(Photo Bernard Bourdet)
Après la traversée (parfois éprouvante), les appelés pouvaient tomber sur des brochures montrant les exactions des fellaghas. Dès lors, c'était l'angoisse de la mort - et pis, des tortures - qui étreignait les appelés. Ils rejoignaient rapidement leurs unités. Le peu qui restaient à Alger pouvaient découvrir la ville européenne. Ce qui choquait ces jeunes gens fraîchement débarqués, c'était la différence de niveau de vie entre les Européens et les Algériens - non que les premiers fussent riches (en moyenne, ils l'étaient moins que les Métropolitains), mais que les seconds fussent aussi pauvres. Cette situation ne laissait pas les appelés indifférents. Certains, voyant des Algériens mendier, en tiraient l'impression d'une forme de « nonchalance », sans comprendre que le chômage touchait environ 1,5 million de personnes en 1955.
Une "terre de richesses et de mendiants"
« Chers parents, chère grand-mère, chère Colette, me voici donc sur cette terre algérienne, déchirée mais riche d'espoirs. La traversée sur le Kairouan, l'un des meilleurs paquebots de la ligne, s'est très bien effectuée [...]. Après 21 heures de mer, Alger nous est apparue au matin. [...] Alger, terre de richesses et de mendiants, avec des sentinelles sur les quais et à la gare. Nous avons pris le train ensuite pour Affreville [auj. Khemis Miliana, à l'ouest d'Alger].
C'était d'abord la plaine riche et abondante de la Mitidja : propriétés immenses d'orangers, et de vignes, un Midi français, mais à une échelle énorme. La plaine ensuite s'est étranglée et le pays est devenu moins abondant. À Affreville, c'était déjà la colline, plus aride, la terre plus sèche. Nous avons passé deux jours au PC à quelques kilomètres d'Affreville. Il y avait là un peloton d'intervention et de surveillance pour la propriété considérable d'un colon.
Ce matin, une jeep est arrivée pour m'emmener au lieu où j'étais affecté : le 5e Bureau, c'est-à-dire relations avec la population, organisation de la population, aide, etc. [...] Le 4e escadron est à 15 ou 20 kilomètres du PC. Une piste accidentée, où je n'aurais jamais imaginé qu'une jeep puisse passer. Une végétation de plantes grasses et de cactus, une terre aride, presque rouge, des étendues vertes de blé pourtant. [...] Les villages sont très pauvres, misérables mechtas de pierres sèches et de terre entre lesquelles courent des enfants, pieds nus. Pays de légende pour un Européen des villes, pays misérable de soleil et de poussière. »
> Lettre de Bernard Bourdet, 10 mars 1961. Bernard Bourdet (1937-2016) est né à Poitiers. En mars 1961, cet instituteur, appelé du 28e régiment de dragons, est envoyé sur les contreforts de l'Ouarsenis, au sud-ouest d'Alger. Il décrit abondamment, dans son carnet, les conditions de vie des populations.
Un sergent amer
« Mais où sont-ils, ces Kabyles ? Ils sont dans la montagne, pour la plupart enfermés dans de petites bicoques par dizaine dans chaque pièce. Leur état de saleté est repoussant. Des enfants viennent mendier et je ne peux résister envers ces pauvres gosses en leur donnant à manger. La plupart parlent un peu le français et savent manger avec une fourchette. Ils ont l'air débrouillard, peut-être trop, car il faut s'en méfier. Les femmes, on n'en voit pas du tout. Ce sont, paraît-il, les agents des rebelles. Ce qui me frappe, ce sont encore les Européens qui ne nous disent pas bonjour, l'instituteur ne peut pas nous voir et, dans un débit de boissons tenu par un Français, c'est 20 francs plus cher que dans notre foyer ou dans le bistrot arabe. »
> Paul Fauchon est sergent en Kabylie, à Tizi Gheniff, un secteur où le FLN est bien implanté, du 19 juillet 1956 au 18 mars 1957.
Voici Notre-Dame-d'Afrique
26 novembre 1955
« Arrivée à Alger vers 7 h 30. Ville en collines : buildings, docks. Pas assez de soleil pour illuminer ce que l'on croyait être "Alger la Blanche". Cependant, la casbah se détache nettement : tache blanche à flanc de colline au milieu de quartiers européens plus sombres. Nous apercevons Notre-Dame-d'Afrique. À l'est, le soleil se lève derrière les splendides montagnes de Kabylie. »
28 novembre
« Nous passons les trois quarts de la journée à attendre, à la gare. Enfin, nous montons dans des camions et nous atterrissons à quelques kilomètres de l'autre côté de Hamma, au pied d'une ferme. Les tentes sont montées à la tombée de la nuit. Par bonheur, le clair de lune sauve les retardataires. Nous couchons sur des paillasses à même la terre humide. Pas de lumière, cuisine faite aux roulantes de compagnie [...]. »
> Stanislas Hutin est un jeune séminariste lorsqu'il est envoyé en Algérie en 1956. Il tient un journal de bord dans lequel il décrit la guerre au quotidien.
Le pays ressemble tant à la France
« Chers tous, [...] le pays ressemble tant à la France : la belle Mitidja qui forme l'arrière-pays d'Alger. [...]. Alger, belle ville de type tellement européen. La première maison que j'ai vue est le Crédit lyonnais ! Pour nous rappeler qu'on est en Afrique, des palmiers, des cactus, une végétation déjà toute verte, des orangers dans la plaine de Boufarik, Blida, des citronniers. Et puis, des musulmans, beaucoup dans les villages à se traîner sur les places. Tous les hommes ont la chéchia, beaucoup le burnous, quelques femmes voilées, beaucoup de gosses. Et partout la misère, l'absence de vraie économie - à moins qu'un Européen ait une usine où ne s'emploient que des musulmans. Misère complète. [...]. Voilà mes premières impressions sur l'Algérie. [...] Priez pour les rapports entre les deux populations. Que les faits valent mieux que toutes les idées qu'on a ou tout ce qu'on lit sur cette Algérie. »
> Lettre de Bernard Gerland, Aguitoune, jeudi 14 janvier 1960. Bernard Gerland est né à Villefranche-sur-Saône en 1939. Il est instituteur lorsqu'il part en Algérie en janvier 1960. Il devient sous-officier dans une harka, près de Fondouk.
Étrange Algérien
« Sétif est une petite ville assez animée, mais où on se rend compte que l'on s'enfonce nettement vers l'intérieur. Les Arabes sont vautrés par terre et partout. Rares sont ceux que l'on voit travailler : leur position normale est soit accroupie, soit couchée, et ils passent leur temps à regarder autour d'eux, enroulés dans leur burnous ou, souvent, des haillons. Le regard de l'Arabe est quelque chose d'inouï ; il a un regard profond et plonge ce dernier dans tes yeux avec une telle intensité que tu es assez rapidement mal à l'aise, et qu'il est difficile de soutenir l'éclat de ces yeux noirs dardés sur toi, et à travers lesquels tu ne peux pas voir s'il y a de la haine, de l'indifférence ou même de l'amitié. En dehors de cela, quand ils travaillent, tu te rends compte que tu es surpris par la force de ces types qui, d'aspect malingre en général, transportent des tas de trucs sur leurs épaules. »
> Lettre de Jean-Pierre Villaret, Sétif, 1957. Jean-Pierre Villaret débarque le 8 janvier 1957 comme appelé dans le 1er régiment de hussards parachutistes, stationné dans le Nord-Constantinois.
TRAMOR QUEMENEUR
daté avril 2018
https://www.historia.fr/3-%C3%A0-larriv%C3%A9e-le-choc-de-la-d%C3%A9couverte-guerre-dalg%C3%A9rie-paroles-de-soldats
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