald Trump et ses alliés travaillent d’arrache-pied à récrire cette page sombre de l’histoire américaine. Policier au Capitole pendant les faits, Aquilino Gonell se bat pour rappeler l’horreur de cette journée où la démocratie a vacillé. Il témoigne auprès de Mediapart.
New York (États-Unis).– Quand Aquilino Gonell apparaît en visioconférence, mercredi 3 janvier, depuis son domicile en Virginie, le mur derrière lui retient l’attention. Une constellation de médailles et de badges y sont accrochés. Histoire de souligner les états de service de cet ancien policier et militaire occupant le grade de sergent.
Une distinction le rend particulièrement fier : la « médaille présidentielle des citoyens » (« Presidential Citizens Medal »), l’un des honneurs républicains les plus élevés aux États-Unis, que le président Joe Biden lui a remise, l’an dernier, pour avoir défendu le Capitole le 6 janvier 2021 face à une horde de partisan·es trumpistes décidé·es à interrompre le processus de validation des résultats de la présidentielle et le transfert pacifique du pouvoir, pierre angulaire de toute démocratie. « J’ai toujours agi pendant ma carrière pour la défense de ce pays contre les ennemis nationaux et étrangers, pas pour les médailles. Le 6-Janvier n’a pas fait exception », s’empresse de préciser Aquilino Gonell à Mediapart.
Il y a trois ans, lors de cette journée fatidique, lui et ses collègues de la police du Capitole tentaient de repousser des assaillant·es entassé·es dans le tunnel étroit emprunté traditionnellement par les présidents élus avant le début de leur cérémonie d’investiture. Il estime qu’une quarantaine d’insurgé·es l’ont agressé, le blessant à la main, à l’épaule et au pied.
En plus de ces séquelles physiques, il souffre de plaies « psychologiques et morales » infligées après : les minimisations de Donald Trump et de ses soutiens républicains, qui ont colporté l’idée que le 6-Janvier n’était qu’une simple manifestation qui a mal tourné. L’homme d’affaires lui-même a récemment qualifié d’« otages » les individus emprisonnés pour leur participation dans l’attaque.
Trump est repris en chœur par des médias conservateurs qui se plaisent aussi à récrire l’histoire à travers des documentaires fumeux qui promettent de dire la « vérité » sur cette funeste journée alors qu’ils ne font que légitimer des thèses complotistes.
Résultat : un récent sondage du Washington Post et de l’université du Maryland a trouvé que la part des électeurs et électrices républicaines qui considèrent que les protestataires étaient « majoritairement violents » a baissé par rapport à 2021. Même tendance quand on leur demande si Donald Trump a une grande part de responsabilité dans l’incident.
On y apprend également que 34 % des républicain·es pensent que le FBI a joué un rôle dans l’organisation et le déroulé de l’émeute. Une théorie sans fondement avancée par les médias conservateurs.
Envoyé en Irak après le 11-Septembre
Même au sein de la famille du sergent Gonell, certains ont osé suggérer à leur proche convalescent que des militant·es antifascistes déguisé·es en supporteurs et supportrices trumpistes auraient pu être à la manœuvre. « Je regrette qu’il n’y ait pas plus de gens qui mesurent la violence de cette journée et à quel point nous sommes passés près de perdre notre démocratie », réagit-il.
L’ex-soldat n’a pas de mots assez durs pour les parlementaires républicain·es, qui se posent en défenseur·es de « la loi et de l’ordre » alors qu’ils et elles ont largement pris fait et cause pour Donald Trump, « le même homme qui a envoyé la foule pour les tuer ». Pour rappel, 147 membres du parti conservateur au Congrès ont voté contre la certification de la victoire de Joe Biden quelques heures seulement après l’invasion du Capitole.
La déception est d’autant plus forte pour Aquilino Gonell qu’il a dévoué sa vie à la protection des États-Unis, pays qui n’est même pas le sien. Né en République dominicaine, il savait à peine parler anglais quand il est arrivé à New York, son point de chute, dans les années 1990. Adolescent, celui qu’on surnomme « Quilo » mise sur les études pour s’en sortir et rejoint l’armée afin d’échapper aux tensions entre ses parents et leurs difficultés financières – aux États-Unis, les recrues bénéficient de la prise en charge de leurs frais de scolarité.
À la suite du 11-Septembre, il est envoyé en Irak comme réserviste pour se battre dans une guerre qu’il ne cautionne pas, avant d’être recruté par la police du Capitole. Cette force de plus de 2 000 agent·es est chargée de protéger les membres du Congrès. Un travail qui permet à cet immigré de milieu modeste de côtoyer les puissants de la planète. « J’en étais très fier à l’époque, se souvient-il. C’est un bâtiment historique où l’on prend des décisions qui affectent le monde entier. »
Mais tout bascule l’après-midi du 6 janvier 2021 quand des centaines de partisan·es de Donald Trump, galvanisé·es par un discours incendiaire de leur champion plus tôt dans la journée, se lancent à l’assaut de l’édifice. Aquilino Gonell et ses équipes sont débordés, faute de personnel. Il se retrouve à affronter des individus armés de battes de baseball, de perches et d’autres objets dangereux. Il témoignera plus tard qu’il a eu « plus peur » ce jour-là qu’à « n’importe quel moment de [s]a présence en Irak ».
Dix personnes sont mortes pendant ou après l’épisode, dont quatre policiers qui se sont suicidés. « J’avais les mains en sang, j’ai subi deux opérations. J’ai toujours des cicatrices. Comment les élus républicains que nous avons protégés osent-ils dire que rien ne s’est passé ? C’est peut-être le cas pour eux, pas pour nous », souffle l’ex-policier.
Les événements de la journée continuent de le marquer. Atteint de stress post-traumatique, il est suivi sur le plan psychologique. « Il y a des jours meilleurs que d’autres. En fonction des sujets que j’aborde, cela peut déclencher des réactions. » Il s’est senti obligé de renoncer à son travail au Congrès, quitte à essuyer une perte de revenus. « Je ne pouvais pas continuer à défendre les personnes qui ont minimisé les actions des émeutiers. Cela affectait ma santé mentale ! », justifie-t-il.
À ce jour, il est l’un des rares agents à avoir dénoncé publiquement le rôle de Donald Trump dans l’attaque. Il a notamment témoigné, en 2021, devant la commission d’enquête créée par la Chambre des représentants pour faire la lumière sur les responsabilités du soulèvement.
Dans son nouveau livre, American Shield, il raconte que beaucoup de ses collègues ont préféré se taire et qu’il s’est senti lâché par sa hiérarchie au moment de sa prise de parole. « Je ne peux pas en vouloir à mes collègues. Ils ont vu les menaces et le harcèlement que nous avons subis, moi et d’autres qui avons raconté notre expérience. »
S’inquiète-t-il d’un possible retour de Donald Trump au pouvoir ? Malgré 91 chefs d’inculpation dans des affaires diverses, l’ancien locataire de la Maison-Blanche est le grand favori des primaires de son parti et devance Joe Biden dans des sondages réalisés au sein de plusieurs « Swing States », ces États stratégiques pour remporter le scrutin.
« Il ne cherche même pas à cacher ses intentions s’il est réélu. Il nous dit dans ses discours qu’il entend prendre sa revanche sur tous ceux qui l’ont poursuivi, observe-t-il. Les électeurs doivent se poser la question : seront-ils mieux servis par un dictateur ou par quelqu’un qui cherchera réellement à les aider ? »
En attendant l’heure du choix, le sergent Gonell ne peut que raconter sa vérité. Il le fait en particulier dans les tribunaux en témoignant aux procès des insurgé·es. Sur les quelque 1 240 personnes arrêtées, plus de 350 dossiers n’ont pas encore été jugés.
L’un des agresseurs de l’ex-policier a d’ailleurs été condamné juste avant Noël. Il espère que beaucoup d’autres suivront. « Grâce à tout ce que j’ai fait dans ma carrière, je suis parvenu à intégrer la classe moyenne américaine. J’ai une maison, une voiture, une famille… Mais j’ai failli tout perdre le 6-Janvier. »
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