Après de grandes villes comme Paris, Marseille, Rouen et Bordeaux, c’est au tour de Périgueux de faire l’objet d’un guide qui recense les rues portant les noms de personnages ayant eu un rôle dans la période coloniale de l’histoire de France.
Contrairement à Bordeaux ou Nantes, la préfecture de la Dordogne ne fut pas un port négrier. Mais en son centre, sur une place qui porte son nom, on trouve la statue d’un personnage qui a eu un rôle clé dans les débuts de la colonisation de l’Algérie : le maréchal Bugeaud.
C’est sa silhouette que l’on retrouve sur la couverture du Guide du Périgueux colonial. Né à Limoges en 1784, cet homme de guerre a vécu en Périgord. Il fut maire d’Excideuil, député de Dordogne et s’investit beaucoup dans l’agriculture via son domaine de la Durantie, sur la commune de Lanouaille.
"Fumez-les comme des renards"
À partir de 1836, le destin de ce soldat, qui a commencé sa carrière sous Napoléon, va être associé à celui de l’Algérie. Il est envoyé là-bas pour mater la révolte d’Abd-El-Kader, puis en 1840, il devient gouverneur général de ce territoire que la France a progressivement décidé de conquérir. La méthode Bugeaud n’est pas une ode à la tendresse. On lui prête cette phrase terrible : « Si ces gredins se retirent dans leurs cavernes, imitez Cavaignac aux Sbéhas ! Fumez-les comme des renards ».
Une violence qui ne fut pas dirigée contre les seuls combattants armés. En Algérie, l’armée française a brûlé délibérément, méthodiquement des champs, des villages et tué aussi des civils.
Une glorification qui interroge
Les temps ont changé. Plus de soixante ans après l’indépendance de l’Algérie, à Périgueux, comme à Paris, des citoyens estiment que le maréchal Bugeaud ne devrait plus être ainsi placé sur un piédestal. Il y a peu, le 21 octobre, le journaliste Jean-Michel Apathie a ainsi signé une tribune dans le Monde pour dénoncer "la glorification du maréchal Bugeaud, qui n’a que trop duré ".
La municipalité de Périgueux ne s’est pas montrée indifférente à ce débat. Le 5 septembre, elle a dévoilé une plaque au pied de la statue de Bugeaud qui remet en perspective son rôle en Algérie. "Je fais partie des gens qui pensent qu’il est un peu bizarre, saugrenu, d’honorer avec une statue quelqu’un qui fut un criminel de guerre ", confie Bernard Collongeon, l’un des contributeurs du Guide du Périgueux colonial.
Bugeaud, n’est pas la seule figure du colonialisme à être ainsi honorée à Périgueux. Le guide du Périgueux colonial recense ainsi via une "viographie", une étude des noms de rues ou de places, une soixantaine de personnalités dont le destin est lié de près ou de loin au passé colonial. On découvre ainsi que d’autres militaires, comme Cavaignac, Faidherbe, Chanzy, qui ont pris une part active aux guerres coloniales, ont leur rue à Périgueux.
Une démarche citoyenne
"Il ne s’agit pas ici d’un travail d’historiens, mais de celui de militants des droits humains et d’éducation populaire. C'est une démarche citoyenne en somme, une intention d’offrir une proposition de mise au jour - et pas uniquement à jour - de cette mémoire du colonialisme, entreprise historique célébrée en son temps, glorifiée alors, peu interrogée depuis… ", est-il écrit dans l’introduction du livre.
Rappeler, derrière les lettres blanches des plaques de rue, un passé qui a eu son lot de célébrations patriotiques par la République, mais aussi son lot de larmes pour les peuples concernés.
En feuilletant le Guide du Périgueux colonial, on apprend certains faits étonnants. Ainsi l’écrivain Eugène Le Roy, l’auteur de Jacquou Le Croquant, un « monument » du Périgord, pourtant libre-penseur et franc-maçon, a lui aussi participé à la conquête de l’Algérie. A 18 ans, il s’engage dans les chasseurs à cheval et participe à huit campagnes entre 1855 et 1859.
Le communiste Pierre Semard, dont la rue borde les ateliers SNCF du quartier du Toulon, a lui fait de la prison pour son engagement en 1927 contre la guerre du Rif au Maroc.
Petite poche exotique, les rues du Sénégal, du Tonkin, de Madagascar et des Colonies dans le quartier Saint-Georges rappellent la présence de l’ancienne caserne Daumesnil.
Ainsi se dessine une visite alternative de Périgueux, loin de ses valeurs sûres que sont la cathédrale et le musée gallo-romain Vesunna, mais très proche de notre histoire contemporaine.
Le Guide du Périgueux colonial et des communes proches est publié aux éditions Syllepse.
https://france3-regions.francetvinfo.fr/nouvelle-aquitaine/dordogne/perigueux/je-trouve-un-peu-bizarre-d-honorer-un-criminel-de-guerre-un-livre-questionne-le-perigueux-colonial-2893187.html
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