(Photo Adoc-Photos)
Pour de nombreux appelés, partir au service militaire signifiait quitter, souvent pour la première fois, sa région natale... Pour certains, cela était synonyme de départ pour des contrées exotiques et d'aventure. Mais, au fur et à mesure que la population a pris conscience d'une situation de guerre, la perspective du départ s'est muée en crainte. Reviendra-t-on ? Retrouvera-t-on sa famille, sa fiancée ? Après un trajet le plus souvent en train, certains appelés arrivaient au camp de Rivesaltes, avant d'embarquer à Port-Vendres. Mais la majorité passait par Marseille, où les appelés restaient quelques jours au Dépôt des internés militaires, le camp de Sainte-Marthe. Puis c'était l'embarquement sur les quais de la Joliette, à bord du Ville d'Oran, du Sidi Bel Abbès ou de l'Athos II, par exemple. Certains faisaient le trajet en une nuit ; d'autres, en quarante heures. Selon la météo, les conditions de traversée variaient de très bonnes (sur le pont ou dans une cabine, pour les officiers et sous-officiers), à catastrophiques, la troupe étant alors reléguée à fond de cale.
L’angoisse d’un soldat
« Mon très cher frangin, [...] Je vais te raconter mon voyage. Je suis parti de Metz samedi dernier à 7 heures du soir, nous avons voyagé toute la nuit, [...] j'ai dormi dans un filet à bagages, dimanche matin on déboulait dans Marseille ; l'après-midi j'ai visité une partie de la ville avec des copains, j'étais plutôt déçu, car je m'attendais à mieux, la Canebière n'est pas si formidable que ça, par contre le Vieux-Port est pittoresque ; nous avons embarqué lundi matin, et les côtes de France ont disparu lentement à l'horizon, je quittais mon pays, quand reviendrai-je et surtout comment reviendrai-je ? »
> Lettre de Jacques Inrep à son frère, Batna, le 15 mai 1960. Jacques Inrep est né en 1939. Il quitte l'école à 16 ans et travaille comme agent administratif à la préfecture de l'Orne. Il est appelé au service militaire en mai 1959. Un an plus tard, après une altercation avec un gradé, il est muté en Algérie et embarque sur le Président Cazalet.
« Sur un petit cargo mixte... »
Vendredi 25 novembre 1955
« Départ en camion pour Port-Vendres. Papa m'y attend. Embarquement (tenue de combat, chargé comme des mulets) sur un petit cargo mixte, le Président de Cazalet. Appareillage vers 12 h 45. Mer très houleuse. Ciel bleu, temps merveilleux. Le bateau roule magnifiquement. Installation à fond de cale dans des chaises longues. Finalement, je trouve une couchette vide dans une cabine de sous-officier, chez Philippe [son compagnon de séminaire chez les jésuites]. »
> Journal de Stanislas Hutin.
La trilogie d’un appelé : ennui, abattement et promiscuité
« Nous sommes dans la région d'Avignon. Nous sommes dans deux wagons en bois ancien modèle, accrochés à un train de marchandises... qui s'arrête sur toutes les voies de garage pour laisser passer les autres trains. Nous ne sommes que 65, accompagnés d'un capitaine sympathique. Nous avons pris le train à la gare de Tolbiac. Les gars sont calmes, n'ont pas trop mauvais moral, pas de cris, de chahuts qui accompagnent d'habitude ces départs. Tout à l'heure nous avons croisé un train de gars qui revenaient de là-bas. Hier soir, nous étions consignés, mais nous sommes tout de même sortis prendre un café à Vincennes.
Le même jour, au soir
« Nous sommes arrivés au camp Sainte-Marthe à Marseille. Nous sommes descendus du train dans une gare de marchandises [...]. Il ne faut pas qu'on nous remarque. Sainte-Marthe, c'est pire qu'à Mourmelon, il y a une multitude de gars de toutes les armes. Dans toutes les chambres - si on peut appeler ça des chambres -, il y a des écriteaux qui disent de dormir avec les portefeuilles. Ce sont des baraquements avec deux rangées de lits à trois étages. »
Jeudi 20 décembre
« Nous partons vers 11 heures sur le El Djezair. Nous ne sommes que 120 militaires à embarquer. »
> Lettres de Jean Billard à sa fiancée.
Marseille, « centre d'accueil » peu accueillant
« Ce jour-là... Chers parents, voici "Alger la Blanche", mais le temps est couvert. Nous avons voyagé comme au temps des esclaves nègres, à fond de cale. Remarquez que j'aurais pu voyager en cabine.
Des gars de la CGT (attention, ne pas confondre, il s'agissait de marins de la Compagnie générale transatlantique !) relaient leur cabine individuelle à 2500 francs la place et à six par cabine. Faites le compte ! [...] Pour entrer dans le bateau à Marseille, c'était un sacré spectacle. Un sergent te filait ton billet d'embarquement, trois mètres plus loin un employé de la CGT te le reprenait, c'était vachement organisé. J'aime autant vous dire que ça a plutôt dégueulé dans le bateau, on en glissait.
Un souvenir de Marseille me revient à l'instant. Nous étions logés dans un "centre d'accueil", oui c'est le nom qu'ils donnent, un "centre d'accueil". Car en plus ils ont le culot de nous dire qu'ils nous accueillent. Donc nous étions logés dans ce centre d'accueil, et il pouvait accueillir environ quatre à cin mille bonhommes [...] »
> Lettre de Serge Pauthe. Serge Pauthe, acteur de théâtre, est né en 1939 à Paris. Toutes ses lettres commencent par la formule « Ce jour-là » et s'achèvent par des baisers adressés à ses parents et une caresse destinée à son chien, Zoulou. Il restera vingt-sept mois en Algérie. En 1993, il publie chez L'Harmattan ses courriers écrits de l'époque : Lettres aux parents : correspondance d'un appelé en Algérie.
La plupart des noms de lieux cités dans ces lettres est à retrouver sur la carte.
Guerre d'Algérie. La carte
TRAMOR QUEMENEUR
daté avril 2018
https://www.historia.fr/2-d%C3%A9part-pour-linconnu-guerre-dalg%C3%A9rie-paroles-de-soldats
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