T. Q. dans mensuel 856
daté avril 2018 - 156 mots
Officiellement, 23 196 soldats français ont trouvé la mort en Algérie. La Fédération nationale des anciens combattants en Algérie, Maroc et Tunisie (Fnaca), la plus importante association d'anciens combattants de la guerre d'Algérie, dénombre cependant plus de 28 000 soldats tués au cours de la guerre. Plus d'un tiers des morts du côté français sont dus à des accidents, mais ceux-ci peuvent masquer des suicides ou des comportements à risque adoptés par les soldats dans une situation de tension. Par ailleurs, le nombre de 60 000 blessés du côté français ne tient pas compte des blessures psychologiques, largement minorées : le stress post-traumatique n'a été pris en compte dans le cadre militaire que tardivement. Il faut encore ajouter que des personnes ont été irradiées au cours des essais nucléaires dans le Sahara à partir de 1960. Depuis la loi du 6 décembre 2012, le souvenir des soldats français morts en Algérie peut être commémoré le 19 mars.
Les mines
« Bien chère Aurore, [...] j'ai terminé un troisième film, j'espère qu'il sera bien. Dans ce film, s'il n'est pas trop gâché, il y a une scène auquel je tiens particulièrement. Je te raconte. Tout cela évidemment, n'en parle pas à ma mère.
En remontant du sud à ici, il y avait deux jours de voyage. Aussi bien par le train que par la route. Le premier janvier, à 18 h 15 exactement, le train où nous étions entassés dans des wagons à bestiaux a sauté sur une mine. Il n'y a eu qu'un blessé grave et des blessés légers. Rien que cela, car nous avons eu une chance extraordinaire. Sinon, il aurait dû y avoir au moins plusieurs dizaines de morts, et peut-être moi.
Je te raconterai plus en détail en revenant en France. Toujours est-il que moi, aussitôt sauté du wagon, j'ai pris ma caméra et j'ai filmé, alors qu'il y avait encore de la fumée provoquée par la mine. Ce film, dès que tu l'auras, tu m'en parleras en détail. Et évite de le montrer à maman, ou tu lui raconteras des bobards. »
> Lettre du caporal Bernard Henry à sa tante Aurore, Ammi Moussa, le 7 janvier 1959. Bernard Henry, maintenant affectéau 2e bataillon du 93e régiment d'infanterie, témoigne ici du danger permanent que font courir les mines.
Une mort par accident
« Voici une semaine que J... est mort. L'activité n'a pas changé à l'escadron. Nous parlons encore de lui mais la vie efface déjà sa présence. Un accident : il allait chercher un groupe en opération. Il portait des grenades au côté comme tous les chauffeurs. Les grenades ont éclaté, on ne sait pourquoi, lui broyant la jambe et le bassin.
Le discours de l'officier qui déposa la Valeur militaire sur le cercueil de notre camarade m'a été insupportable. Il était question de devoir accompli, de mort pour la France.
J'ai eu envie de crier que J..., qui ne voulait pas faire cette guerre, n'était pas mort pour la France, mais à cause de la France ! »
> Lettre de Bernard Bourdet, 27 mars 1961. Appelé en 1961-1962 à participer à l'encadrement d'un camp de regroupement, il relate la mort par accident de l'un de ses camarades de régiment, ce qui le révolte profondément.
« Et un capitaine me donna l'ordre de tirer au FM »
« Le lendemain, un incident arrive à la 4e compagnie de notre bataillon. Une radio capte mal un message d'une patrouille de chez eux et crut qu'un car se dirigeait sur eux avec des rebelles. Le car arriva cinq minutes plus tard et un capitaine donna l'ordre de tirer au FM. Le car était à 80 mètres...
On retira cinq blessés, dont deux graves ; le car était occupé par des civils. Des gendarmes de Bir-Rabalou arrivèrent sur les lieux (j'étais à côté) ; ils ont déclaré au chauffeur du car : " C'est bien fait pour vous, ça vous apprendra pour la prochaine fois. " Aux officiers ils dirent : " Venez, on va s'arranger pour le compte rendu. " Le lendemain, le journal disait que des coups de feu avaient été tirés d'un car et que la troupe avait riposté. »
> Jean Müller
« Je n’ai pu que lui fermer les yeux »
« Madame, je commande la compagnie à laquelle appartenait votre fils Bernard et c’est de tout cœur que je participe à votre grande douleur. Notre chef de bataillon vous a déjà écrit pour vous relater les circonstances du décès de votre fils. Ma compagnie venait de se heurter à une forte bande retranchée dans un terrain difficile. La section de votre fils était en tête, elle a pris le premier choc et il fallait absolu- ment bousculer les rebelles pour nous éviter une catastrophe. C’est en plein combat qu’il est tombé près de son chef de section dont il était l’homme de confiance. Immédiatement, je suis arrivé près de lui avec l’espoir qu’il n’était que blessé, je n’ai pu hélas que lui fermer les yeux. Frappé dans son élan, il n’avait pas souffert.
Combien, Madame, j’ai tout de suite pensé à vous. À son arrivée à la compagnie, il y a environ deux mois, je m’étais entretenu avec votre fils sur sa situation ; il m’avait parlé de vous avec beaucoup d’affection, j’en avais été frappé, imaginant les sacrifices que vous aviez consentis pour lui et ce qu’il représentait pour vous. »
> Lettre du chef de compagnie à la mère de Bernard Henry, SP 88540, le 2 mars 1959. De telles lettres cherchent à rendre moins durs les événements et leur déroulement. Elles mettent des mots sur une situation que les proches du mort tentent d’imaginer, souvent de manière obsessionnelle.
« Je peux voir venir ces messieurs les fellaghas »
« Ma petite maman, [...] en ce moment je n’ai pas beaucoup de loisirs. Je ne sais pas si je te l’ai dit, mais ma compagnie est transformée en “commando”. Donc me voilà transformé en “dur de dur”, avec tous les inconvénients que cela comporte. Sport le matin et judo militaire quand nous ne sommes pas en opérations. J’ai maintenant un nouveau fusil automatique, avec lunette. Comme je suis le moins mauvais tireur dans ma section, j’ai l’appellation de “tireur d’élite”. Avec cette nouvelle arme, je crois être capable de descendre un bonhomme entre 400 et 600 mètres. Comme tu vois, je peux voir venir ces messieurs les fellaghas. Toute la compagnie touche actuellement un nouvel équipement ; nous avons maintenant des treillis bariolés (comme les paras), un poignard (pour d’éventuels corps à corps), et un armement plus important.
Comme cela, je suis chouette, mais je préférerais m’en passer, car la vie de commando ne va pas être drôle. Je vais t’envoyer un colis, avec un petit cadeau,
et aussi une espèce de nappe que j’ai chipée en fouillant des mechtas, en opérations. Tu en feras ce que tu voudras. Tu me diras quand tu le recevras. [...] »
> Lettre de Bernard Henry, le 23 février 1959. Le caporal Bernard Henry sera tué le lendemain.
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